Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Ce n'est pas d'aujourd'hui que la corrida fascine et fait scandale ; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle suscite des passions, de l'incompréhension, de la réprobation ; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle provoque le débat. Que nous dit-elle, en effet, de notre humanité ? Au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous ne portons pas toutes et tous le même regard ; toutes et tous ne se retrouveront donc pas dans mon propos.

Avec cette proposition de loi, il s'agit manifestement d'obtenir une première victoire, symbolique, dans la bataille antispéciste. C'est toute mort animale du fait d' Homo sapiens qu'il faudrait abolir. Nous sommes nombreuses et nombreux à ne pas partager l'horizon antispéciste, qui appelle à la construction d'une post-humanité, d'un genre humain réintégré au règne animal dont il s'est efforcé de s'extraire tant soit peu et paradoxalement arraché au cycle de la vie et de la chaîne alimentaire. Cette option philosophique trouve une application dans le véganisme. Pour respectable qu'il soit, ce choix individuel ne saurait être imposé comme un choix de société.

Nous pouvons nous entendre sur plusieurs points : sur l'urgence de revoir notre régime alimentaire et le rapport aux espèces animales qui nous nourrissent, en remettant en cause le modèle industriel d'élevage et d'abattage ; sur la nécessité de préserver la biodiversité du vivant ; plus largement, sur le caractère impératif du combat écologique. Or l'interdiction de la corrida ne fera pas avancer ces causes.

La question qui nous est posée ici n'est pas d'aimer ou non la corrida, mais de savoir si la République est fondée à interdire, par un acte autoritaire, cette pratique culturelle dans les territoires où elle existe ; si une vision du monde peut en interdire une autre ; si l'antispécisme peut interdire la culture taurine, une culture populaire, qui n'est pas immuable, aux accents du Midi, mais aussi de l'Andalousie et de l'Amérique latine.

Une culture, c'est aussi un écosystème, en l'occurrence celui des vastes espaces naturels où vivent les taureaux. Il faut le dire, il y a une deuxième façon de provoquer la mort du taureau, c'est de souhaiter que, tout simplement, il ne vive pas, puisqu'il n'y aura plus de raison de l'élever. C'est tout le problème de certaines théories animalistes, qui aboutiraient à annihiler toutes les relations entre les humains et les autres espèces, quelle que soit leur nature, y compris les relations de travail et de coopération.

Dans ma circonscription, il y a des manades, des élevages de taureaux, des arènes, des corridas et des jeux taurins. Mais il n'y a pas, je crois, de barbares, puisque le qualificatif a été employé. Veillons à ne pas ajouter aux fractures de notre société, à ce sentiment de mépris que ressentent beaucoup de femmes et d'hommes lorsqu'on leur fait la morale ou qu'on les culpabilise pour ce qu'ils sont. Le barbare, aux sources de l'étymologie, c'est l'étranger, celui qui n'est pas de notre civilisation, celui qu'on ne comprend pas. C'est d'ailleurs manifeste, puisque la lecture qui est faite de la corrida débouche bien souvent sur un contresens. Si l'on écoute les aficionados, la mort du taureau n'est pas rien pour eux : en le mettant en position de mourir au combat, la corrida montre avec gravité non seulement la bravoure, mais aussi le scandale de la mort, en l'occurrence celle de l'animal qui nous nourrit. Pour certains, en essayant de sublimer cela, la corrida nous amène à nous interroger sur ce que le monde moderne a camouflé.

Il y a effectivement, monsieur le rapporteur, matière à s'interroger : on a le droit de ne pas comprendre, de réprouver, de condamner. Mais la République, je crois, s'abîmerait à interdire soudain toute une culture en son sein, dans l'acte d'autorité d'une majorité contre une minorité ; elle porterait atteinte à une liberté et au principe de la diversité culturelle. L'anathème qui fait de chacun le monstre de l'autre empêche le débat, au lieu de l'ouvrir, sur les questions profondes que nous pouvons avoir en partage. Il vaudrait mieux prendre appui sur cette controverse pour chercher à nous comprendre et nourrir nos interrogations. Produisons plutôt cet effort.

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