La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

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Chers collègues, nous examinons aujourd'hui quatre textes inscrits à l'ordre du jour de la journée réservée au groupe La France insoumise, le 24 novembre.

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux révélations des Uber Files et au rôle du Président de la République dans l'implantation d'Uber en France (n° 295) (Mme Danielle Simonnet, rapporteure).

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En juillet dernier, l'enquête journalistique sur les Uber Files a permis de révéler l'ampleur de la stratégie de lobbying employée par la société Uber pour s'implanter en France. Cette enquête, publiée par le Consortium international des journalistes d'investigation, a été rendue possible par la transmission de centaines de milliers de documents internes à la société Uber par son ancien lobbyiste, devenu lanceur d'alerte, Mark MacGann. Si l'existence d'une telle stratégie de lobbying était déjà supposée, cette enquête en a révélé l'ampleur et a montré la façon dont l'action – ou l'inaction – des pouvoirs publics lui a permis de prospérer.

C'est la raison pour laquelle j'ai déposé le 10 octobre, avec l'ensemble du groupe LFI-NUPES, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête qui doit permettre de comprendre les mécanismes ayant permis à l'entreprise Uber de faire plier le droit français pour imposer son modèle. Le rôle de la commission des lois est de se prononcer sur la recevabilité et l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête.

Examinons d'abord la recevabilité de la proposition de résolution au regard de notre règlement.

Premièrement, pour être recevable au titre de l'article 137 du règlement, une proposition de résolution doit « déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête ». La recevabilité est, de ce point de vue, indiscutable. L'enquête portera sur les pratiques de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France et sur la réaction ou l'inaction des pouvoirs publics face à ces pratiques. L'audition du journaliste du Monde Damien Leloup, à laquelle certains d'entre vous étaient présents, a permis de constater que l'enquête journalistique a révélé des faits précis, sur lesquels la commission d'enquête pourra enquêter.

Deuxièmement, l'article 138 du règlement de l'Assemblée nationale exige qu'aucune autre commission d'enquête n'ait été créée ou qu'aucune commission n'ait demandé à faire usage des pouvoirs dévolus aux commissions d'enquête dans les douze mois précédents afin d'analyser les mêmes faits. En l'occurrence, rien de tel n'est advenu à l'Assemblée nationale pour enquêter sur l'implantation d'Uber. La résolution est donc également recevable à ce titre.

Troisièmement, la proposition de résolution doit se conformer à l'article 139 du règlement, qui précise qu'une telle initiative ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt du texte. Le garde des sceaux a fait savoir, par une lettre datée du 14 novembre, qu'une procédure judiciaire était en cours dans le périmètre de la commission d'enquête, mais il n'a pas jugé utile de nous indiquer, et je m'en étonne, quel était l'objet de cette procédure. Je l'invite donc à nous en faire part, et je vous indique que la commission d'enquête, une fois créée, veillera évidemment à ce que ses investigations ne portent pas sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Il s'agit, d'une manière tout à fait classique, de permettre à la représentation nationale d'investiguer sur des faits tout en étant respectueuse de l'indépendance de l'autorité judiciaire. C'était, par exemple, le sens du vote émis par la commission des lois en décembre 2018 s'agissant de la recevabilité de la résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France.

Sous la réserve que je viens d'indiquer, la proposition de résolution qui vous est soumise me semble ainsi répondre aux conditions requises pour la création d'une commission d'enquête.

Le garde des sceaux s'est également exprimé sur la méconnaissance supposée de la séparation des pouvoirs, au motif de l'évocation dans le titre de la proposition de résolution du « Président de la République ». Je tiens à vous rassurer sur ce point. Cette commission d'enquête ne vise M. Emmanuel Macron que pour son implication, en tant que ministre de l'économie, dans l'implantation d'Uber en France lorsque M. François Hollande était Président de la République. Le titre de la proposition de résolution ne visait qu'à se référer à la fonction actuelle du Président de la République, par respect du protocole. J'en veux pour preuve que le dispositif de la proposition de résolution mentionne très explicitement qu'il s'agit d'enquêter sur le rôle du Président de la République actuel « lorsqu'il était ministre de l'économie ». Or c'est au dispositif de la proposition de résolution qu'il convient de se référer pour cerner l'objet de l'enquête, le titre étant, quant à lui, dépourvu de toute portée normative. Pour achever de vous convaincre de la clarté de nos intentions, j'ai déposé deux amendements concernant le titre et le dispositif de la proposition de résolution.

Il apparaît ainsi que la proposition de résolution ne pose pas de difficulté au regard des conditions de recevabilité.

Examinons à présent son opportunité. Celle-ci me semble indiscutable. Les auditions que j'ai organisées en préparation de cette réunion ont permis d'entendre le témoignage poignant de plusieurs organisations défendant la profession de taxi, qui nous ont fait part des conséquences économiques et sociales de l'implantation d'Uber pour leur profession et des drames humains qui en ont résulté. Alors que le soutien apporté à l'implantation d'Uber par certains décideurs, dont M. Macron, était présenté comme motivé par la perspective de créations d'emplois, nous savons que la réalité de l'ubérisation du monde du travail est bien plus sombre. En dehors de la déréglementation du secteur du transport public particulier de personnes qu'a suscitée l'arrivée d'Uber en France, les conséquences économiques, sociales et environnementales sur l'ensemble de la société sont loin d'être anodines. Cela conduit à s'interroger sur le soutien et les facilitations dont a pu bénéficier cette entreprise américaine pour s'implanter en France, alors que l'existence de sérieux doutes sur les conséquences de son modèle économique aurait dû inciter à se demander où se situait l'intérêt général dans cette affaire.

Il est question d'une entreprise qui a pu, sans réaction immédiate ou suffisante des pouvoirs publics, lancer une application ouvertement illégale ; d'une entreprise qui, par l'utilisation de techniques informatiques, est parvenue à empêcher des contrôles administratifs et judiciaires d'être réalisés ; d'une entreprise dont l'implantation sauvage a suscité de nombreux troubles à l'ordre public, lorsque les affrontements physiques entre des conducteurs de taxi et les chauffeurs de la société Uber faisaient quotidiennement la une ; d'une entreprise dont l'activité a eu des conséquences sociales dramatiques, non seulement au sein de la profession de taxi, mais également, par la suite, pour les chauffeurs de VTC – voiture de transport avec chauffeur –, qui travaillent dans des conditions de précarité croissante ; d'une entreprise qui est parvenue à exploiter chaque faille de la réglementation et à mener chaque manœuvre dilatoire possible, y compris sur le plan judiciaire, pour empêcher les pouvoirs publics de rétablir la légalité ; d'une entreprise dont la stratégie consistait à créer le chaos, pour qu'un état de fait s'impose à notre État de droit, mais qui a trouvé des alliés dans l'appareil d'État ; d'une entreprise qui a été attaquée pour des faits de violence et de viol ; enfin, d'une entreprise qui n'a pas hésité à développer des stratégies d'optimisation et d'évasion fiscale.

L'ancien député Laurent Grandguillaume a témoigné, lors de son audition, des pratiques d'Uber auxquelles il a fait face lorsqu'il était rapporteur, en 2016, de la loi qui porte désormais son nom. Par ailleurs, l'écrivain Laurent Lasne nous a dit qu'il lui paraissait opportun que l'Assemblée nationale puisse enquêter, avec les moyens qui sont les siens, sur la stratégie d'implantation de la société Uber. Il m'apparaît, en effet, indispensable de comprendre les mécanismes mis en place par cette société pour parvenir à jouer avec les limites de la légalité. De quelle façon les décideurs publics ont-ils été approchés ? Comment ont-ils répondu aux sollicitations de cette entreprise ? Surtout, pourquoi l'ont-ils fait ? Au-delà de ces interrogations se pose en filigrane des révélations des Uber Files la question de la détermination de l'intérêt général. Celle-ci exige de la transparence, là où l'implantation d'Uber en France contient son lot de zones d'ombre.

Notre rôle est d'éclairer ces zones d'ombre. Il est de notre devoir de comprendre comment la société Uber est parvenue à faire plier le droit français en fonction de son modèle économique. Nous devons mener ce travail afin de nous assurer, pour l'avenir, que les pouvoirs publics sont davantage capables de faire face au lobbying et de garantir que l'intérêt général est l'unique intérêt visé lors de l'élaboration de la législation et de la réglementation dans notre pays. Tel est notre rôle de députés, et je pense que tous les groupes politiques de l'Assemblée pourront s'accorder sur ce point.

Voilà les raisons pour lesquelles je vous invite à constater que toutes les conditions requises pour créer cette commission d'enquête sont réunies.

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Le long développement auquel vous avez procédé concernant la recevabilité de votre proposition de résolution montre que vous êtes consciente des grandes difficultés qu'elle pose sur ce plan.

Tout d'abord, la proposition de résolution met en cause indirectement la responsabilité du Président de la République, même si vous avez tenté d'apporter une rectification. Or le principe d'irresponsabilité du chef de l'État empêche qu'une commission d'enquête mette en cause sa responsabilité, même de manière indirecte. En la matière, la pratique est constante depuis 1958. En 1984, le président François Mitterrand avait ainsi refusé que son prédécesseur, Valéry Giscard d'Estaing, témoigne devant une commission d'enquête sur l'affaire des avions renifleurs. De même, sous la présidence de Jean-Luc Warsmann, la commission des lois s'était opposée à la constitution d'une commission d'enquête sur les sondages de l'Élysée.

La rédaction de la présente proposition de résolution ne permet pas de s'assurer qu'une éventuelle commission d'enquête ne mettra pas directement ou indirectement en cause la responsabilité du Président de la République. L'intitulé – que vous tentez de rectifier par un amendement – et l'exposé des motifs de la proposition de résolution ne laissent aucun doute à ce sujet.

Avant que vous ne tentiez de le modifier, le dispositif mentionnait le Président de la République, certes quand il était ministre de l'économie, mais cela ne trompe personne. Les références voulues et assumées à la fonction présidentielle actuelle d'Emmanuel Macron ne seraient pas nécessaires si l'objectif n'était que de s'intéresser à la gestion du ministre entre 2014 et 2016.

L'exposé des motifs vise également « l'opacité des réunions organisées dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) », en 2022 donc, ce qui concerne le précédent mandat du Président de la République. Cette précision permet de comprendre pourquoi vous avez choisi de faire référence au Président de la République et non pas seulement à l'ancien ministre de l'économie, et montre que votre objectif est aussi de mettre en cause la responsabilité du Président de la République dans l'exercice de ses fonctions.

C'est la raison pour laquelle le garde des sceaux, dans la lettre que vous avez mentionnée, a estimé que votre proposition de résolution apparaissait contraire à la Constitution. Voici ce qu'il écrit : « Cette proposition de résolution, qui vise explicitement le Président de la République actuellement en fonction, constitue une tentative de mise en cause, par une voie détournée, de la responsabilité du chef de l'État, dont la responsabilité est strictement définie par les dispositions du titre IX de la Constitution. Ce faisant, elle méconnaît également le principe de la séparation des pouvoirs fondée sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. » Certes, cette appréciation ne nous lie pas. Toutefois, le garde des sceaux invoque des arguments constitutionnels que votre présentation n'a pas démentis.

Vous avez présenté des amendements pour atténuer la portée de cette irrecevabilité. Par cette démarche, vous avez signé votre forfait. Quand bien même ces amendements seraient adoptés, il s'agirait d'un détournement de procédure susceptible de remettre en cause l'indépendance de l'autorité judiciaire. L'article 67 de la Constitution prévoit que le Président de la République est irresponsable pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions, mais aussi qu'il bénéficie d'une immunité de juridiction pendant toute la durée de son mandat.

La proposition de résolution vise précisément à contourner cette immunité de juridiction. Elle se substitue à la justice en créant une commission d'enquête parlementaire. L'exposé des motifs et le dispositif de la proposition de résolution mentionnent des « échanges de bons procédés » et demandent de vérifier si certains faits sont susceptibles de constituer des « avantages quelconques à une personne dépositaire de l'autorité publique […] pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir […] un acte de sa fonction », soit l'infraction pénale définie par l'article 433-1 du code pénal.

Devant l'impossibilité d'engager une action judiciaire sur les faits allégués pendant la durée du mandat présidentiel, vous avez déposé une proposition de résolution qui a pour objectif de demander aux députés de jouer un rôle d'enquêteur, de procureur et de juge. Il s'agit peut-être d'une déclaration politique, mais elle est incorrecte sur le plan juridique.

La lettre du garde des sceaux précise également que « le périmètre de la commission d'enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie une procédure judiciaire. » Vous avez eu l'honnêteté de le dire. Toutefois, vous auriez pu en tirer les conséquences.

Enfin, vous avez sciemment choisi une procédure qui n'est pas le recours à votre droit de tirage, en vertu duquel la création de la commission d'enquête aurait été de droit, mais après un examen de recevabilité. Vous avez cherché à contourner cette procédure, probablement parce que vous saviez que l'irrecevabilité de votre demande était manifeste.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Dès le titre de la proposition de résolution, vous attaquez personnellement le Président de la République et vous mettez en cause sa responsabilité, sans préciser que vous vous référez à la période 2014-2016, durant laquelle Emmanuel Macron était ministre de l'économie. Vous entretenez la confusion en évoquant dans l'exposé des motifs des liens supposés avec Uber dans le cadre de la récente PFUE et en mentionnant dans le dispositif la campagne présidentielle.

La responsabilité du chef de l'État n'est susceptible d'être mise en cause par le Parlement que selon la procédure prévue par l'article 68 de la Constitution, et non par une commission d'enquête. Pour contourner le risque certain d'inconstitutionnalité, vous avez déposé tardivement deux amendements visant à supprimer la référence à la présidence de la République dans le titre et le dispositif de la proposition de résolution. Les motivations du texte, votre démarche générale et cet aveu tardif entretiennent une confusion préjudiciable au respect et à l'équilibre de nos institutions, ainsi qu'une impression d'improvisation du travail.

Sur le fond, vous mettez en cause la responsabilité d'un ministre de l'économie qui agissait conformément à son rôle en échangeant avec des entreprises qui souhaitaient s'implanter en France et avec l'ensemble des acteurs d'un secteur en mutation profonde. J'ai eu l'occasion d'assister à l'audition d'un journaliste du Monde, membre du consortium qui a publié les Uber Files. Il vous a lui-même indiqué n'avoir rien constaté d'illégal ni d'irrégulier dans ces dossiers concernant le rôle que vous prêtez à Emmanuel Macron, ce qui souligne en creux l'absence de véritable objet de votre proposition de création d'une commission d'enquête.

Nous faisions face à l'époque à une pénurie de taxis par rapport à nos voisins européens. Objet de débats publics antérieurs à la création d'entreprises comme Uber, le secteur du VTC répondait à une demande des consommateurs et s'installait dans un vide juridique auquel il fallait répondre. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, a échangé avec les acteurs du monde des taxis, les syndicats, Uber mais aussi d'autres entreprises de VTC afin de parvenir à l'équilibre nécessaire dans un secteur qui était en mutation en France et partout dans le monde. Ces échanges étaient inhérents au rôle du ministre de l'économie et ne semblent pas justifier la création d'une commission d'enquête. Concernant la protection présumée de la société Uber vis-à-vis de contrôles de l'administration, l'article du Monde précise que la demande d'intervention auprès du ministre de l'économie était restée sans réponse.

Il n'y a eu pas eu d'irrégularités ni d'opacité. Notre vision de la société diffère de la vôtre, mais pouvez-vous reprocher à Emmanuel Macron d'avoir masqué sa conception de ce secteur ? Au contraire, il en avait fait un argument de campagne. Il indiquait ainsi à Mediapart : « Nous voulons lutter contre l'assignation à résidence et accompagner les acteurs qui peuvent permettre à de nouveaux emplois d'émerger ». C'est ce que nous nous appliquons à faire depuis plus de cinq ans, et je rappelle que le chômage est au plus bas depuis quinze ans – nous sommes fiers de notre action. Le Président de la République a toujours été transparent quant à ses intentions et s'est constamment prononcé en faveur de l'installation de ces acteurs. Les gouvernements successifs depuis 2017 se sont attachés, sous son impulsion, à mieux réguler les relations entre taxis et VTC, notamment grâce à la loi d'orientation des mobilités (Lom) de 2019, qui a comblé un vide juridique. Nous avons également défendu la régulation des plateformes au niveau européen et international, en œuvrant pour une fiscalité minimale et la protection des données privées.

Vous pouvez être en désaccord avec ces orientations, mais nous ne pensons pas que ces différences politiques de fond légitiment la création d'une commission d'enquête. Au contraire, cette dernière alimenterait un sentiment complotiste sur le rôle qu'aurait joué, à l'époque, le ministre de l'économie.

S'agissant, enfin, de la représentation d'intérêts, votre demande nous semble satisfaite par l'évolution de la législation entre 2014 et 2017. En effet, l'application de la loi Sapin 2 a rendu obligatoires l'inscription des représentants d'intérêts sur un répertoire numérique et une déclaration annuelle auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), afin de permettre leur identification.

Pour toutes ces raisons, notre groupe réfute la recevabilité et l'opportunité de votre démarche.

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Selon le site Wikipédia, « Les Uber Files sont plus de 124 000 documents confidentiels révélant comment l'entreprise américaine Uber […] a implanté son activité dans de nombreux pays et tenté de faire changer la législation à son avantage en menant une stratégie d'influence auprès et à l'aide de personnalités politiques de premier plan. »

Lors de son audition, réalisée la semaine dernière par la rapporteure, le journaliste du Monde Damien Leloup a précisé qu'Uber avait pris de nombreux contacts avec un nombre important de personnalités du monde politique ; que quatre rendez-vous, sur une période courte et ne figurant pas à l'agenda officiel, avaient été pris directement avec le Président de la République, Emmanuel Macron ; que dix-neuf échanges significatifs, qui n'étaient pas de simples rencontres de courtoisie, avaient eu lieu ; que les cadres d'Uber appelaient le ministre de l'économie pour intervenir sur des procédures en cours ; que des SMS, écrits tard le soir, avaient été découverts ; que le ministre avait répondu favorablement aux demandes de la multinationale Uber, à la suite de ces échanges ; que dans le même temps, il n'y avait pas eu de rendez-vous avec des représentants des taxis et des dirigeants du CAC40, ce qui aurait assuré un équilibre ; enfin, qu'Uber USA avait décidé très clairement de ne pas appliquer la législation française.

Tous ces éléments, même s'ils ne démontrent pas à eux seuls des activités de lobbying illégales, conduisent à penser que le président Macron a peut-être voulu modifier la loi française pour satisfaire aux intérêts du géant Uber. Malgré les invitations à la prudence du président de notre commission, nous pensons que ces éléments justifient une enquête et qu'en faire la demande fait partie de notre rôle en tant que députés. Nous voterons donc pour cette proposition de résolution.

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« Je faisais partie de cette puissante machinerie de lobbying et je continue à croire qu'un lobbying bien organisé et transparent est un élément fondamental de la démocratie parlementaire. Cela devrait préoccuper tout démocrate. Cependant, lorsque nous atteignons un point où l'équilibre des pouvoirs penche si fortement en faveur d'un côté par rapport à l'autre, comme cela semble être le cas dans ce débat, lorsque les entreprises technologiques disposent de ressources financières disproportionnées pour faire passer leur message aux dépens des travailleurs, beaucoup moins puissants, il se passe quelque chose de vraiment antidémocratique. » Ainsi témoignait le mois dernier Mark MacGann, ancien lobbyiste en chef d'Uber en Europe et lanceur d'alerte à l'origine des Uber Files.

Oui, « quelque chose de vraiment antidémocratique » a eu lieu entre 2012 et 2016 en France, lorsque le ministre de l'économie de l'époque a travaillé avec une multinationale américaine poursuivie par la justice pour mise en danger de la vie d'autrui et de multiples infractions au code du travail. Ce lobbying a conduit à modifier la loi et à implanter dans notre pays un modèle entrepreneurial prédateur, antisocial et profondément inégalitaire. En tant qu'ancien syndicaliste et salarié, je peux vous dire que jamais les travailleurs n'ont bénéficié d'un soutien aussi efficace que celui qui a été offert à Uber.

Si la NUPES rejette le modèle social défendu par les soutiens de l'ubérisation, ce sont des actions antidémocratiques menées durant la période concernée qu'il est question dans cette proposition de résolution. De 2014 à 2016, le gouvernement français a été considéré comme un soutien solide d'Uber en raison de l'action du ministre de l'économie de l'époque pour faire accepter le modèle économique de cette entreprise en France et assouplir le cadre juridique à son avantage.

Nous ne pouvons ignorer les révélations faites par la presse internationale. Il y va de la crédibilité de notre République. Les documents obtenus par Euractiv montrent que durant sa présidence de l'Union européenne, la France a fait pression au Parlement européen pour bloquer la présomption de salariat à l'égard des employés des plateformes, dont Uber, ce qui laisse supposer une collusion entre notre État et cette société. Notre réputation internationale est entachée par les Uber Files, même si le scandale est mondial et touche particulièrement l'Europe, puisqu'une ancienne commissaire européenne, Neelie Kroes, également ancienne ministre des transports néerlandaise, a été épinglée dans l'enquête d'Euractiv pour avoir été embauchée comme lobbyiste durant la période qui nous intéresse.

Une audition a eu lieu le mois dernier au Parlement européen. Notre Parlement s'honorerait à suivre cette démarche. La transparence et le contrôle démocratique sont la seule voie permettant de protéger les intérêts et l'image de la France. Nous avons été élus, en tant que parlementaires, pour exercer une mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Aussi devons-nous faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles un ministre – et seulement un ministre – a pu agir en faveur d'intérêts privés et défendre une entreprise aujourd'hui poursuivie par la justice, lui permettant de gagner des arbitrages, d'échapper à des arrêtés préfectoraux et de s'étendre dans tout le pays. Je précise que nous n'en voulons pas aux soutiens d'Uber, mais à cette société.

La fonction de contrôle est au cœur des missions de la représentation nationale. Elle prend racine dans l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce droit est exercé par le Parlement au nom des Français. Malgré les pressions de notre président au sujet de la recevabilité de la proposition de résolution, notre commission s'honorerait à faire sereinement la lumière sur les dysfonctionnements qui ont permis à un lobby comme Uber d'avoir une telle influence sur l'État. Ce travail doit être transpartisan et nous souhaitons que la commission d'enquête soit menée et rapportée avec l'accord de tous les groupes, de la majorité comme de l'opposition.

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Il ne s'agit pas de pressions, mais d'un simple rappel du cadre juridique.

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De nombreux députés considèrent que l'introduction du système Uber a cassé une partie du modèle social français. Les évolutions législatives qui se dessinent vont plutôt dans le sens d'un retour en arrière, pour éviter la marchandisation absolue de la capacité de travail de nos concitoyens qu'Uber a institutionnalisée.

Comme les auteurs de cette proposition de résolution, nous sommes attentifs aux liens de plus en plus complexes qui se sont noués entre certaines forces économiques et Emmanuel Macron, notamment lors de sa campagne électorale de 2017. Les Républicains ont multiplié les initiatives pour éclairer ces liens. Olivier Marleix a ainsi présidé une commission d'enquête sur la déconstruction d'Alstom pilotée par Emmanuel Macron. En septembre, nous avons également demandé la création d'une commission d'enquête sur notre perte de souveraineté énergétique et la volonté de déconstruire EDF. Enfin, la récente polémique mettant en cause la ministre Pannier-Runacher fait partie des éléments qui nous conduisent à nous interroger sur les relations entre le monde économique et le pouvoir d'Emmanuel Macron, ainsi que sur le financement de sa première campagne électorale.

Néanmoins, madame la rapporteure, il faut faire attention quand on utilise certains termes. Quand vous parlez d'une volonté de certains acteurs économiques de faire plier le droit français, je ne peux m'empêcher de voir un parallèle avec votre volonté de faire plier le règlement et les usages de notre assemblée, dont témoigne la méthode suivie pour votre proposition de résolution. Les commissions d'enquête font l'objet d'un droit de tirage, que le groupe LR a d'ailleurs été le premier à utiliser durant cette législature. L'ensemble de la coalition formée par la NUPES bénéficie de quatre droits de tirage pour la création de commissions d'enquête par session parlementaire, mais vous cherchez à contourner cette procédure pour nous pousser à un vote en séance publique d'une façon dévoyée.

Si vous considérez que ce sujet est si important, utilisez votre droit de tirage. S'il vous est impossible par la suite d'y recourir de nouveau, parce qu'il est épuisé, en vue d'obtenir la création d'une commission d'enquête sur d'autres faits, notre institution sera suffisamment responsable pour décider de créer une commission d'enquête. Il faut respecter nos règles de fonctionnement, qui visent à permettre aux commissions d'enquête de travailler sérieusement. En procédant comme vous le faites, vous contribuez au moins autant qu'Uber à casser la confiance dans les institutions.

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Tout est question d'interprétation en matière d'irrecevabilité, et les constitutionnalistes sont très divisés à ce sujet. La référence au Président de la République dans votre proposition de résolution ne pouvait qu'aggraver les interrogations en la matière, ce qui vous a conduit à déposer des amendements pour rectifier le tir.

J'estime que le bureau de l'Assemblée devrait travailler à une révision du règlement pour permettre d'informer les auteurs d'une résolution, comme on le fait au sein de l'autorité judiciaire, quand le motif de l'irrecevabilité est sur le point d'être invoqué, et de leur donner ainsi la possibilité d'apporter des rectifications. Nous devons être en mesure de travailler sur des sujets aussi majeurs que ceux que vous soulevez. Opposer l'irrecevabilité à une volonté de transparence est toujours une forme d'échec.

La proposition de résolution pose d'abord la question du lobbying. Les Uber Files ont révélé un système d'influence, sous des formes multiples : fausses tribunes citoyennes de soutien, payées à des cabinets de conseil ; caviardage de pages Wikipédia ; falsification d'articles scientifiques sur les créations d'emploi d'Uber – dont l'un est encore cité sur le site de Pôle emploi – ; assistance de l'administration fiscale néerlandaise à l'obstruction opposée aux administrations fiscales des autres pays européens, notamment le nôtre ; exacerbation organisée des violences entre taxis et chauffeurs de VTC pour produire des images chocs ; obstruction sophistiquée à l'égard de l'administration, de la police et de la justice avec le logiciel Greyball et la technique du kill switch  ; soutien à Uber apporté par la commissaire européenne à la concurrence, alors qu'elle savait qu'elle serait embauchée à la fin de son mandat, en violation des règles déontologiques auxquelles nous sommes tous attachés ; enfin, pressions de l'ambassadrice américaine sur les ministres français. Ces méthodes mêlent intimidation politique, juridique et physique, passage en force et tromperie. Nous devons faire la lumière sur ce qui s'est passé afin d'imaginer des mécanismes juridiques permettant d'empêcher que cela se reproduise.

Le modèle promu par Uber est l'autre problème, comme l'a souligné Raphaël Schellenberger. L'ubérisation signifie l'abandon de la plupart des droits sociaux – les congés payés, les arrêts maladie ou encore la retraite – mais aussi l'absence de toute participation à la solidarité nationale. Si ce modèle s'étendait aux travailleurs d'autres secteurs, cela irait à rebours de toute l'histoire de la construction des droits sociaux.

Nous soutiendrons la création de cette commission d'enquête, sous réserve de la question de son irrecevabilité et des corrections qui pourraient être apportées à ce sujet.

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Cette proposition de résolution nous paraît absolument inopportune.

Du point de vue formel, une commission d'enquête parlementaire ne peut mettre en cause le Président de la République. Nous n'avons pas été convaincus par les explications apportées au début de cette réunion. La question de la constitutionnalité de la création de cette commission d'enquête se pose dans la mesure où elle semble mettre en cause directement, dans son titre, le Président de la République en évoquant très clairement son rôle dans l'implantation d'Uber en France. Certes, le dispositif de la proposition de résolution est plus prudent, car il évoque seulement l'ancien ministre de l'économie et se réfère à des faits antérieurs à l'élection de 2017. Cependant, l'objectif politique visé est contraire à la Constitution.

Sur le fond, nous ne pouvons que saluer les propos du Président de la République, qui s'est dit extrêmement fier d'avoir été « un ministre de l'économie qui s'est battu pour attirer des entreprises ». L'essence de la mission d'un ministre de l'économie est bien d'accompagner les entreprises étrangères qui s'implantent en France et créent de l'emploi, tout en construisant un cadre légal adapté tant aux exigences françaises en matière de protection qu'aux enjeux d'attractivité. Nous contestons donc le bien-fondé des accusations formulées par le groupe LFI envers l'ancien ministre de l'économie.

Les gouvernements successifs ont agi pour sécuriser aussi bien le modèle économique de ces plateformes que la protection accordée aux travailleurs, en professionnalisant l'activité, en encadrant son exercice grâce à un examen et en prévoyant une protection sociale entièrement à la charge des plateformes, tout en s'assurant du maintien sur le territoire d'une entreprise qui est un outil de création d'emploi, notamment pour les personnes qui en sont le plus éloignées. La loi Lom vise à atteindre un équilibre en instaurant un dialogue social dans le secteur, qu'il s'agisse des VTC ou de la livraison de repas. Les représentants des travailleurs ont été élus en mai dernier : ceux qui défendaient un modèle d'indépendance sont arrivés en tête, loin devant les syndicats traditionnels, qui appelaient à une requalification en salariat.

L'équilibre social et économique qui a été trouvé nous semble juste, et l'action d'Emmanuel Macron à l'époque n'est nullement sortie du champ de ce qui est attendu d'un ministre de l'économie, premier défenseur de l'attractivité du territoire à l'égard des entreprises souhaitant s'y implanter. Le groupe Horizons et apparentés estime que cette proposition de résolution devrait être déclarée irrecevable et votera, en tout état de cause, contre son adoption.

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Je ne chercherai pas à convaincre les députés de la majorité du bien-fondé politique de cette résolution, en revenant sur ce que nous pensons d'Emmanuel Macron comme chef de rayon des multinationales dans notre pays, mais du bien-fondé démocratique de notre démarche. Je nous invite, les uns et les autres, à nous affranchir de nos sentiments politiques à l'égard de l'ancien ministre de l'économie et à privilégier la République par rapport au clan.

Notre démocratie est malade. L'un des symptômes de notre effondrement démocratique est l'influence des intérêts privés sur la prise de décision publique, censée être au service de l'intérêt général. Cette situation est de nature à troubler la confiance de nos citoyens envers les institutions et la démocratie représentative. Il importe que des exercices de transparence, d'information et de contrôle parlementaire puissent lever les doutes ou corriger les dysfonctionnements.

Quand un consortium de journalistes d'investigation internationaux, qui a travaillé sur 124 000 documents, fait de telles révélations, nos concitoyens attendent que le Parlement s'en saisisse. Il ne s'agit pas de faire des supputations ou des mises en cause, mais d'organiser un travail parlementaire transparent, dans lequel chacun pourra faire valoir ses arguments. Ce travail a d'ailleurs été entamé par Danielle Simonnet grâce aux auditions qu'elle a conduites ces derniers jours. La recherche de la vérité est profitable à tous.

Par égard pour les chauffeurs de VTC précarisés, pour la profession de taxi et pour nos concitoyens, qui se demandent comment sont prises les décisions d'intérêt public dans notre pays, quel est le rôle des lobbys et des intérêts privés et quelle est l'ampleur de la maltraitance démocratique qu'ils exercent, j'invite à faire œuvre de transparence : c'est la meilleure alliée de la confiance. Nous pourrons ainsi juger, sur pièces, de la nature des dix-sept échanges, en dix-huit mois, entre le ministre de l'économie de l'époque, ensuite devenu Président de la République, et Uber. Nous verrons alors, à l'issue d'un travail parlementaire exigeant et sérieux, s'il y a matière à tirer des conclusions.

Notre discussion m'inquiète : vous vous exprimez davantage en tant que porte-paroles de l'ancien ministre de l'économie et ancien candidat à l'élection présidentielle qu'en tant que parlementaires. Jouons notre rôle. Vous avez fait référence, monsieur le président, à François Mitterrand, mais le contexte d'épuisement démocratique et d'usure de la monarchie présidentielle que nous connaissons n'a rien de commun avec le contexte des années 1980. Il a aussi été question de complotisme. Si nous ne jouons pas notre rôle dans la recherche de la vérité, l'établissement des faits et la discussion démocratique, au sein d'une Assemblée qui représente enfin toutes les sensibilités du pays, qui le fera ?

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Nul ne peut contester les riches enseignements auxquels peuvent conduire les travaux d'une commission d'enquête. Encore faut-il que sa création et son périmètre d'action respectent les dispositions constitutionnelles et le règlement de notre assemblée. Or la présente proposition de résolution ne paraît pas conforme à ces règles. Nous ne pouvons, au contraire, que constater leur dévoiement.

Si notre commission n'est pas juge de la recevabilité de la proposition de résolution, elle est fondée à vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, en application de l'article 140 du règlement. À cet égard, nous nous interrogeons tant sur la constitutionnalité que sur l'opportunité d'une telle commission d'enquête.

Il résulte de la lecture combinée des articles 51-2 et 24 de la Constitution qu'une commission d'enquête n'est investie que d'un pouvoir de contrôle et d'évaluation du gouvernement. L'objectif des auteurs de la proposition de résolution est à peine voilé : il s'agit de mettre en cause la responsabilité du Président de la République, alors que celui-ci est uniquement responsable devant le peuple, à l'occasion d'élections démocratiques, et devant la Haute Cour.

L'analyse de l'exposé des motifs, notamment la référence assumée au code pénal, démontre qu'il s'agit d'étudier la responsabilité de l'ancien ministre de l'économie, donc du Président en exercice, et de vérifier « s'il y a eu échange de bons procédés entre les parties citées lors de la campagne présidentielle de 2016 ». La circonstance que les faits allégués sont antérieurs à la fonction présidentielle exercée par M. Macron ne saurait justifier un quelconque détournement des textes constitutionnels.

Les affaires de la Ville de Paris mettant en cause Jacques Chirac pour des actes antérieurs à son entrée en fonction avaient posé la question de l'interprétation des dispositions constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel s'était alors prononcé en faveur du privilège de juridiction. Après avoir rappelé qu'aux termes de l'article 67 de la Constitution, le Président de la République bénéficie d'une irresponsabilité couvrant les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, à l'exception du cas de haute trahison, le Conseil constitutionnel avait ajouté que pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République ne pouvait être mise en cause que devant la Haute Cour.

Ne nous y trompons pas : en sus de la responsabilité politique, la création de cette commission d'enquête vise à rechercher une responsabilité pénale. La création d'une commission d'enquête sur les conditions de l'implantation de l'entreprise Uber, avec l'accord du Président de la République, ne saurait avoir valeur de précédent permettant au Parlement d'enquêter sur lui. Par ailleurs, la création d'une telle commission d'enquête n'aurait de sens que si celle-ci pouvait auditionner le Président.

Nous ne sommes pas davantage convaincus par l'opportunité de cette commission d'enquête. La loi Sapin 2 a permis d'encadrer l'activité des représentants d'intérêts, et la mission d'information parlementaire conduite par les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix a mené une évaluation et formulé des recommandations importantes. En outre, une enquête pénale est en cours, ce qui soulèverait des difficultés pour les auditions.

Pour ces différentes raisons, notre groupe se prononce contre une telle proposition de résolution, qui laisserait la porte ouverte à une judiciarisation de notre assemblée.

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L'affaire des Uber Files, rendue publique par Le Monde, Radio France et un consortium de quarante-deux médias internationaux, a révélé un ensemble d'informations sur la manière dont l'entreprise Uber s'est implantée en Europe.

Des lois françaises auraient été contournées avec l'aide du ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron. Ce dernier aurait rencontré à plusieurs reprises le PDG d'Uber, Travis Kalanick, et serait intervenu, selon France 3 Régions, pour faire suspendre un arrêté préfectoral interdisant certains véhicules Uber à Marseille, en octobre 2015.

Il aurait également fait office de lobbyiste interne pour le compte d'Uber, en proposant à cette multinationale d'envoyer à des députés des liasses d'amendements – par la suite transformés en décrets – lors de l'examen de la loi portant son nom. Début 2016, un décret a ainsi réduit la durée de la formation nécessaire pour l'obtention d'une licence de VTC de 250 à 7 heures – un marché conclu sur le dos de la démocratie.

Les Uber Files dévoilent aussi qu'un lobbyiste en chef de la zone Europe, Afrique et Moyen-Orient d'Uber aurait par la suite aidé Emmanuel Macron à récolter des fonds pour sa campagne présidentielle victorieuse de 2017. Si c'était confirmé, il ne s'agirait pas d'un combat néolibéral classique, mais d'une affaire de corruption.

Par ailleurs, l'essor d'Uber a largement permis au candidat Macron de se présenter en parangon du monde nouveau, tout en faisant campagne, la main sur le cœur, au sujet de la moralisation de la vie politique – cette promesse de campagne est restée lettre morte.

Une fois l'enquête révélée, le président Macron s'est défaussé sur les travailleurs ubérisés et précarisés. Il a déclaré qu'il aurait soutenu l'implantation d'Uber pour « aide[r] des jeunes sans emploi, qui venaient de quartiers difficiles, à trouver des opportunités pour la première fois de leur vie » – ils ont bon dos.

L'entreprise Uber a développé un modèle d'exploitation de nouvelle génération, aux méthodes très brutales. Comme l'affaire McKinsey, les Uber Files démontrent le poids des intérêts économiques dans les processus de décision politique et illustrent la voracité du capitalisme, mû par la recherche prioritaire du profit au mépris des règles, des lois et surtout de l'intérêt général, qui devrait être la seule et unique boussole des décideurs publics.

Je comprends que la proposition de résolution présentée par La France insoumise déplaise, sur le fond, aux députés de la majorité qui ont participé à la campagne de 2017. Cependant, je rappelle que le contrôle démocratique est au cœur de nos missions et qu'il diffère d'une enquête judiciaire. Les contours des commissions d'enquête parlementaires et des enquêtes judiciaires sont clairement définis, et nous ne souhaitons pas aller au-delà. Le contexte d'épuisement démocratique que nous connaissons renforce la nécessité de répondre à certaines questions. Comment un tout petit groupe de personnes peut-il imposer une décision politique à l'échelle d'un pays entier, sans que les citoyens aient leur mot à dire ? Comment un ministre, avec une poignée de conseillers, peut-il décider, sans débat public, du sort d'une profession entière ? Comment ce contournement des règles de droit est-il possible ?

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Nous comprenons pleinement la démarche de transparence dans laquelle s'inscrit cette proposition de résolution. L'implantation rapide et offensive d'Uber conduit à s'interroger, et les révélations des Uber Files ont suscité de vives réactions qu'il est difficile d'ignorer. Les documents publiés peuvent en effet laisser entendre que l'entreprise Uber France a bénéficié d'un lien particulier avec le cabinet de l'ancien ministre de l'économie. Ce seul fait est de nature à amoindrir encore un peu plus la confiance des citoyens envers les responsables publics. Nous pensons que cette affaire doit susciter une réflexion beaucoup plus large sur les liens entre les lobbys, le monde économique et le monde politique. Entre de simples échanges et un trafic d'influence, où placer le curseur ? C'est cette question que nos collègues de La France insoumise soulèvent dans leur proposition de résolution, qui porte sur l'opacité des rencontres organisées avec une entreprise privée. Obtenir des clarifications sur une affaire qui a soulevé un tel débat au sein de la profession de taxi et dans notre société nous paraît un objectif légitime. Aussi, notre groupe votera la proposition de résolution.

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La richesse des différentes interventions, y compris celles des collègues plutôt défavorables à la proposition de résolution, montre bien que la création de cette commission d'enquête se justifie.

Dès la réception de la lettre du garde des sceaux, j'ai déposé plusieurs amendements pour répondre aux arguments relatifs à l'irrecevabilité de la proposition de résolution, au motif qu'elle mettrait en cause Emmanuel Macron en tant que Président de la République. Le dépôt tardif de ces amendements est lié à la réception elle-même tardive de la lettre.

Il ne s'agit pas de nous substituer à la justice, mais de nous interroger sur la légalité de la pratique du lobbying. Est-il normal et acceptable qu'une multinationale américaine ait pu s'imposer ainsi sans respecter aucunement le cadre légal et développer un lobbying aussi agressif ?

Trouvez-vous que la loi Sapin 2 garantit véritablement la séparation entre les lobbys et l'État ? Il n'en est rien, et la lecture des Uber Files le montre. La HATVP demande depuis des années une révision du décret qui définit les critères d'inscription au registre des représentants d'intérêts, ce qui lui a toujours été refusé, notamment par Bercy. Un rapport d'information sur l'évaluation de la loi Sapin 2 a émis des propositions sur ce point. La commission d'enquête portera sur le cas concret d'Uber et devrait permettre de formuler des recommandations pour mieux protéger notre République de la pression des lobbys.

Le fait qu'il y ait eu dix-sept échanges entre le ministre de l'économie de l'époque et des dirigeants d'Uber, notamment Travis Kalanick, dont aucun n'était inscrit à l'agenda du ministre, n'a rien d'illégal aujourd'hui, mais cela pose tout de même des questions.

J'ai décrit les stratégies très agressives d'Uber pour imposer une activité illégale. La maraude électronique utilisée par la plateforme d'Uber est en effet illégale, et cette société a emprunté la fenêtre ouverte par le statut des capacitaires Loti – loi d'orientation des transports intérieurs – pour pratiquer des activités de VTC sans licence. Uber a délibérément enfreint la loi pour imposer une situation monopolistique et capter des données, dans une nouvelle étape du capitalisme financier. Face à ces développements, certains décideurs sont restés passifs tandis que d'autres ont décidé de les accompagner.

On ne peut pas affirmer qu'Emmanuel Macron n'avait rien à se reprocher en tant que ministre tout en refusant qu'une enquête parlementaire soit menée, au prétexte que nous voudrions nous autoproclamer juges. Nous sommes des élus de la République : nous voulons savoir comment un tel lobbying a été rendu possible et formuler des recommandations pour assurer une séparation entre les lobbys et l'État. Ce sera le premier travail de la commission d'enquête.

Son deuxième objet sera d'étudier les conséquences sociales, économiques et environnementales du développement d'Uber en France et de l'ubérisation. Nous avons maintenant du recul. Il faudrait également comprendre pourquoi l'État était aussi peu préparé à l'arrivée de ces innovations et au chaos qu'elles ont entraîné. Tous les pays n'ont pas réagi de la même façon. La Corée du Sud, pourtant très libérale, a refusé d'accueillir une plateforme américaine qui risquait de déréguler le secteur des taxis. En revanche, les innovations technologiques ont été utilisées au profit de ces derniers. Pourquoi a-t-on considéré en France, comme s'il y avait eu une sorte de maraboutage idéologique, que ces innovations étaient nécessairement bonnes à prendre, sans se demander si elles ne devaient pas s'adapter aux lois de la République, plutôt que le contraire ?

La question de notre droit de tirage est légitime. Cependant, lorsque les révélations des Uber Files ont eu lieu, il nous a semblé que l'affaire était si grave du point de vue démocratique que la réponse devait être transpartisane et que ce n'était pas dans le cadre de notre droit de tirage, pour défendre nos propres orientations politiques, que cette commission d'enquête devait être créée. Tous les élus de la République sont concernés par la préservation de l'intérêt général et par la nécessité que la délibération collective soit menée indépendamment de la pression des intérêts privés.

Un tel sujet ne relève pas du droit de tirage de chaque groupe. C'est par un vote dans l'hémicycle que doit être décidée la création de cette commission d'enquête parlementaire. Si on veut qu'elles soient suivies par toutes et tous, mieux vaut élaborer ensemble, dans ce cadre, des recommandations pour aller au-delà de la loi Sapin 2, afin de nous préserver de l'influence des lobbys et de restaurer l'État de droit, notre droit du travail, notre sécurité sociale et notre fiscalité face à des entreprises à ce point prédatrices, qui tentent d'imposer l'illégalité de l'état de fait à notre État de droit. De même, la décision de créer la commission d'enquête doit être prise par toutes et tous.

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Nous en venons aux interventions des autres députés.

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Depuis l'aube de notre histoire parlementaire, nous résistons à ceux qui veulent faire taire la nation assemblée. C'est le message du haut-relief de Dalou, qui rappelle que le 23 juin 1789, lorsque le roi envoya le marquis de Dreux-Brézé dissoudre les États généraux, le doyen Bailly lui répondit : « nous n'avons pas d'ordres à recevoir », tandis que Mirabeau déclarait : « nous sommes ici par la volonté du peuple et nous ne sortirons que par la force des baïonnettes. » Les nouveaux rois sont les forces de l'argent. Notre rôle est de refuser qu'ils nous réduisent au silence. Je ne comprends pas qu'Uber trouve ici des relais pour le faire.

Je trouve honteux l'argument constitutionnel relatif aux prérogatives du Président de la République. La rapporteure a très clairement indiqué le périmètre de notre commission d'enquête. Elle porte sur le pouvoir de séduction de l'entreprise Uber sur le ministre de l'économie de l'époque. Pour analyser correctement la recevabilité de notre proposition, faisons comme si Emmanuel Macron n'avait jamais été élu Président de la République.

Je vous invite à considérer vos actions. Monsieur le président, votre rôle est de défendre les prérogatives du pouvoir parlementaire. Nous ne sommes pas le fan-club du Président de la République. Nous ne sommes pas ici pour vanter tel ou tel candidat à l'élection présidentielle. Soyons dignes de notre fonction. Uber a fait beaucoup de tort aux Français.

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Invoquer la Constitution, le règlement de l'Assemblée nationale et l'État de droit, ce n'est pas faire partie du fan-club du Président de la République. Je suis dans mon rôle de président de la commission des lois en vous rappelant les règles élémentaires de notre République et les règles de recevabilité que vous avez cherché à contourner en n'exerçant pas votre droit de tirage. Le président Warsmann avait procédé de la même manière en 2009 lorsque la création d'une commission d'enquête similaire avait été proposée. Je n'ai fait aucun commentaire sur le fond de cette proposition de résolution : je m'en suis tenu au droit, d'autant que vous auriez pu utiliser votre droit de tirage, ce qui aurait impliqué un examen de recevabilité par la commission. J'ai donc rappelé les règles de l'état de droit, qui auraient dû conduire à déclarer irrecevable votre proposition de résolution.

Article unique

Amendement rédactionnel CL2 de Mme Danielle Simonnet.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL3 de Mme Danielle Simonnet.

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La commission d'enquête a pour objet d'identifier les méthodes d'implantation de la société Uber en France et de déterminer dans quelle mesure et pour quelles raisons des décideurs publics ont pu lui faciliter la tâche. Les Uber Files ont ainsi révélé l'implication particulière du ministre de l'économie de l'époque, M. Emmanuel Macron.

Dans sa rédaction actuelle, la proposition de résolution le vise spécifiquement en tant que ministre de l'économie, mais nous l'avons désigné, par respect du protocole, en faisant référence à son titre actuel de Président de la République. Comme cette rédaction a suscité des craintes, notamment formulées dans le courrier du garde des sceaux, qui a estimé qu'un problème de constitutionnalité pouvait se poser, cet amendement supprime la référence au Président de la République. Nous voulons ainsi vous rassurer sur notre intention de respecter la séparation des pouvoirs.

Par ailleurs, les auditions ont montré l'intérêt d'ouvrir le champ de la commission d'enquête à tous les décideurs publics approchés à l'époque par la société Uber.

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C'est l'heure de vérité. On nous a dit que cette demande de création d'une commission d'enquête étant irrecevable parce que nous avions ciblé le Président de la République et non le ministre de l'économie. Cet amendement change donc la rédaction. Dès lors, de deux choses l'une : soit nous votons ensemble pour cet amendement et pour la création de la commission d'enquête, soit vous bloquez l'amendement pour faire en sorte que la commission d'enquête soit irrecevable.

Je rappelle qu'une commission d'enquête n'est pas un tribunal. Elle a pour objectif de faire la lumière sur certains éléments. Il est du rôle des parlementaires de contrôler ce qui se passe dans le pays. Nous sommes les représentants du peuple français : il ne peut pas supporter les attaques de certaines entreprises, comme Uber, qui font du lobbying pour que le droit, notamment celui du travail, corresponde à leurs intérêts privés. Nous défendons l'intérêt général, c'est-à-dire les intérêts du peuple français.

La commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article unique.

L'ensemble de la proposition de résolution est ainsi rejetée.

Titre

L'amendement CL1 de Mme Danielle Simonnet tombe.

Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 293) (Mme Mathilde Panot, rapporteure).

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« Rien n'est jamais définitivement acquis. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes. » Des décennies plus tard, une décision de la Cour suprême des États-Unis a donné raison à ces mots de Simone de Beauvoir. Ils ont une résonance particulière alors qu'une dizaine d'États fédérés interdisent désormais aux femmes d'avorter.

La menace envers les droits des femmes n'est pas une spécificité américaine. Depuis une décision de son tribunal constitutionnel en 2020, la Pologne interdit l'avortement en cas de malformation du fœtus, et la vente de la pilule du lendemain sans ordonnance a également été interdite dans ce pays. En Hongrie, les femmes doivent écouter le cœur du fœtus avant de procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Par ailleurs, l'avortement est toujours interdit en Andorre ou à Malte. Au Portugal, les femmes mineures doivent à nouveau demander l'autorisation de leurs parents pour avorter. En Italie, enfin, l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite dissipe les doutes – s'il en restait – sur les intentions de ce camp en matière de droits des femmes.

Les femmes sont les premières victimes des assauts réactionnaires, et la France n'est pas exempte du danger qui pèse sur leurs droits. Les associations féministes ont montré comment des mouvances très bien financées s'organisent depuis des années pour mettre en échec les lois de progrès humain. C'est donc la vigilance qui a présidé au dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle.

Le socle juridique sur lequel reposent le droit à l'avortement et le droit à la contraception est fragile. Ces droits ne sont pas placés au rang de principes constitutionnels, si bien qu'il est difficile d'exclure que des lois visant à dérembourser l'IVG, à réduire les délais de recours ou encore à restreindre l'accès à la contraception puissent voir le jour. Nous devons légiférer pour le temps long, a fortiori quand nous touchons à la Constitution. Il faut parer aux risques que l'histoire humaine, dans son imprévisibilité, pourrait faire courir à nos enfants ou à nos petits-enfants.

Introduire le droit à la contraception et le droit à l'avortement dans la Constitution sécuriserait la portée de ces droits, aujourd'hui incertaine. Le Conseil constitutionnel apprécierait en effet la conformité à la Constitution des lois touchant à l'IVG ou à la contraception à la lumière de ces droits, et non au moyen d'une interprétation et d'une conciliation de principes préexistants. La France s'honorerait d'introduire ces droits dans sa Constitution et s'illustrerait en jouant en la matière un rôle de pionnier, au terme d'une longue histoire de privation des femmes du droit à disposer de leur corps.

De la loi de 1920, qui interdisait « toute propagande anticonceptionnelle », et de la loi de 1942, qui considérait l'avortement comme un crime d'État, puni par la peine de mort, à la loi Veil de 1975, qui a mis fin à des décennies de tabou et d'hypocrisie, de répression, de départs à l'étranger, de curetages à vif, d'humiliations et de morts, le droit à l'avortement a été conquis de haute lutte. Je me réjouis qu'il existe un large consensus dans cette Assemblée, représentatif de celui qui existe dans notre pays, pour renforcer le droit à l'avortement.

Cependant, je m'étonne sincèrement qu'on considère le droit à la contraception comme un détail à renvoyer au législateur, qui ne mériterait pas d'être introduit dans la Constitution, et donc protégé, au même titre que le droit à l'avortement, alors qu'il est son corollaire. Introduire le droit à l'avortement et à la contraception dans la Constitution revient en réalité à consacrer le droit de ne pas commencer ou poursuivre une grossesse. C'est la maîtrise complète de leur fertilité qui permet aux femmes d'accéder à leurs autres droits. Par ailleurs, la contraception concerne aussi les hommes.

Si l'avortement fait partie de la vie des femmes, la contraception s'inscrit encore davantage dans leur quotidien. Près de 70 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont recours à une contraception orale, à un dispositif intra-utérin ou à un implant. Loin d'être un détail, la contraception rythme et structure la vie des femmes : ce sont elles qui, dans une large majorité, en subissent la charge mentale – l'alarme qui retentit chaque jour pour la prise d'une pilule, les rendez-vous successifs chez le gynécologue pour examiner un stérilet ou un implant, ou encore le calcul des jours et des heures après un rapport sexuel pour aller chercher la pilule du lendemain.

L'inscription de ces droits dans la Constitution fait l'objet d'un consensus solide dans notre pays : 87 % des Français sont favorables à l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution, et le taux d'opinions favorables est de 92 % pour l'inscription du droit à la contraception dans la Constitution.

Si les droits des femmes étaient attaqués, ils le seraient probablement de manière pernicieuse, avec le droit à la contraception dans la ligne de mire. S'il faut se prémunir contre le risque d'une atteinte aux droits sexuels et reproductifs, je ne vois pas de raison d'exclure le risque qui pourrait peser sur le droit à la contraception. Nous ne souhaitons laisser à personne les mains libres pour s'y attaquer.

Certains craignent que cette proposition de loi constitutionnelle fasse de l'interruption volontaire de grossesse un droit absolu, qui empêcherait son encadrement par la loi. Notre rédaction permet surtout d'empêcher toute régression. Rien n'empêchera d'améliorer l'existant, en supprimant, par exemple, la clause de conscience spécifique à l'IVG.

D'autres diront, pour justifier le rejet de ce texte, qu'il s'agit d'un débat importé des États-Unis et que la menace sur ces droits est inexistante en France. Si tel était le cas, vous n'auriez rien à perdre en votant notre proposition, ou alors assumez une opposition réelle aux droits des femmes à disposer de leur corps. S'opposer à un texte qui ne fait que renforcer l'existant en dit long sur vos intentions : ne pas avoir les mains liées, en vue de porter atteinte à ce droit le moment venu.

D'autres encore disent que l'enjeu est plutôt celui de l'accès aux droits. Croyez bien que l'ensemble de la NUPES sera toujours au rendez-vous pour renforcer l'accès aux droits sexuels et reproductifs sur notre territoire. Nous avons d'ailleurs des propositions à vous soumettre, comme l'augmentation des moyens du Planning familial et une campagne nationale de prévention et d'information en matière de contraception. Des professionnels de santé nous ont fait savoir que l'acte de l'IVG était peu valorisé. Si l'introduction d'un droit dans la Constitution peut conférer davantage de dignité à cette pratique et aux professionnels de santé concernés, nous aurons amorcé un changement des mentalités.

Enfin, on entend dire que l'introduction de ces droits dénaturerait la Constitution. Nous ne sommes pas naïfs à l'égard de l'hostilité qui se manifeste lorsqu'il s'agit de faire accéder les droits des femmes à une certaine majesté. Leurs droits sexuels et reproductifs devraient être renvoyés aux confins de la sphère publique et politique, relégués à la sphère intime des femmes, de leur corps, donc au domaine privé, alors qu'ils relèvent, en réalité, de la citoyenneté et de l'égalité.

Notre histoire humaine est marquée par la domination des hommes sur les femmes, non par nature, mais par sédimentation de constructions sociales. Il se pourrait que notre Constitution en soit un reliquat. Elle est notre texte suprême, qui fonde notre communauté politique. Les droits sexuels et reproductifs en sont, littéralement, la condition de possibilité et de reproduction, mais ils sont l'angle mort du texte qui régit l'ensemble de nos lois.

Pour finir, je regrette que vous soyez peu disposés à accepter une certaine pluralité sur le plan rédactionnel. Il semblerait, en effet, que vos amendements aient pour objet d'arrimer notre rédaction à celle proposée par Mme Bergé. Nous voterons sa proposition de loi constitutionnelle, malgré plusieurs réserves. Tout d'abord, ce texte n'inclut pas le droit à la contraception, qui est le corollaire du droit à l'avortement. Contrairement à la nôtre, la rédaction de notre collègue ne permet pas, à nos yeux, de nous prémunir contre une régression en la matière. En outre, la modification apportée par Mme Bergé, à la suite d'une remarque du Conseil national des barreaux, correspond selon nous à un risque très hypothétique, étant donné que le mot « volontaire » dans IVG implique le consentement de la personne concernée par l'avortement. Par ailleurs, la rédaction proposée par notre collègue ne nous paraît pas atteindre l'objectif visé. Un tiers pourrait toujours intervenir s'il s'agit d'une femme, au sein d'un couple de femmes ou dans le cas d'une mère. La rédaction choisie pourrait également préfigurer des contentieux pour les personnes transgenres, comme l'ont soulevé plusieurs membres de cette commission. La formulation initiale était plus inclusive et, ainsi que nous l'ont fait remarquer des constitutionnalistes, l'intégralité de la Constitution est écrite au masculin.

Nous sommes toutefois ouverts à des rédactions alternatives, d'autant que notre objectif est d'envoyer le signal suivant : nous sommes prêts à voter un projet de loi constitutionnelle inscrivant le droit à l'avortement et à la contraception dans la Constitution. Vous me répondrez que cette demande est étonnante à l'heure où il s'agit de renforcer le pouvoir du Parlement. Cependant, il ne faut pas se tromper sur le devenir de ces propositions de loi constitutionnelles : si elles devaient être adoptées, ce serait au terme d'un référendum. J'ose croire que chacun voit bien ce que cela implique. Il faut imaginer une campagne où des mouvances anti-choix seraient galvanisées et transformeraient le débat en « pour ou contre l'avortement ». C'est pourquoi nous estimons qu'un référendum sur la question de l'avortement n'est pas souhaitable. Nous assumons donc que ce texte serve, avant tout, à envoyer un signal au Gouvernement en faveur de la présentation d'un projet de loi constitutionnelle à la représentation nationale – autrement, il pèsera toujours sur ces propositions de loi constitutionnelles le soupçon de l'opportunisme politique.

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Pour la deuxième fois en huit jours, notre commission examine une proposition de loi visant à constitutionnaliser le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Ce n'est pas un hasard, tant le contexte national et surtout international atteste l'existence de menaces sérieuses contre le droit à l'IVG.

Aux États-Unis, le revirement total de jurisprudence de la Cour suprême en juin dernier a mis fin à cinquante ans de garantie fédérale du droit à l'avortement, et une douzaine d'États fédérés se sont immédiatement engouffrés dans la voie abolitionniste. En Europe aussi, les coups de boutoir contre l'IVG se succèdent. La Pologne est allée jusqu'à interdire l'avortement en cas de malformation fœtale grave. La Hongrie impose aux femmes d'écouter les battements de cœur du fœtus avant de pratiquer une IVG. En Italie, la nouvelle ministre de la famille du gouvernement Meloni, Eugenia Roccella, s'est publiquement exprimée contre le droit à l'IVG. En France également, une menace sourde prospère. Dans la société civile, la propagande antiavortement continue à se répandre, en particulier sur les réseaux sociaux. Au sein de l'Assemblée nationale siègent des députés du groupe Rassemblement national qui, l'an dernier à Bruxelles, ont voté contre une résolution appelant à garantir l'accès universel à l'avortement et un membre de ce groupe a parlé « génocide de masse » au sujet de l'IVG.

Permettre à notre République d'être la première démocratie à protéger dans sa Constitution le droit à l'IVG est un enjeu non seulement national – protéger les droits des femmes en France contre une potentielle majorité réactionnaire –, mais aussi international, puisque cela placerait notre pays à l'avant-garde du combat en faveur des droits des femmes, alors que la tendance actuelle est à la régression.

Dans ce contexte, la détermination du groupe Renaissance à conférer au droit à l'IVG la garantie la plus forte que puisse offrir notre hiérarchie des normes est totale. C'est pour cette raison qu'à l'initiative d'Aurore Bergé et de Marie-Pierre Rixain, notamment, notre groupe a déposé dès les tout premiers jours de la législature une proposition de loi constitutionnelle. C'est aussi pour cette raison que nous voterons en faveur du texte qui nous est soumis aujourd'hui.

Cette proposition de loi constitutionnelle présente d'importantes similitudes avec celle votée par notre commission la semaine dernière. En effet, elle garantit constitutionnellement le droit à l'IVG et prévoit la création d'un nouvel article 66-2, inscrit dans le titre VIII de la Constitution, relatif à l'autorité judiciaire, gardienne de nos libertés individuelles. Toutefois, la rédaction proposée par Mme Panot est beaucoup plus détaillée, puisqu'elle inclut le droit à la contraception, à l'instar de la proposition de loi constitutionnelle de la sénatrice Mélanie Vogel, rejetée par le Sénat le mois dernier. Il fait peu de doute que le présent texte subirait le même destin funeste s'il devait être soumis à l'examen de la chambre haute du Parlement.

Malgré cette réserve majeure, nous voterons sans hésitation cette proposition de loi constitutionnelle, en vue d'affirmer que le combat pour la défense des droits des femmes nous est commun, à toutes et à tous, en dépit des désaccords profonds que nous avons par ailleurs avec La France insoumise. Parce que nous sommes déterminés à faire aboutir cette constitutionnalisation, quelle que soit l'issue du présent texte, le groupe Renaissance portera jusqu'à son terme la proposition de loi constitutionnelle votée la semaine dernière. Adopté à une très large majorité par notre commission, ce texte est le seul qui ait des chances sérieuses d'aboutir et ainsi d'atteindre notre objectif commun.

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Le présent texte est plus large et encore plus sujet à caution que celui examiné la semaine dernière. Il vise à consacrer le droit à l'IVG et le droit à la contraception dans la Constitution afin de les rendre invocables devant le juge constitutionnel.

Comme je l'ai précisé la semaine dernière, ce n'est pas le fait d'inscrire des droits dans la Constitution qui permettra de résoudre la question majeure de l'effectivité de l'accès à l'IVG. Près de cinquante ans après la loi Veil, trop nombreuses sont les femmes qui ne parviennent pas à avoir recours à l'IVG dans de bonnes conditions et se heurtent à un manque de médecins, de sages-femmes et de structures hospitalières pouvant les accueillir. Ainsi, de trop nombreuses femmes sont encore contraintes de subir une IVG dans d'autres pays. L'effectivité de l'accès à l'IVG nécessite une réorganisation de notre système de soins, totalement défaillant en la matière, et l'instauration de mesures destinées, par exemple, à remédier aux déserts médicaux. L'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution, aussi symbolique soit-elle, ne permettra absolument pas de régler au quotidien le problème de toutes ces femmes.

Par ailleurs, tout comme celle du texte examiné la semaine dernière, la rédaction même de cette proposition de loi constitutionnelle est problématique. Il n'y a aucun consensus sur la manière de constitutionnaliser le droit à l'IVG puisque les différents textes, soumis tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, ont des rédactions différentes. Ces tâtonnements démontrent l'existence d'une véritable difficulté. Le ministre de la justice n'en disconvient pas, puisqu'il a déclaré au Sénat, le 19 octobre, qu'« une rédaction inadaptée pourrait en effet conduire à consacrer un accès sans condition à l'IVG. Je pense, par exemple, à des IVG bien au-delà de la limite légale en vigueur, ce qui n'est pas souhaitable ». Il expliquait qu'il partageait certaines craintes exprimées par la rapporteure, Agnès Canayer, au sujet de l'écriture de la proposition de loi constitutionnelle, identique à celle du texte que nous examinons.

La formulation proposée, selon laquelle « Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits » laisse penser que l'accès à l'IVG serait inconditionnel et absolu, sans possibilité pour le législateur de fixer des bornes. Il n'est pas déraisonnable de penser qu'au détour d'une question prioritaire de constitutionnalité pourrait alors surgir une demande d'IVG au-delà de la limite du délai légal.

La mention selon laquelle « la loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits » est également hasardeuse. Elle ouvre la porte à une forme de stipulation pour autrui en matière d'IVG. Dès lors, ce texte pourrait se révéler contraire au droit qu'il est censé protéger. Le droit des femmes à disposer de leur corps mérite mieux que ces textes maladroits, rédigés dans la précipitation, qui n'apporteront pas aux femmes une sécurité supplémentaire concernant l'IVG et la contraception, mais pourraient au contraire réduire leurs droits.

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C'est de la liberté des femmes à disposer de leur corps, objet de nos combats depuis tant d'années, qu'il est question. Je pense à l'accès à la contraception, à l'autonomie, au divorce et à l'IVG ou à la reconnaissance du viol : les femmes ont dû batailler pendant des siècles pour avoir le droit de disposer de leur corps, ou plutôt pour ne pas en être privées. Le corps de la femme, depuis les prémices de la littérature et dans les idéologies les plus conservatrices, n'a souvent été perçu et défini que comme un objet du désir masculin ou comme un objet reproductif servant à perpétuer une lignée ou à engendrer de la force de travail.

Dans le monde patriarcal, la femme est un objet et l'homme est le sujet. Ce n'est pas notre projet. Malgré des années de bataille sociale et les victoires arrachées par celles qui ont eu le courage de lutter pour ce qui est juste, le droit à l'IVG est remis en question dans plusieurs pays. Le patriarcat reprend de plus en plus de terrain sur les libertés des femmes et sur les conquêtes sociales. Nous ne pouvons y rester insensibles. Depuis plusieurs années, nous martelons ainsi la nécessité de constitutionnaliser l'avortement, non pas pour la forme ni par ambition politique, mais pour le protéger durablement.

Le film récemment consacré à Simone Veil retrace le combat que cette femme a dû mener, notamment dans l'institution au sein de laquelle nous nous trouvons, pour permettre aux femmes enceintes de pouvoir avorter et pour élargir leur droit à disposer de leur corps. Alors que la critique et les médias saluent unanimement ce film, le droit à l'IVG est lentement mais largement remis en cause. Des propos absurdes et venus d'un autre temps empoisonnent le débat public, même dans notre pays.

Chers collègues, vous ne pouvez promettre que le droit à l'avortement ne sera jamais aboli. Personne ne le peut. Nous avons cependant la chance de pouvoir agir en gravant ce droit dans le marbre. Nous pouvons le faire perdurer et dire à celles et ceux qui ont œuvré pour le faire adopter que leur travail n'a pas été vain. Nous souhaitons donner aux femmes le droit à la liberté, le droit de choisir la procréation ou la non-procréation. Nous voulons leur laisser le choix. C'est pour cette raison que la question du droit à la contraception est intimement liée à celle du droit à l'avortement.

La garantie de ces droits est essentielle pour quiconque souhaite préserver le droit à disposer de son corps. Or ce droit est remis en cause : en dix ans, 130 centres pratiquant l'IVG ont fermé. Certaines femmes ne peuvent ainsi avorter dans les délais impartis, en raison de la surfréquentation des centres restants et de leur manque cruel de moyens matériels et humains. Par ailleurs, les offensives réactionnaires se multiplient. De plus en plus de courants et de personnes, au sein même de l'Assemblée nationale, n'hésiteraient pas une seule seconde à remettre en cause le droit à l'IVG s'ils accédaient à la présidence de la République. Chaque jour, ils attaquent les femmes, les associations, le Planning familial et son action.

Dans ce contexte, le texte commun que nous défendons vise à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La protection de ces droits fondamentaux se résume en deux phrases à inscrire dans la Constitution pour garantir la liberté de procréer : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits. »

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« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes ». C'est Simone Veil qui a dit cette phrase, le 26 novembre 1974. Quarante-huit ans plus tard, il faut toujours l'avoir à l'esprit. Les mots prononcés par Simone Veil à l'époque étaient exigeants et nous devons aborder l'ensemble des mesures dont nous allons débattre avec la même exigence.

Ce combat est avant tout celui des femmes, mais il est aussi celui de toute une nation qui croit en des droits fondamentaux et pour laquelle la reconnaissance du droit des femmes à disposer de leur corps est essentielle.

Jusqu'en janvier 1975, l'avortement constituait un délit pénal sanctionné par cinq ans d'emprisonnement. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d'exercer, et les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l'étranger ou de recourir à des avortements clandestins. La reconnaissance du droit à l'interruption volontaire de grossesse fut un long chemin. On se souvient des combats publics : celui du manifeste des 343, des revirements judiciaires – l'acquittement de la jeune Marie-Claire – et des débats au Parlement, d'une rare violence, lors desquels Simone Veil, à l'époque soutenue au banc par Jacques Chirac, a défendu avec acharnement son texte, malgré des attaques d'une indignité personnelle absolue. Comme Simone Veil le soulignait si justement en novembre 1974 devant l'Assemblée nationale, l'avortement est un droit immense, autant qu'il est un drame – et cela le restera.

Par sept fois, le législateur a renforcé les dispositions relatives à l'accès au droit à l'IVG, avec la suppression de la notion de détresse, l'allongement des délais d'avortement ou encore le remboursement à 100 % par la sécurité sociale, en 2021, faisant de l'IVG un véritable droit pour la femme, au-delà d'une simple dépénalisation. Chacune de ces conquêtes est absolument majeure, et il n'est pas question de ne pas les défendre pied à pied. Vous nous trouverez toujours aux côtés de ceux qui luttent pour la conservation et le maintien de ces droits.

Faut-il aller vers une constitutionnalisation du droit acquis de l'accès à l'IVG ? Des arguments juridiques, selon lesquels une telle constitutionnalisation est inutile, pourraient être invoqués. Ils ne me semblent pas suffisants pour refuser que nous débattions de ce sujet, et je pense qu'un droit aussi fondamental peut et doit être protégé dans un texte fondamental, c'est-à-dire la Constitution. Il ne faut pas davantage refuser d'utiliser la constitutionnalisation comme un symbole. La Constitution a vocation à garantir des droits, mais aussi à les proclamer. Or ce droit doit être continuellement proclamé haut et fort.

Pour avancer collectivement dans cette voie, nous souhaitons cependant que certaines conditions soient réunies. La première est que nous soyons assurés que la portée constitutionnelle que nous voulons donner à l'accès à l'IVG ne remet pas en cause la conditionnalité à laquelle nous sommes tous attachés. La deuxième condition est de ne céder à aucune caricature, ni d'un côté ni de l'autre. Enfin, nous ne devons pas instrumentaliser ces textes. Je demande ainsi à la rapporteure comme aux députés de la majorité de ne pas faire d'un sujet aussi essentiel un trophée politique.

Ce texte nous donne l'occasion de rappeler ce que notre pays a fait de mieux : la loi Veil est une des grandes lois de la République. Nous souhaitons en inscrire les principes dans la Constitution. À nous de faire en sorte qu'un consensus émerge de nos débats.

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Le 24 juin dernier, dans une volte-face historique, la Cour suprême des États-Unis a invalidé l'arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, qui reconnaissait le droit à l'avortement dans l'ensemble des États fédérés. Ce sévère retournement de l'histoire prive petit à petit les femmes américaines de l'un de leurs droits fondamentaux, celui de disposer en conscience et librement de leur corps. Les conséquences sont dramatiques : les droits reproductifs de ces femmes seront inférieurs à ceux de leurs mères. Cette décision a créé une véritable onde de choc en France et partout dans le monde, à juste titre. Cela doit nous conduire à nous interroger sur notre capacité à anticiper de tels revers.

L'IVG est autorisée dans la majeure partie de l'Union européenne, mais l'accès à ce droit est parfois entravé. C'est le cas en Pologne, où il est cantonné à des cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, et en Italie, où le recours à l'IVG est désormais stigmatisé. Le droit d'avorter est fragilisé sur notre continent. Nous devons donc repenser les garanties offertes par notre droit. En France, l'accès à l'IVG est garanti par la loi Veil. La jurisprudence constitutionnelle l'a considérée comme conforme à la Constitution et notre bloc de constitutionnalité, en particulier l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, reconnaît la liberté de la femme. La loi du 2 mars 2022, à laquelle notre groupe a manifesté une large adhésion, a renforcé l'accès au droit à l'IVG en allongeant à quatorze semaines de grossesse le délai de recours.

Fort heureusement, aucun parti politique français n'a verbalisé à ce jour son souhait de revenir sur la loi Veil. Cependant, nous ne devons pas nous contenter de cet état de fait au motif que notre Constitution n'aurait pas vocation à cataloguer des droits individuels, au risque d'ouvrir une boîte de Pandore. Quelle difficulté y aurait-il à renforcer, en ces temps troublés, les gages donnés à la préservation de l'autonomie décisionnelle sur les questions reproductives ? Si nous en débattons aujourd'hui, c'est que ce droit ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit, à savoir une inscription dans notre norme suprême. Une quasi-unanimité se dessine à ce sujet, tant chez nos concitoyens que sur l'échiquier politique. En effet, huit Français sur dix se disent favorables à cette constitutionnalisation, et tant la majorité que l'opposition ont déposé des propositions de loi constitutionnelle en ce sens.

En ces temps de défiance à l'égard des droits des femmes, cette constitutionnalisation serait un signal fort envoyé au reste du monde, aucune Constitution ne reconnaissant aujourd'hui de façon positive le droit à l'IVG. Cependant, la révision de la Constitution ne doit pas se faire à la légère et nécessite un travail collectif de coconstruction. Le groupe Démocrate s'engage sur ce point. Le texte que nous examinons nous semble répondre au principal objectif de la consécration constitutionnelle du droit à l'IVG, mais la rédaction proposée ne nous satisfait pas complètement. À la suite du travail effectué en commission mercredi dernier, nous vous soumettons une écriture différente, plus protectrice selon nous des droits que nous cherchons à protéger. Par cette rédaction, nous poserons un principe intangible dans la Constitution, ensuite précisé par la loi. Ce principe trouve pleinement sa place à l'article 1er de la Constitution, qui énonce de nombreux droits fondamentaux, ciments de notre contrat social. Néanmoins, nous pourrions aussi imaginer faire figurer cette disposition au titre VIII, si cela permettait d'obtenir l'accord du Sénat.

En tout état de cause, le groupe Démocrate considère que le droit à l'IVG a toute sa place dans notre Constitution et votera en conséquence le dispositif retenu.

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Cette proposition de loi constitutionnelle de Mme Panot fait suite à celle de Mme Bergé, débattue la semaine dernière, à celle du groupe écologiste du Sénat, examinée le mois dernier, et à celle que j'avais déposée avec Cécile Untermaier. Ces différents textes démontrent l'importance et l'urgence de constitutionnaliser le droit à l'IVG, alors que le 24 juin dernier la Cour suprême américaine a ouvert, par un arrêt, la possibilité de restreindre ou d'interdire le droit à l'avortement à l'échelle fédérale. Des atteintes sont également portées au droit à l'IVG dans des pays européens tels que la Pologne, la Hongrie, l'Italie et peut-être bientôt la Suède. Qui aurait pu envisager une telle situation il y a seulement quelques années ?

S'il n'existe pas de menace directe envers ce droit en France, il faut se garder de toute illusion sur ce qui pourrait advenir. C'est aussi le rôle du droit constitutionnel que de prévenir de telles atteintes. L'absence de remise en cause du droit à l'IVG en France, à l'heure actuelle, constitue précisément la raison pour laquelle ce droit peut et doit être inscrit dans la Constitution dès maintenant. Une simple loi peut restreindre ce droit, que le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré, se montrant plutôt prudent et s'en remettant à l'appréciation du législateur. L'inscription de ce droit fondamental dans la Constitution le protégerait d'initiatives politiques visant à lui porter atteinte. Cela permettrait également de faire progresser la protection réelle du droit à l'IVG, notamment en matière d'accès aux services de santé et de gratuité. En étant la première à inscrire ce droit dans sa Constitution, la France confirmerait son attachement aux droits des femmes et enverrait un message fort aux autres pays. Le groupe socialiste avait proposé une telle consécration dès 2018, dans le cadre de la révision constitutionnelle, puis en juillet 2019 par une proposition de loi constitutionnelle.

Ces multiples initiatives ne doivent pas nous conduire à nous perdre dans des débats sémantiques, bien que plusieurs questions se posent, comme l'emplacement de ce droit dans la Constitution. En effet, il pourrait être inscrit à l'article 1er, qui pose les grands principes républicains, dans la continuité de l'alinéa relatif à la parité, ou dans un article 66-2, au sein du titre VIII traitant de l'autorité judiciaire. Nous privilégions, pour notre part, une inscription à l'article 1er. Par ailleurs, la formulation peut être négative – « nul ne peut » – ou positive – « la loi garantit ». La deuxième option, que nous préférons, a le mérite de faire référence au cadre législatif actuel, et évite de laisser supposer que personne ne pourrait se voir interdire le recours à l'IVG, y compris après les délais fixés par la loi. De plus, la formulation « la personne pouvant invoquer ce droit » semble préférable à « nul ne peut » ou « toute personne qui le demande », qui pourraient laisser entendre que le père, ou le géniteur, serait susceptible d'invoquer ce droit, comme l'ont montré plusieurs auditions. La formulation « nulle femme » est problématique puisqu'elle pourrait empêcher une personne transgenre de recourir à ce droit.

Enfin, nous nous réjouissons que cette proposition de loi constitutionnelle consacre aussi le droit à la contraception, intrinsèquement lié au droit à l'IVG, et nous voterons évidemment le texte.

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Nous partageons l'idée que l'inscription du droit à l'IVG dans notre Constitution serait un symbole politique fort à l'intention des femmes françaises, mais aussi du monde entier. Nous nous réjouissons qu'un consensus sur la constitutionnalisation de ce droit existe, comme en a témoigné la semaine dernière l'adoption à l'unanimité des votants du texte déposé par les députés du groupe Renaissance. C'est le signe d'une volonté affirmée des parlementaires au-delà des clivages politiques.

En revanche, un tel consensus transpartisan et bienheureux n'a pas été trouvé concernant la constitutionnalisation du droit à la contraception. Les amendements déposés en ce sens ont été rejetés par la commission des lois, et la réflexion sur ce sujet ne semble pas aboutie. Il serait regrettable que l'unanimité trouvée sur l'IVG pâtisse du désaccord sur la contraception.

De plus, il nous semble essentiel de réfléchir à la meilleure manière d'inscrire le droit à l'IVG dans notre Constitution. Les dispositions constitutionnelles, au sommet de la hiérarchie des normes, irriguent l'ensemble des autres normes. Il est de notre responsabilité que la rédaction retenue soit juridiquement fiable et ne conduise pas à une remise en cause du droit existant en matière d'IVG. Il faut sécuriser le dispositif juridique pour aujourd'hui et demain.

L'amendement que j'ai déposé permettra d'éviter les écueils signalés par plusieurs d'entre nous la semaine dernière en explicitant le rôle de la loi comme garante des conditions de réalisation de l'IVG. Cela n'atténuera en rien la force donnée au droit à l'IVG. Le Conseil constitutionnel pourra sanctionner une atteinte disproportionnée, mais le législateur aura la possibilité d'aménager les conditions dans lesquelles ce droit est garanti sans risquer une censure a priori ou a posteriori.

Le groupe Horizon votera ce texte sous réserve du retrait de la mention de la contraception.

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Mon groupe votera cette proposition de loi constitutionnelle, de même qu'il a voté celle de Mme Bergé.

La question qui se pose est celle de la constitutionnalisation du droit à l'IVG. S'il n'est pas remis en cause en France, des débats sur ce droit refont surface dans plusieurs pays et son effectivité régresse. Il existe aujourd'hui une opportunité historique d'inclure ce droit dans la Constitution. Si cette dernière n'est pas une garantie absolue contre une vague conservatrice, elle est un rempart assez important contre une majorité qui pourrait arriver au pouvoir sans s'installer dans le temps. La société et la représentation politique étant majoritairement favorables à la constitutionnalisation de ce droit, il faut avancer.

Notre Constitution porte davantage sur l'organisation des pouvoirs que sur la garantie des droits, largement consacrés par le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de notre Constitution. C'est ce qui a inspiré à M. Pradié son amendement. Toutefois, ce préambule est un texte historique que l'on ne peut facilement modifier. Nous ne voudrions pas que cet argument soit invoqué de façon spécieuse contre la constitutionnalisation du droit à l'IVG : il faut avoir le courage d'inscrire ce droit dans le texte principal.

J'ai bien noté la position du Rassemblement national, qui ne me surprend pas. Pour autant, les débats au Sénat ont montré la nécessité de convaincre la droite d'appuyer cette constitutionnalisation. Nous devons donc parvenir à des compromis.

Nous avions proposé une rédaction plus ambitieuse que celle de Mme Bergé ; celle de Mme Panot nous convient très bien. Cependant, la garantie du droit à l'IVG devrait être inscrite à l'article 1er de la Constitution, car elle relève de la citoyenneté et de l'égalité, et non de l'organisation de l'autorité judiciaire. S'agissant de la formulation du dispositif, nous préférons celle proposée par Mme Panot, qui est positive et inclut la contraception, que nous devons constitutionnaliser au même titre que l'IVG. Par ailleurs, cette rédaction ne pose pas de problème pour les personnes transgenres, contrairement à celle de Mme Bergé, et elle impose au législateur de garantir un droit.

Si la rédaction proposée n'est pas aussi protectrice que celle que nous souhaitions – qui consacrait le délai de quatorze semaines, la continuité des soins et la gratuité –, la formulation retenue est sans doute suffisamment forte pour nous protéger d'une régression concernant l'effectivité du droit à l'IVG.

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Le groupe GDR-NUPES votera ce texte. La situation en Hongrie, aux États-Unis ou, plus récemment, en Italie justifie les craintes de revers dans notre pays aussi en matière d'IVG. Nul ne peut affirmer que nous sommes totalement à l'abri d'une régression. Le droit des femmes à disposer de leur corps est toujours particulièrement ciblé lorsque des retours en arrière s'enclenchent.

Le Front national projetait, en 2012, de dérembourser l'IVG, au motif qu'elle était parfois utilisée comme un mode de contraception, dit « IVG de confort ». Il ne faut pas négliger la menace d'atteintes au droit à l'IVG en France. Le rapport d'information de la délégation aux droits des femmes sur l'accès à l'IVG, publié en septembre 2020, a ainsi montré que les opposants à ce droit n'ont jamais désarmé et qu'ils ne cessent de se renforcer. Leur offensive, bien réelle en France, est encore plus violente dans d'autres pays, y compris européens. Par ailleurs, je m'étonne de l'argument selon lequel ce droit n'étant pas en danger, il ne serait pas nécessaire de le constitutionnaliser. Il faut renverser la perspective : s'il était réellement menacé, comment pourrions-nous le constitutionnaliser afin de mieux le protéger ? Il serait alors difficile de réunir les conditions pour y parvenir.

Le combat que nous menons n'est ni nouveau, ni engagé à la va-vite, comme j'ai pu l'entendre dire ce matin. Nous avons proposé de nombreux textes pour constitutionnaliser ce droit. Au cours de la précédente législature, de manière parfois transpartisane, nous avons également milité pour la suppression de la double clause de conscience du médecin, qui est un frein, souvent utilisé ces derniers temps, à l'effectivité réelle de ce droit. Le droit à l'IVG et à la contraception est aussi en danger à cause de l'important manque de moyens dans les hôpitaux publics. La fermeture de 130 centres pratiquant l'IVG dans les quinze dernières années et les difficultés rencontrées par d'autres centres accentuent la menace pesant sur le droit à l'IVG. Les personnes en situation de pauvreté, de migration, d'exclusion et mineures en sont les premières victimes.

Dans ce contexte, la constitutionnalisation du droit à l'IVG et du droit à la contraception devient une urgence autant qu'un modèle à partager. Nous avons l'opportunité d'inscrire ce droit dans le marbre de la Constitution en lui donnant un statut de droit fondamental, ce qui rendrait plus difficile une remise en cause. Constitutionnaliser ce droit contribuerait également à sortir du tabou qui entoure encore l'IVG. Il s'agirait également d'un symbole, que nous revendiquons. Énoncer un principe est tout sauf un geste futile.

Nous avons voté, la semaine dernière, le texte de Mme Bergé. Nous préférons toutefois la formulation proposée par Mme Panot, qui est plus précise, non excluante et plus complète, puisqu'elle comprend aussi le droit à la contraception. Nous voterions également avec enthousiasme un texte présenté par le Gouvernement.

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Une semaine après le vote de la proposition de loi constitutionnelle défendue par Mme Bergé, notre position n'a pas changé : nous soutiendrons également ce texte.

Depuis la loi Veil, le droit à la contraception et le droit à l'accès à l'IVG n'ont pas cessé d'être renforcés grâce au travail mené par les parlementaires. Des évolutions essentielles et concrètes ont ainsi été décidées ces dernières années – remboursement de certains contraceptifs, prise en charge à 100 % de l'IVG pour toutes les femmes ou encore suppression du délai de réflexion obligatoire de sept jours. Sous la précédente législature, une loi a également permis d'étendre le délai maximal pour avorter à quatorze semaines, plaçant la France à l'avant-garde des pays de l'Union européenne, où la moyenne s'établit à douze semaines.

Notre groupe comprend les inquiétudes de certains, compte tenu des débats qui animent la société. Cependant, il nous paraît étonnant de réagir de l'autre côté de l'Atlantique à la décision de la Cour suprême américaine. La question ne peut se poser en France dans les mêmes termes. Il aurait été plus pertinent d'évoquer les dernières évolutions inquiétantes qui ont eu lieu en Europe, notamment en Hongrie et en Pologne.

Par ailleurs, nous devrions réfléchir à l'absence de droits fondamentaux dans la Constitution de 1958, essentiellement axée sur l'organisation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et sur leurs rapports. La consécration du droit, essentiel, à l'IVG serait une avancée, mais quid des autres droits et libertés fondamentaux ? La demande des citoyens de les voir inscrits explicitement dans notre Constitution doit être entendue. Une réflexion pourrait être envisagée dans le cadre d'une révision constitutionnelle d'ampleur.

Enfin, notre groupe souligne l'importance de rassurer les citoyens sur la protection actuelle du droit à l'IVG, et rappelle la nécessité de lever les freins à son exercice.

Depuis 1975, la jurisprudence constitutionnelle a toujours considéré les lois relatives à l'avortement comme conformes à la Constitution. En outre, depuis 2001, le Conseil constitutionnel mentionne systématiquement la liberté de la femme, qu'il rattache à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle. Il est donc très probable que le Conseil n'hésiterait pas à censurer une loi interdisant ou restreignant fortement l'IVG, dès lors qu'elle priverait de garanties légales cette liberté de la femme. Cependant, notre groupe reconnaît que c'est moins certain pour le droit à la contraception, qui ne dispose pas d'une reconnaissance aussi forte.

L'accès à l'IVG et à la contraception est encore soumis à des difficultés pratiques et à des fractures sociales et territoriales importantes, qui imposent une réponse forte de la part de l'État. Je salue, à cet égard, la précision de la présente proposition de loi constitutionnelle concernant la garantie d'un accès libre et effectif à ces deux droits. Au-delà des avancées symboliques, la question pour les citoyens français est, en effet, celle de l'exercice concret et sans entrave des droits.

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Nous tenons à intégrer la contraception dans ce texte, car nous la considérons comme le corollaire de l'IVG. Lorsque le droit à l'IVG sera menacé, les premières atteintes ne seront pas directes, mais pernicieuses. En Pologne, avant de restreindre le droit à l'avortement, au point de quasiment l'interdire, c'est d'abord la délivrance de la pilule du lendemain sans ordonnance qui a été interdite.

Par ailleurs – et cela répond aussi à la question de la place de l'inscription de ces dispositions dans la Constitution, sujet sur lequel nous sommes ouverts –, ces questions ne relèvent pas seulement des droits des femmes, mais de la citoyenneté. La capacité de reproduction de notre société politique est fondée sur les droits sexuels et reproductifs, dont font partie l'IVG et la contraception. Leur inscription dans la Constitution doit aller de pair.

S'agissant de la conditionnalité, notre rédaction garantit le droit à l'IVG, tel qu'il existe aujourd'hui, sans empêcher des avancées ultérieures, par exemple la suppression de la double clause de conscience.

Je suis favorable à une formulation positive du droit à l'avortement. Les débats auxquels a donné lieu l'adoption de la proposition de loi de Mme Bergé nuisent à la cause que nous défendons.

Par votre amendement CL5, chers collègues du groupe Renaissance, vous entendez arrimer notre rédaction à celle de Mme Bergé, ce qui est peu respectueux du travail parlementaire. Il peut y avoir plusieurs manières d'écrire ce droit. D'ailleurs, la rédaction de votre proposition de loi soulève des interrogations majeures, à tel point que le Gouvernement, m'a-t-on dit, réfléchit à une reformulation.

En cas de référendum, le débat serait très vite orienté, du fait de la campagne que mèneraient des mouvements anti-choix très bien financés et organisés. À titre d'illustration, le groupe Rassemblement national trouve tous les prétextes pour s'opposer aux mesures proposées sans dire qu'il est contre l'IVG. En voyant ce qu'ont écrit plusieurs députés du RN, on a une idée du climat qui régnerait lors de la campagne référendaire. Ainsi, Mme Caroline Parmentier écrivait, en mai 2018 : « Après avoir génocidé les enfants français à raison de 200 000 par an, on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants ». M. Hervé de Lépinau a comparé, sur son compte Twitter, en octobre 2020, l'allongement du délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines aux génocides arménien et rwandais, à la Shoah et aux crimes de Daech. Le 27 novembre 2014, lors de la commémoration des 40 ans de la loi Veil, il écrit sur ce même compte : « Sinistre anniversaire. Hommage aux millions de victimes de l'avortement. Non à la culture de la mort, oui à la vie. » M. Christophe Bentz, lors de la marche pour la vie, en 2011, déclare : « L'avortement est un génocide de masse ». Enfin, Mme Laure Lavalette signe en 2014 un texte demandant l'abrogation du droit à l'avortement. On pourrait parler des autres mouvances proches de ces idées.

Nous voulons un projet de loi constitutionnelle, présenté par le Gouvernement, qui constitutionnalise le droit à l'avortement. Nous voterions ce texte, dont je souhaiterais qu'il inclue la contraception. La France s'honorerait à être le premier État à inscrire de manière positive le droit à l'avortement dans sa Constitution.

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Je suis surpris que, sur ce sujet, vous refusiez le référendum, alors que vous êtes partisane du référendum d'initiative citoyenne. Il ne faut pas avoir peur du débat ! Vous ne souhaitez le débat que lorsque les sujets vous conviennent : autrement dit, vous pratiquez la démocratie sélective. Par ailleurs, le naming and shaming auquel vous venez de vous livrer m'a un peu choqué : montrer du doigt des collègues n'est pas une belle manière de faire avancer le débat et de chercher le consensus. Vous êtes en réalité dans une logique d'exclusion et de confrontation.

La question n'est pas d'être pour ou contre l'IVG, mais pour ou contre un IVG conditionnel. Contrairement à ce qui a été dit, le texte de Mme Bergé n'a pas été voté à l'unanimité : pour ma part, j'ai voté contre – et je continuerai à voter en ce sens – car on n'a pas de réponse sur la conditionnalité. Madame la rapporteure, êtes-vous pour ou contre la conditionnalité de l'accès à l'IVG ? Si vous êtes favorable à des conditions, en particulier de délais, sur quoi les fondez-vous ? On sait qu'à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le sujet sera abordé.

Il ne faut pas opposer le camp du bien à celui du mal. Nous sommes dépositaires de l'héritage de la loi Veil, qui a recherché un équilibre entre le droit de la femme à disposer de son corps, qui n'est pas absolu, et la protection de la vie à naître.

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Je n'ai pas peur du débat : je vous explique l'ambiance qui régnerait dans le pays en cas de référendum. Les nombreuses femmes qui ont avorté se voient expliquer qu'elles commettent un génocide, qu'elles sont des meurtrières… C'est pourquoi je souhaite le vote d'un projet de loi constitutionnelle par le Congrès, dans la mesure où la majorité des deux tiers me paraît pouvoir être réunie. La société y est largement favorable.

Personne ne vous parle d'un droit absolu. Nous souhaitons inscrire dans la Constitution que « la loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits. » On peut citer, parmi les conditions, les délais et la gratuité. On ne peut pas être plus clair. Je ne comprends pas votre argument.

Les constitutionnalistes que nous avons interrogées sur les risques de censure sont très confiantes, compte tenu de la formulation positive que nous proposons.

Avant l'article unique

Amendement CL1 de M. Aurélien Pradié.

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L'amendement vise à inscrire dans le préambule de la Constitution les principes de la loi Veil. Madame la rapporteure, puisque vous ne souhaitez pas un accès inconditionnel à l'IVG, vous devez apporter des assurances, au même titre que la majorité, sur les principes auxquels nous devons nous référer. Il s'agit, à notre sens, des principes de la loi Veil, enrichis des acquis ultérieurs.

Ce n'est pas une manière pour nous de nous cacher. Nous défendrons bec et ongles tout ce qui permet de consolider et de graver dans le marbre l'accès à l'IVG, selon les conditions fixées par la loi. Sur un texte aussi important, on ne peut pas, en effet, se chercher d'excuses. Il est vrai, également, que les attaques contre l'IVG dans plusieurs pays d'Europe ne portent pas directement sur l'avortement, mais sur les moyens d'y avoir accès.

Les députés Les Républicains sont les héritiers des grands combats de Simone Veil. Ils entendent continuer à les mener aujourd'hui. L'objet de cet amendement est de rassurer tout un chacun sur le fait que la constitutionnalisation de ce droit n'emporte pas de faiblesses qui pourraient nuire à l'intérêt des femmes.

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Parmi les grands principes de la loi Veil, certains sont encore d'actualité, en particulier la dépénalisation, même si je rappelle qu'en 1975, il ne s'agissait que d'une expérimentation. Depuis, les règles ont évolué : le délai dans lequel l'IVG peut être pratiquée est passé de dix à quatorze semaines, la prise en charge a atteint 100 %, il a été créé un délit d'entrave, le délai de réflexion a été supprimé et les sages-femmes sont désormais habilitées à procéder aux IVG.

Lorsque nous écrivons « La loi garantit… », il s'agit d'inscrire dans la Constitution le droit à l'IVG tel qu'il existe aujourd'hui, tandis que votre rédaction permettrait d'éventuels retours en arrière. Avis défavorable.

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Nous sommes en 2022, le monde a évolué. Comment peut-on prétendre soutenir le droit à l'IVG en s'appuyant systématiquement sur le droit – inexistant – de l'enfant à naître ? Soit on soutient les droits des femmes, soit on invente un nouveau droit qui s'y oppose absolument et directement, et qui repose sur un fantasme. On doit cesser de raconter cette histoire d'avortements qui auraient lieu à neuf mois de grossesse ! C'est autour de cela que se développent ces amendements. On parle de constitutionnaliser un droit et non de le réécrire : il serait bon que l'on revienne au sujet et que l'on réalise en commun ce travail somme toute assez simple.

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Nous avions déjà proposé cet amendement lors de l'examen du texte présenté par Aurore Bergé, qui avait donné un avis empreint de la même mauvaise foi. Nous ne proposons pas de constitutionnaliser la loi Veil, mais seulement ses principes fondamentaux. Il ne s'agit pas de revenir en arrière, mais d'indiquer qu'il y a un équilibre à préserver. Parmi les articles du code civil qui n'ont jamais été retouchés figurent ceux relatifs à l'inaliénabilité et à la non-marchandisation du corps humain. De fait, lorsqu'on parle de l'IVG, on traite aussi du corps humain. La liberté de disposer de son corps et la nécessité absolue d'avoir accès à l'IVG ne doivent pas occulter une réflexion sur le cadre dans lequel ces principes évoluent. Des marches dangereuses peuvent se présenter, tels que l'eugénisme et la marchandisation. Il faut faire très attention lorsqu'on cherche à exciter les foules sur des sujets qui font pourtant consensus dans notre pays.

La commission rejette l'amendement.

Article unique (art. 66-2 [nouveau] de la Constitution) : Protection des droits à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception

Amendements CL4 de M. Erwan Balanant, amendement CL3 de M. Erwan Balanant et sous-amendement CL8 de Mme Mathilde Panot, amendement CL7 de Mme Mathilde Panot (discussion commune).

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Les amendements CL4 et CL3 sont issus de la réflexion engagée au sein de la délégation aux droits des femmes et à la suite des débats de la semaine dernière. Ils ont pour objet d'insérer la phrase suivante : « La loi garantit l'effectivité, l'égal accès à l'interruption volontaire de grossesse et son recours est libre, autonome et consenti. » Cette rédaction me paraît la plus adaptée pour assurer l'exercice des libertés. Elle protège la société et toutes les femmes.

Le fait de placer cette disposition à l'article 1er ou dans un nouvel article 66-2 n'emporte aucune conséquence juridique, mais du choix qui sera fait dépendra la portée symbolique de la mesure. À cet égard, l'article 1er me paraît plus adapté. Toutefois, si l'inscription au titre VIII permettait d'obtenir l'accord du Sénat, nous devrions, dans le cadre de la construction collective avec la Haute Assemblée, retenir cette solution.

Je ne verrais aucun inconvénient à ce que l'amendement CL3 fasse l'objet du sous-amendement CL8, qui est rédactionnel.

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L'amendement CL7 vise à remplacer la rédaction actuelle par la formulation positive « La loi garantit… » en y incluant la contraception. L'avortement et la contraception sont en effet des droits indissociables.

Monsieur Balanant, je propose qu'on inscrive cette disposition à l'article 66-2, donc mon avis est défavorable sur l'amendement CL4. En revanche, je suis favorable à l'amendement CL3 sous-amendé, même si je préférerais que nous adoptions le CL7. La première phrase de l'alinéa 2 nous paraissait constituer une garantie contre toute forme de régression mais, après réflexion, il nous paraît préférable de substituer à la forme négative « Nul ne peut porter atteinte… » la tournure positive « La loi garantit… », qui nous prémunit toujours contre la régression, tout en consacrant une IVG à droit constant.

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La rédaction de l'amendement CL7 me paraît préférable, dans la mesure où il garantit le droit à la contraception. Les Français sont favorables à 87 % à l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution, et à 92 % à l'inscription du droit à la contraception. Nous entendons défendre les deux.

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Je retire l'amendement CL4 pour faire un pas vers les sénateurs. Je suis intimement persuadé que la contraception et l'IVG forment les deux plateaux d'une même balance, mais il faut, à mon sens, opérer une distinction entre les deux concernant l'inscription dans la Constitution. Je préfère laisser la loi traiter de la contraception.

L'amendement CL4 est retiré.

La commission rejette successivement le sous-amendement CL8 et les amendements CL3 et CL7.

Amendement CL5 de Mme Sarah Tanzilli.

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Il s'agit d'un amendement de cohérence vis-à-vis du texte adopté par notre commission la semaine dernière.

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Cette méthode me paraît inacceptable. Vous voulez revenir à la rédaction de la proposition de loi de Mme Bergé alors que de nombreux collègues, ainsi que le Planning familial, se sont interrogés sur la portée de ces dispositions pour les personnes transgenres. Plusieurs constitutionnalistes jugent cette formulation négative dangereuse. Vous ne pouvez vous empêcher de vider complètement une proposition de loi de l'opposition de son contenu ou de la rendre identique à ce que vous avez proposé. C'est irrespectueux du travail mené entre différents groupes parlementaires, alors même que je viens de donner un avis favorable sur un amendement du MODEM et que la tournure positive que nous avons proposée répond aux interrogations du groupe Les Républicains. Avis défavorable.

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Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la commotion que la modification de votre proposition de loi constitutionnelle a créée dans le monde des associations féministes, des activistes et des personnes LGBTQI, qui se retrouvent exclues par cette rédaction. Les personnes trans subissent une grande violence, que vous encouragez par cette formulation. Nous étions parvenus à un consensus qui réunissait une partie de la majorité et des oppositions. Je vous demande de retirer cet amendement.

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Je crois exprimer le point de vue de mon groupe en affirmant que nous sommes très déçus par ce qui vient de se passer. Sur le fond, inscrire une phrase positive dans la Constitution aurait constitué un symbole plus fort que la formulation négative qui est proposée, et cela aurait de surcroît institué des garde-fous. Le fait de revenir à une phrase négative ne nous convient pas. Aussi, je pense que les membres de mon groupe voteront contre l'amendement. Quant à la forme, nous étions parvenus à un certain consensus ; nous partagions la volonté de travailler collectivement, comme les Français nous l'ont demandé lors des dernières élections. C'est un sujet sur lequel nous devons montrer à nos concitoyens que nous avons compris leur volonté. Or, ce n'est pas le signal que nous allons donner.

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Chers collègues du groupe Renaissance, vous avez dit à qui voulait bien l'entendre, hier, que vous voteriez notre proposition de loi constitutionnelle, mais vous auriez dû ajouter : à condition qu'elle soit identique à la nôtre. Une fois de plus, vous montrez un irrespect déplorable pour le travail parlementaire. Nous avons voté votre texte en commission, la semaine dernière, comme nous l'avions annoncé. Nous voulons un projet de loi constitutionnelle et nous avons soulevé la question du référendum, à laquelle vous n'avez jamais répondu. Souffrez que deux formulations différentes soient discutées en séance, ce qui nous offrirait des marges de manœuvre avec le Sénat.

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Je propose une troisième formulation, qui s'appliquerait aux femmes comme aux personnes trans : « Nul ne peut être privé du droit d'interrompre volontairement sa grossesse. » La Constitution doit garantir les mêmes droits à toutes les personnes, dans leur diversité. Par ailleurs, la rédaction proposée se heurte à une difficulté : les hommes aussi ont droit à la contraception ; celle-ci ne peut reposer entièrement sur les femmes.

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Pour la première fois, l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution est à notre portée. Nous devons le faire de manière apaisée et respectueuse du travail des uns et des autres. Nul ne peut prétendre détenir la vérité. J'ai déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire ce droit à l'article 1er. Je suis favorable à une affirmation des droits procréatifs. Aucune des propositions faites dans les amendements ne me satisfait pleinement, mais on doit se fixer pour objectif de mener à bien la constitutionnalisation. L'adoption de l'amendement du MODEM, visant à introduire une formulation positive, n'aurait pas détruit le travail accompli par la majorité. Nous avions déposé un amendement qui allait dans le même sens lors de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle d'Aurore Bergé. Je suis prête à renoncer à placer la disposition à l'article 1er, pourvu que l'on affirme les droits procréatifs. Nous ne voterons pas cet amendement car nous devons travailler en commun.

L'amendement est retiré.

Amendements CL2 de M. Erwan Balanant et CL6 de Mme Anne-Cécile Violland (discussion commune).

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L'amendement CL2 vise à retirer la contraception de la proposition de loi constitutionnelle. En effet, si l'avortement et la contraception sont liés, il ne nous paraît pas adapté, juridiquement, d'inscrire la seconde dans la Constitution. Je propose que nous travaillions à la rédaction d'un amendement commun d'ici à la séance afin de dépasser les clivages politiques.

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Il s'agit également de retirer la contraception du texte, car cela le fragiliserait. La réflexion mérite toutefois d'être poursuivie. Par ailleurs, l'amendement vise à ce que la loi « détermine les conditions dans lesquelles ce droit est garanti. » On peut estimer que cette formulation, plus sobre, est aussi plus efficace. Elle n'atténue aucunement la force conférée au droit à l'avortement puisque le Conseil constitutionnel censurerait des atteintes disproportionnées.

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Monsieur Balanant, en supprimant la seconde phrase, vous aboutissez à un résultat inverse à celui que vous recherchiez par l'amendement CL3. Je vous demande donc de retirer votre amendement ; à défaut, mon avis serait défavorable.

Madame Violland, la contraception et l'avortement sont des droits indissociables et fragiles. Le droit à la contraception est souvent attaqué en amont du droit à l'avortement. Il faut constitutionnaliser les droits tant qu'ils ne sont pas en danger immédiat ; après, on ne pourrait plus le faire sereinement. Avis défavorable.

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Nous retirons l'amendement. Nous souhaitons néanmoins avoir un débat sur le droit à la contraception qui, à nos yeux, n'a pas la même portée juridique que le droit à l'avortement. Le fait de retirer la contraception permettrait aussi d'obtenir une majorité au Sénat. Nous devons faire preuve de réalisme.

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Il me paraît nécessaire de privilégier une rédaction positive, qui mentionne dans la Constitution la garantie que devrait offrir la loi au droit à l'IVG, sans l'étendre au droit à la contraception.

L'amendement CL2 est retiré.

La commission rejette l'amendement CL6.

Elle adopte ensuite l'article unique non modifié.

L'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est ainsi adopté.

Proposition de loi visant à abolir la corrida : un petit pas pour l'animal, un grand pas pour l'humanité (n° 329) (M. Aymeric Caron, rapporteur).

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La proposition de loi dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur semble parler des taureaux, mais c'est une illusion. En réalité, elle parle de nous, les humains. Elle parle de chacune et chacun d'entre vous, et elle interroge votre conscience. Elle vous demande : qui êtes-vous réellement ? Êtes-vous de ceux qui cautionnent la torture et l'exécution publique d'un animal ? Ou de ceux qui s'élèvent contre ce qu'il faut bien appeler une barbarie ?

Car, oui, la corrida est une barbarie. Non pas un spectacle où le courage, la bravoure, le respect et les autres valeurs mises en avant par les aficionados s'exprimeraient réellement, mais un acte cruel, indigne de notre époque, une cérémonie hypocrite où l'animal prétendument honoré est massacré avec une précision et un raffinement qui confinent au sadisme, comme le soutiennent les vétérinaires et les psychiatres que nous avons auditionnés dans le cadre de cette proposition de loi.

Si vous en doutez, il est important de prendre quelques minutes pour vous expliquer ce dont nous parlons. Une corrida se déroule en plusieurs temps, appelés « tercios ». Lors du premier tercio intervient un picador monté sur un cheval, armé d'une pique qui mesure 2,60 mètres, au bout de laquelle est fixée une pointe en acier. Le picador fait pénétrer sa pique, à plusieurs reprises, dans le cou du taureau, où elle peut s'enfoncer jusqu'à 30 centimètres.

La pique coupe, blesse et traumatise les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs et les structures osseuses des vertèbres cervicales et principalement thoraciques. Elle peut blesser les côtes, les omoplates et leurs cartilages d'extension. La pique sectionne également de nombreux vaisseaux sanguins, ce qui provoque une hémorragie abondante avec une perte de sang estimée entre 8 et 15 % du volume sanguin. La pique a pour objet, paraît-il, de montrer la bravoure du taureau.

Le deuxième tercio est celui des banderilles – six bâtons agrémentés de froufrous colorés qui mesurent 70 centimètres et qui se terminent en leur pointe par un harpon d'acier de 6 centimètres. Le harpon va s'insérer dans les chairs et les travailler, à chaque mouvement de l'animal, afin de le faire souffrir et de l'affaiblir davantage. Les banderilles sont plantées par paire, en trois fois, dans les zones précédemment blessées par les coups de piques. Les harpons ont également pour effet d'augmenter la perte de sang.

Au troisième tercio entre en scène le torero et sa muleta. Les passes finales finissent d'épuiser le taureau afin de faciliter sa mise à mort, pour laquelle le torero utilise l'estoque, une épée d'une longueur de 88 centimètres, qui est censée s'introduire dans la cavité́ thoracique de l'animal et sectionner toutes les structures anatomiques sur son passage : lobes pulmonaires, bronches, vaisseaux sanguins de plus ou moins gros calibre et parfois, trachée et œsophage. Dans environ 10 % des cas, les coups transpercent le diaphragme et touchent le foie et le ventre. Si l'épée a sectionné la veine cave caudale et l'artère aortique postérieure, le thorax se remplit de sang immédiatement.

Le taureau suffoque en crachant ou en vomissant du sang. Dans les faits, l'estocade est souvent ratée ; l'épée n'a pas suivi le bon chemin dans le corps de l'animal ; elle a du mal à s'enfoncer là où il faudrait ; le matador s'y reprend à plusieurs fois.

Si le taureau met trop de temps à tomber, on utilise une autre épée, un descabello.

À ce moment-là, le taureau n'est pas encore mort : vous verrez donc des toreros frapper la tête du taureau à quatre, cinq ou six reprises, s'acharner presque désespérément parce que l'animal n'arrive pas à mourir. Alors on l'achève avec un petit poignard, appelé puntilla. Cette lame de 10 centimètres est plantée entre l'os occipital et la première vertèbre cervicale, ce qui blesse un centre nerveux important, le bulbe rachidien. Souvent, vous vous en doutez, un seul coup de puntilla ne suffit pas. Ensuite, les taureaux sont parfois traînés encore vivants hors de l'arène.

Voilà le résumé de ce que certains appellent un art et qu'il faudrait, paraît-il, conserver. Pourtant, tout esprit logique comprend aisément que la succession des actions que je viens de vous décrire n'est rien d'autre qu'une séance de torture. Les tribunaux le reconnaissent depuis très longtemps, pointant sans la moindre ambiguïté les souffrances endurées par l'animal.

D'ailleurs, la loi française est extrêmement claire sur le sujet : elle interdit les corridas en France par l'article 521-1 du code pénal, qui punit les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux. C'est en vertu de cet article qu'il est impossible d'organiser une corrida à Paris, à Lille ou à Nantes.

Toutefois, en 1951, un amendement a été introduit dans la loi pour permettre à certaines villes d'organiser malgré tout des corridas, en s'appuyant sur le prétexte d'une « tradition locale ininterrompue ». C'est cette exception absolument inégalitaire, ce passe-droit injuste qu'il faut supprimer.

Les défenseurs de la corrida invoquent l'excuse de la tradition. Or la corrida est une tradition non pas française, mais espagnole. Elle n'a été introduite en France qu'en 1853, pour faire plaisir à l'épouse de Napoléon III, qui était andalouse. De toute façon, la tradition n'a jamais établi la validité morale d'une pratique. L'excision aussi est une tradition ; pourtant, il ne viendrait à l'idée de personne dans cette salle de la défendre.

Il y a quelques jours, un jeune homme a été condamné par la justice française à quatre mois de prison parce qu'il torturait et dépeçait des chats, et qu'il se filmait lors de ce qu'il considérait peut-être comme des performances, voire des performances artistiques, qui sait ? Si cet homme avait organisé tout un décorum autour de ces actes de torture, s'il avait mis un joli costume avec des couleurs bigarrées, s'il avait accompli ses gestes de dissection avec une chorégraphie particulière, s'il avait expliqué que la torture des chats est une vieille tradition familiale ou une tradition de son village, cela aurait-il rendu son geste acceptable ? Je connais votre réponse.

Par ailleurs, si cette tradition s'appuie sur une idéologie et une mythologie propres, sur des croyances singulières, si singulières qu'elles s'affranchissent du droit commun et de la loi républicaine, alors cette tradition devient un séparatisme. Or vous êtes ici nombreux à dénoncer toutes les formes de séparatisme. Pourquoi la torture d'un animal serait-elle le fondement d'un séparatisme acceptable ?

Pour se dédouaner de toute responsabilité, certains prétendent qu'il est inutile de légiférer pour interdire la corrida, car elle est en perte de vitesse et finira par mourir d'elle-même. Outre qu'il est hypocrite, ce raisonnement ne tient pas debout : soit on juge que la corrida est une tradition barbare, cruelle et dépassée, et alors il faut l'abolir ; soit on juge que la corrida est une tradition respectable, auquel cas il faut la défendre, non la regarder mourir sans agir.

Interdire la corrida serait une catastrophe économique. Faux ! Lorsqu'une feria est organisée dans une ville, à Nîmes par exemple, seulement 2 à 4 % des visiteurs de la feria se rendent à une corrida. On peut même considérer qu'interdire les corridas attirerait dans les ferias des gens qui refusent d'y mettre les pieds parce qu'ils savent qu'on y organise des événements dans lesquels on tue des taureaux.

La fin de la corrida entraînerait celle de la culture taurine, en particulier des courses landaises et camarguaises. Faux ! Les courses sans torture ni mise à mort ne sont absolument pas concernées par la proposition de loi.

Interdire la corrida consisterait à mettre le doigt dans l'engrenage insupportable de l'antispécisme. D'une part, beaucoup de ceux qui emploient cet argument ignorent ce qu'est l'antispécisme. D'autre part, interdire la corrida serait en réalité la suite logique de toutes les avancées obtenues pour les animaux depuis la première loi de protection animale, la loi Grammont de 1850. Ce serait une nouvelle étape après la loi du 30 novembre 2021 visant à « lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes », texte voté par les députés En marche, lesquels ne sont pas, à ma connaissance, de dangereux antispécistes. Le ministre de l'intérieur, M. Gérald Darmanin, ne l'est pas davantage, lui qui vient d'annoncer la création d'une division d'enquêteurs chargée de la maltraitance animale. C'est tout simplement la preuve que ces sujets progressent dans la société, car nous en savons plus aujourd'hui sur la sensibilité et l'intelligence des animaux, et nous avons compris que certaines maltraitances sont intolérables.

En réalité, aucune excuse n'est acceptable pour refuser d'abolir la corrida, pas même celle de la manœuvre électoraliste visant à ne pas froisser certains électeurs de régions dites taurines. Près de neuf Français sur dix réclament désormais la fin de ce pseudo-spectacle. En notre qualité de députés, il nous revient de les écouter et de les représenter. C'est même notre devoir.

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Notre commission examine la proposition de loi intitulée « abolir la corrida : un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité », défendue par notre collègue de La France insoumise Aymeric Caron. Ce texte vise à modifier le titre II du livre V du code pénal afin de supprimer la dérogation, introduite en 1951 et validée par le Conseil constitutionnel en 2012, reconnaissant et consacrant juridiquement une tradition ininterrompue dans certains territoires. À cet égard, monsieur le rapporteur, vous mentionnez dans votre rapport « une tradition locale factice » et « une dérive identitaire qui ne sait se remettre en question ». Vous avez donc fait le choix de la radicalité et de la caricature.

Je n'entends pas participer au débat récurrent sur les différentes pratiques tauromachiques, ni sur l'éternelle opposition entre ce qui relèverait de l'art et ce qui relèverait de la cruauté, d'une tradition désuète et condamnable moralement. Je n'entends pas davantage tirer de manière anticipée, voire hâtive, les conséquences de la diminution progressive de la fréquentation des arènes, laquelle pourrait fonder, voire justifier que nous décidions d'interdire désormais cette pratique.

Par ailleurs, ayant lu avec attention les dispositions des articles 521-1 et 522-1 du code pénal, je m'étonne que vous ayez fait le choix de mentionner uniquement les courses de taureaux, alors même que les combats de coqs bénéficient des mêmes dérogations. Dois-je en déduire qu'à vos yeux, la vie d'un coq vaut moins que celle d'un taureau ? Devons-nous comprendre que le combat à mort entre deux animaux dotés d'ergots métalliques est plus acceptable qu'un affrontement entre un homme et un animal ? Vous sachant si engagé sur le sujet, je n'ose croire que vous ayez pu méconnaître cette réalité, tout comme je n'ose croire que la présence de nombreux élus de La France insoumise dans les territoires ultramarins et dans le nord de la France, où s'applique cette exception, ait pu vous dissuader de retenir l'interdiction de ces combats. J'ai cependant la faiblesse de penser qu'il n'y a nulle innocence dans cet oubli, qui tend à préserver de fragiles équilibres internes.

Au travers de ce débat, nous nous interrogeons sur la France, celle que nous connaissons, celle que nous souhaitons et celle que nous entendons laisser en héritage. Voulons-nous d'une France monochrome, uniforme et incolore, où tous les territoires répondraient à des injonctions morales et réputées universelles ? Ou bien voulons-nous d'une France plurielle, respectueuse de son histoire et de ses traditions, aussi contestées puissent être certaines pratiques ? Pour notre part, nous ne voulons pas interdire, normer et réguler. Nous sommes fiers de cette France qui vit dans chacun de ces territoires. Nous soutenons celles et ceux qui font la France et qui sont la France. Si nous adoptons ce texte, quelle sera la prochaine tradition régionale que nous interdirons ? Les courses camarguaises ? Les courses landaises ? L'élevage des oies et des canards ?

La vraie question qui se pose à nous porte sur l'idéologie qui sous-tend cette proposition de loi. Elle n'a échappé à personne, pas même à ceux qui pourraient encore s'interroger : c'est celle d'un prétendu universalisme, où toutes les valeurs se confondent, sans autre hiérarchie ; c'est une idéologie de la contestation des traditions multiséculaires, qui font parfois le sel de la vie.

Nos concitoyens nous savent gré de nous soucier, depuis quelques années, de la condition animale, laquelle mérite mieux qu'un débat à la volée sur les courses de taureaux. Nous pouvons être fiers que majorité et opposition se soient pleinement saisies du sujet au cours du mandat précédent : nous avons interdit les delphinariums et l'exploitation des animaux dans les cirques ; nous avons renforcé les règles relatives à l'adoption des animaux domestiques et les sanctions contre la maltraitance qui leur est infligée. Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le rapporteur, personne ici ne pourra nous accuser de ne pas vouloir faire bouger les lignes sur le sujet. C'est donc à un débat plus large que je nous invite : loin des seules et récurrentes discussions sur les pratiques tauromachiques, évoquons tous les enjeux touchant à la condition animale.

Alors qu'en 1968, l'extrême gauche se battait pour le slogan « il est interdit d'interdire », en 2022, il ne se passe pas une semaine sans que la NUPES propose une nouvelle interdiction. L'Assemblée nationale est saisie une nouvelle fois du débat sur l'interdiction de la corrida. Même si la majorité est traversée des mêmes interrogations que notre société, nous nous poserons en défenseurs résolus de la liberté, dans le respect du droit de nos concitoyens à leur culture.

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Les députés du Rassemblement national sont attachés au bien-être animal, mais sont aussi les premiers défenseurs de nos traditions et cultures locales. Les articles 521-1 et 522-1 du code pénal, tels qu'ils sont rédigés actuellement, tentent d'assurer un équilibre entre ces deux impératifs : ils condamnent la maltraitance et la souffrance animale, tout en permettant le maintien, dans des conditions strictes et sans possibilité d'extension, de traditions faisant partie de notre culture et de notre patrimoine immatériel qui entraînent la souffrance et la mort violente d'animaux. La corrida est l'une de ces traditions. Il n'y a pas de doute, elle provoque de la souffrance animale, et nous n'y sommes pas insensibles. C'est un fait objectif, et une partie des élus RN préférerait qu'elle soit interdite.

La corrida est cependant plutôt en recul qu'en expansion. On peut donc s'interroger sur la nécessité, à un moment où notre pays et nos compatriotes font face à des crises graves, d'interdire purement et simplement cette pratique qui, d'après l'association Pour une éthique dans le traitement des animaux (Peta), entraîne la mort de 700 taureaux par an. Une question se pose : voulez-vous vous attaquer à la souffrance animale ou bien à des traditions et à des identités territoriales que l'extrême gauche exècre ?

Si l'opportunité d'interdire ou non la corrida est subjective, si le sujet divise de nombreux groupes, y compris le nôtre, il est objectif que, contrairement à ce que vous affirmez, la tauromachie est une tradition ancestrale, enracinée dans les régions du sud de la France et documentée depuis 1289. Il est objectif que c'est un patrimoine unique au monde, l'animal dédié à la tauromachie étant le dernier taureau à caractère sauvage. La fin de la tauromachie, ce serait la fin de son élevage et sa disparition, ainsi que celle de tout un écosystème et de sa biodiversité. En outre, il est objectif que la tauromachie contribue grandement à l'activité économique et à l'emploi dans une cinquantaine de villes taurines : pas de corrida, pas de feria ; pas de feria, pas de tourisme. C'est une partie importante de l'activité économique de ces villes qui pourrait être mise à mort.

Par ailleurs, si votre priorité est le bien-être animal, pourquoi votre texte initial maintient-il l'exception des combats de coqs, qui figure aux mêmes alinéas que celle de la corrida ? Probablement parce que c'est une tradition moins ancrée et moins symbolique ; c'est donc le symbole que vous attaquez. Ou peut-être parce que les spectateurs de corrida et de combat de coqs ne font pas partie du même électorat. Si votre priorité immédiate est le bien-être animal, il est surprenant que vous ne fassiez rien pour les 500 000 bovins qui sont abattus sans étourdissement chaque année en France. Les services vétérinaires ont pourtant établi que la perte de conscience était précédée par un quart d'heure de souffrance.

De surcroît, nous ne sommes pas dupes : ce que vous revendiquez comme un petit pas pour l'animal est le premier pas d'un agenda antispéciste extrémiste, avant tout ennemi de nos traditions, qui visera demain à interdire la chasse à courre, puis la chasse le dimanche ou le mercredi, puis le foie gras, puis la pêche au vif, puis les balades à poney, puis la chasse tout court, puis la pêche tout court. D'ailleurs, en dehors de son titre, votre proposition de loi évoque non pas la corrida mais les « courses de taureaux ». Ce sont les prémices d'une attaque en règle contre les courses camarguaises et les courses landaises, toujours ces traditions que vous exécrez.

La question de la constitutionnalité viendra en son temps. La première phrase de l'alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 reconnaît un droit à la culture. Cette commission et cette assemblée ont-elles le droit de supprimer une culture reconnue par l'Unesco, qui s'étend sur plusieurs siècles et à laquelle sont attachées des millions de personnes ? Plus simplement, et c'est peut-être la question à laquelle nous devons répondre, une majorité a-t-elle le droit de faire disparaître une culture autochtone parce qu'elle est minoritaire ?

Enfin, s'agissant du bien-être animal, on peut se poser une question quasi philosophique : qui souffre le plus ? Le taureau qui vit libre durant quatre ans dans son pâturage de Camargue et meurt violemment en une vingtaine de minutes ? Ou bien les nombreux animaux élevés dans de mauvaises conditions jusqu'à leur abattage ?

Si nous sommes encore une fois objectifs, il est avéré que la vie du taureau de corrida finit dans la violence et la douleur. Il est également avéré que cette violence et cette douleur sont érigées en spectacle. Parce que les élus du Rassemblement national sont représentatifs de régions, d'âges et de catégories sociales très diverses, certains d'entre eux estiment que l'exception faite à la corrida doit être maintenue, mais d'autres estiment qu'il serait préférable d'y mettre fin. L'un de mes collègues proposera tout à l'heure, en tant que porte-parole d'une partie des élus RN, un amendement de rejet de cette proposition de loi ; d'autres collègues soutiendront l'interdiction de cette pratique.

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« Pourquoi la corrida ? J'ai à faire avec la vie, l'amour, la mort », écrivait le professeur Francis Marmande, dans un article du Monde. Pourtant, l'amour n'a jamais habité l'arène, la vie la quitte au cours du spectacle et la mort y règne. Non, nous ne pouvons pas rallumer la vie dans les yeux du taureau qui les a fermés pour la dernière fois sur une foule en liesse devant son agonie. Non, nous ne pouvons pas panser les plaies du taureau, transpercé par une pique, puis par des banderilles et des épées, enfin par le couteau. Mais, ensemble, nous pouvons faire en sorte que ces taureaux soient les derniers, que le sang sèche une fois pour toutes sur le sable des arènes et que plus une seule goutte n'y soit versée. Nous pouvons épargner un millier de taureaux qui subissent, chaque année en France, la peur et la douleur.

On entend parfois que le taureau ne souffre pas, ou pas tant que ça, parce qu'il a été élevé en étant préparé au traitement qui lui sera infligé dans l'arène, à l'image d'un boxeur endurci qui aurait appris à encaisser les coups. Mais non, la question de la souffrance des taureaux ne fait plus débat : en 2016, l'Ordre national des vétérinaires a pris position en reconnaissant ces souffrances et en les jugeant incompatibles avec le respect du bien-être animal.

On entend aussi que 1 000 taureaux, ce ne serait pas important, rapporté à l'ampleur de l'exploitation animale. Or je pense que le naturaliste et explorateur Théodore Monod a tout à fait raison : « La corrida est le symbole cruel de l'asservissement de la nature par l'homme. » La corrida est au fond l'expression la plus aboutie de notre propension à considérer les animaux comme des objets dont on pourrait disposer. Dans la corrida, il n'est question ni de subsistance ni d'une nécessité, quelle qu'elle soit. On fait souffrir un animal pour notre divertissement, pour la beauté du geste.

C'est en réalité une exception aberrante dans le droit français : les actes de cruauté envers les animaux sont interdits et punis par la loi, sauf s'il s'agit d'un taureau dans une arène dans certaines villes du sud de la France. Or nous sommes arrivés à un moment de notre histoire collective où nous prenons enfin conscience du fait que notre destin est intimement lié à celui de tout le reste du vivant, notamment des animaux. Abolir la corrida, c'est ainsi réparer une erreur qui a trop duré et faire un pas résolu vers l'harmonie entre l'être humain et la nature ; c'est affirmer ensemble que tous les animaux sont sensibles et que, de ce fait, ils doivent être respectés.

Cessons de nous draper dans la tradition pour justifier l'injustifiable. Au nom de traditions ancestrales et de coutumes, combien de pratiques abjectes a-t-on pu légitimer à travers l'histoire ? C'est la négation de l'idée de progrès humain, à laquelle nous sommes si attachés. C'est renoncer à la réflexion et au doute sur nos propres agissements en tant que société, qui sont pourtant le moteur de notre histoire, précisément grâce à cette capacité à nous détacher du poids de certaines traditions qui, au fond, nous avilissent.

Bien sûr que non, l'abolition de la corrida ne signifie pas la mort inexorable des ferias et des festivités populaires. Serions-nous donc incapables d'imaginer la fête et le spectacle sans un animal que l'on condamne à mort ? Je ne le crois pas. Les bandas et fanfares continueront à jouer, les gens à danser, la sangria à couler, la convivialité à régner. Nos artistes imagineront de nouveaux spectacles somptueux, je n'en doute pas. L'esprit de nos grandes fêtes populaires perdurera ; on cessera simplement de « s'amuser autour d'une tombe ».

Si le sujet vous est indifférent, mes chers collègues, votez cette proposition de loi non pas pour vous-mêmes, mais pour vos concitoyennes et concitoyens. Selon le dernier sondage de l'Ifop, publié en février 2022, ils sont 87 % à souhaiter la fin de cette exception à la loi ; c'est donc une exigence démocratique. Notre société est prête à tourner la page et n'attend plus que l'action du législateur. C'est avec fierté que les députés insoumis voteront l'abolition de la corrida. Notre fierté serait décuplée si, en dépit de nos désaccords politiques sur d'autres sujets, vos voix se joignaient aux nôtres, de sorte que nous franchissions ensemble ce pas important pour notre rapport au vivant et, en définitive, pour notre humanité la plus profonde.

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En réalité, monsieur le rapporteur, vous êtes à vous seul un stéréotype, un digne représentant de ce que veulent les animalistes. À cet égard, la proposition de loi que vous nous présentez est une première pierre à l'édifice, même si vous en avez déjà accumulé un certain nombre. Vous êtes à la recherche du sensationnel et ne manifestez aucune volonté de prendre du recul. Là est précisément le problème, car vous omettez de rappeler que la corrida est une des cultures populaires reconnues par l'Unesco, par la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, que la France a ratifiée. Depuis 2011, elle fait partie intégrante de notre patrimoine immatériel, que la République et nous tous ici présents devons défendre et promouvoir.

Effectivement, la tauromachie est spécifique aux régions du sud de la France, parce qu'elles sont les seules à pratiquer cette tradition locale ininterrompue. La corrida n'est pas seulement un combat ; c'est aussi une culture, un art, une identité régionale. Bien que vous affirmiez le contraire, elle participe activement à la préservation de la biodiversité. En effet, l'élevage extensif de taureaux sauvages a largement contribué à construire l'identité du delta du Rhône. Plusieurs dizaines de milliers d'hectares de terres y sont sanctuarisés, puisqu'il faut entre 1,5 et 2 hectares par taureau pour permettre à l'animal de vivre en toute liberté et à l'état sauvage. De plus, ces taureaux sauvages sont un outil de gestion écologique : par leur piétinement et le pâturage, ils contribuent activement au maintien de la diversité de la faune et de la flore dans des milieux tels que les pelouses, les prairies, les friches et les marais, qui seraient voués sinon aux fourrés et aux bois. L'interdiction de la corrida et, à terme, de la tauromachie induira de facto la disparition de cette race bovine particulière, le taureau brave, entraînant immanquablement la fin d'un écosystème original. Ce serait un véritable non-sens pour qui se veut défenseur de la biodiversité.

En 2008, la filière taurine s'est elle-même dotée d'un guide éthique et de pratiques écoresponsables. Elle lutte activement contre les dérives et assure le respect de valeurs éthiques, écologiques, environnementales et économiques dans les élevages. Ne vous en déplaise, elle promeut des méthodes vertueuses et respectueuses de l'environnement et de l'animal. Vous vous gardez bien d'indiquer que la fin de la corrida serait aussi la condamnation de toute une économie locale. L'économie taurine produit aujourd'hui plus de 100 millions d'euros de retombées économiques et procure plusieurs milliers d'emplois dans ces territoires, où les éleveurs, les agriculteurs, les restaurateurs, les hôteliers et les commerçants sont essentiels.

Vous avez cité des chiffres. Or, d'après un sondage réalisé en juin 2022 par l'Ifop pour Sud radio, les habitants des villes taurines plébiscitent la corrida : 78 % d'entre eux considèrent que la corrida fait partie de leur patrimoine culturel ; 72 % estiment que les corridas ont toute leur place dans les fêtes ; 71 % sont opposés à toute mesure d'interdiction. En vérité, c'est vous qui faites des choix électoralistes : certains collègues l'ont relevé, vous proposez d'interdire la corrida, mais ne dites rien des combats de coqs qui restent autorisés dans le nord de la France, cher à La France insoumise.

Loin des caricatures faites par certains, qui ne connaissent pas grand-chose à ces traditions, les passionnés de corrida et ses défenseurs ne sont pas des sauvages arriérés, comme vous les décrivez ; ce sont des citoyens qui vivent pleinement dans leur temps, sont bien conscients des enjeux, notamment écologiques, et soucieux du bien-être des animaux. Dans une France qui perd ses repères et tend à sombrer dans un individualisme mortifère, c'est un non-sens de vouloir mettre fin à des traditions taurines fédératrices. C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera contre la proposition de loi.

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Je tiens tout d'abord à remercier mes collègues du groupe Démocrate (MODEM et indépendants) de m'avoir donné la possibilité de défendre devant vous la position du groupe sur ce texte de La France insoumise visant à faire disparaître la corrida de nos traditions locales. Notre conviction est qu'au-delà de l'interdiction des courses de taureaux sur la totalité du territoire français, ce texte s'attaque en vérité à notre patrimoine culturel, à notre identité. Le groupe Démocrate a dans son ADN la défense de nos territoires et de leurs traditions : elles font la France et nos territoires ; elles créent ce lien identitaire territorial si fort et si particulier entre les hommes et les femmes, entre les générations.

Interdire la corrida reviendrait à mettre à mal une tradition profondément enracinée dans la culture du sud de la France, qui a même été reconnue en 2012 comme une « tradition locale ininterrompue » par les sages de la rue Montpensier. Interdire la corrida serait une première étape dans la déconstruction de nos singularités locales, ce qui aurait pour conséquence immédiate de les menacer toutes. Or l'heure n'est pas à l'annihilation de ces singularités, qui sont la richesse de notre pays, mais aussi sa force, dont il a pleinement besoin face aux défis que nous devons relever, face aux nouvelles craintes nées de la pandémie et de la guerre aux portes de l'Europe.

La France a également besoin de liberté et de respect. Liberté pour permettre à chacun de vivre sa culture. Respect de ces différences sans lesquelles nous ne pourrions pas revendiquer vivre en démocratie et sans lesquelles nous irions inexorablement vers une société plus uniforme, qui gomme le passé et propose un avenir plus lissé.

Oui, cette proposition de loi dépasse totalement la question de sauver ou d'abolir les corridas en France. Défense de nos langues régionales, des chasses traditionnelles, de la pêche, du foie gras, des corridas, c'est le même combat, celui que nous menons depuis toujours dans ma famille politique, solidement enracinée dans les terres de France. Plus que jamais, nous nous attacherons à être les garants de la préservation de ces traditions et de ces diversités qui font la France, qui rythment nos saisons et autour desquelles nous avons construit ce que nous sommes. C'est en pensant à la défense de toutes ces valeurs que les députés du groupe Démocrate voteront très majoritairement contre la proposition de loi.

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En préambule, je tiens à préciser que je m'exprime à titre personnel, ma position étant partagée par plusieurs collègues de mon groupe, donc certains ont signé la proposition de loi. Le groupe Socialistes et apparentés est partagé ; aucune majorité ne s'est dégagée, si bien que nous avons décidé de laisser la liberté de vote sur ce texte.

Depuis plusieurs dizaines d'années, un vaste mouvement est engagé contre la maltraitance animale. C'est un mouvement irrépressible, qui nous incline à penser que la corrida est vouée à la disparition, raison d'ailleurs invoquée par les opposants à ce texte – je ne souscris pas nécessairement à ce motif.

Le soutien à ce texte ne préjuge pas de ce que nous pouvons penser de la chasse, qui est à mon sens, au contraire de la corrida, une vraie tradition française, pas plus qu'il ne préjuge de notre positionnement à l'égard du travail des éleveurs. Ceux-ci font des efforts considérables pour lutter contre la maltraitance animale. Gardons-nous d'attiser leurs inquiétudes, au cas où ils redouteraient que, par un tel texte, on en vienne à un renforcement des exigences qui mettrait à mal leur activité économique.

D'ailleurs, comment peut-on demander de lutter contre la souffrance animale dans les élevages et dans les abattoirs, à des acteurs économiques qui tirent leurs revenus de l'exploitation et du commerce des animaux, et admettre dans le même temps que la loi autorise la corrida à titre festif ? Selon moi, il y a là une contradiction majeure, qui doit nous faire réfléchir.

J'ai entendu à plusieurs reprises l'argument selon lequel il faut défendre les cultures locales. Il est vrai que la corrida est une tradition espagnole, néanmoins interdite en Catalogne. Toutefois, cette culture locale ne peut pas se prévaloir de faire partie du patrimoine culturel immatériel de la France. C'est d'ailleurs ce qu'a écrit le Conseil d'État en 2016. Ce patrimoine, local ou national, que nous chérissons tous doit rester fondé sur le concept de dignité, qui engage à la fois le spectateur et l'organisateur de manifestations culturelles. Le respect de la dignité est un principe général du droit qui fait obstacle à la reconnaissance du patrimoine local en question comme un patrimoine qui doit être défendu. Aucun patrimoine local ne mérite d'être âprement défendu dès lors que l'inhumanité est au cœur de la pratique en question.

En revanche, ce texte qui vise à interdire une telle pratique du jour au lendemain est peut-être trop radical, notamment en considération d'une histoire dont certaines personnes sont victimes. Il serait tout à fait nécessaire d'envisager des étapes et des accompagnements.

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Le présent texte nous renvoie à la vie et à la mort, publique ou cachée, et aux relations que l'humanité peut et doit entretenir avec les êtres vivants avec lesquels elle partage la planète.

Le rapporteur l'a rappelé, la corrida est interdite sur le territoire français. Il n'y a d'exception que dans les villes où il existe une « tradition locale ininterrompue ». L'ordre judiciaire est très vigilant sur ce point : la Cour de cassation interprète cette condition de manière très stricte, comme on peut le constater en se rapportant à sa décision du 10 juin 2004.

La corrida fait partie d'une identité régionale, d'une singularité territoriale. Elle revêt une dimension de passion, mais c'est aussi un lieu de sociabilité, de retrouvailles, et une activité qui contribue au développement économique. Elle est en tout cas créatrice de lien entre les gens ; elle rassemble dans des régions où il est important que de tels rassemblements existent.

Interdire la corrida dans ces territoires reviendrait à vouloir transformer l'unité de la République en uniformité, à considérer que toutes les lois doivent être appliquées strictement de la même façon partout, ce que ne fait pas le droit positif. Accepter les spécificités régionales comme la corrida, c'est reconnaître leur valeur et respecter des différences, ce que nous permet notre conception de la République. Le groupe Horizons et apparentés s'opposera donc, dans sa grande majorité, à l'adoption de ce texte.

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Sans doute vous souvenez-vous du film Le Jour de la marmotte, avec Bill Murray ? C'est un peu l'histoire de la lutte des militants écologistes contre la corrida. La population française y est opposée, depuis longtemps. C'est d'ailleurs un des rares sujets sur lesquels on constate une telle stabilité. Plusieurs propositions de loi ont été déposées. Je pense notamment à celle de Laurence Abeille, qui avait étudié la question de manière approfondie dès 2012-2013, proposant d'interdire la corrida ou, à tout le moins, d'en interdire l'accès aux mineurs, afin de les protéger des images violentes. Tout un travail a été réalisé à l'époque, y compris dans d'autres cadres, notamment audiovisuel.

La loi admet parfois des exceptions. Or, en matière de maltraitance animale, il y a toujours de bonnes raisons de déclarer une exception : la loi sanctionne les actes de cruauté, sauf ceux-là ; la loi doit être observée, sauf dans ce cas-là. Pour justifier cette exception, on aime bien tirer prétexte de la tradition. Vous entendez dans ma manière de parler que j'ai un lien avec l'Occitanie. Je connais et chéris les traditions occitanes. Or, j'ai beau chercher, la corrida n'en fait vraiment pas partie.

D'ailleurs, la corrida n'est pas une vieille tradition. La première interdiction de la corrida est intervenue peu après son importation par la bourgeoisie française, qui raffolait de tout ce qui venait d'Espagne. Ainsi, la loi Grammont a été appliquée à la corrida dès la fin du XIXe siècle. Si la corrida est une tradition, on peut considérer que son interdiction en est une au même titre, puisqu'elle a la même ancienneté.

Par la suite, il y a eu beaucoup de remous. Pour leur avantage personnel, quelques personnes ont fomenté une insurrection qui a forcé l'État – peut-être le ministère de l'intérieur les qualifierait-il aujourd'hui d'« écoterroristes » ? – à adopter une loi acceptant la corrida. Autrement dit, quelques privilégiés ont agi contre le bien commun.

Il existe en France quelques traditions avec les taureaux, ou plutôt les vachettes. Quand j'étais gamine, j'aimais bien Intervilles, dont vous vous souvenez sans doute aussi. Dans ce cas, toutefois, on ne maltraitait pas les animaux, on ne faisait pas couler le sang, on ne les tuait pas à petit feu. Ces traditions locales ont effectivement des racines anciennes, ancestrales même. Elles parlent du passage à l'âge adulte, tout simplement, mais sans qu'il soit besoin de mettre à mort l'animal pour autant.

S'il existe une tradition occitane très forte, c'est celle de la fête. En général, quand on fait la fête, ce n'est pas pour tuer ; c'est plutôt pour célébrer quelque chose de beau et de l'ordre de la vie. D'ailleurs, les fêtes sont subventionnées, ce qui est une bonne chose, parce qu'elles font du bien à la population. Précisément, ce qui pose problème aux écologistes, c'est que la corrida est financée par des fonds publics : elle est subventionnée par des villes, par des régions et par des fonds européens. Les écoles taurines bénéficient de larges subventions, par exemple à Béziers.

Les aficionados se font rares. On finance des places gratuites pour essayer de remplir tant bien que mal des arènes qui sinon restent vides. Si la corrida continue à exister, c'est grâce à l'argent public. À supposer qu'elle soit une tradition, la corrida est une tradition qui ne rassemble plus, une fausse tradition qui ne se maintient que grâce à l'argent des Françaises et des Français. En cette période de crise, les écologistes pensent qu'il est temps d'arrêter de dilapider les deniers publics.

Nelson Mandela disait : « L'honneur appartient à ceux qui ne renoncent jamais à la vérité. » Nous ne renoncerons jamais à supprimer les tortures et les actions régressives encore autorisées par notre code pénal. Nous voterons donc cette proposition de loi.

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Ce n'est pas d'aujourd'hui que la corrida fascine et fait scandale ; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle suscite des passions, de l'incompréhension, de la réprobation ; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle provoque le débat. Que nous dit-elle, en effet, de notre humanité ? Au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous ne portons pas toutes et tous le même regard ; toutes et tous ne se retrouveront donc pas dans mon propos.

Avec cette proposition de loi, il s'agit manifestement d'obtenir une première victoire, symbolique, dans la bataille antispéciste. C'est toute mort animale du fait d' Homo sapiens qu'il faudrait abolir. Nous sommes nombreuses et nombreux à ne pas partager l'horizon antispéciste, qui appelle à la construction d'une post-humanité, d'un genre humain réintégré au règne animal dont il s'est efforcé de s'extraire tant soit peu et paradoxalement arraché au cycle de la vie et de la chaîne alimentaire. Cette option philosophique trouve une application dans le véganisme. Pour respectable qu'il soit, ce choix individuel ne saurait être imposé comme un choix de société.

Nous pouvons nous entendre sur plusieurs points : sur l'urgence de revoir notre régime alimentaire et le rapport aux espèces animales qui nous nourrissent, en remettant en cause le modèle industriel d'élevage et d'abattage ; sur la nécessité de préserver la biodiversité du vivant ; plus largement, sur le caractère impératif du combat écologique. Or l'interdiction de la corrida ne fera pas avancer ces causes.

La question qui nous est posée ici n'est pas d'aimer ou non la corrida, mais de savoir si la République est fondée à interdire, par un acte autoritaire, cette pratique culturelle dans les territoires où elle existe ; si une vision du monde peut en interdire une autre ; si l'antispécisme peut interdire la culture taurine, une culture populaire, qui n'est pas immuable, aux accents du Midi, mais aussi de l'Andalousie et de l'Amérique latine.

Une culture, c'est aussi un écosystème, en l'occurrence celui des vastes espaces naturels où vivent les taureaux. Il faut le dire, il y a une deuxième façon de provoquer la mort du taureau, c'est de souhaiter que, tout simplement, il ne vive pas, puisqu'il n'y aura plus de raison de l'élever. C'est tout le problème de certaines théories animalistes, qui aboutiraient à annihiler toutes les relations entre les humains et les autres espèces, quelle que soit leur nature, y compris les relations de travail et de coopération.

Dans ma circonscription, il y a des manades, des élevages de taureaux, des arènes, des corridas et des jeux taurins. Mais il n'y a pas, je crois, de barbares, puisque le qualificatif a été employé. Veillons à ne pas ajouter aux fractures de notre société, à ce sentiment de mépris que ressentent beaucoup de femmes et d'hommes lorsqu'on leur fait la morale ou qu'on les culpabilise pour ce qu'ils sont. Le barbare, aux sources de l'étymologie, c'est l'étranger, celui qui n'est pas de notre civilisation, celui qu'on ne comprend pas. C'est d'ailleurs manifeste, puisque la lecture qui est faite de la corrida débouche bien souvent sur un contresens. Si l'on écoute les aficionados, la mort du taureau n'est pas rien pour eux : en le mettant en position de mourir au combat, la corrida montre avec gravité non seulement la bravoure, mais aussi le scandale de la mort, en l'occurrence celle de l'animal qui nous nourrit. Pour certains, en essayant de sublimer cela, la corrida nous amène à nous interroger sur ce que le monde moderne a camouflé.

Il y a effectivement, monsieur le rapporteur, matière à s'interroger : on a le droit de ne pas comprendre, de réprouver, de condamner. Mais la République, je crois, s'abîmerait à interdire soudain toute une culture en son sein, dans l'acte d'autorité d'une majorité contre une minorité ; elle porterait atteinte à une liberté et au principe de la diversité culturelle. L'anathème qui fait de chacun le monstre de l'autre empêche le débat, au lieu de l'ouvrir, sur les questions profondes que nous pouvons avoir en partage. Il vaudrait mieux prendre appui sur cette controverse pour chercher à nous comprendre et nourrir nos interrogations. Produisons plutôt cet effort.

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Tout d'abord, je tiens à vous rassurer : je déposerai naturellement un amendement en séance publique pour abolir les combats de coqs. J'espère que vous le voterez.

Madame Blin, je vais sans doute vous surprendre : il arrive, en politique, que l'on mène un combat pour une cause à laquelle on croit. Est-ce par goût du sensationnel que Victor Hugo, Émile Zola et Victor Schœlcher ont dénoncé la corrida ? Est-ce dans un but électoraliste que des députés de votre groupe, emmenés par Éric Pauget, Ian Boucard et Julien Dive, ont déposé exactement la même proposition de loi lors de la précédente législature, allant même jusqu'à demander d'« arrêter le bain de sang » ? Je pense pour ma part que leur démarche était sincère.

Selon vous, le taureau serait un animal sauvage : connaissez-vous réellement le sujet de la corrida, madame ? Cela fait deux siècles que la question a été tranchée : le taureau est un animal domestique et c'est précisément pour cela que les corridas sont interdites dans 95 % du territoire. Le taureau est d'ailleurs tellement peu féroce qu'il cherche très souvent à fuir, paniqué, lorsqu'il se trouve dans l'arène.

Autre argument surprenant : je porterais atteinte à la biodiversité, moi qui suis écologiste ! Le taureau de combat n'est pas une espèce : c'est une race artificielle, qui ne comporte que quelques centaines d'animaux. À qui voulez-vous faire croire que la biodiversité de certaines régions serait en danger si quelques centaines de taureaux ne naissaient plus chaque année ?

Enfin, en citant un sondage sur l'opinion des habitants des villes taurines, vous omettez un chiffre : 61 % de ces habitants, ceux-là mêmes qui veulent que les fêtes taurines se poursuivent – ce que n'empêche absolument pas ma proposition de loi – souhaitent qu'on en finisse avec la mise à mort des taureaux.

Madame Lebec, vous dites ne pas vouloir soutenir les interdits. Vous appartenez pourtant à une majorité qui les a multipliés ces dernières années, que ce soit pendant la pandémie de covid-19 ou lors des mouvements de protestation populaire. Dans certains cas, les libertés que garantit l'interdit dépassent de beaucoup ses inconvénients. Vous le savez pertinemment, vous qui êtes allés jusqu'à voter, dans une loi que je salue, l'interdiction des delphinariums et des animaux vivants dans les cirques, dans un but de protection du bien-être animal. Ce faisant, vous n'échappez pas à la contradiction car vous vous êtes ainsi attaqués à un art, le cirque, qui ne pratiquait pas la mise à mort des animaux. Et aujourd'hui, vous auriez une difficulté à voter un texte qui propose un interdit, par comparaison, bien mineur ? La présidente de votre groupe, Mme Aurore Bergé, aurait d'ailleurs pu signer mon texte puisqu'elle en a signé un quasiment identique dans une tribune publiée l'an dernier dans Le Journal du dimanche demandant l'abolition de la corrida. Quant à M. Sylvain Maillard, votre président par intérim, il partage exactement la même position.

Monsieur Houssin, vous déplorez que la proposition de loi évoque, dans son dispositif, les courses de taureaux et non la corrida. Ce n'est pas moi qui n'ose pas en parler, c'est le code pénal qui est ainsi formulé. Jamais la justice n'a établi que les courses landaises et camarguaises donnaient lieu à des actes de cruauté passibles de poursuites.

Enfin, certains d'entre vous tentent de faire diversion en orientant le débat sur l'antispécisme, qui vous effraie tant, voire le véganisme. Or, nous sommes déjà soumis à une loi antispéciste puisque la corrida est interdite. Nous ne cherchons qu'à éliminer une exception à la loi commune. Celle-ci, lorsqu'elle s'applique à Lille, à Paris ou à Strasbourg serait donc antispéciste ? En réalité, vous vous cachez derrière toutes les excuses imaginables – tradition, culture, économie, biodiversité – pour éviter de répondre à la seule question qui vous est posée : êtes-vous favorables à la torture animale ? Les Français ne sont pas dupes et se souviendront de votre vote.

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Il n'est pas nécessaire d'aimer la corrida pour la défendre. Les arguments ne manquent pas pour la critiquer. Ce n'est pas une question de goût mais de culture, d'héritage, de transmission et de droit à la différence, ce droit que les mêmes qui veulent interdire la corrida brandissent, à juste raison, quand il s'agit des pratiques de tel ou tel peuple à l'autre bout du monde.

Oui, la corrida peut choquer car elle nous montre cette mort que nous cachons dans des abattoirs, loin de tout regard. Elle est un anachronisme, et tant mieux : nous en avons besoin, effrayés par l'idée d'un monde qui soit toujours le même. J'ai de la tendresse et même de l'admiration pour ce peuple du Sud soulevé par l'émotion, par la bravoure, par la mort qui rôde quand il se réunit dans nos arènes, à Béziers. Il ne ressemble à aucun autre, il ne vous demande rien, juste du respect. Ce peuple, qui aime ce que vous détestez, n'aurait pas le droit de vivre parce qu'il conteste le bréviaire animaliste ?

Vous l'aurez compris, je ne conteste rien de ce qui est dérangeant dans la corrida mais je connais des taureaux libres, des années durant, sur des terres à perte de vue et je les imagine fiers de cette mort au combat. Tout cela ne parle pas aux signataires de cette proposition de loi ; je ne m'en étonne pas. Le monde dont ils rêvent et qu'ils veulent nous imposer, un monde uniforme et aseptisé, est pour moi un cauchemar.

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Étant élu du Gard, je ne pouvais que me faire le porte-parole de l'inquiétude des concitoyens de ma région. Certains souhaitent le maintien de la corrida, d'autres n'y sont pas favorables mais ne veulent pas voir s'éteindre la culture locale qui célèbre le taureau. Je leur ai indiqué que notre seul objectif, avec cette proposition de loi, était la fin de la mise à mort dégradante d'un animal.

Les traditions bouvines sont bien plus anciennes que l'importation de la corrida. Les courses camarguaises sont de grandes fêtes populaires remontant au Moyen Âge ; elles mettaient en valeur le travail des vachers et des garçons bouchers. Ces moments de festivités après des temps de labeur difficile et ingrat révélaient leur dignité et leur courage. Les fêtes se sont transformées et les raseteurs exercent désormais leur talent face à un animal consacré.

Il ne s'agit pas de mettre toute une culture en retraite forcée : si la torture et la mise à mort d'un animal ne doivent plus faire partie de nos valeurs, le respect des traditions de nos territoires est essentiel. Supprimer la corrida renforcera la célébration du taureau. Nos fêtes populaires doivent se perpétuer. Le rapporteur nous a rassurés, en répondant à nos interrogations.

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Alors que les courses taurines touchent à l'identité, la corrida évoque surtout la maltraitance animale. J'ai la profonde conviction que les courses landaises et camarguaises et la bouvine concilient une identité forte et le respect de l'animal. Ce sont les seuls événements taurins qui mettent à l'affiche le nom des animaux et qui leur dressent des statues. Enfant, j'étais heureux d'avoir la photo de Goya, Biòu d'or 1976, dans ma chambre et fier de voir sa statue à Beaucaire. Les raseteurs étaient des stars locales mais bien moins que les bêtes noires.

Je n'ai que faire des polémiques : je suis pragmatique. La proposition de loi vise à supprimer toutes les exceptions à l'interdiction de la torture animale sur le territoire français. Bien que certains s'efforcent d'entretenir la confusion, elle ne cible donc pas les courses camarguaises car celles-ci n'impliquent aucune mise à mort ni torture. J'encourage le rapporteur à être clair sur ce point afin de garantir la continuité de la bouvine, sans quoi un amendement s'imposera. Cette fête populaire fait vivre nos villages, façonne les paysages camarguais, mobilise la jeunesse et fait le lien entre les générations. C'est une vraie tradition locale, plus ancienne que la corrida, et qui respecte l'animal.

Pour toutes ces raisons, nous devons affirmer avec force que les courses de taureaux qui n'entraînent ni mort ni torture pourront exister l'été prochain. L'enjeu est de préparer l'inscription de cette tradition au patrimoine mondial de l'Unesco.

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Je souhaite en effet clarifier ce point parce que j'ai lu dans la presse des déclarations qui pouvaient faire naître un doute sur la portée de la proposition de loi. Bien évidemment, les courses landaises et camarguaises ne seront pas affectées par cette proposition de loi contre la corrida puisqu'elles ne génèrent ni torture ni mise à mort de l'animal. Je vous confirme que ce texte ne portera absolument pas atteinte à la culture taurine, qui doit être préservée et entretenue.

Article unique (art. 521-1 et 522-1 du code pénal) : Abolition de la corrida

Amendements de suppression CL2 de Mme Emmanuelle Ménard, CL21 de M. Yoann Gillet, CL25 de Mme Marie-France Lorho et CL26 de Mme Anne-Laure Blin.

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Je trouve assez surprenant de vouloir éradiquer une forme de culture quand on ne la partage pas. La corrida est reconnue comme une pratique culturelle qui contribue à l'identité de douze départements.

Je souhaite tout d'abord revenir sur ce qui semble être une hypocrisie. Vous parlez du bien-être animal mais vous confondez tout. L'abolition de la corrida conduira évidemment à la disparition de la race du taureau de combat. Sous prétexte de protéger les animaux et la biodiversité, vous allez entraîner la disparition du taureau, celui-là même que vous prétendez protéger. De plus, pourriez-vous nous expliquer vos revirements successifs au sujet des combats de coqs ? Vous n'avez cessé de supprimer et de rétablir votre amendement les concernant, ce qui donne à penser que, pour vous, un coq a le droit de souffrir mais pas un taureau.

Plus grave encore, vous expliquez qu'une tradition n'est pas forcément une bonne chose, citant l'exemple de l'excision. C'est une véritable différence philosophique qui nous oppose, monsieur le rapporteur, parce que je ne mets pas sur le même plan les hommes et les animaux. Vous considérez l'animal de manière totalement idyllique, à travers le prisme de l'animal de compagnie. Or le taureau n'est pas un animal de compagnie : c'est un animal sauvage, même si vous le contestez – je vous conseille d'aller en caresser un pour en avoir le cœur net ! Le taureau est d'ailleurs le seul animal sauvage capable de combattre jusqu'à la mort, non pas pour se nourrir mais pour affirmer sa suprématie.

Pour conclure, je voudrais réaffirmer ici notre liberté culturelle, notre identité, nos modes de vie que vous niez à travers cette proposition de loi. C'est pourquoi je demande la suppression de l'article.

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La tauromachie est une tradition ancestrale enracinée dans les régions du Sud de la France. Monsieur le député de Paris, l'interdire reviendrait à abolir la liberté culturelle et à gommer l'identité des territoires où cette pratique existe. Cela entraînerait aussi la fin de l'activité des éleveurs de taureaux, dont le rôle est pourtant essentiel dans la conservation d'écosystèmes fragiles et dans la préservation d'une biodiversité très riche. Cette décision aurait également un impact économique négatif.

Par ailleurs, l'interdiction de la corrida n'est qu'une première étape pour le député Caron, même s'il le nie. Dans un entretien à La Gazette de Nîmes, en septembre, il répondait aux journalistes qui l'interrogeaient sur une possible interdiction des courses camarguaises qu'il était opposé à toute forme d'exploitation animale, sous-entendant que ces courses relevaient de l'exploitation animale. C'est un aveu clair sur ses intentions.

Il convient également de souligner que l'on combat moins de 1 000 taureaux chaque année dans les arènes françaises, nombre dérisoire au regard des 3 millions d'animaux destinés quotidiennement à l'abattoir.

Monsieur le député parisien, vos mensonges, vos caricatures, vos douteuses comparaisons, votre méconnaissance des traditions taurines, votre simple volonté de faire le buzz, vos insultes envers les aficionados ne vous grandissent pas.

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La tauromachie est une tradition du Sud de la France depuis le XIXe siècle. À la corrida, les gens viennent voir une tragédie comme au temps d'Homère ou de Racine car l'humain est ainsi fait. Pour supporter le tragique de la vie, il a besoin du tragique du théâtre : soixante-dix kilos d'intelligence qui risquent leur vie contre une demi-tonne de force à l'état brut. La corrida est une catharsis. Cette tradition fait vivre douze départements et cinquante-six villes de France, génère tout un tissu d'activités économiques et touristiques et se transmet dans les familles de génération en génération. C'est un moment de rencontre, de convivialité, d'émotion partagée. La tauromachie, c'est également la préservation de la race du taureau brave élevé en liberté sur des milliers d'hectares. Que serait la Camargue sans ses taureaux ?

La richesse de la France, c'est la réunion harmonieuse d'identités multiples – occitane, méditerranéenne, du Nord, ultramarine, bretonne, etc. –, qui s'expriment à travers leurs traditions. Vouloir les supprimer, ce serait appauvrir notre pays. La corrida serait la première tradition française sacrifiée au nom d'une idéologie ; suivront la chasse, la pêche, le foie gras ou encore le ban des vendanges. Mon amendement entend protéger la diversité française dans ses traditions ainsi que le respect de la différence et de la voie minoritaire.

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Monsieur le rapporteur, vous vous souviendrez de notre vote : nous voterons, et nous en sommes fiers, contre votre proposition de loi. C'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de votre dispositif. Du haut de votre arrondissement parisien, vous venez faire la morale à nos campagnes. Je voudrais que les Français sachent précisément ce que représente votre mouvement au sein de La France insoumise : la révolution écologique pour le vivant, dont la fin de la corrida n'est que la première étape. Les étapes suivantes sont sans ambiguïté : fermeture de l'ensemble des élevages pour arriver à un monde végan, interdiction totale de la chasse et de la pêche.

Alors que nos éleveurs connaissent de profondes difficultés, vous voulez mettre fin à l'ensemble de nos traditions, notamment celle du foie gras, mais vous n'évoquez jamais la mise à mort des animaux sans étourdissement. Celle-ci, hors caméra, ne vous pose aucun problème ! Nous nous opposons donc à la fin de la corrida parce que le monde animaliste, le monde antispéciste, le monde contre nos campagnes, le monde contre notre ruralité, nous n'en voulons pas.

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Madame Ménard, puisque la référence que j'ai faite à une tradition vous pose problème, je peux vous en citer une autre, qui reste strictement sur le plan de notre rapport à l'animal. Pendant longtemps, en France, la tradition était de brûler des chats pendant la nuit de la Saint-Jean ; puis elle a pris fin, parce que nous avons fini par comprendre que c'était une barbarie.

Vous dites également que le taureau est le seul animal capable de combattre jusqu'à la mort pour affirmer sa suprématie. Je ne savais pas vous étiez spécialiste en psychologie du taureau ! Un tel anthropomorphisme – les intentions que vous lui prêtez sont en effet purement humaines – est étonnant de votre part. Cela explique sans doute pourquoi vous soutenez sans raison cette pratique.

À ceux qui s'inquiètent pour l'économie, je rappelle que cela ne concerne que très peu de taureaux, lesquels en outre viennent pour la plupart d'Espagne. Par ailleurs, les villes taurines vivent non pas grâce aux corridas, qui sont bien souvent subventionnées, mais grâce aux ferias.

Enfin, puisque j'ai été attaqué sur ce sujet, je vous confirme que je suis antispéciste – c'est même le titre d'un de mes livres ! Je ne m'en cache absolument pas. Vous connaissez trop bien le fonctionnement de cette assemblée pour me prêter le pouvoir d'imposer à moi seul la fin de la viande aux Français – soyons sérieux ! Je défends ici le programme sur lequel j'ai été élu, celui de La France insoumise, qui mentionne noir sur blanc la fin de la corrida, comme le fait également le programme d'Europe Écologie-Les Verts, et comme certains de vos collègues ont souhaité le faire récemment. Il n'y a donc aucune ambiguïté. Quant à l'abattage rituel, vous êtes très mal renseignée car j'en parle aussi dans mes livres.

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La corrida est d'abord et avant tout une torture animale. Je suis assez stupéfaite par certaines phrases que j'ai pu entendre. Personne ne peut démontrer que le taureau serait fier de souffrir et de mourir ! En revanche, tout le monde peut constater que l'on fait souffrir et que l'on met à mort le taureau. Du strict point de vue de la protection animale et de la lutte contre la souffrance animale, la loi qui interdit la corrida ne doit plus souffrir aucune exception.

Par ailleurs, je suis surprise par l'argument selon lequel il faudrait être d'une région où la corrida est encore pratiquée pour avoir le droit d'en parler. Quelle est votre conception de la République ? La communauté nationale est une et indivisible et n'importe quel citoyen, d'où qu'il soit, peut avoir un avis sur cette proposition de loi.

Enfin, ce serait une culture et une tradition à préserver. Mais de quoi parle-t-on ? D'un spectacle mettant en scène une violence gratuite, non justifiée par le fait de devoir se nourrir ou de répondre à un besoin essentiel à la vie. Devrait-on célébrer la domination de l'être humain sur un animal jusqu'à sa mise à mort ? Je conclurai en rappelant que la corrida a été interdite à Barcelone.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l'article unique est supprimé et les autres amendements tombent.

Après l'article unique

Amendement CL14 de M. Timothée Houssin.

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Cet amendement ne porte pas sur la corrida mais vise à profiter de la révision éventuelle de l'article 521-1 du code pénal pour alourdir les peines encourues en cas de sévices graves ou d'actes de cruauté envers les animaux. Il est proposé de faire passer la peine d'emprisonnement de trois à cinq ans et l'amende de 45 000 à 75 000 euros, conformément à ce que proposait Marine Le Pen pendant la campagne de l'élection présidentielle.

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Avant toute chose, en supprimant l'article unique, vous envoyez un signal terrible aux Français en leur indiquant que vous vous moquez complètement de ce qu'ils souhaitent. Ce vote est malheureusement le résultat d'une forte pression des lobbies, d'une minorité bien organisée qui a fait le tour de tous les groupes ces dernières semaines. La démocratie est en jeu, quand huit à neuf Français sur dix réclament la fin de la corrida et que vous ne les entendez pas. Mais je ne doute pas que l'Assemblée nationale, en séance publique, saura exprimer une position courageuse et ambitieuse, en phase avec ce que veulent les Français.

Pour en venir à l'amendement de M. Houssin, je souhaite que l'on soit le plus sévère possible avec ceux qui commettent des actes de cruauté. Cependant, les peines actuelles, qui ont été aggravées par la loi du 30 novembre 2021, ne sont souvent pas appliquées. Je souhaite donc dans l'immédiat l'application des peines légales. Demande de retrait.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL18 de M. Timothée Houssin.

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Cet amendement n'a pas non plus de lien direct avec la corrida : il vise à compléter l'article 521-1 du code pénal pour sanctionner la non-dénonciation de sévices graves ou d'actes de cruauté envers les animaux.

Je retire les amendements suivants qui, eux, portent sur la corrida et n'ont plus de sens dans la mesure où l'article unique a été supprimé.

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Même avis que précédemment. Demande de retrait.

La commission rejette l'amendement.

Les amendements CL20 de M. Timothée Houssin et CL10 de Mme Corinne Vignon sont retirés.

TITRE

L'amendement CL13 de M. Timothée Houssin est retiré.

La commission ayant supprimé l'article unique de la proposition de loi, celle-ci est rejetée.

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Compte tenu de l'heure, je vais convoquer la commission à 17h30 pour examiner la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier les conditions de déclenchement du référendum d'initiative partagée (n°291) (M. Matthias Tavel, rapporteur)

La séance est levée à 12 heures 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Aymeric Caron, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Dominique Da Silva, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Jordan Guitton, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Andy Kerbrat, M. Fabien Lainé, Mme Florence Lasserre, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, Mme Julie Lechanteux, Mme Gisèle Lelouis, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, Mme Mathilde Panot, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, Mme Danielle Simonnet, Mme Sarah Tanzilli, M. Matthias Tavel, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, Mme Anne-Cécile Violland, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - Mme Émilie Chandler, Mme Edwige Diaz, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Davy Rimane

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Anne-Laure Blin, M. Lionel Causse, M. Pierre Dharréville, Mme Martine Etienne, Mme Pascale Martin, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Danièle Obono, M. Sébastien Rome, M. Michel Sala, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Corinne Vignon