Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du vendredi 21 octobre 2022 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur spécial :

En 2023, la mission Justice bénéficiera de 12,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 11,6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Le budget de la mission progresse de 8 % en crédits de paiement. Contrairement aux années précédentes, cette hausse est principalement tirée par la progression des crédits de titre 2, qui augmenteront de 552 millions d'euros en 2023. Le projet de loi de finances prévoit la création de 2 253 emplois. Cette progression est notable du fait de son ampleur et de sa ventilation : alors que l'administration pénitentiaire captait habituellement la majorité des créations de postes, la justice judiciaire bénéficiera en 2023 de 1 220 emplois supplémentaires.

Ce budget semble traduire les premières conséquences que le ministère entend tirer des recommandations formulées par le comité des états généraux de la justice en juillet dernier. Nous pouvons nous en féliciter. Toutefois, derrière des effets d'annonce, je tenterai de vous démontrer que la réalité est bien plus complexe et ambigüe.

S'agissant de la justice judiciaire, il convient, en premier lieu, de rappeler que les difficultés structurelles des juridictions sont considérables. À titre d'exemple, le taux de vacance des postes de greffiers s'établit à 7,2 %, soit 2,7 points de plus qu'en 2019. En outre, les cibles fixées en matière de délais de traitement des affaires civiles repartent, à nouveau, à la hausse.

La Première ministre a certes annoncé, lors de son discours de politique générale, la création de 1 500 postes de magistrats sur cinq ans – 200 ETP supplémentaires de magistrats sont prévus par le projet de loi de finances pour 2023 – mais sans doute cela arrivera-t-il plus tard. Reste à savoir quand sera ce « plus tard ». Néanmoins, le ministère demeure dans l'ambiguïté : ces emplois relèvent-ils de créations de postes au sein des juridictions ou d'ouvertures de places supplémentaires à l'École nationale de la magistrature (ENM) ? En d'autres termes, ces renforts seront-ils opérationnels en 2023 ou seulement à compter de 2025 ? Cela mériterait d'être précisé, l'incidence pour le système judiciaire étant quelque peu différente.

De plus, le garde des sceaux a annoncé une revalorisation à hauteur de 1 000 euros de la rémunération des magistrats à partir d'octobre 2023. Cette dernière prendra la forme d'une hausse des primes forfaitaire et modulable versées aux magistrats. En réalité, dès lors que ces primes sont indexées sur le traitement indiciaire, cette revalorisation concernera en priorité les magistrats les plus expérimentés, et surtout ne résoudra pas la question de l'attractivité de la profession, qui reste le sujet central.

S'agissant de l'administration pénitentiaire, en dépit de la livraison de nouvelles places de prison, la population carcérale continue de progresser bien plus vite : le taux d'occupation des places en maison d'arrêt pourrait atteindre plus de 130 % en 2023. Dès lors, comment espérer une amélioration des conditions de détention ?

Le projet de loi de finances prévoit par ailleurs la création de 809 ETP. Là encore, il convient de souligner la réalité de la situation : ces postes concernent majoritairement des personnels de surveillance, pour lesquels le schéma d'emplois est, hélas, année après année, systématiquement sous-exécuté : d'un côté des annonces, de l'autre des postes non pourvus.

Des moyens supplémentaires seront, en outre, alloués aux bracelets antirapprochement. Néanmoins, de nombreux dysfonctionnements ont été répertoriés sur ces outils, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre qu'en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut.

Les crédits alloués à l'aide juridictionnelle progresseront de 26 millions d'euros. Le bleu budgétaire indique que des mesures législatives seront proposées pour favoriser le recouvrement des sommes engagées par l'État au bénéfice des justiciables non éligibles. C'est souhaitable, mais pourquoi attendre la seconde partie du projet de loi de finances pour introduire, par voie d'amendement, cette mesure qui aurait dû figurer dans le texte dès le stade de son dépôt ? L'absence d'évaluation préalable ne peut que nous conduire à fortement douter s'agissant de la manière dont cette réforme sera gérée.

Enfin, sur l'article 44 du projet de loi de finances, il nous est proposé de prolonger de deux ans l'expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable à la saisine du juge pour certaines affaires familiales. Sur le principe, je suis favorable à cette extension. Toutefois, je dois signaler que ce serait la troisième fois que nous prolongerions cette expérimentation et que, selon les informations dont nous disposons, la Caisse nationale des allocations familiales n'a toujours pas donné son accord pour participer à son financement. Nous nous prononçons donc sur un article sans savoir quelle en sera exactement la portée !

Tous ces exemples démontrent que, sans pilotage satisfaisant de ces moyens supplémentaires, la justice ne pourra sortir durablement de la crise qu'elle traverse. Beaucoup reste à faire et, jusqu'à présent, les résultats n'ont pas été satisfaisants.

Pour toutes ces raisons, je vous propose donc de rejeter les crédits de la mission.

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