Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, président :

Merci pour cet exposé. J'ai été interpellé sur les propos que j'ai tenus dans la presse. Nous comprenons qu'en tant que syndicalistes vous défendiez de façon générique vos fonctions de direction. Néanmoins, nous sommes ici obligés, intellectuellement et surtout moralement : il ne s'agit pas d'une audition libre ; nous sommes sous le régime de la commission d'enquête avec déclaration sous serment, et cela a son importance. Lors d'auditions libres organisées le 30 mars dernier, on nous a menti sur un certain nombre de faits. Je parle de l'ancienne directrice de la centrale d'Arles. Vous êtes dans votre rôle, ce que nous respectons totalement, mais vous êtes aussi confrontés aux faits. Nous sommes ici pour ouvrir des voies afin que cela ne se reproduise plus. Nous prendrons nos responsabilités quant à l'analyse et la réflexion pour formuler des recommandations générales. Mais nous devons aussi étudier les trajectoires particulières de Franck Elong Abé et d'Yvan Colonna. Vous n'êtes pas sans savoir que l'affaire a provoqué de grandes manifestations en Corse allant au-delà du simple problème de maintien de l'ordre. Si de telles manifestations ont eu lieu c'est parce qu'il y a toute une histoire, liée notamment à la contestation de la manière dont le statut de DPS d'Yvan Colonna était géré en raison d'un fait, l'assassinat du préfet Claude Érignac, qui a certes traumatisé la République. Pour autant, des avocats, des juristes et d'autres ont contesté la façon dont on maintenait ce statut de DPS pour Yvan Colonna. Bien sûr les textes le permettaient, mais uniquement à la lumière de sa situation pénale et non de son parcours carcéral. Ce n'est pas moi qui le dis, mais tous ceux que nous avons auditionnés ici. Nous confrontons cette trajectoire avec celle de Franck Elong Abé pour lequel, à l'inverse, en raison de son parcours carcéral – il allait mieux à Arles, etc. –, on oubliait qu'il était terroriste islamiste, on oubliait qu'il était « haut du spectre », et on justifiait son affectation au service général.

Je m'arrêterai à une contradiction, lourde, qui a conduit le rapporteur et moi-même à envisager de demander la déclassification de certains dossiers classés « secret défense ». D'un côté, les services de renseignement nous ont fait savoir de manière très claire que l'individu était connu comme étant en « haut du spectre » du terrorisme islamiste, pour reprendre un terme technique, et que l'administration ne pouvait pas ne pas le savoir. De l'autre côté, le responsable de l'IGJ nous a affirmé qu'il l'ignorait et que, en tant qu'inspecteur, il n'imaginait pas possible que l'administration ait pu avoir connaissance de cette information et décide malgré tout de l'affecter à un emploi au service général.

Une telle contradiction va au-delà du dysfonctionnement. On parle de quelqu'un qui s'est rendu sur un théâtre de guerre en Afghanistan, qui fait partie du haut du pavé du terrorisme islamiste et est classé comme tel par les services de renseignement.

C'est une contradiction lourde déjà mise à jour par notre commission d'enquête, qui nécessite sans doute une réponse de votre part. Je n'irai pas plus loin sur ce point, mais notre trouble est grand. Le directeur de l'administration pénitentiaire a reconnu lui-même que la réalité dépassait la fiction dans l'alignement des planètes et des faits, ce qui situe la dimension du problème auquel nous sommes confrontés. Nous ne parlons pas d'une rixe, les deux détenus ne se sont pas croisés par hasard dans un couloir. Les images sont claires, elles montrent quelqu'un qui sait ce qu'il va faire et qui sait qu'Yvan Colonna est en position de faiblesse. Ce n'est pas moi qui le dis, mais d'autres personnes auditionnées.

Il y a bien sûr des problèmes généraux que vous avez évoqués, notamment la surpopulation carcérale et le manque de moyens, et que nous serons amenés à prendre en compte. Néanmoins je reviendrai sur ce qui s'est passé. La directrice de la centrale a menti le 30 mars dernier au sujet des quatre incidents provoqués par Franck Elong Abé lors de sa détention à Arles. Ceux-ci ont été dissimulés à la commission des lois et d'autres versions des faits ont été données. Surtout, la centrale d'Arles comptait au moment des faits environ 147 détenus. C'est un village. Il n'y a pas là de problème de surpopulation carcérale ou d'encadrement – il y en a d'autres, d'ailleurs mis en lumière par le rapport de l'IGJ. Mon propos vise à vous demander votre avis sur l'absence de transmission des comptes rendus des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) dangerosité telle qu'évoquée par le rapport de l'Inspection générale, ceci à trois reprises. Cette pratique consistant, pour la directrice d'un établissement, à ne pas transmettre à la hiérarchie interrégionale et centrale des rapports unanimes sur la dangerosité d'un individu, de surcroît classé TIS, existe-t-elle ailleurs ? En mai 2021, Franck Elong Abé affirmait vouloir « mourir par l'islam ». Pour autant, il était placé en détention ordinaire. Ou est-ce que ceci vous interroge également du point de vue réglementaire, quant à ce qui aurait pu ou dû être fait ?

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