Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 14h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, président :

Je vous remercie. Beaucoup d'hypothèses sont posées sur la table, y compris celles qui vous paraissent les plus folles. Il ne s'agit pas d'attaquer la DGSI, mais de rappeler que la réalité peut dépasser la fiction, comme l'a dit le directeur de l'administration pénitentiaire pour caractériser l'alignement extraordinaire de faits qui, pris isolément, sont présentés comme l'effet du hasard mais qui créent un chemin de crête proprement impossible quand on les met bout-à-bout. Cela vaut pour l'acte lui-même, dont nous ne parlerons pas en raison de la procédure judiciaire en cours – mais comme nous nous sommes rendus plusieurs fois à la maison centrale d'Arles, nous pouvons nous faire une idée de ce qu'est cette main invisible du hasard –, et pour le parcours de Franck Elong Abé.

Ce qui est troublant, c'est que le rapport de l'IGJ mentionne que si l'on s'en tient aux préconisations unanimes des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) successives, et éventuellement des GED, la décision de transférer Franck Elong Abé en QER aurait dû être prise. Or, elle ne l'a été ni par les directions d'établissement ni, précédemment, par les magistrats antiterroristes, qui se sont immiscés en matière post-sentencielle alors que ce n'était pas leur compétence, au moins s'agissant du parquet – je cite l'IGJ. Il en résulte que n'a pas été transféré en QER un individu dont, selon les services de renseignement, ni le prosélytisme ni la dangerosité ne s'étaient atténués, vous nous l'avez dit, et que nos interlocuteurs, pour justifier l'absence d'orientation de Franck Elong Abé en QER, présentent deux thèses exclusives l'une de l'autre.

Les uns nous disent : « Comme il s'était amélioré, on pouvait le mettre en détention ordinaire et préparer sa sortie, d'autant qu'aucun fait notable ne le concernait » – alors même que les incidents dont il a été l'auteur à Arles nous ont été cachés le 30 mars dernier par l'ancienne directrice de l'établissement entendue par la commission des lois. À l'inverse, selon l'autre thèse entendue, Franck Elong Abé était tellement dangereux qu'on ne pouvait l'affecter en QER. Ne pas orienter en QER un individu caractérisé comme d'une dangerosité extrême paraît contre-intuitif, en plus d'être contraire aux textes selon lesquels l'objectif de cette orientation est d'évaluer l'existence d'un risque de passage à l'acte violent. Ces deux thèses contraires sont avancées pour justifier le fait que des recommandations essentielles n'ont pas été suivies par les instances qui auraient dû les faire leurs. Au contraire, M. Elong Abé, en détention ordinaire depuis quatre mois en mai 2021 mais qui ambitionne toujours, est-il noté dans un procès-verbal de la CPU, de « grandir par l'islam et de se sacrifier », se voit affecté à un emploi en septembre 2021.

Non seulement les explications qui nous sont données ne concordent pas, mais la grande légèreté avec laquelle les incidents dont Franck Elong Abé est l'auteur sont relativisés nous fait nous interroger. Dans ce contexte, la question de la transmission des renseignements relatifs au degré de dangerosité de Franck Elong Abé est essentielle. Vous avez résumé ce que vous saviez de son comportement en Afghanistan, en particulier qu'il a participé à des combats. Parmi les TIS, classez-vous Franck Elong Abé en haut du spectre dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ?

Le SNRP, qui n'a pu répondre à cette question, a aussi expliqué ne pas avoir été en possession du rapport administratif de la DGSI mais seulement du rapport judiciaire émanant du parquet ; le confirmez-vous ? Est-il usuel de ne pas transférer le dossier administratif complet dont toutes les informations obtenues de vos partenaires étrangers qui permettraient de caractériser le degré de dangerosité d'un combattant en Afghanistan ? Le rapporteur et moi-même nous sommes interrogés sur l'éventualité de demander la déclassification de ce rapport pour mieux comprendre ce que nous estimons être la gestion, au mieux légère et clémente, du parcours carcéral de Franck Elong Abé, et le grand écart entre deux thèses contraires. Enfin, les services de renseignement militaires peuvent-ils avoir un dossier concernant Franck Elong Abé ?

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