Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h05
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure pour avis :

Je ne ferai pas durer le suspense : je m'en remettrai à la sagesse de la commission concernant l'avis à émettre sur les crédits du programme 174 Énergie, climat et après-mines de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

Je salue le renforcement des dotations consacrées à la politique énergétique – tout au moins s'agissant de l'accompagnement de la transition énergétique, l'action n° 2 du programme. Les dotations correspondantes vont en effet augmenter de près de 1,1 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 733 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une progression de, respectivement, 67 % et 49 %. Je salue plus particulièrement l'effort budgétaire que représente la reconduction de l'enveloppe de 1,7 milliard d'euros en AE pour le dispositif MaPrimeRénov'. Partagée en 2021 entre le programme 174 et la mission Plan de relance, cette enveloppe sera entièrement affectée au premier en 2022. En parallèle, l'addition des CP ouverts dans le cadre du programme 174 et de la mission permettra au dispositif de retrouver le niveau atteint par le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) avant sa mise en extinction, soit 2 milliards d'euros. De fait, MaPrimeRénov' rencontre, comme l'a souligné la Cour des comptes, un grand succès, quoique l'on puisse s'interroger sur la manière de mieux accompagner les bénéficiaires afin que la performance thermique soit la plus large possible – débat que nous avons eu ce matin.

Parmi les autres aspects positifs du projet de budget, j'évoquerai la stabilisation du soutien budgétaire à l'acquisition de véhicules propres, à hauteur de 506 millions d'euros – complétés par l'ouverture de 487 millions d'euros en CP dans la mission Plan de relance –, ainsi que l'affichage d'une progression des capacités de production d'électricité renouvelable. Le projet annuel de performances table ainsi sur une production de 70,5 térawattheures en 2022, contre 64,5 térawattheures aujourd'hui. Je parle néanmoins d'affichage parce que les dotations envisagées pour l'action n° 9 Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole continentale du programme 345 Service public de l'énergie reculeraient quant à elles de 946 millions d'euros en 2022. C'est là toute l'ambiguïté de la prévision de ces charges de service public, que je tiens à souligner : elles ne montrent pas la mobilisation réelle de l'État en faveur des nouvelles capacités d'énergie renouvelable. Les futures dépenses sont noyées dans la masse des compensations dues pour les installations déjà aidées. Or les surcoûts d'achat des productions aidées vont vraisemblablement se réduire du fait de la hausse des prix de l'énergie, ce qui entraînera une diminution des compensations par l'État. Au reste, les prévisions budgétaires pour 2022 ne tiennent que partiellement compte de l'envolée des prix de l'électricité. On peut donc s'attendre à des économies de charges pour service public plus importantes en métropole – on observerait plutôt la tendance inverse dans les zones non interconnectées. Je souhaiterais pour ma part que ces « économies » soient réinvesties dans des appels à projets, guichets et compléments de rémunération assez motivants pour accélérer le développement des énergies renouvelables, plutôt que l'on se contente de prendre acte de la charge budgétaire moindre.

Si j'en appelle à votre sagesse, c'est que j'émettrai plusieurs réserves sur le projet de budget.

Je m'étonne d'abord du rythme d'engagement des investissements dans l'hydrogène vert prévus par le plan de relance : à peine 410 millions d'euros de CP devraient être décaissés en 2022, pour une enveloppe initiale de 2 milliards d'euros. Pourquoi une telle lenteur ? Le volet hydrogène du plan France 2030, présenté hier par le Président de la République, permettra-t-il d'accélérer les choses ? Il est urgent que la recherche progresse et que la production d'hydrogène bas carbone se développe, car elle est indispensable à la décarbonation des transports lourds et de certaines de nos industries. Je regrette d'ailleurs que l'hydroélectricité n'ait pas été incluse dans le plan de relance.

La reconduction des soutiens budgétaires à l'acquisition de véhicules propres est certes rassurante, et la revalorisation des aides pour les véhicules utilitaires bienvenue, mais celle-ci se fait au détriment des aides aux particuliers : le bonus écologique qui leur est destiné a été diminué de 1 000 euros en juillet et il devrait l'être d'autant en 2022. Il est à craindre que l'augmentation du reste à charge, déjà dissuasif pour beaucoup, ne casse la petite dynamique de verdissement du parc engagée depuis 2020. Je vous proposerai donc, à travers un amendement, d'augmenter les crédits concernés afin de rétablir à son niveau antérieur le bonus écologique destiné aux particuliers. Il conviendrait en outre que l'on tienne mieux compte du rétrofit électrique afin de réduire, autant que faire se peut, les émissions de gaz à effet de serre.

Plus problématique encore : si l'enveloppe attribuée au chèque énergie est augmentée de près de 100 millions d'euros en AE et de 80 millions d'euros en CP par rapport à 2021, c'est sur la seule base d'une progression de l'effectif prévisionnel des bénéficiaires. Il n'est pas envisagé de revaloriser le montant du chèque énergie en 2022 : l'octroi de 100 euros supplémentaires par chèque, annoncé fin septembre par le Premier ministre, ne s'appliquera qu'en 2021. Pourtant, l'alourdissement des factures d'énergie qui motive ce geste sera – tout le monde en parle – sans doute durable, du fait de l'envolée des prix sur les marchés et de l'augmentation des tarifs réglementés de vente (TRV). Aussi vous soumettrai-je un second amendement visant à reconduire le supplément de 100 euros en 2022.

L'accompagnement de nos concitoyens face à la flambée des prix de l'énergie est crucial pour leur pouvoir d'achat. La mise en place pour un temps limité d'un bouclier tarifaire afin de contrer ces augmentations ne suffira pas – même si je salue la réduction concomitante de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) –, et cela d'autant moins que la hausse des prix ne manquera pas d'être entretenue par le renchérissement des quotas carbone. Il devient urgent d'engager une réflexion sur l'ensemble des leviers susceptibles d'agir sur le coût de l'énergie, notamment la réforme de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, et de mettre en place un accompagnement renforcé pour les consommateurs les plus fragiles ainsi que pour les entreprises électro-intensives, qui voient leurs coûts exploser et dont la compétitivité risque de se trouver affaiblie.

Enfin, le plan France 2030 ne semble pas apporter de réponse à l'une des questions posées par la Cour des comptes : le dispositif MaPrimeRénov' pourra-t-il continuer à fonctionner au même rythme après 2022 ? Ce serait pourtant indispensable pour que nous puissions espérer atteindre nos objectifs de rénovation énergétique – et encore : il n'est pas certain que les nouvelles modalités du dispositif garantissent une véritable prise en charge des 4,8 millions de passoires thermiques, dont la moitié d'entre elles sont occupées par des ménages en situation de précarité énergétique, c'est-à-dire qui consacrent plus de 8 % de leurs revenus aux dépenses d'énergie. À cela s'ajoute le fait que les territoires sont inégalement touchés par ce fléau. Il y a urgence à renforcer la lutte que nous menons contre celui-ci.

En conclusion, si je salue l'ampleur de l'effort budgétaire consenti par le Gouvernement pour soutenir la politique énergétique, je suis déçue qu'il n'aille pas plus loin pour agir plus fort et plus vite. Cela ne me permet pas d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits du programme Énergie, climat et après-mines – quoique je ne m'y oppose pas. J'émets donc un avis de sagesse.

J'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon avis au soutien national apporté aux zones non interconnectées au réseau métropolitain continental (ZNI), afin qu'elles puissent répondre à leurs besoins en électricité tout en réalisant leur transition énergétique.

Le caractère insulaire de la plupart d'entre elles et leurs spécificités géographiques et climatiques y entraînent des coûts de production de l'électricité très supérieurs à ceux enregistrés en métropole continentale – jusqu'à cinq fois, selon certaines ZNI. Pour une population souvent plus fragile que la moyenne nationale, l'application du principe de péréquation tarifaire, qui permet de payer la facture d'électricité au même niveau qu'en France continentale, est donc extrêmement précieuse. En outre, les tarifs réglementés de vente sont encore appliqués à tous les consommateurs finals, particuliers et entreprises, petits et gros utilisateurs. Consolidant l'unité de notre pays et concrétisant la solidarité nationale, le principe de péréquation permet ainsi aux consommateurs des ZNI de bénéficier de conditions financières d'accès à l'électricité similaires, quel que soit le coût de production et d'acheminement local, très hétérogène d'un territoire à l'autre.

En contrepartie, l'État compense le manque à gagner pour les fournisseurs, à savoir la différence entre des coûts de production ou d'achat plus élevés qu'ailleurs et des recettes plus contraintes, au titre des charges de service public de l'énergie financées par le programme 345. Cette compensation connaît une dynamique forte : les dépenses s'élevaient à 1,87 milliard d'euros en 2015 ; elles sont évaluées à 2,16 milliards en 2022, soit le quart du programme 345. Or la Commission de régulation de l'énergie (CRE) n'a tenu compte, dans ses prévisions, que d'une partie de la hausse des prix de l'énergie, laquelle renchérit le coût des énergies fossiles importées, qui sont encore très largement utilisées pour produire l'électricité locale. La facture finale sera donc probablement plus élevée. En outre, la CRE estime que le montant des charges relatives aux ZNI devrait continuer d'augmenter d'environ 7 % par an durant les cinq prochaines années, du fait du développement de la motorisation électrique et de la mise en service de nouvelles capacités de production.

L'idée de mieux maîtriser la demande d'électricité pour mieux contenir les coûts publics s'est clairement imposée ces dernières années. Plusieurs dispositifs viennent ainsi encourager et soutenir les efforts de performance énergétique ; ils sont promus à l'échelon national, mais aussi à l'échelon territorial, avec des soutiens financiers de l'État et de l'Union européenne. La CRE a approuvé, début 2019, des cadres territoriaux de compensation représentant un programme d'interventions locales de 530 millions d'euros sur cinq ans ; elle escompte à terme une réduction de 1,7 milliard d'euros des charges de service public et des économies d'énergie qui pourraient atteindre 10 % de la consommation d'électricité des territoires concernés.

Toutefois, si la maîtrise des volumes de consommation est une nécessité, la bonne répartition de celle-ci au cours de la journée est aussi un enjeu pour la soutenabilité du système électrique local, de surcroît lorsqu'elle a tendance à se concentrer sur les périodes de production les plus coûteuses. C'est pourquoi la CRE, comme EDF Systèmes électriques insulaires (EDF SEI), le principal opérateur dans les ZNI, préconisent une forme de pilotage de la consommation. Il s'agit notamment d'anticiper les futurs besoins de recharge des véhicules électriques – plutôt adaptés à ces territoires souvent de faibles dimensions. Pour la CRE, cela passe non par une remise en cause des tarifs de vente péréqués, mais par une modulation de leurs structures horaires afin d'inciter les consommateurs à privilégier les moments les moins problématiques.

L'accompagnement de la transition énergétique est un autre enjeu fondamental pour les ZNI, dont les mix énergétiques sont très carbonés et très dépendants des importations. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, modifiée, a fixé les objectifs d'un mix composé à 50 % d'énergies renouvelables en 2023 et de l'autonomie énergétique en 2030. Pour ce faire, les collectivités territoriales et le représentant de l'État dans leur territoire élaborent une programmation pluriannuelle de l'énergie qui leur est propre. Alors que certaines ZNI en sont déjà à la première révision de celle-ci, force est de constater que les charges de service public liées au développement des énergies renouvelables progressent – elles seraient de 670 millions d'euros en 2022 contre 383,4 millions d'euros en 2018. Toutefois la part des énergies renouvelables dans le mix des ZNI reste nettement en deçà de leur cible.

Mes travaux ont montré la persistance d'un certain nombre de freins ou de contraintes. Il est ainsi nécessaire de déployer en parallèle des solutions de stockage centralisées qui gèrent l'intermittence des énergies renouvelables et assurent la sécurité de l'alimentation en électricité. Les territoires ont des craintes relatives à l'utilisation des terres, à la préservation des emplois liés aux énergies fossiles et à leurs recettes fiscales. Le choix est délicat entre prise de risque technologique et solutions éprouvées, et il est difficile de résister à des réponses rapides, comme la conversion des centrales thermiques au prix d'importations de biomasse au bilan carbone excessif. Enfin, il y a l'impératif de concilier verdissement du mix énergétique et rationalisation des dépenses publiques. Sur toutes ces questions, responsables nationaux et locaux n'apportent pas toujours les mêmes réponses.

Ces différentes pistes de travail sont essentielles, car la question de la transition énergétique est prégnante. Celle-ci ne pourra se faire sans un soutien aux plus fragiles, surtout dans le contexte d'une augmentation des prix de l'énergie qui érode le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Le projet de loi de finances doit apporter des réponses à la hauteur des enjeux, y compris conjoncturels.

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