Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 5 octobre 2022 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion commence à onze heures.

La commission auditionne M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

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Nous avons le plaisir de recevoir M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes.

Jusqu'à cette année, la présentation par le premier président de la Cour des comptes du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS) marquait le début de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Toutefois, la réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) se traduit par un dépôt plus précoce du PLFSS, ce dont nous nous réjouissons ; aussi, les ministres François Braun, Jean‑Christophe Combe et Gabriel Attal nous ont présenté le texte dès le 26 septembre.

Ce nouveau calendrier a contraint la Cour des comptes à adapter le sien cette année pour la préparation du RALFSS, afin de tenir compte non seulement du PLFSS présenté par le Gouvernement, mais aussi de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale, le 27 septembre. Ce calendrier demeurera toutefois exceptionnel, puisqu'à compter de l'année prochaine, le RALFSS sera présenté conjointement avec le nouveau projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, qui doit être déposé au plus tard le 1er juin – je salue Thomas Mesnier, qui est à l'origine de cette disposition.

Au-delà de ces circonstances particulières, le RALFSS n'en continue pas moins d'être une référence essentielle pour éclairer l'examen du PLFSS. C'est d'ailleurs toujours le cas des travaux de la Cour, en particulier des enquêtes que l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières nous permet de lui demander. Ainsi, à la fin du premier semestre 2023, vous nous remettrez un rapport très attendu sur les soins palliatifs, dans la perspective de l'examen d'un texte législatif relatif à la fin de vie. J'ai eu récemment un échange très constructif avec la nouvelle présidente de la sixième chambre, Mme Hamayon, qui m'a permis de m'assurer que les travaux de la Cour seraient de nature à répondre aux attentes de la commission. Je l'en remercie d'avance.

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

C'est avec grand plaisir que je retrouve votre commission, pour la première fois sous cette nouvelle législature, pour cet exercice annuel important. Le changement de calendrier que vous avez rappelé ne simplifie pas la tâche de la sixième chambre, qui a terminé un RALFSS tout en commençant déjà à préparer le suivant. Mais cela ne durera qu'un an, c'est une phase de transition un peu chargée.

C'est aussi un début un peu chargé pour sa nouvelle présidente, Véronique Hamayon, qui est à mes côtés ce matin – comme vous le savez, elle connaît très bien l'Assemblée nationale. Elle est accompagnée du conseiller maître Stéphane Seiller, rapporteur général de ce rapport, et de Thibault Perrin, rapporteur général adjoint. Je voudrais mentionner devant vous le rôle majeur joué par Denis Morin, ancien président de la sixième chambre, dans la conception et les arbitrages de ce rapport si important pour nous. Je salue chaleureusement ceux qui m'entourent pour leur implication, ainsi que la vingtaine d'autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail lourd, volumineux, approfondi et, je le crois, utile pour la représentation nationale.

Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le PLFSS 2023.

Comme j'ai l'habitude de le faire, j'ai présenté hier à la presse ce rapport également très attendu par nos concitoyens. J'irai le présenter tout à l'heure devant la commission des affaires sociales du Sénat. Éclairer les parlementaires avant le vote d'un texte financier majeur pour notre pays est une des vocations de la Cour. Cela participe aussi à l'information des citoyens. J'y tiens énormément, non seulement parce que je conserve dans mon cerveau reptilien une sensibilité d'ancien parlementaire, mais aussi parce que c'est ainsi que je conçois mon rôle et mon devoir de premier président de la Cour.

Ce rapport intervient dans un contexte nouveau, que vous connaissez aussi bien que moi. Les tensions économiques – notamment inflationnistes – résultant de la guerre en Ukraine sont pour nous un sujet de préoccupation majeur. Leurs conséquences sur la croissance sont encore difficiles à prévoir, mais nous savons déjà qu'elles seront importantes. La nécessité d'adapter notre société tout entière aux conséquences du dérèglement climatique est au centre du débat public. La lutte contre la pandémie de covid-19, qui a continué à peser sur les dépenses de l'assurance maladie en 2021 et 2022, laisse une empreinte durable sur la dette et les déficits publics.

Les transferts sociaux jouent dans notre pays un rôle essentiel – vous le savez mieux que quiconque. Ils viennent de le prouver en amortissant efficacement les conséquences de la crise sanitaire. La protection sociale est un pilier de la République. Pour être efficace demain comme elle l'a été hier, elle doit être solide, et ne peut s'installer durablement dans l'accumulation non maîtrisée de déficits. Une branche maladie ou une branche retraite déséquilibrée implique que des dépenses de soins ou des pensions actuelles seront financées par nos enfants et nos petits-enfants. Ces derniers auront à assumer, demain et après-demain, les nouvelles dettes que nous contractons aujourd'hui. C'est une lourde responsabilité, une traite sur le futur, que nous ne devons pas prendre de façon inconséquente.

Le rapport qui vous est présenté démontre clairement qu'il n'est pas possible de différer plus longtemps l'engagement des réformes dont la sécurité sociale a besoin. C'est un travail de longue haleine, qui devra être conduit avec courage et constance dans les années qui viennent, en suivant une trajectoire de redressement explicite et solide. J'évoquerai dans quelques instants les éléments de prévision figurant en annexe au PLFSS 2023.

La Cour est tout à fait consciente des difficultés que présente le redressement des comptes de la sécurité sociale. Ses travaux ont pour but de vous aider à identifier des marges d'efficience, en particulier dans les domaines de l'assurance maladie ou de la retraite. Le rapport qu'elle consacre à l'application des lois de financement de la sécurité sociale présente un ensemble d'évolutions nécessaires à nos yeux. Je note avec intérêt que le PLFSS comporte cette année de nombreuses propositions issues de nos avis.

Conformément à sa démarche d'évaluation, la Cour dresse dans ce rapport le bilan de l'application de quelques réformes récentes. Nous avons identifié des insuffisances, mais aussi des réformes réussies dont peuvent être tirés des enseignements pour l'avenir.

La Cour souligne aussi la nécessité d'améliorer la qualité de l'action publique et des services rendus aux assurés sociaux, tout en contribuant à l'effort de maîtrise des dépenses. Quelques exemples issus de précédents rapports illustrent l'intérêt d'engager des chantiers ciblés de réformes, dans un souci de cohérence d'ensemble.

Je souhaite tout d'abord rappeler la situation financière actuelle de la sécurité sociale, ainsi que ses perspectives dans les prochaines années, au vu des dernières données disponibles communiquées par la commission des comptes de la sécurité sociale et de la trajectoire financière quadriennale présentée par le Gouvernement en annexe au PLFSS 2023.

Le déficit de la sécurité sociale s'établissait, en 2021, à 24,3 milliards d'euros, ce qui est très élevé. De surcroît, estimant que 5 milliards d'euros de recettes liées à des prélèvements sociaux ont été indûment rattachés à l'exercice 2021, la Cour a opposé un net refus – qui n'a pas été suffisamment pris en compte – à l'approbation des comptes de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et des Urssaf pour l'année 2021. Si ces recettes avaient été rattachées à l'exercice 2020, comme cela aurait dû être le cas et comme la Cour le demandait, le déficit aurait même été, en 2021, de 29,3 milliards d'euros.

Je note par ailleurs la persistance, en 2022, d'un déficit structurel – hors dépenses liées à la crise sanitaire – équivalent à celui de 2021, aux alentours de 6 milliards d'euros. Ce déficit est préoccupant.

À nouveau, la Cour souligne la nécessité d'un programme pluriannuel de réformes dans les domaines de l'assurance maladie et des retraites, qui permette à la sécurité sociale de revenir à un équilibre financier pérenne.

Or, une telle orientation, aussi souhaitable soit-elle, n'apparaît pas de façon suffisamment nette dans le PLFSS 2023. Il est vrai que le PLFSS prévoit une réduction du déficit de la sécurité sociale, de 18 milliards d'euros en 2022 à moins de 7 milliards d'euros en 2023. Grande nouvelle ! Mais cette réduction du déficit repose sur une hypothèse optimiste, celle de la division par dix des dépenses exceptionnelles d'assurance maladie dues à la crise sanitaire.

Dans son avis sur le PLFSS 2023, le Haut Conseil des finances publiques – que je préside également et dont j'ai présenté les travaux la semaine dernière devant la commission des finances – a considéré que cette estimation, supposant la division par vingt des dépenses de tests par rapport à 2021, risquait de se révéler très insuffisante. Nous souhaitons tous que soit réalisée une telle évolution, qui signifierait de facto la résolution de la crise du covid. Cependant, la mise en place d'une provision dépend non pas d'espoirs, mais de l'évaluation de risques. En l'espèce, les espoirs sont formulés au détriment d'une prise en compte suffisante des risques.

La croissance des dépenses d'assurance maladie hors crise sanitaire serait, dans le PLFSS, inférieure à la hausse des prix, ce qui suppose des effets d'ajustement importants des professionnels et des établissements de santé. C'est un objectif volontariste ; les exercices passés ont montré qu'il était très difficile à atteindre. Les dépenses structurelles pourraient donc, le cas échéant, être sous-estimées. Le déficit pourrait également s'inscrire à un niveau plus élevé que celui prévu, indépendamment même des incertitudes qui entourent l'environnement macroéconomique.

À cet égard, le Haut Conseil a estimé optimistes les prévisions de croissance sur lesquelles étaient fondés les documents financiers qui vous sont soumis cette année. La prévision de croissance pour 2023 est à quelque 1 %, la prévision de croissance mondiale à 3,1 %, très loin des projections des instituts de prévision, qui estiment la croissance mondiale à moins de 2 %, et la croissance française à 0,6 %, plutôt orientée vers la baisse que vers la hausse.

De plus, le montant de 123 milliards d'euros de déficits sociaux que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a été autorisée à reprendre sera atteint en 2033. Pour continuer d'absorber des déficits sociaux, à structure de recettes inchangée, il faudra donc prolonger sa durée de vie au-delà du terme prévu de 2033. Nous ne devons pas nous voiler la face : il existe un risque réel de croissance continue de l'endettement social, au détriment des générations futures. Ce déficit sera de 160 milliards fin 2022.

Pour 2024 et 2025, les annexes au PLFSS prévoient un déficit de la sécurité sociale qui repartirait à la hausse, avant de se tasser quelque peu par la suite. En 2026, il s'élèverait à près de 12 milliards d'euros. Malgré des transferts en sa faveur au détriment de la branche famille, la branche maladie serait en déficit de près de 3 milliards d'euros. Encore faut-il souligner que ce niveau de déficit supposerait une stabilisation en termes réels des dépenses de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Les efforts d'économies correspondants restent à définir et à mettre en œuvre. Le déficit de la branche vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) atteindrait quant à lui près de 14 milliards d'euros, contre moins de 2 milliards d'euros en 2021, en raison de la dégradation de la situation financière des régimes de retraite de base des salariés du secteur privé et des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.

La dégradation du déficit prévisionnel de la sécurité sociale est d'autant plus préoccupante qu'elle repose – je le répète – sur des prévisions de croissance économique considérées comme vraiment optimistes par le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, que la commission des finances n'a pas adopté, ce que je regrette – je le dis en tant que premier président de la Cour des comptes ; je n'ai pas à me prononcer sur le débat politique –, car ce n'est pas une formalité juridique : c'est un point d'appui nécessaire pour les opinions que peut délivrer la Commission européenne, comme pour les avis que doit rendre le Haut Conseil.

En l'absence d'objectifs de moyen terme étayés et consignés dans un texte, l'ensemble devient un peu acrobatique. J'ai parlé devant la commission des finances de « trapèze sans filet » ; j'ai effectivement le sentiment que nous n'avons plus de filet. La situation est assez problématique. Néanmoins, le texte a été soumis à l'examen de la commission des finances, il fera l'objet d'un vote dans l'hémicycle et, quoi qu'il en soit, il existe et constitue une référence, malgré des prévisions trop optimistes selon la Cour.

Cela me conduit à dire que la trajectoire prévue de retour à l'équilibre puis de désendettement nous semble peu crédible. Il est prioritaire de la revoir et de documenter précisément les mesures de redressement nécessaires.

Le rapport souligne aussi combien la multiplicité et les fréquentes modifications des sources de financement et des flux financiers affectent la compréhension des soldes des branches et du FSV. La Cour propose que les sources de financement des différentes branches soient clarifiées, simplifiées et stabilisées. Ce n'est pas un sujet théorique : les modalités pratiques du redressement de la sécurité sociale dans la durée en dépendent. Si les exigences de clarté, de rigueur et de stabilité ne sont pas prises en compte, le respect des trajectoires prévues pour les différentes branches ne pourra être garanti.

Enfin, de 2010 à 2021, les dépenses de soins de ville ont augmenté trois fois plus vite que l'inflation – c'est un chiffre spectaculaire. La Cour considère que les professionnels libéraux de santé doivent contribuer davantage aux priorités nationales de santé, tout en respectant les objectifs de dépenses liés à la trajectoire pluriannuelle du risque maladie. Cette orientation devrait être au centre des prochaines négociations entre l'assurance maladie et les syndicats des professions libérales de santé.

Voilà pour le diagnostic financier. Mon deuxième point sera consacré à l'examen de trois réformes récentes sur lesquelles la Cour s'est penchée pour évaluer si leurs objectifs avaient été atteints.

La première réforme est celle de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Nous nous sommes intéressés aux deux principaux dispositifs versés sous conditions de ressources : la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prepare), créée en 2014, qui indemnise les périodes de cessation d'activité durant les trois premières années de la vie de l'enfant, et le complément de libre choix du mode de garde (CMG), créé dix ans plus tôt, qui aide les familles à financer la garde par des tiers des enfants de moins de 6 ans. Tous deux ont été réaménagés au milieu de la dernière décennie.

Ces aides sous conditions de ressources n'ont pas atteint leurs objectifs. La Prepare gagnerait à être recentrée sur les arrêts d'activité des parents durant la seule première année de l'enfant et accompagnée d'une indemnisation plus élevée. Les barèmes du CMG sont quant à eux défavorables aux familles les moins aisées, qui ne sont pas réellement libres du choix du mode de garde de leurs enfants. Les barèmes devraient donc être réaménagés pour permettre aux familles les plus modestes de recourir davantage à l'ensemble des modes de garde possibles.

Le PLFSS prévoit une mesure qui modifie le CMG selon nos recommandations – ce dont je me réjouis –, sans toutefois toucher à la Prepare. Il serait opportun de faire évoluer les deux dispositifs de manière cohérente et concomitante, pour en garantir l'efficacité simultanée, tout en évitant un coût supplémentaire pour la branche famille. Autrement dit, c'est un pas dans la bonne direction, mais il ne faut pas oublier que nous marchons sur deux pieds.

La deuxième réforme examinée est celle de l'automatisation du calcul des aides personnalisées au logement. Calculer automatiquement les prestations à partir des données les plus récentes – dites contemporaines – relatives aux revenus perçus par les bénéficiaires est une bonne idée, mais l'expérience a montré les effets délétères des erreurs informatiques lorsqu'elles touchent les revenus des plus précaires. Nous invitons l'administration à anticiper ces risques techniques dans le cadre des expérimentations prévues du principe de « solidarité à la source » souhaité par le Président de la République. La priorité, pour le versement des prestations financées par la solidarité nationale, reste le paiement exact, à qui de droit, en temps et en heure. En outre, l'automatisation du versement oblige à conduire le chantier de simplification des bases de calcul des prestations sociales.

Le dernier exemple porte sur le transfert au régime général de la gestion de la sécurité sociale des travailleurs indépendants, du fait de la suppression du Régime social des indépendants (RSI). Dans l'ensemble, l'opération est une réussite. L'administration doit maintenant pousser les réformes au-delà des sujets d'organisation de la gestion, pour traiter les problèmes de fond qui subsistent en matière de protection sociale de ces catégories professionnelles importantes pour l'économie de notre pays. Il s'agit notamment de l'équité du prélèvement social à la charge des travailleurs indépendants par rapport à celui des salariés, de l'équité de ce prélèvement entre les différentes catégories d'indépendants et de la complétude de leur protection sociale.

Le troisième et dernier point concerne ce qui constitue une préoccupation constante de l'institution que je préside : l'amélioration de la qualité et de la maîtrise de la dépense dans le champ de la protection sociale. Cela nécessite une approche méthodique, ferme, engagée, domaine par domaine, secteur par secteur, si l'on veut que chaque euro d'impôt ou de cotisation soit utilement dépensé dans l'intérêt de nos concitoyens. Je n'ai jamais été un ayatollah de l'austérité, je ne traque pas chaque euro de dépense, mais je considère que la qualité de la dépense publique doit nous préoccuper au même titre que sa quantité. L'objectif doit être au cœur des réformes qui sont menées.

Quatre domaines font apparaître de très nettes marges d'amélioration. Les deux premiers concernent le champ de la santé et de l'assurance maladie, qui doit constituer un terrain de réforme prioritaire.

Nous savons tous combien la réforme de l'hôpital public appelle d'efforts particuliers. Les personnels attendent des mesures, notamment d'organisation, de gestion et de répartition plus juste des moyens. De meilleures conditions de travail sont nécessaires pour que leur engagement, dont nous avons mesuré à quel point il était exceptionnel, puisse s'exprimer librement. L'hôpital a besoin d'investissements. Certes, des sources d'économies y existent aussi, notamment grâce à la numérisation, mais ce n'est pas là que nous recommandons de porter l'effort en priorité – sinon l'effort d'investissement.

Une autre clef se trouve du côté de la médecine libérale, dont les activités interagissent avec le secteur hospitalier. Nous avons choisi pour cela de sonder deux activités distinctes, la radiologie et la radiothérapie.

Dans les deux cas, les enjeux sont similaires : une répartition territoriale insatisfaisante ; des procédures d'évaluation et de prise en charge de l'innovation limitées ; des actions insuffisantes d'amélioration de la pertinence des actes ; une connaissance sommaire des activités réalisées et de leur coût, et une inadéquation de la tarification des activités, dont l'impact sur la rémunération des professionnels constitue une perte d'attractivité préoccupante pour l'hôpital. Des réponses doivent être apportées rapidement à ces difficultés.

Un autre exemple concerne un aspect majeur pour la qualité de la prise en charge et de l'accompagnement de nos concitoyens âgés ou en situation de handicap, à savoir les conditions de travail des personnels du secteur médico-social. Nous les avons analysées à travers le prisme des accidents du travail et des maladies professionnelles, ce qui constituait une démarche inédite.

La fréquence des accidents ou des maladies auxquels sont exposés les salariés de certaines catégories d'établissements, notamment ceux des Ehpad, est trois fois supérieure à celle constatée dans l'ensemble des secteurs de l'économie. Nous avons montré que l'amélioration progressive du taux d'encadrement – c'est-à-dire du nombre des salariés disponibles pour prendre en charge et accompagner les personnes – permettrait non seulement d'améliorer la qualité des services rendus à ces personnes, mais aussi de réduire fortement le nombre des accidents du travail et des maladies professionnelles. En d'autres termes, nous avons détecté une sorte de cercle vicieux de l'économie aveugle, qui enclenche des dépenses supplémentaires.

Il faut dépenser plus pour les Ehpad ; la Cour l'a dit dans un rapport demandé par la commission des affaires sociales du Sénat. L'année dernière, nous avons chiffré les dépenses supplémentaires entre 1,3 et 1,9 milliard d'euros – je l'ai dit devant les assises des Ehpad. Mais mieux vaut dépenser au bon endroit pour renforcer le taux d'encadrement, limiter les absences, et minimiser le coût considérable des accidents du travail et des maladies professionnelles.

La Cour des comptes est au service du Parlement, en particulier de votre commission, pour renforcer la transparence et la régulation financière des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. La force de la Cour réside dans l'indépendance de ses travaux. Lors de la présentation de l'enquête de la Cour sur la médicalisation des Ehpad réalisée à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, j'ai pris publiquement position pour regretter les limites actuelles de la compétence des juridictions financières en la matière. L'amélioration du contrôle passe aussi par l'extension des compétences des autorités constitutionnelles de contrôle.

L'utilisation des recettes d'hébergement échappe au contrôle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Je forme devant vous le vœu que le législateur fasse évoluer le champ de compétences de la Cour et des CRTC dès le PLFSS 2023 – comme cela était initialement prévu, dans des conditions qui pouvaient être améliorées ; je ne serais pas malheureux que vous décidiez de réintroduire ces dispositions, car il y va de l'information du citoyen, de notre possibilité de contrôler, au sein de l'établissement et du groupe, de manière inopinée parfois, les produits d'hébergement et les postes de charge qu'ils financent, notamment l'immobilier et les achats. Mes équipes et moi-même sommes à votre disposition pour discuter d'un projet d'amendement, si vous y consentez. Je pense que c'est hautement souhaité. Les scandales que nous avons connus démontrent que ce secteur a besoin d'être mieux contrôlé. La Cour, par sa connaissance du secteur social, me semble la mieux placée pour le faire, au service du Parlement et du citoyen.

Le dernier exemple d'amélioration de la qualité et de l'efficience concerne un aspect mal connu de notre système de retraite. Je vous le dis d'emblée – comme à la presse hier : ce rapport ne contient pas de grands développements concernant la retraite, en dépit de l'actualité du sujet. Mais nous avons traité un thème particulier : celui des droits familiaux attribués aux parents au titre de leurs enfants. Ces droits représentent près de 20 milliards de dépenses annuelles. Ils ont été institués il y a cinquante ans ou plus, à une époque où les familles étaient plus nombreuses qu'aujourd'hui et les mères travaillaient considérablement moins. Ces dispositifs complexes accordent des trimestres mais sans compenser suffisamment les pertes de salaires subies par les mères. Nous recommandons une remise à plat pour corriger cette injustice, sans dépenses nouvelles bien entendu.

Je voudrais, en conclusion, revenir sur le message principal du rapport.

Il est impératif à nos yeux de mettre fin à l'accroissement continu de la dette sociale, en remettant rapidement la sécurité sociale sur un chemin effectif d'équilibre financier. Pour cela, ne nous en tenons pas à des perspectives de croissance de l'activité économique aléatoires et incertaines, bien que les recettes sociales en dépendent. Il faut entreprendre rapidement les réformes nécessaires de notre protection sociale, qu'il s'agisse des retraites, mais aussi de l'organisation de notre système de santé, en rendant leurs dépenses plus efficientes. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous préconisons de privilégier la qualité de la dépense : non pas l'austérité aveugle, mais la dépense bien calibrée.

Ces réformes sont d'abord nécessaires pour garantir la pérennité de notre système de retraite et l'accès de tous à des soins de qualité, sans réduire les niveaux de prise en charge par l'assurance maladie. C'est ce qu'attendent nos concitoyens.

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Merci pour cette très belle présentation et toutes vos préconisations qui n'auront pas manqué d'éclairer les commissaires que nous sommes. Je suis certaine également qu'elles auront suscité beaucoup de questions.

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Merci pour votre exposé clair et complet des enjeux de financement et d'efficacité auxquels la sécurité sociale – à laquelle nous sommes profondément attachés – est confrontée en ce début de législature.

Vous dressez un bilan quelque peu inquiétant des perspectives des comptes sociaux pour les années à venir. Les trajectoires prévisionnelles sont largement déficitaires dans les branches maladie et vieillesse. Or vous estimez que la dégradation du déficit à compter de 2024 pourrait être sous-estimée, en raison notamment d'hypothèses de croissance optimistes pour les années 2023 à 2027. Dans son avis relatif aux textes financiers, le Haut Conseil des finances publiques partage cette position. Avez-vous effectué des simulations permettant de connaître les trajectoires financières des branches au sein des régimes obligatoires, si la croissance devait être inférieure aux prévisions ?

Au regard du niveau élevé des déficits cumulés par la sécurité sociale au cours des derniers exercices et supportés conjointement par l'Acoss et la Cades, vous estimez qu'il existe une forte probabilité de devoir à nouveau reculer la date finale d'amortissement de la dette sociale, actuellement fixée à 2033. Vous appelez en outre à préserver les ressources de la Cades pour assurer à tout le moins le maintien d'une trajectoire proche de celle décidée en 2020. À cet égard, faut-il réaffecter des recettes ou au contraire rembourser la dette ancienne ?

S'agissant des dépenses d'assurance maladie, le rapport que vous nous avez communiqué porte un regard critique sur l'efficacité du système conventionnel qui régit les relations de l'assurance maladie avec les médecins libéraux. Vous estimez que, tel qu'il fonctionne, ce système de conventions ne permet ni d'atteindre les objectifs de santé publique que nous avons fixés, ni de maîtriser les dépenses. Vous proposez de rénover l'architecture conventionnelle en instaurant un accord-cadre interprofessionnel concernant l'ensemble des professions. Dans quelle mesure pensez-vous que cette clarification permettrait d'accélérer le partage de compétences entre professionnels, sujet sur lequel nous avons vingt ans de retard comparativement à beaucoup d'autres pays ?

Enfin, vous proposez davantage de rémunération au forfait pour les médecins libéraux. Ne pensez-vous pas qu'il serait utile de faire converger ce modèle avec un peu plus de rémunération à l'acte des médecins salariés ?

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Je vous remercie pour votre analyse éclairante des comptes et perspectives financières de la sécurité sociale, ainsi que pour les propositions que vous avez formulées.

Les déficits sont inquiétants et les hypothèses budgétaires trop optimistes – mais je m'arrêterai là, en tant que député de l'opposition, pour concentrer mon intervention sur la branche pour laquelle j'ai été désigné rapporteur.

La branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) est devenue excédentaire en 2021, et le solde devrait continuer de s'améliorer en 2022 et 2023, avec des excédents de l'ordre de 2 milliards d'euros. Le PLFSS prévoit, pour 2023, un transfert de 1,2 milliard d'euros de la branche AT-MP vers la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, soit 100 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'année 2022.

Dans son rapport, la Cour s'interroge sur le bien-fondé de l'organisation actuelle. La frontière entre les causes professionnelles et non professionnelles de l'état de santé des patients est perméable, ce qui justifie le transfert compensatoire de la branche AT-MP vers la branche maladie. Il existe de fortes similitudes entre les arrêts de travail pour maladie et pour AT-MP dans les différents secteurs d'activité. Or les actions de prévention visant à maîtriser les risques d'interruption d'activité manquent d'efficacité. Les arrêts de travail pour maladie ou AT-MP et les indemnités journalières augmentent tendanciellement plus vite que les recettes de la sécurité sociale. Les pensions d'invalidité sont elles aussi très dynamiques.

Vous proposez donc de regrouper au sein d'une même branche l'ensemble des prestations versées par l'assurance maladie au titre des risques maladie et AT-MP. Cette branche aurait pour mission prioritaire de mener une politique transverse visant à prévenir les interruptions d'activité pour motif de santé et à accompagner les salariés dans la reprise d'une activité professionnelle. Comment une telle évolution pourrait-elle se concrétiser, que ce soit sur le plan organisationnel ou sur le plan financier ? Avez-vous déjà eu des échanges avec l'assurance maladie ou le ministère de la santé et de la prévention à ce propos ? Comment pourrions-nous revaloriser le rôle de la médecine du travail en matière de prévention ?

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À mon tour de vous remercier pour les éléments précis que vous venez de nous présenter. Pour ma part, j'appellerai votre attention sur le volet autonomie du PLFSS, s'agissant aussi bien des mesures déjà mises en œuvre et que nous avons commencé à évaluer que de celles qui sont présentées cette année.

Le déficit de la branche s'élève à 500 millions d'euros en 2022, sous l'effet de mesures très ambitieuses comme le tarif socle, ou encore les revalorisations prises à la suite du Ségur de la santé et de la mission Laforcade. En 2023, il atteindra 1,2 milliard d'euros, du fait d'un objectif global de dépenses porté à 5 % – 5,1 % pour les personnes âgées et 5,2 % pour les personnes handicapées. S'il faut se réjouir des montants déployés pour soutenir l'autonomie de ces publics, le problème du financement de la branche n'en doit pas moins être résolu.

Vous avez lié la question des accidents du travail et des arrêts maladie à celle des conditions de travail en évoquant le taux d'encadrement, que vous proposez d'améliorer. Cette approche suscite, bien entendu, un vif intérêt au sein de la commission, mais une telle évolution induit des besoins de financement estimés entre 1,3 et 1,9 milliard d'euros. Comment y faire face ?

Enfin, comment envisagez-vous la réforme du mode d'accompagnement des personnes dépendantes, qui inclut le virage domiciliaire, l'habitat inclusif et les Ehpad centres de ressources, sans oublier l'ajout de deux heures de vie sociale prévu dans le PLFSS ? Au-delà des enjeux importants que sont les financements supplémentaires et le taux d'encadrement, pensez-vous qu'il faille s'interroger sur le modèle en lui-même ?

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Je tiens à vous remercier à mon tour pour la pertinence de vos analyses, qui permettent d'éclairer le Parlement et les citoyens quant à l'application des lois de financement de la sécurité sociale et, ce faisant, d'alimenter le débat public.

La branche famille connaît en 2022 un excédent légèrement moins élevé qu'en 2021, mais encore important, à hauteur de 2,6 milliards d'euros. L'excédent de la branche devrait néanmoins diminuer de moitié en 2023 pour s'établir à 1,3 milliard d'euros, en raison du transfert de la part du congé maternité postnatal, pour 2 milliards d'euros, dans un objectif de sincérité comptable, mais aussi de la revalorisation de 50 % de l'allocation de soutien familial. À l'horizon de 2026, l'excédent devrait diminuer davantage encore et s'élever à 700 millions d'euros, du fait de dépenses induites par l'indexation des prestations légales et de la montée en charge de nouvelles mesures – telles que la réforme du CMG et la mise en place du service public de la petite enfance.

Dans ce contexte, je souhaite connaître l'avis de la Cour sur les perspectives de financement de la branche famille et sur l'opportunité de poursuivre le transfert de ses excédents vers d'autres branches pour équilibrer les comptes de la sécurité sociale.

Vous évoquez par ailleurs largement dans votre rapport la question de la pertinence des aides proposées aux familles. Vous soulignez, en particulier, les limites du CMG. Quelle appréciation portez-vous sur la réforme du dispositif prévue dans le PLFSS – je pense notamment à la refonte du barème du CMG emploi direct ? Cette réforme a pour objectif de rapprocher ce barème de celui des crèches et de réduire significativement les freins financiers à l'accueil individuel des enfants des familles aux revenus modestes et/ou ayant des besoins de garde importants.

Enfin, quelles réformes vous semblent prioritaires pour déployer à grande échelle le service public de la petite enfance ?

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Je voudrais tout d'abord vous remercier pour la qualité de votre travail et de votre intervention, qui, comme toujours, éclairent nos débats.

En tant que rapporteur de la branche vieillesse, j'ai la lourde responsabilité de revenir sur les enjeux financiers de notre système de retraite.

Dans votre développement consacré à la nécessité de restaurer la soutenabilité des systèmes de retraite, vous estimez qu'il faut agir en priorité sur l'âge effectif de la retraite. Pouvez-vous expliquer pourquoi, parmi les critères sur lesquels on peut agir pour garantir cette soutenabilité, le recul de cet âge vous paraît la mesure la plus efficiente ?

Votre rapport propose en outre une réflexion plus globale sur l'amélioration de la lisibilité des comptes sociaux, et vous estimez que la situation actuelle du système de retraite ne permet pas une distinction suffisamment claire entre prestations non contributives – qui devraient être financées par l'impôt – et prestations contributives – qui devraient être financées par les cotisations. Vous proposez l'établissement de deux sections comptables, afin de séparer ces deux catégories, tout en conservant des prestations attribuées à partir de droits non contributifs dans la section relative aux prestations contributives. S'agissant d'une branche qui comporte autant de régimes, dans quelle mesure pensez-vous que l'ajout de ces deux sections comptables serait de nature à faciliter la lecture et la compréhension du financement des prestations contributives et non contributives de vieillesse ?

Enfin, vous consacrez une partie de votre rapport aux droits familiaux de retraite en incitant à une réforme d'ampleur de ces droits, pour orienter ces dispositifs, principalement favorables aux femmes, vers une majoration de la pension et non de trimestres supplémentaires. Cet objectif n'est-il pas satisfait par le dispositif de surcote ? Les femmes y ont plus facilement accès, dans la mesure où les droits familiaux leur permettent d'atteindre le taux plein.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Comme mes collègues, je tiens à vous remercier pour votre présentation liminaire et, plus largement, pour le travail fourni par la Cour des comptes dans le cadre de l'élaboration du RALFSS. Les observations et recommandations, tant sur la trajectoire financière que sur les réformes à conduire, viendront, à n'en pas douter, enrichir les débats que nous entamerons dès la semaine prochaine autour du PLFSS 2023.

Avec un déficit cumulé de près de 65 milliards d'euros en 2020 et en 2021, la trajectoire financière de la sécurité sociale s'est effectivement éloignée du chemin qu'elle empruntait depuis 2010. Il s'agit là d'un point de rupture durable. Ainsi que le relève la Cour, une large part de ces déficits s'explique par le coût des mesures d'urgence sanitaire. Ces mesures nécessaires représentent près de 35 milliards de dépenses exceptionnelles sur deux ans, auxquelles s'ajoutent les revalorisations salariales décidées dans le cadre du Ségur de la santé en 2021, pour un coût de 9,3 milliards. Ces milliards nous ont permis de préserver la vie des Françaises et des Français et de rémunérer comme il se doit les professionnels de santé, à qui je rends hommage. C'est un choix politique que nous revendiquons pleinement, et nous avons pu constater, dans ce cadre, que la sécurité sociale a pleinement joué son rôle d'amortisseur social et économique.

Si nous étions résolus face à la pandémie, nous sommes désormais résilients. Il nous faudra entamer un retour progressif à des comptes équilibrés car, tout comme la Cour, nous sommes convaincus que les dépenses sociales n'ont pas à peser sur les seules générations futures et qu'elles ont vocation à bénéficier à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Nous souscrivons ainsi pleinement aux recommandations du rapport concernant un renforcement de la transparence de l'information, notamment en matière d'imagerie médicale. Vous constaterez donc, monsieur le premier président, le goût de l'équilibre du groupe Renaissance.

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Année après année depuis vingt-sept ans, les rapports de la Cour des comptes en matière de sécurité sociale signalent un dysfonctionnement chronique de la gestion des comptes sociaux, et cela parce que ces comptes ne bénéficient pas du même contrôle et des mêmes modalités de vote que les budgets de l'État et des collectivités territoriales. La Cour effectue des contrôles aléatoires et parcellaires, débouchant sur des révélations et des recommandations, complétées par un vote parlementaire lui aussi nécessairement parcellaire. La loi organique du 14 mars 2022 n'a pas encore changé les choses.

Cette tendance aboutit, comme vous le constatez fort bien, à une distorsion totale. Celle-ci affecte les équilibres financiers, qui ne reposent plus que pour moitié sur les revenus du travail, le reste dépendant d'une surfiscalisation croissante. Qui plus est, le sens même de la protection sociale et de la solidarité est mis en cause, du fait du remplacement progressif de prestations contributives par des prestations non contributives, facteur d'inégalité devant les fruits du travail. La transparence et la sincérité des comptes sont également affectées, comme en témoignent les dysfonctionnements graves et récurrents relevés par la Cour à chaque rapport – je pense bien entendu au taux de fraude, mais aussi au non-respect des délais de dépôt des comptes par les organismes qui en ont la responsabilité. Le comble est même atteint cette année : pour une raison conjoncturelle, la Cour a refusé de certifier les comptes de l'activité de recouvrement, ce qui est une première. Quelles qu'en soient les raisons, cela ébranle de fait le socle du PLFSS 2023.

À la lumière de vos travaux et de la loi organique de mars 2022, pensez-vous que l'article liminaire et les articles 1er et 2 du PLFSS soient suffisamment solides pour être recevables ? Compte tenu du fait que vous avez refusé de certifier les comptes des organismes chargés du recouvrement, ainsi que de vos très nombreuses remarques et recommandations, la construction du PLFSS dans sa globalité vous paraît-elle solide ?

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Vous êtes venu nous présenter les grandes lignes de votre rapport sur les lois de financement de la sécurité sociale. Or, force est de constater que de nombreuses pistes de financement sont exclues. Ainsi, aucune proposition de taxation des entreprises du CAC40 n'est présentée, alors que celles-ci ont vu leurs profits exploser. De même, aucune mesure n'est présentée pour lutter efficacement contre l'évasion fiscale, qui coûte chaque année « un pognon de dingue », pour reprendre une expression chère à M. Macron.

Alors que vous tirez le signal l'alarme au regard du déficit de la sécurité sociale, le Gouvernement multiplie les mesures antisociales. Il octroie des primes – qui plus est exonérées de cotisations sociales, comme la « prime Macron » – plutôt que d'augmenter significativement le Smic. Il décide d'exonérer de cotisations les heures supplémentaires au lieu de prendre de vraies mesures favorisant l'embauche des jeunes. Il recule l'âge de départ à la retraite, réduit les droits aux indemnités chômage et durcit les conditions pour y avoir accès plutôt que d'instaurer des taxes sur les superprofits, ce qu'ont pourtant fait nos voisins européens. De même, aucun contrôle sérieux n'est prévu s'agissant des aides et subventions versées par l'État aux entreprises ; ces mesures sont accordées sans contrepartie en matière d'emploi.

Ne considérez-vous pas que les alertes que vous lancez deviennent autant de justifications des politiques antisociales qui sont menées ? Pour rappel, en France, les inégalités se creusent et la pauvreté grandit de jour en jour, privant des millions de personnes d'accès aux soins et de conditions de vie dignes.

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Serait-il opportun, selon vous, de voter des lois de programmation pluriannuelle du financement de l'assurance maladie ? Le Ségur de la santé a conclu à la nécessité de donner un cadre pluriannuel à l'Ondam ; à nos yeux, cela n'est pas suffisant. Les fédérations les plus représentatives des établissements de santé au niveau national ont signé en février 2020 avec le ministère de la santé un protocole pluriannuel précisant l'évolution de l'ensemble de leurs ressources issues de l'assurance maladie sur une période de trois ans. La Cour des comptes a-t-elle un avis sur la proposition consistant à organiser le financement de la santé à travers une telle loi ? Cela permettrait de reconnaître le caractère hautement stratégique de la santé dans notre pays et de sanctuariser le financement de l'investissement.

Par ailleurs, le PLFSS 2023 rectifie le montant de l'Ondam des établissements de santé afin de couvrir – selon le dossier de presse – 1,5 milliard d'euros liés au relèvement du point d'indice et 800 millions au titre de la compensation des effets de l'inflation. Ces chiffres nous paraissent sous-évalués, pour trois raisons. Premièrement, les estimations par les établissements sanitaires et médico-sociaux du coût réel des effets de l'inflation se situent à un niveau supérieur : 1,1 milliard d'euros pour les établissements sanitaires, 100 millions pour les établissements pour personnes âgées et 100 millions pour les établissements pour personnes handicapées. Deuxièmement, aucun mécanisme de compensation de l'impact du covid n'est prévu, alors même que les dépenses des établissements ont été fortement perturbées du fait de la déprogrammation de nombreux actes chirurgicaux, y compris en début d'année 2022. Troisièmement, les mesures dérogatoires relatives aux ressources humaines – notamment la majoration des indemnités de nuit des personnels médicaux et paramédicaux – ne sont pas compensées.

Quel est donc le regard de la Cour des comptes sur ces prévisions ?

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Merci de votre analyse chirurgicale des comptes de la sécurité sociale.

La dette de l'Unedic s'élève à 62 milliards d'euros, dont 19 milliards sont imputables à l'État. Ne croyez-vous pas que l'on doive s'orienter vers un système assurantiel, pris en charge par les partenaires sociaux pour ce qui relève des cotisations et par l'État pour ce qui relève de la solidarité – par exemple à travers la contribution sociale généralisée (CSG) ?

Pensez-vous qu'il soit soutenable de baisser l'âge de la retraite à 60 ans pour tous, avec les difficultés que l'on connaît – les perspectives démographiques, le niveau des petites retraites et la nécessité de garantir une pension à chacun ?

Vous avez parlé de gains d'efficience dans les domaines du médicament et de la biologie. Pensez-vous qu'il faille envisager, dans le cadre d'un nouvel accord interprofessionnel pour le secteur de la santé, pour les professionnels de santé, une sorte d'accréditation qui garantirait une plus grande efficience des soins et un parcours de soins plus sécurisé ?

Vous avez évoqué la possibilité d'assujettir les dividendes des indépendants. Un chiffrage a-t-il été effectué et, si oui, à quelle hauteur se situe-t-il ?

Enfin, j'ai été surpris par l'une des images accompagnant votre présentation. Il y était indiqué qu'une augmentation de 0,66 à 1 du nombre de personnels par résident dans les maisons de santé pour aînés aboutirait à une diminution de 33,2 % de l'absentéisme pour cause d'accident et de maladie professionnelle. Cela se traduirait-il par des économies pour les finances publiques ?

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Après la période de pandémie, qui a vu l'équilibre des comptes de la sécurité sociale tendre dangereusement à la baisse, la situation s'éclaircit. Le déficit qui s'est creusé mettra plusieurs années à se résorber, malgré l'embellie connue depuis 2021. Toutefois, la stratégie gouvernementale présentée dans le PLFSS conduit le pays dans le mur.

Alors que nos concitoyens vivent de plus en plus mal, les services publics se font de plus en plus rares. C'est la double peine pour les plus précaires, à qui profitent le plus les services publics. Or, l'hôpital s'effondre, les déserts médicaux s'amplifient, les retraités ne s'en sortent plus et la gestion de la petite enfance est complètement anarchique. Rajoutons à cela une réforme de l'assurance chômage basée sur un mensonge, et nous obtenons un tableau peu reluisant de l'état de notre système de protection sociale.

Alors que l'inflation galope, le PLFSS n'est à la hauteur pour aucun sujet. Les recettes sont rongées de toute part par le clientélisme électoral et, comme de bons petits soldats du néolibéralisme, vous fermez le robinet des dépenses. Nous ne pouvons pas accepter cela quand 4 000 lits ferment encore à l'hôpital, faute de médecins. Il faut changer de paradigme, augmenter les recettes en mettant à contribution ceux qui profitent des crises, afin de rembourser le déficit et d'investir massivement dans le modèle de protection sociale qui fonde notre pacte républicain.

On sait désormais qui va devoir financer le « quoi qu'il en coûte » : une fois encore, ce seront les travailleurs, les classes moyennes, les retraités et les PME.

Pouvez-vous confirmer que les Ondam, si on les rapporte à l'inflation, seront en baisse ? Pensez-vous qu'une pluriannualisation des lois de financement de la sécurité sociale permettrait une meilleure anticipation des enjeux du futur ?

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Je tiens à vous adresser des remerciements particulièrement appuyés pour la qualité de votre travail, car la modification de la loi organique – à laquelle je ne suis pas étranger – a fait de cette année une période de transition.

Nous poursuivons le même but que vous : le retour à l'équilibre des comptes pour préserver le modèle social, qui est notre trésor national. Or des incertitudes existent, notamment en ce qui concerne la branche maladie, du fait de la pandémie et du contexte économique. S'agissant en particulier de l'économie, la Cour a-t-elle produit plusieurs prévisions, tenant compte de différents modèles, de manière à nous éclairer dans les choix difficiles que nous avons à faire ? Tout en souhaitant le retour des comptes à l'équilibre, nous devons préserver l'accès à l'innovation en matière de santé pour nos compatriotes.

Vous soulignez la nécessité d'une réforme des retraites. Le groupe Horizons défend lui aussi cette idée.

Je retiens de vos propos trois éléments. Tout d'abord, la clarification des financements de la protection sociale est nécessaire à l'acceptabilité par nos compatriotes de l'impôt et de la charge des cotisations sociales. Le souci de clarification doit d'ailleurs guider nos travaux : il faut légiférer dans ce sens.

Ensuite, il faut réformer la radiothérapie, car le système est source d'inégalités entre les territoires et en matière d'accès à l'innovation. Le financement à l'activité gagnerait à être remplacé par un financement forfaitaire.

Enfin, l'extension des capacités de contrôle de la Cour pourrait faire l'objet d'un amendement. Mon groupe est tout disposé à ce que nous y travaillions ensemble.

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Quand vous nous rendez visite, nous sommes toujours un peu inquiets, tout en sachant que nous ne serons pas vraiment surpris par votre discours... Nous connaissons la passion de l'institution que vous dirigez pour le redressement des comptes publics et les économies budgétaires, qui sont d'ailleurs inscrits dans sa nature. Nous connaissons également vos qualités quand il s'agit de nous assurer de la sincérité des budgets : les jeux d'écriture ne vous échappent pas.

Cela dit, j'ai été positivement surpris par vos propos concernant la cotisation AT-MP, la Prepare et la CMG, le poids insupportable de la tarification à l'activité (T2A), la radiothérapie et enfin par votre proposition d'encadrer chaque résident d'Ehpad par une personne et de mieux contrôler les finances de ces établissements. Notre système de protection sociale n'est pas assez protecteur, et cela n'est pas le moindre des problèmes.

Le problème des recettes n'est jamais suffisamment abordé. J'ai retenu votre recommandation 40 sur l'élargissement de l'assiette des cotisations aux dividendes. Elle me paraît toutefois timide : il conviendrait d'aller plus loin. Vous signalez que les cotisations ont diminué de 90 % à 38 % en quarante ans. Cette baisse considérable souligne un véritable problème touchant à la philosophie même de notre système de financement, qui est injuste.

Je souhaitais enfin vous interroger sur la nécessité d'approfondir la réflexion sur la marchandisation de la santé, qui pourrait représenter une source de ressources supplémentaires pour une vraie protection sociale.

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

L'intervention de Mme la rapporteure générale a mis en exergue trois préoccupations majeures. La première concerne la situation financière des comptes sociaux. Nous tenons tous à notre système de sécurité sociale, qui a récemment montré le rôle qu'il jouait dans la cohésion du pays. Cependant, sa capacité à soutenir et à protéger les citoyens à l'avenir dépend de la durabilité de sa solidité financière. Or, les perspectives pour les années 2023 à 2026 indiquées dans le PLFSS sont très incertaines. En 2023, une forte diminution du déficit est prévue. Or, le risque est grand que ces attentes soient déçues. Le Haut Conseil des finances publiques a notamment estimé que la provision pour les tests était très insuffisante et qu'elle dénotait un optimisme excessif.

La Cour des comptes n'a pas procédé à des simulations sur la sensibilité du résultat financier de la sécurité sociale au contexte économique, car elle a pris connaissance du PLFSS il y a quelques jours seulement. Le rapport présenté à la Commission des comptes de la sécurité sociale a néanmoins rappelé l'impact important d'une forte variation de la croissance de la masse salariale du secteur privé sur le solde des régimes. En effet, 1 point de masse salariale en moins dégrade le solde du régime général et du FSV de 1,25 milliard d'euros.

La rapporteure générale a en outre soulevé la question de la trajectoire de la dette sociale. L'analyse que nous avons menée montre que la Cades pourra reprendre la totalité des déficits du régime général pour les exercices 2022 et 2023. En revanche, la persistance ultérieure du déficit ne laisse pas de place à d'autres solutions qu'un nouvel accroissement de la dette de l'Acoss. Notre analyse prend en compte l'analyse de l'excédent du FSV et des prélèvements de ressources de la Cades au profit de la branche autonomie. Seul le rallongement de la durée de vie de la Cades permettrait à celle-ci, à ressources inchangées, de reprendre le nouveau déficit prévu à compte de 2024, ce qui supposerait une nouvelle autorisation législative.

La dernière question de Mme Rist portait sur l'assurance maladie et sur la capacité d'agir sur la pertinence et la qualité des actes médicaux et des prescriptions. La Cour a mené de nombreux travaux à ce sujet. Les outils de régulation ne manquent pas, mais ils ne sont pas suffisamment utilisés. Il faut accroître la part relative de la rémunération au forfait, tandis que la rémunération prix/volume a fait ses preuves, par exemple pour les actes de biologie. La prévention reste le parent pauvre des politiques de santé. Par ailleurs, la maîtrise médicalisée est l'assurance que le soin est adapté au besoin, prodigué à bon escient et au juste coût ; une enquête sur la question est en cours.

Agir sur la pertinence et la qualité des actes n'est pas simple, mais nous devons envoyer un message dans ce sens aux professionnels de santé, notamment libéraux, qui négocieront prochainement une nouvelle convention avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) : ils doivent participer au double effort collectif d'amélioration de la qualité et de la maîtrise de la dépense publique.

Monsieur Bazin, les dépenses liées aux arrêts de travail ont augmenté de 50 % en dix ans, quand l'Ondam total croissait de 30 %. La priorité est donc de prévenir l'allongement injustifié des arrêts. Qui plus est, les arrêts de longue durée sont aussi les plus pénalisants pour les salariés car ils réduisent leurs chances de reprendre leur activité professionnelle et les éloignent donc du travail. Il est nécessaire de faire des progrès en matière de prévention de la désinsertion professionnelle. C'est ce qui a poussé la Cour à proposer de rassembler dans une même branche de gestion les prestations en espèces et les AT-MP. Cette recommandation figurait dans un rapport sur les arrêts de travail établi en 2019 par trois experts à la demande du Premier ministre.

En ce qui concerne la médecine du travail, et tout en regrettant que les recommandations précédentes de la Cour n'ont pas été prises en compte par le ministère de la santé et par la Cnam, nous publierons dans les prochains mois un rapport sur la politique publique de prévention des risques professionnels.

Madame Janvier, vous relevez la tendance déficitaire de la branche autonomie. Elle mérite en effet une grande attention. Les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie doivent rester cohérentes avec le déficit démographique et le vieillissement de la population. Cela dit, il y aura lieu de ne pas oublier le ressort de la prévention pour retarder ou atténuer la perte d'autonomie. Si l'espérance de vie s'allonge, la France enregistre de mauvais résultats en matière d'espérance de vie sans incapacité. Un rapport de la Cour sur la prévention de la perte d'autonomie a chiffré à 1,5 milliard d'euros le coût de l'inaction, concluant qu'il était rentable d'investir dans la prévention.

Vous vous interrogez ensuite sur la portée des mesures prévues par le PLFSS en matière d'autonomie. Au-delà des importantes mesures salariales, qui sont de nature à améliorer l'attractivité du secteur, et du financement de nouveaux postes indispensables pour augmenter le taux d'encadrement des personnes accompagnées, une disposition concernant le contrôle des Ehpad, notamment privés lucratifs, a retenu mon attention.

Il s'agit d'un enjeu de premier plan, d'abord pour la sécurité et la qualité de vie de nos concitoyens âgés, mais aussi pour le bon usage des fonds publics. Nous avons expertisé le projet d'article 32 du PLFSS sur le renforcement du pouvoir de contrôle des agences régionales de santé et des conseils départementaux, qui est à l'évidence indispensable.

Il faut néanmoins s'assurer que la rédaction retenue couvre l'ensemble des montages possibles par lesquels les établissements et les services du secteur médico-social sont contrôlés par des personnes tierces. À cet égard, l'expérience montre que le diable se cache dans les détails. Par exemple, est-on certain que les cas où une superposition de structures associatives et privées commerciales dispose du contrôle, direct ou indirect, ont été pris en compte ?

De plus, il nous apparaît indispensable de compléter le code des juridictions financières pour garantir à la Cour et aux chambres régionales des comptes le pouvoir de contrôler la totalité des ressources des établissements gestionnaires et des groupes auxquels ils appartiennent, y compris celles qui relèvent des tarifs d'hébergement et des suppléments pratiqués à l'endroit des usagers. Notre compétence actuelle n'est pas clairement affirmée, alors même que cette section représente une part majoritaire des ressources. La Cour et les chambres régionales ne peuvent pas non plus contrôler directement les flux gérés directement au niveau des groupes, comme la trésorerie, les ressources humaines ou les achats.

Il est donc nécessaire d'élargir nos compétences, à la fois horizontalement, pour y inclure les flux de recettes venant des usagers, et verticalement, pour y inclure les flux entre les établissements et leur maison mère. Nous avons saisi l'administration de propositions pour améliorer et compléter ce texte. Je compte sur les parlementaires, en particulier sur vous, madame Janvier, pour lever certains obstacles juridiques qui pourraient se poser dans la rédaction envisagée. Mes équipes se tiennent à votre disposition.

Vous m'avez interrogé sur les recommandations pour réduire les risques d'accidents et de maladies professionnelles dans le secteur des établissements et services médico-sociaux. Il faut d'abord prendre en compte le risque dans les établissements du secteur public, qui doit mobiliser la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales avec le concours de la Cnam. L'arsenal des mesures de prévention reste mal identifié et insuffisamment mis en œuvre dans les établissements médico-sociaux. Le renforcement des équipes est enfin nécessaire pour augmenter le taux d'encadrement.

En ce qui concerne la disposition du PLFSS permettant aux allocataires de l'allocation personnalisée d'autonomie de bénéficier à domicile d'un temps d'accompagnement spécifique au lien social pouvant atteindre jusqu'à deux heures par semaine, la Cour porte une appréciation positive sur l'opportunité de cette mesure. Le développement du maintien à domicile est souhaité par la population. Cela peut contribuer à soulager le personnel des établissements. Il faudra toutefois veiller à la santé au travail des intervenants au domicile des personnes âgées ou en situation de handicap.

Monsieur Christophe, vous abordez la situation financière de la branche famille, qui paraît solide. À l'horizon de 2026, elle resterait légèrement excédentaire, en dépit de charges nouvelles, puisque le PLFSS lui impute 60 % du coût de l'indemnisation du congé maternité – ce qui va dans le sens de nos préconisations.

Vous pourrez lire plus largement dans le rapport nos recommandations relatives à la structure des ressources des différentes branches de la sécurité sociale. S'agissant de la branche famille, il s'agirait ainsi de supprimer les transferts effectués vers la branche vieillesse ; d'ajuster les cotisations patronales qui lui sont affectées aux dépenses effectives visant à concilier vie familiale et professionnelle, et d'équilibrer les ressources de la branche famille par de la TVA et de la CSG, conformément à la logique d'une branche de prestations à caractère universel.

La réforme du CMG prévue par le PLFSS constitue à mes yeux une évolution importante. La Cour avait recommandé de le modifier pour faire en sorte que le reste à charge soit fonction des revenus et non du mode de garde. La disposition permet d'éviter une forme de ségrégation sociale dans l'accueil des jeunes enfants. Cependant, le PLFSS va plus loin que ce que nous proposions pour les familles monoparentales. Sans doute y a-t-il une logique dans le ciblage de ces familles. Toutefois, l'ensemble des dispositions sont coûteuses : elles représentent plus de 600 millions d'euros en année pleine en 2026. J'ai donc regretté que ces mesures ne soient pas accompagnées d'une réforme de l'aide liée au congé parental, afin de rendre les dispositifs plus cohérents et leur réforme concomitante moins coûteuse.

Monsieur Isaac-Sibille, en ce qui concerne les perspectives financières de la branche vieillesse, la Cour des comptes a pris comme vous connaissance des prévisions annexées au PLFSS 2023 il y a quelques jours. Les documents dont nous disposons ne fournissent que peu d'informations. Il est dommage que les nouvelles dispositions organiques conduisent à ce que l'annexe B présente les évolutions de l'ensemble des régimes de retraite : il n'est plus possible d'identifier celles qui sont propres à chaque régime. Les facteurs explicatifs de la dégradation mériteraient d'être explicités plus clairement.

Vous m'avez interrogé sur les solutions préconisées par la Cour pour rétablir durablement l'équilibre du système de retraite. Notre rapport ne porte pas cette année sur la retraite, mais la Cour s'est exprimée très clairement sur le sujet il y a un an dans les notes qu'elle a publiées sur les enjeux structurels auxquels notre pays doit faire face. Par ailleurs, nous avons rappelé notre position dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques délivré en juin.

Notre vision n'a pas varié : nous pensons que la maîtrise de l'évolution des dépenses de retraite est une nécessité. Il y va de la pérennité du système, de sa soutenabilité et de l'équité entre les générations. Les paramètres pour y parvenir sont nombreux : il peut s'agir de l'âge d'ouverture des droits à la retraite, des conditions d'âge pour une retraite à taux plein, des mécanismes de décote et de surcote, des règles de calcul des pensions, ou encore de l'indexation des pensions versées.

Le choix, en la matière, est à la fois technique et politique. Si notre rôle n'est pas d'intervenir dans le politique, disons les choses clairement : la maîtrise des dépenses de retraite se traduira soit par un âge de départ à la retraite plus tardif soit par une baisse du niveau relatif des pensions. Or, ne pas choisir l'un revient à choisir l'autre, et nous pensons que la baisse du niveau des pensions est la plus mauvaise des deux solutions.

En outre, les mesures doivent prendre en compte des considérations tenant à l'équité entre les générations et au sein de chaque génération. L'analyse précise des impacts est nécessaire pour préserver la situation des personnes vulnérables sur le plan économique et social.

Enfin, quelle que soit la réforme engagée, qu'elle soit paramétrique ou plus profonde, nous avons insisté sur la nécessité d'une expertise renforcée pour en faire partager les enjeux, d'une concertation approfondie pour faire comprendre les objectifs et d'un calendrier de mise en œuvre suffisamment espacé pour en faciliter l'acceptation et permettre les adaptations nécessaires dans les entreprises.

S'agissant de nos recommandations visant à clarifier le financement des droits de retraite non contributifs, l'objectif doit être, selon nous, d'améliorer la lisibilité des comptes pour mieux apprécier le coût pour la collectivité des mécanismes de solidarité.

Enfin, vous m'avez interrogé à propos des droits familiaux de retraite. La surcote n'est pas un dispositif destiné à compenser au moment de la retraite les pertes de salaire liées à l'éducation des enfants : il vise à inciter les gens à prolonger leur activité. Une mère qui part à la retraite à l'âge légal d'ouverture des droits ne bénéficie pas de la surcote, mais elle pourrait bénéficier d'une majoration de pension au titre des moindres salaires et de l'éducation de ses enfants. Nous proposons de ne plus accorder le bénéfice de l'assurance vieillesse des parents au foyer dès lors que l'enfant est âgé de 3 ans.

Madame Vidal, la Cour est attachée comme vous à la transparence des comptes.

Madame Keke, il ne me revient pas de me prononcer sur telle ou telle mesure fiscale. Le débat est ouvert ; c'est au Parlement de le mener. Ce n'est pas parce que l'on se préoccupe des recettes et de la fraude fiscale et sociale – la Cour a d'ailleurs mené de nombreux travaux sur ces enjeux – que l'on peut faire l'impasse sur la maîtrise de la dépense. Considérer que les recettes, les prélèvements et la lutte contre la fraude suffiraient seuls à éviter la dérive des comptes relève d'une forme de pensée magique. La dette est un facteur d'injustice considérable : un pays qui s'endette ne peut pas investir. Tout euro consacré au remboursement de la dette n'est pas dépensé à la protection sociale, à la sécurité ou à la justice. C'est la conviction profonde de la Cour, et chacun, ici, devrait la partager.

Madame Mélin, le rôle de la Cour n'est pas d'estimer si tel ou tel article est solide et recevable. Je ne crois pas, pour ma part, au gouvernement des juges. La solidité est une notion qui dépend de l'appréciation des uns et des autres. La sincérité, quant à elle, n'est pas en cause. Je ne puis que réitérer mes propos liminaires : nous pensons que l'hypothèse concernant les dépenses de maladie est optimiste et n'est pas, à ce stade, suffisamment étayée, ce que le Haut Conseil des finances publiques a également clairement souligné. La perspective d'une réduction des dépenses liées à la crise sanitaire à 1 milliard d'euros et d'une division des dépenses de tests par vingt n'est pas tout à fait crédible.

Monsieur Neuder, monsieur Aviragnet, nous sommes favorables à l'établissement de trajectoires permettant d'étayer le redressement nécessaire. À ce titre, une perspective pluriannuelle paraît souhaitable.

Monsieur Mesnier, je vous remercie de votre rôle passé, qui a permis d'améliorer les choses. La clarification du financement de la sécurité sociale est nécessaire : il y va de l'avenir du système. Nous appelons en effet de nos vœux la réforme du financement de la radiothérapie. Quant à l'extension du pouvoir de contrôle des juridictions financières aux établissements sociaux et médico-sociaux, il s'agit d'une évolution que nous souhaitons et qui serait conforme à l'intérêt général.

Monsieur Vigier, les gérants des sociétés à responsabilité limitée voient leurs dividendes soumis aux cotisations sociales, pas les présidents de sociétés par actions simplifiées. Nous prônons un alignement des règles pour éviter les effets d'aubaine.

Monsieur Dharréville, nous ne nous connaissons pas assez, sinon vous sauriez que j'ai depuis longtemps, sur les questions que vous avez abordées, une pensée constante. Votre bonne surprise est peut-être liée à une percée encore plus décisive de notre rapport de cette année – car la Cour elle aussi est très constante. Vous avez souligné la nécessité de sensibiliser les établissements médico-sociaux aux risques d'accidents du travail pour les taux de cotisation AT-MP. Nous sommes en accord sur ce point, de même que sur le renforcement du taux d'encadrement dans les Ehpad. Quand des dépenses publiques sont utiles et même nécessaires, nous le disons. C'est le cas dans les Ehpad. Les récents scandales ne peuvent demeurer sans suite.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Les députés de notre majorité ont établi le principe de prévention dans les services de médecine du travail en faisant adopter une loi qui protège davantage la santé des travailleurs.

Lorsqu'elles sont bonnes, les conditions de travail déterminent la qualité de vie au travail. Lorsqu'elles ne le sont pas, elles peuvent dégrader la santé des salariés. Ainsi les arrêts liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles sont-ils le reflet d'une sinistralité au travail qui varie beaucoup d'une branche professionnelle à l'autre. Les risques sont connus : fatigue, pénibilité, troubles musculo-squelettiques, ou encore risques psychosociaux. À quelles préconisations votre contrôle sur l'impact financier de ces arrêts de travail vous a-t-il conduits, en particulier s'agissant des établissements et services médico-sociaux ? Notre commission a étudié de près cette catégorie d'établissements dans le cadre d'une mission « flash » sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines dans les Ehpad.

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Pandora Papers, Panama Papers, OpenLux : de multiples scandales d'évasion fiscale surgissent à intervalles réguliers dans l'actualité. Cette évasion fiscale coûte chaque année 17 milliards d'euros à l'État – donc à nos concitoyens –, alors que cette somme pourrait abonder l'assurance maladie et être investie dans nos hôpitaux. L'argent ne manque pas, mais encore faut-il avoir le courage politique d'aller le chercher. La Cour des comptes va-t-elle préconiser des mécanismes de lutte contre le phénomène massif que constitue l'évasion fiscale ?

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Vous avez insisté sur la qualité de la dépense publique. À cet égard, je voudrais vous interroger sur la pertinence des actes. L'Organisation de coopération et de développement économiques a souligné dans un rapport que les dépenses indues ou inutiles représentaient 20 % des dépenses de notre système de santé. Le Président de la République a lui-même évoqué en septembre un pourcentage de 30 %. À partir de la radiologie et la radiothérapie, vous mettez en avant l'importance de valoriser les actes pertinents par rapport aux actes de confort ou lucratifs. Les pouvoirs publics demandent un effort à certains acteurs, parfois ponctuellement. J'appelle de mes vœux une véritable stratégie de fond.

Reprenez-vous à votre compte le pourcentage de 30 % d'actes inutiles ou indus dans notre système de santé ? Quels sont les leviers sur lesquels il faudrait agir pour faire de la pertinence la valeur cardinale de la régulation des dépenses de santé ? Au-delà de la radiologie et de la radiothérapie, quelles sont vos recommandations afin de renforcer la régulation par la pertinence des dépenses de l'assurance maladie ?

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Comme chaque année, la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques tirent la sonnette d'alarme : alerte générale sur la situation des finances de l'État, nécessité apparente de réformer notre système de retraite, leçon annuelle de rigueur et plaidoyer pour l'austérité budgétaire. Il est vrai que vous avez pour principale mission de vous assurer de la bonne utilisation de l'argent public. Dans cette perspective, pourriez-vous préconiser au Gouvernement d'imiter nos voisins espagnols, italiens ou anglais et de mettre en place une taxe exceptionnelle sur les surprofits, qui permettrait notamment de financer la solidarité nationale, c'est-à-dire l'hôpital public, le système éducatif pour nos enfants et les Ehpad pour nos aînés ?

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En 2018, le Gouvernement souhaitait constituer une agence unique de recouvrement fiscal et social. En vue de l'institution d'un système universel de retraites, le rapport Gardette préconisait en 2019 de poursuivre l'unification du recouvrement social selon un calendrier courant de 2020 à 2024.

Sur cette base, l'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2020 a prévu le transfert du recouvrement des cotisations de retraites complémentaires des salariés du secteur privé, actuellement assurés par l'Agirc-Arrco, par les Urssaf. Ce transfert, recommandé par la Cour des comptes depuis plusieurs années, était fixé au 1er janvier 2022. Il a été reporté par décret et est attendu le 1er janvier 2023. Un rapport d'information du Sénat, publié le 21 juin 2022, réalisé par René-Paul Savary et Cathy Apourceau-Poly au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) et de la commission des affaires sociales souligne les divergences de pratiques en matière de fiabilisation des données individuelles de la déclaration sociale nominative. Ses auteurs suggèrent que la Cour des comptes constate les progrès qualitatifs des dispositifs de fiabilisation des Urssaf.

La sécurisation des droits à la retraite complémentaire des 20 millions d'affiliés à ce régime est en question. Cette évaluation est nécessaire, ce qui invite à mon sens un report tout au moins à 2024 de la mise en œuvre du transfert, comme le préconisent les auteurs du rapport. Quel regard portez-vous sur un tel report ? Souhaitez-vous engager la Cour des comptes dans un travail d'évaluation et de comptabilité des dispositifs de fiabilisation des Urssaf ?

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J'ai été très intéressé par votre étude montrant que davantage d'accidents ont lieu dans les Ehpad lorsqu'il y a peu de personnel, et concluant qu'embaucher produit des économies. J'aimerais disposer de la même étude pour les salariés à domicile.

Cette approche permet de passer d'une vision de court terme à une vision de plus long terme. Dans la première, croyant faire des économies en embauchant peu de salariés, on désorganise en fait des secteurs entiers de la société et on tue des vocations, dans le public comme dans le privé. Ces constats sont particulièrement valables à l'hôpital, où les infirmières ne restent pas en poste, dans l'éducation nationale où les enseignants rêvent à d'autres métiers, mais aussi dans le privé – certains caristes, entrés par vocation dans la logistique, sont rapidement dégoûtés de leur profession.

Plusieurs études vont dans ce sens. L'une d'entre elles, menée en Australie et parue dans The Lancet, montre qu'à l'hôpital, un ratio d'une infirmière pour quatre patients au lieu d'une infirmière pour six permet d'éviter 145 décès, 255 réadmissions et 22 222 jours d'hospitalisation. Ainsi, ces embauches ont permis une économie de 36 millions d'euros. Dans l'éducation, le projet Perry Preschool, qui comparait aux États-Unis les effets d'un investissement fort sur des enfants issus de quartiers populaires par rapport à un faible investissement social, montrait les bénéfices apportés par le premier sur les trajectoires éducatives, sociales et professionnelles des élèves.

Ces constats ne devraient-ils pas faire évoluer votre institution, ainsi que le regard porté en général sur le travail, qui apparaît comme un coût à réduire ? Il faudrait sortir des visions de court terme et considérer le travail, en particulier dans les secteurs que j'ai mentionnés, comme un investissement humain qui rapporte.

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Dans le cadre de la Paje et de la Prepare, 2 millions de familles ont bénéficié d'au moins une aide dédiée à l'accueil du jeune enfant en 2021, pour un coût de 10,8 milliards d'euros. La Paje représente un tiers du montant des prestations familiales servies par la branche famille et un tiers de l'effort consenti par l'État, la sécurité sociale et les collectivités locales en faveur de l'accueil du jeune enfant.

La dépense globale au titre de la Paje s'est fortement réduite depuis 2014, sous l'effet de la baisse du nombre de naissances. On recense en effet 80 000 naissances en moins entre 2014 et 2021, soit une baisse de 10 %, en raison des mesures hostiles aux familles prises durant cette période, du resserrement des conditions d'octroi et d'une désaffection croissante à l'égard de la Prepare. Les congés parentaux ont été divisés par deux – les congés paternels, en particulier, ont beaucoup diminué.

La baisse continue du nombre de naissances puis l'échec de la réforme du congé parental nous rappellent que la démographie est l'une des composantes évidentes de la croissance économique. Le résultat de cette baisse de la natalité est la production d'excédents, dont les gouvernements successifs profitent cyniquement pour procéder à des transferts vers les autres branches.

Le rapport de la Cour souligne la nécessité de rééquilibrer les aides à l'accueil des jeunes enfants en faveur des familles modestes et de réformer la Prepare, qui n'a pas atteint les objectifs fixés à sa création, à savoir le libre partage entre père et mère des périodes de congé parental indemnisé. La Cour suggère donc une refonte, à coût constant pour la branche famille, de l'indemnisation de la suspension d'activité pour augmenter le niveau d'indemnisation pendant une durée plus courte.

Outre ces mesures correctives, la Cour ne devrait-elle pas encourager des mesures énergiques en matière de politique familiale, afin de rendre confiance aux ménages et de favoriser à nouveau l'accueil de l'enfant pour relancer la natalité, ce qui aurait un impact positif à long terme sur l'équilibre des comptes sociaux, en particulier de la branche vieillesse ?

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Au-delà de vos nombreuses préconisations concernant l'imagerie et la radiothérapie, vous appelez notre attention sur la question des accidents du travail. Vous insistez en effet sur une sinistralité hors norme dans les établissements médico-sociaux, notamment les Ehpad. Dès 2017, je signalais ce fait dans un rapport écrit avec Caroline Fiat en conclusion d'une mission d'information.

Le rôle de la Cour des comptes est-il de prévoir des dépenses ? Ne pensez-vous pas cependant qu'il serait utile de définir un ratio minimum, que j'avais déjà préconisé dans le rapport de 2017, concernant notamment les infirmières et les aides-soignantes – tout en sachant que, compte tenu des difficultés de recrutement dans le secteur, il serait quasiment impossible de pourvoir rapidement tous les postes ?

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Nous avions connaissance des points d'alerte sur les retraites que souligne votre rapport. J'aimerais connaître votre point de vue sur l'accidentologie au travail, compte tenu du retard accusé par notre pays en matière de prévention. Je souhaiterais également vous entendre sur la reconnaissance des maladies professionnelles psychiques, qui ont un lourd impact sur l'absentéisme au travail. Comment concilier finance et humain ?

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Chaque année, c'est la même chose : la hausse des dépenses est systématiquement sous-estimée, et lorsque le Gouvernement indique que la situation est intenable et que les dépenses de santé dérapent, cela n'étonne plus personne. Les Français subissent le déremboursement des médicaments, les franchises pour chaque consultation et boîte de médicaments, la hausse du forfait hospitalier, la diminution du taux de remboursement et les effets de la T2A. La construction artificielle du déficit permet ainsi de justifier les efforts demandés aux patients et aux médecins.

Traditionnellement, l'opposition proteste contre les modalités du plan d'économies du Gouvernement, sans toutefois remettre en cause sa nécessité. Le Rassemblement National n'est pas une opposition comme les autres. Notre groupe politique ne se résout pas à critiquer le Gouvernement pour avoir laissé filer les dépenses de santé. Au contraire, nous nous engageons à critiquer les sous-financements systématiques des dépenses de santé et nous mettons en cause le bien-fondé des mesures d'économie projetées par le Gouvernement.

Comment expliquez-vous la sous-estimation systématique de la hausse des dépenses ? Quelles pistes suggérez-vous pour sortir de la trajectoire infernale qui se dessine au mépris des patients et des soignants ?

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Vous consacrez une partie importante de votre rapport à l'analyse de l'ensemble des comptes des organismes de sécurité sociale soumis au contrôle de la Cour des comptes et à une évaluation comparative des coûts et des modes de gestion des établissements sanitaires. Je tiens à vous interpeller sur le défaut de paiement des cotisations sociales d'un grand nombre de centres hospitaliers normands. Comment analysez-vous cette situation et quelles sont vos préconisations ?

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Comme Thierry Benoit, je souhaite vous interpeller sur le cumul de vos retraites et de vos indemnités, représentant 14 500 euros de rétributions, 2 700 euros de retraite de député, 600 euros de retraite de député européen et 8 500 euros liés à votre ancien mandat au sein de la Commission européenne, soit un total de 26 300 euros par mois, ce qui équivaut à quatorze fois le salaire médian, lequel s'élève à 1 790 euros mensuels...

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Monsieur Mathieu, je vous interromps : ces remarques ne concernent pas le rapport de la Cour des comptes.

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Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous ne sommes pas viscéralement opposés au contrôle des comptes de la sécurité sociale. À l'inverse, nous sommes souvent porteurs de propositions concrètes dans ce domaine.

Des chercheurs cubains ont présenté en 2011 le médicament Heberprot-P, un traitement unique au monde permettant de traiter l'ulcère au pied diabétique. Ce médicament a été enregistré dans plus de vingt pays et a été utilisé par près de 280 000 patients dans une trentaine de pays. Il a démontré sa grande efficacité et pourrait venir en aide à toutes les personnes souffrant de graves complications liées au diabète, notamment dans les zones très touchées par cette maladie comme l'outre-mer, dont les collectivités ont été empoisonnées par des taux de sucre toujours plus importants sous le regard souvent laxiste de l'État. Or, ce traitement n'est toujours pas utilisé en France, bien qu'il ait été conçu à quelques kilomètres de nos territoires caribéens. Les amputations y sont toujours pratiquées massivement, alors qu'elles coûtent bien plus cher à la sécurité sociale qu'un traitement préventif et curatif. Comment faire en sorte que ce médicament soit autorisé et utilisé, notamment dans les territoires d'outre-mer ?

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Je me concentrerai sur les questions ayant trait au rapport que je vous présentais. Ainsi, les deux dernières, d'un intérêt et d'une vérité d'ailleurs inégaux, de mon point de vue, n'entrent pas dans ce champ.

Monsieur Martin, les arrêts de travail de moins d'une semaine sont certes les plus fréquents, puisqu'ils comptent pour 44 % de l'ensemble, mais ils ne représentent que 4 % de la dépense indemnisée par l'assurance maladie. En revanche, ils sont particulièrement perturbants pour le fonctionnement des entreprises. Au contraire, les arrêts de plus de six mois ne concernent que 7 % des arrêts, mais 44 % de la dépense totale. Par ailleurs, l'indemnisation des arrêts de travail a progressé de 50 % – hors arrêts liés au covid – sur dix ans, contre 30 % pour l'Ondam total.

Ces chiffres montrent que la gestion du risque en matière d'arrêts de travail par l'assurance maladie n'est pas efficace et qu'elle doit s'améliorer. C'est la raison pour laquelle nous proposons de réorganiser cette gestion autour d'une branche spécialisée dans le domaine des prestations en espèces. De plus, même s'ils ont peu d'impact pour l'assurance maladie, les arrêts courts doivent être davantage contrôlés par le service médical d'assurance maladie. En ce qui concerne plus spécialement les établissements médico-sociaux et les Ehpad, je vous renvoie à mes explications précédentes.

Monsieur Valletoux, les travaux de la Cour examinent de manière systématique la question de la pertinence des soins. Je n'ai pas de données précises sur les éléments que vous avez évoqués.

Madame Erodi, la Cour est très sensible à la question de l'évasion fiscale. Cependant, lutter contre la fraude et l'évasion ne peut nous exonérer de notre responsabilité d'agir pour une dépense publique de plus grande qualité. Ces deux enjeux ne s'excluent pas mutuellement.

Madame Amrani, je pense comme vous qu'il faut investir là où c'est utile. Il faut par conséquent éviter la spirale de l'endettement, afin de conserver notre capacité à investir. Je ne pense pas que notre dette ne soit pas soutenable ou pas finançable. Cependant, l'augmentation de sa charge est la dépense la plus insensée qui soit.

Madame Dubré-Chirat, la Cour a préconisé en 2016 le transfert que vous évoquez. Il faut notamment que l'assiette déclarée par les employeurs au titre des cotisations Agirc-Arrco soit contrôlée, ce qui n'est pas le cas. La LFSS 2020 a prévu ce transfert pour 2022. Il a été reporté à 2023. Le ministre délégué chargé des comptes publics a depuis peu confirmé ce transfert, qui s'effectuera de manière progressive en plusieurs vagues d'entreprises. Au terme de ce transfert, l'exactitude du calcul des points de retraite complémentaire sera garantie par des contrôles automatisés des données déclarées par les employeurs. L'Agirc-Arrco et les Urssaf devront s'organiser à cet effet, pour vérifier à la fois l'assiette et le calcul des cotisations.

Monsieur Ruffin, je vous remercie de prendre acte de l'évolution de la Cour. Il arrive en effet que des dépenses supplémentaires soient justifiées. Nous pensons comme vous qu'un taux d'encadrement plus élevé permettrait de réduire les risques et de réaliser des économies. Je vous invite à consulter le rapport remis à la commission des affaires sociales du Sénat, qui appelait à des investissements et des dépenses supplémentaires pour les Ehpad. Cependant, vous ne pouvez à la fois vous féliciter d'une évolution et l'appeler de vos vœux.

La Cour inscrit ses travaux dans le long terme. Loin de prôner l'austérité envers et contre tout, elle s'assure que nos finances publiques soient saines et que la dépense publique soit maîtrisée. Tous nos travaux insistent sur la nécessité d'investir davantage, dans les domaines de la transition écologique et numérique, de l'innovation, de la recherche ou encore de la justice sociale. Or, pour réaliser ces investissements, il est nécessaire de se désendetter. Cela suppose d'œuvrer à la qualité de la dépense. Les dépenses qui ne sont pas utiles doivent être limitées ; chaque personne intervenant dans le débat public devrait en être consciente.

Madame Lavalette, le rôle de la Cour n'est pas de préconiser une évolution de la politique familiale. En revanche, la Cour examine la manière dont sont conduites les politiques de prestations d'accueil du jeune enfant. Nous recommandons à coûts constants de refondre le dispositif en augmentant le niveau d'indemnisation et en réduisant sa durée.

Madame Iborra, je prends acte de votre proposition. Nous préconisons en effet de dégager des marges de manœuvre pour recruter des infirmières et des aides-soignantes dans les Ehpad.

Monsieur Califer, votre question est très vaste, quasiment d'ordre philosophique. Un dispositif permet de reconnaître comme maladies professionnelles les maladies psychiques. La priorité reste la prévention.

Monsieur Catteau, la Cour estime optimistes les prévisions sous-jacentes au PLFSS. Cela ne signifie pas que les dépenses sont sous-évaluées. Il ne faut pas confondre volontarisme et volonté de surestimer ou de sous-estimer. C'est la raison pour laquelle je me méfie toujours des appréciations sur la sincérité, qui sous-entendent une volonté de nuire ou de déformer. Par ailleurs, il ne me revient pas de commenter votre position. En revanche, je ne considère pas que toute dépense soit vertueuse. La maîtrise de la dépense doit être un capital partagé. Toutes les formations politiques présentes prétendent exercer des responsabilités gouvernementales. Or, pour mener de bonnes politiques publiques, il est nécessaire de s'appuyer sur des finances saines.

Le RALFSS de 2023 contiendra un chapitre sur la situation financière des hôpitaux. Nos équipes se tiendront à votre disposition pour vous présenter un rapport au mois de juin, complémentaire à celui-ci et, je le crois, de la même qualité.

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Monsieur le premier président, merci pour la qualité de votre rapport et des réponses que vous avez apportées. Je remercie vos équipes pour leur travail, qui nourrit notre réflexion en amont du PLFSS.

La réunion s'achève à douze heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Présents. – Mme Farida Amrani, Mme Bénédicte Auzanot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, Mme Claire Guichard, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Philippe Juvin, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Mesnier, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, Mme Prisca Thevenot, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet

Excusés. – M. José Beaurain, Mme Caroline Fiat, M. Jérôme Guedj, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Sandrine Rousseau, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. – M. Éric Alauzet, M. Pierre Cordier, M. Frédéric Mathieu