Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Réunion du jeudi 1er juin 2023 à 14h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Jeudi 1er juin 2023

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)

La commission auditionne, sous forme de table ronde, les représentants des opérateurs de télécommunications présents dans les outre-mer :

– M. Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques d'Orange, Mme Claire Chalvidant, directrice des relations institutionnelles et M. Thierry Kergall, directeur Orange Antilles et Guyane ;

– Mme Marie Lhermelin, secrétaire générale adjointe, directrice des relations institutionnelles et de l'engagement du groupe Altice-SFR et M. Grégory Burlinchon, directeur outre-mer ;

– M. Melchior de Malleray, directeur général de Free Caraïbe et Mme Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques de Free - Groupe Iliad ;

– M. Jacques du Puy, président de Canal+ International et Mme Aline Alix-Donat, directrice générale de Canal+ Outre-mer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en organisant cette table ronde consacrée aux coûts des services de télécommunication dans les Outre-mer, en présence des opérateurs. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes par société, qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Laurentino Lavezzi, Mme Claire Chalvidant, M. Thierry Kergall, Mme Marie Lhermelin, M. Grégory Burlinchon, M. Melchior de Malleray, Mme Ombeline Bartin, M. Jacques du Puy et Mme Aline Alix-Donat prêtent serment).

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Jacques du Puy, président de Canal+ International

Nous sommes présents suite à votre demande pour échanger sur les différentes activités télécoms en outre-mer. Nous sommes en fait Canal+ Télécom, un opérateur alternatif présent en Martinique, en Guadeloupe, dans les îles du nord, en Guyane et à La Réunion. L'origine de cette entreprise est Mediaserv, un opérateur alternatif lancé il y a une douzaine d'années et que nous avons repris à moment où il était en procédure de redressement de sauvegarde, en 2014. Nous proposons uniquement des offres Internet et téléphonie fixe. Nous n'avons pas d'activité mobile. Nous sommes présents sur l'ADSL – Asymmetric Digital Subscriber Line – et la fibre optique. Quand nous avons repris l'entreprise, elle regroupait 110 personnes et, aujourd'hui, nous en comptons 130. Les collaborateurs sont en grande majorité implantés localement. Nous sommes un petit opérateur, avec 150 000 abonnés. Nous menons aussi une activité de commerce entre entreprises ou business to business (B2B), destinée aux entreprises. Au moment de la reprise, nous avons dû soumettre le dossier à l'Autorité de la concurrence. L'autorisation s'est accompagnée d'un certain nombre d'engagements, sur lesquels nous reviendrons, mais qui limitent un peu notre marge de liberté.

Notre particularité est que nous sommes un opérateur de petite taille. Tous nos coûts doivent être finalement arbitrés sur la base d'abonnés, ce qui limite quand même notre flexibilité économique.

Je reviens sur ces fameux engagements de l'Autorité de la concurrence, qui courent encore à date, quasiment dix ans après. Ils nous contraignent à exercer nos activités commerciales en respectant un niveau de marge positif sur l'ensemble des produits et territoires que nous couvrons. Cette contrainte nous empêche de lancer des offres commerciales pour conquérir des parts de marché qui ne seraient pas rentables. C'est un petit peu la limite de notre flexibilité.

Aujourd'hui, nous sommes à peu près à l'équilibre en termes d'objectifs opérationnels, mais en continuant à investir énormément. Nous avons investi plus de 100 millions d'euros sur la fibre, qui est un vecteur important sur les territoires, et en particulier à La Réunion où aujourd'hui l'île est quasiment fibrée. Cela ne veut pas dire que tous les foyers sont équipés de la fibre. Compte tenu de la topologie de l'île et de l'habitat, nous faisons face, pour un cas sur dix, à des raccordements dits complexes. C'est-à-dire que la part qui resterait à la charge du foyer est importante. Nous avons mis en place un système d'aide financière ou de subvention. Nous soutenons nos futurs abonnés à hauteur de 500 euros pour l'installation. Mais pour un nombre de cas assez important, cette subvention ne couvre pas l'ensemble des surcoûts et donc le client doit payer de sa poche. C'est quand même un frein pour rentabiliser tous les investissements faits sur l'île et pour faire en sorte que le maximum de foyers puisse être raccordé.

La deuxième contrainte spécifique est liée aux zones insulaires, avec des besoins en connectivité et câbles sous-marins. Les usages se développent et nous sommes sur une tendance annuelle d'augmentation de 50 % des débits consommés par chaque abonné. Un abonné consomme 50 % de plus de bande passante.

La concurrence forte sur ces territoires, aux Antilles, mais aussi à la Réunion, contribue au fait que nous n'augmentons pas nos prix. Nous avons seulement une valorisation de la fibre à 5 euros de plus par rapport à l'ADSL. Ce montant est bien loin de couvrir le surcoût de nos investissements en faveur de la fibre.

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Aline Alix-Donat, directrice générale de Canal+ Outre-mer

À notre sens, le pouvoir d'achat doit se regarder de façon systémique, peut-être pas simplement au regard de la question du prix, mais au regard de la qualité et de la complétude du service et des offres que nous fournissons. La structuration des tarifs des offres de Canal+ Télécom se fait en prenant en compte les impératifs économiques, mais aussi en poursuivant nos ambitions fortes pour ces territoires.

Je citerai en premier lieu celle de la continuité territoriale, cette volonté forte de fournir un service qui soit d'un niveau équivalent à celui de l'Hexagone. Ensuite, c'est l'enjeu d'accessibilité à la qualité et à l'innovation. C'est ce que l'on fait au travers de nos offres fibre, avec des offres « un gigaoctet » et même assez récemment « deux gigaoctets » à La Réunion. Je vous rappelle également que nous avons été le premier opérateur à proposer dans les territoires d'outre-mer la technologie Wifi 6 permettant aux abonnés de mieux profiter de leur abonnement au sein de leur foyer.

L'autre engagement fort est celui du désenclavement des collectivités. Cet objectif, je dirais même cet impératif de résilience numérique, se traduit par les lourds investissements qu'évoquait Jacques à l'instant, ces investissements dans la capacité sous-marine, dans ces câbles qui nous permettent d'écouler le trafic et de connecter les réseaux locaux à l'Internet mondial.

Pour finir, il y a un enjeu fort sur la complétude des raccordements effectifs à la fibre et cette prise en charge des travaux complémentaires pour limiter les échecs de raccordement et offrir le même accès à Internet très haut débit à tous, et ceci quelle que soit la situation de l'abonné.

Enfin, ce que nous souhaitions partager avec vous, c'est que la transformation numérique des territoires constitue un précieux levier de développement pour sortir de ce contexte dégradé par rapport à l'Hexagone. Il nous semble que c'est aussi un moyen puissant d'expression des potentiels et des richesses de ces collectivités. C'est une ambition dans laquelle nous devons tous nous engager, aussi bien les parties prenantes publiques que privées. L'exemple de La Réunion est vraiment éloquent. Dans les prochains mois, La Réunion sera éligible à 100 %, la plaçant comme la seconde région la plus fibrée de France.

Nous aimerions que d'autres territoires soient également fibrés. Il faudrait lever cette problématique des raccordements longs et complexes. À ce titre, il faut vraiment être ambitieux et les collectivités le sont. Je voudrais souligner la mobilisation très forte des collectivités de Guadeloupe et de Martinique. Dans quelques mois, ce sont plus de 100 000 prises qui seront déployées dans les zones en réseau d'initiative publique (RIP) dans chacun de ces deux territoires. Un dialogue fructueux est mené avec les collectivités locales sur la résolution des problématiques des raccordements longs et complexes, et c'est notamment le cas en Guyane.

Nous voudrions soumettre à votre expertise ces deux pistes. La première serait celle du réflexe ultramarin qui nous paraît nécessaire dans la décision nationale pour prendre en compte les spécificités locales. Nous avons pu déplorer à plusieurs reprises, notamment dans des dispositifs d'aide à la transformation numérique pourtant si nécessaires, que cela n'avait pas été le cas. En revanche, il y a vraiment des mouvements dans ce sens, c'est le fameux réflexe ultramarin qui se crée, notamment grâce à l'impulsion de la direction générale du ministère des Outre-mer.

Plus concrètement, nous pensons, en termes de pistes, à la prolongation de dispositifs d'aides publiques dédiés à la spécificité des outre-mer. Je cite notamment le dispositif ultramarin du fonds de soutien pour le numérique, qui permet de contribuer au financement du patrimoine des câbles sous-marins. Il ne s'agit pas du tout ici de sur-subventionner, mais d'accompagner l'investissement des opérateurs locaux alternatifs que nous sommes pour créer un levier au bénéfice des collectivités ultramarines.

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Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques de Free – Groupe Iliad

En quelques mots d'introduction, Free est une société créée en Hexagone il y a un peu plus de vingt ans, d'abord sur les activités fixes, puis mobiles. Nous nous sommes lancés sur le marché mobile métropolitain en 2012, soit à peu près 15 ans après nos concurrents. Nous comptons aujourd'hui 21 millions d'abonnés en France, 14 millions sur le mobile, 7 millions sur le fixe, 10 000 collaborateurs. Notre groupe est détenu à 100 % par nos dirigeants et sociétés, après être sorti de la bourse il y a quelques années. Nous sommes entrés dans le marché mobile avec une promesse forte de pouvoir d'achat qui, je pense, a été tenue. La promesse du groupe était de rendre des offres accessibles à tous, des offres généreuses au juste prix.

Nous avons lancé deux offres en 2012, une offre à 2 euros pour permettre aux personnes à faibles revenus de pouvoir accéder à une première offre de communication électronique et une offre à 19,99 euros qui, elle, avait comme spécificité d'offrir les SMS en illimité et un forfait généreux de datas. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ont montré que notre démarche avait permis de baisser la facture des télécoms en métropole de près de 40 % entre 2012 et 2016. On est passé de 27 euros en facture moyenne à environ 14,60 euros sur le territoire métropolitain.

Le prix de nos deux offres depuis 2012 n'a pas changé. La promesse a été faite de maintenir jusqu'en 2027 a minima le prix de ces offres dans le contexte inflationniste que l'on connaît. Avec cette stratégie et ce bilan, nous avons eu envie de pouvoir nous lancer dans les outre-mer quand l'opportunité s'est présentée. La première action que l'on a entreprise en faveur des territoires ultramarins était d'inclure, dès le début des offres mobiles, dès 2013, les communications fixes et mobiles vers les départements d'outre-mer (DOM) dans les forfaits.

La seconde, et nous avons été le premier opérateur à le faire, a été d'inclure l'itinérance ou roaming depuis les DOM sans surcoût. Nous l'avons fait avec deux à trois ans d'avance, en amont de la réglementation française puis européenne. La volonté était de réduire la fracture que l'on pouvait constater entre les territoires ultramarins et le territoire métropolitain. Dans les années d'après, l'Arcep a ouvert de nouvelles fréquences mobiles, d'abord sur La Réunion et Mayotte, puis sur les Caraïbes et nous avons donc été candidats et obtenu des fréquences dans l'ensemble de ces territoires. Aujourd'hui, nous sommes présents à La Réunion, à Mayotte et dans l'ensemble des territoires Caraïbes et Guyane.

Nous avons lancé notre offre à La Réunion – ça a été la première offre lancée – en 2017, avec une offre d'abondance à un prix qui défiait toute concurrence à l'époque puisqu'il s'agissait de 9,99 euros. On permettait aux Réunionnais d'avoir les appels et les SMS illimités et 25 gigaoctets de datas ou données en roaming, itinérance, depuis la métropole, le reste de l'Europe ou le reste des DOM. C'était à peu près trois fois moins cher que l'offre mobile que l'on trouvait sur le marché pour la même quantité d'usage à l'époque.

À Mayotte, nous nous sommes lancés une année plus tard, en 2018, sous la marque Only, la différence de marque s'expliquant par la différence de marché, puisque l'offre Free est une offre sans engagement. C'est un forfait, c'est un abonnement. Les offres à Mayotte permettent d'adresser les spécificités du marché, avec un faible taux de bancarisation donc des offres en prépayé et en abonnement. Ce sont les mêmes prix qu'à La Réunion.

Le dernier lancement commercial a pris part sur le territoire des Caraïbes et de la Guyane il y a un an.

J'aimerais vous montrer les évolutions du marché depuis le lancement de notre offre à La Réunion, puisqu'on a maintenant cinq ans de recul. Il est plus facile d'avoir des données que sur le marché des Caraïbes. Dès 2018, l'observatoire des prix, des marges et des revenus avait produit une étude pour évaluer l'impact de l'offre de Free Mobile sur le marché réunionnais et concluait que le marché mobile réunionnais était devenu comparable, en termes de services, à celui de la métropole depuis le lancement de notre offre. Cela a permis un gain de pouvoir d'achat d'environ 60 euros par an et par Réunionnais. Selon les données de l'Arcep publiées récemment, la facture moyenne à La Réunion a baissé de plus de 10 % sur ces années.

Si la baisse est moins forte aujourd'hui, elle se poursuit néanmoins. À La Réunion, les tarifs n'ont pas augmenté malgré le contexte inflationniste. Nous n'avons pas augmenté nos offres et la facture moyenne réunionnaise continue de baisser. Donc, l'effet demeure dans le temps. Avant notre lancement sur le marché réunionnais, la concurrence était limitée, avec un acteur historique qui occupait une forte position. Les usages étaient très limités, avec beaucoup de forfaits où la voix et le SMS étaient limités et la plupart des forfaits datas étaient limités autour d'un giga. On avait aussi une proportion élevée d'offres avec engagement et prépayées.

Depuis notre lancement, les usages ont explosé. La voix a fait 40 % dès la première année de notre lancement. C'était à peu près quatre fois plus que ce que l'on constatait dans les autres territoires ultramarins. Ça a été aussi la plus forte croissance des usages de données, avec plus de 700 % constatés entre 2015 et 2018. Nous avons vu une nouvelle dynamique concurrentielle. La croissance du secteur est repartie. Les derniers chiffres de l'Arcep montrent que le secteur enregistre aujourd'hui une croissance de 2,5 %, alors qu'elle était au préalable plutôt atone. Nous voyons que cela a servi aussi au déploiement des infrastructures, puisque le territoire réunionnais a été l'un des premiers territoires ultramarins à être couvert globalement par la 4G.

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Melchior de Malleray, directeur général de Free Caraïbe

Aux Caraïbes, nous venons de fêter la première année du lancement de Free Caraïbe, qui comprend deux offres, une offre à 2 euros, qui est la même offre que celle qu'on va retrouver en France hexagonale, et une offre à 9,99 euros, avec une offre d'abondance et 120 gigaoctets. Cette offre est six fois moins chère que les offres d'abondance sans engagement. Notre arrivée dans les Antilles a suivi de quelques années celle à La Réunion et le marché a eu le temps de s'adapter à notre arrivée ici en Caraïbe.

Ce que l'on peut voir d'ores et déjà, c'est un gain de pouvoir d'achat avec une forte baisse sur les prix des abonnements d'abondance. En mai 2022, on était autour de 40 ou 50 euros et aujourd'hui, on est plutôt aux alentours de 25 ou 30 euros. L'offre Free reste bien sûr la moins chère des offres d'abondance et on maintient tout prix dans ce contexte inflationniste.

En termes de libération des usages, plusieurs offres ont depuis proposé la voix en illimité. La consommation de données a fait un bond, avec aujourd'hui une consommation moyenne de 22 gigaoctets par mois par abonné. On se rapproche de la consommation dans l'Hexagone.

Enfin, sur la dynamique concurrentielle, nous nous appuyons sur la base de données de l'Arcep de fin 2022, qui montre que la croissance a été de 5 % en un an, un niveau deux fois plus élevé que ce qui était observé l'année dernière sur ces mêmes territoires, et aussi deux fois plus élevé que la métropole.

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Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques de Free – Groupe Iliad

Je pense que nous avons dit l'essentiel. Le message que nous voulons porter consiste à dire que notre arrivée a insufflé un nouvel élan concurrentiel qui s'est traduit par des gains de pouvoir d'achat, constatés à La Réunion, avec le recul dont on dispose, et qui sont en train d'être constatés dans les Caraïbes, avec moins de recul. Près de 200 millions d'euros ont été investis dans les réseaux de ces territoires. Pour nous, aujourd'hui, si le marché des télécoms a longtemps souffert d'un déficit concurrentiel et pointé du doigt par l'Autorité de la concurrence, l'arrivée de Free a permis de rééquilibrer la situation au bénéfice des consommateurs.

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Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques d'Orange

Merci pour cette invitation qui est une occasion pour nous de parler de nos investissements dans les outre-mer, de notre empreinte économique et de saluer l'action sur le terrain de nos milliers de collègues qui exploitent, opèrent et commercialisent nos offres dans les Caraïbes, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. C'est aussi pour nous l'occasion de peut-être tordre le cou à quelques idées reçues, notamment les sujets tarifaires, qui sont au cœur de cette table ronde. Il s'agit, quand on parle d'accès aux communications à l'Internet, de dépenses contraintes.

Certes, quand on est en difficulté financière, on peut toujours arbitrer entre le fixe et le mobile. Généralement, on arbitre en faveur du mobile. En revanche, on ne peut pas vivre aujourd'hui sans accès aux communications, sans accès à l'Internet. C'est une dépense contrainte et c'est donc toujours trop cher. C'est comme cela qu'on le ressent. Pour autant, le prix du gigaoctet de data a très significativement diminué ces dernières années, car la concurrence est vive sur ces territoires comme en métropole. Quand on observe d'ailleurs les services offerts dans les territoires avoisinants, les îles proches comme Saint-Domingue, Saint-Martin côté hollandais, l'île Maurice côté Réunion et Mayotte, on voit bien qu'on est très content d'être plutôt dans les territoires d'outre-mer français.

L'entreprise Orange est bien évidemment soucieuse d'apporter les meilleurs services et une offre de qualité. L'infrastructure télécom est l'ADN d'Orange, qui a un long héritage. Vous connaissiez France Télécom et, avant, la direction générale des télécommunications du ministère des postes et des télégraphes (PTT).

Nous sommes en toute logique numéro un en termes de qualité de service sur le mobile, sur tous les territoires où nous sommes, avec une couverture de la population supérieure à 99 %, que ce soit à La Réunion, en Guadeloupe ou en Martinique et 95 % de la population est couverte en Guyane. Ce sont des investissements très importants puisque nous investissons de façon conséquente pour déployer ces réseaux, que ce soit les réseaux de fibre optique ou les réseaux 4G qui n'ont rien à envier au réseau métropolitain en termes de qualité de service. Par ailleurs, Orange est le seul opérateur à proposer sur ces territoires la voix sur 4G et sur Wifi.

Nous employons plus de 2 000 salariés dans les territoires ultramarins, 1 200 environ aux Antilles et en Guyane et 800 à La Réunion et à Mayotte. Ces investissements sont faits sur le terrain et, par effet d'entraînement, génèrent de la croissance. Je n'ai pas le chiffre précis des investissements sur l'ensemble de ces territoires depuis ces dix dernières années, mais si on regarde la Guyane et les Caraïbes, on doit être aux alentours de 800 millions d'euros d'investissement dans les réseaux.

C'est un investissement permanent parce qu'au-delà de la modernisation, du déploiement toujours plus capillaire et d'une couverture mobile toujours plus profonde et toujours plus performante, il y a aussi, dans les territoires ultramarins, des aléas climatiques forts et des réseaux qui sont à reconstruire, comme on a pu le connaître notamment à Saint-Martin et Saint-Barthélemy après le passage des cyclones. Plus de 50 % du réseau a été détruit à Saint-Martin. De nombreux investissements visent à traiter la résilience de ces réseaux qui est au cœur des préoccupations de nos clients et concitoyens dans les Outre-mer.

Nous investissons aussi, comme vous le savez, dans les câbles sous-marins. C'est d'ailleurs une partie des surcoûts pour adresser les offres et nos services dans les outre-mer, puisqu'il faut de la capacité sur les câbles sous-marins et Orange intervient comme primo-investisseur sur les câbles, notamment avec un câble récemment posé en Guyane, qui a permis de décongestionner l'accès à l'Internet.

Sur ces marchés, je le disais, la concurrence est vive et cela se retrouve aussi sur les prix. Je vous passe, mais on pourra y répondre très volontiers, toutes les actions que l'on mène aussi en termes d'inclusion et de soutien aux associations pour l'insertion des jeunes, les fab lab s, laboratoire de fabrication de projets solidaires, les appels à projets solidaires qu'on lance depuis chez nous, les Orange centers que l'on a ouverts, notamment à la Réunion ou à Mayotte, avec déjà un certain nombre de personnes qui ont pu bénéficier des ateliers.

S'agissant du positionnement tarifaire, nous ne sommes clairement pas « dépositionnés » au regard de ce qui se passe en métropole, notamment sur le mobile. Nous proposons des offres accessibles à La Réunion, dès 4,99 euros, avec deux heures d'appel et des SMS et MMS illimités. Nous avons, à Mayotte, la recharge la moins chère du marché à 2 euros. Nous avons aussi des offres post-payées à travers une nouvelle gamme plus généreuse en datas et accessible dès 10 euros avec cinq gigaoctets de datas sur Mayotte.

Le sujet et la préoccupation concernent la prétendue cherté des offres. Il faut rappeler qu'opérer les réseaux télécoms, c'est opérer sur un marché capitalistique très intense. Les investissements sont continus. C'est bon pour la croissance, mais cela pèse fortement sur les résultats quand on est sur un marché où la concurrence par les prix est aussi intense. Chez Orange, notre ADN est l'excellence. Nous sommes sur la concurrence par l'investissement. Nous sommes sur la concurrence dans les infrastructures par la qualité de service. Mais quand on investit au soutien de cette qualité de service, entre le moment où l'on investit et le moment où la qualité est palpable, il se passe un petit délai, quelques mois, parfois un peu plus. En revanche, d'autres opérateurs qui ont moins investi, et c'est un choix stratégique, décident de mener une politique tarifaire agressive d'entrée de jeu, c'est immédiat. Les clients partent très rapidement, même si le réseau peut être dégradé. C'est vraiment une gageure que d'opérer des réseaux toujours plus modernes, plus capillaires et d'absorber les investissements. Je prendrai une année de référence, celle de mon arrivée chez Orange, en 2014. Le forfait mobile voix et SMS illimités, avec dix gigaoctets de datas, était proposé dans les Caraïbes à 70 euros. Aujourd'hui, il est proposé à partir de 14,99 euros chez Sosh, avec bien sûr les appels illimités, mais avec 40 gigas de datas et non 10 gigas. Il est à 29 euros avec 20 gigas et des appels illimités chez Orange. Depuis 2014, on a donc une baisse de 80 % du tarif d'une offre standard chez Sosh et une baisse de 60 % sur la marque Orange.

Dans la même période, le service s'est largement amélioré puisque le réseau est beaucoup plus capillaire et performant, avec des débits multipliés par dix. La capacité d'absorption du trafic a été démultipliée du fait de la croissance du trafic annuel. Ce sont donc des investissements très lourds, une qualité de service très significativement améliorée et, dans le même temps, une baisse de 60 % sur les tarifs des offres Orange et de 80 % sur les offres de Sosh.

S'agissant de l'évolution des prix des smartphones, l'iPhone 6 Plus coûtait en 2014 1 019 euros, soit 42 euros par mois pendant deux ans. On avait donc un forfait à 70 euros et l'amortissement d'un smartphone sur deux ans à 42 euros. Aujourd'hui, l'entrée de gamme iPhone 14 Pro Max s'élève à 1 479 euros, soit 62 euros par mois pendant deux ans. Donc d'un côté, on a une baisse des forfaits chez Sosh et Orange et, de l'autre côté, un prix de l'iPhone qui progresse de 50 %. En 2014, il fallait débourser 70 euros par mois pour le forfait mobile et 42 euros pour l'iPhone. En 2023, ce sont 15 euros pour le forfait et 62 euros pour le téléphone. Je pense que l'illustration est intéressante. Nous sommes très intéressés à mieux comprendre la structuration des tarifs, parce que c'est une dépense contrainte et qu'elle est lourde. Mais notre réalité, c'est que les tarifs ont significativement diminué sur les offres mobiles comme sur le fixe, alors qu'ils ont augmenté s'agissant des terminaux. Pourtant, les fabricants ne sont pas aujourd'hui autour de la table.

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Marie Lhermelin, secrétaire générale adjointe, directrice des relations institutionnelles et de l'engagement du groupe Altice-SFR

Je vous remercie de nous recevoir au cours de cette audition, qui nous donne l'occasion de vous éclairer sur les activités du groupe Altice dans les départements et régions d'outre-mer. Notre activité y est répartie en deux zones géographiques, la zone Antilles-Guyane d'une part, avec SFR Caraïbe où nous sommes présents depuis 2008 dans le fixe et depuis 2013 dans le mobile, et la zone Océan indien, d'autre part, avec SFR Réunion et SFR Mayotte.

L'activité fixe a été lancée en 2012, mais nous sommes présents depuis un peu plus longtemps sur le marché mobile, depuis 1995 à La Réunion et depuis 2001 à Mayotte. L'ensemble de ces entités représente près de 600 collaborateurs employés sur place. Chaque zone dispose de ses propres infrastructures de réseau fixe et mobile, de son propre réseau de distribution qui est un réseau important puisqu'on a 28 boutiques dans les Caraïbes et 19 pour La Réunion et Mayotte, de ses propres équipes d'ingénierie et de maintenance sur place.

Ces activités locales opèrent sous la marque SFR, mais disposent d'équipes de gestion dédiées aux départements d'outre-mer, qui sont en charge de définir notamment la stratégie marketing. Ces équipes définissent localement une stratégie tarifaire adaptée à chaque marché et à ses spécificités.

Altice investit très massivement dans les territoires ultramarins depuis de nombreuses années. Au cours des dix dernières années, nous avons investi 20 à 25 % de notre chiffre d'affaires local, ce qui représente plusieurs centaines de millions d'euros, dans le développement de nos réseaux et dans le raccordement de nos clients.

Ces investissements soutenus et les investissements des autres opérateurs d'infrastructures qui sont autour de la table permettent aux départements d'outre-mer d'être à l'avant-garde des services de télécommunication et j'en donnerai quelques illustrations. S'agissant des déploiements, La Réunion est reconnue comme un département de référence en matière de rapidité du déploiement de la fibre optique jusqu'au domicile – Fiber to the home ou FTTH, qui s'est fait rapidement par rapport aux autres zones en France.

Dès l'ouverture commerciale fin 2016, nous avons pu proposer sur l'ensemble des territoires sur lesquels nous sommes présents un taux de couverture 4G supérieur à 80 %. Enfin, la qualité de service en outre-mer est très régulièrement mise en avant dans les différentes enquêtes et c'est le cas de la dernière enquête annuelle Arcep Mobile 2022 ou des baromètres nPerf mobiles et fixes.

Aujourd'hui, sur ces territoires, le groupe Altice SFR occupe une place assez importante, avec au total près de 900 sites mobiles déployés sur les deux zones, et 99 % de ces sites équipés de la technologie 4G, ce qui représente une couverture de 92 à 99 % de la population selon les départements.

Sur le fixe, on compte environ 400 000 logements raccordables au FTTH, la fibre optique jusqu'au domicile, à La Réunion, qui ont été réalisés via l'opérateur d'infrastructures SFR via des co-investissements, et 300 000 logements raccordables aux Antilles-Guyane. Quant à Mayotte, un réseau FTTH d'initiative publique est en cours d'attribution sur la zone.

S'agissant des tarifs, qui est le cœur du sujet aujourd'hui, nous avons fait l'exercice d'analyser et de comparer nos offres fixes et mobiles en métropole et dans les départements et régions d'Outre-mer (DROM). Je précise d'entrée de jeu que des coûts techniques et structurels liés aux contraintes ultramarines pèsent spécifiquement sur nos investissements dans ces territoires. En complément de l'entretien des réseaux, la maintenance s'opère dans des conditions géographiques et météorologiques très spécifiques, qui génèrent des surcoûts significatifs. La taille des marchés, très inférieure à celle du territoire métropolitain, limite les effets d'échelle et réduit mécaniquement l'amortissement des coûts fixes.

Pour autant, nous offrons des services à des prix très compétitifs. Pour les mobiles, SFR Caraïbe et SFR Réunion proposent des offres d'entrée de gamme à des prix inférieurs à ceux proposés dans l'Hexagone. Pour le fixe, nos offres sont difficilement comparables entre elles parce qu'elles ne sont pas calibrées de la même manière avec de l'inclusion ou non de contenu TV premium, etc. Mais nous constatons qu'elles ont été, ces dernières années, continuellement enrichies tant sur les contenus qu'en termes de débit, sans s'accompagner d'une évolution des tarifs.

À titre indicatif, nous commercialisons par exemple une offre « starter fibre » à 39,99 euros sur la zone Antilles-Guyane, contre 34,99 euros pour SFR en métropole. Ces écarts tarifaires sur le fixe s'expliquent par le caractère insulaire des territoires et par l'absence d'effets d'échelle comparables à ceux de la métropole. Deux facteurs complexifient grandement nos déploiements : l'éloignement du territoire métropolitain d'une part et l'insularité d'autre part. Quand on parle d'éloignement territorial, pour être concret, on parle d'importation de capacités de stockage, d'acheminement du trafic télécom par le biais des câbles sous-marins. Ces problématiques, qui sont particulières, appellent des investissements très conséquents et des processus spécifiques qui n'ont évidemment pas d'équivalents en métropole. L'ensemble des équipements et matériels télécoms sont importés et donc soumis aux frais de transport et de stockage ainsi qu'aux droits et taxes locaux, pour un surcoût d'environ 15 à 20 %. Les stocks de construction et de maintenance doivent également être surdimensionnés pour anticiper les délais d'acheminement et les ruptures d'approvisionnement. Enfin, l'insularité et les besoins croissants de bandes passantes rendent indispensable d'investir lourdement en des capacités de transmission sur les câbles sous-marins.

À titre d'exemple, pour SFR Réunion seulement, l'effort d'investissement déployé dans la construction des câbles sous-marins s'élève à environ 4 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 4 millions d'euros par an de dépenses liées au transport des équipements et du matériel importé. Ensuite, ces zones sont soumises à des risques climatiques très sérieux et dont les conséquences augmentent également nos investissements de façon non négligeable. Nous sommes soumis à des normes de construction et de protection des infrastructures particulièrement sévères, mais justifiées, qui engendrent un surcoût de construction de l'ordre de 30 % par rapport à la métropole. Nous devons par ailleurs maintenir perpétuellement un stock catastrophe minimal.

Enfin, les risques climatiques nécessitent d'anticiper en permanence la possibilité pour ces territoires de se retrouver coupés du reste du monde pendant un laps de temps indéterminé. Il est par conséquent impératif que nous disposions d'infrastructures de cœur de réseau sur chaque territoire, sans lesquelles les communications, même infra-territoriales, ne pourraient être maintenues en cas de coupure. Cela engendre des surcoûts d'investissement et de fonctionnement très importants.

Les territoires en outre-mer ne bénéficient pas d'effets d'échelle comparables à ceux de la métropole. Ainsi, quand une infrastructure de cœur de réseau en métropole sert plusieurs millions, voire des dizaines de millions d'habitants, elle ne sert que des milliers d'habitants dans les DROM. L'amortissement de ces investissements s'en trouve évidemment pénalisé.

Toutes ces problématiques d'infrastructures, d'équipements, d'acheminement, de stockage répondent à des spécificités propres aux régions d'outre-mer et engendrent intrinsèquement des coûts de production supplémentaires qui se répercutent sur nos tarifs commerciaux.

Sur ce point, il faut noter que le territoire de La Réunion est un peu plus favorisé que les autres territoires, puisque la population réunionnaise est quasiment équivalente à celle des Antilles-Guyane au total, ce qui explique en partie l'écart de prix que l'on peut observer sur le fixe entre les deux zones. En partie seulement parce que l'écart de prix est aussi expliqué par le nombre plus important de câbles sous-marins qui sont nécessaires sur la zone Antilles-Guyane.

En conclusion, je voudrais souligner que la concurrence sur les territoires d'outre-mer est particulièrement rude. La bataille des prix entre les opérateurs est très présente, avec des prix très attractifs sur le mobile, tout le monde l'a souligné, et un peu plus élevés sur le fixe, du fait notamment des coûts d'infrastructures que je viens de détailler. Les tarifs de nos offres dans les territoires ultramarins sont adaptés au plus juste à chaque marché, en tenant compte des spécificités territoriales et économiques.

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Je vous remercie. La succession de ces exposés montre que la concurrence est réelle entre les différents opérateurs.

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L'absence de concurrence sur le marché de gros impacte-t-elle la structure des prix et, in fine, le prix de vente ? Des opérateurs de gros revendent à des opérateurs de détail et qui vendent aux clients en France hexagonale. Dans les DOM, il n'y a que des opérateurs de détail. Le seul opérateur de gros est Orange et quelques délégations de service public partielles comme Martinique Numérique et Réunion.

En matière de téléphonie mobile, les réseaux installés ont désormais vingt ans au minimum et les coûts initiaux sont amortis, notamment grâce à la défiscalisation. La modernisation des réseaux et leur entretien représentent un coût forcément moindre que les investissements initiaux. Le partage de pylônes est largement en place depuis plus de dix ans. Par ailleurs, la baisse du coût des technologies sur les vingt dernières années rend la modernisation moins chère. Pourquoi les coûts liés au réseau restent-ils si élevés ?

Sur la question de la téléphonie mobile, nous voyons que la concurrence a des effets réels sur la baisse des coûts et les offres aux usagers de nos territoires. Quel est le secret d'une différence de prix aussi conséquente entre Free et les autres opérateurs ?

Sur la question de la télévision, les coûts des réseaux satellites sont largement amortis. Le satellite Intelsat 901 a été lancé en 2001. Pourquoi les prix ne baissent-ils pas sur les services de télévision et au contraire s'envolent puisqu'on peut dépenser 100 euros par mois pour un bouquet TV complet ?

La régulation centralisée à Paris de l'Arcep est-elle suffisamment efficace face aux problématiques spécifiques des territoires ?

Un câble Internet sous-marin public comme l'initiative du réseau global des Caraïbes – Global Caribbean Network (GCN) en Guadeloupe changerait-il la donne en termes de baisse de prix ?

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Grégory Burlinchon, directeur outre-mer Altice-SFR

Vous avez mentionné l'absence de concurrence sur le marché de gros. Le principal marché de gros qui nous occupe sur les infrastructures, c'est l'hébergement des pylônes où il y a une concurrence entre les différents opérateurs. Nous n'avons donc pas de sujet ici.

En ce qui concerne la fibre optique, entre les offres d'Orange et les offres des délégataires de service public (DSP), on n'a pas de limitation sur notre capacité à développer les réseaux, du point de vue d'Altice-SFR.

Vous aviez un autre point sur l'amortissement des pylônes. Nos parcs de pylônes commencent à être âgés. Comme cela a été mentionné, on opère dans des territoires où les conditions climatiques, notamment la salinité, sont très éprouvantes. À l'occasion de nos préparations sur le déploiement des réseaux 5G, avec des équipements beaucoup plus lourds, tous les opérateurs d'infrastructures doivent réengager des sommes conséquentes dédiées au renforcement de leur pylône.

Sur la baisse des coûts de technologie pour ce qui concerne le réseau radio, ce n'est pas vrai. C'est vrai pour une sous-technologie. Quand on déploie un nouveau site mobile, on n'y déploie plus seulement la 2G et la 3G comme il y a quelques années, mais différentes bandes de fréquences de 4G et de 5G. En pratique, on constate, au niveau des coûts de nos équipements, que le coût est à peu près le double pour un nombre de fréquences qui est « fois quatre » ou « fois cinq ». Mais en termes d'investissement par pylône, on investit plus que dans le passé.

Vous avez posé une question sur les différences de prix entre Free et les autres opérateurs. À La Réunion, on est aligné, pour ce qui nous concerne, avec Free et son offre à 9,99 euros. Pour ce qui concerne les Antilles-Guyane, notre tarif se situe à 12,99 euros, mais avec une abondance de datas différente puisque nous offrons 150 gigaoctets.

Les câbles sous-marins, ce n'est pas qu'une question d'existence d'un câble sous-marin compétitif. Nous avons tous des obligations de continuité d'activité, notamment pour les opérateurs mobiles de services d'urgence. En pratique, nous sommes amenés à utiliser tous les câbles sous-marins disponibles, que ce soit ceux de GCN ou d'autres. Je pense que ce qui compte, c'est qu'il y ait des initiatives de construction telles que celles développées par Orange. Pour notre part, on se source sur tous les câbles sous-marins possibles.

Le fait d'avoir un câble sous-marin public, à mon avis, ne changerait pas grand-chose. Il y a déjà suffisamment d'émulation. Quand on parle d'un câble sous-marin, il faut savoir qu'il y a plusieurs acteurs. Si je prends l'exemple du Système de fibres des Caraïbes orientales – East Caribbean Fiber System (ECFS), un câble qui passe par à peu près toutes les îles des Caraïbes, on peut se sourcer à la fois directement auprès d'Orange, mais aussi de Cable & Wireless, et donc passer des appels d'offres via nos services d'achat pour tirer le meilleur de la concurrence. Il existe suffisamment d'acteurs capables de vendre des capacités sur les câbles sous-marins pour que ce ne soit pas un frein au développement des réseaux. Cela n'enlève rien au fait que c'est un surcoût de l'ordre de quelques euros par abonné fixe, puisque ce sont principalement ces abonnés qui consomment de la capacité. Les abonnés au forfait mobile en consomment, mais dans des proportions bien moindres. Le delta qui existe entre la métropole et les DOM doit-il être compensé par des subventions ? La question reste ouverte.

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Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques d'Orange

Je réponds à la question sur l'absence de concurrence en ce qui concerne le marché de gros. Il se trouve que l'on est sur des infrastructures sur lesquelles doublonner n'a pas vraiment de sens dès lors que ces zones sont moyennement denses. La réglementation fait qu'il y a un opérateur d'infrastructure qui va déployer de manière assez coordonnée. On connaît l'histoire du réseau historique en cuivre. Il y avait un seul opérateur d'infrastructure, qui est votre serviteur ici, et nous sommes sur des tarifs régulés. Les tarifs d'accès sont régulés par le régulateur et sont à un niveau très bas, trop bas de notre point de vue. Il s'agit de pouvoir entretenir, maintenir et investir dans ce réseau et nous attendons un retour sur investissement. Dans tous les cas, ce tarif est régulé, donc il n'y a pas de préoccupation sur le marché de détail et pas d'impact autre que le fait des tarifs d'accès à l'infrastructure très bas permettent des tarifs au détail qui sont aussi très bas.

À la Réunion, notre surcoût global sur les offres du fixe est de 5 euros hors taxes (HT), dont 3,7 liés aux câbles sous-marins. Le surcoût est de 16 % supérieur par rapport aux coûts en métropole. Aux Antilles, le surcoût global est de 3,57 euros, dont 2,9 liés au câble sous-marin. Nous sommes sur un surcoût global de 11 %. La densité de l'île va permettre de plus ou moins amortir les équipements, mais ce n'est pas la défiscalisation qui va nous aider à réduire ces surcoûts, qui sont aussi liés d'ailleurs à une fiscalité bien connue, l'octroi de mer inter-île. Par exemple, il n'existe pas de service après-vente (SAV) sur chacune des îles des Caraïbes. Il faut donc inclure le surcoût lié aux transports et à l'outre-mer. Un coût n'est jamais complètement amorti puisqu'en réalité, nous continuons d'investir en permanence pour ne serait-ce que maintenir et moderniser.

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Thierry Kergall, directeur Orange Antilles et Guyane

Sur la question du secret d'une différence entre Free et un autre opérateur, nous avons aujourd'hui des tarifs extrêmement proches en termes d'offres. Nous proposons, aux Antilles-Guyane, une offre à 14,99 euros pour 40 gigaoctets, c'est-à-dire un usage deux fois supérieur à l'usage moyen que nous constatons sur nos réseaux, qui est à 22 gigas de datas, donc un différentiel de prix par rapport à l'offre Free de 9,99 euros, qui est de 5 euros seulement, pour une abondance de datas très importante. De ce côté-là, le différentiel est tout à fait réduit.

Ensuite, j'apporte peut-être un éclairage sur la question concernant les investissements télécom mobiles, en rappelant que les services évoluent entre la 2G et la 3G, la 3G et la 4G. À chaque fois, il a fallu réinvestir dans les réseaux, changer les antennes, renforcer les sites mobiles, investir dans des cœurs de réseau qui sont différents, des systèmes de facturation qui sont différents.

Sur la 4G, pour mémoire, on est aux environs d'investissements de 80 millions d'euros, bien plus que sur la 3G pour pouvoir offrir la 4G avec le niveau de performance que nous avons aujourd'hui sur nos îles. Nous sommes en train d'investir dans la 5G de la même façon, avec des équipements à la fois radio et cœur de réseau, des systèmes antennaires, qu'il va falloir installer sur nos différents pylônes, même s'ils sont en cohabitation. Cela veut dire qu'il faut changer les antennes et particulièrement, pour certains pylônes, renforcer la structure métallique.

Cette couverture radio a aussi beaucoup évolué dans le temps. Nous avions, il y a une dizaine d'années, environ 350 à 400 sites au maximum. Aujourd'hui, ce sont plus de 500 sites, qu'ils soient propriétaires ou en location. C'est une augmentation de 40 à 50 % du nombre de sites. Cela veut dire aussi des investissements tout à fait importants.

Les nouvelles technologies, même si effectivement des équipements ont été achetés il y a très longtemps, nous demandent d'investir régulièrement.

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Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques de Free – Groupe Iliad

Nous avons compris qu'il n'y avait pas de secret entre le niveau d'offres des concurrents et notre niveau d'offres. C'est vrai qu'on a fixé des offres dans les Outre-mer qui sont à des tarifs plus avantageux que ceux que l'on propose en métropole, parce que l'on avait une volonté politique forte de faire un geste plus adapté au niveau du coût de la vie des ultramarins et pour tenir compte des pratiques antérieures à notre arrivée. Nous avons choisi aussi de mutualiser nos ressources et notre savoir-faire en métropole pour permettre ce modèle économique et viser une rentabilité qui ne soit pas immédiate, mais plutôt une rentabilité de long terme.

Dans les Caraïbes, nous avons acquis 50 % du réseau de Digicel, avec qui nous avons créé une société commune pour moderniser, upgrader et étendre ce réseau. Concrètement, ça consiste en quoi ? Il s'agit d'augmenter de plus de 30 % le nombre de sites disponibles sur ces territoires, d'avoir un portefeuille de fréquences plus large, puisqu'on y installe nos fréquences, ce qui permet d'avoir de meilleurs débits et d'absorber plus de bande passante. Il s'agit aussi de « fibrer » les sites pour des raisons de débit et de qualité de service, de changer d'équipementier. Nous avons décidé de ne plus faire appel à l'équipementier présent au bénéfice d'un équipementier européen et ce sont des investissements conséquents. Pour aller dans le sens de mes camarades, moderniser un réseau représente un coût qui n'est pas si loin de celui de la construction d'un réseau initial.

À La Réunion, nous avons aussi largement investi dans le réseau. Nous avons développé le nombre de sites de plus de 50 % et les déploiements ne sont pas finis. Nous prévoyons de déployer d'autres sites ces prochaines années, ce qui suppose un investissement constant, qui n'est pas achevé.

Tout à l'heure, je n'ai pas parlé des câbles sous-marins et mes camarades ont eu raison d'en parler. Évidemment, on investit aussi dans l'ensemble des câbles pour des soucis de redondance et de résilience. Nous sommes membres de certains consortiums, notamment le câble Metiss pour La Réunion.

Pour le dernier point que vous avez évoqué, le partage des infrastructures est assez efficient. Pour être un opérateur qui est en train de faire grossir le réseau et qui recherche des emplacements, nous trouvons que la cohabitation n'est pas si simple dans les territoires ultramarins, voire plus compliquée que dans l'Hexagone. Il y a moins de points hauts disponibles. Il est moins facile d'avoir des conditions d'accueil. C'est aussi une difficulté que l'on rencontre et qui peut expliquer que le rythme de déploiement est parfois plus lent que celui que l'on souhaiterait mettre en place.

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Jacques du Puy, président de Canal+ International

Le satellite Intelsat a été remplacé et le satellite exploité aujourd'hui a été lancé en 2017. C'est la première chose. Ensuite, en ce qui concerne le modèle économique, ce n'est pas nous qui investissons dans le lancement du satellite, c'est bien Intelsat. Nous avons un contrat de location de longue durée, calculé sur la durée du contrat et à l'inverse, il y a des clauses d'indexation, d'augmentation des coûts de ce contrat.

Sur la partie du réseau fibré, nous sommes toujours en phase d'investissement. Ces investissements continuent de croître année après année. Nous estimons que nous serons arrivés à peu près à la fin de nos investissements sur la fibre en 2027. Pour le moment, les amortissements liés à ces investissements continuent à augmenter.

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Aline Alix-Donat, directrice générale de Canal+ Outre-mer

Sur le fixe, vraiment, nos investissements continuent d'augmenter, notamment dans le déploiement. Nous arrivons au bout du chemin à La Réunion.

Je me permets juste une toute petite précision sur la façon dont on investit. Canal + Télécom est opérateur commercial. On achète du coup les prises fibre par tranche de 5 %. Cela veut bien dire qu'on les achète avant même de savoir si on va les vendre. C'est en ce sens que l'on participe réellement à la transformation numérique de ces territoires. Au-delà de la poursuite de croissance sur la fibre, alors même que l'on maintient les tarifs, nous investissons en parallèle dans les câbles. Au cours des dix années écoulées, l'investissement s'est élevé à 60 millions d'euros. Là encore, comme pour la fibre, on est au milieu du gué. Non seulement on doit faire face à l'accélération de la croissance, ce besoin de débit qui augmente de 50 % par an, mais aussi, et spécialement sur la zone Antilles-Guyane, à la fin de vie de certains câbles, notamment le câble Americas-II, qui assurent une grande partie du trafic de nos clients, particuliers, entreprises et administrations. Il y a un vrai enjeu pour trouver une solution et réinvestir dans de nouveaux câbles.

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Il est vrai que la Réunion a un peu d'avance par rapport aux autres territoires des Outre-mer. Disons-le très clairement, on ne parle pas de l'Outre-mer, mais des Outre-mer, parce que la situation est différente d'un territoire à l'autre.

Vous dites que les prix sont plus ou moins comparables entre l'Hexagone et La Réunion, mais une étude sur la période 2019-2022 indique que le giga est passé de 1,65 à 0,70 euro. C'est très bien, mais c'est aussi grâce à l'arrivée de Free à la Réunion, qui a permis de mettre la concurrence en place et de tirer les prix vers le bas. Ici, dans l'Hexagone, le gigaoctet coûte 23 centimes, donc trois fois moins cher. Confirmez-vous ces chiffres ? Qu'avez-vous à dire par rapport à ces chiffres ?

Il y a des surcoûts, notamment dans les outre-mer, mais vous restez une entreprise française. Quel que soit le territoire où vous travaillez, vous êtes en France. Serait-il possible d'avoir une péréquation tarifaire afin de tirer les prix, notamment dans les outre-mer, vers le bas au nom de cette espèce de solidarité nationale ? Pourquoi, pour l'outre-mer, appliquez-vous cette différence de traitement ?

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Relier le haut des Alpes au réseau n'est pas toujours évident et entraîne aussi des surcoûts.

J'ai l'impression quand même que vous êtes face à un pic d'investissement qui va être tout à fait conséquent dans les temps qui viennent. Est-ce à dire que les prix pourraient évoluer dans l'autre sens ? Le bouclier qualité-prix (BQP) concerne aujourd'hui essentiellement des biens et nous pouvons nous demander s'il ne peut pas englober aussi les services. Considérez-vous que cette démarche du BQP, qui associe des efforts fiscaux de la part des collectivités et de l'État, mais aussi des réductions de marge de la part des fournisseurs, peut convenir pour la téléphonie ?

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Jacques du Puy, président de Canal+ International

Je ne peux pas répondre à la question sur la différence de tarification entre l'Hexagone et les Outre-mer puisque nous sommes uniquement présents sur les outre-mer, sans activité télécom ici. Effectivement, beaucoup de coûts sont encore devant nous. Quatre opérateurs fixes interviennent à La Réunion et dans les Caraïbes, ce qui donne lieu à une forte contrainte concurrentielle qui bloque les augmentations de prix.

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Cette situation peut-elle remettre en cause les investissements ?

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Jacques du Puy, président de Canal+ International

Nous avons une double contrainte, en étant soumis à la comparaison par nos utilisateurs. Le fixe laisse voir des taux de désabonnement très importants. Par rapport à l'Hexagone ou d'autres marchés plus matures, ces taux peuvent être supérieurs de 30 ou 40 %. Deux explications peuvent être apportées.

Nous sommes sur des territoires où le pouvoir d'achat reste un sujet. Nos consommateurs sont très attentifs aux écarts de prix. Il y a beaucoup de promotions et donc une vraie attractivité pour aller chercher un nouveau prix. Les clients connaissent cette possibilité.

L'autre phénomène de concurrence s'attache à la qualité. Quand nous avons repris le réseau Mediaserv, qui était à l'époque en ADSL et avait souffert d'un manque d'investissement parce que l'entreprise était en situation financière compliquée, les taux de désabonnement étaient très élevés à l'époque. Il y a bien une chose que je ne ferai pas, en tout cas en tant que chef d'entreprise, c'est de laisser filer la qualité, parce que je sais que tout de suite, je vais perdre des abonnés.

Je vous expliquais que nous sommes contraints par les prix. Nous devons couvrir nos marges. Tant que nos engagements auprès de l'autorité de la concurrence seront en vigueur, nous ne pourrons pas vraiment adopter une posture plus agressive. Nous avons fait le choix de nous battre en faveur de la qualité en nous montant innovants sur tous les services, les débits, les standards de Wifi, les services domotiques.

Nous faisons tous les efforts possibles de productivité, nous négocions au mieux le prix de nos boxes auprès des fournisseurs, en regardant chaque euro avant de le dépenser.

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Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques de Free – Groupe Iliad

Sur le différentiel de prix au giga que vous avez soulevé, il faut toujours des exceptions pour confirmer la règle si elle a besoin d'être confirmée. Au giga, nos offres dans les Caraïbes et à La Réunion sont moins chères que celles proposées aux métropolitains. Aujourd'hui, on a un forfait spécial Free qui, pour 12,99 euros, vous permet de disposer de 110 gigas et pour 9,99 euros dans votre territoire, vous avez 120 gigas.

Cela répond à la deuxième question qui est celle de la péréquation. La péréquation est-elle possible ? C'en est un exemple parce qu'effectivement, en mutualisant les structures de coûts avec nos ressources et nos actifs en métropole, nous permettons la mise en place de ce genre de stratégie et d'offre.

S'agissant des investissements et de la prévisibilité sur les tarifs, je crois que la meilleure réponse est celle de l'intensité concurrentielle du marché. On l'a vu en métropole et on le voit aujourd'hui dans les Outre-mer. Quand vous avez une bonne dynamique concurrentielle sur les marchés, il se passe des stratégies d'abaissement des tarifs, mais il se passe aussi des stratégies d'investissement pour préserver la qualité des services proposés. Comme cela vient d'être expliqué, quand vous ne proposez pas des services de qualité, vous perdez des abonnés. En l'occurrence, avoir une concurrence soutenue sur le marché, c'est se faire la guerre pour conserver ces abonnés, ce qui implique des structures d'investissement. On l'a vu en métropole, l'accélération de la 4G a aussi été très forte quand on est entré dans ce marché. On l'a vu à La Réunion, des efforts de modernisation sans précédent sont en cours sur les réseaux. Il n'y a pas de raison d'être plus particulièrement inquiet après avoir observé la dynamique du marché métropolitain.

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Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques d'Orange

Chez Orange, certaines de nos offres sur le mobile affichent des tarifs inférieurs aux offres distribuées en métropole. S'agissant de la péréquation par rapport à la métropole, on ne va pas raconter de blagues parce que les structures du marché sont différentes et la régulation elle-même est différente. Les licences s'entendent par territoire. Chaque territoire a son équation économique. Quand l'Arcep met à disposition les fréquences pour opérer sur le mobile, elle le fait sur le territoire métropolitain, ensuite sur le territoire de la Réunion et de Mayotte. Ce ne sont pas les mêmes conditions économiques ni le même encadrement réglementaire. Structurellement, le marché est différent, on ne peut donc pas faire de péréquation. Par ailleurs, il y a une filialisation. On ne peut pas réfléchir à une péréquation du fait même de la réglementation et de la structuration des appels à candidatures sur les fréquences. C'est un hasard des choses, mais à la Réunion, à giga équivalent, le giga y est moins cher qu'en métropole.

Pour répondre à votre question sur les tarifs, il se trouve que la concurrence est très vive. Cette concurrence se construit par l'investissement et la qualité de service. Du fait que certains opérateurs exercent une pression sur les prix, on ne peut pas augmenter nos prix.

Les représentants de Canal+ expliquaient que lorsqu'ils commercialisent la fibre optique, ils tâchent de commercialiser un tarif un peu au-dessus de ce qui était commercialisé. C'est normal puisque des investissements très conséquents ont été consentis et il faut quand même un retour sur investissement et le service n'est pas le même. La concurrence et le signal prix envoyé par des opérateurs qui suivent d'autres politiques commerciales font qu'on a beaucoup de mal à avoir un retour sur investissement et qu'on n'arrive pas à augmenter nos prix, même pas au niveau de l'inflation. Cette situation vaut aussi pour la métropole, pas simplement pour les Outre-mer.

Hélas, nous ne sommes pas en mesure aujourd'hui d'améliorer la rentabilité de nos investissements, et cela pose une question de long terme. On est toujours très content de ne rien payer rien, mais à la fin, on n'a plus de service. La péréquation est faite autrement, on cherche de la croissance ailleurs en Europe, ce qui permet de financer en partie l'activité en France.

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Je remarque que ma proposition sur le BQP n'a pas beaucoup prospéré.

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Grégory Burlinchon, directeur outre-mer Altice-SFR

Sur le point du prix au giga, les études s'entendent un instant T. Ce qui a été dit est vrai sur le mobile, sur les offres dématérialisées, qu'elles soient sous les marques Free, Red ou Sosh. Nous sommes tous en dessous des prix de la métropole, souvent avec plus d'abondance. Par définition, le prix au giga ne peut pas être plus élevé dans les départements d'Outre-mer (DOM).

Faut-il une péréquation et finalement un alignement complet des sociétés des DOM à leur maison-mère quand elles en ont une ? Nous sommes des organisations très décentralisées, avec une très forte autonomie de gestion. Pourquoi ? Pour répondre à des problématiques très spécifiques aux outre-mer. Si nous avions adopté un mode de normalisation via la métropole, que se serait-il passé ? Il ne vous a pas échappé qu'au cours des derniers mois, tous les tarifs en métropole ont augmenté, y compris des tarifs télécoms. C'est d'ailleurs vrai dans beaucoup de pays du monde. Dans les DOM-TOM, aucun d'entre nous n'a bougé ses prix. Cela veut dire que le bon niveau de concurrence est meilleur garant des prix. Les prix peuvent-ils augmenter ? Je n'ai pas la réponse à la question, mais j'aurais tendance à dire que le niveau de concurrence est quand même le meilleur garant.

Si on fait une péréquation, on a les mêmes standards à la fin, donc on a les mêmes standards d'investissement par abonné et les mêmes standards de qualité de service. Nous sommes tous un peu trop modestes autour de la table, mais la réalité, c'est que la qualité de service est meilleure dans les DOM-TOM qu'en métropole. L'Arcep a d'ailleurs indiqué, au sujet de La Réunion en 2022, qu'Orange, SFR et Hop « proposent une excellente qualité de service. On peut souligner des résultats de tests de streaming nettement supérieurs à la moyenne de la métropole. » On s'est organisé par la force des choses. La concurrence se fait en tirant les offres et la qualité de service vers le haut. C'est de cette manière que le marché s'est organisé depuis quelques années, avec des prix qui restent stables, mais avec une qualité de service qui fait qu'aujourd'hui, en FTTH et en abonnement fixe, il vaut mieux être à La Réunion, avec un débit FTTH de 320 Mb/s, plutôt qu'en métropole, où il n'est plus que de 200. La péréquation peut être très dangereuse.

On s'est beaucoup focalisé sur la partie technique et investissement, mais il faut aussi avoir en tête, et ça joue aussi beaucoup sur le fixe, que le mode de commercialisation de nos offres dans les DOM versus la métropole n'est pas du tout le même. Typiquement, nos ventes fixes se font principalement, voire exclusivement, en boutique. Nous avons très peu, et je pense que c'est la même chose pour mes concurrents, de souscriptions par Internet. Cette réalité impacte les coûts de commercialisation de nos offres. Ce n'est pas un choix, ce sont aussi les habitudes de consommation des Réunionnais, des Martiniquais et des Guyanais qui font qu'on a une très forte empreinte locale. Nous ne sommes pas les seuls à avoir des boutiques, avec de l'emploi et des coûts de structure que nous devons finalement amortir sur des territoires tout petits.

Pour résumer, ce n'est pas dans un problème de mauvaise volonté. Quand je regarde mon compte de pertes et profits – profit and loss account (P&L), il n'y a pas un facteur favorable pour les DOM. Tout est plus cher, sans exception. Même l'électricité, dont on peut penser que c'est le même tarif qu'en métropole, coûte un petit peu plus cher. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de concurrence et qu'on ne peut pas trouver de source de sources alternatives.

L'approche BQP n'est pas adaptée à notre industrie parce que notre industrie réinvestit son chiffre d'affaires. En dix ans, ce taux de réinvestissement a quasiment doublé en proportion du chiffre d'affaires. Si un distributeur de type grand magasin écrase sa marge et si vous transposez cela au télécom, au final on investira moins. Il s'en suivra moins de résilience.

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Je vais faire un constat factuel et je rappelle que vous êtes tous sous serment. Vos prix sont alignés depuis que Free est arrivé, ou avec un écart réduit. Sur les téléphones mobiles, les écarts étaient de 65 % entre la France hexagonale et les territoires et d'outre-mer. Sur la partie Internet, l'écart était de 37 %. Or, aujourd'hui, tout le monde a baissé ses prix dans les mobiles, puisque Free n'est pas encore intervenu sur la partie Internet. Pour autant, je n'entends personne me dire qu'il vend à perte.

Je vais vous demander de nous indiquer la part de l'outre-mer dans le chiffre d'affaires national, chacun pour vous, et la part du résultat, c'est-à-dire du bénéfice outre-mer dans le résultat national. Le deuxième point, c'est que je ne comprends pas la question de l'iPhone puisqu'Android équipe 70 % du parc mobile des DOM. Donc, je ne comprends pas du tout l'argument de l'augmentation des prix par rapport à l'augmentation de l'iPhone.

La sous-location et les tarifs du câble ne sont pas régulés, contrairement à ce qui se passe à l'intérieur du territoire. Aujourd'hui, Orange possède quatre câbles sous-marins sur cinq, qui ne sont pas régulés. Il n'y a que les lignes des abonnés qui sont à des tarifs régulés. Les autres prestations (liaison entre plusieurs points du territoire, liaison avec les câbles sous-marins, partage de pylônes de téléphones mobiles) ne sont pas régulées et ne sont pas compétitives.

L'autre argument que j'ai entendu et j'ai du mal à comprendre est que l'octroi de mer ne joue pas sur le service après-vente. Pour réparation, on paye l'octroi de mer une seule fois à l'achat du matériel opérateur. Par ailleurs, les appareils informatiques comme les serveurs ou les routeurs bénéficient d'une exonération d'octroi de mer et de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). J'ai du mal à comprendre cet argument.

Sur la question du satellite, le coût ne baisse pas malgré le nombre d'abonnés qui augmente, alors que cela ne coûte pas plus cher en termes de réseau. Pourquoi ? Vous ne m'avez pas répondu sur la question de la formule à 100 euros le bouquet par mois sur les territoires d'outre-mer.

La question des contraintes, que nous entendons bien, fait que les différentiels restent très élevés. Que pouvez-vous proposer ? L'arrivée de Free a montré que la concurrence augmente le niveau de compétition. Celui qui détient le câble détient le pouvoir sous la chaîne de distribution. Quelles propositions pouvez-vous faire concrètement pour diminuer les prix à la consommation sans attendre que Free ne vienne s'installer dans l'Internet ?

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Grégory Burlinchon, directeur outre-mer Altice-SFR

Pour moi, il doit y avoir un tarif régulé s'il y a un monopole. Si on est sur des biens qui peuvent être achetés par plusieurs acteurs, c'est le cas des cadres sous-marins, je ne suis pas sûr qu'une régulation apporte une solution.

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L'idée n'est pas de demander que ce soit régulé. Ce qui est régulé est imposé, ce qui n'est pas régulé permet des bénéfices différents.

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Grégory Burlinchon, directeur outre-mer Altice-SFR

Sur cette partie, on n'est pas un opérateur de gros de capacités sous-marines, ce n'est pas notre métier. Je ne pense pas pouvoir répondre à votre question. Vous mentionniez le fait d'augmenter, mais nos tarifs n'ont pas augmenté. Nos tarifs baissent. Ce n'est pas ce qu'on voit en métropole. Donc, en termes de dynamique, avec le jeu concurrentiel et l'arrivée de nouveaux acteurs, on est bien dans une dynamique où, au pire, c'est constant avec plus de services et, dans d'autres cas, on a des baisses significatives de nos prix sur certains types de produits.

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Je crois que le rapporteur voulait parler de l'offre en termes d'Internet fixe.

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Grégory Burlinchon, directeur outre-mer Altice-SFR

Cela rejoint à ce moment-là son point précédent. La problématique des câbles sous-marins concerne principalement le fixe. Et puis les câbles sous-marins sont très différents des réseaux territoriaux. Dans les réseaux territoriaux, vous posez vos fibres. Le fait qu'il y ait des croissances de débit unitaire par abonné a relativement peu d'impact. En ce qui concerne les câbles sous-marins, à chaque fois que vous avez un doublement du trafic tous les deux ou trois ans, parce qu'à prix constant et à revenus constants, pour nous, nos abonnés consomment plus, on est en perpétuel processus de rachat de capacités. On n'est pas dans une notion d'investissement qui s'amortit. Sur la partie fixe, nous parlons bien d'investissement récurrent. Dans notre industrie, la technologie électronique est remplacée par une nouvelle technologie tous les cinq ans. Comme on investit en permanence et que ça contribue de quelques euros à des coûts qui n'existent pas en métropole, à moins d'être subventionnés d'une façon ou d'une autre pour réguler, il n'y a pas de solution miracle.

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Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques d'Orange

Sur le constat, on peut avoir un regard différent sur l'évolution des offres tarifaires. On est bien, en neuf ans, à – 80 % sur les offres tarifaires. Ce n'est pas seulement lié à l'arrivée de Free, c'est la concurrence d'une manière générale. À La Réunion, Free n'est pas présent sur le fixe, mais quatre opérateurs commerciaux interviennent, donnant lieu à une concurrence réelle. Les tarifs ne sont pas « dépositionnés » par rapport au tarif métropolitain.

L'exemple que je prenais sur l'iPhone, c'est un exemple parce que c'est un smartphone. Ce serait la même chose pour Samsung ou les grandes marques. Dans l'écosystème numérique, les opérateurs télécoms investissent lourdement, y compris dans les outre-mer, avec une qualité de service supérieure dans certains territoires à celle de la métropole, avec un retour sur investissement qui n'existe quasiment plus du fait d'une concurrence très vive par les prix, du fait de stratégies commerciales différentes entre les opérateurs. Nous continuons d'investir sans discontinuer dans les réseaux pour absorber les trafics qui augmentent de 40 à 50 % chaque année. La fiscalité reste lourde. On parlait tout à l'heure de comment baisser les prix et on pourrait évoquer l'octroi de mer, qui constitue quand même un sujet.

Dans les télécoms, nous constatons une perte de valeur très significative, alors que d'autres acteurs du numérique, comme les fabricants de terminaux et les fournisseurs de contenus, sont en très forte croissance. Ils inondent les réseaux chaque année parce que c'est gratuit. Nous assumons les surcoûts. On a une hyper concurrence par les prix sur chacun des marchés, parce que chaque territoire est un marché, qui nous conduit à une équation économique difficilement solvable. De leur côté, les grands fabricants de smartphones et les fournisseurs de contenus tirent toute la valeur de nos investissements. Les principaux progrès des smartphones dépendent des puces, sans cesse plus performantes. Ces progrès sont permis par les investissements sur les réseaux. Instagram, Facebook et Snapchat n'existeraient pas sans les investissements des opérateurs dans la 4G. Nous investissons et ils prennent la valeur. Pour nous, c'est une baisse de 60 à 80 % et, pour eux, c'est une hausse de 50 %. C'est aussi indispensable que l'accès. On peut avoir un abonnement, mais sans terminal, ça ne servirait pas à grand-chose.

Il faut tordre le cou à cette idée qui consisterait à dire que les forfaits et les accès sont chers, très chers et même plus chers ici qu'ailleurs. C'est le contraire. Nous répondrons au questionnaire qui nous a été adressé. Nous décomposerons le chiffre d'affaires et le taux de marge par territoire et vous pourrez par vous-mêmes vérifier la réalité de ce que l'on dit.

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Thierry Kergall, directeur Orange Antilles et Guyane

Je reviens sur le sujet des câbles pour préciser que ce sont des consortiums intégrant de multi-opérateurs. Ce n'est pas uniquement Orange. La problématique du câble est complétée par le fait que nous-mêmes et nos camarades nous équipons de serveurs cash pour améliorer les performances de la visioconférence. Ce sont aussi des coûts supplémentaires que nous sommes obligés de supporter.

S'agissant du SAV et de l'octroi de mer, quand j'envoie des terminaux entre la Guadeloupe et la Martinique et si la Martinique me renvoie les terminaux, je paye à chaque fois l'octroi de mer pour un échange d'équilibrage de stock. Pour le SAV, on a rencontré de grandes difficultés. Les deux seuls réparateurs localisés aux Antilles ont fermé. L'activité n'était plus rentable. Nous sommes obligés de renvoyer tous nos terminaux en réparation en métropole.

De la même façon, nous avons essayé d'identifier un acteur local pour reconditionner nos décodeurs et nos boxes et nous ne sommes pas arrivés à trouver un équilibre financier pour nous appuyer sur un acteur local, ce qui était notre souhait. Aujourd'hui, 60 000 décodeurs sont renvoyés chaque année dans l'Hexagone pour y être reconditionnés et resservir. Nous avons de réelles contraintes sur ces échanges entre nos territoires.

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Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques de Free – Groupe Iliad

La plupart des questions ne nous concernent pas puisque nous ne sommes pas un opérateur du fixe et je crois que l'impact des tarifs sur les câbles n'est pas du tout le même en fonction des modèles sur le fixe et sur le mobile. J'aurais du mal à répondre à cette question. Monsieur Kergall vient de témoigner des complexités opérationnelles et des difficultés aussi à répercuter l'octroi de mer sur un certain nombre d'activités. L'objectif est d'être convergent là où nous le pouvons, sur le fixe et le mobile. Cela a conduit au fait que nous ne sommes pas présents sur la partie fixe dans ce territoire, parce que ce sont des surcoûts et des complexités à gérer différents de ceux que l'on trouve sur services liés aux mobiles.

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Jacques du Puy, président de Canal+ International

Notre nombre d'abonnés dans les DOM-TOM est en baisse ces dernières années, à la suite de la concurrence des autres opérateurs ici présents et qui distribuent des offres de télévision payante, sans parler même de Netflix et autres acteurs américains présents en France. Nous sommes dans une régression des volumes, ce qui est d'ailleurs un des sujets. Ce n'est pas le sujet télécom, on parle de télévision.

Ensuite, oui, nous avons une offre, d'ailleurs la plus chère, presque à 100 euros. Je précise quand même que nous proposons des offres moins chères. Notre première offre est à 11,90 euros et inclut déjà 70 chaînes. Ce n'est pas une offre médiocre. Nous avons aussi l'offre « TNT Sat », pour laquelle nous fournissons un décodeur à prix coûtant. Il n'y a pas d'abonnement et le décodeur permet d'accéder aux chaînes de la TNT, pour pallier la couverture qui n'est pas forcément complète, et à un certain nombre de chaînes thématiques. Après, c'est un peu le libre choix aussi des consommateurs de savoir où ils veulent se positionner dans la gamme des prix.

Ce n'est pas un secret de dire que les coûts des contenus de télévision payante ont flambé depuis une dizaine d'années. C'est vrai qu'il y a un sujet d'inflation et que nos marges ne sont pas en augmentation.

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Êtes-vous en capacité de nous donner vos chiffres d'affaires, vos marges et vos bénéfices ?

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Ces documents seront demandés. Les prérogatives de cette commission d'enquête font qu'il doit y avoir une réponse et ce n'est pas une option en l'espèce.

Je vous remercie et vous demande de répondre au questionnaire qui vous a été adressé, aussi de nous transmettre tout document qui vous paraîtrait utile à la compréhension des mécanismes que vous nous avez décrits. Merci beaucoup.

La commission procède ensuite à l'audition, sous forme de table ronde consacrée aux aspects institutionnels du coût de la vie outre-mer, de :

– M. Jean-Jacques Urvoas, professeur à l'université de Bretagne-occidentale, ancien ministre, ancien députe ;

– M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur à l'université de Bordeaux, président du conseil d'administration de l'institut national du service public, président de l'association des juristes en droit des outre-mer, ancien déontologue de l'Assemblée nationale ;

– Mme Carine David, Professeur à l'université des Antilles – pôle Martinique ;

– M. Michel Verpeaux, professeur émérite à l'université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, président de l'association française de droit des collectivités locales.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en organisant cette table ronde consacrée aux aspects institutionnels du coût de la vie outre-mer, réunissant la fine fleur des constitutionnalistes ayant réfléchi à ces questions.

Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes chacun, qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Jacques Urvoas et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Mme Carine David, et M. Michel Verpeaux prêtent serment).

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Carine David, professeur à l'université des Antilles – pôle Martinique

Évidemment, nous sommes des constitutionnalistes. Je précise tout de suite que je ne suis pas spécialiste des questions économiques ni des questions fiscales, mais simplement une constitutionnaliste spécialisée dans le droit de l'outre-mer, vivant en outre-mer depuis vingt-cinq ans, dont vingt ans en Nouvelle-Calédonie et depuis cinq ans en Martinique. Donc je vis la vie chère et je fais partie de ces personnes qui s'émerveillent des prix en métropole.

S'agissant des aspects institutionnels, j'aurais tendance à raisonner, comme pour d'autres sujets, par le prisme du principe d'égalité de traitement des populations. Ce dont on parle ici, c'est d'une inégalité du niveau de vie des populations, particulièrement dans les collectivités de l'article 73, puisque c'est ce qui justifie aujourd'hui l'uniformité du droit qui leur est applicable sous réserve, on le sait, d'adaptations.

C'est peut-être l'occasion d'enclencher ici une façon différente de raisonner sur l'égalité outre-mer. Quand on parle d'égalité pour l'outre-mer, on parle d'uniformité du droit applicable le plus souvent. C'est quelque chose que je découvre en étant affectée en Martinique. Or, on constate que nombre de rapports institutionnels, de rapports parlementaires, mais aussi émanant de la Cour des comptes ou encore du Conseil économique, social et environnemental pleuvent ces dernières années pour souligner les très fortes inégalités dont souffrent les populations ultramarines, de bien des points de vue.

À mon sens, on confond, quand on parle de principe d'égalité outre-mer, la fin et les moyens. On a oublié que l'égalité doit être le résultat et pas la façon d'y arriver. J'ai pris connaissance de l'ensemble des questions sur lesquelles nous pourrons être interrogés et, selon moi, il faut dire que s'il est nécessaire de déroger au droit commun pour créer une situation d'égalité, il faut le faire. S'agissant du sujet d'aujourd'hui, il est évident qu'il faut faire évoluer les règles pour mettre fin à ces situations de très fortes inégalités de niveau de vie des populations ultramarines. D'un point de vue institutionnel, la question qui se pose ici est la suivante : faut-il gérer localement les questions liées au contrôle des prix ? Faut-il modifier la répartition des compétences liées au contrôle des prix ? Et je dirais plus généralement, qui dit contrôle des prix dit nécessairement intervention dans des compétences de droit commercial, de droit fiscal et de droit douanier. C'est sur l'ensemble de ces compétences qu'il faut se poser des questions.

Faut-il répartir différemment l'exercice de ces compétences ? Si l'on envisage une réponse positive à cette question, on peut peut-être aller s'intéresser aux expériences de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française pour savoir si tout fonctionne mieux lorsque c'est géré localement. Là, on a plusieurs réserves qui apparaissent immédiatement et c'est notamment le caractère récent de l'exercice de la compétence, dont le caractère récent de la création des autorités indépendantes de concurrence. Si l'on envisage de répondre négativement à la question d'une modification de la répartition des compétences, il faut se poser la question de comment réformer le droit applicable pour avoir des dispositifs plus efficaces.

S'agissant d'un exercice local de la compétence, plusieurs questions se posent. Est-il possible de mettre en place des autorités indépendantes locales qui soient véritablement indépendantes et qu'on puisse considérer plus indépendantes que si la compétence est exercée au niveau national ? Je me suis documentée un peu et on a des questionnements liés à une affaire, notamment celle de l'Autorité polynésienne de la concurrence. Mais les mêmes questions se posent aussi au niveau national. Si on est sur l'exercice local de la compétence, on va être dans des configurations différentes, notamment en fonction du statut européen de la collectivité.

Il est bien évident que des collectivités comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, qui ont un statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM), ont des marges de manœuvre plus importantes, bien que le statut de région ultrapériphérique (RUP) permette un certain nombre de dérogations au droit de l'Union européenne. On sait également, parce que le Conseil constitutionnel a pu le dire à l'occasion d'une décision relative à une loi du pays sur la concurrence en Nouvelle-Calédonie, que l'on peut déroger, pour les collectivités, notamment ultramarines, au droit commun, pour tenir compte de spécificités du marché local.

Peut-on assurer une indépendance à des autorités locales ? On peut aussi se demander s'il y a une volonté politique d'exercer la compétence localement. Du point de vue des habilitations, il n'y a pas eu de demande dans ces secteurs.

Quelle serait la capacité de lutter véritablement contre les concentrations d'entreprises au niveau local ? Quand on prend l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, le bilan qui a été fait par la première présidente de l'Autorité locale de la concurrence, qui a quitté ses fonctions en fin d'année dernière, est assez mitigé. On sait très bien qu'aujourd'hui, les prix restent très élevés en Nouvelle-Calédonie, mais à mon sens, c'est une question essentiellement politique.

Le cadre constitutionnel permet-il aujourd'hui de mettre en place des règles adaptées ? J'aurais tendance à dire que oui, mais si et seulement si les collectivités ultramarines évoluent dans le cadre de l'article 74. On retombe donc sur la question de cette catégorisation des collectivités, parce qu'on sait très bien que si les collectivités de l'article 73 veulent prendre en main cette compétence et intervenir dans ce champ, elles n'ont actuellement pas les moyens, parce que leur pouvoir normatif est insuffisant, de mettre en place des règles. Elles ne disposent en effet que d'un pouvoir normatif de gestion et non pas d'un pouvoir réglementaire autonome, comme c'est le cas des collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, au premier rang desquelles la Polynésie française.

Oui, le cadre constitutionnel peut suffire, mais il peut suffire à partir du moment où les collectivités peuvent évoluer dans le cadre de l'article 74. Le cadre constitutionnel actuel est insuffisant pour les collectivités de l'article 73.

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Jean-Jacques Urvoas, professeur à l'université de Bretagne occidentale, ancien ministre, ancien député

Monsieur le Président, merci beaucoup pour votre invitation qui, je ne vous le cache pas, m'a un peu surpris parce que je ne voyais pas quelle plus-value je pouvais apporter à votre réflexion, puisque ma connaissance des outre-mer, outre mon intérêt personnel, est essentiellement livresque.

Je trouve qu'il manque à l'Assemblée nationale, dans son fonctionnement, un rendez-vous outre-mer pour essayer d'intéresser les parlementaires de l'Hexagone à ce qui se passe outre-mer. J'ai vu hier les chiffres qui montrent que dans l'année qui vient de se passer, quarante-cinq ordonnances ont été promulguées et quarante-trois lois votées. Une grande partie de ces ordonnances a un lien avec l'outre-mer. Si je prends la période 2012-2022, j'arrive à cinq cent cinquante-huit ordonnances et cinq cent vingt-six lois ordinaires promulguées par le Président de la République. J'ai quitté l'Assemblée nationale en 2017 et je me suis rendu compte du nombre d'ordonnances que j'avais votées sans même en avoir conscience, parce que c'est souvent un article en fin de projet de loi et que les parlementaires de l'Hexagone y attachent assez peu d'importance. Faire prospérer une idée, peut-être dans le cadre du contrôle, d'un rendez-vous annuel dans lequel on ferait le bilan du droit des outre-mer, pourrait ne pas être inutile à nos concitoyens ultramarins, dont c'est visiblement l'intérêt immédiat, mais aussi au législateur.

Mon approche est évidemment politico-institutionnelle et politico-constitutionnelle. Le cadre institutionnel, politique et constitutionnel permet-il aux Ultramarins de bénéficier d'une égalité, et donc d'une politique économique satisfaisante et créatrice de richesses, d'emplois et de satisfaction et de bien-être ? La réponse, évidemment, est non. Faut-il pour autant accuser le droit ? Cela fait partie des éléments que je pourrais essayer de porter à votre connaissance.

Me semble-t-il, il y a un consensus aujourd'hui, au moins dans la sphère juridique, mais je le crois aussi dans la sphère économique – et je pense aux forces économiques, aux chambres de commerce et d'industrie, par exemple –, sur le fait que la capacité d'adaptation des lois et des règlements par l'habilitation ne fonctionne pas, même si elle a été assouplie à deux reprises depuis sa création. De mon point de vue, de ma Bretagne résidentielle, le département qui se l'est le plus approprié, c'est la Martinique. Quand j'entends Serge Letchimy, je vois sa déception sur le fait que ces efforts n'aboutissent pas. Il y a là un premier constat.

Deuxième élément, l'État. Là encore – et sans doute que mon appartenance bretonne y est pour beaucoup – la déconcentration de l'État n'est que dans les mots, pas dans les actes. Les autorités représentant l'État dans les territoires n'ont pas les moyens d'exercer une véritable fonction, de même qu'au plan national. La Cour des comptes a déjà dit dans ses rapports combien la modestie des moyens de la direction générale des outre-mer (DGOM), qui est pourtant la seule administration centrale du ministère des outre-mer, était sous-équipée, sous-dotée en personnel. Je crois qu'on est en dessous de cent cinquante agents aujourd'hui. L'État ne sait pas faire cela. Il le dit, le proclame et sans doute avec la meilleure volonté du monde, mais concrètement, matériellement, ça ne suit pas. Je n'ai qu'un seul contre-exemple qui a été conduit sur la recodification des dispositions du code rural et de la pêche maritime par Jean-François Merle pendant dix-huit mois, ce qui est quand même un temps relativement rapide au regard de l'immensité de la tâche. Il a travaillé en relation bilatérale avec chaque territoire et il a produit un travail qui mériterait d'être décliné dans une grande partie des règles applicables aux outre-mer.

De la même manière, j'ai vu évidemment avec intérêt qu'il y avait eu un décret le 8 avril 2020 sur le droit reconnu aux préfets de déroger à certaines réglementations. Peut-être n'ai-je pas suffisamment travaillé, mais je n'ai pas trouvé un seul exemple en outre-mer de l'utilisation de ce pouvoir donné aux préfets des différents départements.

Troisième observation, la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, n'a pas encore produit toutes les potentialités que le texte lui permet d'espérer. Il n'y a pas nécessairement de raison d'être pessimiste, mais cela permet de relativiser aussi les insatisfactions. J'ai vu des possibilités de travailler avec l'État parce que j'entends les responsables élus des collectivités ultramarines dire qu'ils ne souhaitent pas du tout se passer de l'État, que le travail avec l'État est au moins aussi demandé que celui de faire à sa place et qu'il y a donc dans la loi 3DS des possibilités, par exemple en matière de santé, de gouvernance associée aux agences régionales de santé (ARS). Il doit néanmoins y avoir des moyens. Je pense à ce que Serge Letchimy a tenté de faire en Martinique sur la pédagogie et sur les questions d'éducation, avec la possibilité pour les territoires d'y être associés. Il y a évidemment des questions d'immigration sur lesquelles les revendications territoriales d'associations me paraissent légitimes.

Donc, la loi n'a pas encore produit toutes ses potentialités et il ne faut pas noircir nécessairement l'horizon. Mais il y a aujourd'hui, me semble-t-il, une nécessité de clarification des statuts. Je ne crois plus à la pertinence de la dichotomie 73 et 74 parce que les repères se sont brouillés. Des statuts à façon sont apparus et on est, ce qui me paraît plutôt une bonne voie, dans la construction pour chaque territoire d'un costume constitutionnel, institutionnel, juridique et politique qui pourrait correspondre le mieux possible à la volonté locale si elle existe, ou de maintenir le statu quo s'il est réclamé. Si tant est qu'on en ait la possibilité, mais vous nous offrez l'occasion d'évoquer des vœux, je crois qu'il faut rebâtir un cadre constitutionnel.

Le droit, d'abord, c'est une facilité. Et souvent d'ailleurs, quand on fait de la politique et qu'on a une culture juridique, on commence par avancer des notions juridiques pour faire une espèce de miroir aux alouettes. Disons que le droit va tout changer. Carine David l'a très justement dit, il faut aussi qu'il y ait localement une volonté d'appliquer. Quand on ressent aujourd'hui les volontés des élus dans ces territoires, on trouve de tout. Ceux qui, comme la Guyane, veulent avancer sur un statut, ceux qui, comme Saint-Barthélemy, Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon, préfèrent le statu quo, ceux qui ne savent pas vraiment où ils ont envie d'aller – la Guadeloupe –, ceux qui, comme La Réunion, ne sont pas d'accord entre la région et le département et qui s'interrogent sur le maintien ou la suppression de l'amendement Virapoullé. La région est plutôt pour le supprimer. Le département est plutôt pour le maintenir. Je n'ai pas en tout cas diagnostiqué une homogénéité dans la revendication d'évolution.

Dès lors, je crois que l'on pourrait avancer avec comme boussole la simplicité et la responsabilité, c'est-à-dire essayer de construire un cadre qui différencierait le temps constitutionnel et le temps juridique, qui générerait par la suite une loi organique pour chaque territoire, qui permettrait aux uns de conserver le statu quo, aux autres d'étendre leurs compétences, aux troisièmes de modifier leurs organisations institutionnelles, puisque je crois profondément à la subsidiarité. L'État ne pensera pas à la place des territoires, le ministre ou le Premier ministre ou le Président, qui prétendraient mieux savoir ce dont les territoires ultramarins ont besoin feraient fausse route. En tout cas, personnellement, je n'y adhérerai pas.

Le but de ce cadre unifié ne serait pas de pousser les collectivités de l'article 73 vers l'autonomie. Ce ne serait pas de recentrer les pouvoirs de ceux de l'article 74. Ce serait simplement de permettre de construire quelque chose qui dissiperait les ambiguïtés parce qu'aujourd'hui, pour beaucoup, rester sur l'article 73, c'est se priver d'un certain nombre de compétences, mais pour d'autres, l'article 74, c'est nécessairement basculer vers l'autonomie. En plus, quand l'État applique parfois simplement ses prérogatives et fait marcher la solidarité nationale, on a le sentiment, qu'il met ça en scène et qu'il surjoue. On a le sentiment que ce sont des cadeaux qu'il fait aux uns et aux autres, alors qu'on est simplement dans la juste répartition des compétences.

Je me souviens du cadre imaginé par la délégation des outre-mer et Michel Magras. L'amendement de cinq pages avait été discuté en 2020. Je l'avais trouvé extrêmement prometteur en ce qu'il était justement un cadre permissif sans être prescriptif.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur à l'université de Bordeaux, président du conseil d'administration de l'institut national du service public, président de l'association des juristes en droit des outre-mer, ancien déontologue de l'Assemblée nationale

Par rapport aux autres auditions que j'ai pu consulter, je vois que vous avez choisi, sur cette question de la vie chère, d'élargir la focale et finalement de poser la question de savoir s'il y a un lien entre les institutions – dont effectivement beaucoup convergent pour dire qu'elles ne sont pas adaptées pour les outre-mer, qu'elles sont aujourd'hui obsolètes – et la cherté de la vie.

De prime abord, il est vrai que la réponse n'est pas évidente. Le lien n'est pas évident, mais pour ma part, je suis convaincu que oui, vous avez tout à fait raison. Vous avez bien fait d'élargir la focale et de connecter les institutions propres aux outre-mer – article 73 d'une part, 74 d'autre part – avec la question de la cherté de la vie. Évidemment, de mon point de vue, les mauvaises institutions, pour la plupart d'entre elles, la mauvaise gouvernance, parfois, ne sont pas la seule cause, même sans doute pas la cause très dominante de la cherté de la vie. Mais même si c'est une cause marginale, elle mérite qu'on s'y intéresse.

Je fais partie de ceux qui considèrent que c'est aux pouvoirs publics, au droit, d'agir sur l'économie, et pas l'inverse. C'est un préjugé, mais je partirai de ce préjugé. Je serai bref, puisque Jean-Jacques Urvoas a déjà dit beaucoup de choses sur les articles 73 et 74, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, on sait assez bien que ces deux boîtes, ces deux tiroirs ont été imaginés en 1945, 1946, ils avaient la même numérotation d'ailleurs, dans la constitution de la Quatrième République, à l'époque où la France voulait préserver quatre départements  Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion  avec cette exigence d'égalité institutionnelle, d'application du droit commun, etc. Par ailleurs, dans l'autre boîte, la France rêvait finalement de maintenir l'empire colonial avec l'Union française, puis la Communauté et aujourd'hui, ces collectivités de l'article 74 s'accommodent d'être dans ce tiroir d'un défunt Commonwealth à la française. Cela n'a jamais marché, comme on le sait bien.

Tout ça « sent » donc les années 1940 et 1950, une époque où l'Union européenne n'existait pas encore. Les règles qu'elle impose aujourd'hui, et pour certaines à juste titre, n'existaient pas. La mondialisation telle qu'on la connaît aujourd'hui n'existait pas. Les facilités de déplacement n'étaient pas les mêmes. Le contexte a entièrement changé. Pourtant, les boîtes sont restées les mêmes. Cela a un petit peu évolué quand même en 2003. Effectivement, il y a eu une évolution notable, mais pour l'essentiel, l'architecture est restée la même. Ce cadre est obsolète, inadapté et il est bien temps qu'on en change. Jean-Jacques Urvoas faisait référence à la proposition de Stéphane Diémert, annexée au rapport Magras en 2020. J'y souscris tout à fait. J'ai moi-même fait une proposition dans la continuité de la sienne, avec un dispositif assez simple, c'est-à-dire une clause outre-mer unique dans la Constitution, dans laquelle seraient rappelées les compétences régaliennes de l'État, qui sont déjà d'ailleurs mentionnées dans la Constitution à l'article 73 alinéa 4. Quelles sont les compétences régaliennes de l'État ? Celles qu'il doit toujours exercer, qu'il peut éventuellement déléguer ou qui peuvent être exercées de concert avec lui dans certains cas. Pour tout le reste, c'est régi par une loi organique, territoire par territoire.

Comme le disait Jean-Jacques Urvoas, les territoires qui veulent aller moins loin, voire régresser dans l'exercice de leurs compétences, par exemple Mayotte, où ceux qui veulent aller nettement plus loin, je pense à la Martinique ou à la Guyane, peuvent le faire. Ceux qui ne veulent pas bouger, comme La Réunion, peuvent le faire également. C'est à la loi organique de le définir.

Ce cadre, dont on peut considérer qu'il est obsolète, est-il un frein ou l'une des causes de la cherté de la vie ? Je pense que oui. Si on parle de cherté de la vie, il faut un peu tout mettre sur la table en quelque sorte. Pour être un peu caricatural, je crois qu'il ne faut pas seulement s'intéresser au prix de la bouteille d'huile dans le rayon du supermarché. C'est effectivement un sujet très important, vous avez taquiné un certain nombre de grands groupes, mais ce n'est pas que le problème, C'est une partie du problème. Je ne suis pas économiste, mais je me lance. La cherté de la vie s'apprécie aussi en fonction des revenus et du pouvoir d'achat en quelque sorte. S'agissant du revenu, une question est récurrente et mérite qu'on s'y penche à nouveau : c'est la question de l'inégalité entre les salaires du privé et du public. Si, dans les années 1950, l'État considérait qu'en raison de la cherté de la vie, mais aussi en raison de l'éloignement et du manque d'attractivité, il fallait sur-rémunérer les fonctionnaires d'État, on se demande pourquoi il s'est arrêté en si bon chemin et n'a pas considéré qu'il fallait aussi que les salaires du privé ou de la territoriale soient indexés. La question de la sur-rémunération des fonctionnaires d'État se pose en tout cas, et, si l'on veut retourner le problème, la question de l'inégalité entre les salaires du public et les salaires du privé. À mon avis, c'est un sujet qui mérite d'être pris en compte comme un des paramètres de la question aujourd'hui.

S'agissant des dépenses, la situation la plus dramatique concerne les prix de l'alimentation. C'est vrai qu'on sent quand même encore, dans les outre-mer, le poids du passé et un héritage. C'est une vieille histoire, mais Aimé Césaire disait que la décolonisation des mentalités était bien plus longue, évidemment, que la décolonisation juridique ou même politique. Mais on sent encore le poids de ce qu'on appelait le régime de l'exclusif de Colbert. Cette circularité des échanges entre l'Hexagone, en tout cas entre le centre et les outre-mer aujourd'hui, impacte encore fortement l'économie des outre-mer.

Tout cela a une série de conséquences que vous connaissez ici, qui ont été mises en évidence dans une série de rapports de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom), ou de rapports parlementaires à l'Assemblée et au Sénat. Ce sont des situations de quasi-monopole avec des particularités : le poids particulier des grossistes importateurs, le poids des sociétés de distribution, l'importance des grandes surfaces commerciales dans un certain nombre d'outre-mer. À La Réunion, la couverture en grandes surfaces de plus de 6 000 mètres carrés est l'une des plus importantes de toute la République ; elle se distingue même des autres outre-mer. Ce sont des sujets bien connus.

D'autres sujets aussi méritent d'être mis sur la table. Je pense à un sujet comme le prix du logement, le prix du foncier. C'est vrai que les outre-mer, à l'exception de la Guyane, sont des îles, avec forcément un espace géographique réduit et un prix du foncier qui explose en raison de la rareté des terres, et qui est surenchéri par les politiques de défiscalisation conduisant à une augmentation forte du prix du foncier et à une raréfaction des terres agricoles. Le logement constitue le poste le plus important dans le budget d'un ménage, bien avant l'alimentation, deux ou trois fois plus, suivant les études.

Un certain nombre d'éléments de la cherté de la vie sont dus à l'action des acteurs économiques qui vont chercher à augmenter leurs marges, à tuer la concurrence. C'est leur logique. C'est tout à fait naturel. On ne peut pas leur en vouloir en quelque sorte, même si on peut essayer d'en limiter les effets. Mais ce qui est frappant, c'est que ce sont parfois les politiques publiques de l'État  je pense en particulier à la défiscalisation  qui conduisent à cette cherté de la vie, à ce renchérissement du coût de la vie dans les outre-mer.

C'est la raison pour laquelle, pour ma part, je pense qu'un transfert de ces compétences ou au moins une meilleure association des collectivités territoriales d'outre-mer à la prise de décision sur ces questions, est aujourd'hui indispensable et c'est pour cela que je crois que vous avez parfaitement bien fait de lier les deux sujets. Je vous donne un seul exemple. À La Réunion, près de 90 % de l'acte d'achat est opéré dans une grande surface commerciale. Je vois Philippe Naillet, face à moi, qui a connu comme moi les petites boutiques chinoises remplacées par des supérettes, qui elles-mêmes n'existent plus. On parle depuis plusieurs années d'un moratoire sur les grandes surfaces commerciales, notamment à La Réunion. Les collectivités territoriales ont l'air d'avoir beaucoup d'allant sur le sujet. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, le permet. Qui peut appuyer sur le bouton ? Je renvoie à ce que disait Jean-Jacques Urvoas : c'est le préfet qui a la possibilité de suspendre l'installation des grandes surfaces commerciales pendant une période de trois ans au terme de cette circulaire. C'est bien, mais est-ce bien normal ? Ne serait-ce pas précisément à la présidente de région ou au président du département de le faire ? Pour ma part, je pense que ces décisions doivent être assumées localement.

Cela concerne l'implantation de nouvelles grandes surfaces, mais de nombreuses mesures ont été proposées pour les surfaces commerciales existantes, notamment dans le rapport d'information de la délégation aux outre-mer du 3 décembre 2020 sur le coût de la vie dans les outre-mer. Tout cela pour dire que des marges de manœuvre existent. On peut espérer une révision constitutionnelle qui mette un peu d'ordre et qui clarifie les compétences. Il n'est pas certain que, dans les quatre prochaines années, elle soit tout à fait possible. Mais, en tout cas, si votre commission d'enquête pouvait aboutir à des résultats probants rapidement, des marges de manœuvre peuvent déjà être exploitées seulement par la loi. Par exemple, une simple adaptation de l'article 166 de la loi Élan permettrait de transférer la compétence à la collectivité concernée.

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Michel Verpeaux, professeur émérite à l'université de Paris 1  Panthéon-Sorbonne, président de l'association française de droit des collectivités locales

J'ai beaucoup de défauts. Je ne suis pas ultramarin, je ne suis pas économiste et je ne suis pas un ancien élu de la Nation ou même un ancien ministre. Mes compétences sont extrêmement réduites sur le sujet. Je vais essayer de réagir surtout à ce que je viens d'entendre, peut-être dans un désordre assez peu cohérent, mais déjà sur la question des articles 73 et 74, je comprends bien que ces deux boîtes, pour reprendre l'image qui a été employée, sont un peu anciennes. J'en connais un peu l'origine. Il y a quand même une distinction importante puisqu'il s'agit bien de deux catégories différentes de collectivités territoriales, avec des préoccupations très différentes. C'est d'une part la question de l'identité, d'autre part, une volonté de différenciation plus ou moins poussée. Le cadre général me paraît encore relativement solide. Mais sur ce plan-là, je serai en léger désaccord avec ce qu'a dit M. Urvoas, dans le sens où je crois que ce n'est pas aussi rigide que cela.

Les choses ont beaucoup évolué, notamment depuis 2003. À l'intérieur même de l'article 73, il y a des différences importantes, entre celles qui sont des départements, des régions, celles qui sont des collectivités uniques. Cela fait quand même des différences importantes, au terme de revendications qui ont été assez longues à mettre en œuvre. Pour sa part, La Réunion a choisi d'avoir un traitement différent, pour des tas de raisons que certains d'entre nous connaissent fort bien.

À l'intérieur de l'article 74, il y a aussi des différences considérables entre les collectivités d'outre-mer qui sont dotées de l'autonomie, et celles qui ne le sont pas ; et même au sein de celles qui ne le sont pas : entre Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, sans jouer sur les mots ni sur la géographie, il y a un monde. La diversité que certains souhaitaient existe déjà, de fait, bien sûr, mais aussi en droit. Cela mérite peut-être de ne pas tout jeter avec l'eau du bain.

Comme l'a très bien dit Mme David, le problème majeur est quand même celui de l'égalité. Mais l'égalité entre qui ? L'égalité entre la métropole et les outre-mer ? Les outre-mer doivent-ils tous être traités de la même manière ? La question de la vie chère et des remèdes possibles doit s'analyser de la même manière entre des territoires aussi divers et aussi éloignés. Toutes les collectivités ne sont pas des îles, ce qui mérite une réflexion. Et à l'intérieur même des collectivités d'outre-mer, entre les habitants d'outre-mer, est-ce que tout le monde doit être traité de la même manière ? Il y a quand même la question importante des agents publics et des salariés du privé. Peut-être que tous ces éléments de réflexion sur l'égalité devraient être pris en compte dans ces différentes causes d'inégalités potentielles.

J'écoutais ce que disait Ferdinand Mélin-Soucramanien à propos de la rémunération. S'agissant de l'outre-mer, ne pourrait-on pas inventer quelque chose qui serait une sorte de Smic outre-mer, c'est-à-dire quelque chose qui permettrait de diversifier le régime des salaires minimums entre la métropole et les outre-mer ? Peut-être que le niveau de ce Smic ne serait pas forcément le même d'une collectivité à une autre, sans reprendre la distinction article 73 et article 74. D'ailleurs, dans cette distinction, on oublie la Nouvelle-Calédonie, qui, elle, a un traitement totalement différent et qui n'est ni l'une ni l'autre – ni 73 ni 74 – mais quelque chose à part dont l'avenir institutionnel est, d'ailleurs, relativement incertain.

Les causes sont nombreuses et essentiellement économiques, et je ne vais pas du tout parler de choses que je ne connais pas. La question est celle des remèdes. Il y a le remède de la déconcentration évoqué par M. Urvoas. Il y a le remède des compétences des collectivités territoriales. Je rappelle une chose. L'article 73 dit que les lois peuvent être différentes en fonction des caractéristiques et des contraintes particulières. Voilà qui permettrait à la loi de traiter les outre-mer, au moins de l'article 73, de manière différente, mais c'est encore plus facile finalement pour les collectivités de l'article 74. Si l'on parle du Smic, voilà quelque chose qui pourrait très bien être réglé de cette manière.

Ensuite, il y a les possibilités qui sont offertes par l'article 73 de ne pas appliquer tout à fait le droit applicable ailleurs, soit sous la forme de mesures locales d'adaptation aux règles nationales. Pour cela, les conditions très strictes de la Constitution pourraient peut-être être assouplies. Les conditions sont qu'il faut que cela entre dans des compétences des collectivités territoriales. Or, la lutte contre la vie chère est-elle une compétence qui peut relever d'une collectivité territoriale ? Et puis, il y a la condition de l'habilitation. Là aussi, il suffirait, si cela entre dans les compétences des collectivités, que la loi habilite ces collectivités à décider des armes pour lutter contre la vie chère.

Nous avons aussi le dernier niveau prévu toujours par l'article 73, c'est-à-dire la fixation par des collectivités territoriales elles-mêmes, de règles qui seraient dérogatoires. Là aussi, il y a des conditions, notamment l'habilitation et puis il y a des exclusions  on laisse de côté La Réunion, qui a souhaité échapper à cette possibilité  c'est-à-dire toute une série de compétences qui ne peuvent pas faire l'objet de dérogations. Or, il se trouve que les questions qui nous occupent ici, qu'elles soient douanières ou économiques, n'entrent pas dans ces exclusions. Donc les collectivités en question pourraient être habilitées à déroger.

Je veux bien que l'on invente des autorités administratives indépendantes (AAI) un peu partout. Simplement, ce sont des institutions essentiellement étatiques. En tout cas, elles sont conçues comme ça, c'est un bras de l'État. Peut-on les concevoir ailleurs qu'en Nouvelle-Calédonie, très accessoirement en Polynésie française ? Et quand on dit « indépendantes », indépendantes par rapport à quoi ? Nous comprenons bien le sens des AAI nationales, mais pour des AAI plus locales, nous aurions un peu de mal à concevoir par rapport à quoi elles devraient être indépendantes.

Nous n'avons pas du tout parlé de la continuité territoriale. Voilà quelque chose aussi qui permettrait peut-être de compenser les handicaps causés par l'éloignement géographique. Je rappelle que la continuité territoriale a été inventée dans un premier temps pour la Corse. La Corse n'est pas l'outre-mer, on est d'accord, mais la continuité territoriale existe aussi. Les îles parfaitement hexagonales connaissent aussi des problèmes de vie chère, même si l'éloignement n'est pas tout à fait le même.

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Le coût de la vie a des réalités structurelles et conjoncturelles, et M. Mélin-Soucramanien a rappelé le poids de l'histoire. Mais il faut s'attaquer à ce problème sur le fonds. Pour moi, les institutions doivent être au service d'un modèle de développement qui permet la démocratie économique, qui permet de libérer l'initiative locale, qui permet le contrôle. Il n'y a pas que les prix, parce que s'il faut réduire le chômage dans nos territoires, qui est historiquement supérieur par rapport à des contraintes structurelles, d'éloignement, d'insularité et d'exigüité du marché intérieur, il y a des potentialités de développement qui font la force de la France. Aujourd'hui, la question des institutions se pose, notamment à travers l'appel de Fort-de-France porté par Serge Letchimy et les autres présidents de collectivités.

Le droit doit s'adapter à la réalité et ce n'est pas à la réalité de s'adapter au droit. Néanmoins, je pense que dans sa Constitution, dans sa codification, la France a toujours cherché à adapter la réalité des territoires au droit français et non l'inverse. On voit bien que la conséquence, c'est le mauvais développement de nos territoires, avec de la pauvreté, de la précarité, le conservatisme d'un modèle économique centralisé avec des oligopoles et des monopoles, et le poids de l'histoire.

On revient à la question centrale de l'égalité des droits et, je suis d'accord, à celle de sortir de la question de l'uniformité. Nous ne cherchons pas à ressembler à un blond aux yeux bleus, nous cherchons à avoir des droits égaux et donc des niveaux de vie qui se rapprochent de ceux des territoires de la République.

Les déterminants qu'on a trouvés sur le coût de la vie, c'est le niveau du revenu, c'est le niveau des prix qui fait le pouvoir d'achat, mais c'est aussi toute la partie du fonctionnement des institutions et des collectivités, qui sont des moteurs de développement. C'est aussi la partie de l'État qui est un investisseur dans nos territoires. Quand on conjugue ces quatre paramètres  niveau de revenus, niveau des prix, interventionnisme des collectivités locales, interventionnisme de l'État , l'idée n'est pas de se séparer de l'un ou de l'autre ; c'est de permettre, dans le respect de nos différences, de maintenir un niveau d'égalité des droits.

Que pensez-vous de l'idée de pouvoir conjuguer l'égalité des droits et le droit à la différence ? Je vous rappelle que nous sommes tous ici égaux humainement, en dignité et en humanité, mais nous sommes tous différents par nos réalités physiques, nos histoires de vie, etc. Donc, conjuguons-nous, même naturellement, le droit à l'égalité et le droit à la différence ? Sauf que ce n'est pas codifié. Effectivement, l'idée est de sortir d'un modèle 73/74. On a deux costumes, soit l'un, soit l'autre. Et aujourd'hui, on voit bien qu'on est arrivé à des limites. Parce que c'est une logique politique pour pouvoir aller vers un nouveau modèle de développement qui va améliorer le niveau de vie et le niveau de revenus, diminuer la précarité, le chômage, la pauvreté et libérer l'initiative locale.

Êtes-vous d'accord pour conjuguer les deux ? Comment faire pour que l'égalité des droits ne soit pas l'ennemi du droit à la différence ? Aujourd'hui, malheureusement, dans la codification française, soit on est dans l'un, soit on est dans l'autre. Nous ne pouvons pas avoir les deux en nous alors que nous les avons naturellement. Je parle de mal-développement, qui est une conséquence du poids de la loi française dans la limitation des possibilités de développement de nos territoires.

La deuxième question est celle de la superposition avec les lois européennes. La France a beau jeu de regrouper des territoires géographiquement éloignés les uns des autres dans un pôle dit outre-mer, avec toutes les différences que cela augure. Cela ne se traduit pas aujourd'hui dans nos capacités d'initiatives et de responsabilités locales. Quel est selon vous l'impact des lois européennes qui viennent s'adosser aux lois françaises et qui viennent finalement écraser et annihiler toute capacité d'initiative locale de ces territoires ? Leur enjeu serait de pouvoir déjà créer de la richesse localement à partir de la conjugaison de l'action de l'État, des collectivités, mais aussi de l'initiative privée.

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Si un terme rejoint toutes vos interventions, c'est celui de l'adaptation, et avec la difficulté de trouver des outils qui permettent à ces territoires lointains par rapport à l'Hexagone et situés dans un contexte particulier de s'adapter. Les normes de Paris ou de Bruxelles s'appliquent sans un discernement suffisant sur ces territoires.

Il y a aussi le problème de l'intégration de ces territoires dans leur environnement proche, avec des capacités qui ne leur sont pas données.

J'ai cru relever deux éléments dans vos interventions. D'une part, des règles qui existent et des lois qui existent, mais qui ne sont pas, peu ou mal appliquées. On a une capacité d'adaptation par les préfets dont ils ne font pas usage. La loi Élan permettrait de protéger le commerce local, déjà au travers des contrats de revitalisation des territoires.

Je reprends la réflexion de Mme David. Si jamais on devait envisager ces territoires dans leur environnement proche, il y aurait d'autres points de souveraineté à toucher et peut-être à déconcentrer ou à décentraliser.

J'entends un constat assez commun d'une adaptation des statuts actuels parce qu'ils sont trop vieux, mais sur quoi doit-on plutôt évoluer ? Devons-nous rendre effectif ce qui est déjà dans la loi pour mieux différencier ou mieux adapter, ou faut-il, pour pouvoir assurer le développement, aller plus loin dans les règles ?

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La question de l'adaptation : bien sûr ; mais une adaptation par rapport à ce qui est construit aujourd'hui dans un système. Il faut aussi ajouter la question de l'initiative locale. Vous avez parlé de compétences, mais, derrière, de pouvoirs normatifs aussi, c'est-à-dire aller plus loin, ne pas se limiter simplement à un transfert ou à une délégation de compétences ou à une déconcentration, et ne pas rester sur le volet des compétences, mais aller véritablement sur la question de créer quelque chose de nouveau localement par l'initiative, pas seulement par l'adaptation, parce qu'on adapte ce que l'autre fait, mais cela veut dire qu'on n'a pas de liberté d'initiative locale pour pouvoir être dans la réactivité et dans la réalité de l'optimisation des politiques publiques.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur à l'université de Bordeaux, président du conseil d'administration de l'institut national du service public, président de l'association des juristes en droit des outre-mer, ancien déontologue de l'Assemblée nationale

Sur la question de l'égalité, du rapport égalité /différenciation : en réalité, même dans le cadre de l'article 73, la notion de caractéristiques et contraintes particulières permet déjà beaucoup d'adaptations. Sauf que, bien souvent, la représentation nationale passe au travers, tout simplement. Elle n'aperçoit pas, et le Gouvernement non plus, la nécessité d'adaptation à la situation particulière des outre-mer. Cela vaut même pour les collectivités de l'article 74, ce qui explique le très grand nombre d'ordonnances, de ratifications, prises sur le fondement de l'article 74. Il y a un angle mort des outre-mer. Organisons des rendez-vous dédiés à l'outre-mer régulièrement, mais en réalité, on a déjà un cadre qui peut le permettre. Il faut simplement que la culture outre-mer soit davantage présente dans l'action du gouvernement et dans celle du Parlement. Ces possibilités de différenciation existent pour le meilleur, parfois pour le pire, si on se réfère à ce qui se passe à Mayotte. On peut aller très loin dans la différenciation en s'appuyant sur cette notion de caractéristiques et de contraintes particulières, voire, soit dit en passant, s'éloigner des valeurs les plus fondamentales de la République.

Pour ce qui est de la question du droit européen, notre configuration 73 et 74 – avec une échelle dans le 74, des différences très importantes au sein de 73 – pose un autre problème : elle n'est plus du tout lisible de Bruxelles ou de Strasbourg. Nous sommes le seul pays membre de l'Union européenne à avoir autant de prolongements de la République outre-mer. Onze territoires habités, treize si on compte les deux territoires inhabités, alors que les autres n'en ont plus que deux ou trois et qui sont soit purement et simplement des RUP, soit des PTOM. Nous en avons treize. Certains sont des RUP, d'autres des PTOM. Certains sont dans l'article 73, mais ce sont des PTOM. Allez expliquer cela à un parlementaire européen hongrois par exemple. Ça devient extrêmement difficile et c'est la raison pour laquelle la simplification de notre système national est sans doute nécessaire pour le rendre plus lisible et pour éviter de placer les collectivités dans un choix qui est parfois un choix épineux entre le statut de RUP ou de PTOM.

Pour répondre plus directement à la question de M. Hajjar, c'est vrai que, de ce point de vue, le statut de PTOM, qui fait sortir du marché intérieur, présente un certain nombre d'avantages, notamment en matière fiscale et douanière. C'est ce qu'ont bien compris un certain nombre de collectivités pas très éloignées de la Martinique.

Pour répondre à votre question, monsieur le président, faut-il sortir du cadre ou se contenter de ce qui existe et l'améliorer ? Il est vrai que le cadre existant permet déjà beaucoup de choses. C'est vrai qu'il pourrait encore être amélioré à peu de prix, notamment sur la question des habilitations. Une loi ordinaire ou une loi organique permettrait de gagner de la marge de manœuvre. C'est indubitable. Entre nous, même si je sais que cette audition est enregistrée, je pense qu'on y arrivera à court terme. À mon avis, ce sera le point d'arrivée. Il n'empêche qu'il y a une dimension symbolique très importante, qui ressortait bien des propos du rapporteur et de l'appel de Fort-de-France, à ne pas négliger. Dans l'appel de Fort-de-France, il y a un mot-clé : c'est « émancipation ». Émancipation, ça vient du latin « lâcher la main ». Cette idée de lâcher la main et d'utiliser ses propres mains pour construire son avenir me semble importante. Si la Constitution peut servir à quelque chose, c'est aussi à renvoyer ce message. Je regrette que Michel Verpeaux ne soit plus parmi nous. Il a dit que les Réunionnais avaient fait leur choix. Non, ils n'ont jamais été consultés. Le Parlement a voté la loi, et en l'occurrence la loi fondamentale, mais les Réunionnais n'ont jamais été consultés sur cet alinéa 5 de l'article 73, qui leur renvoie le message consistant à dire : « Vous n'êtes pas capables de recourir à ces habilitations. Donc on ferme le ban. » On retrouve cette dimension symbolique dans d'autres constitutions. Je pense à la Constitution portugaise par exemple, qui dit clairement, pour les deux territoires concernés : « vous avez les clés du camion, vous pouvez rouler ou pas ». Mais on renvoie à leurs responsabilités ces collectivités. Je pense qu'au-delà de la petite mécanique juridique, institutionnelle qui est très importante, la dimension symbolique, et en particulier la dimension symbolique passant par la Constitution, est aussi à prendre en compte.

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Carine David, professeur à l'université des Antilles – pôle Martinique

Je vais à mon tour réagir par rapport aux questions posées, notamment par monsieur le rapporteur. Je commencerai par dire que je souscris entièrement à votre affirmation de départ sur le fait que le droit doit s'adapter à la réalité et non pas à l'inverse. Les propos que je tenais sur le principe d'égalité avaient bien cette dimension. L'État cherche souvent, même peut-être trop souvent pour les collectivités, à adapter la réalité aux territoires et pas l'inverse.

Je pense qu'aujourd'hui, les outils sont à disposition des collectivités, et là, on parle des collectivités de l'article 73. Je souscris aux propos de MM. Urvoas et Mélin-Soucramanien sur la fusion ou en tout cas l'article unique qui simplifierait énormément les choses aujourd'hui et qui permettrait d'individualiser les solutions qui peuvent être proposées aux collectivités.

Les termes utilisés en Martinique relèvent plutôt de la responsabilisation. Un processus de responsabilisation des collectivités qui pourraient prendre l'initiative. Je crois que c'est un mot important. L'une des demandes des collectivités, notamment de certaines collectivités de l'article 73, dont la Martinique et la Guyane, est de pouvoir prendre l'initiative. Le cadre actuel dans lequel évoluent la Martinique, la Guyane et les autres collectivités n'est pas du tout adapté. Faut-il s'en tenir à des retouches législatives ou aller vers une révision de la Constitution ? C'est un élément auquel il faut répondre. Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est qu'on a énormément de problèmes d'application et de mise en œuvre de ces régimes d'adaptation. Vous avez par exemple des dispositions législatives prises par le Parlement qui renvoient à des textes réglementaires d'application. On constate cinq, dix ans, quinze ans, voire récemment, vingt ans après que le texte réglementaire n'a jamais été pris et qu'il n'y a eu pas de suivi des demandes. En fin d'année dernière, l'assemblée de la collectivité territoriale de Martinique a demandé à l'État de mettre en œuvre un certain nombre de textes, notamment en matière environnementale. Je n'ai pas entendu dire que cela a été fait pour le moment, mais la demande ne date que d'il y a six mois et peut-être faut-il donner le temps au temps. On retombe sur ce qu'on disait tout à l'heure sur le sous-dimensionnement de la DGOM, qui pose énormément de problèmes pour que l'État soit à même d'exercer ses compétences.

On peut souligner le fait que l'État ne remplit pas toujours ses obligations en termes normatifs vis-à-vis des collectivités ultramarines, mais il faut souligner aussi le manque de moyens que l'État se donne pour faire mettre en œuvre ces adaptations. On sait très bien que les habilitations aujourd'hui sont rejetées par l'ensemble des collectivités ultramarines parce qu'on en connaît les travers trop complexes, trop stricts.

On a des marges de manœuvre au niveau législatif, parce que, si on a des problématiques liées aux habilitations, c'est aussi parce que le législateur organique, quand il a mis en œuvre l'article 73 sur la question des habilitations, a fait en sorte que l'outil soit restrictif. On peut faire évoluer l'outil, mais je ne pense pas, même en le faisant évoluer, que cela réponde à ce que demandent aujourd'hui des collectivités comme la Martinique ou la Guyane. Il y a nécessité de faire évoluer le pouvoir normatif.

Je disais dans mes propos que cette évolution du pouvoir normatif est possible dans le cadre constitutionnel actuel, à condition de faire évoluer ces collectivités dans l'article 74. Mais ces collectivités se heurtent à ce fameux référendum de l'article 72-4. L'utilisation de l'article 72-4 pour l'ensemble des référendums organisés sur ce fondement, que ce soit pour Mayotte, pour Saint-Martin, pour Saint-Barthélemy ou encore pour la Guyane et la Martinique, est dévoyée. C'est-à-dire qu'on a posé une question confuse, difficilement lisible, aux populations, alors que dans les débats et dans le texte même de la Constitution, on voit bien que l'on doit interroger les populations sur un statut. Des discussions parlementaires le font apparaître.

Ce qui était voulu au départ, dans le cadre de l'article 72-4, était de demander aux populations de se prononcer non pas sur un passage de l'article 73 à l'article 74, qui est peu lisible pour les populations, mais sur un statut, pour que les populations puissent être à même de mesurer finalement le chèque qu'elles sont en train de signer. Sauf à faire une utilisation beaucoup plus rationnelle et conforme au texte de l'article 72-4, je suis d'avis que l'on doit nécessairement passer par une révision de la Constitution. Le problème, c'est la situation politique nationale, qui rend complexe cette question.

Sur la question des lois européennes, cette dichotomie RUP/PTOM est très gênante, puisqu'on conditionne des financements importants à l'applicabilité du droit de l'Union européenne dans les territoires, sous réserve des adaptations. Des réflexions commencent à poindre pour essayer de voir s'il ne faudrait pas faire évoluer cette catégorisation RUP/PTOM, parce que les collectivités françaises ne sont pas les seules à questionner cette dichotomie. Le professeur Mélin-Soucramanien parlait du Portugal : on voit effectivement le statut des Açores et de Madère, assez proche de celui de la Nouvelle-Calédonie ; et pourtant, ce sont des régions ultra-périphériques. On voit quand même que l'on peut jouir, dans le cadre du statut de RUP, d'une autonomie normative, qui peut répondre à un certain nombre de besoins sans sortir de ce statut de région ultrapériphérique.

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Jean-Jacques Urvoas, professeur à l'université de Bretagne occidentale, ancien ministre, ancien député

Je souhaite dire trois choses. La première est un élément de félicité : Jean Giraudoux, dans La guerre de Troie n'aura pas lieu, faire dire au prince Hector : « Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination ». Le droit est flexible, il sait s'adapter. La Nouvelle-Calédonie nous le démontre de manière éclatante depuis l'ouverture du processus de Matignon et de Nouméa. On trouvera toujours les mots pour habiller les volontés.

Deuxième élément : ces mots, nous les connaissons déjà. Vous venez d'en ajouter sur la responsabilité, l'émancipation, vous y rajoutez différenciation dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, déconcentration, décentralisation... Les possibilités sont déjà multiples. Elles disent toutes la même chose. Dès lors, que manque-t-il ? Cela n'a rien à voir avec le droit. C'est le poids de l'histoire, mais le poids de l'histoire appliqué à l'État, pour une raison qui est profondément culturelle : l'État n'a pas confiance dans les territoires. L'État considère que les élus ne défendent pas l'intérêt général. Seuls l'État et ses préfets sont capables d'identifier ce qu'est l'intérêt général. J'ai découvert ce sentiment pendant mes années au sein de l'exécutif. L'État ne fait pas confiance à ces territoires. Ce n'est pas une question partisane, mais une question culturelle. Je suis extrêmement volontaire pour changer le droit, mais je crains qu'il faille plus de volonté pour modifier les habitudes de l'État. Et il faudrait peut-être revoir le rôle des préfets dans les territoires.

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Je vous prie de m'excuser. Je ne suis pas un spécialiste du droit constitutionnel, donc je vais peut-être faire quelques confusions. À la Réunion, la question institutionnelle est sensible et n'est pas aujourd'hui appréhendée par la population comme elle devrait l'être.

La question fondamentale, c'est de se dire que si on change les institutions, si on va vers plus de compétences, forcément, cela doit se faire au service d'un modèle économique et de développement. Ce qui nous mine depuis plusieurs années, ce sont les injustices dans nos territoires. Les gens ne sont pas forcément réfractaires au changement, mais ils veulent un changement institutionnel. Ils veulent de nouvelles compétences au service d'un développement économique, au service d'une amélioration sociale, pour faire reculer les injustices.

Il y a quand même deux préalables à souligner, c'est que tout transfert supplémentaire de compétences nécessite d'abord un travail approfondi sur les moyens et les ressources humaines des collectivités locales. Comment faire pour que les délégations de compétences n'entraînent pas une diminution des ressources de nos collectivités ?

On entend, à juste titre d'ailleurs, que la question des normes est essentielle. Je prends un exemple précis que je connais un peu, celui du logement. Aujourd'hui, avec moins de normes, on pourrait construire différemment et surtout, on pourrait sortir des programmes moins chers, notamment dans le logement social. À la Réunion, les loyers dans le logement social font partie des loyers les plus élevés de l'Hexagone et d'outre-mer, et, en même temps, dans nos logements locatifs très sociaux (LLTS), nous avons des populations plus pauvres, composées en majorité de familles monoparentales.

Pouvoir s'approvisionner ailleurs qu'en Europe, dans notre bassin géographique, avec des normes différentes, permettrait de produire des logements plus abordables. Une chose n'est pas claire dans mon esprit, c'est la problématique de la qualité de la norme. Pour certains, la qualité de la norme n'est pas liée aux pouvoirs qui sont confiés aux autorités locales, mais à la méthode d'élaboration de la norme. Je voulais avoir votre appréciation sur cette question de la norme qui est importante.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur à l'université de Bordeaux, président du conseil d'administration de l'institut national du service public, président de l'association des juristes en droit des outre-mer, ancien déontologue de l'Assemblée nationale

Effectivement, c'est une question bien identifiée depuis un moment déjà. Je renvoie en particulier au rapport de la délégation des outre-mer du Sénat Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : Faire d'un obstacle un atout, rédigé par M. Eric Doligé, qui faisait assez bien le point et dont une partie des conclusions a été reprise d'ailleurs dans un autre rapport de la délégation des outre-mer du Sénat, Différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure ? de Michel Magras en 2020, avec des propositions très concrètes pour favoriser la construction de logements et adapter les normes.

Je donne des exemples, comme établir une gamme de produits de base, bois, béton, ciment, etc. ; ce sont des dérogations à l'emploi d'un certain nombre de matériaux. L'idée, pour faire simple, est de passer sous la norme CE en créant des tableaux d'équivalences. En réalité, tout cela est possible.

Pourquoi doit-on lutter ? Je ne pense pas que ce soit la volonté politique qui fasse défaut, mais c'est parfois tout simplement l'ingénierie locale qui n'existe pas nécessairement et qui n'est pas recherchée. On pourrait par exemple imaginer, sur ce sujet précis, que la région Réunion, ou une autre collectivité outre-mer, fasse travailler une équipe sur la rédaction d'une norme d'adaptation qui serait proposée au Gouvernement par décret. On n'a pas besoin de loi pour ça, mais c'est vrai qu'on n'est pas toujours outillé. Dans le meilleur des mondes, si la DGOM était mieux outillée – leur service juridique est, hélas, réduit à l'os – on pourrait tout à fait imaginer qu'elle serve de point d'appui pour la préparation de textes dérogatoires de ce type. On voit bien qu'il manque quelque chose. L'objectif est identifié, on aperçoit les moyens à peu près. Après vient la question de la rédaction d'une norme de qualité. Et là, il y a un chaînon manquant qui, de mon point de vue, pourrait être mutualisé. Soit les outre-mer s'entendent entre eux pour créer en quelque sorte une cellule d'ingénierie, soit ils font pression sur le gouvernement pour que la DGOM soit davantage étoffée et joue ce rôle de cellule d'appui. Mais en tout cas, la faisabilité juridique existe, mais concrètement, au moment de rédiger, il faut bien que quelqu'un s'y attelle.

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Carine David, professeur à l'université des Antilles – pôle Martinique

J'interviens pour partager une expérience que j'ai mise en place en Nouvelle-Calédonie. Nous avons créé un master de droit local, justifié par le fait que le décrochage entre le droit national et le droit local était bien plus important dans cette collectivité qu'ailleurs. D'ailleurs, un travail important a été fait par Ferdinand Mélin-Soucramanien de recensement des cours de droit de l'outre-mer dans les universités. On se rend compte qu'ils sont assez pauvres, y compris dans les collectivités ultramarines.

S'agissant de votre question, monsieur le député, sur la qualité de la norme, nous avions mis en place un cours de légistique, partant du constat qu'en réalité, les étudiants qui sortaient de l'université de la Nouvelle-Calédonie étaient, pour la plupart d'entre eux, recrutés par les différentes collectivités et se retrouvaient à rédiger des textes réglementaires ou législatifs sans jamais n'y avoir été formés. On a mis en place cette formation. C'est quelque chose qui est assez limité dans le cursus, mais qui permet d'avoir des notions importantes de légistique. Par exemple, au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, les administrateurs, quand ils sont recrutés, sont envoyés en stage, notamment, à l'Assemblée nationale, pendant au moins six mois, pour maîtriser ces éléments de légistique.

Je pense que si c'est faisable pour la Nouvelle-Calédonie, des conventions pourraient être passées entre les collectivités et les assemblées parlementaires pour reproduire ce même type de mécanisme qui me paraît quand même efficace.

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Je retiens cette suggestion. Nous serions très preneurs de contributions supplémentaires que vous auriez à cœur de rédiger et/ou de documents qui vous sembleraient être particulièrement pertinents. Je pense en particulier à cet amendement qui a été rédigé dans le cadre du rapport Magras.

Je vous remercie ainsi que ceux qui ont assisté à cette table-ronde.

Puis, la commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Robert Parfait, président du groupe Parfait, M. Bernard Édouard, secrétaire général, et M. Kévin Parfait, administrateur.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Robert Parfait, président du groupe Parfait, M. Kévin Parfait, administrateur, et M. Bernard Édouard, secrétaire général du groupe et président du Medef Martinique.

Fondé en 1967, le groupe Parfait exploite en Martinique et en Guadeloupe des activités de distribution automobile, alimentaire et de décoration intérieure, dont trois hypermarchés sous l'enseigne Leclerc.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire de dix ou quinze minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Robert Parfait, Bernard Édouard, et Kévin Parfait, administrateur prêtent serment).

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Nous vous remercions de nous avoir invités à cet entretien et nous espérons vous apporter certaines lumières dans les causes et les raisons de la vie chère pour vous permettre de prendre les bonnes décisions.

Je vais vous faire un petit historique de notre groupe. Tout d'abord, c'est en 1967 que mon père, Monsieur Yves Parfait, s'est lancé dans la vie entrepreneuriale et a créé, avec des amis de longue date, une première société spécialisée dans la production de menuiserie en aluminium. Cette entreprise s'appelait Socomi. Elle avait quatre salariés en 1967. Aujourd'hui, elle en a plus d'une centaine. En 1972, il étoffe ses activités avec d'autres amis en créant une marque de distribution automobile, dans un premier temps avec la marque Opel, puis Volkswagen et au fil des années, nous avons accumulé d'autres marques automobiles telles que Mitsubishi, Audi, Kia, Honda, Seat, Mercedes, Land Rover et Jaguar. En 1989, le Groupe se lance dans le secteur de la grande distribution alimentaire, avec la création du centre commercial la Galleria, c'était le premier aux Antilles.

Quelle est la structure des activités de notre groupe ? Nos activités sont organisées en quatre pôles, avec des actionnariats différents, et qui fonctionnent de manière autonome. Les quatre pôles sont les suivants. D'abord, le pôle automobile avec des concessions automobiles en Martinique, commune du Lamentin, et une concession en Guadeloupe. Nous aussi parallèlement des activités de location de voitures sous enseigne Avis et Budget en Martinique et Guadeloupe, ainsi qu'une marque propre à bas coût ou low cost de location de voitures.

Nous avons aussi une petite activité de vente de pièces détachées discount automobiles en Martinique sous une enseigne propre qui s'appelle Auto Quick. Cette filiale a été créée là aussi dans le but de baisser les coûts de pièces détachées pour les consommateurs, car nous avions constaté que les pièces d'origine des constructeurs coûtaient trop cher pour le pouvoir d'achat de la Martinique.

Le troisième pôle est celui de la menuiserie, avec une unité de production et de vente de menuiserie aluminium, bois et polychlorure de vinyle (PVC) et aménagement de cuisine. Nous commercialisons ces produits directement du producteur au consommateur et aussi à travers une autre enseigne, Lapeyre.

Le pôle immobilier est constitué de deux centres commerciaux. En Martinique, C'est la Galleria, un centre commercial comprenant cent vingt boutiques et services, exploités par des commerçants indépendants, et un petit hôtel dans le même complexe immobilier. En Guadeloupe, nous avons, en 2019, lors du rachat de l'hypermarché de Bas-du-Fort, fait l'acquisition simultanée du petit centre commercial qui a une trentaine de boutiques, situé à Gosier.

Le pôle alimentaire est devenu notre activité principale. Nous avons trois hypermarchés en Martinique, la Galleria, le Rond-Point et Place d'Armes. En Guadeloupe, nous avons un hypermarché et deux petits supermarchés, un à Gosier et un à Sainte-Rose. Nous exploitons notre activité sous enseigne Leclerc depuis 2020. Avant, depuis 1992, nous étions l'enseigne U. Nous avons commencé notre activité alimentaire en 1989, date à laquelle notre enseigne était Escale Prisunic. Nous étions alors un magasin franchisé. Par contre, constatant notre manque de compétitivité et déjà dans l'idée de pouvoir baisser les prix, nous avons décidé de devenir membres de la coopérative Système U. Cette coopérative n'avait jamais fait d'export et nous avons dû construire ensemble toute cette logistique, ce qui a été long, compliqué, coûteux, mais ça nous a permis d'arriver à nous développer, d'occuper une place sur le marché et surtout de survivre. En effet, à cette époque, le groupe dominant était le groupe Reynoird, qui avait plus de 60 % de parts de marché avec notamment l'enseigne Mammouth, puis Cora et Match.

Cette période a été celle des nouvelles arrivées. À la fin de l'année 1989 et au début de 1990, nous avons vu l'arrivée de Continent, puis Carrefour, Leader Price et nous-mêmes avec U, ce qui a entraîné des perturbations sur le marché et vraiment relancé la concurrence. Cette âpre bataille a d'ailleurs entraîné la disparition du groupe Reynoird qui, malgré sa taille, n'a pas pu résister à la concurrence et a cédé l'ensemble de ses activités à Cora France. Malgré sa puissance, son professionnalisme, son développement de l'enseigne Ecomax, le groupe Cora France n'a pas pu résister lui non plus. Il a été obligé de se retirer des départements des outre-mer (DOM) des Antilles en vendant en 2010 ses activités au groupe Ho Hio Hen, qui travaillait, lui, sous enseigne Casino.

Il est à noter que déjà, à l'époque, Cora France n'avait trouvé aucun entrepreneur de la métropole pour assurer la suite de ses activités. Nous pensons que les opérateurs métropolitains, au vu de la haute concurrence et de la complexité du métier dans les DOM, avec les contraintes de logistique, les dates limites de consommation (DLC), la casse importante à rajouter aux contraintes sociales, n'ont pas été intéressés. Le groupe Cora a été vendu en départements, la plus grosse part ayant été rachetée par le groupe Ho Hio Hen, qui lui aussi a connu des difficultés. En 2018 ou 2019, soit huit ou dix ans après avoir pris le contrôle, le groupe Ho Hio Hen s'est retrouvé en difficulté. Malgré l'aide du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) en France, il n'a pas pu trouver d'autres repreneurs à l'extérieur et, une fois de plus, les activités ont été reprises par les opérateurs sur les différents marchés.

Notre groupe a un effectif de l'ordre de 1 500 salariés, tous collaborateurs confondus. Cela représente 1 300 salariés en Martinique et 200 en Guadeloupe. Le secteur alimentaire représente environ 60 % de notre activité et le secteur automobile 28 %, les 12 % restants étant l'industrie, les menuiseries et l'hôtellerie avec notre petit hôtel de trente chambres.

Notre développement, dans l'alimentaire notamment, s'est fait en partie par le rachat des actifs de certains des opérateurs des DOM qui se retrouvaient en difficulté. C'est ainsi que nous avons racheté le magasin hypermarché du Rond-Point en 2003, à la suite des difficultés du groupe Roseau, puis du groupe Despointes. C'était un hypermarché de 3 500 mètres carrés. Nous avons racheté en 2011 un supermarché à Gosier, de 850 mètres carrés. C'était une enseigne Match, à la suite de la disparition du groupe Cora. Nous avons racheté en 2012 l'hypermarché Places d'Armes, qui est passé sous différentes enseignes. Il appartenait au groupe Lancry, qui a eu une enseigne Carrefour puis une enseigne Leclerc, mais qui, en 2012, s'est retrouvé en difficulté et a été vendu à la barre du tribunal. Nous avons aussi racheté, des mains du groupe Lancry, un supermarché à Long Pré, qui malheureusement a subi un incendie trois mois après notre achat. Il est resté fermé pendant deux ans et nous avons été obligés de le refermer et le revendre.

Notre expansion a continué en 2014, quand nous avons racheté le supermarché de Sainte-Rose, d'une surface de 850 mètres carrés, suite à l'abandon de la franchise Dia.

Parmi nos récentes acquisitions, nous avons acquis en 2019, des mains du groupe Ho Hio Hen, l'ex-Casino de Bas-du-Fort et que nous exploitons depuis février 2020 sous l'enseigne Leclerc. En 2020, le magasin de la Batelière a connu des déboires lui aussi, faisant partie du groupe Ho Hio Hen Casino. Nous avons donc, à la barre du tribunal, posé notre candidature et avons été adjudicateurs pour l'exploitation d'un petit hypermarché de 2 680 mètres carrés. Malheureusement, l'Autorité de la concurrence a jugé que cela nous donnait une position de duopole et a refusé l'exploitation. Cette décision a nous a coûté très cher, d'autant que, pour des raisons sociales, nous avions décidé de payer les salariés depuis le mois de mai 2020 jusqu'à la date d'aujourd'hui, sans exploitation en face. Nous pensons que cela fait partie de notre rôle aux Antilles.

Vous nous avez posé la question sur nos parts de marché. S'agissant du pôle automobile, nous détenons en Martinique une part de marché de l'ordre de 20 %, qui représente environ 3 000 véhicules vendus par an sur un marché global de 16 000 véhicules. En Guadeloupe, où nous ne proposons que la marque Jaguar Land Rover, notre part de marché est inférieure à 1 %.

Pour le deuxième pôle, celui de la menuiserie, nous n'avons malheureusement pas de données statistiques de ce secteur. Il existe beaucoup de petits opérateurs et importateurs sur le marché.

Nous arrivons donc au pôle qui nous intéresse le plus, à savoir le pôle alimentaire. À cette date, nous ne pouvons estimer nos parts de marché qu'en termes de surfaces en mètres carrés exploités, sachant qu'il n'y a plus de statistiques sur ces données et que nous ne connaissons pas les chiffres de nos concurrents. Ces statistiques étaient maintenues par la direction de la concurrence et des prix. Nous évaluons notre part de marché en Martinique en mètres carrés entre 16 et 20 %. Nous pensons être en quatrième position en termes de surfaces en mètres carrés. En Guadeloupe, sur la même base de surfaces, avec un hypermarché et deux supermarchés, nous pensons être aux alentours de 5 % de parts de marché.

Une question nous a été posée : pourquoi sommes-nous devenus Leclerc ? Nous avions mis trente ans pour installer une enseigne U, qui fonctionnait bien. Nous progressions et profitions d'une bonne image de la population. Par contre, comme on vous l'a dit, le marché est très concurrentiel et il évolue beaucoup. En 2018, nous avons fait le constat que les DOM des Antilles subissaient une phase d'appauvrissement, du fait de la diminution de la population, de l'ordre de 4 000 habitants par an, du manque d'activité, du chômage important, du vieillissement de la population existante et d'une réduction du nombre de fonctionnaires. Or, ces fonctionnaires permettaient de remonter le pouvoir d'achat de l'île, avec la prime de 40 % des salaires déjà mise en place à l'époque pour compenser la vie chère. Quand ces fonctionnaires partent à la retraite, ils ne bénéficient plus de la prime et le pouvoir d'achat passe de 100 % du salaire et des 40 % de prime, soit 140 %, à 65 %. Cet abaissement du pouvoir d'achat des fonctionnaires entraîne l'impossibilité pour eux, pour les parents, d'aider les jeunes, ce qui se faisait avant. Les jeunes préfèrent partir en France hexagonale où il est plus facile de trouver un emploi, où la vie coûte moins cher et où les transports en commun leur permettent de se déplacer à moindres frais. Il faut aussi mentionner la difficulté de trouver les logements, car le nombre de constructions à loyer modéré (HLM) ne cesse de baisser. Il y a bien des logements vides, mais ce sont des logements inadaptés qui ont besoin d'être rénovés. Je vais parler aussi de la réduction des aides du gouvernement, tant aux particuliers qu'aux mairies et aux collectivités.

Il y a aussi le fait que, dans les années 1960, les cotisations de retraite n'étaient pas appliquées partout dans tous les secteurs. Dans les secteurs du bâtiment, de l'agriculture, des gens de maison et même de la médecine, les retraites n'étaient pas cotisées et versées. Ces gens aujourd'hui se retrouvent très fortement défavorisés et nous avons une population malheureusement qui perçoit des pensions de retraite ridicules, ce qui amène à se demander de quelle manière ils réussissent à vivre.

Notre analyse fait ressortir un futur plutôt obscur. Nous avons regardé les autres contraintes. Nous étions le seul groupe de la grande distribution à ne pas avoir d'activités de grossiste ou d'agent de marque. En plus, certains de nos fournisseurs sont nos concurrents. Ce constat fait, il nous fallait trouver une enseigne qui nous permette de nous approvisionner pour nos 30 000 références et le moins cher possible, tout en nous permettant de supprimer au maximum les intermédiaires. Nous cherchions un acteur ayant la même vision que nous du marché, à savoir baisser les prix et être le moins cher possible.

Ce nouveau partenaire devait aussi nous permettre, d'une part de passer à la transition numérique, d'autre part à la transition énergétique et écologique. Numérique, pourquoi ? Parce qu'il n'est pas impossible que demain matin, nous puissions avoir des concurrents tels qu'Amazon face à nous. Notre choix s'est donc naturellement porté sur l'enseigne Leclerc, dont vous savez tous que l'ADN et le slogan sont de baisser les prix et d'être toujours l'acteur le moins cher. Ce choix nous permettait par ailleurs de rester dans le même format d'hyper dans lequel nous opérons et d'avoir un engagement identique au nôtre.

Cet engagement mutuel est tellement fort qu'il est indiqué dans notre contrat que nous devons être à l'indice 96, c'est-à-dire 4 % moins cher que tous nos concurrents, sous peine de perdre l'enseigne Leclerc. Vous comprendrez qu'avec un tel engagement, il n'est pas question pour nous d'avoir des marges cachées ou empilées. Il faut que nous soyons les moins chers, ce qui n'est pas toujours facile, mais c'est l'objectif. Notre stratégie est d'abord de réduire les coûts, éliminer tous les coûts non indispensables ou nécessaires. Entre la centrale coopérative Leclerc et nous, nous trouvons bien entendu des prestataires, mais ce sont des prestataires extérieurs tels que les transitaires, les transporteurs, dont la CMA CGM. Aucune de ces entreprises ne fait partie de notre groupe. Ce sont des charges externes que nous payons à des tiers, que nous challengeons en permanence et que nous mettons en concurrence les uns par rapport aux autres.

Le deuxième axe stratégique est d'offrir un large choix de produits peu chers, de bonne qualité, dans un cadre agréable pour témoigner à nos clients du respect à leur égard. Notre slogan : « Le prix, le choix et la qualité ».

L'organisation juridique de notre activité est très simple et elle est basée selon les règles de l'indépendance des secteurs de l'activité, à savoir une entité pour l'activité automobile, une entité pour l'activité menuiserie et fermeture, une entité pour l'activité immobilière et une entité pour l'activité distribution alimentaire. Pourquoi ? Là aussi, nous avons des actionnaires différents dans les différentes entités.

Je vais essayer de répondre à l'une de vos questions. Non, nous ne déposons pas nos comptes pour des raisons de confidentialité. Je crois que personne ne dépose réellement les comptes étant donné l'étroitesse du marché et le fait qu'on veut vite savoir ce qui se passe. Par contre, nous déposons nos comptes aux services fiscaux, à l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom), à nos banques et à nos partenaires sociaux. De l'autre côté, l'Autorité de la concurrence, puisqu'elle a eu affaire à nos dossiers à plusieurs reprises, possède une très bonne connaissance de l'ensemble du groupe. Nous nous tenons à votre disposition pour vous remettre copie des bilans des différentes sociétés concernées du groupe.

On vous a dit quelles étaient notre stratégie et notre obnubilation des prix. Faire baisser les prix passe par les achats en termes de sources d'approvisionnement. À ce jour, nos achats représentent 60 % d'achats locaux, dont 38 % chez les producteurs locaux, et 40 % d'achats à l'import, en passant en grande majorité par la coopérative Leclerc. En termes de marques achetées, la marque distributeur (MDD) représente 40 % de nos achats à l'import. Nous achetons désormais 47,5 % de produits de marque nationale à la coopérative Leclerc directement. Nous achetons un peu plus de 50 %, toujours localement, à travers les grossistes et agents locaux. Pourquoi ? Nous n'avons pas la capacité de stocker toutes les références des magasins. Comme je vous l'ai dit, nous parlons de plus de 30 000 références. Nous ne pouvons pas avoir toutes ces références. Notre organisation, toujours pour être les moins chers possible, consiste à fonctionner avec des stocks minimums. En effet, aux Antilles, les normes de construction font que les coûts sont facilement de 50 à 80 % plus élevés que ceux de la métropole. Nous avons les normes sismiques, nous avons les normes anticycloniques et de plus, il nous faut des surfaces plus grandes pour pouvoir stocker davantage. En métropole, les magasins sont livrés tous les jours, toutes 48 heures. Pour notre part, il nous faut passer la commande, attendre la livraison et prévoir les imprévus, comme le retard d'un bateau ou la grève sur le port. Les bateaux assurent des rotations hebdomadaires et mettent entre dix et douze jours de mer. Notre objectif est d'avoir deux semaines en commande chez la coopérative, deux semaines de stock flottant et trois semaines de stock en magasin. Comme je vous l'ai dit, c'est pour anticiper toute possibilité de rupture en cas d'imprévu. Il faut compter entre quatre et six semaines entre le moment où nous passons une commande et l'arrivée des produits dans nos entrepôts. Nous chargeons les containers de manière mixte, c'est-à-dire qu'ils sont remplis avec plusieurs types de produits, dans le but d'augmenter la valeur transportée, d'optimiser les containers et ainsi permettre aux produits de première nécessité de supporter moins de coûts.

Alors, pourquoi y a-t-il un différentiel de prix entre la métropole et les îles ? J'ai envie de dire qu'il y a des différentiels de prix entre Paris et la Bretagne. Tout est fonction des lieux de production et du marché. Aujourd'hui, aux Antilles, nous avons ce que nous appelons les surcoûts. Ce sont les surcoûts d'importation par rapport au prix moyen de départ de la métropole. En plus des surcoûts d'importation, nos magasins supportent des coûts supplémentaires liés à plusieurs facteurs, comme les surfaces de stockage plus importantes, les coûts de construction supplémentaires, les tâches supplémentaires occasionnées, telles que dépoter des containers ou avoir du personnel pour calculer les prix de revient. Les magasins de métropole ne connaissent pas ces situations. Je cite aussi les ruptures, la casse, les démarques inconnues.

Dans le tableau ci-joint, nous avons essayé de vous faire une synthèse des différents surcoûts auxquels sont soumises les marchandises importées de la France hexagonale vers les Antilles-Guyane. Nous parlons surtout des Antilles, Martinique et Guadeloupe. En moyenne, le surcoût de nos achats à l'import, tous secteurs confondus, pour un hypermarché et pour toute l'année 2022, se décompose approximativement comme suit, en précisant que la base de départ est une base 100, c'est-à-dire le prix du produit qui quitte l'usine en métropole. Vous voyez que nous ajoutons un surcoût qui s'appelle la logistique départ, qui correspond au coût du camion de l'usine de production à la centrale ou chez le transitaire, puis du transitaire sur le port où le produit est embarqué en étant levé par la grue pour arriver au-dessus du bastingage du bateau. Ces coûts représentent en moyenne 8 %. Ensuite, vous avez la phase du transport qui englobe le prix du fret, vous avez le prix de la BAF ( bunker adjustment factor, facteur d'ajustement de soute), plus quelques frais annexes. Sur une moyenne générale, établie sur la base de nos achats dans tous les secteurs, le transport et la BAF coûtent 11,5 % de plus qui viennent se rajouter aux 100 % du prix du départ du produit. Les autres taxes représentent 17 %.

Vous allez me demander pourquoi l'octroi de mer représente 17 %, alors qu'un grand nombre d'octrois de mer sont à 8,8 %. Mais quand on les applique à 8,5 % sur le prix du produit, plus le prix du fret, ce ne sont plus 8,5 % sur 100, c'est 8,5 % sur 120, ce qui augmente la part de l'octroi de mer.

Une fois le bateau arrivé, nous avons en moyenne 3,3 % de gestion du port comprenant les débarquements, les stationnements ou ce que vous voulez. Vient après la logistique locale. Les containers sortent du port et sont transportés par des camions. Un trajet du port à la Galleria coûte 260 euros. Il faut ensuite déposer les containers dans les entrepôts, chez le logisticien ou autre. On considère qu'en moyenne, la logistique locale et la livraison coûtent 6,8 % aux Antilles.

Au final, un produit sur une base de 100 qui arrive aux Antilles fait l'objet d'un surcoût moyen de 46,6 %. Ce sont les moyennes qui ont été faites sur tous nos achats. Vous avez des produits électroniques, de l'alimentaire qui représente 90 %, du textile, etc. C'est une moyenne. La vie chère est composée de toutes ces composantes.

Vous avez noté que j'ai parlé de coûts de transport et non pas de fret, puis de BAF. Pour moi, le transport, c'est un ensemble. Pour éviter les confusions, on parle tantôt de transport, tantôt de fret, tantôt de BAF. Pour nous, c'est un total qui est facturé aux mêmes prestataires, aux mêmes personnes.

Il est important à nos yeux de faire une différenciation entre les différents intermédiaires versus les différentes étapes supplémentaires liées à l'importation. Un intermédiaire peut réaliser plusieurs étapes. Un transitaire, par exemple, peut faire les opérations de dédouanement, de livraison et de stockage. Je vous ai dit que nous constatons un supplément de 46 %, mais cette moyenne peut cacher de grandes différences sur les surcoûts, notamment de produits alimentaires et de première nécessité. Je vous confirme les déclarations de mes concurrents qui vous ont fait part de surcoût pour ces produits de première nécessité, de l'ordre de 45 à 50 % pour le lait, de 50 à 55 % pour les pâtes, de 45 à 50 % pour le riz et de 40 à 50 % pour les conserves. Par contre, sur les produits frais, les surcoûts peuvent dépasser les 80 % et ceux non compris les pertes liées aux dates limites de consommation. Ces dates limites de consommation (DLC), notamment pour les produits frais, sont de 21 jours à partir du jour de production. Si un bateau part le vendredi, il faut que la marchandise soit livrée le mercredi à midi. Il faut donc que le producteur livre avant le mercredi et dans ce cas, nous avons six jours : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi et nous avons les dix jours de bateau. Nous sommes déjà entre 15 à 16 jours. Or, les DLC sur les produits frais sont de 21 jours. Vous voyez qu'il ne reste que cinq ou six jours pour vendre les produits. Quand un bateau arrive non plus le mercredi, comme c'était prévu par le passé avec la CMA CGM, mais qu'il arrive le vendredi matin sur le port, en sachant que les services vétérinaires sont fermés à midi, nous ne sommes livrés que le lundi ou le mardi. En ce mois de mai, avec tous les lundis fériés, nous avons été livrés le mardi. Imaginez-vous qu'à ce moment-là, nous prenons la marchandise du container et nous la jetons en totalité.

Donc la casse représente un coût important, d'où certaines suggestions de notre part. Nous n'avons pas la prétention d'avoir les solutions à la problématique de la vie chère dans les DOM. Nous nous permettons toutefois de poser des pistes et des suggestions, en sachant que c'est surtout la volonté politique qui nous permettra de chercher et de trouver des solutions pour aider la population et relancer l'économie en abaissant les surcoûts.

Nos suggestions portent à la fois sur une baisse des surcoûts à l'importation, sur une réorganisation de la production locale pour viser l'autonomie alimentaire maximale et aussi sur les mesures à prendre. En ce qui concerne la réduction des surcoûts, nous pensons que la première tâche serait de déterminer une quantité et une liste de produits de première nécessité qui pourraient être de l'ordre de 2 500 produits alimentaires et marchandises générales. Il convient de fixer cet objectif avec un différentiel maximum entre les prix toutes taxes comprises (TTC) en métropole et les prix TTC dans les DOM, en tenant compte des différentiels de TVA. Cette solution implique de supprimer le fret de la base taxable de l'octroi de mer des produits de première nécessité. Je parle bien uniquement des produits de première nécessité.

Il faudrait aussi remettre en place la continuité territoriale sur les produits de première nécessité ou proposer une aide au fret pour la liste des produits de première nécessité. Cela pourrait être fait comme les entrants de la production locale, à partir des déclarations de douanes ou, pour ne pas diminuer les recettes des régions dont elles ont besoin et qui sont nécessaires aux communes et au développement économique des sorties, mettre en place une péréquation sur les coûts et les produits de moindre nécessité et pour lesquels il n'y a pas de production locale. L'idée est de taxer un peu plus les produits de moindre nécessité, comme les équipements électroniques, téléphoniques, l'automobile non écologique, etc.

L'autre solution dont j'ai parlé tout à l'heure, serait de revoir la possibilité d'avoir des dates limites de consommation (DLC) plus longues pour diminuer la casse, notamment sur les produits sans production locale quand cela fait partie des surcoûts. Il peut s'agir aussi de revoir les normes et règles pour développer le commerce régional et permettre aux marques internationales de nous livrer des produits comme cela se fait dans les îles voisines, au prix des îles voisines. Ces produits peuvent venir du Venezuela ou de Trinidad et ils affichent des prix inférieurs aux marques nationales.

Un point important est l'amélioration de la production locale. Il faut développer la production locale par une aide à l'entreprise et non aux produits, afin de permettre à l'entreprise d'être compétitive non seulement dans les DOM, mais aussi à l'export. Nous connaissons particulièrement ce cas dans le groupe. Je vous ai parlé de l'entreprise de menuiserie. Les aides étaient accordées avant à l'entreprise. Aujourd'hui, elles sont faites par produit. Il y a vingt ans, nous étions assez compétitifs et nous pouvions vendre des produits dans toute la Caraïbe, y compris en Jamaïque et aux États-Unis. Aujourd'hui, par le fait de taxer le produit localement, nous ne sommes plus compétitifs. Ce n'est plus l'entreprise qui a la capacité de faire les produits différents, c'est un produit bien spécifique. Je pense qu'il faut revoir l'aide accordée aux entreprises à ce sujet.

Il faut aider à la restructuration et à l'organisation des filières, aider les coopératives à réduire les coûts par une aide aux entrants, par la mise en place de financements, notamment à destination des agriculteurs, pour lisser leurs besoins de trésorerie. Entre le moment où ils plantent un arbre et le moment où ils récoltent, ils n'ont pas les moyens de se financer. Je pense à quelque chose qui ressemblerait au système des coopératives de la banane. Bien entendu, il faut continuer à développer l'autosuffisance et les filières animales.

Le dernier point, déjà mis en avant par d'autres personnes, concerne l'amélioration du pouvoir d'achat aux Antilles. Le niveau de vie aux Antilles est inférieur de 20 à 30 % par rapport à la métropole, alors que la vie est plus chère de 20 à 40 %. Afin de redonner du pouvoir d'achat à la population, mais aussi de redonner une activité dans nos territoires vis-à-vis de nos collaborateurs, il serait opportun de remettre en place par exemple les avantages fiscaux, comme l'abattement de 30 % de fiscalité ou les crédits d'impôt. Pour moi, c'est une injustice d'avoir une population qui a moins de pouvoir d'achat et pour qui la vie est plus chère de 40 %. On s'imagine la réaction de la population défavorisée en France hexagonale. On peut s'imaginer la détresse et le sentiment d'injustice de vie chère pour la population Antilles-Guyane. Il faut donc diminuer cet écart de pouvoir d'achat, d'autant que cela permettrait de redévelopper l'économie locale.

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Merci monsieur le président. Nous conviendrons que vous avez un tout petit peu dépassé le quart d'heure dont nous avions convenu, mais je vous remercie d'avoir été très précis dans vos informations. Je retiens que l'histoire de votre groupe s'est construite en partie sur un certain nombre d'autres acteurs qui n'ont pas réussi à s'implanter. Il y a ce sentiment qu'il n'y ait pas tant de places que cela sur ces marchés. Cette vision n'est pas toujours partagée, avec cette nuance entre une absence de concurrence qui peut être utilisée, une absence de concurrence qui résulte des mécaniques, de l'étroitesse du marché parfois, et un discernement qui est naturel.

Ce que je retiens de votre démonstration sur les prix, c'est qu'il existe une relative mécanique des prix à laquelle peu de monde échappe. Je crois que c'est le terme de profitation, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de profits excessifs. Là aussi, je ne vous apprendrai rien en vous disant que tout ceci n'est pas forcément totalement partagé par tout le monde.

Contrairement à un certain nombre d'autres acteurs, vous n'avez pas eu le souci de reporter sur d'autres la responsabilité des prix excessifs. Vous souhaitez les exprimer de façon rationnelle. Je vois des affiches derrière vous relatives à la politique commerciale de Leclerc. Participez au bouclier qualité-prix (BQP) et qu'en pensez-vous ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Nous participons au bouclier qualité-prix. Je pense que c'est un bon début qui, malheureusement, ne satisfait pas la population en totalité. C'est vrai que cela représente un montant assez important des achats alimentaires, mais le ressentiment de la population est que ce n'est pas suffisant. Ça représente aujourd'hui 134 produits, dont 60 % de fruits et légumes. Les gens en profitent, mais ce n'est pas suffisant.

D'où notre suggestion, avec l'ensemble de mes confrères d'ailleurs, d'augmenter le nombre d'articles, en fonction des modes de consommation de tout un chacun. Les 2 000 ou 2 500 références sur les 30 000 représenteraient chez nous environ 9 %. Dans les magasins discount spécialisés, ce taux pourrait être plus élevé.

Là aussi, je pense qu'il faut qu'on fasse un choix ensemble, englobant les politiques et les consommateurs, pour déterminer ce qu'on considère comme produits nécessaires à la vie de tous les jours.

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Vous avez dit que vous teniez vos bilans à notre disposition et souhaitons les consulter. Je voulais vous préciser, comme je l'ai fait avec les autres, notre mode de fonctionnement, pour que ce soit bien clair. En application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d'enquête a le droit de se faire communiquer tous documents, sauf ceux couverts par le secret de la défense, des affaires étrangères ou de la sécurité de l'État ou relevant de l'autorité judiciaire. Si le secret des affaires n'est pas en soi opposable à ces travaux, elle n'a pas le droit de révéler les éléments de caractère secret ailleurs que dans son rapport.

Par ailleurs, si nous interrogeons certains des acteurs économiques ultramarins les plus puissants, nous ne pourrons pas entendre tous leurs concurrents pour leur demander les mêmes informations. Aussi, notre pratique concernant les chiffres de ces entreprises sera constante. Si les auditionnés s'engagent publiquement à fournir par écrit les derniers chiffres demandés par le rapporteur, nous ne demanderons pas qu'ils les révèlent publiquement. Bien entendu, si cet engagement n'était pas respecté, nous conserverions le droit d'aller les chercher sur pièce et sur place. Je précisais ce cadre qui est le cadre qui s'applique à tout le monde.

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Vous avez dit que votre groupe était positionné en quatrième position sur le territoire. Vous avez insisté pour dire que ce sont des parts de marché par rapport à la surface commerciale et non pas par rapport au chiffre d'affaires.

Pouvez-vous nous dire quels sont les trois groupes qui sont devant vous et si vous connaissez leur part de marché ? Nous vous demandons de pouvoir communiquer ces éléments, en plus, bien sûr, de vos comptes 2021 et 2022 consolidés.

Vous dites que vous proposez le meilleur prix, à - 4 % par rapport à vos concurrents. Comment faites-vous pour être quatrième en parts de marché au regard de ces 4 % ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

L'expliquer, c'est arriver à avoir une entreprise qui réduit ses coûts en amont et ses coûts de fonctionnement. Il est certain que quand on a une plus grande part de marché, on peut amortir les frais sur les plus gros chiffres. Aujourd'hui, nous pensons que nous avons dépassé la taille critique minimum pour avoir des frais généraux et des frais de fonctionnement inférieurs à certains de nos concurrents.

Notre tentative d'avoir la Batelière consiste à augmenter le chiffre d'affaires, à répartir nos coûts fixes et nos frais généraux sur une base plus large. Plus on répartit ces frais généraux sur une base large, moins on a besoin de marge pour compenser les frais généraux. C'est une bataille de tous les jours qui n'est pas évidente pour nous, qui d'ailleurs a été pénalisante lors du changement d'enseigne.

Je n'ai pas totalement la solution. Plus gros ne veut pas dire forcément plus productif. Nous l'avons vu avec le groupe Reynoird et le groupe Cora, qui étaient trop gros et avaient perdu l'agilité commerciale leur permettant d'être compétitifs.

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Kévin Parfait, administrateur du groupe Parfait

Pour répondre à la question du rapporteur, nous analysons les parts de marché en mètres carrés, non pas en chiffre d'affaires, puisque nous ne connaissons pas les chiffres d'affaires de nos concurrents. Certains de nos concurrents ont non seulement de multiples enseignes, mais aussi parfois des affiliés qui contribuent à leur développement. Nous avons le groupe GBH, le groupe CréO et le groupe SAFO qui sont devant nous. On estime aujourd'hui que les groupes CréO et GBH sont chacun entre 16 et 20 % et SAFO à environ 17 %. CréO doit être à 19 %, GBH à 18,7 % et Safo 17,7 %.

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Kévin Parfait, administrateur du groupe Parfait

Non, nous sommes à 16 %.

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Les groupes que vous avez évoqués ont une structuration avec de multiples petites entreprises dans des chaînes d'intégration et très peu de salariés. D'après l'organisation que vous nous avez indiquée, vous n'avez qu'une grosse entreprise. Est-ce que je me trompe ou est-ce que c'est bien ça ? Avez-vous une grosse entreprise par pôle ? Je vais plutôt parler du pôle de la grande distribution.

Pouvez-vous expliquer les raisons pour lesquelles vous n'avez pas changé de type d'organisation ? Est-ce pour faire des économies d'échelle ? Finalement, votre organisation est très simplifiée par rapport à d'autres.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Je ne sais pas exactement comment sont les autres organisations. Nous avons des entités par secteur. Par contre, chaque magasin est une entité placée sous une entité qui coiffe l'ensemble des entités. Il y a une entité qui s'appelle Socohold, pour la branche alimentaire et qui coiffe les six magasins.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Nous avons 1 500 salariés.

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Nous avons auditionné le groupe guyanais SCGR, qui souhaite proposer des prix 15 % moins chers que ses concurrents, qui sont quasiment les mêmes que les vôtres en Martinique. Pensez-vous qu'il est possible d'atteindre cette réduction des prix à 15 % ou pas ? Si c'est le cas en Guyane, avec les mêmes contraintes, peut-être pas d'insularité, mais d'éloignement, les mêmes types d'approvisionnement avec peut-être pas les mêmes marques de produits, d'après ce que j'ai pu comprendre, pensez-vous faire baisser les prix au maximum ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Dans la bataille des prix, il n'y a pas uniformité des prix.

Quand nous nous sommes arrivés sur le marché, Cora était entre 15 à 20 % plus cher que nous et que les nouveaux venus, mais cette situation s'expliquait aussi par le fait que leur masse salariale représentait 18 % de leur chiffre d'affaires, alors que les nouveaux venus se situaient aux alentours de 10 %.

Aujourd'hui, je peux vous dire que sur le marché, il existe des différentiels de prix de l'ordre de 10 à 15 % entre certains des opérateurs, mais cela s'explique parfois par la situation géographique du point de vente, par les coûts supplémentaires des livraisons, par l'organisation et aussi par la compétitivité et la productivité des salariés. Une entreprise âgée n'a pas la même productivité qu'une entreprise jeune. Il y a beaucoup de raisons. Malheureusement, la loi qui existe dans cette jungle fait que si tu n'es pas compétitif, tu meurs. Donc oui, on peut arriver à avoir, et nous l'avons vécu, certains opérateurs, comme Leader Price, dont le différentiel de prix avec l'ensemble des généralistes est très important.

Ce sont les grains de riz qui font les sacs. Si vous avez gagné 3 % sur les frais de personnel, 2 % sur vos loyers, 0,5 % sur les intermédiaires et quand vous faites l'addition, vous pouvez arriver à être 8 ou 10 % moins cher qu'un concurrent.

La taille est importante. Elle permet effectivement de mieux négocier les achats et de ramener les ratios, les coûts par rapport au chiffre d'affaires, à des montants plus faibles. Si j'ai une masse salariale qui représente un million d'euros et que je fais dix millions d'euros, j'obtiens 10 %. Si la masse salariale se situe un million et que je ne fais que cinq millions d'euros, j'obtiens 20 %. Aujourd'hui, il est nécessaire d'aller dans toutes les composantes du coût, en se fixant les objectifs. Chacun a sa technique. L'un de mes concurrents me disait qu'il ne faisait pas de communication, par exemple. Chacun suit sa stratégie et une erreur de stratégie peut nous être fatale à tout un chacun.

Pour vous répondre, je ne sais pas si ma solution est la bonne. Je ne sais pas si je vais gagner la guerre, mais j'utilise toutes les armes en ma possession pour essayer d'y arriver. Je n'ai pas été content de la décision de l'Autorité, mais je l'accepte.

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J'aborde un sujet qui n'est pas forcément très agréable, celui de l'existence de marges arrière importantes dans la grande distribution. Pour ceux qui nous écoutent et pour être parfaitement clair, cela consiste à avoir un prix d'achat d'un produit, de récupérer une partie de ce prix d'achat sur la prestation d'un ensemble de services, de façon connexe. Évidemment, c'est une façon de ne pas trop afficher les marges réelles de vente. J'aimerais vous faire réagir à cela.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Cela a toujours été une pratique de la grande distribution, venant non pas des distributeurs, mais des vendeurs de marques nationales. Pourquoi ? Il y a toujours le seuil de prix de revient, le SRP. Vous avez acheté un produit pour un euro, c'est le prix minimum auquel vous pouvez le vendre. Donc, en mettant les seuils et en disant au distributeur que s'il en achète beaucoup et que son chiffre d'affaires progresse, il va lui accorder 1 % supplémentaire, avec des remises arrière pouvant aller jusqu'à 10 %. Si je fais le volume, si j'achète beaucoup et qu'il gagne beaucoup d'argent au départ, il me donne une remise à l'arrière. Mais dans nos objectifs et nos prix, nous comptons quand même la marge. D'ailleurs, comptablement, elle est obligée de passer dans nos bilans en tant que marge. Ce sont des méthodes que nous déplorons souvent, mais qui existent parce qu'elles permettent à certains de s'assurer de l'achat du distributeur chez eux en ayant placé une carotte derrière laquelle on court. En même temps, ils se protègent pour éviter que chacun ne vienne réclamer un prix encore plus bas. « Tu as proposé un euro à celui-là et moi je veux 0,98 euro ». Ils tiennent le même discours à tout le monde.

Ces accords doivent être signés avant le 28 février et sont valables pour un an. Ils sont accessibles à l'Autorité de la concurrence et font partie des conditions générales d'achat.

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Kévin Parfait, administrateur du groupe Parfait

Ces coopérations sont aussi du fait de la loi qui impose un tarif identique par fournisseur au même circuit de distribution. C'est-à-dire que le tarif ne peut pas être différent pour un petit distributeur ou pour un grand distributeur.

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Il y a les marges avant. Il faut faire la démarche, parce que vous êtes des entreprises, il faut quand même qu'il y ait une marge. Il y a aussi les marges arrière. Vous n'avez pas de maîtrise d'intégration dans la chaîne verticale, puisque j'ai entendu dire que toutes les entreprises de la chaîne de concentration verticale sont indépendantes dans votre chaîne d'approvisionnement.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Tout à fait.

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Pouvez-vous nous dire jusqu'où peuvent aller les marges arrière et surtout le pourcentage des marges avant ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Sans révéler un grand secret, les marges avant des magasins tournent aux alentours de 20 à 22 %. Ce sont des marges aux Antilles qui sont même inférieures à celles de la métropole.

Pour votre information, nous voyons un petit peu ce qui se passe dans le groupe Leclerc. Nous pouvons dire que nos résultats, pour le groupe Parfait dans la grande distribution alimentaire aux Antilles, avec l'enseigne Leclerc, sont inférieurs à la moyenne de ceux en métropole.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Aux Antilles, c'est très variable. Certains fournisseurs n'en donnent pas. La fourchette va de 0 à 15 ou 20 %. Souvent, les marges arrière fixées par les producteurs, les grossistes ou les agents de marques dépendent des taux de croissance que vous leur apportez et du type de produit que vous leur achetez. Si vous leur achetez beaucoup de produits de première nécessité sur lesquels ils ne gagnent rien, ils vous donnent une marge très faible. Si, à côté, ils vendent les jus de fruit, pour lesquels ils marchent bien, ils vont vous donner un complément de marge.

Cela dépend aussi de la marque nationale. Des marques nationales donnent des budgets assez conséquents à certains de leurs agents ou à certains de leurs grossistes pour prendre des parts de marché et grossir. Mais, ces aides peuvent être d'un montant telle année et d'un autre montant l'année suivante.

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Si je suis les éléments que vous m'avez donnés, les marges peuvent aller de 20 à 40 %, soit 20 % de marge avant et zéro en marge arrière, soit de 20 à 20, ce qui fait 40 %.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Non, il n'y a aucun magasin à ma connaissance dans la distribution alimentaire qui gagne ce genre de marge. La marge moyenne de la grande distribution, toute comprise avec la marge avant et la marge arrière, se situe à environ 25 %.

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La notion de marge est une notion parfois assez confuse ailleurs. La preuve, c'est que l'on est sur différents concepts. Quand vous dites cela, par exemple, vous ne prenez pas en compte ce que vous appelez « la casse ».

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

C'est ce que nous appelons la marge d'entrée. C'est-à-dire que je vends un produit en espérant toucher une marge de 25 %, et il me revient de régler ma casse pour qu'elle soit minimale. Si je n'ai pas de casse, je suis à 25 %. Si j'ai beaucoup de casse, elle baisse et peut m'entraîner des pertes. Aujourd'hui, pour vous donner l'idée, en métropole, le taux de casse est inférieur à 2 %. Aux Antilles, nous tournons assez souvent à 5 ou 6 %. Donc en théorie, nous devrions prévoir de mettre plus en amont. Il nous revient de savoir comment réduire notre casse. Tout à l'heure, je vous ai parlé du taux de casse. Nous avons été obligés de prendre des mesures et de ne plus nous approvisionner principalement par la CMA CGM, malgré sa remise de 750 euros. La qualité du service de la CMA CGM fait que les bateaux arrivent de manière très irrégulière. Par le passé, c'était l'un des points forts de cette compagnie. C'étaient des métronomes. Les bateaux arrivaient le mercredi. Nous recevions notre marchandise le jeudi matin et nous avions jusqu'au dimanche pour vendre les produits. Aujourd'hui, les bateaux de la CMA CGM arrivent plutôt le vendredi et le samedi, d'où la casse. Nous faisons donc appel à une autre petite compagnie, qui s'appelle Seatrade, plus chère, mais qui nous entraîne moins de casse. Quand je reçois un container qui a 35 000 euros de marchandises et qu'à son arrivée, je le mets à la poubelle, je subis 100 % de casse. Et là, je dois vous dire que les assurances ne payent pas. Nous avons donc pris la décision de changer de prestataire. Des litiges sont d'ailleurs en cours avec la CMA CGM pour des montants astronomiques.

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Pouvez-vous nous dire où apparaissent, dans les contrats que vous avez avec vos fournisseurs, les marges arrières ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

C'est dans tous les contrats puisque c'est obligatoire. Les contrats doivent être signés avant le 28 février et être enregistrés. Les conditions du contrat intègrent les conditions de remise de marge arrière, les conditions de ce qu'on appelle les participations publicitaires aux têtes de gondole (PPTG). Tout ce qui doit être facturé apparaît dans nos contrats.

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Nous voudrions avoir un exemple de contrat anonymisé pour bien visualiser comment ces documents peuvent être organisés.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Aucun problème.

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Nous aimerions recevoir une vingtaine de contrats pour qu'on puisse bien comprendre les mécanismes des marges arrière. Nous les demandons à tous les groupes pour des raisons d'équité de traitement.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

À partir du moment où vous garantirez la confidentialité de l'information, je n'ai aucun problème.

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Je voulais savoir si Seatrade est propriétaire de ses bateaux.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Seatrade est une compagnie danoise. Vous savez que par le passé, nous avons eu plusieurs opérateurs. Dans ce secteur, la concurrence est aussi très dure. La plupart des compagnies ne restent pas. Cette année, nous avons vu le départ de Maersk, qui est quand même numéro un ou numéro deux mondial.

Seatrade est propriétaire de ces bateaux. Ce sont des petits bateaux qui transportent 450 containers. Les quantités sont limitées. Ces bateaux n'ont pas une quantité très importante sur les Antilles puisqu'ils font des rotations en Amérique du Sud. Ils ont à peu près une centaine de containers disponibles pour la Martinique et la Guadeloupe. C'est une bataille permanente pour avoir des allocations et pour charger sur leurs bateaux. Ils ont l'avantage d'être beaucoup plus réguliers, de ne pas avoir autant de retard, ce qui, pour nous, est très important. Il y a non seulement la casse, mais il y a la perte de vente, parce que quand on n'a pas la marchandise, on ne peut pas la vendre, et il y a la perte d'image. Quand vos clients voient les rayons vides, la situation est compliquée.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Je sais ce qu'est la BAF, mais je ne comprends pas comment elle est calculée. Par le passé, nous avons eu deux types de surfacturation à côté du fret. Il y avait un taux d'ajustement du dollar. Le dollar avait beaucoup bougé par rapport à l'euro. Tant que le dollar montait, on mettait ce taux d'ajustement. Une fois que le taux de dollar a commencé à baisser, cela a été supprimé de manière unilatérale. On a connu des augmentations, avec le taux d'ajustement du dollar, à 25 à 35 % de plus. On l'a supprimé, mais on a laissé la BAF, qui est une base d'ajustement du fioul. On ne sait pas comment elle est calculée. Je vous dirais que la BAF de Seatrade est différente de la BAF de la CMA CGM. Je pense que c'est dû à la consommation des bateaux. Chaque bateau a une consommation un peu différente. Je crois que c'est dû aussi au type de fioul, selon qu'il y a plus de soufre ou pas. Je ne suis pas un expert. Je ne peux pas vous dire comment elle est calculée. Ce que je sais, c'est qu'à un moment donné, elle a été incorporée dans le fret, on a réajusté, on a pris une partie de la BAF, qui atteignait des montants exorbitants, et on l'a mise dans le fret, ce qui a augmenté le taux de base du fret.

Une critique a été faite aux distributeurs, en nous disant que nous racontions n'importe quoi, que nous étions des voleurs, que la CMA nous avait fait un cadeau de 750 euros sans que rien ne soit répercuté. Juste avant la remise des 750 euros, entre la fin de 2021 et juin 2022, nous avons subi trois augmentations de la BAF. Au premier trimestre 2022, une première augmentation de 78 euros. Au deuxième trimestre 2022, une augmentation de 110 euros. Au troisième trimestre 2022, une augmentation de 336 euros, ce qui fait un total de 524 euros par container de quarante pieds. Au troisième trimestre 2022, on nous a appliqué une remise de 750 euros, ce qui faisait, en net et en juillet 2022, un montant de 226 euros. Tout de suite après, on nous a rajouté une autre augmentation de la BAF de 90 euros. Entre janvier et septembre 2022, au regard de la remise accordée et des augmentations de la BAF, il restait un surplus de 136 euros.

Ces 136 euros ont été appliqués en période d'inflation, alors que les prix augmentaient en métropole, en raison de la guerre en l'Ukraine ou autre chose. Vous avez tous été amenés à constater que l'augmentation appliquée aux Antilles était relativement plus faible que celle appliquée en métropole. Cela s'explique en partie parce qu'il fallait d'abord écouler les stocks. Ensuite, il y a eu une relative stabilité des énergies. Nous considérons que cette remise de 750 euros n'était pas une vraie remise, elle n'était qu'une remise de 136 euros, ce qui fait qu'il y a eu une stabilité ou une baisse des prix au total.

Cette année, un certain nombre de remises qui ont été appliquées, dont la remise de la BAF. Aujourd'hui, quand je calcule le prix de mon fret, le prix de la BAF avec les plus et les moins, le prix du débarquement, j'obtiens un total de 3 000 euros, un niveau identique à celui de 2019. Entre-temps, j'ai eu les 750 euros et j'ai eu la remise de notre BAF.

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Je vais revenir à la question des marges, parce que je suppose que les marges ne sont pas les mêmes en fonction des groupes. Vous avez parlé d'un moindre besoin de marges pour compenser les frais généraux puisque vous avez une organisation simplifiée avec très peu d'entreprises dans le groupe.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

C'est un objectif. Suis-je performant ? Je ne le sais pas.

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Ceux qui ont plus d'entreprises ont besoin de plus de marges pour compenser les frais généraux.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Non.

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C'est ma lecture. Qu'avez-vous fait par rapport aux marges sur les vingt-quatre derniers mois ? Avez-vous maintenu vos marges à 20 ou 25 % avec l'inflation, avec l'augmentation de la logistique, notamment de l'approvisionnement ? Avez-vous rogné les marges pour ne pas augmenter les prix ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Nos marges ont baissé. Avec l'inflation et avec l'accord de concurrence, nous avons cherché à ne pas répercuter les données. De plus, nous avions la pression de l'administration pour s'assurer que nous n'augmentions pas tous les prix. La centrale Leclerc est allée chercher de meilleurs prix pour eux et pour nous, puisqu'il leur fallait rester les moins chers. Nous avons aussi changé parfois de fournisseurs.

Ma responsabilité est de m'assurer que rien ne change pour le consommateur. Ce dernier garde la main, il décide d'acheter ou pas tel produit. Notre tendance est de développer les MDD, parce que les marques de distributeurs permettent d'avoir des prix moins chers et d'être plus compétitifs face aux marques nationales et à nos concurrents.

Il faut aussi mentionner la mise en place de nombreuses promotions. Elles font baisser nos marges, mais nous permettent d'augmenter le trafic et de fidéliser les clients.

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Décidez-vous des promotions ou viennent-elles de vos fournisseurs ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Il y a les deux. Si les fournisseurs veulent écouler leurs stocks, ils lancent une promotion.

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Kévin Parfait, administrateur du groupe Parfait

À la suite de notre changement d'enseigne, nous avons vu une baisse des prix. Avant même notre arrivée, nos concurrents ont entamé des baisses de prix. Ils ont fait des campagnes qui indiquaient une baisse de prix de l'ordre de 7 %. Nous avons connu une période difficile, liée à la crise de la Covid-19, à la guerre en Ukraine, à l'augmentation de la BAF. Il y a eu aussi des problèmes d'approvisionnement. On a tous vu des rayons vides de pâtes, de moutarde, d'huile, etc. Les cours ont explosé. Nous venons de lancer une campagne de baisse de prix sur 4 000 articles. Nous essayons toujours d'être au plus près de tous nos coûts.

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Quand on parle de posture concurrentielle, quel est le marché pertinent ? Parce que nous étions en Martinique il n'y a pas si longtemps. J'ai bien remarqué que se déplacer en Martinique n'était pas si simple. Cela veut dire que quand vous avez une part de marché quelque part, pouvons-nous considérer qu'il s'agit d'une situation de monopole puisque les gens ont du mal à fréquenter un autre supermarché que celui situé à proximité ? Ou bien, selon vous, le marché pertinent concerne-t-il l'ensemble du territoire ? Vous et vos concurrents bénéficiez-vous de petits monopoles locaux ou y a-t-il vraiment un marché sur l'ensemble du territoire ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Pour nous, c'est l'ensemble du territoire. Bien entendu, vous avez ce qu'on appelle le marché de proximité, où le client ira faire des courses de dépannage. Mais quand il doit faire ses courses hebdomadaires et qu'il doit acheter pour 150 ou 200 euros de produits qui affichent une différence de prix de 10 ou 15 %, cela peut représenter 20 ou 25 euros, d'autant plus si des promotions sont proposées. Dans ce cas, le coût des courses va dépasser celui du déplacement. Comme les courses se font principalement le samedi, il y a un peu moins d'embouteillages les samedis. L'avantage d'un hypermarché par rapport à un supermarché, c'est le choix. Un hard discounter propose entre 3 000 et 5 000 produits, un supermarché à peu près 10 000 produits et un hypermarché 30 000 produits. Le consommateur n'a pas besoin d'aller à plusieurs endroits. C'est un peu la logique. Cette logique, pendant la crise de la Covid-19, a été écrasée. Quand nous faisons un prospectus, nous l'envoyons dans toute la Martinique, pas seulement dans notre zone.

Si un centre commercial situé au nord de l'île propose un bon prix sur un produit, tout le monde ira l'acheter. Lorsque le prix de l'huile a doublé, les gens allaient n'importe où pour en trouver. Ils achetaient non pas la bouteille, mais le carton.

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L'objectif de la commission n'est pas simplement de comprendre le coût de la vie au sens conjoncturel, donc de l'inflation, mais aussi au sens structurel. Historiquement, on connaît bien la situation et si les 40 %, si les 30 % de vie chère pour les fonctionnaires et les 30 % d'abattement fiscal sont arrivés, c'est parce qu'il y avait un vrai problème de cherté de la vie. Les 20 ou 25 % dont vous parlez correspondent-ils aux marges en temps normal, hors crise ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Oui.

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Considérez-vous qu'il existe des pratiques anticoncurrentielles dans votre secteur ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Chacun essaye de tirer son épingle du jeu. Je ne vais pas dire que ce sont des pratiques anticoncurrentielles, mais chacun essaie certainement de faire ce qu'il peut faire et de profiter des cartes qu'il a dans son jeu pour pouvoir sortir gagnant de la bataille. L'Autorité de la concurrence est chargée de surveiller les clauses anticoncurrentielles. Je ne vais pas mettre un doute son analyse.

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L'Autorité concurrentielle a pointé du doigt en 2019 l'accumulation des marges. L'Autorité concurrentielle n'intervient que si elle est alertée, c'est-à-dire qu'elle ne va pas aller chercher d'éléments indicatifs si elle ne reçoit pas d'alerte.

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Si vous me permettez, l'accumulation des marges peut être faite de différentes manières. Vous avez touché une partie du sujet en parlant de l'accumulation des intervenants. Si j'ai beaucoup d'intervenants et que chacun prend une petite marge, à la fin, ça fait beaucoup de marge. Il vaut mieux parfois discuter avec une seule personne pour réduire les différentes marges. L'accumulation des marges peut aussi s'entendre de manière structurelle.

Traditionnellement, le marché était organisé différemment. Vous aviez des marques nationales qui nommaient des agents ou des grossistes qui faisaient leur travail à l'export. Ces marques nationales avaient même des prix à l'export. J'ai connu une époque où Lesieur nous facturait l'huile en direct moins chère qu'elle ne la facturait à Système U, mais il s'agissait des marchés à l'export.

Aujourd'hui, les choses ont changé dans le marché, dont le développement des centrales, la suppression de l'exclusivité par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer dite loi Lurel. Il y a moins de chasses gardées. Je vous ai dit que j'ai fait le choix de Leclerc et que l'un de mes objectifs était de trouver un fournisseur capable de me fournir à bon prix l'ensemble de mes produits. C'est pour éviter de passer par un intermédiaire qui lui aussi a des coûts. Un grossiste a des coûts d'entrepôts, il a des salariés et il a une marge. Il a besoin de vivre. Si je passe par lui, je m'attends à payer plus cher que si je passe directement par Leclerc et que la marchandise arrive dans mon entrepôt en direct. Donc, ce ne sont pas des marges abusives ou pas, ce sont des marges structurelles de fonctionnement.

Quand nous faisons le choix de passer majoritairement par Leclerc, nous savons pertinemment que nous serons obligés de continuer à acheter un certain nombre de produits localement, chez le grossiste ou chez l'agent de marques. Si demain nous arrivions à acheter 100 % des 30 000 produits chez Leclerc sans passer par un intermédiaire local, nous serions dans l'obligation de construire des dépôts et d'avoir plus de salariés. Il faudrait que nous regardions le coût et ce que nous économiserions.

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S'agissant du stockage, êtes-vous propriétaire ou locataire ? Même si vous ne pouvez pas parler pour les autres, pensez-vous que les autres grands groupes sont propriétaires du foncier ou des bâtiments qui servent à leur activité économique ?

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Robert Parfait, président du groupe Parfait

Nous avons les deux. Nous sommes propriétaires de nos magasins. Par exemple, à la Galleria, notre entrepôt fait partie des magasins. Dans d'autres centres, nous sommes locataires, comme c'est le cas au Rond-Point et à Place d'Armes. Nous sommes locataires d'un propriétaire extérieur. Ce ne sont pas des filiales ou des sociétés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour la précision de vos réponses. Nous compléterons nos échanges avec le questionnaire auquel vous avez commencé à répondre, et je vous demanderai d'apporter des compléments. Je vous remercie d'envoyer au secrétariat de la commission les documents promis.

Nous levons la séance et nous nous retrouvons les 7 et 8 juin pour les auditions des ministres. Merci beaucoup.

La séance s'achève à dix-neuf heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Florence Goulet, M. Johnny Hajjar, M. Philippe Naillet, Mme Maud Petit, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Guillaume Vuilletet.