Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 14h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, président :

Ce fait incontestable nous interpelle quant aux propos de la cheffe du SNRP confirmant les dires du DLRP selon lesquels il n'y avait aucune relation entre les deux hommes. De même, un incident survenu en août 2021 s'additionne à ceux que l'ancienne directrice de la maison centrale nous avait cachés le 30 mars dernier. Non seulement elle ne mentionne pas le coup de tête assené par Franck Elong Abé à un autre détenu, mais elle donne une autre version de son retrait de la formation professionnelle en jardinage, l'expliquant par ses absences dues au fait qu'il considérait que cette activité n'était pas faite pour lui ; ce faisant, elle induit la commission des lois en erreur. Puis, entendue par notre commission d'enquête, elle relativise l'agression qu'il a commise contre un détenu, la décrivant comme un petit coup de tête alors que l'incident a été traité en commission disciplinaire.

En août 2021, un cinquième incident se produit, nous indique le DLRP, ce qui nous fait nous interroger sur la fluidité des échanges entre services. En effet, notre interlocuteur déclare avoir porté à la connaissance de sa hiérarchie, par le biais de l'application dédiée, le fait que Franck Elong Abé a fait pression sur des détenus en vue d'obtenir l'emploi auquel il a été affecté en septembre 2021. En août 2021 aussi, il prend un bâton, casse des éclairages et menace un membre du personnel. Pour cette raison, il passe en commission disciplinaire le 12 septembre ; mais, le 28 septembre, il est affecté à un emploi, alors que, logiquement, il aurait dû revenir en isolement, même de manière transitoire. Quelque chose ne va pas du tout, si l'on croise la décision contraire à ce qu'elle aurait dû être de l'ancienne directrice d'établissement et le fait que nous a rapporté sous serment le DLRP – même si, a-t-il ajouté, ce fait est à relativiser.

Il faut dire que la relativisation a malheureusement été la norme. On relativise le fait que l'ancienne directrice n'ait pas transmis les procès-verbaux de CPU à l'échelon supérieur. On relativise le fait que l'on est axé sur la préparation de la sortie de Franck Elong Abé et que l'on croyait qu'il allait bien. Quand on est obligé d'admettre qu'a été entré dans l'application un fait qui nous a été caché, on relativise la pression sur détenus par le fait que l'état psychique de celui qui a rapporté cette pression est si instable que son témoignage peut être mis en doute – si ce n'est que le renseignement ainsi recueilli a bel et bien été porté dans l'application dédiée, ce qui aurait dû alerter l'administration pénitentiaire à un moment crucial, avant le passage en emploi de Franck Elong Abé en septembre 2021.

Mais cela n'a pas arrêté une marche en avant qui paraissait irréversible, quoi qu'il fasse – alors que vous avez caractérisé Franck Elong Abé comme représentant une menace du haut du spectre en raison de son extrême dangerosité. Vous n'étiez pas le seul à la connaître : on sentait dans les propos de la cheffe du SNRP et du directeur de l'administration pénitentiaire qu'ils en savaient plus que ce qu'ils nous en disaient sur la dangerosité de cet homme. Aussi, à mettre en parallèle cette marche en avant et cette caractérisation, on a bien le sentiment d'un grand canyon, du moins d'un gouffre dans l'analyse.

Des contradictions majeures demeurent donc dans la gestion du parcours de Franck Elong Abé, qui fondent de grandes interrogations. Selon moi, seules deux hypothèses sont possibles : soit l'enchaînement de circonstances révèle un concours d'incompétences crasses et un système qui s'effondre, ce qui, au-delà du cas de Franck Elong Abé, est très grave ; soit quelque chose s'est passé qui nous échappe.

Franck Elong Abé, vous nous l'avez dit, faisait partie du haut du spectre de la menace représentée par les détenus TIS. Je reprends les chiffres éloquents figurant dans le rapport de l'IGJ : 487 des 500 détenus TIS sont passés en QER depuis l'ouverture de ces quartiers spécialisés. Je ne doute pas que si l'on fait une étude statistique de l'état psychique ou de violence de ces 487 individus, devaient se trouver parmi eux quelques énergumènes du niveau de Franck Elong Abé. J'insiste : seuls treize détenus TIS, soit 6 %, ne sont pas passés par un QER. À l'échelle de la direction interrégionale des services pénitentiaires Sud Est – Marseille, son directeur a évoqué, de mémoire, la présence de 26 détenus TIS. Dix-huit sont passés en QER, cinq en ambulatoire ; trois n'y sont pas passés, dont Franck Elong Abé. Il m'intéresserait de savoir si on recense pour ces trois détenus les mêmes préconisations unanimes et régulières des CPU recommandant le transfert en QER et le même nombre d'incidents, déclinant un peu mais continus. À mon avis, Franck Elong Abé est le seul dans ce cas.

À ce stade, soit a été mise au jour une gestion apocalyptique de la détention, soit il y a un grain de sable. Voilà qui explique nos questions précises et insistantes. L'enjeu est d'ordre démocratique – il s'agit, par des recommandations générales, d'améliorer le fonctionnement de l'administration pénitentiaire et notamment la gestion des détenus radicalisés et des terroristes islamistes – et politique, étant donné les attentes de justice et de vérité dans ce dossier en Corse.

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