Intervention de Sabine Thillaye

Réunion du mercredi 5 octobre 2022 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Thillaye :

Cet instrument d'acquisitions conjointes vise à renforcer les capacités de défense à court terme dans un contexte marqué par le retour de la guerre de haute intensité en Europe. Les déficits d'investissements dans le domaine de la défense sont documentés, notamment dans une communication présentée en mai 2022 par la Commission européenne et le haut représentant Josep Borrell.

Je citerai trois déficits majeurs, en commençant par le déficit financier. Les dépenses de défense des États membres ont augmenté de moins de 20 % en 20 ans contre près de 65 % aux États-Unis et 590 % en Chine. Or, ces dépenses sont indispensables pour équiper nos forces de manière souveraine.

Un déficit industriel, ensuite, causé par la fragmentation du marché de la défense du côté de la demande. Les dépenses de défense conjointes sont très minoritaires : elles ne représentent que 20 % des dépenses totales, alors que l'Agence européenne de défense (AED) préconisait un objectif de 35 % dès 2007.

Un déficit capacitaire, enfin, car nos stocks d'équipements, notamment de munitions, sont insuffisants et grevés par le soutien crucial apporté par l'Europe à l'Ukraine. Dix-huit canons CAESAr ont ainsi été livrés à l'Ukraine par la France depuis le début du conflit, soit près du quart de la dotation de l'armée de terre.

Les États membres partagent aujourd'hui la même volonté politique, celle d'augmenter leurs dépenses de défense pour reconstituer leurs stocks et renforcer leur aide à l'Ukraine. La déclaration de Versailles, adoptée en mars 2022 à l'initiative de la présidence française du Conseil de l'Union, a fixé des orientations ambitieuses. On peut saluer à ce titre le tournant historique opéré par l'Allemagne en matière de politique de défense. Le discours de Prague du chancelier Olaf Scholz, prononcé en août, et la création d'un fonds spécial de 100 milliards d'euros pour la Bundeswehr en témoignent. Nous devons cependant éviter que l'effort européen de défense soit non-coordonné, voire non-coopératif. L'interopérabilité ne progressera pas si les États membres augmentent leurs investissements selon des lignes strictement nationales. Les capacités de production de la base industrielle et technologique de défense, adaptées à un temps de paix, sont inférieures à la demande anticipée. Cette situation pourrait augmenter les coûts d'acquisition et les délais de livraison des équipements, au détriment des États membres dont la taille de commande est réduite.

L'instrument proposé par la Commission européenne est une première réponse à la fragmentation de l'industrie européenne de la défense. L'existence de nombreux systèmes d'armements différents au sein de l'Union est contreproductive. Cette question, qui relève du régalien et de nos capacités industrielles, nécessite une réflexion plus poussée.

À ce stade, la réponse de la Commission européenne complète la création du Fonds européen de la défense, doté de près de huit milliards d'euros pour soutenir la recherche et développement entre 2021 et 2027. La base juridique du Fonds européen de la défense est identique à celle de l'instrument d'acquisitions conjointes. Il s'agit de l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatif à la compétitivité de l'industrie.

Lors de la précédente législature, les travaux de notre commission ont souligné à plusieurs reprises que la défense ne pouvait pas être réduite à une simple politique industrielle sectorielle. À cet égard, nous estimons que l'instrument d'acquisitions conjointes concourt à d'autres objectifs clefs pour l'Union européenne et pour la France : l'ambition opérationnelle et l'autonomie stratégique.

L'instrument est doté de 500 millions d'euros du budget de l'Union européenne jusqu'au 31 décembre 2024. Ce financement repose sur les dispositifs de flexibilité budgétaire du cadre financier pluriannuel actuel, tels que la cinquième rubrique intitulée « Sécurité et défense ».

Nous partageons l'inquiétude de certains États membres qui considèrent que l'instrument est sous-dimensionné : une contribution européenne de 500 millions d'euros est insuffisante au regard des dépenses de défense des États membre, qui atteignaient 220 milliards d'euros en 2021. Je relève toutefois que l'instrument d'acquisitions conjointes est présenté comme un projet pilote afin de reconstituer nos capacités de défense dans l'urgence. Il a vocation d'être remplacé par un instrument de long terme, sur lequel nous reviendrons.

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