Intervention de Charles Sitzenstuhl

Réunion du mercredi 28 juin 2023 à 13h20
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles Sitzenstuhl, rapporteur :

Je vous présente aujourd'hui les conclusions du rapport portant observations sur le projet de loi relatif à l'industrie verte. C'est un exercice qui nous permettra d'apporter, en commission spéciale et en séance, un éclairage européen sur ce texte. Je me réjouis que la commission des affaires européennes se saisisse pour la première fois d'un projet de loi portant sur l'industrie et l'attractivité économique. Ces sujets doivent, plus que jamais, être envisagés au niveau européen.

L'industrie verte consiste en premier lieu à décarboner l'appareil productif existant, en accompagnant les entreprises industrielles dans la réduction de leurs émissions de CO2. Le Gouvernement soutient déjà massivement les efforts de décarbonation de nos filières, en mobilisant par exemple cinq milliards d'euros dans le cadre de France 2030. L'industrie verte renvoie également à notre capacité à produire sur le sol européen les technologies propres indispensables à la transition écologique, qu'il s'agisse des batteries, des électrolyseurs pour l'hydrogène ou bien encore des panneaux solaires. Ce projet de loi vise à mieux orienter l'épargne privée vers le financement de l'industrie verte, à renforcer la dimension environnementale de la commande publique et à accélérer la délivrance des autorisations pour l'implantation de sites industriels. Les délais effectifs atteignent 17 mois en France, soit près du double qu'en Allemagne.

Ce texte intervient alors que nos indicateurs économiques sont satisfaisants. La France a enrayé, depuis 2017, la spirale de la désindustrialisation. Nous créons à nouveau des emplois industriels nets, plus de 100 000 en six ans. Les ouvertures d'usines sont désormais supérieures aux fermetures de sites. La France est, pour la quatrième année consécutive, le pays européen le plus attractif en nombre de projets d'investissement étranger.

Forte de ces succès, la France doit accélérer sa réindustrialisation verte. Trois défis se présentent à nous, dont les solutions résident en grande partie à l'échelon européen.

Premièrement, l'industrie demeure le troisième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France et en Europe. Nos filières ont engagé des efforts conséquents, mais le rythme de décarbonation a faibli ces dernières années. Nous devons donc renforcer les politiques mises en œuvre pour atteindre nos objectifs climatiques sans fragiliser notre industrie et les emplois qui y sont liés. À défaut, l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 ne sera pas atteint.

Deuxièmement, la décarbonation de l'industrie et le développement de nos capacités de production de technologies propres sont au cœur de notre souveraineté énergétique. La facture énergétique de l'industrie a doublé dans toute l'Europe entre 2019 et 2022, alors même que la guerre en Ukraine a révélé notre dépendance collective aux énergies fossiles et les choix stratégiques de certains de nos partenaires européens qui ont accru leur dépendance au gaz russe. Je tiens toutefois à souligner que nos entreprises sont moins affectées que leurs concurrents européens, grâce à l'électricité décarbonée produite par nos centrales nucléaires.

Troisièmement, la nouvelle donne géopolitique sape la résilience des chaînes de valeur mondialisées et donc la sécurité de nos approvisionnements. La Chine domine plus de 60 % de la production mondiale dans plusieurs secteurs critiques, en particulier les panneaux solaires, les technologies éoliennes et les composants de batteries électriques. Les États-Unis y répondent à leur manière par l'intermédiaire de l' Inflation Reduction Act (IRA), sans se soucier du respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce. Or, la demande en technologies vertes devrait exploser dans les prochaines années, au risque de renforcer notre dépendance à l'égard de nos rivaux et partenaires. L'Europe se situe à un tournant qui conditionnera ou non sa capacité à maîtriser son destin industriel et sa transition écologique. Le moment n'est plus à l'opposition stérile entre la politique industrielle, d'une part, et le bon fonctionnement du marché intérieur, d'autre part. À l'avenir, le marché intérieur fonctionnera d'autant mieux si les politiques industrielles des États membres sont coordonnées.

Je reviendrai simplement sur quatre propositions clés du rapport. La première consiste à rehausser l'ambition du fonds de souveraineté européen. C'est un engagement pris par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, lors de son dernier discours sur l'état de l'Union. Comme l'ont récemment dénoncé nos collègues du groupe Renew au Parlement européen, la proposition est plutôt décevante. En effet, la Commission propose de créer un portail unique pour faciliter l'accès aux financements européens existants, en se contentant d'injecter 10 milliards d'euros supplémentaires à l'occasion de la révision du budget pluriannuel de l'Union. Or il est dans l'intérêt de l'Union de mobiliser dès maintenant les financements nécessaires à la production de technologies vertes. Le coût de l'inaction sera bien supérieur si nous devons, dans quelques années, importer l'ensemble des composants ou des équipements nécessaires. Je propose, par conséquent, d'augmenter les nouveaux crédits qui abondent le fonds de souveraineté, au moins en les doublant à 20 milliards d'euros. De nouvelles formes de financement, par exemple avec des prises de participations au capital d'entreprises stratégiques, doivent également être développées.

Aussi, nous devons nous assurer que les États membres sont en capacité de soutenir efficacement les secteurs d'avenir. C'est l'objectif des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui permettent de soutenir des coopérations industrielles par dérogation aux règles en matière d'aide d'État. Ce dispositif est une réussite. Six PIIEC ont été autorisés par la Commission, sur la micro-électronique, l'hydrogène et les batteries. Quatre PIIEC sont en cours de notification à la Commission, dont deux pilotés par la France sur le cloud et sur la santé. Les entreprises ont toutefois fait état de lourdeurs administratives et de difficultés à faire aboutir ces projets. Nous devons veiller à la simplicité des procédures applicables, notamment pour favoriser la participation des petites et moyennes entreprises (PME). Les moyens techniques, financiers et humains des services compétents doivent être renforcés en conséquence. Cela concerne aussi bien les États membres, chargés de la notification, que la Commission, chargée de l'instruction des dossiers.

Troisièmement, l'amélioration des régimes d'aide d'État impose également de réfléchir à la pérennisation du cadre temporaire adopté en 2022 par la Commission. Ce dispositif a été créé pour permettre aux pays européens de soutenir leur économie face aux conséquences de la guerre en Ukraine, avant d'être prolongé à trois reprises. La dernière actualisation, en mars 2023, permet aux États membres de soutenir des investissements plus structurels dans l'industrie verte. La France joue un rôle moteur en la matière : elle est à l'origine de ce dispositif et sera la première à l'appliquer. En effet, un crédit d'impôt de 20 à 45 % visant à soutenir l'investissement en faveur des technologies vertes sera présenté sur ce fondement et inscrit dans la prochaine loi de finances. Je regrette néanmoins que ce cadre européen temporaire, désormais orienté vers des objectifs de long terme, expire à la fin de l'année 2025. La Commission gagnerait à le pérenniser pour donner davantage de marges de manœuvre aux États et de visibilité aux investisseurs, à la manière de l'IRA américain qui se déploie sur une décennie.

Pour conclure, nous devons cesser d'avoir la préférence européenne honteuse et faire de la commande publique un levier de souveraineté industrielle. Des dispositifs existent déjà pour favoriser les offres émanant d'entreprises européennes ou contenant des produits européens. C'est le cas pour la défense et les industries de réseau. Je propose de les étendre aux marchés publics visant à l'acquisition de technologies vertes. C'est un premier pas, réaliste et nécessaire, vers un véritable Buy European Act. La France l'appelle de ses vœux mais se heurte encore à des oppositions politiques et idéologiques de certains États membres.

Le projet de loi relatif à l'industrie verte est un point de départ utile pour que notre commission continue à discuter des sujets industriels.

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