Intervention de Francis Chouat

Réunion du mercredi 21 juillet 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Chouat, rapporteur spécial Recherche de la mission Recherche et enseignement supérieur :

Mme Christine Pires Beaune, M. le rapporteur général et moi présentons aujourd'hui, après plusieurs semaines d'auditions et de visites dans nos circonscriptions respectives, les conclusions de notre groupe de travail sur le crédit d'impôt recherche (CIR), groupe de travail dont j'avais proposé la création, en tant que rapporteur spécial des crédits de la recherche, au cours du précédent exercice budgétaire. Je souhaite revenir brièvement sur ce qui a guidé nos travaux.

En raison de son importance budgétaire, le crédit d'impôt recherche – première dépense fiscale active avec 6,6 milliards d'euros, non « capés », pour l'année 2021 – fait l'objet de nombreux débats à l'occasion de l'examen des textes financiers, qu'il s'agisse de la question de son efficience, de son ciblage ou encore de ses éventuelles contreparties.

Alors que les rapports d'experts et de grands organismes – tels France Stratégie ou la Cour des comptes – sur son efficacité se multiplient et que le Gouvernement doit remettre prochainement un rapport d'évaluation sur le niveau de soutien fiscal aux rémunérations des jeunes docteurs, il nous est apparu essentiel que notre commission des finances se forge sa propre opinion.

C'est l'objet de notre rapport, dont je retiendrai trois principaux enseignements, après avoir rappelé que les recommandations que je m'apprête à formuler n'engagent pas nécessairement le groupe de travail dans son ensemble.

Premièrement, j'ai la conviction que, dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons actuellement, la relance économique de la France, de court et de long termes, ses capacités de réindustrialisation, de relocalisation et d'attractivité se fondent plus que jamais sur un effort puissant en matière de recherche et d'innovation. Dans cette perspective, sans nier du tout les imperfections et les dysfonctionnements du crédit d'impôt recherche, il faut mesurer l'impact positif qu'il a sur notre économie, en particulier dans le soutien à l'emploi des chercheurs et des jeunes docteurs.

Il y a deux ans, avec Isabel Marey-Semper et Dominique Vernay, nous avions établi, dans le cadre du groupe de travail n° 3, sur la recherche partenariale et l'innovation, préparant la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, que le décrochage de la recherche française était étroitement lié au cloisonnement entre recherche publique et recherche privée. C'est pourquoi nous avions recommandé que la loi de programmation de la recherche 2021-2030 renforce les mobilités public-privé à travers la consolidation des dispositifs existants, telles les conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), mais aussi la création de nouveaux dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes chercheurs, tel le contrat de projet postdoctoral.

La recherche, c'est d'abord du temps humain, aux résultats plus qu'incertains. Ce risque d'échec justifie qu'un soutien public massif soit apporté aux entreprises qui peinent le plus à recruter. Je pense en particulier aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME), aux start-up, aux jeunes entreprises innovantes ou encore aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui font face à de nombreux obstacles que le crédit d'impôt recherche permet, au moins en partie, de lever.

Alors que la loi de programmation pour la recherche a créé un nouvel écosystème favorable à l'emploi des jeunes docteurs, il est donc impératif que le CIR, qui finance déjà pour moitié les dépenses de personnel de recherche, soit consolidé pour continuer d'être au cœur des politiques publiques de soutien à l'emploi.

La priorité semble donc non pas de plafonner le CIR mais de mieux le corréler à un effort de recherche ciblé. En effet, si les investissements consentis dans la recherche et le développement sont importants, ils ne garantissent pas une progression automatique de la France dans les classements européens et internationaux. Il faut donc créer un cercle plus vertueux entre la dépense et l'effort de recherche mais aussi entre l'effort de recherche et sa traduction opérationnelle dans des innovations de rupture qui impliquent de grands sauts technologiques. C'est pourquoi je souhaite que soit privilégiée dans l'usage du CIR non plus sa dimension d'optimisation fiscale mais celle d'un véritable dispositif de soutien ciblé à l'innovation et à la recherche qui viendrait accompagner la montée en puissance financière permise par la loi de programmation de la recherche.

Toutes les conditions sont aujourd'hui réunies pour que la France retrouve son leadership dans la recherche mondiale. Au-delà du choc budgétaire ouvert par la loi précitée, de nombreux outils existent, tels que le plan de relance, le quatrième plan d'investissements d'avenir, les aides à l'innovation de Bpifrance ou encore les éléments qui relèvent de la compétence des régions, pour ne citer que ces exemples.

Ces outils doivent être mis en œuvre dans une dynamique coordonnée et ciblée, qui s'adresse en priorité aux entreprises qui en dépendent le plus pour engager des dépenses de recherche. C'est le cas des TPE et des PME, qui ne sont respectivement que 0,3 % et 6 % à bénéficier du CIR, bien loin des grandes entreprises qui y recourent pour les trois quarts d'entre elles.

Aussi, je fais miennes – et je ne pense pas être le seul – les propositions de l'économiste Philippe Aghion qui propose de renforcer le caractère incitatif du CIR à travers des taux préférentiels pour les petites et les moyennes entreprises. Cela se fait déjà dans d'autres pays européens, notamment au Royaume-Uni. Je suis également favorable à ce que ce ciblage s'effectue de façon sectorielle, en cohérence avec les secteurs définis comme stratégiques par le plan de relance.

C'est dans cette même logique que je propose d'allonger la durée du statut de jeunes entreprises innovantes (JEI), en particulier dans les secteurs où les délais de recherche et développement sont plus longs. Mme Christine Pires Beaune et moi avons été frappés par le témoignage de l'entreprise PEP-Therapy, située dans la pépinière du Génopole dans ma circonscription à Évry, qui travaille à la mise en œuvre de thérapies ciblées pour le traitement des cancers. PEP-Therapy perdra son statut et les exonérations fiscales et sociales qui lui sont afférentes l'année prochaine, au moment même où ses essais cliniques seront menés, ce qui n'est pas sans susciter l'inquiétude de ses dirigeants. En portant la durée du statut de JEI de sept à dix, voire douze ans, cette spécificité sectorielle pourrait être mieux prise en compte et corrigée.

Deuxièmement, la suppression de la double assiette en matière de sous-traitance publique à partir du 1er janvier 2022 pose la question du soutien à la recherche partenariale, axe majeur de la loi de la programmation de la recherche. Plusieurs entreprises et opérateurs de recherche, dont le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s'inquiètent à juste titre des conséquences que cette suppression pourrait avoir sur leurs activités partenariales. Si le dispositif actuel ne semble pas conforme au droit de l'Union européenne, je serai particulièrement attentif, avec Mme Pires Beaune et le rapporteur général, à ce que le ministère de la recherche introduise dans le projet de loi de finances pour 2022 un mécanisme de compensation, notamment dans le cadre des crédits et dispositifs qui sont l'objet de mon rapport spécial Recherche.

Troisièmement, il est apparu de façon récurrente au cours des visites que nous avons menées dans le Puy-de-Dôme, dans le Val-de-Marne et en Essonne, toutes remarquables terres d'avenir, que la bicéphalie indispensable du contrôle fiscal, mené tant par la direction générale des finances publiques que par les experts du ministère chargé de la recherche, manque de coordination, ce qui a pour effet d'engendrer des doublons, voire des incohérences ou des anachronismes. Je propose donc que les administrations mutualisent leurs contrôles fiscaux, qui doivent demeurer une contrepartie nécessaire à l'accessibilité du CIR, à condition qu'en soit corrigée la dimension parfois kafkaïenne.

La croissance exponentielle du CIR à partir de 2008 s'est effectuée dans un contexte de crise mondiale dont nous avons pu sortir plus par un desserrement des contraintes financières que par la volonté de privilégier des stratégies d'innovation à risques. Nous sommes dans une autre crise et dans un nouveau paradigme, celui qui met la recherche au cœur de la mutation historique de nos modes de production, de nos échanges mondiaux et de la régulation écologique et sociale de l'économie de marché mondialisée. C'est pour relever ce défi qu'il faut adapter le CIR.

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