Intervention de Jean-Bernard Sempastous

Réunion du mardi 4 décembre 2018 à 16h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Bernard Sempastous, président de la mission d'information commune :

La mission d'information commune sur le foncier agricole que j'ai l'honneur de présider a été constituée il y a plus de dix mois maintenant, le 24 janvier 2018, à la demande de notre collègue M. Dominique Potier, co-rapporteur au côté de Mme Anne-Laurence Petel, co-rapporteure également. Elle regroupe dix-neuf députés membres de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable, ainsi qu'un membre de la commission des finances, notre collègue Jean-Paul Dufrègne.

Elle a conduit ses travaux avec la conscience du défi de taille qui se présente à nous. D'ici une dizaine d'années, la moitié des agriculteurs arriveront à l'âge de la retraite. L'urgence est aussi de protéger nos sols face à l'urbanisation rampante et de répondre au défi alimentaire en préservant nos surfaces agricoles de dommages irréversibles.

La question du foncier agricole est au coeur de cet enjeu en interrogeant l'avenir du monde agricole et les préoccupations mêmes de notre société.

Il s'agit donc d'un sujet passionnant, mais aussi hautement sensible, tiraillé entre de multiples intérêts. Face à la nécessité de consulter largement tous les acteurs, sur de nombreux territoires en France qui sont chacun confrontés à des problématiques particulières, le travail de notre mission d'information a, je le crois, été très utile.

Je tiens, à ce titre, à saluer l'important travail fourni par la mission, en particulier ses rapporteurs : une cinquantaine d'entités auditionnées, quatre déplacements officiels sur le terrain – Vienne, Pays Basque et Béarn, Meurthe-et-Moselle, Provence-Alpes-Côte d'Azur – et des réunions organisées localement par des membres de la mission que je tiens à remercier.

Notre participation au colloque universitaire de Poitiers, au début de nos travaux, a été particulièrement instructive pour comprendre les enjeux et entendre les nombreuses idées des professeurs de droit et des professionnels du monde agricole.

Je n'oublie pas non plus le succès record de la consultation citoyenne lancée cet été sur le site internet de l'Assemblée nationale, qui a reçu plus de 6 000 contributions !

Notre travail a été, je le pense, à la hauteur des enjeux et surtout des attentes très fortes du monde rural pour une politique foncière qui permette à la fois d'accueillir de nouveaux agriculteurs, de simplifier l'accès aux terres et la transmission, mais aussi de lutter contre l'artificialisation des sols.

L'organisation du rapport distingue bien ces deux enjeux.

Sa première partie est consacrée à la protection du foncier et au phénomène d'artificialisation croissante des sols. On constate aujourd'hui que l'arsenal juridique, fondé sur le principe d'une gestion économe des sols, et la fiscalité, dont l'objet est de freiner le changement d'usage des terres, ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Sa deuxième partie s'intéresse au partage du foncier, c'est-à-dire à l'accès aux terres et à leur transmission. Elle permet de constater que les outils de régulation pensés dans les années 1960 sont aujourd'hui fragilisés par la progression de nouvelles formes d'exploitation qui échappent au contrôle de la puissance publique et qui compliquent l'installation des jeunes agriculteurs.

Face à cet état des lieux, au contexte économique délicat, aux attentes fortes des acteurs de terrain et à la nécessité de renforcer la cohésion sociale dans les territoires, nous avons une obligation de résultat. Nous devons répondre aux attentes en formulant des propositions concrètes et innovantes.

Les parties qui suivent sont consacrées aux propositions : quinze propositions communes dans la troisième partie, suivies, dans les quatrième et cinquième parties, de propositions personnelles de chacun des rapporteurs, qui révèlent deux philosophies différentes et dévoilent des pistes de réformes ayant avant tout vocation à susciter le débat. En effet, vu l'ampleur du sujet traité et la diversité de problématiques sur le territoire, ce rapport n'épuise pas le débat. Les propositions formulées nécessiteront une expertise complémentaire. Je tiens également à préciser que, compte tenu de l'ampleur de la tâche, la question de la forêt n'a pas été abordée.

En tant que président de cette mission, j'aurais évidemment préféré un consensus plus large sur les propositions, puisqu'il sera nécessaire de le trouver ensuite dans la définition des contours de la réforme, puis dans la mise en oeuvre des réformes.

En réalité, il semblerait que ce soient surtout la philosophie sous-jacente aux pistes envisagées et le jugement sur l'opportunité d'une grande loi foncière qui séparent nos deux rapporteurs.

Les propositions communes sont présentées à la page 85. Elles se divisent en trois sous-parties.

La première consiste à observer, mesurer et recenser.

Les rapporteurs proposent notamment : la création d'outils pour mesurer la qualité et les usages des sols, la réalisation d'un inventaire des friches agricoles en réaffirmant le rôle des commissions départementales de préservation des espaces naturels agricoles et forestiers (CDPENAF) via les préfets ; le recensement de la totalité des opérations sur les marchés fonciers : marché des ventes de terres, marché des locations, marché des cessions de parts sociales, marché du travail agricole délégué.

La deuxième sous-partie porte sur la protection des terres.

Pour passer d'une gestion concurrente à une gestion complémentaire des usages du foncier, il est proposé de couvrir l'intégralité du territoire national par les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) à l'horizon 2025 et de valoriser les outils que sont les zones agricoles protégées (ZAP) et les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) existants.

Pour densifier l'urbain, il est proposé de réviser les règles de l'urbanisme commercial et industriel.

Pour éloigner la tentation spéculative, enfin, il convient de dresser un inventaire et éventuellement une réforme des taxes contribuant à la lutte contre l'artificialisation.

La troisième sous-partie porte sur le partage. Il convient en premier lieu, selon les rapporteurs, de moderniser et de rééquilibrer le statut du fermage.

Pour rénover le contrôle des structures, il est en outre proposé de renforcer et de préciser les orientations du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SRDEA) et de les décliner au niveau territorial pour donner du sens aux autorisations d'exploiter.

Je souhaite maintenant vous faire part de mes orientations personnelles sur ce sujet, après dix mois de travail en tant que président de la mission.

Je crois qu'il faudrait commencer par répondre à la nécessité d'obtenir plus d'informations et de transparence sur la situation foncière en France.

Nous devons, à mon sens, nous saisir de quatre priorités.

La première est de lutter efficacement contre l'artificialisation des terres. Cela passera par une plus grande rigueur dans la définition des documents d'urbanisme, qui devront être plus prescriptifs. Mais aussi, sans doute, faut-il doter l'État d'un droit de contrôle des changements d'usage du sol.

La deuxième priorité est de faciliter l'accès au foncier, notamment pour les jeunes agriculteurs. Il faudra pour cela rénover le statut du fermage en donnant plus de souplesse à la fixation du prix dans les régions à fermage dominant, par exemple, en rehaussant le seuil au-delà duquel le contrôle des fermages est obligatoire. C'est le cas aujourd'hui dans le département du Gers et cela paraît satisfaire propriétaires et exploitants.

Il faudra, d'autre part, créer des outils fiscaux incitatifs, comme un crédit ou une réduction d'impôt pour les propriétaires qui louent leurs terres à un ou plusieurs exploitants, en contrepartie d'une minoration de loyers.

La troisième priorité est de répondre à la déconnexion de plus en plus grande entre la propriété et l'exploitation de la terre. L'État doit exercer davantage de contrôle sur les conditions d'exploitation des terres agricoles, et une réflexion est à mener sur la régulation des investissements étrangers sur certains investissements stratégiques, comme cela existe en matière industrielle.

Quatrièmement, il faudra aussi redéfinir les rôles des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) pour parvenir à renforcer leur action et leur transparence, avec un contrôle de tutelle plus marqué et une présence plus forte de l'État dans leur gouvernance. Cela aidera à renouer la confiance entre le monde agricole et les SAFER et ce sera particulièrement important pour garantir une mise en oeuvre réussie des réformes.

L'action des SAFER doit aussi viser à reterritorialiser ; le territoire, plus que les régions, doit être le socle de cette action.

Il faut aussi redéfinir les liens entre établissements publics fonciers locaux (EPFL) et SAFER pour faire vivre la solidarité entre urbain et rural, et favoriser le travail sur des projets structurants.

En ce qui concerne la régulation, de nombreux outils existent déjà. Il s'agira de les « toiletter » ou de les réorganiser pour une utilisation plus efficace – sans doute à l'aide d'une loi.

Sans aller jusqu'à parler d'une remise à plat, je suis convaincu que nos pratiques et nos réglementations peuvent progressivement s'adapter. Nous avons vu beaucoup de bonne volonté lors de nos déplacements. Cela pourrait nous conduire à privilégier, dans un premier temps, des expérimentations sur certains territoires cibles – ceux qui sont volontaires et déjà les mieux organisés. Je pense notamment au Pays Basque, qui paraît exemplaire de ce point de vue.

Globalement, je crois beaucoup à la mise en place d'une gouvernance territoriale du foncier, qui serait le lieu de concertation, d'élaboration et de suivi de la stratégie foncière territoriale, via des instances de concertation associant les chambres d'agricultures, les élus locaux, les représentants de l'État, de la région, du département et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les SAFER, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), etc.

Vous l'avez compris, ce rapport est le début du travail qui devra se construire avec les territoires et nos agriculteurs.

Des mesures législatives sont attendues. Elles pourront être utiles pour donner un cadre général à la réforme. Je ne doute pas de la volonté du ministre M. Didier Guillaume de lire avec attention notre rapport, qu'il attend particulièrement, en espérant qu'il s'en saisisse pour proposer des pistes de réforme sur ce dossier.

En conclusion, les attentes de nos agriculteurs sont fortes. Partout sur notre territoire, il sera indispensable de fixer un calendrier de réforme pour que les discussions s'organisent sur le terrain. Je le répète, c'est l'avenir du monde agricole qui est en jeu.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.