Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 18 janvier 2023 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures cinq.

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Mes chers collègues, vous connaissez tous la formule de Rabelais : « La science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Cet adage, nous pouvons et devons l'appliquer à la dissuasion nucléaire.

L'arme nucléaire ne soulève pas seulement des enjeux technologiques, scientifiques, industriels ou financiers. La dissuasion est également la source d'interrogations légitimes et complexes dans le domaine éthique, moral et religieux.

La guerre a toujours fait l'objet de débats éthiques, comme l'illustrent les nombreuses réflexions et polémiques suscitées par la notion de « guerre juste ».

Cependant, la nature de l'arme nucléaire et l'ampleur des destructions physiques et humaines consécutives à son éventuel emploi donnent une dimension nouvelle à cette réflexion éthique.

Le monde est-il plus sûr avec ou sans armes nucléaires ? L'emploi de l'arme nucléaire peut-il, dans certaines circonstances, être qualifié de « juste » ou « légitime » ? Un désarmement nucléaire est-il envisageable ou même souhaitable dans le contexte stratégique actuel ?

Ces interrogations sont d'autant plus prégnantes qu'elles ont un impact politique direct, comme l'illustre le traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN) de 2017, signé à ce jour par plus de 90 États.

Au regard de l'importance de ces enjeux, nous avons décidé de consacrer une audition aux questions éthiques liées à la dissuasion nucléaire, et nous sommes ravis d'accueillir :

- Madame Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, qui a publié de nombreuses études sur les questions de non-prolifération nucléaire, de dissuasion et de désarmement ;

- Monseigneur Antoine de Romanet, évêque aux Armées françaises depuis septembre 2017, et l'un des meilleurs connaisseurs des positions de l'Église catholique à l'égard de la dissuasion nucléaire ;

- Monsieur Jean-Marie Collin, porte-parole de la branche française de la campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (l'ICAN). Prix Nobel de la paix en 2017, Monsieur Collin est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les armes nucléaires.

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Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

En 2020, le président de la République Emmanuel Macron a présenté, à l'École de guerre, sa vision de la dissuasion nucléaire. Ce discours a mentionné les considérations morales liées à l'arme nucléaire et a justifié la dissuasion française sous cet angle. Ce choix fait écho aux questionnements qui caractérisent la période actuelle quant à la moralité de la dissuasion au niveau mondial. Ces questionnements se sont d'ailleurs illustrés en 2017 par l'adoption du traité d'interdiction des armes nucléaires.

La critique absolue de la dissuasion s'appuie sur les conséquences humanitaires effroyables de l'arme nucléaire pour estimer que l'usage d'une telle arme ou menacer d'en faire usage est injustifiable. Cette critique est née des bombardements de Nagasaki et Hiroshima, et a connu une popularité variable pendant la guerre froide. Ce courant de pensée est désormais puissant et se trouve à l'origine de l'initiative des conséquences humanitaires, de l'action de l'ONG ICAN ou encore de la volonté des États comme l'Autriche ou le Mexique d'interdire l'arme nucléaire.

Ce raisonnement repose sur un principe : en raison des conséquences humanitaires catastrophiques, les armes nucléaires sont inacceptables en tout temps et en tout lieu. La campagne humanitaire se base sur les expériences précédentes d'interdiction des mines antipersonnel et des armes chimiques. Justifier la possession d'armes de destruction massive pour des raisons de sécurité nationale est jugé inacceptable. La critique absolue de la dissuasion conteste donc la possession d'arme nucléaire, quels que soient le possesseur, la doctrine ou la situation internationale. Pour autant, le débat a régulièrement été plus nuancé, ce qui a permis de réintroduire des réflexions stratégiques sur l'acceptabilité de la dissuasion, en fonction du contexte et de sa mise en œuvre.

Historiquement, l'une des premières lignes de défense de la dissuasion nucléaire en tant que doctrine, d'un point de vue éthique, repose sur l'idée que des guerres conventionnelles majeures ont pu être évitées grâce à ces armes inhumaines et à la menace d'annihilation mondiale. Une sorte d'éthique utilitariste est donc mise en avant, en estimant qu'un système est éthiquement justifiable s'il permet de limiter le nombre de morts. Cette éthique se justifie uniquement si nous estimons que la dissuasion nucléaire fonctionne et que la terreur d'une guerre nucléaire a permis d'éviter des conflits armés.

Ce questionnement, éthique, historique et analytique, n'aboutit pas à consensus. Au niveau théorique, de grands philosophes ou politiciens ont, tout au long de la guerre froide, apporté des réponses divergentes sur question de la dissuasion nucléaire et de sa capacité à contribuer à la paix.

Des visions différentes existent donc quant au rôle des armes nucléaires dans des événements depuis 1945, y compris depuis un an avec le conflit en Ukraine. Des observateurs estiment que l'arme nucléaire a permis à la Russie d'attaquer l'Ukraine sans être inquiétée. D'autres pensent au contraire que les armes nucléaires ont permis de geler le conflit aux frontières de l'OTAN et d'éviter ainsi un glissement vers une guerre mondiale.

Ces réflexions ont pu faire naître des éthiques « provisoires » de la dissuasion, en particulier au sein de l'Église catholique, justifiant la possession d'armes nucléaires pour préserver une paix dans un contexte donné, notamment celui de l'affrontement est-ouest pendant la guerre froide. Ces réflexions reposent sur une analyse coût-avantage de la possession d'armes nucléaires qui cherche à montrer que la dissuasion reste acceptable si le pouvoir dissuasif et l'évitement de certains conflits restent supérieurs au risque d'usage réel des armes.

Ce type de raisonnement a aussi été critiqué en expliquant que le bénéfice escompté de la dissuasion est le plus fort au moment où les tensions internationales sont les plus importantes, et donc que le risque d'utilisation de l'arme nucléaire est le plus élevé. Cette éthique utilitariste est donc rarement suffisante pour justifier la dissuasion nucléaire et est souvent complétée par une forme de conditionnalité selon laquelle la dissuasion peut être justifiée en étant uniquement mise en œuvre selon certaines normes et certains principes.

Sur le plan stratégique, la dissuasion nucléaire peut être considérée comme une doctrine tolérable d'un point de vue éthique et politique si le risque est maîtrisé par certains éléments. Cette question est apparue dès le début de la guerre froide, alors que l'usage de l'arme nucléaire ne pouvait être envisagé que dans une vision apocalyptique.

Au niveau doctrinal, la dissuasion ne peut être considérée que comme une arme défensive, et même d'extrême légitime défense, mais jamais comme un élément mis en œuvre à des fins d'agression ou de coercition.

De nombreuses puissances nucléaires ont rejeté la possibilité de déployer des armes tactiques pouvant être employées au cours d'une manœuvre militaire. Il est généralement admis que l'introduction d'armes nucléaires tactiques rendrait leur emploi plus probable, ce qui augmenterait le risque de guerre nucléaire.

Un autre élément doctrinal porte sur la possibilité de s'astreindre, au moment de la planification nucléaire, à une stratégie compatible avec le droit des conflits armés. Ce sujet est particulièrement important aux États-Unis. Les Américains estiment que leur doctrine de dissuasion est compatible avec ce droit. Ils expliquent avoir réfléchi à la planification stratégique et aux notions de droit des conflits armés, avec l'idée qu'une frappe nucléaire peut répondre aux critères de proportionnalité et de discrimination entre des objectifs militaires et civils. Cette réflexion, a priori étonnante, a été permise par les progrès technologiques permettant de concevoir des armes plus précises. Ces armes rendent possible, en théorie, des plans de frappe qui cibleraient en priorité des infrastructures militaires. L'objectif n'est donc pas de maximiser les destructions civiles.

Cette attention s'est également manifestée en France avec, au début des années 2000, l'abandon des plans de frappe anti-cité et des critères démographiques pour concevoir les armes, et l'annonce que les cibles potentielles seraient avant tout les centres de pouvoir. Néanmoins, la réflexion de la France reste timide dans ce domaine, alors que le principe de la dissuasion est le non-emploi.

Sur le plan diplomatique, une des priorités a été de restreindre le champ du nucléaire, avec des efforts effectués dans le domaine de la non-prolifération. Le jeu nucléaire peut être éthiquement justifiable si sa présence permet d'empêcher les conflits. Or, si le nombre d'acteurs devient trop important, le risque d'utilisation de l'arme s'accroît et le calcul devient défavorable.

Des efforts de maîtrise des armements ont été mis en œuvre depuis la guerre froide, pour éventuellement limiter le nombre d'armes en circulation, supprimer certaines catégories d'armes jugées particulièrement déstabilisatrices ou réguler certains comportements.

D'autres efforts sont envisagés pour réduire le risque d'utilisation de l'arme nucléaire et donc théoriquement justifier du concept de dissuasion. L'idée est d'obtenir un ensemble de mesures pour limiter les risques d'usage involontaire, accidentel ou non autorisé de l'arme nucléaire, avec également des procédures extrêmement lourdes pour sécuriser les déploiements.

Au niveau international, la transparence, les notifications et les mécanismes de gestion de crise sont censés pouvoir limiter le risque d'incompréhension et de mauvaises interprétations pouvant conduire à une escalade des tensions vers un conflit nucléaire.

Si les questions sur l'éthique de la dissuasion sont anciennes, plusieurs facteurs sont à l'origine d'un renouvellement du débat dans les années récentes. Ces facteurs tiennent en particulier à la détérioration du contexte international et aux relations entre grandes puissances. Ces évolutions géopolitiques ont conduit les puissances nucléaires à réaffirmer la place de la dissuasion dans leur doctrine de sécurité et ont empêché les progrès en matière de désarmement. À l'opposé du spectre, une campagne s'est organisée pour contester la dissuasion nucléaire, sur des fondements moraux aboutissant au TIAN.

Cette volonté de se positionner dans le débat éthique n'est pas encore particulièrement visible et le monde de la dissuasion reste avant tout préoccupé par des considérations sécuritaires ou éventuellement juridiques. Néanmoins, les propos du président de la République en 2020, et l'organisation d'enseignements à l'ENS depuis plusieurs années sur le sujet, prouvent que le débat est recherché, même dans un pays où ces questions ont historiquement eu moins d'importance.

Une interrogation existe sur la pertinence de répliquer l'approche humanitaire sur les armes nucléaires. Cette approche humanitaire est utilisée pour interdire les armes chimiques, les armes à sous-munition ou encore les mines antipersonnel. Pour certains pays comme la France, les armes nucléaires jouent un rôle singulier dans le système international. Pour le moment, aucun mécanisme n'existe permettant de gérer les tensions entre les puissances, tout en évitant le recours aux extrêmes. Pour les défenseurs de la dissuasion, la suppression brutale des armes nucléaires n'est pas envisageable avant d'avoir résolu les différends anciens, « gelés » par ce système de dissuasion.

Par ailleurs, un autre argument estime que les États démocratiques et libéraux sont les seuls à se poser la question morale. Les ONG promouvant le désarmement sont d'ailleurs particulièrement actives dans ces pays. Si cette réflexion conduit au désarmement face aux régimes autoritaires et agressifs, les démocraties risquent de mettre en péril leurs propres valeurs et le système international construit sur le droit, en s'exposant à la loi du plus fort. Les États démocratiques auraient ainsi une responsabilité particulière à défendre une forme de réalisme et de lucidité de leurs modèles de société face à des adversaires prêts à exploiter ce qu'ils perçoivent comme des faiblesses occidentales, en particulier la sensibilité des opinions publiques aux dilemmes moraux causés par la dissuasion.

Enfin, le troisième argument consiste à réfléchir à la façon d'organiser de manière pragmatique, réaliste et sûre le désarmement, en essayant de construire des procédures incluant par exemple des questions de vérification et de transformation du système international, permettant d'envisager un monde sans armes nucléaires qui ne soit pas, in fine, plus dangereux que celui dans lequel nous vivons.

En conclusion, quel que soit notre positionnement personnel sur la dissuasion, nous ne pouvons que nous réjouir de ces débats et que ces réflexions fleurissent, en particulier dans des pays démocratiques où les citoyens sont non seulement appelés à financer les programmes d'équipements liés à ces armes, mais sont aussi profondément impliqués par les choix doctrinaux que leurs dirigeants prennent dans ce domaine.

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Monseigneur Antoine de Romanet

J'ai été nommé évêque aux armées françaises par le Pape François en juin 2017, au moment de la signature du traité d'interdiction des armements nucléaires (TIAN). Trois sujets me sont apparus d'emblée essentiels à considérer : la dissuasion nucléaire, le dialogue interreligieux et la laïcité.

J'ai consacré les deux premières années de ma mission principalement à la dissuasion nucléaire, ce qui m'a conduit à rédiger un document d'une centaine de pages sur ce thème. J'ai également publié un article dans le numéro 168 / hiver 2019-2020 de la revue « Commentaire », aux pages 821 à 828, qui résume bien ma réflexion.

Le traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN) adopté à l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) le 7 juillet 2017 par 122 voix dont celle du Saint-Siège est un élément central de ces dernières années. Deux événements importants sont également à souligner : le discours du pape François à Hiroshima et Nagasaki en novembre 2019, avec des mots extrêmement forts, et le discours du président la République Emmanuel Macron devant l'École de guerre en février 2020, avec une réflexion extrêmement travaillée.

Avec le nucléaire, nous sommes entrés dans un nouvel âge, terrifiant. L'homme a mis la main, en partie, sur le secret de la matière et sur une puissance extraordinaire, pour le meilleur ou pour le pire. Pour le meilleur : de nombreuses techniques existent pour fabriquer de l'électricité civile avec l'atome. De nouvelles techniques sont en train d'être explorées de manière particulièrement intéressante, notamment en France. Nous pouvons espérer obtenir prochainement des capacités de production d'énergie électrique d'origine nucléaire sûres, abondantes et non contaminantes.

Le nucléaire peut également être redoutable, avec la fabrication d'armes épouvantables de destruction massive. Nous sommes tous profondément attachés au TNP. L'arme atomique est tragique et tous les efforts doivent être réalisés pour réduire au maximum le risque qu'elle fait peser sur l'humanité, avec l'objectif idéal d'une éradication totale.

D'une certaine manière, l'humanité est entrée dans un nouvel âge, puisqu'elle a désormais les moyens de sa propre destruction. Cela s'accompagne d'une prise de conscience contemporaine avec le TIAN. Le Pape François rappelle de son côté que tout est lié. Les questions climatiques, de biodiversité, d'eau, de ressources naturelles ou encore de carbone sont liées entre elles. Tous ces éléments se jouent à l'échelle de la planète. Raisonner à une échelle simplement nationale n'a donc pas de sens. Tout est lié, comme la crise sanitaire l'a illustré récemment. De même, une éventuelle explosion nucléaire entre deux pays aurait des conséquences cataclysmiques pour l'ensemble de la planète.

Notre terre est fragile au milieu d'un univers glaçant et noir. L'homme a aujourd'hui les moyens de sa propre destruction et ce constat est terrifiant. La guerre est toujours atroce et doit être évitée par tous les moyens.

Le grand danger serait ici d'avoir des considérations uniquement philosophiques et morales, ou purement politiques et stratégiques. Nous pourrions avoir un débat philosophico-religieux, à base de morale, qui pose comme fin inconditionnelle la suppression de ces armes. Nous pourrions également avoir un débat uniquement centré sur les réalités stratégiques et sur la nécessité de se préparer à la guerre pour assurer la paix.

Nous pourrions enfin nous focaliser sur la complexité de l'esprit humain. La réalité est un ensemble d'éléments qui se conjuguent et qui donnent toute la complexité du sujet. Or, dans les faits, le plus souvent, l'approche philosophico-religieuse et l'approche politico-stratégique ne se parlent pas ou entretiennent un dialogue de sourds.

Il nous faut prendre la mesure des ambivalences. Ainsi le concept de « guerre juste » est intéressant pour empêcher les conflits, mais est redoutable si l'objectif est de justifier la guerre. De même, l'atome est formidable pour produire de l'électricité civile, mais peut s'avérer tragique pour détruire la planète.

Entrer dans la logique de l'arme atomique et de la dissuasion nucléaire demande du temps pour réaliser la complexité du sujet. Le TNP est le traité le plus signé au monde, après la charte des Nations Unies. Cinq États sont dits officiellement « dotés » de l'arme nucléaire et les autres États signataires s'engagent à ne pas l'être. Ces derniers peuvent néanmoins bénéficier du nucléaire civil et tous les pays disent s'engager dans une logique de désarmement.

Le président Kennedy était particulièrement inquiet, au début des années 60, à l'idée qu'une trentaine d'États puisse être dotée de l'arme nucléaire à la fin du 20e siècle. Nous n'en sommes pas là et le TNP a offert du temps aux diplomates et aux politiques pour entrer dans une démarche de désarmement. Le vrai sujet, sur lequel ICAN insiste, est que ce temps offert aux diplomates et aux politiques n'a sans doute pas été suffisamment utilisé pour progresser activement dans la voie du désarmement.

Des États ont pris l'engagement de ne pas être dotés en échange de l'engagement des pays dotés de se diriger de bonne foi vers un désarmement. Or, ces derniers semblent bien décidés à conserver leurs armements. Le danger serait ici de considérer que la dissuasion nucléaire permettrait d'assurer une forme de sécurité en toute quiétude. Par son caractère destructeur et la menace anxiogène qu'elle fait peser, la dissuasion nucléaire ne peut être considérée comme une garantie sereine et certaine de la sécurité collective et de la stabilité internationale. Pour autant, « En politique étrangère ce n'est jamais la lutte entre le bien et le mal écrivait Raymond Aron, c'est toujours la lutte entre le préférable contre le détestable »

L'Église catholique s'est appuyée durant une génération sur les déclarations du Pape Jean-Paul II à l'Assemblée Générale de l'ONU de décembre 1982. Le Pape avait expliqué à l'époque que la dissuasion nucléaire était moralement acceptable compte tenu des circonstances et dans la mesure où une démarche, authentique et sincère était mise en œuvre en faveur du désarmement. Dans la foulée les évêques français, le 8/11/1983, écrivaient dans un document intitulé « Gagner la paix » : « affronté à un choix entre deux mots quasiment imparables, la capitulation ou la contre-menace… on choisit le moindre, sans prétendre en faire un bien ! ». Les évêques américains quant à eux ont souligné quelques années plus tard que, compte tenu de l'effort plus que mesuré, voire incertain, vers le désarmement, l'aspect moralement acceptable de cette situation était remis en cause.

La question est de savoir si le TIAN a pour objectif de soutenir le traité de non-prolifération ou de le ruiner. Le TIAN a été négocié en peu de mois, contre huit ans pour le TNP. Le Pape François en novembre 2019 déclare que le TIAN vient soutenir le traité de non-prolifération. Ce point est essentiel. Le Pape ne demande par ailleurs ni désarmement unilatéral ni désarmement immédiat.

Les dernières pages du discours du président de la République, en février 2020, sont pour la première fois dans ce type d'exercice consacrées aux dimensions éthiques, en partant des propos du Pape François à Hiroshima. Le président de la République pose clairement le fait que la dissuasion nucléaire n'est pas une réalité idéale, mais qu'il n'existe pas à ce jour d'alternative crédible.

Nous ne devons pas nous enfermer ici dans de simples considérations techniques. La question n'est pas tant l'outil que l'esprit. La paix est obtenue par la justice, la charité, le dialogue et la négociation. La question n'est pas celle du but d'un désarmement unanimement partagé sur le papier. La question est celle du chemin, qui est d'abord un chemin moral et spirituel de conversion et de désarmement des cœurs.

D'un point de vue à la fois absurde et inspirant, on peut observer qu'il existe une bombe par tradition religieuse : la bombe catholique à Paris, la bombe anglicane à Londres, la bombe protestante évangélique à Washington, la bombe orthodoxe à Moscou, la bombe juive à Tel-Aviv, la bombe hindoue à New Delhi, la bombe sunnite à Islamabad, la bombe confucéenne en Corée et en Chine, en attendant la bombe chiite en Iran. Ce constat donne à réfléchir. Lorsque les diplomates n'arrivent plus à se parler et que les circuits officiels ont du mal à fonctionner, le spirituel peut intervenir pour tenter d'apporter des réponses et une vision plus fraternelle de notre avenir commun.

Par ailleurs, couper l'électricité peut sembler plus efficace pour créer le chaos que la bombe atomique. À l'ère du cyber et des nouvelles technologies, on peut s'interroger si la bombe atomique ne deviendrait pas, d'une certaine manière, quelque peu obsolète.

Nous devons nous parler fraternellement, en dépassant les clivages, les frontières et les passeports. Cette terre est pour nous tous et nous sommes tous frères. Nous avancerons uniquement dans cette reconnaissance.

Une vie sans dignité et sans liberté mérite-t-elle d'être vécue ? Le ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian, l'avait exprimé à sa manière le 20 novembre 2014 à l'École militaire en soulignant que « nous devons éviter que l'appel généreux à un monde « sans armes nucléaires » ne prépare un monde où seuls les dictateurs en disposeraient » L'arme nucléaire nous a préservés jusqu'à présent de la réalité totalitaire. Les Américains ont développé la bombe atomique face au péril nazi et je me félicite que Hitler n'ait pas obtenu cette arme terrifiante en premier. Nous devons avancer avec cet élément, dans la justice, la charité et la fraternité.

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Jean-Marie Collin, porte-parole d'ICAN France

Je tiens à souligner mon incompréhension face au caractère confidentiel de cette audition et de l'ensemble de ce cycle sur la dissuasion qui se tient à huis clos, contrairement à celui de 2014. Cette décision est gênante pour le débat démocratique. Il est en effet fâcheux de constater qu'un sujet aussi important, avec des implications budgétaires sur des décennies, qui engagent la sécurité des générations actuelles et futures, soit à ce point écarté du débat public. Demander aux citoyens de ce pays de s'interroger sur des sujets de défense est compliqué, si nous leur confisquons le droit d'entendre librement ces auditions.

La dissuasion nucléaire constitue la menace d'employer des armes de destruction massive. Ces armes sont pensées et calibrées pour frapper des populations civiles, engendrant des conséquences humanitaires catastrophiques et allant ainsi à l'encontre des principes de base du droit international humanitaire. Les acteurs politiques et militaires, qui mettent en œuvre cette politique de dissuasion à travers des objectifs de crédibilité militaire, budgétaire et politique, sont conscients et acceptent de renoncer au respect du droit international humanitaire. Cette stratégie accepte de mettre en péril la population française.

La clé de voûte de la politique de défense de la France est donc, pour notre campagne, en dehors de toutes règles éthiques. Effectivement, un déshonneur existe dans la dissuasion, contrairement à ce que prétend le chercheur britannique Lawrence Freedman, car ce système n'est pas un mécanisme de prévention de guerre. Au contraire, l'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie montre que la possession d'un arsenal nucléaire permet à ce régime de continuer à commettre des crimes contre les populations civiles.

Au titre de l'éthique, le président Macron estime, dans son discours à l'École de guerre du 7 février 2020, qu'« une démocratie doit se poser la question des finalités de sa politique de dissuasion nucléaire porteuse de dilemmes moraux et de paradoxes ». Or, je ne vois pas quand et comment notre démocratie s'interroge honnêtement et véritablement sur cette question ?

Nous savons que les choix sont déjà faits. Le président Macron a décrit ce que devrait contenir la LPM en matière de forces de dissuasion, dans son discours de Toulon.

Notre campagne s'inscrit dans une approche humanitaire et sécuritaire, et non morale ou religieuse. Néanmoins, ces auditions ne sont pas égalitaires en matière d'expertise entre des acteurs favorables au désarmement, et ceux pro-armes de destruction massive.

Enfin, notre démocratie s'interroge-t-elle, depuis la ratification du traité de non-prolifération nucléaire en 1992, sur le respect de ses obligations juridiques internationales ? Apparemment non, puisque le principe de la « bonne foi », tel qu'inscrit dans l'article 6 du TNP, n'est pas respecté. Le processus de renouvellement des forces nucléaires est inscrit depuis 2014 dans les LPM, avec la volonté de conserver cette force jusqu'en 2090.

Finalement, la définition d'éthique pour la France sur ce sujet de la dissuasion n'est rien d'autre qu'un renoncement à agir. Le président Macron l'a défini ainsi. Nous n'avons, selon lui, « pas d'autre choix que de nous confronter à l'imperfection du monde et d'affronter avec réalisme et honnêteté les problèmes qu'il nous pose ».

Les armes nucléaires et sa politique de dissuasion sont interdites depuis le 22 janvier 2021, avec l'entrée en vigueur du traité des Nations Unies sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN). La notion d'éthique constitue un des éléments clés de la mise en œuvre de cette nouvelle approche du désarmement. Le Saint-Siège a d'ailleurs été l'un des États moteurs dans ce domaine.

L'éthique se retrouve dans le processus de réalisation des conférences humanitaires sur les conséquences de toute détonation d'armes nucléaires, qui se sont étalées entre 2011 et 2016, ainsi que dans le processus de négociation à l'ONU en 2017. La négociation du TIAN a donc demandé plusieurs années et non uniquement trois mois. En effet, ces processus, qui n'excluaient aucun État, étaient les plus inclusifs et démocratiques possibles. La France a d'ailleurs toujours choisi de laisser son siège vide à l'ONU.

De nombreuses résolutions, adoptées depuis 2015 à une large majorité des membres de l'ONU, ont été adoptées pour soutenir la démarche du traité sur l'interdiction des armes nucléaires, notamment des résolutions portant le titre : « Impératif éthique pour un monde exempt d'armes nucléaires ». Ces résolutions, votées par environ 140 États, notent des « impératifs éthiques pour le désarmement nucléaire et la nécessité pressante d'instaurer un monde exempt à jamais d'armes nucléaires qui serraient un bien public des plus précieux servant les intérêts de la sécurité nationale et collective ».

Adopté par 122 États à l'ONU le 7 juillet 2017, le TIAN est entré en vigueur le 22 janvier 2021. Le régime actuel du droit international ne laisse plus de place à l'utilisation légale des armes nucléaires, comme à la mise en œuvre d'une politique de dissuasion. Ce traité compte à ce jour 68 États parties, et 92 États signataires. Il faut remarquer parmi ces États la présence :

d'États de l'Union européenne : Autriche, Irlande, Malte ;

d'États du territoire européen : Saint-Marin, Saint-Siège, Liechtenstein ;

d'États qui ont eu des armes nucléaires sur leur territoire : Afrique du Sud, Cuba, Kazakhstan ;

d'États ayant un partenariat avec l'OTAN : Autriche, Irlande, Kazakhstan, Malte, Nouvelle-Zélande, Mongolie ;

ou encore de nombreux États membres de la Francophonie comme le Bénin, le Cambodge, les Comores, la Dominique, la République Démocratique du Congo, les Seychelles, le Viet Nam.

Traité de désarmement, le TIAN est aussi nommé traité de désarmement humanitaire, car il s'appuie sur le droit international humanitaire. Ce droit vise à protéger les civils (et d'une manière générale toutes les personnes non combattantes) et repose sur trois principes complémentaires : les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution. Ces trois principes ne peuvent pas être respectés en cas d'utilisation de l'arme nucléaire.

Le préambule du traité mentionne que « les États parties prennent note des impératifs éthiques pour le désarmement nucléaire », soulignant ainsi la volonté exprimée à de nombreuses reprises, entre 2010 et 2016, de respecter les obligations et engagements clairs en vertu du droit international ou encore de la charte des Nations Unies. L'éthique se retrouve également à travers l'article 1 qui qualifie toutes les interdictions. Selon cet article, il est, notamment, interdit en toutes circonstances d'employer ou de menacer d'employer des armes nucléaires. La dissuasion est donc interdite.

Au G20 du mois de novembre 2022, les 20 nations ont estimé que « l'emploi et la menace de l'emploi de l'arme nucléaire étaient inacceptables ». Cette logique renvoie au TIAN et à la pensée du Pape. Ce dernier, lors de l'adoption du traité, avait en effet indiqué que « les armes atomiques n'engendraient qu'un sentiment trompeur de sécurité et s'opposaient ainsi aux notions d'éthique et de solidarité ».

Parmi les interdictions se trouve également celle « d'aider, d'encourager ou d'inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à se livrer à une activité interdite ». Il est ainsi interdit de financer des entreprises fabriquant des systèmes d'armes nucléaires ou équipements associés conçus pour mettre en œuvre les armes nucléaires ou pour assurer leur pérennité. Les banques sont donc directement visées par cette interdiction, comme l'a souligné le président de la République dans son discours de l'École de guerre.

De plus en plus de banques ont décidé d'appliquer ce traité, ayant l'obligation de respecter le droit international et en raison du caractère éthiquement sensible de tels investissements. En effet, investir dans des entreprises qui produisent de tels systèmes d'armes est incompatible avec les méthodes d'investissement durables et donc l'éthique mise en place par ces institutions financières à travers leurs responsabilités sociétales des entreprises. Comme pour les armes chimiques, biologiques ou les mines antipersonnel, de nombreuses banques n'investissent plus dans les arsenaux nucléaires et montrent ainsi le chemin que les banques françaises devront emprunter.

La première réunion des États parties au TIAN s'est tenue en juin 2022 à l'ONU et avait pour objectif la prise de décisions clés pour assurer la vie juridique du traité. Nous pouvons noter la présence de nombreux États observateurs, tels que l'Allemagne ou l'Australie.

Outre l'annonce d'un plan d'action, une déclaration forte a été adoptée où il est réitéré « les impératifs moraux et éthiques qui ont inspiré et motivé la création du traité et qui, aujourd'hui, animent et guident sa mise en œuvre ». La seconde réunion aura lieu cette année, à la fin du mois de novembre, au siège des Nations Unies.

En juin dernier, 56 parlementaires français ont signé une tribune dans le Monde pour que la France participe, au titre d'État observateur, à la réunion des États parties du TIAN. La France, qui est connue à travers le monde pour avoir réalisé de nombreuses actions positives, ne peut pas continuer à nier l'existence de ce traité. La France doit être présente comme État observateur lors de cette seconde réunion.

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Le caractère à huis clos de cette audition est une condition qui a été établie pour la mise en place de ce cycle concernant la dissuasion. L'objectif est de permettre la participation de tous et une parole plus libre. Pour ma part, je considère que la mise en place de cycle, avant la loi de programmation militaire (LPM), constitue une avancée par rapport au passé. J'aurais effectivement préféré que certaines auditions se tiennent de façon publique mais je souhaitais avant tout que ces auditions aient lieu. Ce dilemme renvoie à la différence entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Je souligne toutefois qu'un compte rendu public de cette réunion sera réalisé.

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Je souhaite vous interroger plus précisément sur le contrôle des armes à l'échelle mondiale. Nous sommes actuellement dans un contexte de réarmement des pays à travers le monde. Certains pays ont fait le choix, assumé ou non, de se tourner vers les armements nucléaires, comme la Corée du Nord ou l'Iran. D'autres pays, déjà détenteurs, ont décidé d'innover leurs capacités de mise en œuvre de ces armements.

Dans ce contexte de disparition de la « vraie guerre » et de la « vraie paix », pour reprendre la thèse d'André Beaufre, je souhaite vous poser deux questions :

Quelle place la France et l'Europe jouent-elles dans le respect des normes internationales relatives à l'armement nucléaire ?

D'un point de vue plus global, comment percevez-vous ce contexte de réarmement du monde ?

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À l'image de Monsieur Collin, je regrette également que cette audition se tienne à huis clos.

La question de la dissuasion nucléaire n'est pas seulement stratégique et politique, puisqu'elle appelle nécessairement un débat éthique. Il est ainsi fondamental pour nous, parlementaires, de pouvoir auditionner les experts que vous êtes, si nous souhaitons intellectualiser le débat.

Alors que l'adhésion de la Finlande dans l'OTAN devrait bientôt être définitivement ratifiée, une révision radicale de sa politique en matière d'arme nucléaire s'avère nécessaire. En effet, l'alliance atlantique est par nature une alliance nucléaire. Or, la législation finlandaise actuelle interdit la présence d'arme nucléaire sur son territoire, ce que n'a pas manqué de rappeler le président Sauli Niinistö, le 7 novembre dernier, lorsqu'il a souligné la position de son pays. La Finlande n'a pas l'intention d'y déroger. Or, a contrario de ses voisins scandinaves, membres de l'OTAN, qui ont banni de leur sol toute base de l'OTAN et toute arme nucléaire en temps de paix, la Finlande demande quant à elle à intégrer l'alliance sans restriction explicite, ce qui semble sous-entendre qu'elle ne ferme pas définitivement le sujet.

La Finlande, qui a toujours affirmé sa politique de non-prolifération, a été le premier État à ratifier le traité relatif à la non-prolifération des armes nucléaires en 1968, parallèlement à son adhésion aux conventions internationales, s'inscrivant depuis dans cette perspective pour des raisons éthiques, bien qu'elle se soit abstenue de voter le traité des Nations Unies sur l'interdiction des armes nucléaires en 2017.

En outre, si la confiance des Finlandais envers leur gouvernement n'emporte traditionnellement pas de débat quant aux politiques de sécurité et de stratégie menées par l'État, le volet éthique de la dissuasion nucléaire présente tout de même des spécificités qui nécessiteraient sans doute un débat public. En effet, au regard de la position du pays en matière d'éthique et la constance de la politique de la Finlande sur cette question, nous pouvons légitimement penser que l'absence d'une telle consultation entraînerait un retour de bâton de la part de sa population.

En tant qu'observateur du monde géopolitique et expert de la question du nucléaire, pensez-vous qu'un tel débat soit acceptable ou du moins nécessaire ?

Qu'en adviendrait-il en cas d'opposition citoyenne ? Plus exactement, cela entacherait-il l'adhésion de la Finlande à l'OTAN ?

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Je souhaite faire observer que la présence de monsieur de Romanet n'est pas conforme au principe de laïcité. Aussi affûtée soit-elle, la réflexion éthique d'un évêque est nécessairement élaborée sur le fondement d'un dogme et d'une foi dont l'État n'a rien à dire.

D'un point de vue éthique, trois types de questions semblent se poser :

L'arme atomique sort-elle du cadre de l'éthique de la guerre ? En quoi la menace nucléaire est-elle de nature différente de celle de la guerre conventionnelle ?

Est-il éthique de fonder la stratégie de défense de notre pays sur des calculs bénéfices-risques dont les données ne sont pas exactement connues du public ?

Enfin, une question brûlante est celle de la responsabilité de l'État à l'égard des victimes des essais nucléaires, mais aussi des deux cas connus d'emploi que sont Hiroshima et Nagasaki.

Nous croyons au mécanisme de la dissuasion et souhaitons aussi que la France œuvre à la construction d'un monde débarrassé des armes nucléaires à l'issue de négociations multilatérales. Pour cela, elle devra s'appuyer sur toutes les initiatives, en participant, comme observateur au TIAN.

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Monsieur de Romanet est notre invité. Ce débat renvoie à des questions éthiques et religieuses. Monseigneur de Romanet a mené de nombreux travaux sur la dissuasion. Au-delà d'être l'évêque des Armées, Monsieur de Romanet est un expert reconnu de ces questions, raison pour laquelle nous l'avons invité.

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Madame Maitre, pourriez-vous apporter des précisions sur votre méthodologie et votre façon de travailler à la Fondation pour la recherche stratégique dans le cadre du nucléaire ?

À titre personnel, je trouve la lecture des écrits de Monseigneur de Romanet inspirante et particulièrement intéressante. Je reste persuadée que tous les points de vue sont intéressants et doivent être entendus pour pouvoir se comprendre et avancer. Cette réflexion existe-t-elle au sein des autres religions ?

Monsieur Collin, j'ai trouvé votre réflexion sur le huis clos particulièrement brutale, alors même que vous étiez invité à vous exprimer. J'ai trouvé votre entrée en matière inutilement agressive, ce qui a gêné mon écoute et desservi vos propos.

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Parler d'éthique et d'arme nucléaire semble a priori paradoxal. En réalité, l'arme nucléaire renvoie au problème fondamental de la technique et du progrès. L'homme a toujours eu besoin de la technique pour survivre, conforter sa place dans le monde et finalement asseoir sa domination. Or, dans le domaine militaire, le progrès technique permet à une nation d'avoir un avantage massue sur d'autres pays.

Vladimir Poutine rappelle sans cesse être en possession de missiles balistiques hypersoniques ultramodernes, qu'aucune autre puissance n'aurait à sa disposition. Nous voyons bien que l'arme nucléaire apparaît comme le summum de la domination militaire, à l'image de cette citation du scientifique Théodore Monod : « L'arme nucléaire, c'est la fin acceptée de l'humanité ».

Cette perspective que l'humanité puisse désormais s'autodétruire obligera les puissances dotées de l'arme nucléaire à se responsabiliser et à responsabiliser les États qui seraient tentés par cette technologie. Se développera alors une éthique sur l'utilisation de l'arme nucléaire dans le but d'en faire une force dissuasive. Cette responsabilisation se traduira par la signature de différents traités.

Le groupe Démocrate soutient pleinement la force de dissuasion nucléaire française qui est un outil indispensable à la préservation de sa souveraineté, autrement dit notre assurance vie dans le monde tel que nous le connaissons, avec des puissances dotées et agressives. Or, nos forces de guerre doivent s'inscrire dans un cadre légal international de plus en plus remis en cause par des régimes populistes.

La Russie se sert de la dissuasion nucléaire pour envahir l'Ukraine, sans crainte de représailles violentes sur son sol de la part des Occidentaux. L'Iran arriverait au bout de son programme nucléaire et n'a jamais caché son intention de détruire Israël.

Comment voyez-vous l'avenir de la dissuasion nucléaire et les questions d'éthique qui y sont liées, dans un ordre mondial de plus en plus fracturé ?

Le traité de non-prolifération nucléaire est-il encore pertinent ou devons-nous revoir les conditions de son application ?

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Le général de Gaulle a posé les fondements de la force nucléaire de notre indépendance militaire à son arrivée au pouvoir. Néanmoins, ce n'est qu'au cours du double septennat de François Mitterrand que la maturation de la dissuasion française est arrivée à son terme, avec les trois composantes : terre, mer, air, dans le cadre d'une doctrine bien définie.

Avant la guerre en Ukraine, l'évolution du contexte stratégique avait permis de réduire le format des forces. En 10 ans, la France avait diminué de moitié son arsenal. Le budget de la dissuasion nucléaire avait également diminué de moitié en 20 ans. La France est actuellement le seul État à avoir entièrement démantelé la composante nucléaire au sol.

La dimension des forces nucléaires françaises est déterminée en application du principe de « stricte suffisance ». L'arsenal français est garant de la crédibilité de notre dissuasion. La dissuasion nucléaire est avant tout un outil politique, nullement destiné à frapper l'adversaire, mais à le convaincre que nous nous trouvons en capacité de le faire.

Cette question doit évidemment être portée dans le débat public. Nous devons être une puissance capable d'échanger avec tous les acteurs et être observateurs.

Quelle alternative proposez-vous à la dissuasion nucléaire, face à l'affirmation de puissance de certaines nations (Russie, Iran ou encore Corée du Nord) ? Vos propos ne répondent pas aux dangers qui existent actuellement avec le conflit en Ukraine.

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Mon intervention s'adressera plus particulièrement à Monseigneur de Romanet. D'après le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, la dissuasion nucléaire est un mal pour un bien provisoire. Selon lui, la dissuasion nucléaire explique en grande partie l'absence de conflit majeur entre les puissances, en particulier entre la Russie et l'Occident depuis 1945. Nous ne pouvons que nous réjouir de l'absence de conflit et la garantie de la liberté. La paix repose donc principalement sur la détention de l'arme nucléaire, même s'il s'agit d'une arme de non-emploi.

Toutefois, il semble difficile, dans le contexte actuel, d'imaginer pouvoir garantir la sécurité internationale sans cette dissuasion nucléaire.

Monseigneur, au-delà des questions éthiques soulevées par le Pape François en 2019, vous aviez prôné le pragmatisme en matière de dissuasion nucléaire, invitant la France à avoir une approche qui intègre les réalités militaires et politiques. La dissuasion nucléaire qui a pour objectif ultime le maintien de la paix repose sur sa crédibilité.

La France étant désormais le seul pays au sein de l'Union européenne à détenir l'arme nucléaire, la mise en place d'un débat éthique au sein de la société ne risque-t-elle pas de décrédibiliser la dissuasion nucléaire et in fine mettre la paix en péril ?

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Je regrette également le caractère à huis clos de cette audition.

La question de la dissuasion nucléaire constitue un choix crucial pour notre démocratie. Promouvoir la fin de la dissuasion nucléaire peut sembler paradoxal au moment où la menace est agitée de manière plus ou moins crédible par l'agresseur russe sur un voisin européen. Néanmoins, ce débat doit avoir lieu.

Le TIAN proscrit la menace, et donc la dissuasion. Nous pourrions rétorquer, en ne nous intéressant qu'à l'éthique, qu'il s'agit de légitime défense. La riposte se fait de manière immédiate, graduée et proportionnelle.

Nous partons du principe que l'adversaire est rationnel, ce qui fait peut-être défaut lorsque nous parlons de Vladimir Poutine qui n'avait pas forcément intérêt à envahir l'Ukraine. En outre, compter sur la rationalité de l'Iran pour ne pas détruire Israël dès que cela sera possible semble un pari hautement dangereux. Je n'évoque même pas le risque qu'un groupe terroriste puisse mettre la main sur des armes nucléaires.

Par ailleurs, le général américain à la retraite, David Petraeus, a expliqué que les États-Unis détruiraient toutes les troupes russes et toutes les armes russes si la Russie utilisait l'arme nucléaire en Ukraine. Est-ce un tournant ? N'est-ce pas finalement une forme de dissuasion non nucléaire plus éthique et plus efficace ?

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Je rejoins mes collègues concernant la présence d'Antoine de Romanet. Nous devons auditionner tous les représentants religieux ou n'en interroger aucun. Ma question s'adressera donc à l'ICAN et à la FRS.

Le système international n'a jamais été aussi instable depuis la fin de la guerre froide. Au regard de la « Doomsday Clock » du « Bulletin of the Atomic Scientists », nous sommes à 100 secondes avant minuit. Autrement dit, le risque nucléaire n'a jamais été aussi élevé que depuis la crise des missiles de Cuba.

L'abolition des armes nucléaires et leur interdiction doivent être un objectif à atteindre. Pourtant, l'arsenal nucléaire français représente une garantie indéniable pour la sécurité du pays, particulièrement en l'absence d'un processus multilatéral crédible de désarmement complet.

Sans traité de cette sorte, nous ne pouvons pas y renoncer si nous souhaitons garder notre autonomie défensive. Cependant, d'autres modes d'action qui rendraient l'arme nucléaire obsolète pourraient être envisagés, tels qu'une dissuasion spatiale, dont la capacité à désorganiser une société, en visant le cœur de ces infrastructures, serait moins létale, mais potentiellement aussi dissuasive que l'arme nucléaire.

Au regard du contexte international et de l'incertitude sur la possession d'armes nucléaires de la part de certains États, de quelle manière la France pourrait-elle se désengager du nucléaire, tout en conservant son indépendance stratégique à la protection de ses intérêts ?

Quelles alternatives coercitives crédibles à la dissuasion nucléaire pourraient être envisagées face à des États pour lesquels les coûts de sanctions économiques et politiques ne pèsent guère dans leur doctrine nucléaire ?

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Je souscris également à ce qui a déjà été dit par mes collègues. Il n'est pas question de mettre en cause la personnalité de monsieur de Romanet. Néanmoins, je fais observer que parler d'une bombe catholique pour parler de la bombe française est un abus de langage, difficile à supporter.

Les questions d'éthique supposent de se situer dans des référentiels éthiques différents. Madame Maitre, vous avez évoqué ce sujet en situant les éthiques auxquelles nous pouvons nous raccrocher, intentionnalistes ou plus utilitaristes. Pourriez-vous affiner davantage votre intervention sous cet angle et nous préciser si nous sommes en mesure de produire des critères extrêmement nets pour opter entre l'une ou l'autre de ces éthiques ?

Monsieur Collin pourrait de son côté revenir sur la notion de « bonne foi » qui figure dans le TNP. Peut-être s'agit-il également de l'une des « pierres de touche » de cette notion d'éthique concernant le désarmement. Le TIAN est finalement l'émanation d'un sursaut des consciences face à l'insuffisance ou le non-respect de ce principe de « bonne foi » par les États dotés.

Enfin, nous pouvons interroger la dimension éthique de la stratégie de dissuasion des États, car ils spéculent sur un risque. Or, se prononcer sur l'avenir de l'humanité à partir de données qui ne sont pas fiables semble hautement contestable.

Enfin, l'architecture globale de sécurité repose peut-être sur une dimension absolument non éthique liée à l'inégalité de fait reconnue entre les États, face au droit d'accéder à des technologies nucléaires.

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Je soutiens la dissuasion nucléaire française qui est de mon point de vue nécessaire à la paix dans notre pays et dans le monde face au fanatisme et à certains dirigeants. Et je souhaite connaître les alternatives préconisées par Monsieur Collin au nucléaire.

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Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

Je suis chercheuse depuis 10 ans à la FRS. Nous travaillons essentiellement sur des appels d'offres pour réaliser des études et des analyses, ce qui ne nous empêche pas de participer aux débats publics par nos écrits et nos interventions.

Au sujet de la Finlande, participer à une alliance nucléaire n'est pas la même chose que d'accueillir des armes nucléaires sur son territoire. Pour l'instant, seuls cinq pays de l'OTAN accueillent des armes nucléaires sur leur territoire, de façon non officiellement reconnue. Le secrétaire général de l'OTAN a précisé qu'il n'était pas question d'accroître le nombre de pays qui pourraient potentiellement accueillir des armes nucléaires. La Finlande ne pose donc pas de difficultés.

En outre, si le déploiement d'armes nucléaires dans de nouveaux pays était envisagé, nous serions dans des situations tellement critiques que les questions de législation nationale et d'opinion publique pourraient rapidement évoluer.

Concernant le respect des normes de non-prolifération et le fonctionnement du TNP, nous sommes dans une période de crise sur la logique de non-prolifération et de désarmement. L'administration Biden aux États-Unis a encore la volonté de faire vivre ce régime et de proposer éventuellement de participer à des accords multilatéraux ou bilatéraux. Néanmoins, des discussions au sein des pays dotés apparaissent, y compris en Europe, sur la pertinence d'accroître les volumes d'arme nucléaire, ce qui n'était pas arrivé depuis la guerre froide.

Nous pouvons estimer que cette logique ne s'oppose pas au régime de non-prolifération. En effet, il est possible d'accroître le stock, tout en négociant des mesures de maîtrise des armements avec ses adversaires. D'ailleurs, certains observateurs estimeront que pendant la guerre froide et la crise des euromissiles, le déploiement de nouvelles armes a justement permis un progrès majeur en matière d'Arms Control, avec l'adoption du traité FNI. Néanmoins, ce contexte reste relativement défavorable.

En outre, le contexte est celui de la confrontation entre des États dotés (et leurs alliés) et les États qui souhaitent un désarmement plus radical. Ces deux communautés d'États, de plus en plus polarisés, peinent à trouver un terrain d'entente.

Des efforts sont tout de même entrepris, y compris par la France, pour faire vivre les engagements, tels que les traités d'interdiction des essais nucléaires ou encore les démarches de l'AIEA sur la lutte contre la prolifération. Des efforts sont également effectués pour proposer des mesures de réduction des risques stratégiques (mesures de communication, accroissement de la confiance, etc.).

Une conviction existe sur la capacité de la France à respecter ses engagements internationaux et à investir pour les faire vivre.

La question est complexe au niveau de l'Union européenne. Des actions pragmatiques sont menées, par exemple sur le TICE. L'Union européenne investit également largement pour aider les États à mettre en œuvre leurs obligations de non-prolifération.

Sur le plan politique, les États de l'Union européenne sont divisés sur la question du TIAN. Cette absence de consensus empêche des prises de position fortes sur ces sujets.

Nous avons eu peur, pendant assez longtemps, de ce type de débats éthiques, notamment en période de crise internationale. Or, des avis inverses semblent apparaître, en estimant que ces débats crédibilisent davantage la dissuasion, avec des populations informées de la doctrine et qui acceptent le risque.

Au sujet de la rationalité et du calcul « invérifiable » du ratio risque-avantage, la question est de savoir si tous les dirigeants sont réceptifs à une forme de logique. Ces débats sont évidemment anciens. Certains acteurs ont toujours été comme potentiellement irrationnels. La détention du nucléaire dans ces circonstances était donc considérée comme inacceptable. Certains pays, comme la Corée du Nord, parviennent tout de même à installer le nucléaire. Dans ce cas, nous devons accepter que cette logique de dissuasion se mette en place. Pour l'instant, les dirigeants, jugés « irrationnels », semblent avoir tout de même intégré cette logique.

Une autre question concernait la possibilité de trouver d'autres sortes d'actions plus éthiques ou efficaces que la réponse nucléaire. L'OTAN et les États-Unis estiment que la mise en place d'une réponse conventionnelle forte crédibilise la dissuasion, l'objectif étant d'éviter que le président d'un pays n'ait que le choix entre anéantir son ennemi avec le nucléaire ou ne rien faire. Construire, au sein de l'OTAN, une réponse conventionnelle forte permettrait de crédibiliser la dissuasion. Une présidence saine d'esprit ne pourrait pas aller directement sur le terrain de la dissuasion nucléaire en cas de conflit.

Concernant les autres modes d'action, ces réflexions sont intéressantes et prendront mécaniquement de l'ampleur. En effet, certaines actions sont susceptibles d'engendrer des dommages considérables, avec un pouvoir de dissuasion fort, complémentaire à celui du nucléaire. Or, ces mesures alternatives ne parviennent pas à s'imposer, car les armes nucléaires ont, en quelque sorte, le poids que nous leur donnons. Tant que des dirigeants, comme ceux de la Corée du Nord ou de la Russie, estimeront que les armes nucléaires sont la clé de voûte de leur sécurité, ils inciteront les autres pays à poursuivre dans ce chemin. Par ailleurs, il ne semble pas exister de concept d'arme permettant d'envisager une destruction aussi immédiate, visible et évidente que celle engendrée par les armes nucléaires. La particularité de la dissuasion nucléaire a été cette menace absolument terrible et la peur qu'elle crée. Cette dissuasion fonctionne probablement avec cette capacité à terrifier les dirigeants. Hiroshima et Nagasaki ont frappé les esprits d'une manière particulièrement spécifique.

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Monseigneur Antoine de Romanet

J'invite à déjeuner toutes les personnes qui le souhaitent pour que nous puissions réellement discuter ensemble. J'appelle au dialogue et à la fraternité. Or, j'entends une parole d'exclusion. À aucun moment je n'ai parlé de dogme ou de religion. Je ne vous demande pas vos croyances religieuses et je ne vous ai pas donné les miennes. Je suis citoyen français et j'ai vécu 17 ans de ma vie adulte dans des capitales étrangères. J'ai rédigé un certain nombre d'articles à valeur scientifique sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Il est nécessaire de se référer à la loi de 1905 qui est essentielle et décisive. Il s'agit d'une loi de liberté, fondement de la liberté de conscience, et de la liberté religieuse et démocratique. Cette loi est la pleine consistance du politique et du religieux. La tendance permanente du politique depuis l'origine est de mettre la main sur l'ensemble de la réalité et d'être totalitaire. La tendance permanente du religieux est également de mettre la main sur l'ensemble de la réalité et d'être totalitaire. Nous ne voulons pas de cela. La distinction entre le politique et le religieux est essentielle. Chacun doit accepter la pleine consistance de l'autre. Nous pouvons uniquement avancer au sein de cette relation nécessairement inconfortable. La loi de 1905 reconnaît cette pleine consistance. Nous ne sommes pas que techniques, car nous avons également une âme et un esprit.

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Votre axiome n'intéresse pas la République.

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Monseigneur Antoine de Romanet

La loi de 1905 est une loi de liberté. Je suis présent ce jour en tant que citoyen. En outre, l'Église catholique est partie prenante du TIAN.

Par ailleurs, l'Église catholique a une dimension universelle qui transcende les frontières. Pour avoir vécu 17 ans de ma vie à l'étranger, j'ai pu mesurer l'importance du culturel sur l'aspect religieux. D'une certaine manière, l'Église catholique, qui est la seule à avoir le statut d'État et d'observateur aux Nations Unies, possède une dimension transnationale qui lui confère cette légitimité.

En outre, j'ai introduit l'expression « bombe catholique » en précisant bien que mes propos allaient être pour une part absurdes.

L'important est d'entrer dans une dimension de dialogue et de réaliser que le vrai sujet est lié aux relations internationales et à la gouvernance internationale. Les différences de situation sont tragiques lorsqu'elles sont source de violence et de conflits.

Il est nécessaire de s'orienter vers une gouvernance internationale qui comporte l'ensemble de l'humanité dans l'ensemble de ses aspects. Chacun doit jouer un rôle, sans que cela se fasse de manière totalitaire ou absolue. Personne ne domine personne et tout le monde doit s'écouter avec bienveillance.

Nous avons besoin de construire ensemble, sereinement, des éléments de dialogue, d'échange, de compréhension et de fraternité. Se parler, s'entendre et entrer dans la logique de l'autre permet de faire ressortir le bien commun qui n'est pas la somme de nos intérêts individuels. Le bien commun représente ce à quoi je suis prêt à renoncer pour le bien de tous.

Nous sommes solidaires et nous ne pouvons pas raisonner simplement à l'échelle d'une frontière ou de petits intérêts restrictifs. Le monde entier est concerné. Si la bombe explose, le monde disparaîtra.

La dissuasion doit devenir un élément du domaine public, afin que nous puissions réfléchir sur ce sujet qui doit être le plus ouvert possible. Nous n'avons rien à cacher, au contraire. Plus nous débattons, plus le débat s'enrichit.

Le cœur humain est complexe, avec des notions d'orgueil, de violence, de domination ou d'oppression. Or, l'âme humaine a besoin d'un certain nombre de circonstances pour pouvoir se positionner et évoluer de manière positive. La question n'est pas d'être pour ou contre la dissuasion nucléaire. Nous devons comprendre la situation actuelle et nous adapter.

Albert Einstein a dit : « Je ne sais pas de quoi sera faite la troisième guerre mondiale, ce que je sais, c'est que la quatrième se fera à coups de gourdin ». Nous voyons bien que la question n'est pas celle de l'arme, mais concerne celui qui veut utiliser l'arme.

Qu'ai-je dans mon cœur ? Comment est-ce que je comprends les relations internationales ? Comment est-ce que je comprends mon intérêt et l'intérêt de l'autre, dans une véritable humanité et dans une dimension qui touche à la plénitude de ce que je suis, corps, âme et esprit ?

Nous tentons de défendre cet aspect global et nous essayons, en ce sens, d'apporter une pierre au débat et aux progrès, dans le respect des consciences des uns et des autres.

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Jean-Marie Collin, porte-parole d'ICAN France

Notre demande n'est pas empreinte de radicalité. Nous demandons le désarmement nucléaire, qui est une obligation, depuis des dizaines d'années.

Le réarmement n'existe pas uniquement depuis le conflit en Ukraine. Il existe depuis plus d'une dizaine d'années. Le conflit en Ukraine a simplement permis de faire émerger davantage l'augmentation des dépenses d'armement à travers le monde et la volonté de conserver les arsenaux nucléaires.

Plus de 2 000 milliards de dollars ont été dépensés l'année dernière en matière de ventes d'armes. Les armes nucléaires intègrent ce montant record. En France, les crédits sur la dissuasion nucléaire sont en augmentation constante depuis 2012-2013. La dangerosité est donc accrue.

Par ailleurs, le TNP est bien un traité vivant. Le TNP et le TIAN sont des traités qui se complètent et qui s'appuient l'un sur l'autre pour faire avancer les questions de non-prolifération et de désarmement nucléaire. Le TIAN permet également d'avancer sur le droit à l'énergie nucléaire à des fins pacifiques.

Le document final du TNP date de 2010, puisque les deux dernières conférences ont été des échecs, en 2015 et 2022. Dans ce document final de 2010, la France s'est volontairement engagée, tout comme les autres puissances nucléaires, à faire en sorte que la dissuasion nucléaire ne soit plus la centralité de sa politique de défense, à participer à des actions de désarmement, et à réduire les dépenses liées à sa politique de dissuasion nucléaire. Or, la France ne respecte pas ces différentes mesures, puisque nous ne sommes pas du tout dans cet esprit.

De son côté, la Finlande ne souhaite pas changer sa politique vis-à-vis des armes nucléaires. Ce pays sera membre de l'OTAN, mais n'accueillera pas sur son territoire d'armes nucléaires, ce qui ne pourrait que renforcer la crise et les tensions avec la Russie. Cinq états disposent déjà d'armes nucléaires de l'OTAN sur leur territoire. À ce titre, ces armes seront remplacées dans les prochaines semaines par de nouveaux systèmes.

La probabilité de faire une guerre conventionnelle après une guerre nucléaire est quasiment nulle. Le désarmement nucléaire ne signifie malheureusement pas pour autant la paix mondiale. Il y aura probablement toujours des guerres. Néanmoins, le monde se sentirait plus en sécurité sans ces armes nucléaires, et les éventuelles guerres ne seraient que conventionnelles, laissant la possibilité de construire un futur.

Par ailleurs, je suis désolé d'avoir choqué certaines personnes avec mes propos, mais je ne suis pas ici pour vous faire plaisir. Je suis venu pour vous informer et pour vous donner le sentiment d'un certain nombre d'ONG.

L'avenir de la dissuasion est positif pour tous les États qui possèdent l'arme nucléaire. La Chine et la Grande-Bretagne ont annoncé l'augmentation de leurs arsenaux nucléaires. Une véritable prolifération est donc ouverte au niveau vertical et potentiellement au niveau horizontal avec les avancées de l'Iran en la matière.

La « stricte suffisance » est la même en France depuis une 15ène d'années. L'État français a-t-il l'intention d'augmenter son arsenal nucléaire dans les années à venir ? Il s'agit d'une véritable question. Est-ce que les futurs missiles stratégiques M51 pourront véritablement embarquer dix ogives nucléaires, contre six actuellement ? Des réponses positives à ces questions assombriraient l'avenir en matière de sécurité mondiale.

Le 24 janvier 2023, l'horloge de l'apocalypse pourrait malheureusement évoluer négativement. De son côté, le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) estime que la diminution des arsenaux s'arrêtera pour ré-augmenter.

La question du caractère provisoire de la dissuasion se pose. L'écrasante majorité des États de la planète ne veut pas d'arme nucléaire. Ces pays ressentent un véritable danger. Pour la France, la dissuasion serait apparemment provisoire, a minima jusqu'en 2090. Ce sujet pose un véritable problème concernant la notion de « bonne foi », inscrite dans l'article 6 du TNP. La France a été le dernier État à ratifier ce traité en août 1992, après la Chine. Cette notion de « bonne foi » est inscrite au travers de l'avis de la Cour internationale de justice comme une obligation. Or, cette obligation n'est pas réalisée actuellement, et cela pose un véritable problème sur le respect, la crédibilité et la finalité de ce traité. Si ce traité tombe, nous nous dirigerons vers une large prolifération et un accroissement de l'insécurité mondiale à laquelle nous aurons tous à faire face. Le droit est là pour nous protéger et le TIAN est né pour cette raison.

La notion de rationalité est subjective. La seule certitude que nous ayons est que chaque pays doté a le pouvoir d'utiliser l'arme nucléaire. De février 2022 à septembre 2022, des interrogations extrêmement fortes sont apparues sur la possible utilisation de l'arme nucléaire par Vladimir Poutine.

Enfin, rien ne prouve que la dissuasion nucléaire a permis d'être en paix depuis 1945. L'ambassadeur Éric Danon explique lui-même ne pas avoir de réponse à cette question. En revanche, la paix est probablement favorisée par la création d'institutions telles que l'Union européenne et l'ONU, ou encore par la mise en place d'accords commerciaux et culturels. La prolifération risque d'augmenter si nous nous mettons à croire que la bombe préserve la paix.

Le travail de notre campagne n'est pas d'apporter une alternative à la bombe atomique. En outre, couper l'électricité ou porter atteinte au droit de l'eau sont des pratiques totalement contraires au droit international humanitaire. Ce type de dissuasion serait loin d'être une bonne solution.

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Merci à tous d'avoir participé à cette Commission.

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Julien Bayou, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Mounir Belhamiti, M. Pierrick Berteloot, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, Mme Martine Etienne, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. José Gonzalez, M. Loïc Kervran, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Lysiane Métayer, Mme Anna Pic, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Michaël Taverne, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin

Excusés. - M. Xavier Batut, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Yannick Favennec-Bécot, M. David Habib, M. Laurent Jacobelli, M. Olivier Marleix, Mme Alexandra Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, Mme Corinne Vignon

Assistait également à la réunion. - Mme Isabelle Santiago