Intervention de Sacha Houlié

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, président :

Le long développement auquel vous avez procédé concernant la recevabilité de votre proposition de résolution montre que vous êtes consciente des grandes difficultés qu'elle pose sur ce plan.

Tout d'abord, la proposition de résolution met en cause indirectement la responsabilité du Président de la République, même si vous avez tenté d'apporter une rectification. Or le principe d'irresponsabilité du chef de l'État empêche qu'une commission d'enquête mette en cause sa responsabilité, même de manière indirecte. En la matière, la pratique est constante depuis 1958. En 1984, le président François Mitterrand avait ainsi refusé que son prédécesseur, Valéry Giscard d'Estaing, témoigne devant une commission d'enquête sur l'affaire des avions renifleurs. De même, sous la présidence de Jean-Luc Warsmann, la commission des lois s'était opposée à la constitution d'une commission d'enquête sur les sondages de l'Élysée.

La rédaction de la présente proposition de résolution ne permet pas de s'assurer qu'une éventuelle commission d'enquête ne mettra pas directement ou indirectement en cause la responsabilité du Président de la République. L'intitulé – que vous tentez de rectifier par un amendement – et l'exposé des motifs de la proposition de résolution ne laissent aucun doute à ce sujet.

Avant que vous ne tentiez de le modifier, le dispositif mentionnait le Président de la République, certes quand il était ministre de l'économie, mais cela ne trompe personne. Les références voulues et assumées à la fonction présidentielle actuelle d'Emmanuel Macron ne seraient pas nécessaires si l'objectif n'était que de s'intéresser à la gestion du ministre entre 2014 et 2016.

L'exposé des motifs vise également « l'opacité des réunions organisées dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) », en 2022 donc, ce qui concerne le précédent mandat du Président de la République. Cette précision permet de comprendre pourquoi vous avez choisi de faire référence au Président de la République et non pas seulement à l'ancien ministre de l'économie, et montre que votre objectif est aussi de mettre en cause la responsabilité du Président de la République dans l'exercice de ses fonctions.

C'est la raison pour laquelle le garde des sceaux, dans la lettre que vous avez mentionnée, a estimé que votre proposition de résolution apparaissait contraire à la Constitution. Voici ce qu'il écrit : « Cette proposition de résolution, qui vise explicitement le Président de la République actuellement en fonction, constitue une tentative de mise en cause, par une voie détournée, de la responsabilité du chef de l'État, dont la responsabilité est strictement définie par les dispositions du titre IX de la Constitution. Ce faisant, elle méconnaît également le principe de la séparation des pouvoirs fondée sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. » Certes, cette appréciation ne nous lie pas. Toutefois, le garde des sceaux invoque des arguments constitutionnels que votre présentation n'a pas démentis.

Vous avez présenté des amendements pour atténuer la portée de cette irrecevabilité. Par cette démarche, vous avez signé votre forfait. Quand bien même ces amendements seraient adoptés, il s'agirait d'un détournement de procédure susceptible de remettre en cause l'indépendance de l'autorité judiciaire. L'article 67 de la Constitution prévoit que le Président de la République est irresponsable pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions, mais aussi qu'il bénéficie d'une immunité de juridiction pendant toute la durée de son mandat.

La proposition de résolution vise précisément à contourner cette immunité de juridiction. Elle se substitue à la justice en créant une commission d'enquête parlementaire. L'exposé des motifs et le dispositif de la proposition de résolution mentionnent des « échanges de bons procédés » et demandent de vérifier si certains faits sont susceptibles de constituer des « avantages quelconques à une personne dépositaire de l'autorité publique […] pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir […] un acte de sa fonction », soit l'infraction pénale définie par l'article 433-1 du code pénal.

Devant l'impossibilité d'engager une action judiciaire sur les faits allégués pendant la durée du mandat présidentiel, vous avez déposé une proposition de résolution qui a pour objectif de demander aux députés de jouer un rôle d'enquêteur, de procureur et de juge. Il s'agit peut-être d'une déclaration politique, mais elle est incorrecte sur le plan juridique.

La lettre du garde des sceaux précise également que « le périmètre de la commission d'enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie une procédure judiciaire. » Vous avez eu l'honnêteté de le dire. Toutefois, vous auriez pu en tirer les conséquences.

Enfin, vous avez sciemment choisi une procédure qui n'est pas le recours à votre droit de tirage, en vertu duquel la création de la commission d'enquête aurait été de droit, mais après un examen de recevabilité. Vous avez cherché à contourner cette procédure, probablement parce que vous saviez que l'irrecevabilité de votre demande était manifeste.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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