Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 5 octobre 2022 à 13h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 5 octobre 2022

Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission

La séance est ouverte à 13 heures 37.

I. Audition de M. Stefano SANNINO, Secrétaire général du Service européen d'action extérieure (SEAE) sur l'action de l'Union européenne face à la guerre en Ukraine

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Je voudrais avant tout vous remercier Monsieur Sannino d'avoir bien voulu prendre de votre temps, que nous devinons précieux, pour échanger avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.

Si nous avons souhaité nous entretenir avec vous c'est parce que vous êtes au cœur de l'action de l'Union européenne face à la guerre en Ukraine. Vous êtes, en effet, le responsable du service européen d'action extérieure, c'est-à-dire du service diplomatique de l'Union européenne. À ce titre, vous êtes le premier collaborateur de Josep Borrell, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

À ce titre également, vous avez été l'artisan de la réaction forte et solidaire des vingt-sept face à l'attaque de la Russie contre l'Ukraine. L'Union a agi pour faire peser sur la Russie le coût de cette guerre en adoptant, à l'unanimité des vingt-sept, sept paquets de sanctions. Elle a aussi engagé de multiples mesures pour soutenir l'Ukraine et manifester sa solidarité vis-à-vis de son peuple : une aide macro-financière massive, l'accueil de près de 8 millions de réfugiés ukrainiens avec l'activation pour la première fois de la protection temporaire, des livraisons d'armes létales – ce que l'Union n'avait jamais fait jusqu'ici –, un soutien résolu aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes de guerre…

Nous serions très intéressés par les précisions que vous pourrez nous apporter sur les nouvelles mesures que pourrait prendre l'Union. Quel pourrait être le contenu d'un huitième train de sanctions ? Dans un billet intitulé « Que pouvons-nous faire de plus pour l'Ukraine ? », le Haut représentant évoquait une limitation des visas délivrés aux citoyens russes et le déploiement d'une mission de formation des forces armées ukrainiennes. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces deux sujets ?

Nous serions également curieux de connaître votre analyse personnelle de la situation. Alors que la contre-offensive ukrainienne semble progresser chaque jour davantage, Vladimir Poutine choisit la fuite en avant. Les référendums d'annexion ne sont qu'un moyen trouvé par l'autocrate russe pour faire de son agression contre l'Ukraine une guerre défensive puisque les régions frontalières sont désormais des territoires russes. Ce narratif ne trompe personne mais il permet à M. Poutine d'agiter avec encore plus de force la menace d'un recours à l'arme nucléaire. Comment voyez-vous cette situation évoluer ?

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Stefano Sannino, Secrétaire général du Service européen d'action extérieure SEAE

Un accord a été bouclé sur un nouveau paquet de sanctions, qui devrait être publié avant le commencement du Conseil européen à Prague. Le travail relatif aux sanctions mené par les différentes institutions de l'Union continue d'avoir un impact significatif sur l'économie russe. Ces sanctions visent non seulement à réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, mais aussi à diminuer les capacités industrielles et revenus énergétiques de ce pays.

Pour donner quelques données chiffrées, le PIB russe de l'année 2022 est en diminution de 11 % et continuera de chuter en 2023. De fait, à la fin de l'année 2022, l'Union européenne aura exclu les importations du pétrole russe à hauteur de 90 %, tout en sachant que l'industrie pétrolière est déjà en grande difficultés parce que les opérateurs étrangers ne lui allouent plus les technologies qui sont nécessaires à son bon fonctionnement.

Les sanctions sur les semi-conducteurs, sur l'acier et sur les produits intermédiaires ont aussi eu un impact très significatif. De même, de nombreuses compagnies occidentales et de nombreuses personnes hautement qualifiées ont quitté la Russie et son marché.

L'Union européenne et ses Etats membres ont aussi très rapidement condamné les référendums qui ont eu lieu en Ukraine, en soulignant qu'ils n'accepteront jamais les résultats de ces référendums.

Le paquet de sanctions adopté ce matin couvre un nombre de secteurs significatif. L'un de ses éléments principaux est l'adoption d'un plafond sur les prix du pétrole exporté vers les pays tiers. Une autre mesure concerne l'interdiction pour les ressortissants européens de siéger au sein des organes directeurs des entreprises d'État russes. Le paquet comporte également une extension de « l'export-ban » sur de nouveaux produits, notamment dans le secteur de la défense et de la sécurité, tandis que « l'import-ban » a été élargi à de nouveaux produits, notamment tous ceux issus de la production d'acier russe. Pour la première fois, le paquet de sanctions prévoit une norme qui permet de cibler les personnes et entités concernées par ces sanctions se trouvant dans un État tiers pour éviter ces sanctions. Cette dernière mesure permet de porter le total de personnes et entités visées par ces sanctions à 1 400.

L'Union européenne cherche à poursuivre trois objectifs dans son action : soutenir l'Ukraine au niveau politique, économique et financier, poursuivre les sanctions envers la Russie et, enfin, isoler la Russie sur la scène internationale. À ce jour, le montant total des aides apportées par l'Union européenne vers l'Ukraine s'élève à 19 milliards d'euros, sans compter les aides dans le secteur militaire versées bilatéralement par les Etats membres, ni le soutien aux réfugiés ukrainiens arrivés en Europe. Pour ce qui est de l'assistance militaire, nous avons utilisé, pour la première fois, la Facilité européenne pour la paix afin de rembourser les États membres qui avaient soutenu militairement l'Ukraine. La dimension politique de cette action est intéressante puisque l'Union européenne a pris en charge collectivement l'assistance militaire vers l'Ukraine, dans une phase difficile, au début de la crise, lorsque l'OTAN s'était retiré de l'Ukraine. Nous travaillons actuellement sur une sixième « tranche » de la Facilité européenne pour la paix, qui amènerait l'effort financier général à hauteur de trois milliards d'euros. L'enjeu est significatif car l'aide vers l'Ukraine représente la moitié des provisions financières de la facilité pour la paix pour les 7 années du cycle budgétaire. Ainsi, il convient de mener une réflexion au sein des États membres sur le bien-fondé d'octroyer des fonds supplémentaires à cette facilité si l'on veut continuer de couvrir les autres opérations de paix que nous menons en Afrique et dans le reste du monde et d'envoyer un message clair à ces États.

Nous sommes également en train de travailler sur une mission de formation militaire : elle comporterait un pilier de formation générale pour l'armée qui concernerait 15 000 personnes et un autre pilier plus spécialisé. On espère pouvoir atteindre un accord sur cette question pour le prochain Conseil des affaires étrangères.

La lutte contre l'impunité est également un élément central de notre stratégie car il ne peut y avoir de paix durable sans justice mais aussi car il faut déterminer la responsabilité de la Russie et de son gouvernement. L'Ukraine souhaiterait avoir un tribunal spécial, ce qui est compliqué d'un point de vue juridique. Nous nous orientons ainsi davantage vers un tribunal mixte avec un tribunal ukrainien intégrant une composante internationale significative. Ce dispositif serait en marge du travail d'instruction réalisé actuellement au sein de la Cour pénale internationale, qui ne s'occupe pas des responsabilités politiques, contrairement au tribunal mixte envisagé.

La reconstruction est également scindée en deux piliers, puisqu'il convient de distinguer la reconstruction immédiate, avec un certain nombre d'édifices à reconstruire, de la reconstruction du pays une fois qu'une situation de paix et de stabilité sera atteinte. Une conférence est d'ailleurs prévue à Berlin le 25 octobre 2022, pour déterminer la structure de gouvernance de la reconstruction, dans laquelle l'Union européenne veut jouer un rôle et à laquelle il faudrait associer les autres pays du G7, les institutions financières internationales et le secteur privé.

Un aspect qu'il convient de souligner est l'impact de cette guerre sur les pays tiers, car l'isolement international de la Russie passe par une politique plus active vis-à-vis de ces derniers. Le narratif du conflit utilisé par le gouvernement russe reprend l'idée qu'il s'agit d'une guerre de « l'Ouest contre la Russie » ou encore des « opprimés contre l'Occident ». Nous avons réussi à ce que deux résolutions de l'Organisation des Nations Unies s'opposent à cette narration. Nous souhaitions en faire adopter une troisième par le Conseil de sécurité mais la Russie a opposé son droit de véto : l'objectif est désormais de faire voter cette résolution lors de l'assemblée générale de l'ONU le 10 octobre prochain. Il est nécessaire de maintenir une coalition forte des pays qui expriment leur opposition à l'attitude russe. En ce sens, le débat au sein du Conseil de sécurité lors de l'Assemblée générale a démontré une grande unité contre la menace russe d'utiliser l'arme nucléaire, puisque de nombreux Etats ont affirmé leur opposition, y compris la Chine et l'Inde. De surcroît, de nombreux États du Sud sont soucieux des conséquences de cette guerre, sur la sécurité alimentaire notamment : il convient donc de se demander quelles mesures adopter pour réduire cet impact.

Enfin, nous avons octroyé le statut de candidat à l'Ukraine. Le processus d'adhésion est entamé et doit s'étendre sur plusieurs années, afin de s'assurer que ce pays engage un processus de réformes, notamment concernant l'État de droit et la diminution de la corruption. Le statut de candidat a créé une dynamique positive pour mener ces réformes à bien, comme l'illustre la nomination d'un nouveau chef du bureau du procureur spécial chargé de la lutte contre la corruption ou de nouveaux membres du conseil judiciaire.

Dans ce contexte, aura lieu demain à Prague la première réunion de la Communauté politique européenne. Les chefs d'État et de gouvernement des pays membres et non membres y débattront de problèmes communs, notamment concernant la sécurité, la paix du continent ou l'énergie.

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Nous allons désormais accueillir les questions des orateurs de groupes.

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Je souhaite aborder le sujet de l'extension de l'influence russe sur le continent africain, sujet auquel la présidence française du Conseil de l'Union avait accordé un grand intérêt, à travers le renouvellement du partenariat Union-Afrique début février. Je citerai également l'initiative « Global Gateway », qui consiste en un plan d'investissements de l'Union européenne en Afrique d'un montant d'environ 150 milliards d'euros sur la période 2021 à 2027, ou l'initiative « FARM » du 5 avril 2022, en lien avec l'Union africaine, qui permet de lutter contre l'insécurité alimentaire engendrée par la guerre. Cependant, les évènements récents au Mali, au Burkina Faso et au Soudan avant cela, montrent que la Russie avance ses pions qu'il s'agisse de l'État russe lui-même ou des entreprises et des milices privées telles que Wagner. Dans ce contexte, quelles pourraient alors être les actions concertées à mettre en place ensemble au sein de l'Union, et comment décliner plus précisément l'initiative Global Gateway ?

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Je rappellerai que le groupe Rassemblement national est bien évidemment favorable aux sanctions réfléchies et responsables à l'égard de la Russie, et notamment celles qui visent à entraver l'effort de guerre russe. Cependant, les sanctions qui pénalisent nos citoyens de manière disproportionnée doivent être remises en question, telles que l'embargo sur le pétrole russe avec l'interdiction aux entreprises européennes d'en transporter (sixième train de sanctions prises par le Conseil européen le 3 juin 2022) ou les fermetures des ports et des routes de l'Union aux transporteurs russes (cinquième train de sanctions pris par le Conseil européen le 8 avril 2022). Les sanctions énergétiques fragilisent nos entreprises, alors que de son côté, la Russie exporte aujourd'hui presque autant de barils qu'avant la guerre. Le prix du baril et les recettes russes ont augmenté de 40 %. De plus, la décision du Conseil européen de réduire progressivement les importations de gaz en provenance de la Russie est finalement contre-productive, puisque nous continuons à acheter du gaz russe en passant par la Chine. En effet, quelques jours avant l'attaque russe en Ukraine, Pékin signait avec Moscou un accord, le 6 septembre 2022, prévoyant la livraison à la Chine de 10 milliards de mètres-cubes de gaz par an, payables en roubles et en yuan. S'affranchissant de l'euro et du dollar, la Russie dessine un nouvel équilibre géopolitique duquel l'Europe est définitivement exclue. Ainsi, ma première question est très simple : quelles nouvelles sanctions et restrictions pourraient remplacer celles qui, en plus d'être inefficaces, pénalisent les peuples européens ?

Concernant l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, de multiples chantiers sont nécessaires afin que l'Ukraine remplisse les critères de Copenhague et puisse régler ses problèmes de corruption. Le pays a été classé en 2021 par Transparency International au 3e rang européen en matière de perception de la corruption. Dans ce contexte, quelles mesures ont été prises afin de suivre les fonds qui ont été octroyés à l'Ukraine par l'Europe ? Enfin, quelles mesures concrètes ont été entreprises afin d'établir des liens diplomatiques avec la Russie, afin de parvenir un jour à une paix durable ?

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A la suite de la déclaration du président russe, la guerre a pris un nouveau tournant, la menace nucléaire pesant désormais sur notre continent. Les sanctions financières prises rapidement par l'Union ont prouvé leurs effets, en témoignent les difficultés de l'industrie russe aujourd'hui. Toutefois, au regard de la prolongation du conflit, la question qui se pose à présent est celle de la politique européenne de sécurité et de défense commune. Au niveau de la coopération structurée permanente, laquelle permet aux États de développer leur coopération dans le domaine de la défense, quel est le rôle aujourd'hui des groupements tactiques de l'Union ? Par exemple, les unités peuvent-elles être déployées dans un délai de 10 jours comme cela est prévu par les textes (articles 42 et 46 du traité sur l'Union européenne et décision du Conseil de l'Union établissant une coopération structurée permanente du 8 décembre 2017) ? Plus globalement, quel peut être le rôle de la politique européenne de sécurité et de défense en Ukraine ? Est-il possible d'envisager la mise en place d'une mission civile pour stabiliser un pays post-conflit, comme cela a été le cas en Géorgie par exemple ?

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L'Union est fortement mobilisée pour soutenir l'Ukraine dans cette crise, à travers des sanctions économiques, l'envoi de matériel militaire et l'accueil de réfugiés. Cependant, les moyens à fournir pour la reconstruction du pays ne cessent d'augmenter. Face aux États qui n'ont pas condamné l'action de la Russie dans cette guerre et récupèrent des marchés permettant à l'économie russe de réorienter ses exportations d'hydrocarbures, les sanctions économiques de l'Union semblent devoir être complétées. Par ailleurs, le Conseil de l'Union a approuvé en mars 2022 le projet de boussole stratégique pour renforcer la politique de défense et de sécurité de l'Union. Dans ce contexte, quel est l'état des échanges qu'entretient l'Union actuellement avec des pays tels que la Chine, l'Inde, et d'autres pays en Afrique, pour permettre une condamnation plus large de la Russie et une plus grande efficacité des sanctions ? Quelles relations diplomatiques l'Union entretient-elle dans le cadre de sa réflexion sur notre autonomie stratégique avec l'organisation de coopération de Shanghai, organisation intergouvernementale créée le 15 juin 2001, dont les pays représentent plus de 3 milliards d'habitants, 30 % du PIB mondial, et près de la moitié des ressources énergétiques planétaires ? Comment la diplomatie européenne peut-elle contribuer à intégrer durablement nos partenaires internationaux dans nos politiques de développement et de défense ? Comment faire, enfin, pour qu'un réseau de satellites européens soit mis en place afin de protéger les citoyens européens et le ciel ukrainien ?

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La représentation nationale a marqué son attachement indéfectible au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Depuis 1841, Mayotte est française et a renouvelé à plusieurs reprises par le vote son choix de le rester. Il n'est pas acceptable qu'un élu de la Nation remette en cause l'appartenance française de Mayotte, qui subit depuis plusieurs décennies les revendications territoriales des Comores, maintes fois mises en avant par les propagandes russes et chinoises, notamment à l'occasion de la crise ukrainienne. Nous Mahorais, Européens de l'Océan indien, nous nous identifions au peuple ukrainien, peuple martyrisé qui fait face à l'agression d'un voisin dominateur, proche culturellement et familialement mais hostile, dont les ambitions ont longtemps été sous-estimées par la diplomatie internationale. Ma question est la suivante : pouvez-vous nous détailler les efforts supplémentaires déployés par l'Union pour défendre l'Ukraine ?

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Ma question sera simple et concerne la Communauté politique européenne, dont il est question eu égard à la candidature de l'Ukraine à l'adhésion à l'Union, mais également au vu du souhait d'autres pays de rejoindre l'Union. Quelle serait l'articulation entre une telle communauté et les demandes et processus d'adhésion divers des pays des Balkans ?

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J'aurais souhaité avoir le point de vue du SEAE sur les relations que l'Union entretient avec la Turquie, qui a le statut de candidat depuis une vingtaine d'années, même si cette candidature ne prospérera pas de sitôt. Il n'en demeure pas moins que la Turquie s'est positionnée au cœur du sujet ukrainien, et je pense qu'il serait intéressant d'entendre votre analyse sur la stratégie turque, et de savoir dans quelle mesure cette dernière pourrait nous être utile, ou non. De façon plus large, il serait souhaitable de savoir comment le SEAE voit, dans les prochaines années, nos relations avec la Turquie, et si un agenda positif entre l'Union et la Turquie est possible dans un futur proche.

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Nous devons aider l'Ukraine. Pour autant, nous avons émis des réserves concernant les sanctions imposées par l'Union européenne à la Russie, notamment celles qui ont trait à l'énergie, à l'instar de l'embargo sur le pétrole. Nous achetons toujours du gaz naturel liquéfié russe de manière massive. Néanmoins, le prix a décuplé eu égard aux déclarations du gouvernement français et de l'Union européenne, ce qui a pour corollaire d'augmenter la facture énergétique des citoyens français. En conséquence, pensez-vous que les sanctions soient réellement efficaces ?

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Vous avez évoqué la Communauté politique européenne, qui demeure pour l'instant un objet politique non identifié. Ainsi, comment l'Union européenne dans son ensemble va se positionner par rapport à cet espace qui reste à définir, et de quelle manière cette communauté politique européenne va-t-elle s'articuler avec notre politique de voisinage ?

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Ces dernières années, la stratégie russe dans son combat contre l'Occident a pris une nouvelle dimension. En effet, une lutte d'influence se déroule sur le continent africain au sein des médias locaux et des réseaux sociaux. Par ailleurs, des fausses informations et des campagnes de propagande anti-française mettant en cause le rôle de la France au Sahel ont été relayées. Enfin, la semaine dernière, des drapeaux russes ont été aperçus au Burkina Faso lors du putsch. L'ambassade de France à Ouagadougou a de surcroît été attaquée. Cette lutte d'influence numérique s'étant accentuée ces derniers mois, je voudrais, par conséquent, savoir si une réponse coordonnée et concrète est envisagée par les États membres pour faire cesser cette guerre d'influence d'un nouveau genre sur le continent africain.

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Demain, à Prague, se tiendra un sommet sur la Communauté politique européenne, convoqué par la présidence tchèque du Conseil et placé sous la conduite du président du Conseil européen, Charles Michel. Le défi relevé par la Communauté politique européenne est celui de l'organisation future de l'Europe, à la lumière de la guerre en Ukraine et de l'intégration éventuelle des pays des Balkans. Pensez-vous que la Communauté politique européenne pourrait être une passerelle vers une Union élargie, capable de conjuguer dialogue politique et mise en œuvre d'une politique d'intégration des pays des Balkans en cohérence avec nos valeurs démocratiques ? Par ailleurs, quel rôle pourrait jouer le SEAE dans la mise en œuvre de la Communauté politique européenne lors des mois à venir ?

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Le service que vous dirigez envisage-t-il une autre relation avec la représentation du Belarus eu égard au changement de statut de l'opposition dès le lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine ?

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Stefano Sannino, Secrétaire général du Service européen d'action extérieure SEAE

Tout d'abord, concernant l'effectivité des sanctions à l'égard de la Russie, nous pouvons dire que celles-ci fonctionnent. En effet, l'économie russe continue d'opérer grâce, essentiellement, aux revenus du pétrole et du gaz. Le pays s'affaire à créer une incertitude sur les marchés pour multiplier par dix les prix du pétrole. À cet égard, nous pouvons dire que ce ne sont pas les sanctions mais bien Vladimir Poutine qui est à l'initiative de cette flambée des prix, ce qui est par ailleurs en adéquation avec ses intérêts. En conséquence, les prix auraient continué à augmenter indépendamment des sanctions. Pour faire face à cette stratégie, un nouveau modèle énergétique est indispensable.

Vladimir Poutine est non seulement en guerre avec l'Ukraine mais aussi avec l'Occident. Ainsi, en dépit du prix de la guerre que nous payons aussi, nous devons continuer dans cette perspective.

À Prague, ce vendredi, nous allons prendre des mesures, avec les chefs d'État et de gouvernement, pour résorber cette augmentation des prix de l'énergie. Nous devons de surcroît continuer à infliger des sanctions, ce qui permet d'affaiblir la Russie de manière significative compte tenu de sa structure économique et industrielle. Par ailleurs, nous avons intérêt à réduire notre indépendance vis-à-vis d'un acteur qui a démontré son irresponsabilité.

En outre, nous devons avoir une réflexion sur la redéfinition des équilibres mondiaux. Ce qui se passe en Afrique m'inquiète particulièrement. En effet, nous étions en train de bâtir une relation très solide avec l'Afrique, certes non sans difficultés. Ces dernières apparaissent toutefois aujourd'hui au grand jour et tendent à altérer cette relation avec les Africains. Nous devons avoir une politique qui nous rapproche certes des Africains mais nous ne devons pas oublier de leur offrir des solutions pour mettre en lumière la prépondérance de ce partenariat. En effet, ils ont revendiqué leur droit de choisir dans cette guerre, et de ne plus forcément suivre les Européens. Notre aide envers l'Afrique doit de surcroît permettre de créer de la croissance stable et durable, et non pas des dépendances à l'instar des chinois qui financent certes des projets africains, mais ne se soucient guère de l'effectivité de leurs investissements.

D'un point de vue sécuritaire, nous devons soutenir les Africains pour qu'ils ne tombent pas dans le giron russe, que ce soit au Mali, en Centrafrique ou encore, plus récemment, au Burkina Faso. Ainsi, nous devons continuer à nous engager dans cette région.

La Russie s'est fortement rapprochée de la Chine. À terme, la première n'aura pas d'autre choix que de devenir un pays satellite de la seconde. En effet, la Russie peut devenir à la Chine ce que le Belarus est à la Russie.

L'attitude de la Chine lors du sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai est à souligner. Elle a été plutôt ferme avec la Russie, notamment en ce qui concerne la question nucléaire. La Chine demeure un partenaire incontournable et nous devons continuer à travailler avec elle, en dépit de certaines divergences.

Le troisième pôle de questions porte sur la sécurité. Nous sommes au début de notre travail en ce qui concerne la dimension militaire et la sécurité de l'Union. Nous avons fait un pas en avant très significatif avec la boussole stratégique. Celle-ci représente une vision du futur de la dimension militaire de l'Union. Nous avons vu dans les débats qui ont conduit à l'adoption de cette boussole stratégique que nous devons nous donner les moyens de créer une base industrielle commune pour le secteur de la défense. Je ne vois toutefois pas l'Union aller en Ukraine en ce moment, ce n'est pas notre rôle. Nous avons également fait un pas très significatif avec l'utilisation de la Facilité européenne pour la Paix (FEP). J'espère que, grâce à cela, nous pourrons désormais faire davantage sur d'autres théâtres, notamment en Afrique, où nous avons été jusqu'à présent très réticents pour financer des achats d'armement. C'est une situation complexe qui n'est pas linéaire.

Le quatrième pôle de questions est plus vaste et concerne, entre autres, la Communauté politique européenne (CPE) et l'élargissement vers la Turquie et les Balkans. La CPE est un nouveau cadre européen de référence. Je vais être très honnête : le futur de la CPE dépend de nous tous. Je suis d'accord pour ne pas avoir une approche qui soit purement communautaire, qui donneraient aux institutions européennes un rôle central dans ce processus. Mais je trouve également qu'il serait très difficile de faire avancer la CPE sans les institutions européennes, sans leur capacité de projection et d'organisation. La question se posera rapidement de savoir comment gérer ces mécanismes. Si nous gérons la CPE comme nous gérons le G7, il y aura des complications : sans les structures permanentes qui ont à charge la gestion de cette communauté, son essence peut se perdre dans le futur. J'espère donc que les institutions ainsi que le SEAE auront un rôle car elles détermineront le futur de cette communauté qui est très importante et utile.

Concernant l'élargissement, nous étions jusqu'à présent dans une logique binaire : soit un pays est membre de l'Union, soit il ne l'est pas. La CPE est un projet plus spécifique que l'espace économique européen. Nous parlons avec des pays très connectés au marché intérieur européen et nous devons arriver à importer nos règles et nos décisions. Cela n'est toutefois pas possible avec la Turquie ou avec le Royaume-Uni qui n'ont pas accepté d'intégrer notre législation. Il serait donc utile d'avoir un forum qui soit plus large, qui permettrait également de soutenir plusieurs pays qui ne se sentent pas prêts à intégrer l'Union mais qui ont intérêt à avoir une relation plus forte avec nous.

Je continue à penser que les Balkans sont une partie intégrante de l'Union. Je dois aussi dire que ces pays ont la responsabilité de faire les efforts nécessaires pour intégrer l'Union. L'Albanie et la Macédoine du Nord ont fait un très grand effort dans ce sens et je crois que la décision que nous avons prise est la bonne (le 19 juillet 2022, l'Union a donné son accord pour l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie). Toutefois, je ne vois actuellement pas cette volonté de faire autant d'efforts de restructuration dans d'autres pays des Balkans. Ces derniers doivent décider quelle direction prendre : on ne peut pas jouer en même temps avec l'Union, avec la Russie, avec la Chine et essayer de tout avoir en même temps.

La Turquie représente un vaste sujet. C'est un pays très important pour l'Union. Nous observons que la politique étrangère turque est devenue très forte. Nous ne pouvons pas banaliser l'importance des relations entre la Turquie et la Russie, et plus spécifiquement celle entre MM. Erdogan et Poutine. La Turquie joue évidemment un rôle significatif dans ce contexte régional. La Turquie cultive une position ambiguë, tant dans sa relation avec la Russie que dans son approche de la Méditerranée orientale. Avec le comité des représentants permanents, nous avons discuté aujourd'hui de cet « accord » entre la Turquie et la Libye (signé le 3 octobre 2022 et qui remet en question la souveraineté d'une partie de la Méditerranée), dont on ne connaît pas encore les contours. Cet accord a un impact dévastateur sur la Grèce, sur Chypre, et il y a ici une possibilité de déstabilisation régionale majeure. Vous avez également vu quelle était la position de la Turquie concernant l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN. La Turquie est donc un pays très important, un partenaire essentiel, mais aussi un partenaire complexe. Nous devons certainement bâtir un agenda positif avec la Turquie. Cependant, « it takes two to tango », soit « chacun doit y mettre du sien ».

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Je vous remercie très sincèrement pour cette intervention instructive et pour le temps que vous avez consacré à notre commission.

II. Communication sur la proposition de règlement visant à promouvoir les acquisitions conjointes d'équipements de défense et sur d'autres textes européens relatifs au marché intérieur (Mmes Sabine THILLAYE et Marietta KARAMANLI, référentes Marché intérieur, Concurrence, Numérique, Industrie, Recherche, Espace)

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Je vous propose que nous passions à la communication sur la proposition de règlement visant à promouvoir les acquisitions conjointes d'équipements de défense, présentée par nos référentes, Sabine Thillaye et Marietta Karamanli. Le Bureau a décidé d'instituer des référents qui puissent suivre les actes et documents européens transmis au titre des articles 88-4 et 88-6, mais aussi participer aux conférences interparlementaires dans leurs domaines de compétences et présenter devant notre commission des communications sur des sujets d'actualité ou des textes européens.

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Dans le cadre du système des référents thématiques, notre action consiste à repérer les instruments qui sont en discussion et qui peuvent présenter un intérêt pour notre commission. Le périmètre de notre portefeuille comprend notamment l'industrie et le marché intérieur, des enjeux clés pour la souveraineté et la prospérité de l'Union européenne.

Nous avons fait le choix de concentrer nos travaux sur une proposition de règlement présentée par la Commission européenne le 19 juillet 2022. Ce texte crée l'instrument EDIRPA qui vise à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, en mobilisant à hauteur de 500 millions d'euros le budget de l'Union européenne. Le fonds soutiendra des projets d'acquisitions conjointes portés par un minimum de trois pays. Il s'agit de l'initiative nécessaire en vue de l'agression militaire de l'Ukraine par la Russie, mais aussi ambitieuse pour l'autonomie stratégique européenne. Dans le cadre du contrôle prévu à l'article 88-4 de la Constitution, nous avons souhaité que la réserve d'examen ne soit pas levée avant que notre commission ait la possibilité d'échanger sur ce texte important.

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Cet instrument d'acquisitions conjointes vise à renforcer les capacités de défense à court terme dans un contexte marqué par le retour de la guerre de haute intensité en Europe. Les déficits d'investissements dans le domaine de la défense sont documentés, notamment dans une communication présentée en mai 2022 par la Commission européenne et le haut représentant Josep Borrell.

Je citerai trois déficits majeurs, en commençant par le déficit financier. Les dépenses de défense des États membres ont augmenté de moins de 20 % en 20 ans contre près de 65 % aux États-Unis et 590 % en Chine. Or, ces dépenses sont indispensables pour équiper nos forces de manière souveraine.

Un déficit industriel, ensuite, causé par la fragmentation du marché de la défense du côté de la demande. Les dépenses de défense conjointes sont très minoritaires : elles ne représentent que 20 % des dépenses totales, alors que l'Agence européenne de défense (AED) préconisait un objectif de 35 % dès 2007.

Un déficit capacitaire, enfin, car nos stocks d'équipements, notamment de munitions, sont insuffisants et grevés par le soutien crucial apporté par l'Europe à l'Ukraine. Dix-huit canons CAESAr ont ainsi été livrés à l'Ukraine par la France depuis le début du conflit, soit près du quart de la dotation de l'armée de terre.

Les États membres partagent aujourd'hui la même volonté politique, celle d'augmenter leurs dépenses de défense pour reconstituer leurs stocks et renforcer leur aide à l'Ukraine. La déclaration de Versailles, adoptée en mars 2022 à l'initiative de la présidence française du Conseil de l'Union, a fixé des orientations ambitieuses. On peut saluer à ce titre le tournant historique opéré par l'Allemagne en matière de politique de défense. Le discours de Prague du chancelier Olaf Scholz, prononcé en août, et la création d'un fonds spécial de 100 milliards d'euros pour la Bundeswehr en témoignent. Nous devons cependant éviter que l'effort européen de défense soit non-coordonné, voire non-coopératif. L'interopérabilité ne progressera pas si les États membres augmentent leurs investissements selon des lignes strictement nationales. Les capacités de production de la base industrielle et technologique de défense, adaptées à un temps de paix, sont inférieures à la demande anticipée. Cette situation pourrait augmenter les coûts d'acquisition et les délais de livraison des équipements, au détriment des États membres dont la taille de commande est réduite.

L'instrument proposé par la Commission européenne est une première réponse à la fragmentation de l'industrie européenne de la défense. L'existence de nombreux systèmes d'armements différents au sein de l'Union est contreproductive. Cette question, qui relève du régalien et de nos capacités industrielles, nécessite une réflexion plus poussée.

À ce stade, la réponse de la Commission européenne complète la création du Fonds européen de la défense, doté de près de huit milliards d'euros pour soutenir la recherche et développement entre 2021 et 2027. La base juridique du Fonds européen de la défense est identique à celle de l'instrument d'acquisitions conjointes. Il s'agit de l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatif à la compétitivité de l'industrie.

Lors de la précédente législature, les travaux de notre commission ont souligné à plusieurs reprises que la défense ne pouvait pas être réduite à une simple politique industrielle sectorielle. À cet égard, nous estimons que l'instrument d'acquisitions conjointes concourt à d'autres objectifs clefs pour l'Union européenne et pour la France : l'ambition opérationnelle et l'autonomie stratégique.

L'instrument est doté de 500 millions d'euros du budget de l'Union européenne jusqu'au 31 décembre 2024. Ce financement repose sur les dispositifs de flexibilité budgétaire du cadre financier pluriannuel actuel, tels que la cinquième rubrique intitulée « Sécurité et défense ».

Nous partageons l'inquiétude de certains États membres qui considèrent que l'instrument est sous-dimensionné : une contribution européenne de 500 millions d'euros est insuffisante au regard des dépenses de défense des États membre, qui atteignaient 220 milliards d'euros en 2021. Je relève toutefois que l'instrument d'acquisitions conjointes est présenté comme un projet pilote afin de reconstituer nos capacités de défense dans l'urgence. Il a vocation d'être remplacé par un instrument de long terme, sur lequel nous reviendrons.

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Comment fonctionne l'instrument d'acquisitions conjointes ?

La première étape consiste à identifier les actions éligibles au financement de l'Union européenne. Des critères robustes sont prévus par la proposition du règlement, afin que le soutien de l'industrie et de défense soit compatible avec l'objectif d'autonomie stratégique et le respect des droits fondamentaux. Les marchés publics doivent être passés en principe entre, d'une part, des États membres de l'Espace économique européen, et, d'autre part, des industriels établis dans ces mêmes pays qui ne sont pas soumis au contrôle d'un pays tiers non associé. Par exception, un industriel soumis au contrôle d'un pays tiers peut participer à une acquisition conjointe s'il fournit des garanties approuvées par l'État dans lequel il est établi. Ensuite, les acquisitions conjointes doivent être réalisées par un consortium d'au moins trois États membres. Il s'agit, selon nous, d'un seuil équilibré pour encourager les coopérations nécessaires dans ce contexte d'urgence. Enfin, les acquisitions conjointes doivent répondre aux besoins les plus urgents et les plus critiques. Sont toutefois exclus les produits interdits par le droit international, les armes létales autonomes ne permettant pas un contrôle humain lors de l'utilisation, ainsi que des équipements soumis au restrictions d'un pays tiers non associé. Ce dernier critère similaire au Fonds européen de la défense vise notamment à empêcher l'application de la réglementation américaine ITAR. Pour rappel, la portée extraterritoriale des normes ITAR est régulièrement utilisée par les États-Unis afin de bloquer la vente d'équipements de défense intégrants des composants américains.

La deuxième étape consiste en l'évaluation, par la Commission, des projets d'acquisitions conjointes : la Commission décide de l'attribution des financements au regard d'un programme de travail pluriannuel. Ces priorités sont adoptées suivant l'avis d'un comité de programme composé d'États membres. L'Agence européenne de défense et le Service européen pour l'action extérieure sont également invités à participer à ces travaux. Il y a sept critères d'attributions, parmi lesquels figurent le renforcement de l'interopérabilité des produits et la taille estimée de l'acquisition conjointe.

La dernière étape correspond au financement, qui prendra principalement la forme de subventions. Contrairement au Fonds européen de la défense, les financements ne seront pas directement versés aux industriels mais à un agent chargé de la passation du marché et désigné par les États membres du consortium. Il peut s'agir d'une autorité nationale habilitée à contracter ou d'un organe de l'Union européenne, tel que l'Agence européenne de défense.

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Des interrogations politiques et opérationnelles demeurent toutefois. L'urgence liée à la reconstitution des stocks militaires justifie l'adoption rapide de la proposition de règlement par les colégislateurs de l'Union européenne. Or, le calendrier initial prévoyant l'adoption du texte d'ici la fin de l'année 2022 paraît très optimiste. D'une part, le Parlement européen n'a pas encore nommé de rapporteurs. D'autre part, les États-membres ont des divergences substantielles sur l'instrument d'acquisitions conjointes en dépit d'un accueil globalement favorable. Si la France, l'Espagne ou bien encore les Pays-Bas y sont très favorables, des pays tels que l'Italie et la Suède ont émis des fortes réserves.

Nous saluons l'investissement de la présidence tchèque du Conseil de l'Union pour aboutir à une orientation générale sur ces textes d'ici la fin du mois d'octobre. Plusieurs interrogations devront être levées dans les prochaines semaines, pour que l'instrument soit adopté et mis en œuvre rapidement.

La Commission européenne a précisé que ce premier instrument, doté de 500 millions d'euros, visait à répondre aux besoins de court terme des États membres. Une proposition de règlement créant un programme d'investissement dans le domaine de la défense, dite « EDIP », doit être présentée d'ici la fin de l'année 2022. Le montant et l'architecture de cet instrument de long terme n'ont pas encore été dévoilés. Son ampleur devrait toutefois être nettement plus significative, selon Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur. Nous serons très attentives aux contours de cet instrument : il devra être à la fois proportionné aux investissements nécessaires pour mettre à niveau les capacités de défense des États membres, et cohérent avec les nombreuses initiatives existantes, telles que la coopération structurée permanente. Leur articulation avec l'instrument d'acquisitions conjointes semble aujourd'hui insuffisante.

Au-delà de leur montant, il convient de veiller à la pertinence des financements. Si l'instrument d'acquisitions conjointes vise les équipements qui permettent de répondre aux besoins les plus urgents et les plus critiques, la liste exacte du matériel répertorié par la commission n'a pas été dévoilée. Le renforcement de la défense aérienne et antimissiles pourrait en faire partie. La task force dédié, lancée en mai 2022 par la Commission et le haut représentant, réalise actuellement un travail indispensable de recensement des besoins et des capacités de production. Les États membres et les industriels de la défense y contribuent. La cellule de coordination de l'état-major de l'Union européenne, instaurée pour coordonner les livraisons vers l'Ukraine, doit être pleinement associée à cet exercice.

Enfin, les discussions en cours sur les critères d'éligibilité des acquisitions conjointes sont déterminantes. La contribution de l'instrument à l'autonomie stratégique européenne en dépend. Le critère consistant à financer les projets impliquant uniquement des entreprises européennes a suscité des inquiétudes. Certains États membres, dont l'Italie, souhaitent préserver leurs partenariats stratégiques hors de l'Union européenne, en particulier dans le cadre de l'OTAN. Or, l'instrument d'acquisitions conjointes ne fait pas obstacle à la passation des marchés hors de l'Union européenne. Il se limite à conditionner les financements européens à des coopérations européennes. De même, l'absence générale de restrictions imposées par des pays tiers de type ITAR fait l'objet de critiques. Cette disposition réduit de facto le champ des contractants éligibles, au détriment de la concurrence sur le marché de la défense. La position de la France au Conseil de l'Union européenne est d'assurer la liberté d'usage et de transferts des équipements acquis.

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Le chancelier allemand ambitionne un projet de réseau pan-européen de défense anti-aérienne, dans lequel l'Allemagne jouerait un rôle important. L'instrument d'acquisitions conjointes pourrait en outre servir à acheter des systèmes de défense anti-aérienne, y compris portatifs. La coordination de cette initiative, notamment dans le cadre de l'OTAN, devra être discutée au sein du Parlement européen et du Conseil de l'Union durant l'automne. L'Union et les États membres ont pris conscience de la nécessité de reconstitution des stocks et de renforcement des capacités industrielles de défense.

Enfin, de premières auditions ont été menées concernant deux autres initiatives de la Commission relatives au marché unique : l'une pour préserver le fonctionnement du marché unique en cas de crise, l'autre pour réduire les retards de paiement auxquels sont confrontées les entreprises, notamment les PME. Nous vous informerons de l'évolution prochaine de ces initiatives.

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Il pourrait aussi être intéressant de poursuivre l'examen des sujets liés à l'industrie de la défense et d'auditionner nos militaires à ce propos, notamment concernant le renforcement de notre base industrielle et technologique de défense.

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Nous apprenions récemment que la France avait envoyé des canons CAESAr en Ukraine, qui étaient initialement destinés au Danemark. Cet exemple illustre les prélèvements réalisés par les États membres dans leurs stocks afin d'aider l'Ukraine. Ces stocks ayant diminué, il convient de se coordonner entre États membres afin de les reconstituer. Le soutien financier de l'Union européenne de 500 millions d'euros pour encourager les États à acquérir conjointement leurs équipements militaires nous semble faible. Cela suffit-il réellement à influencer les États membres dans la conception de leurs marchés publics ?

L'Union européenne dispose d'un cadre financier pluriannuel, qui permettrait potentiellement de pérenniser cet instrument. Toutefois le risque est que ces acquisitions conjointes permettent seulement de renouveler les stocks utilisés dans le cadre de la guerre en Ukraine, sans une réelle innovation commune et partagée. La Commission européenne a-t-elle prévu d'entériner cette pratique à long terme ?

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Le contexte de la guerre en Ukraine nous enjoint à faire preuve de solidarité et de coopération dans le domaine militaire. Néanmoins, les récents déboires qu'a rencontré l'industrie militaire française face à la Commission européenne ne nous encouragent pas dans cette voie. Le Fonds européen de la défense a en effet délibérément ignoré les consortiums français, plus avancés technologiquement, comme cela a pu être le cas pour le programme EU HYDEF. L'entreprise MBDA avait été désignée coordinatrice du projet TWISTER en 2019, lequel vise à mettre en place un système anti-missiles reposant notamment sur un intercepteur endo-atmosphérique. MBDA a des compétences uniques en Europe dans le domaine de l'hypersonique.

Pourtant la Commission a décidé de lancer un projet similaire, nommé HYDEF, sans choisir MBDA mais le groupe espagnol SENER Aerospace, dont les compétences en matière de missiles hypersoniques ne sont pas prouvées. Un tel revirement témoigne de la volonté d'acheter des armes « sur étagère », qui s'avéreront in fine être américaines ou israéliennes, pour des raisons techniques de compatibilité inter-armées.

Les choix en matière d'armement et d'industrie dans le cadre d'une Europe de la défense pénalisent les industries françaises, pourtant à la pointe du progrès en termes d'armement. Notre part financière au sein des programmes du Fonds européen de la défense n'est que de 18 %, ce qui correspond exactement à notre contribution aux finances de l'Union, et ce alors que nous avons l'une des industries technologiques les plus avancées dans le domaine militaire.

Le but de ce fonds est-il de favoriser les entreprises européennes qui ont du succès ou bien de soutenir celles qui ont du retard ? Nous ne sommes pas opposés au soutien des entreprises européennes qui ont du retard, dès lors que ces décisions ne nous conduisent pas à acheter de l'armement hors de l'Union.

Il est nécessaire de défendre une souveraineté militaire et de protéger nos industries en matière d'armement, sans être fermés à la coopération militaire. Dès lors, que penser de la volonté, en Allemagne, du secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et du Climat de modifier la loi sur l'exportation (REKG) ? Cela pourrait priver la France de ses capacités d'exportation dans le cadre des programmes de coopération industrielle. Comment concilier les politiques intérieures et la promotion des industries européennes ?

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La France a prélevé sur ses stocks afin de constituer une réponse d'urgence. Les moyens engagés, à hauteur de 500 millions euros, sont relativement dérisoires, mais il ne faut pas oublier que l'Union fonctionne dans la limite du cadre financier pluriannuel. Le cadre EDIP, qui est un instrument de long terme, sera présenté d'ici la fin de l'année 2022. C'est la première fois que l'Union met des fonds à disposition de cette manière. Nous nous rendons compte, peut-être tardivement, que nous sommes dépendants à 90 % des États-Unis pour notre capacité militaire, et il est ainsi important de réagir afin de tendre vers une souveraineté européenne.

En réponse à la seconde question, je dirais que privilégier la France dans une situation de crise, à laquelle aucun État membre de l'Union ne peut faire face seul, paraît très compliqué. Nous travaillons au niveau européen, et notamment à l'interopérabilité de nos capacités. Tous les États membres doivent se décider sur le mode de coopération qu'ils souhaitent engager, et la proposition de règlement présentée aujourd'hui constitue un début de réponse.

Par ailleurs, la France n'est pas inactive puisqu'elle participe à 38 projets dans le cadre de la coopération structurée permanente, qui permet également de financer nos industriel. Ils ne restent pas sans soutien de la part de l'Union. En effet, l'effort devrait peut-être être plus largement partagé.

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Cet instrument peut présenter un intérêt mais il est insuffisant. Le risque est en effet d'encourager à une vision nationale plutôt qu'européenne. Selon nous, ces deux visions ne s'opposent pas, car les crises ne s'arrêtent pas aux frontières : nos frontières sont désormais européennes. Nous avons donc intérêt à développer notre recherche et nos capacités de défense au niveau des États membres de manière individuelle, mais nous devons également rechercher à avoir une capacité de défense commune, rendue possible par des positions plus cohérentes.

De nombreux experts s'interrogent sur l'articulation de ces différentes initiatives. Nous devons être attentifs à ce sujet, notamment sur l'interopérabilité des matériels, et pas uniquement de défense. Il nous faudra étudier ce sujet en collaboration avec la commission de défense et conduire des auditions communes, afin de parvenir à des positions plus coordonnées.

L'outil législatif présenté aujourd'hui fera l'objet d'avancées en automne, le Parlement européen et le Conseil de l'Union devant établir leurs positions. Nous vous tiendrons informés de la suite de ces travaux.

La séance est levée à 15 heures 15

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Henri Alfandari, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierrick Berteloot, Mme Pascale Boyer, M. Stéphane Buchou, Mme Annick Cousin, M. Thibaut François, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, Mme Yaël Menache, Mme Lysiane Métayer, Mme Louise Morel, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Christophe Plassard, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye, Mme Estelle Youssouffa

Excusés. – M. Gabriel Amard, Mme Anne-Laure Blin, Mme Sophia Chikirou, Mme Joëlle Mélin, M. Richard Ramos, Mme Sandra Regol