Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 5 octobre 2022 à 11h00
Commission des affaires sociales

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

L'intervention de Mme la rapporteure générale a mis en exergue trois préoccupations majeures. La première concerne la situation financière des comptes sociaux. Nous tenons tous à notre système de sécurité sociale, qui a récemment montré le rôle qu'il jouait dans la cohésion du pays. Cependant, sa capacité à soutenir et à protéger les citoyens à l'avenir dépend de la durabilité de sa solidité financière. Or, les perspectives pour les années 2023 à 2026 indiquées dans le PLFSS sont très incertaines. En 2023, une forte diminution du déficit est prévue. Or, le risque est grand que ces attentes soient déçues. Le Haut Conseil des finances publiques a notamment estimé que la provision pour les tests était très insuffisante et qu'elle dénotait un optimisme excessif.

La Cour des comptes n'a pas procédé à des simulations sur la sensibilité du résultat financier de la sécurité sociale au contexte économique, car elle a pris connaissance du PLFSS il y a quelques jours seulement. Le rapport présenté à la Commission des comptes de la sécurité sociale a néanmoins rappelé l'impact important d'une forte variation de la croissance de la masse salariale du secteur privé sur le solde des régimes. En effet, 1 point de masse salariale en moins dégrade le solde du régime général et du FSV de 1,25 milliard d'euros.

La rapporteure générale a en outre soulevé la question de la trajectoire de la dette sociale. L'analyse que nous avons menée montre que la Cades pourra reprendre la totalité des déficits du régime général pour les exercices 2022 et 2023. En revanche, la persistance ultérieure du déficit ne laisse pas de place à d'autres solutions qu'un nouvel accroissement de la dette de l'Acoss. Notre analyse prend en compte l'analyse de l'excédent du FSV et des prélèvements de ressources de la Cades au profit de la branche autonomie. Seul le rallongement de la durée de vie de la Cades permettrait à celle-ci, à ressources inchangées, de reprendre le nouveau déficit prévu à compte de 2024, ce qui supposerait une nouvelle autorisation législative.

La dernière question de Mme Rist portait sur l'assurance maladie et sur la capacité d'agir sur la pertinence et la qualité des actes médicaux et des prescriptions. La Cour a mené de nombreux travaux à ce sujet. Les outils de régulation ne manquent pas, mais ils ne sont pas suffisamment utilisés. Il faut accroître la part relative de la rémunération au forfait, tandis que la rémunération prix/volume a fait ses preuves, par exemple pour les actes de biologie. La prévention reste le parent pauvre des politiques de santé. Par ailleurs, la maîtrise médicalisée est l'assurance que le soin est adapté au besoin, prodigué à bon escient et au juste coût ; une enquête sur la question est en cours.

Agir sur la pertinence et la qualité des actes n'est pas simple, mais nous devons envoyer un message dans ce sens aux professionnels de santé, notamment libéraux, qui négocieront prochainement une nouvelle convention avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) : ils doivent participer au double effort collectif d'amélioration de la qualité et de la maîtrise de la dépense publique.

Monsieur Bazin, les dépenses liées aux arrêts de travail ont augmenté de 50 % en dix ans, quand l'Ondam total croissait de 30 %. La priorité est donc de prévenir l'allongement injustifié des arrêts. Qui plus est, les arrêts de longue durée sont aussi les plus pénalisants pour les salariés car ils réduisent leurs chances de reprendre leur activité professionnelle et les éloignent donc du travail. Il est nécessaire de faire des progrès en matière de prévention de la désinsertion professionnelle. C'est ce qui a poussé la Cour à proposer de rassembler dans une même branche de gestion les prestations en espèces et les AT-MP. Cette recommandation figurait dans un rapport sur les arrêts de travail établi en 2019 par trois experts à la demande du Premier ministre.

En ce qui concerne la médecine du travail, et tout en regrettant que les recommandations précédentes de la Cour n'ont pas été prises en compte par le ministère de la santé et par la Cnam, nous publierons dans les prochains mois un rapport sur la politique publique de prévention des risques professionnels.

Madame Janvier, vous relevez la tendance déficitaire de la branche autonomie. Elle mérite en effet une grande attention. Les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie doivent rester cohérentes avec le déficit démographique et le vieillissement de la population. Cela dit, il y aura lieu de ne pas oublier le ressort de la prévention pour retarder ou atténuer la perte d'autonomie. Si l'espérance de vie s'allonge, la France enregistre de mauvais résultats en matière d'espérance de vie sans incapacité. Un rapport de la Cour sur la prévention de la perte d'autonomie a chiffré à 1,5 milliard d'euros le coût de l'inaction, concluant qu'il était rentable d'investir dans la prévention.

Vous vous interrogez ensuite sur la portée des mesures prévues par le PLFSS en matière d'autonomie. Au-delà des importantes mesures salariales, qui sont de nature à améliorer l'attractivité du secteur, et du financement de nouveaux postes indispensables pour augmenter le taux d'encadrement des personnes accompagnées, une disposition concernant le contrôle des Ehpad, notamment privés lucratifs, a retenu mon attention.

Il s'agit d'un enjeu de premier plan, d'abord pour la sécurité et la qualité de vie de nos concitoyens âgés, mais aussi pour le bon usage des fonds publics. Nous avons expertisé le projet d'article 32 du PLFSS sur le renforcement du pouvoir de contrôle des agences régionales de santé et des conseils départementaux, qui est à l'évidence indispensable.

Il faut néanmoins s'assurer que la rédaction retenue couvre l'ensemble des montages possibles par lesquels les établissements et les services du secteur médico-social sont contrôlés par des personnes tierces. À cet égard, l'expérience montre que le diable se cache dans les détails. Par exemple, est-on certain que les cas où une superposition de structures associatives et privées commerciales dispose du contrôle, direct ou indirect, ont été pris en compte ?

De plus, il nous apparaît indispensable de compléter le code des juridictions financières pour garantir à la Cour et aux chambres régionales des comptes le pouvoir de contrôler la totalité des ressources des établissements gestionnaires et des groupes auxquels ils appartiennent, y compris celles qui relèvent des tarifs d'hébergement et des suppléments pratiqués à l'endroit des usagers. Notre compétence actuelle n'est pas clairement affirmée, alors même que cette section représente une part majoritaire des ressources. La Cour et les chambres régionales ne peuvent pas non plus contrôler directement les flux gérés directement au niveau des groupes, comme la trésorerie, les ressources humaines ou les achats.

Il est donc nécessaire d'élargir nos compétences, à la fois horizontalement, pour y inclure les flux de recettes venant des usagers, et verticalement, pour y inclure les flux entre les établissements et leur maison mère. Nous avons saisi l'administration de propositions pour améliorer et compléter ce texte. Je compte sur les parlementaires, en particulier sur vous, madame Janvier, pour lever certains obstacles juridiques qui pourraient se poser dans la rédaction envisagée. Mes équipes se tiennent à votre disposition.

Vous m'avez interrogé sur les recommandations pour réduire les risques d'accidents et de maladies professionnelles dans le secteur des établissements et services médico-sociaux. Il faut d'abord prendre en compte le risque dans les établissements du secteur public, qui doit mobiliser la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales avec le concours de la Cnam. L'arsenal des mesures de prévention reste mal identifié et insuffisamment mis en œuvre dans les établissements médico-sociaux. Le renforcement des équipes est enfin nécessaire pour augmenter le taux d'encadrement.

En ce qui concerne la disposition du PLFSS permettant aux allocataires de l'allocation personnalisée d'autonomie de bénéficier à domicile d'un temps d'accompagnement spécifique au lien social pouvant atteindre jusqu'à deux heures par semaine, la Cour porte une appréciation positive sur l'opportunité de cette mesure. Le développement du maintien à domicile est souhaité par la population. Cela peut contribuer à soulager le personnel des établissements. Il faudra toutefois veiller à la santé au travail des intervenants au domicile des personnes âgées ou en situation de handicap.

Monsieur Christophe, vous abordez la situation financière de la branche famille, qui paraît solide. À l'horizon de 2026, elle resterait légèrement excédentaire, en dépit de charges nouvelles, puisque le PLFSS lui impute 60 % du coût de l'indemnisation du congé maternité – ce qui va dans le sens de nos préconisations.

Vous pourrez lire plus largement dans le rapport nos recommandations relatives à la structure des ressources des différentes branches de la sécurité sociale. S'agissant de la branche famille, il s'agirait ainsi de supprimer les transferts effectués vers la branche vieillesse ; d'ajuster les cotisations patronales qui lui sont affectées aux dépenses effectives visant à concilier vie familiale et professionnelle, et d'équilibrer les ressources de la branche famille par de la TVA et de la CSG, conformément à la logique d'une branche de prestations à caractère universel.

La réforme du CMG prévue par le PLFSS constitue à mes yeux une évolution importante. La Cour avait recommandé de le modifier pour faire en sorte que le reste à charge soit fonction des revenus et non du mode de garde. La disposition permet d'éviter une forme de ségrégation sociale dans l'accueil des jeunes enfants. Cependant, le PLFSS va plus loin que ce que nous proposions pour les familles monoparentales. Sans doute y a-t-il une logique dans le ciblage de ces familles. Toutefois, l'ensemble des dispositions sont coûteuses : elles représentent plus de 600 millions d'euros en année pleine en 2026. J'ai donc regretté que ces mesures ne soient pas accompagnées d'une réforme de l'aide liée au congé parental, afin de rendre les dispositifs plus cohérents et leur réforme concomitante moins coûteuse.

Monsieur Isaac-Sibille, en ce qui concerne les perspectives financières de la branche vieillesse, la Cour des comptes a pris comme vous connaissance des prévisions annexées au PLFSS 2023 il y a quelques jours. Les documents dont nous disposons ne fournissent que peu d'informations. Il est dommage que les nouvelles dispositions organiques conduisent à ce que l'annexe B présente les évolutions de l'ensemble des régimes de retraite : il n'est plus possible d'identifier celles qui sont propres à chaque régime. Les facteurs explicatifs de la dégradation mériteraient d'être explicités plus clairement.

Vous m'avez interrogé sur les solutions préconisées par la Cour pour rétablir durablement l'équilibre du système de retraite. Notre rapport ne porte pas cette année sur la retraite, mais la Cour s'est exprimée très clairement sur le sujet il y a un an dans les notes qu'elle a publiées sur les enjeux structurels auxquels notre pays doit faire face. Par ailleurs, nous avons rappelé notre position dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques délivré en juin.

Notre vision n'a pas varié : nous pensons que la maîtrise de l'évolution des dépenses de retraite est une nécessité. Il y va de la pérennité du système, de sa soutenabilité et de l'équité entre les générations. Les paramètres pour y parvenir sont nombreux : il peut s'agir de l'âge d'ouverture des droits à la retraite, des conditions d'âge pour une retraite à taux plein, des mécanismes de décote et de surcote, des règles de calcul des pensions, ou encore de l'indexation des pensions versées.

Le choix, en la matière, est à la fois technique et politique. Si notre rôle n'est pas d'intervenir dans le politique, disons les choses clairement : la maîtrise des dépenses de retraite se traduira soit par un âge de départ à la retraite plus tardif soit par une baisse du niveau relatif des pensions. Or, ne pas choisir l'un revient à choisir l'autre, et nous pensons que la baisse du niveau des pensions est la plus mauvaise des deux solutions.

En outre, les mesures doivent prendre en compte des considérations tenant à l'équité entre les générations et au sein de chaque génération. L'analyse précise des impacts est nécessaire pour préserver la situation des personnes vulnérables sur le plan économique et social.

Enfin, quelle que soit la réforme engagée, qu'elle soit paramétrique ou plus profonde, nous avons insisté sur la nécessité d'une expertise renforcée pour en faire partager les enjeux, d'une concertation approfondie pour faire comprendre les objectifs et d'un calendrier de mise en œuvre suffisamment espacé pour en faciliter l'acceptation et permettre les adaptations nécessaires dans les entreprises.

S'agissant de nos recommandations visant à clarifier le financement des droits de retraite non contributifs, l'objectif doit être, selon nous, d'améliorer la lisibilité des comptes pour mieux apprécier le coût pour la collectivité des mécanismes de solidarité.

Enfin, vous m'avez interrogé à propos des droits familiaux de retraite. La surcote n'est pas un dispositif destiné à compenser au moment de la retraite les pertes de salaire liées à l'éducation des enfants : il vise à inciter les gens à prolonger leur activité. Une mère qui part à la retraite à l'âge légal d'ouverture des droits ne bénéficie pas de la surcote, mais elle pourrait bénéficier d'une majoration de pension au titre des moindres salaires et de l'éducation de ses enfants. Nous proposons de ne plus accorder le bénéfice de l'assurance vieillesse des parents au foyer dès lors que l'enfant est âgé de 3 ans.

Madame Vidal, la Cour est attachée comme vous à la transparence des comptes.

Madame Keke, il ne me revient pas de me prononcer sur telle ou telle mesure fiscale. Le débat est ouvert ; c'est au Parlement de le mener. Ce n'est pas parce que l'on se préoccupe des recettes et de la fraude fiscale et sociale – la Cour a d'ailleurs mené de nombreux travaux sur ces enjeux – que l'on peut faire l'impasse sur la maîtrise de la dépense. Considérer que les recettes, les prélèvements et la lutte contre la fraude suffiraient seuls à éviter la dérive des comptes relève d'une forme de pensée magique. La dette est un facteur d'injustice considérable : un pays qui s'endette ne peut pas investir. Tout euro consacré au remboursement de la dette n'est pas dépensé à la protection sociale, à la sécurité ou à la justice. C'est la conviction profonde de la Cour, et chacun, ici, devrait la partager.

Madame Mélin, le rôle de la Cour n'est pas d'estimer si tel ou tel article est solide et recevable. Je ne crois pas, pour ma part, au gouvernement des juges. La solidité est une notion qui dépend de l'appréciation des uns et des autres. La sincérité, quant à elle, n'est pas en cause. Je ne puis que réitérer mes propos liminaires : nous pensons que l'hypothèse concernant les dépenses de maladie est optimiste et n'est pas, à ce stade, suffisamment étayée, ce que le Haut Conseil des finances publiques a également clairement souligné. La perspective d'une réduction des dépenses liées à la crise sanitaire à 1 milliard d'euros et d'une division des dépenses de tests par vingt n'est pas tout à fait crédible.

Monsieur Neuder, monsieur Aviragnet, nous sommes favorables à l'établissement de trajectoires permettant d'étayer le redressement nécessaire. À ce titre, une perspective pluriannuelle paraît souhaitable.

Monsieur Mesnier, je vous remercie de votre rôle passé, qui a permis d'améliorer les choses. La clarification du financement de la sécurité sociale est nécessaire : il y va de l'avenir du système. Nous appelons en effet de nos vœux la réforme du financement de la radiothérapie. Quant à l'extension du pouvoir de contrôle des juridictions financières aux établissements sociaux et médico-sociaux, il s'agit d'une évolution que nous souhaitons et qui serait conforme à l'intérêt général.

Monsieur Vigier, les gérants des sociétés à responsabilité limitée voient leurs dividendes soumis aux cotisations sociales, pas les présidents de sociétés par actions simplifiées. Nous prônons un alignement des règles pour éviter les effets d'aubaine.

Monsieur Dharréville, nous ne nous connaissons pas assez, sinon vous sauriez que j'ai depuis longtemps, sur les questions que vous avez abordées, une pensée constante. Votre bonne surprise est peut-être liée à une percée encore plus décisive de notre rapport de cette année – car la Cour elle aussi est très constante. Vous avez souligné la nécessité de sensibiliser les établissements médico-sociaux aux risques d'accidents du travail pour les taux de cotisation AT-MP. Nous sommes en accord sur ce point, de même que sur le renforcement du taux d'encadrement dans les Ehpad. Quand des dépenses publiques sont utiles et même nécessaires, nous le disons. C'est le cas dans les Ehpad. Les récents scandales ne peuvent demeurer sans suite.

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