Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Jeudi 13 avril 2023

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)

La commission auditionne les armateurs M. Philippe Lestrade, président de MSC France, M. Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France et M. Raymond Vidil, président de Marfret.

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Mes chers collègues, nous attendons trois armateurs en table ronde : M. Philippe Lestrade, président de MSC France, M. Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France, et par visioconférence M. Raymond Vidil, président de Marfret. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos questions. Je vous rappelle au préalable que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, messieurs, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(M. Philippe Lestrade, M. Claus Ellemann-Jensen et M. Raymond Vidil prêtent serment.)

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Je vous remercie de m'accorder ce temps de parole à l'occasion des travaux de cette commission d'enquête. Comme vous le savez certainement, MSC est un leader mondial de transport de conteneurs. Nous planifions plus de 260 itinéraires à travers le monde, vers 520 ports dans 155 pays. Notre présence internationale nous amène à desservir une partie importante des départements, régions et collectivités d'outre-mer. Même s'il ne s'agit pas d'un des marchés principaux de notre groupe, nous sommes très fiers d'avoir pu construire au cours des années une relation de travail durable et de confiance avec l'ensemble des partenaires locaux avec lesquels nous sommes amenés à collaborer dans le cadre de nos activités au sein de ces territoires. J'évoque une grande partie des outre-mer, car nous ne desservons pas la Martinique.

Nous ne travaillons pas avec l'ensemble des territoires étudiés par cette commission, parce que la définition de nos itinéraires et des partenariats que nous mettons en place à travers le monde dépend de l'activité économique et du volume des échanges de biens au départ et à l'arrivée de chaque territoire que nous pouvons être amenés à observer. Aujourd'hui, le volume d'échanges au départ de certains territoires ultramarins ne nous permet pas d'y être présents tout en garantissant la viabilité économique de notre activité. J'ai lu avec attention l'exposé des motifs de la création de cette commission d'enquête. Vous y faisiez remarquer très justement que la vie chère dans les départements d'outre-mer s'expliquait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix. En abordant cette question avec un regard d'armateur, je crois que nous pouvons retenir un enseignement important de ces chiffres. Sauf exception, les routes desservies vers les départements et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) sont couvertes par la plupart des compagnies, permettant de proposer des prix très compétitifs. Le fret ne peut donc représenter qu'une fraction de ces 20 % et son incidence sur le coût de la vie demeure, selon moi, assez marginale.

Dans le cadre des auditions menées par cette commission, il m'apparaît cependant important de donner la parole à des acteurs comme ceux qui sont présents autour de la table aujourd'hui, qui sont au cœur des échanges entre les outre-mer et le reste du monde. Au nom de MSC, je tiens à vous en remercier et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Au nom de Hapag Lloyd, je vous remercie de nous avoir invités pour cette audition. Il est vrai que la société Hapag Lloyd est peu présente dans les outre-mer aujourd'hui. Vous avez néanmoins tenu à maintenir cette invitation étant donné que Hapag Llyod est une compagnie maritime globale, active sur la majorité des marchés mondiaux. Elle est une compagnie maritime allemande fondée au milieu du XIXe siècle, dans un premier temps dans le transport de passagers de l'Europe vers l'Amérique du Nord, puis dans le transport des effets personnels et du courrier. Au fil du temps, Hapag Lloyd est effectivement devenu un armateur de renom dans le transport de conteneurs dans le monde entier, particulièrement grand sur les liaisons transatlantiques pour les raisons historiques que je viens de vous évoquer, également présent en Amérique latine par l'acquisition d'une compagnie maritime chilienne, important au Moyen-Orient par l'acquisition d'une compagnie maritime locale, et dernièrement plus active et plus visible sur le continent africain par l'acquisition d'une compagnie maritime spécialisée en Afrique.

Je dirais que notre activité en France est modeste à côté de MSC et de CMA CGM qui sont des armateurs historiquement très présents et très puissants en France. Pour ces raisons, il est également possible d'expliquer la présence limitée de Hapag Lloyd dans les marchés des outre-mer, étant donné que la grande majorité des produits consommés dans les îles proviennent de la métropole française. J'ai travaillé pour l'armateur Maersk par le passé, raison pour laquelle j'ai également été partiellement invité selon moi. J'ai effectivement une expérience dans les départements et territoires d'outre-mer (DOM-TOM) en tant qu'ancien chef d'entreprise, d'une société qui était présente dans les outre-mer. J'ai également travaillé pour la CMA CGM et je suis bien évidemment aussi à votre disponibilité pour apporter des réponses à d'éventuelles questions, tout en sachant que je représente aujourd'hui mon employeur actuel et non pas les anciens employeurs.

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Ces précisions méritaient d'être apportées, en effet.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Je vous remercie de me permettre de participer à cette audition par visioconférence. Marfret se différencie par rapport à nos collègues en étant un armateur de lignes régulières conteneurisées, mais de dimensions plus moyennes. Ce groupe a été créé en 1952 et est né de l'activité en Méditerranée. J'ai eu la chance de rejoindre cette entreprise familiale en 1975. J'ai développé les lignes sur les Antilles et sur la Guyane à partir de janvier 1980, destinations auxquelles nous sommes très attachés. À partir de 1995, notre service sur le Pacifique nous a amenés à desservir Tahiti et la Nouvelle-Calédonie. Nous avons desservi La Réunion dans le cadre d'un service qui faisait Madagascar et l'Afrique. Celui-ci s'est toutefois arrêté en 1990.

Tout au long de ces années, j'ai pu partager avec nos autorités toute l'inquiétude qui pouvait ressortir sur ce lien maritime indispensable, car l'essentiel de ces importations rend ces départements totalement dépendants de la relation avec la métropole et avec l'Europe. Nos activités conteneurisées peuvent donner une impression trompeuse selon laquelle l'armateur serait le seul en relation avec la fabrication du coût du transport. Le conteneur a considérablement modifié la chaîne de transport, puisque nous, armateurs, mettons ces conteneurs à disposition des clients, et mettons très souvent en œuvre le déplacement terrestre, le déplacement maritime et la livraison jusqu'à destination.

Depuis 2009, notre autorité, le législateur, s'intéresse aux liens à faire entre transport et vie chère. Dans toutes ces auditions, l'intermédiation de la profession de transitaire qui fait la liaison entre notre prestation de transport maritime intégrée et avec le client n'a jamais été citée. Nous sommes opérationnellement en relation avec l'industriel et avec le destinataire. Cependant, commercialement, nous ne facturons pas la prestation que nous faisons. J'ai démarré ce service en 1980 et ai pu constater combien l'amélioration de la qualité du service maritime – que l'on peut résumer par une fréquence hebdomadaire à jour fixe ainsi que des délais de mer très réduits avec des services directs – a amené petit à petit une modification de la distribution dans de nombreux secteurs d'activité et a considérablement pesé sur la réorganisation de la distribution. Lorsque j'ai commencé à travailler sur les Antilles, nous observions principalement des grossistes et une activité de stockage obligatoire. Or, avec la qualité désormais offerte, on peut considérer que le stock est sur le navire. Certes, le transport de bout en bout a un coût, mais il ne faudrait pas sous-estimer l'impact dans la réduction des frais, en particulier financiers, sur la maîtrise des stocks et la qualité de la livraison et sa fiabilité.

Tout au long de ces années, j'ai vu nos autorités hésiter entre vérifier la libre concurrence ou administrer la tarification. Je pense que le document qui nous a été remis montre bien cette hésitation. C'est à mon sens une bonne façon d'aborder le sujet. Grâce aux armateurs aujourd'hui présents autour de la table, une qualité de desserte est proposée dans le cadre d'une libre concurrence. Pour ce qui nous concerne, je peux vous assurer que celle-ci est sévère. Il n'est pas aisé en effet de mettre en œuvre des services face à des géants des mers. Nous y arrivons cependant avec succès depuis 1980. Par ailleurs, la volonté du législateur est d'imaginer que le transport maritime peut avoir un quelconque effet sur la fabrication du coût de la marchandise, ce qui n'est pas mon point de vue. D'ailleurs, depuis 2009, l'Autorité de la concurrence s'intéresse à ce sujet avec beaucoup de pertinence et est arrivée à la démonstration que le transport maritime n'avait qu'une responsabilité extrêmement marginale dans le coût final de la marchandise.

En revanche, tout au long de ces années, nous avons pu constater l'insuffisance de la manufacture de la production locale, ce qui est sans doute lié à l'insularité. Tant que l'essentiel de la consommation proviendra de l'importation, dans des proportions aussi considérables que celles que nous relevons actuellement, alors effectivement, ce modèle économique impliquera que le coût lui-même de la marchandise peut avoir un impact sur la vie chère, et non son transport. Il faut tout faire pour développer la manufacture locale et nous nous y employons depuis les années deux mille, en particulier dans les départements antillais et guyanais, en les mettant en relation entre eux pour améliorer ce grand marché Antilles-Guyane et permettre à plusieurs activités de se développer en améliorant la production locale et en développant de l'emploi en vue de devenir un peu moins dépendants des importations.

Nous sommes très heureux de participer à la desserte de ces départements. Certaines de nos équipes y interviennent de façon permanente. Je pense qu'il est effectivement pertinent d'échanger avec vous pour explorer l'amélioration à apporter sur les sujets qui vous préoccupent.

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Je souhaiterais que vous nous décriviez la chaîne logistique, celle qui part du producteur hexagonal jusqu'au consommateur final. Pourriez-vous préciser qui paie quoi dans cette chaîne logistique ? J'ignore si vous appliquez tous un même modèle ou si vos modèles sont différents.

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Les biens partent depuis un point A vers un point B, avec un exportateur depuis un point A, et dans un point B, un importateur. Ces biens vont se déplacer depuis une usine ou un entrepôt. En l'espèce, si nous considérons le cas d'une expédition depuis la métropole vers La Réunion, nous aurons un entrepôt quelque part en France. Je vais même partir de l'usine : depuis l'usine, les biens vont être chargés sur un camion et vont bien souvent se rendre vers un entrepôt qui va servir à ce qu'on appelle de la consolidation. Différents camions transportant différentes marchandises de différentes usines vont ainsi se rendre vers cet entrepôt.

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Le producteur paie donc cette part de transport jusqu'à l'entrepôt.

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Tout va dépendre en réalité des termes d'achat entre l'exportateur et l'importateur. Le commerce international règle le principe de « qui paie quoi » et « qui fait quoi » à travers le monde grâce aux dispositions contractuelles standards relatives au transport des marchandises International Commercial Terms ou Incoterms. Ce sont des termes commerciaux et juridiques qui définissent très clairement qui paie quoi au cours de cette chaîne. Ils sont définis par la Chambre de commerce internationale.

Pour ce qui est des exportations à destination des DOM-TOM, à ma connaissance, l'essentiel des négociations est géré par les importateurs à destination qui vont acheter des biens à leurs différents fournisseurs. Ces mêmes importateurs vont organiser l'expédition de leurs biens depuis la métropole vers les DOM-TOM. Les camions ont donc agrégé des flux dans un entrepôt. Une fois suffisamment de flux agrégés, si ceux-ci correspondent à la commande de l'importateur, ces camions vont être chargés dans un conteneur par le responsable de l'entrepôt. Ce même conteneur va ensuite être chargé sur un camion à destination d'un terminal à conteneurs où la compagnie maritime se présentant avec son navire sera chargée.

Depuis l'usine, jusqu'au port, différents intervenants sont à relever. Je vous ai fait grâce des différents modes de transport, que ce soit le train ou la barge, car nous ajouterions d'autres prestataires de transport. D'une manière générale, tous ces intervenants de la chaîne répondront de leurs actions devant un professionnel des expéditions qu'on appelle un transitaire. Ce commissionnaire de transport est missionné par l'importateur, ou par celui qui va gérer l'expédition, pour que les biens arrivent à bon port. Ce dernier va négocier des taux de fret avec les compagnies maritimes pour le compte de l'importateur.

Pour ce faire, il consultera différentes compagnies maritimes pour obtenir un prix, une capacité et un délai de mer, un transit time selon notre jargon, de manière à ce que les marchandises puissent se présenter à destination en lieu et date attendue par son client, l'importateur. Une fois ces dernières embarquées sur le navire, en fonction des itinéraires définis par la compagnie maritime, le navire ira soit directement au port de destination ou passera par différents ports de transbordement, parce que des navires de capacités différentes ou alignés sur des services différents pourront reprendre le conteneur pour finalement l'amener sur l'île en question. Lorsque le navire se présentera à destination, le conteneur sera déchargé une nouvelle fois par un manutentionnaire, le spécialiste du chargement/déchargement des navires. Le commissionnaire de transport y organisera alors différentes prestations de dédouanement telles que l'acquittement des obligations légales vis-à-vis des douanes et autres autorités. Finalement, depuis le terminal, ce conteneur devra être mis sur un camion qui se dirigera vers un autre entrepôt où le conteneur sera vidé. Une fois le conteneur vidé, il sera retourné vide au port d'accueil du navire. Il sera ensuite rechargé vide sur un prochain navire, à moins qu'il fasse lui-même l'objet d'une expédition export, là où l'île produisant des marchandises et les vendant à un autre endroit dans le monde souhaiterait l'exporter.

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Je sens que vos collègues n'ont pas forcément d'éléments à ajouter à la suite de vos propos.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Je suis bien entendu tout à fait d'accord avec cette explication. Je ferai toutefois un lien avec le document qui laissait entendre une douzaine d'intermédiaires. Je crois qu'il faut distinguer le transitaire qui est un intermédiaire ensemblier commissionnaire intégrateur de l'ensemble de l'opération des autres professions, très bien décrites par M. Lestrade, qui sont des intervenants successifs.

Par ailleurs, je précise qu'il n'existe pas de spécificité pour une exportation dans les DOM, si ce n'est que la question du groupage peut être plus importante en proportion. Le schéma décrit par M. Lestrade s'applique à toute exportation, quelle que soit la destination. Il n'existe pas de particularité dans ce schéma par conséquent pour la desserte de nos départements.

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En tant qu'entreprise, la concurrence est toujours un espace de faire valoir qualitativement sa capacité à se développer. Je dis qualitativement, quantitativement viendra avec la capacité des bateaux et les conteneurs. Dans un premier temps, pouvez-vous me dire ceux qui desservent des départements ou des territoires dits d'outre-mer français parmi vous, puisque vous ne le faites pas tous ? Pourquoi ne cherchez-vous pas concrètement à acquérir plus de parts de marché ? Puisque même si un « paradoxe » demeure, c'est peut-être le leader mondial, mais pas sur un certain nombre de routes maritimes.

Pour quelles raisons sur ces parts de marché qui concernent les régions, les départements, les collectivités d'outre-mer, ne cherchez-vous pas à être des concurrents plus compétitifs et à acquérir des parts de marché supplémentaires, ce qui me paraîtrait normal en tant qu'entreprise, puisque votre objectif est également de vous accroître ?

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Je comprends, monsieur le rapporteur, deux types de destinations dans votre question : d'une part les destinations que nous desservons, et d'autre part, celles que nous ne desservons pas. Est-ce bien le cas ?

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Nos itinéraires sont définis en fonction de l'activité économique des territoires que nous desservons. Nous faisons en sorte d'adapter au mieux notre activité aux évolutions de l'économie locale. Chez MSC, nous considérons que notre activité dans les territoires étudiés par cette commission ne peut pas être supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui si nous voulons qu'elle reste viable. Une évolution de cette position ne pourrait être a priori que le fruit d'un accroissement de l'activité économique et des échanges dans les outre-mer. Dans cette optique, nous sommes présents à La Réunion, à Mayotte, de même qu'en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie. Nous escalons en effet à Papeete. Nous avons une part de marché en étant compétitifs ; notre industrie du transport par conteneurs est la représentation de la compétitivité. Nous sommes en concurrence avec les autres armements. Pour avoir des marchandises, nous devons être compétitifs. Nous avons de très belles parts de marché sur La Réunion, monsieur le rapporteur. Vouloir aller plus loin reviendrait quelque part continuer à faire descendre des prix qui, pour nous, semblent déjà très bas.

Considérant les DROM-COM d'une manière générale où nous n'escalons pas, nous avons un sujet de volume disponible sur ces marchés. Si nous y allions en tant que concurrents, rendant la totalité des concurrents de fait plus nombreuse, dans un environnement où les prix sont déjà extrêmement bas, nous ne pourrions pas opérer de manière viable sur ces destinations. Ces marchés sont petits, si je peux me permettre. Les marchés de la Martinique et de la Guadeloupe, où nous n'escalons pas, sont des marchés qui représentent un volume équivalent à celui de l'île de La Réunion pour ce qui est des importations. Si nous nous y rendions avec de grands navires très coûteux pour de petits volumes, nous chercherions finalement à vendre des produits moins chers dans un contexte où les prix sont déjà bien bas pour venir faire concurrence.

Je me suis récemment renseigné sur les taux appliqués sur la Martinique : déplacer un conteneur par camion de Bordeaux à Fos-sur-Mer, ou de Bordeaux au Havre, coûte à peu près le même prix que de transporter par la mer un conteneur à destination de la Martinique.

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J'inviterai par ailleurs les uns et les autres à réagir sur l'explosion du prix du conteneur qui laisse à imaginer un impact considérable sur le prix et sur le niveau de vie des personnes concernées par ces territoires.

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Je l'entends très bien. À ma manière, je dirais que notre industrie, le transport maritime, est régie par les lois de l'offre et de la demande. Pour les outre-mer, je n'ai pas constaté d'augmentation de prix aussi significative que celle nous avons pu relever sur d'autres destinations dans le monde. Je souligne à nouveau que nous nous trouvons dans un environnement où les marchés sont « finis ». Un volume limité de marchandises est à transporter, la compétition y est par conséquent féroce. Je souligne que les DOM-TOM ont été bien mieux protégés que d'autres destinations n'ont pu l'être.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Monsieur le rapporteur, chez Marfret, nous ne déterminons pas nos itinéraires avec l'objectif de desservir tel ou tel DOM-TOM comme une destination finale. Seuls, les volumes sur ces départements sont insuffisants. Chaque ligne a construit ses itinéraires dans son histoire. Pour ce qui nous concerne, c'est la Caraïbe, la Méditerranée, le Pacifique. Grâce à ces volumes continentaux des grandes destinations finales, nous avons déterminé nos itinéraires et nous pouvons nous arrêter et desservir ces départements en route, ceux qui bénéficient ainsi de l'attractivité de l'itinéraire global de l'armateur.

C'est une première compréhension de la manière dont les compagnies fabriquent leurs itinéraires pour comprendre les raisons pour lesquelles nous sommes sur les Antilles, la Guyane et le Pacifique, et les raisons pour lesquelles MSC est en direction de l'Asie, de l'Afrique et La Réunion.

Au demeurant, s'agissant du fret, les départements d'outre-mer ne se rendent absolument pas compte de l'exonération de la flambée des prix dont ils ont été l'objet, exonération constatée pendant les années de la pandémie de Covid-19. Pour ce qui concerne Marfret, nous avons été fortement pénalisés, mais la démarche du bouclier qualité-prix (BQP), en particulier sur les Antilles, à l'initiative des autorités et des préfets, a bloqué les prix du fret alors que l'ensemble de nos coûts s'envolait. Pendant ces deux dernières années, l'affrètement augmentait considérablement, mais les Antillais ont bénéficié d'un fret bloqué. Comme vous le savez, au mois de juillet dernier, en plus des frais bloqués, lorsque nous avons été interrogés par l'Autorité de la concurrence en 2009, puis en 2019, nous avions remis des tableaux explicitant que sur les Antilles, depuis dix ans, les taux de fret ne cessaient de diminuer. Il faut comprendre que les frets sur les Antilles sont bas. Au mois de juillet de l'année dernière, ils ont brutalement baissé, et de façon disproportionnée, de 750 euros. Nous sommes bien évidemment très attachés à ces destinations qui, au regard de ces deux mesures, sont devenues déficitaires et nous ont mis en difficulté.

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Je partagerais un angle qui est différent pour un armateur qui n'est pas aussi bien implanté en France que MSC, Marfret ou CMA CGM. Je pense que c'est ce qui explique aussi pourquoi Hapag Lloyd est historiquement peu implantée dans les outre-mer. À mon sens, pour proposer un service digne de ce nom à la clientèle réunionnaise ou antillaise, il faut tout d'abord être très bien installé en France métropolitaine, étant donné que 95 % des produits dans les Antilles proviennent de la France métropolitaine et 60 % de ceux de La Réunion proviennent de la France. Il ne s'agit pas de laisser sous-entendre que Hapag Lloyd n'a pas d'ambition de travailler dans les DOM-TOM. Il est vrai que nous avons eu un court passage à La Réunion pendant quelques années, avec une collaboration purement opérationnelle avec CMA CGM concernant un service qui allait en Australie, qui permettait de faire escale à La Réunion et de construire ainsi une présence sur place. Sans rentrer dans les détails de la stratégie future de Hapag Lloyd en France qui est ambitieuse et qui pourrait effectivement inclure des services vers les DOM-TOM, je confirme les propos exprimés par M. Vidil : ces trois dernières années pendant lesquelles nous avons vécu la Covid-19, et jusqu'au milieu de l'année dernière, une flambée des prix a été observée dans les grands marchés est-ouest. Vous avez pu la suivre dans les médias. Les DOM-TOM n'ont pas subi ces augmentations extrêmes dans le même temps. Ces prix s'expliquent en outre par un manque de capacité et un manque de conteneurs. Pour ces mêmes raisons, les armements n'ont pas cherché à développer de nouveaux marchés ou de nouveaux services au regard de l'incapacité à le faire. Ces deux dernières années, les compagnies maritimes ont toutefois relevé des résultats financiers très honorables, même assez incroyables et historiques. Les taux de fret sont désormais revenus à la normale, de même que les surcapacités sur le marché. Ce contexte pourrait être une opportunité pour certains armements d'étudier la rentrée dans de nouveaux marchés.

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J'ai bien entendu ce que vous avez expliqué et si j'ai bien compris, vous êtes un élément dans une chaîne logistique. Néanmoins, depuis maintenant deux ans, des chefs d'entreprise nous remontent des factures, si je puis dire. Nous avons effectivement constaté une augmentation du coût du conteneur. Pour des raisons de transparence, et sans vous demander de comptabilité analytique, dans cette chaîne, sur la partie du transport, sur une base 100, en partant de l'année 2020, par exemple, en intégrant la pandémie de Covid-19, la guerre russo-ukrainienne et l'inflation, pourriez-vous préciser la hauteur des augmentations sur la partie qui vous revient ou indiquer une éventuelle absence d'augmentation ?

Il serait important que vous puissiez nous confier cet élément en partant d'une base 100 à partir de 2020 et jusqu'à la fin de l'année 2022, à peu près sur trois ans, pour un même volume et pour une destination identique. Je suis très intéressé par cet aspect qui constitue à mon sens l'objet même de notre échange cet après-midi.

Par ailleurs, nous avons auditionné il y a quelque temps les chambres de commerce et d'industrie. Le représentant de la chambre de commerce de La Réunion nous a expliqué que 80 % des conteneurs qui arrivaient à La Réunion repartaient vides. J'ignore si ce chiffre est fondé ou s'il ne l'est pas ; vous êtes les spécialistes qui peuvent nous répondre. Cette occurrence a-t-elle un impact sur le coût du transport sur la partie qui vous revient ? Dans la positive, est-il possible de le quantifier ?

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Je ne suis pas en mesure de vous communiquer de réponse précise pour La Réunion qui vous intéresse le plus, mais je souhaite apporter un élément de réponse à votre première question. D'une manière générale, les taux de fret de la fin 2020 et du début de l'année 2023 sont identiques. Les taux de frets dans le monde se trouvent exactement au même niveau entre les deux périodes. Une augmentation incroyable s'est produite pendant la Covid-19 et une baisse identique. Pour les compagnies maritimes, les coûts ont augmenté à cause de l'inflation et de l'augmentation des prix du fioul, d'une moyenne de 400 dollars par conteneur équivalent 20 pieds. Il s'agit de chiffres globaux et connus.

D'autre part, concernant le conteneur vide, je laisse les experts commenter pour La Réunion. La réponse générale est toutefois positive : si vous avez un marché que nous considérons en déséquilibre, comme vous le décrivez avec plus d'export que d'import, ou l'inverse, souvent, l'armateur intègre également le coût de l'évacuation du conteneur vide dans son taux de fret.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Nous avions réalisé ce travail pour l'Autorité de la concurrence, à qui nous avons remis une matrice sur dix ans, qui montre que pendant dix ans, les frets ont légèrement baissé, mais ont baissé. Pendant les trois dernières années, ils ont été bloqués, comme vous le savez, par le BQP. Enfin, depuis un an, ils ont baissé avec cette ristourne de 750 euros. C'est en conséquence tout à fait inexact pour ce qui nous concerne chez Marfret. Nos recettes ont très sensiblement diminué, de même que ce que nous avons facturé aux transitaires ces dernières années. Du reste, comme très justement indiqué précédemment, ils auraient pu être augmentés du fait de la situation économique. Notez que nous avons uniquement pu résister à cette baisse des frets grâce aux investissements que nous avons réalisés durant ces dernières années pour devenir propriétaires de nos navires. Dans le cas contraire, si nous avions dû avoir recours aux navires affrétés sur le marché, nous ne serions déjà plus là.

Il est de fait absolument inexact de laisser entendre que les frets ont augmenté, en particulier pour les Antilles et la Guyane ; ils ont baissé d'une façon très significative par un jeu qui a consisté à demander à l'armateur le plus important sur le secteur d'accorder une ristourne grâce aux résultats qu'il a obtenus grâce à des lignes en dehors de la desserte considérée des DOM-TOM. Il faut bien en être conscient. Les armateurs aujourd'hui présents ont parfaitement décrit qu'il convenait en premier lieu d'assurer une desserte pour répondre aux demandes du marché moderne : un délai de livraison ou transit time très réduit, une fréquence à jour fixe, une maîtrise totale de l'itinéraire et des délais de mer permettant ainsi de réduire pas uniquement le coût du transport, mais également le coût de l'immobilisation et du stock de la marchandise.

Je pense que nous jouissons d'une combinaison optimum pour ces départements revenant à bénéficier de dessertes fabriquées par des armateurs qui desservent en route ces départements grâce à leur destination finale continentale. Les destinations que je connais ont observé une baisse de fret et je suis surpris que l'on puisse vous rapporter le contraire.

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Monsieur le député, votre question relative aux conteneurs vides est tout à fait pertinente. Le conteneur vide est la propriété de la compagnie maritime, c'est un outil. Sa première vocation est d'être réutilisé. Il est utilisé pour transporter des marchandises d'un point A à un point B, mais il sera également réutilisé pendant peut-être dix ans et passera sa vie à transporter des marchandises dans le monde. Dans une année, un conteneur peut effectuer cinq voyages pleins. Tout port qui se retrouve avec un surplus, un déséquilibre, et dans le cas de La Réunion de nombreux imports et très peu d'exports, se retrouve finalement avec un fardeau de conteneurs vides pour l'armateur qui va devoir venir les chercher. Celui-ci ne sera pas payé et devra payer des coûts d'exploitation. Recharger ses conteneurs vides sur un bateau coûte de l'argent en effet. Il faut payer un manutentionnaire. Il faudra ensuite les amener dans un port à travers le monde où on aura besoin de ces conteneurs. Il faudra encore payer pour décharger le navire, puis les mettre à disposition d'un utilisateur potentiel du conteneur. En effet, tout conteneur qui quitte un port vide représente un coût pour un armateur.

Dans le cas de l'île de La Réunion, nous avons un écart de presque un pour dix –peut-être un conteneur export pour dix conteneurs import. L'ordre de grandeur des coûts est considérable. Nous revenons malheureusement un peu sur ce que j'ai pu notifier au départ. Nous escalons dans un port par rapport à l'activité que peut drainer ce port. Cette activité que draine le port est la compétition qui l'entoure impliquant la fixation d'un prix de marché, et des coûts qui ne sont pas forcément en ligne avec le prix du marché auquel nous pouvons vendre, parce que nous sommes dans une industrie qui, à l'image d'autres commodités comme le pétrole, comme les céréales ou des minerais, dépend d'un prix de marché et ne dépend pas d'un mécanisme de prix qui s'appuierait sur un coût plus une marge. Ainsi que M. Vidil l'a affirmé auparavant, une ligne maritime ne se limite pas au voyage d'un point A à un point B, c'est un ensemble de points. La manière dont nous desservons La Réunion, par exemple, consiste à escaler dans différents ports en Europe du Nord, dans quelques ports en Europe du Sud, puis à nous rendre dans l'océan Indien et enfin à partir vers l'Australie. Quelque part, le mélange des flux entre ces points, à sa manière unique par rapport à la ligne qui exploite le service en question, va déterminer ou non la profitabilité de l'exploitation de cette ligne. Une fois de plus, vous obtiendrez un prix de marché décorrélé du coût d'exploitation du navire, aucune similarité ne ressortant dans la manière d'exploiter les services.

Quant à votre question sur les variations de prix au cours des trois dernières années, je suis désolé, je ne serai pas en mesure de vous donner une telle évolution dans l'instant. Il est évident que les prix ont augmenté dans l'océan Indien au cours des deux dernières années. Ils sont aujourd'hui de nouveau à leur niveau précédant la pandémie de Covid-19. Pour vous donner un ordre de grandeur, le prix de marché actuel pour un conteneur sera légèrement inférieur à 2 000 euros lorsqu'au plus fort de la crise, nous étions peut-être arrivés à 2 400 euros. Il est possible d'évoquer une baisse de 40 % sur un taux de fret, il s'agit toutefois d'un tout petit élément de prix. Ainsi que j'ai pu le mentionner précédemment, transporter un conteneur depuis une région de France par la route pour qu'il puisse aller vers Fos-sur-Mer ou vers Le Havre à destination de La Réunion coûte aussi cher, pour des conteneurs qui, bien entendu, ont une valeur de marchandises de plusieurs dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d'euros. Il est essentiel de bien intégrer que la part du fret dans cet élément est modique. Si je peux me permettre une comparaison, lors de la crise de la Covid-19 sur le marché entre l'Asie du Sud-Est et l'Europe, les prix alors en vigueur étaient de l'ordre de 20 000 euros. Vous comprendrez bien que pour nous, les DOM-TOM ont été plus que protégés de cette crise de la Covid-19, de cette crise logistique largement évoquée par tous.

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Je pense que nous ne parlons pas des mêmes éléments, car à mon sens, tout se mesure en proportion. Ce qui pour vous peut paraître peu, s'agissant de petits marchés de 300 000 habitants, 400 000 habitants, est en réalité considérable au prorata de la population concernée. Les volumes sont en l'occurrence différents.

Je suis un peu ennuyé par les affirmations de M. Vidil ; nous n'évoquons pas le même sujet. Vous parlez de taux de fret. S'agit-il selon vous du droit de port que vous payez ? C'est bien ce que vous appelez taux de fret qui, pour moi, n'a rien à voir avec le sujet sur lequel nous sommes aujourd'hui engagés. La question du droit de port dépend de la qualité d'accueil des ports et varie en fonction d'un certain nombre de services que le port peut fournir. Ce n'est pas le sujet. Le sujet que nous traitons ce jour se retrouve dans la question de la formation des prix, de la problématique de transport et de logistique globale, posée clairement comme un impact qui agit en définitive sur le consommateur. La question du taux de fret est vraiment marginale.

Quant à la question du BQP, excusez-moi, monsieur Vidil, mais le BQP concerne à peine 150 produits, voire 200 produits au maximum et n'a donc aucune valeur en matière d'impact et de diminution.

Je suis un peu gêné par certains termes de vos discours ; nos territoires ne sont pas attractifs économiquement en matière de viabilité. Une question de taille des bateaux, ou de nombre de conteneurs, se pose peut-être. Nous sommes peut-être véritablement trop petits par rapport à la taille de vos bateaux. Je suppose que lorsque vous réalisez des projections économiques, vous ne vous basez pas sur de petites îles isolées les unes des autres, mais sur un marché plus grand, le marché américain dans lequel nous sommes, qui est bien plus large. De surcroît, j'imagine bien que vous allez vers des logiques de projection d'avenir. Il me semble que la notion de transbordement va devenir un enjeu majeur de développement de lignes maritimes. Je reviens sur Maersk, je pense que nous allons utiliser votre expérience passée, si cela ne vous dérange pas. Pourquoi Maersk s'est-elle retirée du marché antillais ? Pouvez-vous nous apporter des réponses claires à ce propos ?

Je souligne par ailleurs que le coût du transport maritime a explosé dans notre territoire, monsieur Vidil, pas seulement le prix du conteneur. Je souhaiterais très officiellement obtenir les éventuels éléments de preuve contraires que vous détiendriez. Tout ce que certains appellent le correctif conjoncturel carburant ou Bunker Adjustment Factor (BAF), élément d'ajustement économique qui permet de ne pas subir de perte, a explosé dans nos territoires pendant la crise. Jusqu'à maintenant, les 750 euros qui ont été appliqués, et qui pour vous peuvent représenter un point considérable, d'une part n'ont pas été répercutés sur les prix, et d'autre part font office de détail dans le coût global, sachant que le transport est un élément fondamental puisque nous sommes captifs. Nous parlons d'insularité ; les seuls moyens de desserte et de désenclavement de ces territoires sont des moyens par bateau ou par voie aérienne. Nous n'aborderons pas la partie aérienne cependant.

J'ai par ailleurs du mal à comprendre un autre point, et je vais très clairement poser la question : un phénomène d'entente n'existerait-il pas, expliquant votre absence sur d'autres marchés parce que vous ne seriez pas compétitifs ? Maersk s'est d'ailleurs retirée de manière très concrète. Quels aspects expliquent que vous restez limités dans les champs de périmètre de desserte que vous avez concrètement ? Qu'est-ce qui ferait que vous pourriez être attirés par nos territoires ? J'imagine bien que les modèles économiques que vous réalisez en matière de transports sont lissés avec une péréquation. Vous allez peut-être perdre d'un côté et gagner de l'autre. C'est cependant un ensemble qui, en définitive, vous amène à être plus bénéficiaires que déficitaires.

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Vous avez abordé de nombreux sujets, monsieur le rapporteur. Vous m'interromprez s'il est nécessaire de compléter. Premièrement, au nom de Hapag Lloyd, j'affirme qu'aucune entente n'existe où que ce soit. Je pense que les risques pour les armateurs sont tellement importants qu'une telle pratique ne peut pas exister. Je peux toutefois uniquement répondre au nom de Hapag Lloyd. S'agissant du départ de Maersk des Antilles, je considère que Maersk est le mieux habilité à répondre à cette question. De mon passé chez Maersk, j'ai effectivement connaissance de l'existence d'un accord d'affrètement ou slot charter agreement, c'est-à-dire un accord où un armateur achète de la place chez un autre armateur. Maersk a en l'occurrence acheté de la place sur le navire de CMA CGM. Cet accord est arrivé à sa fin au 31 décembre 2022. J'imagine que celui-ci n'a pas été renouvelé, mais j'en ignore totalement les raisons. Je vous demande en l'occurrence de vous adresser à CMA CGM et/ou à Maersk.

S'agissant de la notion de transbordement, je pense que vous avez tout à fait raison : une évolution ressort dans la desserte potentielle, que ce soit vers les Antilles ou vers La Réunion. Si vous prenez La Réunion comme le premier exemple, nous avons pu observer au fil des années que le service de transbordement que propose Maersk par Salalah à Oman était un service hebdomadaire, ponctuel, tout à fait accepté par le marché réunionnais. Il ne faut pas non plus ignorer que la distance entre la France métropolitaine et La Réunion est importante. Sauf erreur de ma part, pour un service direct comme le propose MSC ou CMA CGM, quatre semaines de mer sont nécessaires, avec d'éventuels aléas sur la route et des escales dans des ports qui peuvent potentiellement être congestionnés. C'est là où les grands armateurs qui proposent des services de transbordement ont leur place. Sept jours de mer séparent la France métropolitaine des Antilles. Un service proposé par la CMA CGM fait escale dans quatre ports métropolitains et deux ports antillais, direct et rapide, qui est très sincèrement est un bon service.

Je me permets par ailleurs ce commentaire, je ne peux pas m'en empêcher : avec la situation actuelle dans les ports français métropolitains, les grèves qui ont lieu depuis le début de l'année et qui ne sont absolument pas contrôlées, il est très difficile d'attirer des armateurs étrangers pour y faire escale. C'est en l'occurrence une condition sine qua non pour proposer un service compétitif vers les Antilles. Imaginez un port de transbordement dans les Caraïbes, en Jamaïque ou à Caucedo en République dominicaine. Il est possible d'imaginer que les Antilles seront servies par ce biais dans l'avenir. Du reste, le peu de produits que les Antillais achètent, par exemple en Asie ou en dehors de la France ou de l'Europe, passent souvent par les transbordements pour servir le marché antillais. Je pense qu'il existe une possibilité de développement vers les Antilles par transbordement. Néanmoins, monsieur le rapporteur, la clientèle antillaise doit également être prête à accepter un service maritime peut-être moins rapide et moins bon que le service proposé par la CMA CGM – et je ne suis pas là pour faire la publicité de la CMA CGM. Je m'exprime en tant que concurrent : le service qu'il propose vers les Antilles est tout à fait respectable.

En outre, vous souligniez la dépendance insulaire dont vous êtes victimes en quelque sorte. Vous avez besoin de partenariats de confiance et de longue date. Mon expérience dans les outre-mer m'a appris que les relations se construisent sur le long terme. Certaines périodes sont plus difficiles que d'autres, des périodes avec des intempéries, des périodes de problèmes sociaux pendant lesquelles l'importateur et l'exportateur ont besoin de compagnies maritimes fidèles. La CMA CGM a forcément une histoire relativement imbattable pour une compagnie maritime étrangère.

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Je confirme en premier lieu qu'il n'existe pas d'entente pour ce qui peut concerner MSC avec d'autres armateurs sur la pénétration de certains marchés. Je vais répéter ce que j'ai déclaré précédemment : ce marché des Antilles bénéficie aujourd'hui d'un prix très bas eu égard aux moyens mis en œuvre par nos concurrents. Si nous devions entrer sur ce marché, nous devrions d'abord proposer des prix encore plus bas qui ne nous permettraient absolument pas de rentrer dans nos fonds. Le problème de ces destinations porte sur l'insuffisance d'activité pour entrer dans ce marché. Si vous me permettez l'évocation d'un parallèle, c'est un peu l'image des TGV. Tout le monde connaît l'intérêt des TGV, mais on ne peut malheureusement pas en mettre partout, et c'est un peu la difficulté. Aujourd'hui, notre concurrent vous offre un TGV sur les Antilles. Vous avez un service fantastique complètement taillé pour ces îles, en qualité de service à bas prix. Chercher à se présenter en concurrence sur ce marché est impossible, à moins que nous décidions conjointement d'augmenter les prix, mais je ne crois pas que ce soit l'objectif de cette commission.

Je reviens aux termes exprimés par mon camarade Claus Ellemann-Jensen ; des solutions peuvent exister en transbordement. Ne perdons pas de vue qu'un transbordement implique un déchargement de navire pour recharger sur un autre navire. Des coûts supplémentaires sont ainsi générés pour l'armateur. Nous revenons donc sur l'augmentation des coûts face à un prix de vente, le fret, trop bas. C'est là une clé importante de ce dossier.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Il semble que l'opinion de monsieur le rapporteur soit déjà bien établie. J'espère que cet échange pourra apporter les nuances nécessaires. Lorsque l'on évoque le taux de fret, on ne parle pas du tout de droit de port. Les droits de port sont nos dépenses habituelles pour les escales ou l'utilisation des quais et nous les acquittons. Quand je parle de taux de fret, j'évoque bien ce que nous appelons le coût du transport maritime que nous facturons aux transitaires. Contrairement à ce que vous pensez, je vous confirme que ce taux de fret sur les Antilles fait partie d'une ligne spécifique du BQP. Celui-ci ne s'applique pas seulement aux 150 produits ; le taux de fret fait partie du BQP intégralement et est bloqué depuis trois ans. De ce fait, il n'a pas pu exploser ainsi que vous l'avez souligné.

Au demeurant, la surcharge combustible ou BAF est actuellement de 600 euros et se rajoute au fret qui est très bas comme nous l'avons précisé. Vous qualifiez l'ampleur de la ristourne de 750 euros de « toute petite » ; je vous assure qu'il vous faut explorer plus avant cette analyse économique, parce qu'il faut comparer les 750 euros avec les 2 000 euros que le transport d'un conteneur quarante pieds coûte actuellement, et nous facturons à ce niveau de fret. Il est essentiel de considérer que le BQP s'est appliqué à nous depuis trois ans, avec des taux de fret bloqués. Je vous confirme que pour ce qui nous concerne, le taux de fret a baissé dans les dernières années et que rien n'a explosé comme vous l'avez mentionné. Le penser est tout à fait erroné. Je vous confirme enfin, bien évidemment, qu'il n'existe aucune entente en ce qui nous concerne avec nos concurrents, et que du fait de notre taille, nous avons bien du mal à trouver notre place sur ces marchés.

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Vous affirmez, et je l'entends, que le prix du fret dans le prix global est minime. Le terme « minime » implique bien une valeur, mais vous conviendrez qu'il a sa forme, c'est un halo. Une analyse économique permettrait-elle d'en démontrer le pourcentage du prix final (2 %, 3 % ou 5 %) ? J'ai bien compris que dans votre esprit, ce ne sont pas 10 %, mais détenez-vous des éléments chiffrés qui viendraient définir une sorte d'encadrement du poids de ce prix ?

Si l'on estime que 90 % du fret viennent de l'Hexagone, ce qui ne dépend pas forcément de vous, et je vous pose somme toute la question, pensez-vous que d'autres provenances que l'Hexagone pourraient être rentables en matière de desserte par vos compagnies dans le cadre du grand circuit que vous nous avez décrit ?

Une sorte de service public du fret ne serait-elle pas à mettre en place pour pouvoir garantir une continuité de livraison entre l'Hexagone et les différents territoires ultramarins ? Ce principe a-t-il un sens ? Le sens est à deux niveaux ; la stabilité de volume et la stabilité de liaison permettraient de l'entreprendre. Un réel impact sur le prix ressortirait-il ?

Aussi, si vous disposez de ces éléments, pouvez-vous indiquer le poids du fret dans le prix final ?

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Raymond Vidil, président de Marfret

Deux rapports extrêmement bien construits de l'Autorité de la concurrence ont abouti à l'expression de 5 %. Dans cette optique, le fret maritime concourt dans la fabrication du prix final de la marchandise pour moins de 5 %.

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J'imagine que vos collègues confirment ces chiffres. Je reviens à ma deuxième question. Le service public fait également partie des solutions parfois avancées comme étant la façon de faire. Par conséquent, cela ne pourrait toucher au maximum que 5 % du prix, et encore, afin de voir la prise en charge qui serait donnée. Quelle est l'économie des dessertes locales en dehors de l'Hexagone ?

Vous avancez que 90 % du fret qui arrivent aux Antilles, par exemple, viennent de l'Hexagone, au prix de 2 000 euros le conteneur quarante pieds entiers avec un pic à 2 400 euros pendant la crise. Nous sommes aujourd'hui revenus à 2 000 euros. Les produits dont il est question sont hexagonaux par nature. Le prix de ces produits hexagonaux est hexagonal ou européen, avec les normes associées. Nous pourrions imaginer que sous réserve des normes et des évolutions de ces normes, les producteurs locaux trouvent d'autres approvisionnements ou inputs qui viendraient d'une proximité plus forte. Selon vous, un volume vous permettrait-il d'assurer cette desserte ?

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Je crois qu'il faut garder à l'esprit que ce qui est consommé dans les outre-mer est ce qui est consommé ici en métropole. Nous consommons de nombreux produits frais fabriqués en France, mais également de nombreux produits importés de l'étranger. Une fois de plus, les volumes importés dans les DOM-TOM n'étant pas suffisants pour justifier des expéditions en bloc depuis ces pays étrangers, la Chine, par exemple, il est tout d'abord nécessaire d'expédier des marchandises depuis la Chine vers la métropole, de les vendre pour très bonne partie à l'ensemble de la population, la métropole, et de consolider certains éléments ensemble à destination des DOM-TOM. Il me semble que malheureusement, la capacité de ces départements à agréger suffisamment de volumes à leur destination est assez limitée.

Je peux à nouveau évoquer le sujet des Antilles ; le problème sera bien de réussir à mettre sur le chemin du navire des ports autres que les Antilles qui auraient eux aussi les mêmes points d'origine de marchandises présentant un intérêt pour être sur le même bateau. Appréhendez-vous le sujet ?

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Pas précisément. Je prendrais l'exemple des plaques de plâtre. Il m'a été expliqué que la norme européenne demandait une épaisseur de 13 mm alors que les normes d'Amérique centrale et même américaines d'une manière générale sont de 11 mm d'épaisseur. J'ai beaucoup de mal à croire que toute la sécurité d'un bâtiment réside dans ces 2 mm. Si je vous suis bien, il reste envers et contre tout plus rentable de faire en sorte que les produits viennent de l'Hexagone eu égard à un phénomène de massification plutôt que de chercher à créer des parcours qui passeraient par des producteurs plus proches.

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Philippe Lestrade, président de MSC France

Je ne suis pas compétent pour me mettre au niveau des importateurs de plaques de plâtre, je pense effectivement que c'est le sujet. Grâce aux volumes de la population métropolitaine, nous bénéficions d'économies considérables et de marges de négociation sur nos achats qui sont une fois de plus consolidées au bénéfice des outre-mer. Vous semblez aimer le bricolage. Notez que deux grandes enseignes françaises importent des biens pour les vendre dans les magasins de bricolage en métropole. Celles-ci effectuent cette consolidation à destination des DOM-TOM ici même. En effet, plutôt qu'avoir besoin de 50 000 perceuses, 200 perceuses seront peut-être nécessaires.

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Tout dépend cependant des DOM-TOM. La Réunion est pour sa part bien plus ouverte à un commerce tendant à se fournir de produits par d'autres origines que celle de la France métropolitaine. Il est vrai que les Antilles ont cette tradition de fournitures en France métropolitaine.

En outre, vous évoquez le service public, et je tiens à préciser que je ne suis pas compétent en la matière. Je suppose que vous imaginez une sorte de ferry qui fait l'aller-retour entre la France métropolitaine et les DOM-TOM. Je pense alors que vous privez les DOM-TOM de cette possibilité d'approvisionnement par ailleurs. Il est possible de soulever le pouvoir d'achat métropolitain. J'ignore si ce principe bénéficie également aux personnes dans les DOM-TOM et je ne me prononcerai pas sur le sujet. Monsieur le rapporteur, vous pourriez échanger avec vos collègues réunionnais ; La Réunion s'est peut-être plus ouverte que les Antilles. Bien évidemment, je ne cherche pas à critiquer qui que ce soit. En notre qualité d'armateur global cependant, nous avons un rôle plus pertinent à jouer pour La Réunion étant donné que La Réunion s'approvisionne un peu partout dans le monde, contrairement aux Antilles.

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Raymond Vidil, président de Marfret

La situation aux Antilles a changé. Les lignes que nous proposons sur les Antilles englobent la Belgique, l'Angleterre, la France. Nous chargeons beaucoup en Italie et en Espagne. Le service se prolonge sur l'Amérique centrale ; de nombreux produits de l'Amérique centrale y sont en effet apportés. Cette question d'un itinéraire global que l'entreprise a construit avec son histoire, et dont les DOM-TOM bénéficient en s'insérant dans un système de transport plus global qui permet la compétitivité, est à mon sens une notion très importante à retenir.

Par ailleurs, le sujet du service public relève de la décision politique, il est toutefois nécessaire d'arbitrer. La libre concurrence a conduit à la qualité de la desserte et aux prix bas. Je pense que nous pouvons nous en féliciter, même si des éléments sont probablement à corriger. Il ne faudrait pas partir du principe qu'aujourd'hui, les services qui sont proposés vers ces destinations ne sont pas compétitifs. La vie chère ne vient pas du transport maritime, mais de l'insularité et de l'absence de la production locale qui est tout à fait insuffisante. Si vous deviez emprunter la voie d'un service public, notez en premier lieu que l'actuel service est quasiment public et ne coûte rien à notre nation, puisqu'il est opéré par des armateurs qui, dans le cadre de leur concurrence, fabriquent des itinéraires, améliorent la qualité de service et, en se concurrençant, adaptent la qualité de leurs réponses.

Enfin, nous qui sommes autour de la table, nous avons une responsabilité économique que nous exprimons. Nous sommes très attachés à la relation avec les communautés portuaires que nous desservons. Nous sommes en relation permanente avec nos autorités, préfets, ports. Vous avez à vos côtés des partenaires pour réfléchir sur la qualité de cette desserte.

J'ai compris que le rapporteur n'avait pas une bonne idée du BQP parce que celui-ci ne touchait pas suffisamment de produits. Je vous demande néanmoins de retenir l'idée selon laquelle le BQP a mis en place un blocage du coût du transport maritime depuis sa mise en œuvre. Pour ce qui concerne notre compagnie, je vous certifie que la situation devient problématique. Nous espérons que la question qui a été mise en place à titre provisoire sera bien provisoire.

Puisque chacun d'entre nous a cité l'intermédiation du transitaire, il me semble que la commission devrait également avoir une relation d'entretien avec cette profession qui est celle qui met en œuvre la facturation du déplacement du produit auprès des importateurs.

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Cet échange est très intéressant et nous permet de mieux comprendre le fonctionnement de ces pratiques, bien que je sois interpellé par la gentillesse avec laquelle vous exprimez l'effort qu'aurait fait votre concurrent sur notre marché pour permettre à ces conteneurs d'être à un prix très bas. Nous avons un peu avancé, car vous nous avez expliqué l'impact de l'acheminement sur la formation des prix. Nous avons également entendu que La Réunion s'était plus ouverte que les Antilles. Que faudrait-il faire alors pour ouvrir le marché aux Antilles ?

Pratiquez-vous les mêmes prix dans les îles proches de la Guadeloupe et de la Martinique ? Je pense en effet que vous vous y rendez également. Facturez-vous les mêmes services aux mêmes prix que sur ces îles ? Collaborez-vous avec ces pays proches de chez nous ?

Je précise qu'il s'agit pour nous de bien comprendre le fonctionnement. Nous sommes interpellés par les prix pratiqués chez nous, par la cherté de la vie. Nos questionnements n'ont pour autre but que de comprendre le fonctionnement de ces pratiques, si des efforts pouvaient être faits ici ou là pour permettre à nos territoires de subir un peu moins la pression des prix. C'est bien l'objectif de notre commission d'enquête. C'est la raison pour laquelle le rapporteur essaie de creuser avec vous la situation qui est la nôtre. Selon moi, votre modèle économique doit se tourner vers les îles avant de revenir vers l'Hexagone avec des conteneurs complètement vides. Je voudrais bien comprendre. Je vous remercie de nous permettre d'appréhender ces principes et de comprendre la manière avec laquelle la baisse de 750 euros vous a empêchés de vous retrouver sur notre voie maritime. Vous avez en effet évoqué cette ligne maritime. Pour quelles raisons ne l'empruntiez-vous pas auparavant ?

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Je n'ai pas de réponse précise à apporter puisque Hapag Lloyd n'est pas présent aux Antilles. Je pense qu'il revient surtout à M. Vidil d'y répondre. Néanmoins, et je pense que M. Vidil l'a déjà exprimé en partie, je tiens à souligner que les Antilles se sont ouvertes au monde par rapport au réseau maritime qui les dessert aujourd'hui. Croire que les dessertes maritimes limitent les Antilles à s'ouvrir vers d'autres origines est à mon sens une erreur. Je pense que vous avez cette possibilité, que vous l'avez entièrement et depuis longtemps. Je conseillerais aux importateurs et aux exportateurs antillais de ne pas considérer qu'ils sont limités au niveau des approvisionnements par les produits maritimes en place aujourd'hui. Interpréter la situation de la sorte relève de l'erreur selon moi. Je ne sais pas si Raymond Vidil est d'accord avec moi sur ce point.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Je tiens à souligner que j'apprécie beaucoup la qualité de cet échange et j'espère qu'il en ressortira que nos autorités, avec les armateurs, ont des collaborations pour bien expliquer les phénomènes, ne pas se tromper sur l'analyse et apporter les bonnes réponses. De la même façon que le président semblait apprécier le bricolage et le Placoplatre, j'apprécie pour ma part le développement du grand marché antillais. Depuis 2000 et depuis les tables rondes auxquelles j'ai toujours participé, j'ai mis en place un service inter-îles entre Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Guadeloupe, Martinique pour créer le grand marché antillais. Plusieurs filières agricoles, plusieurs filières de viennoiseries, de boissons, de portes et de fenêtres, de fosses septiques ou de grillages ont pu s'accroître en développant l'emploi local. Si 350 000 habitants représentent un seuil industriel insuffisant, 700 000 habitants sont plus importants. Il convient de pointer en l'occurrence une des explications de la plus grande ouverture ou de la moindre dépendance de La Réunion, avec une population plus forte à un seuil industriel qui a permis à bon nombre de filières de s'y développer, de créer de l'emploi et d'être moindrement dépendante des produits importés, générant ainsi une concurrence et une compétition entre le produit fabriqué localement qui viendra en substitution avec celui qu'il ne sera plus nécessaire d'importer. Cette conduite doit constituer un objectif national pour chacun de nous. Nous avons pour notre part mis en place un service avec un navire dans lequel nous avons investi qui effectue cette liaison de façon hebdomadaire.

Hormis les îles que je viens de citer, qui sont petites et qui sont desservies par transbordement, ce qui implique un coût plus élevé, nous ne desservons pas les îles à proximité. Les destinations continentales que nous réalisons dans le cadre de notre itinéraire nous ont permis, grâce à leurs volumes et à leur rentabilité, de tenir la position sur la desserte des Antilles au moment où les frets y avaient baissé. Marfret s'en est ainsi sorti ces dernières années grâce au volume des destinations continentales, Brésil, Amérique centrale, États-Unis et grâce à l'investissement que nous avons fait dans les navires qui nous ont permis de maîtriser nos coûts dans la mise en œuvre du transport réalisé.

En synthèse, je conviens que le navire a toujours eu cette symbolique de montrer l'éloignement. Du reste, imaginer que le navire en soi est responsable de la vie chère dans les départements d'outre-mer est une erreur. Les prix ont augmenté aux Antilles, à La Réunion, parce que les prix des marchandises ont augmenté. Un conteneur d'huile Lesieur, par exemple, est passé de 20 000 euros à 40 000 euros. Le transport de ce conteneur représente ainsi 2 000 euros plus la surcharge de combustible (BAF). Ramené à la bouteille d'huile, ce n'est certes rien du tout. Bien évidemment, un impact plus important ressortira sur les plaques de plâtre puisque la marchandise sera plus pauvre. L'Autorité de la concurrence a démontré à deux reprises que le transport maritime faisait partie de la solution et que celui-ci n'était pas le responsable de la vie chère. Nous sommes à votre disposition pour continuer à apporter des améliorations.

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Nous sommes parfaitement sous les 5 % que représente le transport maritime dans la formation du prix, du poids en matière de coûts. Et comme nous remontons toute la chaîne, monsieur Vidil, sans certitude, mais avec des convictions et avec beaucoup de nuances, dans la chaîne, nous retrouvons la question logistique et de transport. Je vous invite à me fournir les éléments factuels, la facturation que vous avez, parce que nulle part sur le BQP je n'ai relevé que le fret maritime avait été bloqué pendant trois ans. Aussi, si vous détenez ces éléments que je n'ai pas vus, je vous demande de me les communiquer de manière factuelle. Je serais ainsi en mesure d'avoir une idée précise sur ce point.

Je souhaitais par ailleurs évoquer un deuxième élément, et vous en avez fait l'exemple à travers les bouteilles d'huile. J'ai bien compris que certains d'entre vous n'iraient pas sur le marché détenu par la CMA CGM. Seul M. Ellemann-Jensen laisse le sentiment d'une possible ouverture et d'une possible concurrence. Je parle d'un principe économique simple, et sans être un économiste, il va de soi que plus il y a de concurrents, moins c'est cher. Selon moi, toute entreprise qui se respecte a envie de se développer. J'espère que c'est là le souhait de Marfret et que celui-ci ne se limitera pas simplement à équilibrer sa situation bien difficilement en utilisant les apports des territoires voisins, d'après ce que j'ai pu comprendre. De manière très concrète, la CMA CGM facture les prix aux conteneurs et non pas au type de produits à l'intérieur du conteneur. C'est ce qu'ils appellent l' ad valorem. Dans cette optique, un conteneur d'écrans plats coûte le même prix qu'un conteneur de pâtes.

Pratiquez-vous le même type de fonctionnement ? Ce qui me paraît absurde parce que le prix de revient des pâtes, en valeur ajoutée, est bien plus cher. Je reste dans les 5 % de ce que représente le transport dans la chaîne et dans le coût, je n'irai pas plus loin. Je ne suis pas en train d'affirmer que vous êtes les seuls responsables, des intermédiaires sont présents dans la chaîne. La commission doit clairement avoir connaissance des mécanismes de construction des prix. J'aurais là également souhaité obtenir des éléments sur la BAF, comprendre le calcul de la BAF sur les trois dernières années qui a explosé. Celle-ci fait donc ressortir des conséquences en matière de coût eu égard à une nécessaire répercussion.

Fonctionnez-vous également en volume de prix de conteneurs ? Je veux simplement savoir si vous avez le même type de fonctionnement ou si vous facturez différemment, en fonction du type, de la valeur du produit qui se trouve dans le conteneur.

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Raymond Vidil, président de Marfret

C'est très intéressant. Lorsque j'ai démarré les Antilles, la tarification était sous couvert d'une conférence maritime. Le principe de la tarification était justement à la valeur. Sous la pression des chargeurs européens et de l'Autorité de la concurrence qui a régi nos activités, et du fait de la fabrication du coût du transport, ces principes de tarification ont volé en éclats et ont été remplacés par des tarifications qui se sont standardisées. Il faut bien reconnaître que le conteneur s'est prêté à ce contexte, puisque hormis le poids, les dimensions des conteneurs se sont standardisées. Nous ne pratiquons pas de tarifications à la valeur, sauf cas tout à fait exceptionnels pour des questions assurantielles.

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Raymond Vidil, président de Marfret

La fin des conférences date de 2008.

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Il serait peut-être intéressant de transmettre des éléments par rapport aux choix opérés à cette période.

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Raymond Vidil, président de Marfret

Pour ce qui concerne Marfret, ne vous trompez pas, nous détenons environ 20 % de parts de marché sur les Antilles et 30 % sur la Guyane. Notre part est également très significative sur le Pacifique. Nous nous battons, mais il faut nous reconnaître aussi notre droit de privilégier la rentabilité à la part de marché, parce que les taux de fret qui sont pratiqués ne nous permettent pas d'augmenter nos parts de marché.

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Ce phénomène de tarification aux conteneurs est un phénomène global. L'exception antillaise qui a duré jusqu'en 2008, comme l'expliquait M. Vidil, et j'en ai effectivement le souvenir, s'est arrêtée bien avant dans d'autres marchés. En tant que client d'un produit de valeur pauvre, je peux comprendre l'injustice que cette personne ressent, c'est néanmoins la pratique globale qui se fait.

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L'assurance du produit vient-elle compenser ? J'imagine que les assurances sont différentes selon que le produit soit un écran plat ou des pâtes.

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Claus Ellemann-Jensen, directeur général de Hapag Lloyd France et ancien directeur de Maersk France

Oui, mais sauf exceptions extrêmes, nous ne sommes pas vraiment concernés par ce phénomène. Il est de fait possible de trouver des produits pharmaceutiques d'une valeur importante ou des matières dangereuses très particulières. Nous parlons de zéro virgule quelques pour cent. C'est vraiment dans l'exceptionnel.

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Pourriez-vous nous faire parvenir la liste de vos transitaires sur les schémas qui concernent les dessertes avec les Antilles, la Guyane et La Réunion, les collectivités d'outre-mer ?

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Raymond Vidil, président de Marfret

Ce ne sont pas nos transitaires. Les transitaires sont nos clients, nous ne les choisissons pas. M. Lestrade a très bien expliqué ce principe : nous sommes mis quotidiennement en concurrence par les importateurs au travers des commissionnaires de transport qu'ils choisissent, qui nous interpellent et qui font la sélection en tenant compte du prix, de la qualité du service, du délai d'acheminement ou transit time, de la capacité que nous avons sur les navires et de la diversité des conteneurs que nous mettons à disposition.

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Nous vous remercions de nous communiquer la liste des transitaires avec lesquels vous travaillez, s'il vous plaît.

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Je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges par écrit concernant les questions qui vous ont été posées pendant cette audition et de nous renvoyer par écrit les réponses aux questionnaires qui vous avaient été envoyés il y a quelques jours afin de préparer cette séance.

L'audition s'achève à quinze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, Mme Joëlle Mélin, M. Philippe Naillet, M. Guillaume Vuilletet.

Excusée. – Mme Estelle Youssouffa.

Assistait également à la réunion. – M. Elie Califer.