Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 13h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ACP
  • consommateur
  • coopération
  • directive
  • partenariat
  • recours

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 1er mars 2023

Présidence de M. Pierre-Henri Dumont, Vice-Président de la Commission

La séance est ouverte à 13 heures 45.

I. Conséquences du blocage de la signature du nouvel accord de partenariat UE-ACP : communication et examen d'un projet d'avis politique (Mmes Sandra REGOL et Liliana TANGUY, référentes politiques commerciales et aide au développement)

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Le premier point à l'ordre du jour est particulièrement important. Il s'agit d'exposer les conséquences de la situation créée par le blocage par la Hongrie de la signature du nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et les États du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).

Le Conseil n'a en effet toujours pas été en mesure d'autoriser la signature de l'accord de partenariat devant prendre la succession de l'accord de Cotonou alors que les négociations sont achevées et que les deux parties sont parvenues à s'accorder sur un texte. Cette situation est très dommageable dans le contexte de l'agression russe en Ukraine : les pays ACP ne comprennent pas ce blocage qui alimente le narratif d'une Union européenne qui se détourne du nécessaire effort de solidarité vis-à-vis des pays du Sud.

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Cette communication vise à attirer l'attention sur le retard pris par la signature de l'accord de coopération entre l'Union européenne et les États du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique, qui doit normalement succéder à l'accord de Cotonou, ainsi que sur les conséquences possibles de ce refus s'il persiste. Les négociations sur le nouvel accord ont été entamées le 28 septembre 2018 et ont abouti à un texte visant à moderniser l'actuel accord de Cotonou le 3 décembre 2020. Signé le 23 juin 2000 et devant expirer en février 2020, ce dernier régit le cadre institutionnel de la coopération entre les 79 États du groupe ACP, désormais regroupés au sein de l'Organisation des États ACP (OEACP).

La coopération entre l'Union européenne et l'OEACP comprend une dimension politique, avec des procédures de consultations et la mise en place d'institutions conjointes propres à ces régions. Les priorités sont la démocratie et les droits de l'homme, la croissance et le développement économique durable, le changement climatique, le développement humain et social, la paix et la sécurité, les migrations et la mobilité.

Le deuxième pilier a trait à la coopération au développement, dont le financement, qui reposait sur le Fonds européen de développement (FED), est fondé depuis le 14 juin 2023 sur l'Instrument de voisinage de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI).

Enfin, la coopération économique et commerciale s'appuie sur les accords de partenariat économique (APE) régionaux qui existent indépendamment de ce dernier.

L'« accord de partenariat renouvelé et modernisé entre l'Union européenne et l'OEACP » modifie le cadre institutionnel de la coopération entre les deux parties avec l'insertion d'un socle commun et de trois protocoles régionaux correspondant respectivement à l'Afrique, aux Caraïbes et au Pacifique et mettant en cohérence avec les objectifs du développement durable (ODD), adoptés par l'Organisation des Nations Unies (ONU) en septembre 2015, ainsi que l'Accord de Paris sur le climat.

S'agissant du volet financier de la coopération, l'IVCDCI remplace le FED depuis le 14 juin 2021. À la différence de ce dernier, l'IVCDI couvre la coopération de l'Union européenne avec l'ensemble des pays tiers et non plus seulement les États ACP. En outre, il fait partie intégrante du budget communautaire alors que le FED était alimenté par les contributions volontaires des États membres.

L'entrée en vigueur de l'accord post-Cotonou, dit « accord de Samoa », est empêchée depuis le 20 mai 2021 par le refus de la Hongrie d'autoriser la signature de l'accord. Ce pays invoque des désaccords en matière de migration et de mobilité relatives aux questions de droits et de santé sexuelle et reproductive. Cette opposition a nécessité l'adoption de deux séries de mesures transitoires en plus des deux précédemment approuvées, afin de prolonger la validité de l'accord de Cotonou jusqu'au 30 juin 2023. Les demandes de la Hongrie semblent partiellement motivées par le souhait d'obtenir de l'Union européenne des concessions sur d'autres dossiers, notamment celui du versement des subventions européennes au titre du Fonds de cohésion.

J'attire votre attention sur le risque de fragilisation du partenariat entre l'Union européenne et l'ACP. Dans le cas où la Hongrie persisterait dans son opposition à l'accord, il conviendra d'envisager une cinquième série de mesures transitoires afin de prolonger à nouveau la validité de l'accord de Cotonou. Cela nécessiterait toutefois l'accord des États de l'OEACP, lequel pourrait impliquer l'adoption d'un calendrier précis. L'avenir de la coopération entre l'Union européenne et les États ACP dépend donc, à ce stade, du consentement de la Hongrie. Si cette situation de blocage devait perdurer, ses conséquences politiques et juridiques seraient importantes. D'une part, les procédures de dialogue politique prévues par les articles 2 et 8 n'auraient plus de cadre juridique et les procédures de consultation et d'adoption de mesures appropriées prévues par l'article 96 de l'accord de Cotonou seraient rendues inopérantes. En outre, les États ACP se trouveraient déliés des obligations contenues dans l'accord en matière de retours et de réadmissions, de droits de l'homme, de démocratie et de non-prolifération des armes de destruction massive. La Banque européenne d'investissement (BEI), dont les activités dans les États ACP obéissent à des règles qui figurent dans l'accord de Cotonou, devrait négocier des accords bilatéraux avec ces États. Plus généralement, l'affaiblissement du cadre politique UE-ACP représenterait une perte à la fois pour l'Europe et pour les pays des Caraïbes et du Pacifique, pour lesquels l'appartenance à l'OEACP représente un accès à l'Union européenne.

Enfin, la présidence suédoise a manifesté sa volonté de « s'efforcer de conclure les négociations de l'accord post-Cotonou qui a pour objectif de mettre en place un accord de partenariat moderne entre l'Union européenne et les pays ACP », et compte à cette fin sur l'appui de notre commission des affaires européennes et de celle des autres États membres.

Cette communication vise donc à mettre en évidence l'urgence de débloquer cette situation qui menace de remettre en cause une relation privilégiée et mutuellement bénéfique.

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Cet accord est utile en ce qu'il offre un cadre de dialogue sur des enjeux essentiels, tels que l'immigration, l'écologie, les droits humains ou la démocratie, à une période où la concurrence géopolitique contre l'Union européenne, en provenance du continent africain notamment, est forte.

Nous déplorons ce blocage et espérons que la présidence suédoise permettra une avancée considérable sur ce dossier en donnant une impulsion à ce partenariat existant depuis 1975. Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance soutiendra cet avis politique.

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Cet avis politique est l'occasion d'aborder un partenariat qui associe 106 pays, rassemblant 1,5 milliard de personnes réparties sur quatre continents et constitue l'un des cadres de coopération les plus anciens et complets entre l'Union européenne et des pays tiers. Cet accord s'inscrit ainsi dans une tradition d'échange, marquée en 1975 par la Convention de Lomé puis celle de Cotonou.

Le nouvel accord reprend les axes stratégiques autour de la coopération au développement, la coopération économique et commerciale et le dialogue politique.

La situation actuelle de blocage que vous avez pris le soin de décrire, et dont nous pensons également qu'elle résulte d'un rôle joué par la Hongrie particulièrement négatif, doit nous donner l'occasion de nous interroger sur les bases de cet accord de partenariat économique. Les promesses de l'APE ne diffèrent pas vraiment de celles que l'on entendait déjà autour des programmes d'ajustement structurel, dont on connaît aujourd'hui les échecs. Les effets du régime de libre-échange sont dévastateurs en termes économiques. La libéralisation de ces systèmes a un impact sur les petits producteurs mais a également déstabilisé les processus d'intégration régionale en restreignant les capacités d'auto-développement et les industries locales et en favorisant l'appropriation, par des grandes entreprises européennes, d'un certain nombre de parts de marché.

Nous estimons que la nature de ces accords doit être profondément repensée.

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La signature de cet accord post-Cotonou est dans l'impasse, mais l'avis politique proposé offre une analyse qui peut être enrichie. Le blocage de la Hongrie peut être l'occasion pour l'Union de s'interroger sur la pertinence de cet accord. Les pays africains ont exprimé leur profonde insatisfaction face à l'approche globale européenne, qui peut être très défavorable aux petits pays et inadaptée aux marchés les moins avancés. Certains pays redoutent également que l'Union demande un accès illimité au marché africain et que les économies locales ne puissent ni se consolider ni se diversifier en dehors de la production de matières premières. D'autres craignent que l'Europe n'utilise ces négociations comme un cheval de Troie pour bénéficier des avantages de la zone de libre-échange continentale africaine. Il est ainsi nécessaire de questionner l'approche européenne et non de seulement critiquer les avancées chinoises, russes et turques : on ne peut se gargariser de libéralisme pour ensuite dénoncer la concurrence mondiale. La protection des fonds marins, les enjeux climatiques, l'accès aux terres-rares ne pourront être atteint qu'à la condition d'un transfert par l'Europe de technologies d'adaptation climatique et d'un partage de savoir-faire sans contrepartie exorbitante. C'est indispensable pour construire un partenariat égal et durable. Il faut ainsi des accords plus justes.

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Les différentes interrogations portent sur les bases de l'accord et sur l'opportunité que le blocage hongrois offre pour réfléchir à une formulation des termes de l'échange prenant davantage en compte les économies locales. Les accords de partenariat économique mis en avant dans l'accord post-Cotonou visent à ce qu'on établisse des zones de libre-échange entre les groupes d'État relativement homogènes. On met l'accent sur la spécificité des zones, en particulier sur l'Afrique subsaharienne, la région des Caraïbes et la région Pacifique. L'accord post-Cotonou est ainsi déjà amélioré et tient compte des différentes zones, en prévoyant des accords régionaux.

L'accord de partenariat économique visait à remplacer le régime de préférence commerciale de l'accord de Lomé, devenu incompatible avec les règles de l'OMC. Les accords de partenariat économique ont été négociés avec le souci de tenir compte de la spécificité de chaque région concernée et du déséquilibre de chaque économie. Les accords de partenariat économique prennent également en compte les besoins des pays ACP ainsi que l'inégalité des niveaux de développement, avec une ouverture graduelle, partielle et contrôlée de leur marché. Il ne s'agit pas de leur imposer un accord économique brutalement, sans période de transition. L'accord post-Cotonou est ainsi équilibré, pour permettre le développement industriel des pays ACP, ou pour protéger leur industrie naissante. Ces accords sont également étendus au sujet de la protection des ressources naturelles, ou à celui de la sécurité alimentaire.

L'objectif de l'accord ACP est de fournir une aide au développement afin de permettre à ces pays de s'intégrer au marché mondial à leur rythme, de manière à éviter un choc économique brutal. L'aide aux systèmes fiscaux de ces États est très importante, avec une période de transition pour les droits de douane qui constitue l'une des principales ressources fiscales de ces pays.

Je crois donc que l'ensemble des risques évoqués sont couverts par l'accord soumis à l'approbation des pays de l'Union européenne. Je crois aussi que la France doit jouer, aux côtés de la Suède, un rôle important pour lever le blocage de la Hongrie.

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Comme aucun amendement n'a été déposé, je mets maintenant aux voix le projet d'avis politique.

Le projet d'avis politique est adopté.

II. Nomination de rapporteurs d'information

La Commission a ensuite nommé sur proposition de M. Pierre-Henri DUMONT, président :

- Henri ALFANDARI (HOR), rapporteur d'information sur l'évolution du marché des crédits carbone au niveau européen ;

- Denis MASSEGLIA (RE) et Yaël MENACHE (RN), rapporteurs d'information sur la souveraineté industrielle européenne ;

- Joëlle MELIN (RN) et Estelle YOUSSOUFFA (LIOT), rapporteurs d'information sur l'aide européenne au développement des régions ultra-périphériques ;

- André CHASSAIGNE (GDR) et Nicole LE PEIH (RE), rapporteurs d'information sur l'état des lieux des plans stratégiques nationaux en matière agricole ;

- Liliana TANGUY (RE) et Pierre-Henri DUMONT (LR), rapporteurs d'information sur l'évolution des négociations d'adhésion entre les pays des Balkans occidentaux et l'Union ;

- Henri ALFANDARI (HOR), rapporteur d'information portant observations sur le projet de loi (n° 762) relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et existantes ;

- Alexandre SABATOU (RN), rapporteur d'information portant observations sur la proposition de loi (n° 639) relative au régime juridique des actions de groupe.

III. Régime juridique des actions de groupe : examen du rapport d'information portant observations sur la proposition de loi n° 639

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Le troisième point de notre ordre du jour appelle l'examen du rapport d'information portant observations sur la proposition de loi n° 639 de M. Philippe Gosselin et de Mme Laurence Vichnievsky, relative au régime juridique des actions de groupe. Cette proposition de loi doit être examinée en séance publique le huit mars à quinze heures.

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La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe opère une refonte du régime juridique de l'action de groupe à la française, en cohérence avec les dispositions de la directive 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs, et abrogeant la directive 2009/22/CE, dont elle assure également une transposition partielle. Je porte un avis positif sur cette initiative européenne, dans la mesure où elle renforce les droits du consommateur français.

L'action de groupe est un recours collectif en justice pour réparer un préjudice représentant de faibles montants monétaires, ou pour faire cesser un comportement délictueux lésant le consommateur. L'action de groupe n'est, dès lors, rien d'autre qu'un moyen de défense pour le consommateur pour obtenir réparation du préjudice subi, au regard des coûts élevés de la procédure et du faible gain attendu. L'action de groupe représente donc bien un moyen de défense pour des consommateurs démunis face à des multinationales aguerries, et un moyen nécessaire pour protéger les consommateurs français et européens.

Longtemps déconsidérée car assimilée aux class actions américaines, fantasmes de toutes les dérives associées à la jungle libérale d'un marché américain dérégulé, l'action de groupe européenne évite ces écueils. Elle propose un équilibre entre la protection des droits du consommateur et l'absence de risques de recours abusifs contre les entreprises.

L'Union européenne a réfléchi, dès les années soixante-dix, à une meilleure protection des consommateurs dans le cadre de la construction et de l'achèvement du marché intérieur. Le droit des consommateurs est devenu une compétence de l'Union européenne dès le traité de Maastricht, et a été reconnu comme un droit à part entière dans la Charte des droits fondamentaux. Toutefois, la gestation a été longue et difficile du fait de la résistance marquée de nombreux États membres attachés à leurs traditions juridiques et prérogatives procédurales, alors que l'effectivité du droit des consommateurs était en jeu.

La France, dans ce théâtre de résistance , a soutenu une position médiane et mesurée, à savoir le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité reconnus par le traité de Lisbonne. Malgré une percée en droit interne, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », l'action de groupe n'a pas eu les effets escomptés, du fait des nombreux freins posés par le législateur.

À ce titre, le scandale « Volkswagen » a fait l'effet d'une sourde détonation lorsque les consommateurs se sont réveillés, inégalement réparés dans leurs droits, là où les consommateurs américains se sont trouvés intégralement remboursés de leurs préjudices. Les actions qui ont été couronnées de succès l'ont été à l'issue de procédures particulièrement longues, mettant en exergue la force du système juridique américain dans ce domaine et la faiblesse des systèmes juridiques européens, dont le nôtre. Après le scandale « Volkswagen », en 2015, ce sont les annulations de vol en série par l'entreprise Ryanair, en 2017, qui ont montré la nécessité et l'urgence d'adapter notre droit pour une meilleure défense des consommateurs français et européens.

La directive (UE) 2020/1828 répond à l'exigence de rendre la protection du droit des consommateurs effective. Adoptée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen, publiée au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE) du 4 décembre 2020, la directive 2020/1828 crée un système original d'action de groupe européenne. Elle oblige chaque État membre à instaurer un régime juridique d'action de groupe en cohérence avec son droit interne, et ouvre la possibilité pour chaque consommateur européen de se joindre, pour un même préjudice, à des actions de groupe transfrontières. Les États membres avaient jusqu'au 25 décembre 2022 pour mettre leurs droits en conformité avec les dispositions de la directive, celle-ci devant s'appliquer, au plus tard, le 25 juin 2023.

Les droits du consommateur sont ainsi garantis tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne. Le recours collectif doit prendre une double forme, une action en cessation, pour faire cesser une pratique illégale, et une action en réparation, pour indemniser le défendeur du préjudice qu'il a subi.

Pour répondre aux inquiétudes de certains États membres, la directive a posé un certain nombre de garanties. Elle prévoit notamment des critères de transparence pour la désignation et le financement des entités qualifiées autorisées à plaider, la limitation des clauses d' opt-out au profit de la clause d' opt-in, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, la nécessité d'informer les demandeurs potentiels qui pourraient se joindre à l'action collective, l'interdiction d'octroyer des dommages-intérêts punitifs, et l'interdiction de verser des honoraires de résultat aux avocats pour les dissuader d'engager des procédures judiciaires abusives.

La transposition de la directive par la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour refondre le régime juridique de l'action de groupe à la française, qui selon le rapport d'information qui en dressait le bilan et les perspectives, présenté, le 11 juin 2020, par M. Philippe Gosselin et Mme Laurence Vichnievsky, est apparu comme une occasion manquée. Le texte, issu des travaux de la commission des lois, sera présenté en séance le 8 mars prochain, et ne transpose que les dispositions permettant une action de groupe transfrontière. Le droit français était déjà en conformité avec un certain nombre de dispositions de la directive, et ne nécessitait pas d'autres transpositions, le régime de l'action de groupe en réparation existant déjà en droit français et ne nécessitant pas une adaptation, puisque la directive laisse une autonomie procédurale aux États membres.

Dans la version actuelle de la proposition de loi, le contrôle peut sembler insuffisant au regard des exigences de la directive en matière de contrôle de demande d'agrément, de possibles conflits d'intérêts, ou de financement par des tiers. La question d'un soutien financier aux actions de groupe, sous la forme d'un financement, proposition du rapport sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n'a pas été reprise par la présente proposition de loi. Même si cette question ne constitue pas une exigence de la directive, elle mérite d'être réinterrogée, ayant été identifiée comme un frein puissant au développement des actions de groupe en France, en l'absence de gains attendus pour les cabinets d'avocat sur le modèle américain.

Pour votre rapporteur, la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour redonner de l'élan aux recours collectifs, procédure juridique protectrice du droit des consommateurs. L'existence de critères solides garantissant la sécurité juridique des professionnels afin d'éviter tout recours abusif à des fins personnelles amène à soutenir ce texte, renforçant le régime juridique de l'action de groupe en droit français, et la transposition qu'il fait des actions transfrontières.

Si quelques dispositions du texte méritent d'être amendées, notamment pour introduire davantage de contrôle dans le financement par des tiers et dans l'absence de conflits d'intérêts, voire pour proposer un fonds de soutien aux actions de groupe, le texte dans son ensemble présente une avancée pour la protection des droits des consommateurs, dont le consommateur français sortira gagnant. À ce titre, l'impulsion donnée par l'Union européenne pour préserver et renforcer le droit des consommateurs européens mérite d'être saluée. Elle correspond à ce que nous en attendons, à savoir une Europe respectueuse des spécificités des États membres, qui, en renforçant leurs droits, n'empiète pas sur leur souveraineté ou leurs identités juridiques, en respectant les identités nationales qui la compose.

Pour reprendre les mots du rapporteur du texte devant le Parlement européen, M. Geoffroy Didier : « L'Europe, enfin, en sort gagnante, à un moment où les peuples reprochent, parfois à juste titre, à l'Union européenne d'imposer nombre de normes et de contraintes. Elle démontre ici qu'elle sait s'adapter aux nouveaux besoins et surtout qu'elle est en mesure d'offrir de nouveaux droits aux citoyens. Il s'agit là d'un progrès économique, d'un progrès juridique, mais surtout d'un progrès politique que nous devons tous nous approprier et que nous pouvons tous revendiquer ».

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La refonte de l'action de groupe par la proposition de loi permet-elle de mieux protéger les consommateurs français ? L'uniformisation des différents mécanismes de protection des consommateurs des États membres de l'Union permettra-t-elle d'éviter à l'avenir une situation similaire à celle du Dieselgate ?

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Cette proposition de loi permettra de mieux protéger les Français. La loi « Hamon », qui a créé le mécanisme de l'action de groupe en France, n'a pas rencontré le succès attendu. Seulement vingt-et-une actions ont été intentées, sans qu'aucune entreprise n'ai vu sa responsabilité engagée. Les conditions pour agir étaient trop restreintes et peu claires, le délai de procédure trop long, les coûts de procédure trop importants, et les sanctions peu dissuasives. La directive 2020/1828 offre l'occasion idéale pour réformer et rendre enfin efficace l'action de groupe en France. Pour répondre aux limites de la procédure actuelle et se mettre en conformité avec le droit européen, la proposition de loi prévoit une ouverture de la qualité à agir à des entités qualifiées par l'assouplissement de certains critères, tels que la suppression de l'agrément, l'ouverture du champ d'action de la procédure, l'uniformisation des différents régimes dans un socle procédural unique, ainsi que la création d'une véritable sanction dissuasive, à savoir une amende civile versée au Trésor public, qui s'ajoute aux éventuels dommages-intérêts en responsabilité. La proposition de loi prévoit également des juridictions spécialisées sur l'ensemble du territoire afin de rendre les procédures plus rapides du fait de magistrats habitués à régler ce type de litiges. Le ministère de la justice a précisé que toute l'activité ne serait pas concentrée à Paris, mais décentralisée sur l'ensemble du territoire français en fonction de la spécialisation de chaque juridiction.

L'entreprise Volkswagen a eu recours pendant plusieurs années à un logiciel frauduleux pour truquer à la baisse les résultats des émissions de gaz polluants de certains de ses moteurs lors des tests d'homologation. En 2015, tous les États membres ne disposaient pas de mécanisme de recours collectifs, ce qui n'a pas rendu les recours des consommateurs faciles. La directive 2020/1828 change la donne car tous les consommateurs européens pourront maintenant être indemnisés.

En effet, concernant le scandale « Volkswagen », toutes les procédures lancées par les consommateurs n'ont pas encore pu aboutir. Si les consommateurs allemands et espagnols ont été indemnisés en 2020 et en 2021, ce n'est pas encore le cas pour les consommateurs belges et luxembourgeois. En France, une seule procédure individuelle, en 2021, a permis l'indemnisation d'un consommateur. Avec le nouveau mécanisme d'action transfrontière, la directive répond à un impératif de réalisme, puisque les pratiques répréhensibles ne s'arrêtent pas à la frontière. Il sera ainsi possible pour une entité qualifiée d'intenter une action représentative dans un État membre autre que celui dans lequel l'entité qualifiée a été désignée. Avec une procédure unique ainsi qu'un seul jugement à la clé, facteur d'uniformisation de la protection des consommateurs européens, les consommateurs seront traités de manière égalitaire. Une association de consommateurs française pourra également poursuivre une société dans un pays étranger si elle considère que la législation y est plus favorable. Ce risque apparaît toutefois minime au vu des contraintes et coûts de traduction auxquelles elle serait confrontée.

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L'action de groupe aux États-Unis constitue une véritable tradition juridique, et l'introduction en droit français de la class action a longtemps suscité des réserves à l'égard de ce type de procédure. L'action de groupe à la française a été introduite par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Or, sur les trente-deux actions de groupe intentées depuis 2014, dont vingt-et-une dans le domaine de la consommation, seules six procédures ont abouti à un résultat positif. Les scandales cités, Volkswagen et Ryanair, ont montré qu'il est urgent d'agir en faveur d'une meilleure protection des consommateurs français et européens. Le groupe Renaissance soutiendra la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe car elle va dans le sens d'une protection renforcée des consommateurs, en améliorant le dispositif en vigueur, tout en permettant la transposition de la directive 2020/1828. Pour autant, si le texte opère une refonte du régime juridique de l'action de groupe à la française en cohérence avec les dispositions de cette directive, il nous faut veiller à nous prémunir des risques de recours abusifs. Notre groupe partage notamment la vigilance exprimée par le Conseil d'État s'agissant des risques d'instrumentalisation de la procédure, de la nécessité de définir le niveau adéquat de contrôle de l'absence de conflit d'intérêts et le bon niveau de transparence. Des évolutions ont été adoptées à l'initiative des rapporteurs, en commission des lois, et nous espérons qu'une voie similaire sera suivie lors de la poursuite des travaux en séance.

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Les class action s à la française, qui existent depuis plus de dix ans, ont donné lieu à un bilan plus que décevant. Seulement une trentaine d'actions de groupe, tous secteurs confondus, ont été intentées dans notre pays, et toujours plus de consommateurs et de victimes se sentent délaissés par notre système judiciaire. Notre groupe salue le travail mené par les co-rapporteurs de cette proposition de loi, qui était plus qu'attendue par les associations et les professionnels du droit. Son adoption à l'unanimité par la commission des lois envoie un signal fort, que nous espérons suivi de la même manière en séance publique. Notre commission n'est saisie que du rapport d'information portant observations sur la proposition de loi, cependant au nom du groupe LIOT, je tiens à souligner les fortes avancées portées par ce texte. En réponse au bilan décevant du droit actuel, cette proposition de loi propose une action de groupe universelle ouverte à tous les secteurs avec pour corollaire le principe d'une indemnisation intégrale des victimes. Notre groupe soutient pleinement ces avancées. Pour que les victimes s'approprient cette procédure, il faut leur donner des moyens d'action pour lutter contre les pratiques abusives de certaines entreprises. Concernant les aspects qui intéressent le plus notre commission, notre groupe a quelques interrogations. La première porte sur la transposition de la directive européenne de 2020/1828 sur les class actions. Le gouvernement est coutumier des retards en matière de transposition. Cette directive aura surtout des impacts sur les actions de groupe transfrontières. Quelle sera la procédure à suivre pour les associations de consommateurs dans ce cas particulier ? Est-ce que la présente proposition de loi assure une certaine cohérence entre le régime interne des actions de groupe et le régime des actions transfrontières ?

Cette proposition de loi fait le choix d'octroyer une compétence exclusive pour les actions de groupe à certains tribunaux judiciaires. En tant que députée d'un territoire ultramarin, il y a un vrai sujet de difficulté d'accès physique à la justice dans les territoires ultramarins, Mayotte étant un désert judiciaire, je souhaiterais quelques précisions. Cette proposition de loi ne risque-t-elle pas d'aggraver un peu plus les fractures territoriales entre justiciables et juges, en particulier en Outre-mer ? Alors que la législation nationale et la législation européenne garantissent un accès égal à la justice, quels sont les garde-fous prévus pour éviter de léser les territoires ultramarins ?

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Les class actions américaines font peur car elles génèrent des risques de recours abusifs contre les entreprises. Toutefois, la directive 2020/1828 prévoit des critères solides pour la désignation des entités et des associations autorisées à plaider, ce qui nous couvre de ce risque, d'autant plus que les recours abusifs contre les entreprises ne font pas partie de notre culture judiciaire.

Le ministère de la justice connaît la situation en Outre-mer, il a précisé que l'ensemble du territoire serait couvert par la mise en place de juridictions spécialisées. Il estime également que le risque d'intenter des actions de groupe en France, par des associations exerçant dans d'autres États membres de l'Union européenne, pour profiter d'une législation plus favorable aux consommateurs, est faible. Cela n'est d'ailleurs pas souhaitable car la France manque de juristes, de juges et d'avocats.

La Commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

La séance est levée à 14 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Laurence Cristol, M. Pierre-Henri Dumont, M. Benjamin Haddad, M. Denis Masséglia, Mme Danièle Obono, M. Jean-Pierre Pont, M. Alexandre Sabatou, Mme Liliana Tanguy, Mme Estelle Youssouffa

Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Anne-Laure Blin, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, Mme Lysiane Métayer, M. Charles Sitzenstuhl