Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 28 juin 2023 à 13h20

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • devoir de vigilance
  • directive
  • industrie
  • position
  • verte
  • vigilance

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 28 juin 2023

Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,

La séance est ouverte à 13 heures 20.

I. Projet de loi relatif à l'industrie verte (n° 1443) : examen du rapport d'information portant observations (M. Charles SITZENSTUHL, rapporteur d'information)

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Je vous présente aujourd'hui les conclusions du rapport portant observations sur le projet de loi relatif à l'industrie verte. C'est un exercice qui nous permettra d'apporter, en commission spéciale et en séance, un éclairage européen sur ce texte. Je me réjouis que la commission des affaires européennes se saisisse pour la première fois d'un projet de loi portant sur l'industrie et l'attractivité économique. Ces sujets doivent, plus que jamais, être envisagés au niveau européen.

L'industrie verte consiste en premier lieu à décarboner l'appareil productif existant, en accompagnant les entreprises industrielles dans la réduction de leurs émissions de CO2. Le Gouvernement soutient déjà massivement les efforts de décarbonation de nos filières, en mobilisant par exemple cinq milliards d'euros dans le cadre de France 2030. L'industrie verte renvoie également à notre capacité à produire sur le sol européen les technologies propres indispensables à la transition écologique, qu'il s'agisse des batteries, des électrolyseurs pour l'hydrogène ou bien encore des panneaux solaires. Ce projet de loi vise à mieux orienter l'épargne privée vers le financement de l'industrie verte, à renforcer la dimension environnementale de la commande publique et à accélérer la délivrance des autorisations pour l'implantation de sites industriels. Les délais effectifs atteignent 17 mois en France, soit près du double qu'en Allemagne.

Ce texte intervient alors que nos indicateurs économiques sont satisfaisants. La France a enrayé, depuis 2017, la spirale de la désindustrialisation. Nous créons à nouveau des emplois industriels nets, plus de 100 000 en six ans. Les ouvertures d'usines sont désormais supérieures aux fermetures de sites. La France est, pour la quatrième année consécutive, le pays européen le plus attractif en nombre de projets d'investissement étranger.

Forte de ces succès, la France doit accélérer sa réindustrialisation verte. Trois défis se présentent à nous, dont les solutions résident en grande partie à l'échelon européen.

Premièrement, l'industrie demeure le troisième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France et en Europe. Nos filières ont engagé des efforts conséquents, mais le rythme de décarbonation a faibli ces dernières années. Nous devons donc renforcer les politiques mises en œuvre pour atteindre nos objectifs climatiques sans fragiliser notre industrie et les emplois qui y sont liés. À défaut, l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 ne sera pas atteint.

Deuxièmement, la décarbonation de l'industrie et le développement de nos capacités de production de technologies propres sont au cœur de notre souveraineté énergétique. La facture énergétique de l'industrie a doublé dans toute l'Europe entre 2019 et 2022, alors même que la guerre en Ukraine a révélé notre dépendance collective aux énergies fossiles et les choix stratégiques de certains de nos partenaires européens qui ont accru leur dépendance au gaz russe. Je tiens toutefois à souligner que nos entreprises sont moins affectées que leurs concurrents européens, grâce à l'électricité décarbonée produite par nos centrales nucléaires.

Troisièmement, la nouvelle donne géopolitique sape la résilience des chaînes de valeur mondialisées et donc la sécurité de nos approvisionnements. La Chine domine plus de 60 % de la production mondiale dans plusieurs secteurs critiques, en particulier les panneaux solaires, les technologies éoliennes et les composants de batteries électriques. Les États-Unis y répondent à leur manière par l'intermédiaire de l' Inflation Reduction Act (IRA), sans se soucier du respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce. Or, la demande en technologies vertes devrait exploser dans les prochaines années, au risque de renforcer notre dépendance à l'égard de nos rivaux et partenaires. L'Europe se situe à un tournant qui conditionnera ou non sa capacité à maîtriser son destin industriel et sa transition écologique. Le moment n'est plus à l'opposition stérile entre la politique industrielle, d'une part, et le bon fonctionnement du marché intérieur, d'autre part. À l'avenir, le marché intérieur fonctionnera d'autant mieux si les politiques industrielles des États membres sont coordonnées.

Je reviendrai simplement sur quatre propositions clés du rapport. La première consiste à rehausser l'ambition du fonds de souveraineté européen. C'est un engagement pris par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, lors de son dernier discours sur l'état de l'Union. Comme l'ont récemment dénoncé nos collègues du groupe Renew au Parlement européen, la proposition est plutôt décevante. En effet, la Commission propose de créer un portail unique pour faciliter l'accès aux financements européens existants, en se contentant d'injecter 10 milliards d'euros supplémentaires à l'occasion de la révision du budget pluriannuel de l'Union. Or il est dans l'intérêt de l'Union de mobiliser dès maintenant les financements nécessaires à la production de technologies vertes. Le coût de l'inaction sera bien supérieur si nous devons, dans quelques années, importer l'ensemble des composants ou des équipements nécessaires. Je propose, par conséquent, d'augmenter les nouveaux crédits qui abondent le fonds de souveraineté, au moins en les doublant à 20 milliards d'euros. De nouvelles formes de financement, par exemple avec des prises de participations au capital d'entreprises stratégiques, doivent également être développées.

Aussi, nous devons nous assurer que les États membres sont en capacité de soutenir efficacement les secteurs d'avenir. C'est l'objectif des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui permettent de soutenir des coopérations industrielles par dérogation aux règles en matière d'aide d'État. Ce dispositif est une réussite. Six PIIEC ont été autorisés par la Commission, sur la micro-électronique, l'hydrogène et les batteries. Quatre PIIEC sont en cours de notification à la Commission, dont deux pilotés par la France sur le cloud et sur la santé. Les entreprises ont toutefois fait état de lourdeurs administratives et de difficultés à faire aboutir ces projets. Nous devons veiller à la simplicité des procédures applicables, notamment pour favoriser la participation des petites et moyennes entreprises (PME). Les moyens techniques, financiers et humains des services compétents doivent être renforcés en conséquence. Cela concerne aussi bien les États membres, chargés de la notification, que la Commission, chargée de l'instruction des dossiers.

Troisièmement, l'amélioration des régimes d'aide d'État impose également de réfléchir à la pérennisation du cadre temporaire adopté en 2022 par la Commission. Ce dispositif a été créé pour permettre aux pays européens de soutenir leur économie face aux conséquences de la guerre en Ukraine, avant d'être prolongé à trois reprises. La dernière actualisation, en mars 2023, permet aux États membres de soutenir des investissements plus structurels dans l'industrie verte. La France joue un rôle moteur en la matière : elle est à l'origine de ce dispositif et sera la première à l'appliquer. En effet, un crédit d'impôt de 20 à 45 % visant à soutenir l'investissement en faveur des technologies vertes sera présenté sur ce fondement et inscrit dans la prochaine loi de finances. Je regrette néanmoins que ce cadre européen temporaire, désormais orienté vers des objectifs de long terme, expire à la fin de l'année 2025. La Commission gagnerait à le pérenniser pour donner davantage de marges de manœuvre aux États et de visibilité aux investisseurs, à la manière de l'IRA américain qui se déploie sur une décennie.

Pour conclure, nous devons cesser d'avoir la préférence européenne honteuse et faire de la commande publique un levier de souveraineté industrielle. Des dispositifs existent déjà pour favoriser les offres émanant d'entreprises européennes ou contenant des produits européens. C'est le cas pour la défense et les industries de réseau. Je propose de les étendre aux marchés publics visant à l'acquisition de technologies vertes. C'est un premier pas, réaliste et nécessaire, vers un véritable Buy European Act. La France l'appelle de ses vœux mais se heurte encore à des oppositions politiques et idéologiques de certains États membres.

Le projet de loi relatif à l'industrie verte est un point de départ utile pour que notre commission continue à discuter des sujets industriels.

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Il est bienvenu que la commission des affaires européennes ait décidé d'un rapport d'information portant observations sur ce texte. L'objectif de construire une nouvelle étape de la réindustrialisation, tout en poursuivant la décarbonation de l'économie, doit être mis au service d'une ambition européenne partagée. C'est le sens du volet industriel du Pacte vert présenté par la Commission européenne le 1er février 2023, dont il s'agit d'opérer la déclinaison nationale. Les mesures de ce plan visent à soutenir l'industrie dans sa transition écologique et d'apporter une réponse européenne à l'IRA, qui prévoit 369 milliards de dollars de subventions.

Le rapport d'information présenté par notre collègue replace bien dans leur globalité les enjeux européens industriels et la série de défis à laquelle nous faisons face : l'urgence climatique, la résurgence du protectionnisme américain, l'agressivité économique et commerciale de la Chine, la nécessité vitale d'aller à la fois vers la décarbonation et vers la réindustrialisation du continent européen, ainsi que l'ambition d'une souveraineté industrielle pour sortir des dépendances que la guerre en Ukraine a révélées de manière cruelle.

Le groupe Renaissance de l'Assemblée nationale juge les dix propositions que vous présentez pertinentes et utiles, en portant une attention particulière à deux d'entre elles. D'une part, la quatrième proposition rappelle que la phase transitoire du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est une étape cruciale. Il conviendra certainement d'amender le mécanisme et d'étendre son périmètre aux produits finis et semi-finis. D'autre part, la cinquième proposition appelle toute notre vigilance. Elle vise à intégrer l'ensemble des technologies nucléaires dans la liste des technologies « zéro net » de la proposition de règlement européen pour une industrie « zéro net ». C'est un combat européen essentiel pour les enjeux industriels français.

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Pour renforcer l'attractivité et la compétitivité de la France et placer les enjeux climatiques au cœur de son action, le Gouvernement propose de favoriser les projets de réindustrialisation des filières vertes. Le projet de loi relatif à l'industrie verte s'inscrit dans une nouvelle étape de réindustrialisation du pays, afin de faire de la France la championne de l'industrie verte en Europe. Cependant, ces mesures sont essentiellement les redites de mesures antérieures et ne promettent aucune réforme de fond de la politique industrielle du pays. Ce texte, qui est annoncé comme un grand texte du quinquennat, rate largement son ambition. Les mesures de financement sont plutôt indigentes et reposent essentiellement sur des gadgets, comme le « livret avenir climat » à destination des mineurs.

Nous continuons à préconiser le lancement d'un fonds souverain au service des Français qui contribuera au financement de la transition écologique. On peut constater une absence totale de solutions sur le nucléaire en tant que source d'énergie bas carbone, qui a contribué de façon significative à la réduction des émissions de CO2 et à la fourniture d'une électricité fiable, continue et à bas coût. Permettez-moi de citer Mme Élisabeth Borne, qui indiquait le 30 juin 2020 : « Cela fait des années que l'on disait qu'il fallait fermer les centrales nucléaires. Il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui le font. Nous, on le fait. » Voilà une phrase qui aura su marquer un point clef dans la politique et les investissements stratégiques du Gouvernement.

Le Rassemblement national, quant à lui, est pleinement investi dans le combat pour une énergie et un environnement qui soient propres. Ce sujet crucial figure au cœur de notre programme présidentiel et de celui de Marine Le Pen, qui a été la seule à proposer un référendum sur l'environnement. Nous jugeons que les décisions sur ce sujet ne doivent pas être prises contre les peuples. Le Rassemblement national continuera de proposer un projet écologique, innovant et respectueux des identités locales. Nous défendrons toujours le localisme en encourageant les initiatives environnementales aux niveaux régional et local et nous croyons en une approche décentralisée qui permet aux communautés de s'engager activement dans la protection de l'environnement.

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Merci pour ce rapport d'information qui nous permet un premier « tour de chauffe » sur le projet de loi relatif à l'industrie verte. Il nous éclaire, à travers vos dix propositions, sur les manquements que vous avez pu vous-même constater sur le projet de loi qui nous est présenté.

Nous partageons avec vous le tableau des enjeux et des obstacles à lever pour mener une véritable politique industrielle. Tout le monde ici est d'accord pour retrouver notre souveraineté industrielle. Comment ne pas l'être après la crise du Covid, après l'invasion de l'Ukraine et la rupture des relations avec la Russie ou quand l'on constate que, parmi les secteurs stratégiques, les semi-conducteurs sont produits en Asie ? Même le Japon annonce la nationalisation de sa principale entreprise du secteur. En matière écologique, je trouve le rapport un peu plus timide. L'urgence est là mais je ne vois pas dans vos propositions de mesures qui permettraient d'agir en conséquence.

Finalement, je suis au regret de vous dire que vous faites le constat des symptômes mais ne dites rien sur les causes. La réalité, que ce soit dans l'Union européenne ou en France, est que l'idéologie libérale fait du libre marché et du productivisme l'alpha et l'oméga de la politique industrielle européenne. Cela conduit à une concurrence à l'intérieur des frontières de l'Union européenne et à des faiblesses face à nos grands concurrents que sont aujourd'hui les États-Unis ou la Chine. Nous sommes donc dans le scénario 4 de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) dans son rapport sur la transition 2050, qui s'appelle « le pari réparateur » : on continue comme avant en priant pour que la technologie nous sauve. C'est le cas du projet de loi relatif à l'industrie verte et de la politique que mène toujours l'Union européenne.

Je suis plutôt favorable pour ma part au scénario 1 de l'ADEME, un scénario de sobriété qui est certainement le plus efficace puisqu'il prévoit de baisser la consommation, notamment énergétique, et de changer aussi bien les comportements et les organisations que la technologie. Je vais tout de même revenir sur deux aspects de votre rapport.

D'abord, le projet de loi relatif à l'industrie verte aurait dû être l'occasion de soutenir et de préciser le protectionnisme que nous devons appeler de nos vœux avec le Buy European Act. Il aurait également pu faire des propositions pour pallier les failles du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce n'est malheureusement pas le cas.

Il est nécessaire d'aborder à la fois le verdissement de l'industrie existante et le développement d'une nouvelle industrie verte, mais on ne peut pas englober les deux. Il faut pouvoir les distinguer pour pouvoir mener des politiques plus adaptées à l'une comme à l'autre.

Pourquoi ne pas recommander de renforcer le mécanisme de contrôle des investissements étrangers dans l'Union européenne en l'élargissant à des critères environnementaux ? Comme vous le savez, je vais présenter tout à l'heure un rapport sur la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises qui doit justement responsabiliser ces dernières tout au long de leur chaîne de valeur, notamment sur l'impact environnemental.

Que pensez-vous, par ailleurs, de l'idée de conditionner les investissements directs étrangers dans l'Union européenne à un contrat d'implantation qui pourrait s'appuyer sur des critères en matière environnementale, sociale et de création d'emplois ? Ce contrat d'implantation est inspiré par M. Xavier Bertrand qui le met en œuvre depuis plusieurs années dans les Hauts-de-France.

Pourquoi ne pas fixer des objectifs contraignants de réduction des émissions de CO2, et, surtout, pourquoi limiter l'ambition d'une industrie verte à la décarbonation quand des enjeux aussi essentiels que la biodiversité, la pollution, les usages de l'eau, la sobriété foncière et énergétique font aussi partie de l'industrie verte ?

Pourquoi, enfin, ne pas proposer une harmonisation des normes écologiques au niveau européen, notamment dans le secteur agricole, mais surtout en matière d'écoconception ? On a déjà commencé à le faire dans l'Union européenne, mais on pourrait aller beaucoup plus loin et cela participe du verdissement de l'industrie.

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Les termes « industrie verte » sont aujourd'hui entendus dans nos collectivités et dans nos entreprises. On ressent même une attente chez nos concitoyens. Même si l'ambition du fonds européen de dix milliards d'euros n'est sans doute pas suffisante pour répondre à tous les enjeux, comment nos acteurs pourraient-ils mesurer rapidement les progrès réalisés afin de répondre aux besoins de l'industrie verte et, surtout, regagner la confiance de nos concitoyens ?

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Je réponds d'abord à la remarque de M. François sur le nouveau livret vert que veut mettre en place le Gouvernement, et que je ne considère pas comme un gadget. On voit bien, même si c'est un débat franco-français, qu'il y a aujourd'hui un surplus d'épargne dans notre pays. De façon contre-intuitive dans une période de forte inflation, toutes les données transmises par la Caisse des dépôts et consignations chaque mois montrent qu'il y a beaucoup d'argent sur les livrets A et le livret de développement durable. Il s'agit donc, avec le livret vert, de proposer à nos concitoyens de continuer à épargner tout en permettant à cet argent de contribuer à la transition écologique. On verra à l'usage si c'est un succès, mais je trouve l'idée intéressante. On pourra en faire un bilan dans quelques années.

Sur le nucléaire, vous avez cité de façon malicieuse les propos de Mme Borne tenus dans un contexte qui était différent. Vous avez bien entendu oublié de dire que nous sommes la majorité qui a fait voter une loi de relance du nucléaire dans notre pays. La position que défend la France à Bruxelles, où le combat est difficile, notamment avec nos amis et partenaires allemands, consiste à défendre l'énergie nucléaire.

Sur le fonds souverain, je ne sais pas si celui que vous appelez de vos vœux est français ou européen, mais je vous précise que le fonds souverain français existe et a été lancé en 2020. C'est le fonds « Lac d'Argent » lancé par Bpifrance pour investir directement dans des entreprises. Sans doute Bpifrance doit-elle le faire connaître davantage et peut-être faudra-t-il un jour un fonds équivalent au niveau européen.

Pour répondre à Mme Chikirou, je suis en désaccord lorsque vous dites qu'il n'y a pas de mesures sur l'écologie. Ce projet de loi ne vise pas la politique écologique dans son intégralité. Il s'agit ici de la politique industrielle, qui est l'un de ses segments les plus complexes. L'objectif de ce texte est d'accompagner la baisse des émissions que pratiquent déjà les entreprises, même s'il y a eu un léger ralentissement du rythme de décarbonation récemment. Tout cela favorise la transition écologique et améliore le bilan carbone de l'industrie.

Concernant les PIIEC qui ont été lancés, la France a été à la manœuvre avec l'Allemagne sur les batteries. Ce PIIEC vise à réduire les émissions du secteur automobile et à faire en sorte que le bilan écologique des batteries soit meilleur, car elles seront produites en Europe et pas à l'autre bout de la Terre.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières européen, qui a mis beaucoup de temps à éclore, est ce qu'il est. Il n'est pas parfait mais il vise aussi à baisser les émissions dans certains secteurs. Concernant la technologie, nous considérons que la créativité et l'inventivité humaines, couplées à la sobriété, nous permettront d'affronter cette crise climatique. Le Gouvernement a appelé il y a quelques mois les citoyens, les collectivités et les entreprises à la sobriété, et cela a provoqué des ricanements sur certains bancs.

Concernant le contrôle des investissements étrangers, il n'était effectivement pas directement dans le champ de ce rapport. La Commission européenne a fait des annonces à ce sujet il y a quelques jours, et cela fait partie du programme de travail de la future Commission. Nous avons en France un dispositif exemplaire depuis près de vingt ans. Les premiers décrets relatifs aux investissements étrangers en France (IEF) ont été pris à la fin du mandat de Jacques Chirac, et ont été complétés lors de la dernière loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE ». Nous avons en France une vision propre des choses, avec des normes qui peuvent être opposées aux entreprises, alors que le mécanisme européen est plus déclaratif. La France va donc logiquement pousser pour que l'on renforce ce dispositif au niveau européen.

Conditionner les investissements étrangers à des normes écologiques est une idée intéressante. Vous avez ensuite mentionné les efforts que devait faire l'industrie en matière de sobriété. En France, nous avons adopté hier en première lecture la loi sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN). La France est plutôt en avance en matière de sobriété foncière. Par ailleurs, l'écoconception figure déjà dans une proposition de règlement européen.

Mme Le Peih, le résultat des actions engagées se verra dans la baisse des émissions – aussi bien dans le domaine industriel que dans celui des biens de consommation courante. Dans le secteur automobile, par exemple, les constructeurs européens sont engagés depuis au moins cinq ans dans une transition vers de meilleurs bilans carbone. On verra d'ici une dizaine d'années si cette stratégie a été payante ou non.

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Vous avez dit à plusieurs reprises que l'Union européenne a longtemps pratiqué une politique de compétitivité au détriment d'une véritable politique industrielle et cela est très fortement rappelé dans le rapport. Je pense que cette excellence européenne tire parti des spécificités anciennes des territoires et des savoir-faire. Cependant, vous notez que cette politique industrielle européenne est « en creux » et constitue un palliatif intéressant en l'absence de véritable politique autonome, notamment au moyen de deux instruments récents : les projets importants d'intérêt européen commun et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Je m'interroge sur les activités les plus intensives en carbone financées par le secteur bancaire. D'un côté, nous refusons l'endettement public pour nous protéger et prévenir les effets dévastateurs du changement climatique, et de l'autre côté, les grandes banques financent l'endettement privé et la poursuite d'activités industrielles qui n'ont aucune autre préoccupation que celle de produire – sans souci pour nos ressources communes limitées.

L'empreinte carbone des six plus grandes banques françaises représente près de huit fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière et cela est également vrai pour l'Union européenne. Comme solution envisageable, je pense que l'information et la transparence des financements seraient nécessaires. L'État doit aussi avoir une stratégie pour influencer les banques pour verdir leurs investissements. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

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Je rappelle que l'industrie est une compétence d'appui de l'Union européenne. Je pense que l'Union doit monter en puissance sur ce sujet, l'industrie étant une des composantes de la politique économique au sens large. Cela doit être fait pour des questions de cohérence. Les communautés économiques européennes ont commencé par une union douanière. Ensuite il y a une bascule dans les années 1990 avec la monnaie unique à laquelle une majorité d'États de l'Union participe. La France considère qu'il faut une meilleure coordination des politiques économiques. Cela prend toujours beaucoup de temps, comme toujours en Europe, mais sur les dix dernières années nous avons fait des progrès spectaculaires dans ce domaine. Le couple franco-allemand est moteur. En 2019, pour la première fois, les ministres de l'Économie de nos deux pays se sont mis d'accord sur une doctrine autour de la politique industrielle. La France et l'Allemagne ont lancé les premiers PIIEC, notamment celui sur les batteries. Je pense, parce que je crois à la construction européenne, à l'euro et à sa solidité, que notre monnaie commune sera d'autant plus robuste quand nos politiques seront encore mieux coordonnées dans quelques années.

Je partage votre constat sur les activités intensives en carbone et leur lien avec le secteur bancaire. Il peut y avoir des positions très radicales sur ces questions, cependant il faut être réaliste : les secteurs très émetteurs en carbone existent. Des usines, des entreprises, des centaines de milliers d'Européens en vivent. La transition écologique est bien une transition, qui implique que les choses se fassent pas à pas. Le secteur bancaire français dans le domaine du financement de la transition écologique est plutôt exemplaire et en avance. La place de Paris peut toujours s'améliorer, elle est aujourd'hui l'une des places qui a intégré le plus tôt et le mieux la nécessité de réduire progressivement les financements défavorables à l'environnement et de monter en puissance sur ceux qui y sont favorables. Néanmoins, cela prend du temps et je peux comprendre l'impatience de l'opinion à ce sujet.

La commission autorise le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Le projet de loi relatif à l'industrie verte sera examiné en commission spéciale mardi prochain, le 4 juillet, et sera discuté en séance publique à partir du 12 juillet 2023.

II. Devoir de vigilance des entreprises : examen du rapport d'information et du projet d'avis politique (Mmes Sophia CHIKIROU et Mireille CLAPOT, rapporteures d'information)

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En décembre 2021, devant cette même commission, mon collègue Dominique Potier et moi-même avions présenté une proposition de résolution appelant à « inscrire parmi les priorités de la présidence française de l'Union européenne l'adoption d'une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales ». En janvier 2022, cette résolution avait été adoptée à l'unanimité en séance publique.

En février 2022, la Commission européenne a publié une proposition de directive encourageante, portée par le commissaire à la Justice Didier Reynders. Cette proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – dite « CSDD » – tire son inspiration de la loi française pionnière du 27 mars 2017, dite loi Potier, tout en visant à combler certaines de ses lacunes et en approfondissant son champ.

Selon ce texte, les entreprises européennes ou issues de pays tiers, répondant à des conditions de seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires, devront mener des opérations de « diligence raisonnable » sur leur chaîne d'activité, afin d'identifier, de prévenir et de remédier aux atteintes aux droits humains et environnementaux.

Il y a dix ans, l'effondrement du Rana Plaza causait la mort d'au moins 1127 ouvriers de l'industrie textile. La passivité complice et le silence de grandes marques occidentales face à l'absence de respect des normes de sécurité élémentaires par leurs sous-traitants avaient été largement soulignés. Le découplage entre leur responsabilité juridique et leur responsabilité morale était apparu comme particulièrement choquant.

L'Allemagne et les Pays-Bas se sont récemment dotés de législations sur le devoir de vigilance, et des débats législatifs ont lieu dans plusieurs États membres. Il était donc grand temps que l'Union européenne adopte un cadre ambitieux, pour mettre fin aux modèles d'affaires irrespectueux des droits humains et environnementaux.

L'enjeu est que nous tenions pleinement compte, à chaque fois que nous achetons un article textile ou un appareil, des conséquences du modèle d'affaires sur les conditions de travail et sur l'environnement.

À l'orée des trilogues, l'avis politique que nous portons avec ma collègue vise à envoyer un signal fort aux co-législateurs européens. La présidence espagnole du Conseil, qui débute le 1er juillet 2023, doit être l'occasion de rapprocher les positions divergentes des co-législateurs, sans renoncer à l'ambition de la directive.

En adoptant son mandat le 1er juin 2023, le Parlement européen a porté une vision équilibrée, tout en renforçant l'ambition du texte sur des questions cruciales telles que l'accès à la justice ou encore l'inclusion de certaines institutions financières dans le champ des obligations de vigilance. Au Parlement européen, le responsable du dossier pour le groupe Renew a salué « un texte équilibré » qui « concilie la liberté et la compétitivité économique avec la responsabilité et la protection ».

Néanmoins, le Conseil a porté une vision beaucoup moins ambitieuse au travers de son orientation adoptée le 1er décembre 2022. Regrettant le manque d'ambition du texte, certains États membres n'ont pas soutenu l'orientation soumise au vote, en particulier la Belgique, qui s'est abstenue, et les Pays-Bas, qui ont voté contre.

L'Assemblée nationale a une forte légitimité pour donner un avis politique éclairé, ce d'autant que les députés français ont été à l'origine de la loi française du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance, et que nous avons désormais un certain recul sur ses atouts et ses faiblesses.

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Nous avons mené de nombreuses auditions de personnalités diverses, à Paris et à Bruxelles, qui nous ont convaincues que la position des eurodéputés était bien plus pertinente que celle du Conseil pour assurer l'effectivité du devoir de vigilance. Avec Mireille Clapot, nous sommes tombées d'accord sur l'essentiel des recommandations présentées dans le rapport d'information et l'avis politique, même si nous avons aussi quelques points de divergence.

La directive européenne peut avoir un effet systémique, ce qui explique notre engagement sur le sujet. Or, sur plusieurs points essentiels, l'orientation du Conseil risque d'édulcorer le texte, voire de le vider de sa substance.

En particulier, l'exclusion des services financiers du champ des obligations de vigilance n'est pas acceptable : les députés européens, de Renew jusqu'au Groupe de la Gauche (GUE), souhaitent donc les y inclure. Pour rendre la législation opérante, et rester fidèle à ses objectifs, l'inclusion du secteur financier ne saurait être une simple option à la discrétion des États membres, une sorte de devoir de vigilance « à la carte » comme le propose le Conseil.

La position française à ce sujet est ambivalente, mais peut être assez compréhensible lorsque l'on sait que les fonds de pension ont été exclus du champ des obligations de vigilance, ce qui est bien regrettable. Pour autant, il convient de ne pas céder au très fort lobbying des grandes banques systémiques.

À mon sens, la position du Parlement aurait certes pu être plus ambitieuse. Pour l'heure, seuls les clients directs de certaines institutions financières seraient concernés par les obligations de vigilance, et les fonds de pension en seraient exemptés.

Par ailleurs, et nous nous en inquiétons toutes les deux, l'orientation du Conseil retient une conception plus restrictive des conditions d'engagement de la responsabilité civile des entreprises. Le Conseil a en effet introduit les notions « d'intentionnalité et de négligence », ce qui constitue un recul par rapport à la proposition initiale de la Commission. Ceci peut s'expliquer par le fait que la tradition juridique de certains États membres s'éloigne de la conception défendue par la France. Par exemple, la loi allemande sur le devoir de vigilance ne prévoit pas d'engagement de la responsabilité civile des entreprises : seule une autorité administrative, dont l'indépendance est contestée, est chargée de la bonne application de la loi.

En outre, nous regrettons que le Conseil entende décharger les administrateurs de leurs responsabilités dans la mise en œuvre des mesures de vigilance énoncées dans la directive. Au Parlement européen, un amendement de dernière minute, porté par des membres du Parti Populaire européen (PPE), suite à un lobbying très agressif, a conduit à supprimer le principe d'une rémunération variable des administrateurs en fonction de la bonne application du devoir de vigilance, qui avait pourtant fait l'objet d'un accord au sein de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen.

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Nous estimons toutes les deux que la position adoptée par le Parlement européen, bien qu'affaiblie par des compromis politiques, doit prévaloir sur l'orientation du Conseil.

Sur plusieurs points clefs, la position des eurodéputés permettrait en effet des avancées concrètes.

Tout d'abord, en étendant le champ d'application pour couvrir les entreprises de 250 à 500 salariés. Ce seuil reste suffisamment élevé pour ne pas nuire à la compétitivité européenne. Aux frontières de l'Union, la Norvège a adopté une loi sur le devoir de vigilance, qui concerne les entreprises dès 50 salariés.

Surtout, le Parlement européen prévoit de couvrir les sociétés mères, pour prévenir les stratégies de contournement des obligations de vigilance. À défaut, les holdings, bien que tête de groupe, pourraient échapper à leurs responsabilités dès lors qu'elles seraient en deçà des seuils fixés.

La position du Parlement européen permettrait de rendre les entreprises visées comptables de la « mise en œuvre » de leurs plans de transition climatique. Au Conseil, les États membres sont restés au milieu du gué, en posant le principe d'un plan de transition climatique, sans en imposer la mise en œuvre effective. L'Union européenne doit se donner les moyens de respecter les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'écueil serait d'imposer le principe d'un plan pour cocher des cases, sans véritable mise en œuvre.

Pour conclure, j'insisterai sur la pertinence de la proposition du Parlement européen consistant à lier la rémunération variable des dirigeants des groupes de plus de 1.000 salariés au respect d'objectifs d'émissions de CO₂ compatibles avec l'Accord de Paris. En 2022, lors de sa campagne de réélection, le Président de la République avait justement proposé de conditionner la « rémunération des dirigeants à la réussite de critères environnementaux préalablement fixés ». Cet objectif a été réitéré dans le discours de politique générale de la Première ministre.

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La proposition de directive CSDD prévoit, dans chaque État membre, la désignation d'une ou de plusieurs autorité(s) administrative(s), chargée(s) du contrôle des plans de vigilance. Il s'agit selon nous de l'un des principaux points d'attention, sur lequel le législateur sera amené à se prononcer. Pour garantir l'effectivité de la loi, nous avons besoin d'une autorité administrative complémentaire, et en aucun cas concurrente, de la voie judiciaire.

Pour ma part, j'émets des réserves sur le possible choix, en France, de l'AMF pour guider et contrôler les entreprises dans l'application du devoir de vigilance. En effet, l'AMF se spécialise davantage dans la protection du marché que dans celle des droits humains et environnementaux. Il me semble dès lors préférable de privilégier la création d'une autorité administrative indépendante ad hoc, dont les pouvoirs d'investigation et d'enquête devront être étendus, comme ceux de l'AMF, et qui pourra travailler en collaboration avec d'autres administrations et autorités. Le plafond des sanctions, fixé par le Parlement européen à « 5 % au moins » du chiffre d'affaires net mondial de l'entreprise, devra être effectivement porté à un niveau élevé pour être dissuasif. Il serait incompréhensible – et tellement européen ! – que les atteintes au droit de la concurrence soient plus durement sanctionnées que les atteintes aux droits humains et environnementaux.

Enfin, si la position du Parlement européen permet aux juridictions de demander aux entreprises de divulguer des preuves lorsqu'un demandeur fournit des éléments suffisants, je suis convaincue pour ma part qu'il aurait fallu aller plus loin. Je me suis entretenue ce 27 juin avec des victimes ougandaises du projet East African Crude Oil Pipeline (EACOP), qui ont mis en lumière l'asymétrie d'information, d'accès à la justice et de ressources entre les citoyens et les multinationales aux pouvoirs phénoménaux. À cela s'ajoute la répression du gouvernement ougandais contre les opposants au projet EACOP, portant directement atteinte aux droits humains.

Dans ce contexte, l'inversion de la charge de la preuve est nécessaire. Il s'agit là d'un point de divergence avec ma collègue, auquel je suis néanmoins attachée, car il convient d'alléger le fardeau de la preuve incombant aux victimes et de répondre à l'asymétrie d'information avec les multinationales.

Ma collègue et moi insistons pour que la directive « CSDD » ne devienne pas une seconde directive de reporting. Au contraire, la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité, dite « CSRD », doit être au service de la directive sur le devoir de vigilance. Les juges pourront s'appuyer sur des définitions précises pour évaluer le respect des obligations. Je salue à ce sujet les propositions du groupe consultatif européen sur l'information financière (EFRAG) qui, j'espère, seront retenues.

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Je vous remercie tout d'abord pour votre travail. Il est intéressant d'adopter une approche transpartisane dans le cadre de cette commission.

La France a joué un rôle précurseur dans la mise en place du devoir de vigilance des entreprises. Les débats autour d'une législation à l'échelle européenne traduisent la préoccupation croissante exprimée par les opinions publiques quant aux impacts potentiels des activités des entreprises sur les droits humains et environnementaux.

Il convient de répondre de manière exigeante et réaliste à cette demande, afin d'assurer la mise en œuvre effective de la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises. L'instauration de règles à la fois claires, précises et réalistes est la condition sine qua non pour que le devoir de vigilance soit applicable et appliqué.

En même temps, des garanties doivent être apportées afin de prévenir les recours abusifs. Ainsi, le Parlement européen n'a pas préconisé l'inversement de la charge de la preuve, qui engendrerait une exposition juridique aggravée et constituerait un risque pernicieux pour nos entreprises.

Vous attachez une importance toute particulière aux travaux des députés européens. Nous essaierons, nous aussi, d'être fidèles à ce travail, qui est le fruit de concertations transpartisanes.

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L'idée de rendre les grandes entreprises responsables de leurs actions est compréhensible et même souhaitable. En effet, l'impact des entreprises sur notre environnement et notre société est indéniable. Vouloir limiter et encadrer lesdits impacts via des normes et des règlements n'est donc pas déraisonnable.

Beaucoup d'entreprises ont d'ores et déjà mis en place des outils de diligence raisonnable, en s'appuyant notamment sur les normes volontaires internationales existantes. Certains États membres ont adapté leur cadre juridique national, à l'instar de la France avec la loi nº 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Renforcer le devoir de vigilance des entreprises ne doit néanmoins pas être un prétexte pour aller vers toujours plus de normes et de règlements, qui se multiplient sans que les entreprises ne puissent y répondre convenablement.

Face à cette inflation normative, de nombreuses entreprises nous ont déjà fait savoir à quel point les règles et les procédures imaginées à Paris ou Bruxelles étaient hors-sol. Ce d'autant que la conduite d'une activité entrepreneuriale nécessite un investissement total, et que les chefs d'entreprise n'ont donc que très peu de temps à consacrer aux nouvelles normes décrétées à Bruxelles. Les multiples indicateurs à renseigner sont souvent trop complexes pour les entreprises. Notre position est partagée par le Président de la République lui-même, qui appelait le 11 mai 2023 à une « pause réglementaire européenne ».

Le risque est in fine de lutter contre nos propres intérêts nationaux, en adoptant toujours plus de contraintes. Nous avons déjà fait suffisamment d'efforts, et nous pensons qu'il faut laisser nos entreprises digérer l'énorme masse de normes et de règlements promulgués depuis Bruxelles.

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Au nom du groupe Démocrate je voudrais saluer le travail que vous venez de nous présenter. Il aurait certes été souhaitable de disposer plus en amont du projet de rapport à l'appui de l'avis politique.

Le concept de RSE, né dans les années 1970, reposait à l'origine sur le volontariat des entreprises, qui pouvaient prendre en compte les impacts sociaux, environnementaux et économiques de leurs activités. Cette base volontaire a néanmoins été remise en cause à la suite de plusieurs évènements, en particulier de l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013.

Dans ce contexte, la proposition de directive CSDD établit comment le droit européen pourrait rendre contraignantes des normes internationales en matière de RSE, approfondissant ainsi la logique dite de compliance.

Il y a quelques mois, la députée européenne Valérie Hayer a proposé la mise en place d'une taxe équitable aux frontières, qui devrait être payée par les multinationales vendant dans l'Union européenne des produits fabriqués, en bout de chaîne d'approvisionnement, par des travailleurs payés sous le seuil d'extrême pauvreté. L'objectif est triple : lutter contre l'extrême pauvreté, lutter contre la concurrence déloyale, et agir ensemble là où les consommateurs se sentent impuissants pour changer à eux seuls la situation.

Si une partie de ces éléments sont repris en substance dans l'avis politique, la notion de « taxe équitable aux frontières » et l'aspect fiscal ne sont pas directement abordés. Comment ce sujet pourrait-il être mis en relation avec la proposition de directive sur le devoir de vigilance ?

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Je vous félicite tout d'abord pour votre travail sur ce sujet très important, tant pour l'Europe que pour le monde.

Cette proposition de directive s'inscrit dans le droit fil de la loi sur le devoir de vigilance adoptée par notre assemblée en 2017, mais également des législations entrées depuis en vigueur dans d'autres pays tels que l'Allemagne ou la Norvège.

Le champ d'application de la proposition de directive est très large, même si des exceptions sont prévues. La proposition de directive précise à ce stade que la législation des États membres pourra aller plus loin que le futur droit européen, ce qui permettrait au droit français actuel de perdurer.

La proposition de directive demande aux États de prévoir une série d'obligations à imposer aux entreprises, qui devront prévenir toute atteinte grave envers les droits de l'Homme par leurs filiales ou opérateurs de leur chaîne de valeur, avec lesquels une relation économique établie est entretenue.

Le texte impose également aux États membres de prévoir l'engagement de la responsabilité civile des entreprises défaillantes. La proposition de directive tire le bilan des législations nationales existantes et en compense parfois les faiblesses, même si les seuils prévus par la législation allemande étaient par exemple déjà plus faibles que ceux fixés dans la loi française.

La loi du 27 mars 2017 a conduit les entreprises à prévoir une gestion globale des risques intégrant le devoir de vigilance, et à poursuivre un travail en profondeur sur les relations avec les fournisseurs et la société civile.

Le groupe Socialiste est très engagé sur ce sujet. Nous présenterons des amendements ayant pour finalité de préciser certaines dispositions qui nous semblent importantes. Il s'agira en particulier de préciser la portée de l'extension du devoir de vigilance aux sociétés étrangères, d'enjoindre aux autorités européennes de rendre contraignantes les dispositions négociées au plan international, d'augmenter le niveau des amendes possibles, ou encore d'étendre les obligations au secteur financier et de préciser la place des autorités indépendantes chargées du contrôle de l'application des obligations de vigilance.

Au-delà de ces amendements, nous sommes favorables à toutes les recommandations exprimées dans ce rapport.

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Nous saluons le travail des co-rapporteures sur cet avis politique extrêmement important, qui soutient les avancées exprimées dans la position du Parlement européen.

Le mandat voté le 1er juin 2023 par les eurodéputés entérine le travail entamé depuis plusieurs années, et vise à contraindre les plus grandes entreprises, à identifier et, le cas échéant, à prévenir et faire cesser, l'impact négatif de leurs activités sur les droits humains et sur l'environnement.

Pour reprendre les termes de la députée européenne Manon Aubry, qui a été à l'avant-garde de ce combat, l'adoption de la position du Parlement européen est une « victoire », qui fait suite au long travail entamé depuis le drame du Rana Plaza, dont les enjeux ont été à nouveau mis en lumière dans le contexte de la coupe du monde au Qatar avec les investissements de grandes entreprises telles que Vinci.

À travers le monde, de grandes firmes sont accusées de profiter du travail forcé des enfants, par exemple en Côte d'Ivoire, ou encore de participer à la déforestation en Amazonie.

La position du Parlement européen est une avancée, qui permettrait d'approfondir l'ambition de la loi pionnière du 27 mars 2017, en intégrant par exemple le devoir de vigilance climatique.

Nous présenterons également des amendements afin d'aller plus loin. L'absence de renversement de la charge de la preuve est une lacune pointée par les organisations non gouvernementales (ONG) qui travaillent sur ce sujet. Si la proposition de loi française relative au devoir de vigilance, déposée en 2015, l'envisageait initialement, l'inversion de la charge de la preuve n'avait finalement pas été retenue.

Au-delà de ces amendements, nous soutiendrons le travail effectué par les rapporteures et l'avis politique associé.

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Dix ans après le drame du Rana Plaza, qui avait ému la terre entière, les contradictions de nos sociétés apparaissent de manière criante. Les phénomènes de consommation non durables n'ont cessé de se développer au travers de la fast fashion et l'industrie textile mondiale continue sa course « délirante » à la consommation et à des prix toujours plus bas. Il est également paradoxal, et sans lui faire injure, qu'une partie de la jeunesse engagée dans la lutte contre le changement climatique soit également très consommatrice de produits textiles à bas coût.

Ensuite, je ne partage pas l'avis de Sophia Chikirou, selon lequel l'AMF ne devrait pas se voir confier le contrôle de la mise en œuvre des obligations de vigilance. La création d'une autorité ad hoc renforcerait la confrontation entre les idéologies que vous évoquez. Je pense au contraire que le législateur devrait demander à l'AMF de se saisir de ces thématiques, pour contribuer à l'émergence d'une finance plus responsable.

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Je salue le travail accompli par Valérie Hayer, qui est une eurodéputée très engagée. Nous n'avons pas spécifiquement travaillé sur la question fiscale dans le cadre du rapport : l'idée d'une taxe équitable aux frontières ne correspond pas exactement à l'esprit du devoir de vigilance. L'esprit de la directive n'est pas de prévoir une compensation par une taxe, mais bien de détecter, de prévenir et de sanctionner d'éventuels manquements dans la chaîne de valeur.

Plusieurs conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) sont annexées à la proposition de directive, qui visent à assurer des conditions de travail décentes, même si celles-ci ne vont pas jusqu'à fixer avec précision un minimum salarial dans les pays de production. Ainsi, l'esprit du devoir de vigilance est de rendre les entreprises responsables, tandis que la taxation relève d'un autre champ.

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Cette taxe n'entre pas dans l'esprit de la directive, mais a vocation à être discutée dans le cadre de la renégociation des traités de libre-échange. L'accord signé en novembre 2018 entre les États-Unis de Donald Trump, le Mexique et le Canada avait par exemple imposé des augmentations de salaire dans les usines mexicaines. Ceci avait conduit à des augmentations de salaire de l'ordre de 25 à 30 %.

Ensuite, je ne partage pas les craintes de recours abusifs contre les entreprises. Ce risque est très limité, d'abord parce que toute procédure est coûteuse. Les ONG n'ont pas de moyens financiers leur permettant de démultiplier les procédures. L'esprit de la directive est de permettre que justice soit rendue. Comme le rappelait Mireille Clapot, l'objectif est que les entreprises se saisissent de leur devoir de vigilance tout au long de la chaîne de valeur, mais également que les réparations puissent avoir lieu. Or, l'un des freins à la réparation et à la justice est l'incapacité des ONG et des plaignants à réunir des preuves. Quand ils y parviennent, des témoignages font état d'arrestations et de destructions des preuves, notamment en Ouganda. Dès lors, il est difficile de demander aux plaignants de réunir des preuves face à TotalEnergies, qui est en lien avec le gouvernement ougandais.

Par ailleurs, les entreprises visées ne sont pas des PME, qui devraient supporter plus de règles et de normes, mais bien les entreprises de plus de 250 salariés et de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel net. Ces entreprises ne sont pas des PME et ont suffisamment de poids et d'influence pour entreprendre ces démarches.

Notre structure d'entreprise en France est marquée par le poids des multinationales. D'autres pays de l'Union européenne peuvent exprimer des réticences à l'abaissement des seuils, de peur que leur tissu productif soit concerné – y compris indirectement – par les obligations de vigilance. De plus, la proposition de directive prévoit des mesures pour soutenir et accompagner les PME, y compris un soutien financier et administratif ciblé pour limiter les répercussions éventuelles.

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Les entreprises sont de plus en plus sensibles à l'image qu'elles renvoient, et trouvent ainsi un intérêt dans l'application des normes liées au devoir de vigilance. De même, les consommateurs avisés sont attentifs aux engagements des entreprises. Les associations d'entreprises que Dominique Potier et moi avons auditionnées dans le cadre d'un précédent rapport sur le devoir de vigilance des multinationales soulignent qu'il s'agit d'un critère de différenciation important.

À rebours de ce point de vue défaitiste et misérabiliste, j'estime que la position de l'Union européenne lui permet d'affirmer ses valeurs, en démontrant que les entreprises peuvent prospérer dans le respect du devoir de vigilance.

Je souhaite ensuite porter à l'attention de Marietta Karamanli l'importance de ne pas ajouter des contraintes qui risqueraient de rompre l'équilibre assez fragile entre les négociateurs européens. La France a joué un rôle pionnier dans le devoir de vigilance des entreprises, avant que d'autres pays lui emboîtent le pas. Néanmoins, parmi les 27 États membres de l'Union, certains sont beaucoup moins sensibles à ces préoccupations et sont susceptibles d'influencer le cours des trilogues. Il convient dès lors de préserver l'équilibre et de ne pas placer la barre trop haut, pour ne pas précipiter l'échec des négociations.

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La désignation potentielle de l'AMF comme autorité administrative chargée du contrôle des obligations de vigilance poserait de mon point de vue plusieurs difficultés. L'AMF est spécialisée dans le suivi et le contrôle des sociétés cotées. Or, le devoir de vigilance des entreprises a vocation à s'appliquer bien au-delà de ce champ. Je suis donc favorable à la création d'une autorité administrative indépendante, avec une gouvernance adaptée. Néanmoins, cette autorité ad hoc devra pouvoir travailler en bonne entente avec l'AMF.

Ainsi, Charles Sitzenstuhl évoquait plus tôt – dans le cadre de la présentation de son rapport d'information sur le projet de loi relatif à l'industrie verte – le fonds d'investissement « Lac d'argent », géré par Bpifrance. Ce fonds a été lui-même alimenté par le fonds souverain d'Abu Dhabi Mubadala Investment Company. Je souhaiterais justement que l'AMF puisse fournir des informations et des documents relatifs à de tels fonds d'investissement. Je rappelle que l'émir d'Abu Dhabi est visé en France par des plaintes pour crimes de guerre, torture et financement de terrorisme.

Si l'AMF doit donc assurer des missions de surveillance et de contrôle, son rôle doit être complété par une autorité ad hoc, spécialisée dans les questions de RSE.

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Je vous propose que nous en venions à l'examen des amendements.

Article unique

Amendement n° 4 de M. Dominique Potier.

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Permettez-moi en préambule de saluer le travail des rapporteures dans le cadre de ce rapport d'information. Le groupe Socialiste a acquis une certaine expertise depuis les débats sur la loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Nos propositions d'amendements se nourrissent des échanges avec le Parlement européen, la Commission européenne, ainsi que du dialogue tenu dans le cadre du cercle parlementaire transpartisan constitué sur ce sujet. Ces amendements visent à apporter des précisions qui ne rompront pas l'équilibre évoqué par Mireille Clapot.

En particulier, l'amendement n° 4 vise à ajouter un alinéa saluant le renforcement des conditions de l'application extraterritoriale de la directive pour toutes les entreprises étrangères ayant réalisé un chiffre d'affaires de plus de 150 millions d'euros, dont 40 millions sur le sol européen, que ce soit par elle-même ou par l'intermédiaire de leurs filiales.

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Nous émettons toutes deux un avis favorable à cet amendement.

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Les députés du groupe Renaissance voteront en faveur de cet amendement porté par nos collègues socialistes. Il est bienvenu de s'attacher à ce que l'extraterritorialité de pans entiers de la législation européenne soit effective.

L'amendement est adopté.

Amendement n° 5 de M. Dominique Potier.

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Les rapporteures insistent sur l'application rigoureuse du devoir de vigilance dans les secteurs les plus sensibles aux atteintes aux droits humains et l'environnement, à savoir le textile, l'agroalimentaire et les industries extractives.

L'ajout de l'adverbe « notamment » permettrait de tenir compte des enjeux de travail forcé dans le secteur des semi-conducteurs. En Chine et à Taiwan, un lumpenprolétariat s'est constitué dans le cadre de cette production. Plus généralement, et sans qu'il soit besoin d'allonger la liste des secteurs prioritaires, cet amendement permet d'ouvrir le champ des industries visées.

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Nous émettons toutes deux un avis favorable à cet amendement.

L'amendement est adopté.

Amendement n° 1 de Mme Danièle Obono.

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Cet amendement vise à insérer une mention pour étendre le champ d'application des obligations de vigilance à l'ensemble de la chaîne de valeur des entreprises financières, afin de garantir l'effectivité de la future directive.

Les institutions financières constituent un moteur du capitalisme contemporain. C'est pourquoi leur inclusion dans le champ des obligations de vigilance est une condition incontournable pour remplir les objectifs de la législation. De plus, les risques du secteur financier sont concentrés essentiellement « en aval » de leurs activités propres.

Limiter la responsabilité des institutions financières sur leurs seuls clients directs constitue un régime d'exception par rapport aux autres secteurs de l'économie, une sorte de faveur injustifiée pour le secteur financier. Le risque serait de permettre aux acteurs de ce secteur de se soustraire à leur devoir de vigilance, en vidant ainsi la législation de sa substance.

À travers cet amendement, nous voulons donc rappeler que l'obligation de vigilance des acteurs financiers devrait s'étendre à l'ensemble de leur chaîne de valeur. Pour rappel, la proposition de directive adoptée par le Parlement européen prévoit en outre, à son article 29, que la définition de cette chaîne de valeur puisse faire l'objet d'un réexamen.

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J'émets pour ma part un avis défavorable.

Au travers de notre projet d'avis politique, nous regrettons que les fonds de pension soient exclus des obligations de vigilance dans le compromis adopté par le Parlement européen.

Néanmoins, il faut se garder d'aller trop loin. Il n'est pas réaliste d'imposer aux institutions financières un contrôle étendu de leurs clients en aval de leur chaîne de valeur. Par exemple, les banques qui financent les projets de leurs clients ne disposent pas toujours d'une capacité d'influence suffisante, et risqueraient d'être déstabilisées dans un environnement particulièrement concurrentiel.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 7 de M. Dominique Potier.

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Cet amendement vous surprendra peut-être, venant du groupe Socialiste. Je me dois néanmoins de défendre une position partagée au sein du cercle parlementaire transpartisan constitué autour du devoir de vigilance.

Au nom de la souveraineté nationale, les actifs stratégiques – tels que ceux de l'industrie de l'armement – doivent être traités différemment de ceux des autres industries.

Je rends hommage aux rapporteures pour leur courage en matière de défense des droits de l'Homme, et il serait une erreur que l'industrie de l'armement soit exclue du champ du devoir de vigilance. Cet amendement vise cependant à exprimer un équilibre consistant à préserver la souveraineté étatique, dans des limites restant à définir à l'échelle européenne.

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Les industries d'armement sont soumises aux contrôles effectués par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Il est pertinent d'insister sur la nécessité de veiller à ce que les obligations de vigilance n'enfreignent pas le caractère singulier propre à la souveraineté des États en matière de politique de défense et de sécurité.

J'émets donc également un avis favorable à cet amendement.

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Étant soumis au déport, eu égard à mes engagements personnels, je ne me prononcerai pas sur le vote de cet amendement.

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Je salue l'amendement de nos collègues socialistes, qui nous semble bienvenu. Il est important de souligner le caractère singulier propre à l'exercice de la souveraineté.

L'amendement est adopté.

Amendement n° 13 de M. Dominique Potier.

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L'orientation du Conseil, qui résulte du secret des délibérations, fait de l'inclusion du secteur financier dans le champ du devoir de vigilance une simple faculté.

Le Parlement européen a exprimé clairement sa position, fruit d'un compromis entre les partis politiques du centre, de la droite et de la gauche, suivant laquelle l'inclusion du secteur financier ne saurait être facultative. Ce point essentiel doit être défendu au cours de la phase des trilogues.

L'ensemble des États membres doivent être soumis aux mêmes obligations de vigilance : les règles doivent être homogènes dans l'Union européenne. L'orientation du Conseil n'est pas acceptable : il serait insensé que des places financières telles que Paris ou Francfort puissent être exemptées d'obligations de vigilance par la directive, alors que certains pays pourraient décider de l'appliquer à leur secteur financier.

Enfin, il est clair que l'exclusion du secteur financier du champ d'application de la future directive affaiblirait fortement l'effectivité du devoir de vigilance.

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J'hésite quelque peu. Ma crainte est que cette précision soit de nature à remettre en cause le fragile compromis avec les États membres. Je suis néanmoins sensible aux arguments qui ont été exposés, qui répondent à la logique de terrain de jeu équitable et d'équivalence entre les différents pays.

Je donne donc un avis de sagesse !

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Pour convaincre nos collègues de voter pour cet amendement, je rappellerai que notre rôle, en tant que parlementaires nationaux, est d'émettre des souhaits. Nous ne participons pas aux trilogues, mais il nous revient de mettre un peu de pression sur les négociateurs.

L'amendement est adopté.

Amendement n° 10 de M. Dominique Potier.

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Nous souhaitons compléter le point 34 de l'avis politique, en précisant que l'extension de responsabilité en aval des chaînes de production doit s'étendre sans limites dans certains secteurs où les produits et services ont un fort impact sur la protection des libertés fondamentales.

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Je suis défavorable à cet amendement. L'inclusion de l'aval et l'utilisation ou l'usage des produits causerait des difficultés. À titre d'exemple, dans le cas d'une entreprise fabriquant des couteaux de cuisine, si un individu ou un groupe armé se rend coupable de meurtre en utilisant ces ustensiles comme armes blanches, l'entreprise ayant fabriqué ces produits pourrait-elle vraiment être blâmée par l'usage qui en a été fait ? L'usage de certains produits par les clients ne peut pas être de la responsabilité de l'entreprise.

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L'amendement est rédigé de façon précise : il est écrit « dès lors que l'entreprise est en situation de donneur d'ordre ». Ainsi les entreprises visées occupent une position dominante, de nature à influencer profondément les intérêts majeurs sur un marché. Ces entreprises seraient celles qui dépendent d'un secteur où les produits et services ont un impact sur la protection des libertés fondamentales.

On pourrait certes préciser quels seraient ces secteurs, qui englobent notamment les questions de sécurité et de numérique. Ainsi, les géants de l'électronique ne devraient pas pouvoir s'affranchir du fait qu'ils alimentent durablement des dictatures au bout du monde en matière d'outils de sécurité, qui permettent un contrôle des populations en dépit des droits fondamentaux.

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Nous ne voterons pas en faveur de cet amendement. Nous sommes favorables à l‘exercice d'un devoir de vigilance dont les règles doivent être claires, précises, exigeantes et surtout réalistes. Or, il paraît difficile d'aller aussi loin dans le contrôle de l'aval des chaînes de valeur.

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Je suis favorable à cet amendement. L'Histoire nous a appris que des industriels et des entreprises pouvaient contribuer directement à des crimes de masse. Il faut être capable d'établir la responsabilité des entreprises qui fournissent certains États tels que la Syrie, dont le régime gaze des populations.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 3 de Mme Nathalie Oziol.

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En raison d'un amendement du Parti Populaire européen, l'article 26 de la proposition de directive instaurant une responsabilité des administrateurs des entreprises dans la mise en œuvre du devoir de vigilance a été supprimé par le Parlement européen. Cette suppression fait suite à une campagne de lobbying agressive menée à Strasbourg et Bruxelles. Le directeur de BusinessEurope a estimé que les devoirs des administrateurs créaient « une interférence inutile avec la gouvernance d'entreprise ».

Pourtant, loin d'être inutile, cette responsabilisation est un levier efficace pour garantir l'effectivité de la loi et plus largement l'application du devoir de vigilance. À ce titre, l'instauration d'une rémunération variable constituerait également une forte incitation. Le présent amendement vise donc à rappeler la nécessité de réintégrer cette responsabilité des administrateurs, position agréée lors des débats en commission des Affaires juridiques du Parlement européen, et d'instaurer dans la directive, et dans la future transposition française, un principe de rémunération variable.

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La rédaction de cet amendement n'est pas assez précise, car elle renvoie à deux éléments différents.

Il est certes regrettable que la rémunération variable soit liée uniquement aux plans de transition climatique. Néanmoins, la responsabilité des administrateurs correspond à un autre principe.

Je comprends que l'esprit de l'amendement était de revenir à la position exprimée par la commission des Affaires juridiques du Parlement européen avant l'adoption de l'amendement de dernière minute du Parti Populaire européen. Néanmoins, dans sa rédaction actuelle, l'amendement n'est pas satisfaisant. Un sous-amendement pourrait être envisageable.

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À titre personnel, j'estime qu'indexer les revenus des dirigeants sur leurs performances sociales et environnementales me paraît insensé sur le plan éthique. En revanche, la responsabilité des administrateurs est fondamentale. Si les deux sujets étaient distingués dans cet amendement, nous pourrions trouver un accord.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 2 de Mme Nathalie Oziol.

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La loi française de 2017 n'a, à ce jour, abouti à aucune condamnation pour manquement au devoir de vigilance. Si cela peut s'expliquer en partie par un délai d'application encore court et un cadre juridique trop flou, ceci est aussi dû au fait qu'il est extrêmement difficile pour les plaignants de mener une action en justice dans un cadre équitable face à une grande entreprise.

En effet, les victimes n'ont pas le même pouvoir d'influence ni les mêmes ressources humaines et techniques que les grandes entreprises qui possèdent une armée de juristes, et n'ont même pas accès aux informations confidentielles pouvant permettre d'établir clairement des preuves, ces dernières étant la propriété des entreprises concernées.

Peut-on sérieusement croire qu'un paysan ougandais, habitant sur le site du projet EACOP, ou qu'un ouvrier qatari ayant travaillé sur les chantiers de la coupe du monde de football a les moyens de faire valoir leurs droits ?

Face à cette asymétrie d'information et de moyens avérée, cet amendement préconise, comme plusieurs ONG spécialisées, la mise en place d'une inversion de la charge de la preuve.

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Je suis contre cet amendement. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Avec cette disposition, toute entreprise serait suspecte a priori de violations des droits humains et environnementaux. Cela créerait un important contentieux, qui serait contreproductif pour la mise en œuvre effective de la directive sur le devoir de vigilance.

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Je suis favorable à cet amendement. Cette disposition consiste à demander à l'entreprise de démontrer, le cas échéant, qu'elle a tout mis en œuvre pour ne pas se mettre hors la loi, donc pour ne pas enfreindre des règles environnementales et les droits humains. Comment les plaignants pourraient-ils le démontrer ? Seule l'entreprise dispose des informations et des documents nécessaires pour cela.

Ainsi, une entreprise qui respecte la loi n'aurait strictement rien à craindre : il lui reviendrait seulement de démontrer qu'elle s'est conformée à son devoir de vigilance tout au long de sa chaîne de valeur. Une entreprise vertueuse n'aurait aucun problème à démontrer qu'elle a respecté la législation et ne serait pas jugée coupable. Elle éviterait les poursuites judiciaires ou les sanctions par l'autorité administrative.

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( LFI-NUPES). Cette mesure est demandée par les ONG compétentes, et ne relève pas de la suspicion. Elle est conforme à l'essence du devoir de vigilance. En cas de procédure, il s'agit de montrer que l'entreprise a bien fait ce à quoi elle est tenue. Cela procède d'une obligation de moyens : l'entreprise démontrant qu'elle a mis en œuvre tous les moyens exigés valide sa conformité au devoir de vigilance.

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S'il était adopté, cet amendement ferait obligation à une entreprise vertueuse de prouver son innocence, ce qui créerait une surcharge administrative massive. Beaucoup d'entreprises en développement ne sont pas pourvues de services juridiques et administratifs étoffés. Pour les entreprises ayant des activités à l'international, la mise en conformité avec les différents droits et règles serait particulièrement complexe.

Si l'intention de cet amendement est bonne, sa mise en œuvre supposerait le recours à des avocats et à des cabinets pour prouver l'innocence de l'entreprise. Cet amendement rendrait plus complexe le quotidien des chefs de petites entreprises.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 15 de M. Dominique Potier.

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Cet amendement vise à soutenir les modifications proposées par le Parlement européen et le Conseil, consistant à ajouter les textes internationaux manquants dans l'annexe I : l'Accord de Paris, la Convention Aarhus, la Convention de Ramsar, la Convention MARPOL. C'est une précision de liste, qui a été ajoutée et qui manquait au rapport initial.

L'amendement est adopté.

Amendement n° 11 de M. Dominique Potier.

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La notion « d'effectivité » est au cœur du devoir de vigilance, point sur lequel la garde des Sceaux de l'époque, Mme Christiane Taubira, avait insisté lors des discussions sur la loi française relative au devoir de vigilance des entreprises. Sur le plan juridique, c'est l'effectivité de la mise en œuvre qui doit être jugée, et non la seule mise en œuvre. Je suis très attaché à cet amendement « hommage à Christiane Taubira » !

L'amendement est adopté.

Amendement n° 14 de M. Dominique Potier.

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Cet amendement, inspiré par l'eurodéputé Pascal Durand, vise à assurer la bonne articulation du texte sur le devoir de vigilance avec la directive CSRD. Les enjeux sont très importants, notamment pour les organismes de contrôle : le reporting extrafinancier nouvelle version sera le langage commun des plans de vigilance et d'une responsabilité sociale des entreprises publiques.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 8 de M. Dominique Potier.

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Au Parlement européen, tous les députés progressistes ont demandé à aligner les sanctions afférentes au devoir de vigilance sur le droit de la concurrence, soit une amende de 10 % du chiffre d'affaires mondial. Le compromis avec les forces libérales a été de ramener ce seuil de 10 à 5 %, et de faire ainsi une différence avec le droit de la concurrence. Cet amendement vise à aligner les sanctions en matière de devoir de vigilance sur les sanctions en matière de droit de la concurrence.

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J'y suis défavorable. Je comprends l'intention, mais je pense qu'il ne faut pas effaroucher certains États à la table des négociations avec ce montant de sanction. Le jeu n'en vaut pas la chandelle.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 9 de M. Dominique Potier.

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Cet amendement vise à prévenir tout risque de moins-disance environnementale et sociale et à tendre vers la création d'un référentiel commun à l'ensemble des réglementations, traduisant l'intention éthique de l'Union européenne dans la mondialisation. L'ensemble des dispositions européennes, par exemple sur la déforestation et la lutte contre le travail des enfants, doivent converger vers un référentiel commun. Ceci est autant dans l'intérêt des citoyens que des entreprises.

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Mon avis est favorable. Même si celle-ci n'apparaît pas dans l'avis politique, j'ai formulé dans le rapport d'information une recommandation appelant à s'aligner sur les 12 standards de l'EFRAG.

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Mon avis est défavorable, pas tant sur le fond que sur la forme. Cette précision me semble superfétatoire.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 12 de M. Dominique Potier

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Il existe deux types de transposition : maximale et minimale. Je souhaite poser un principe simple : la transposition de la directive en France ne doit pas conduire à une régression par rapport aux objectifs posés par la loi de 2017. C'est une question de principe.

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Je suis favorable à cet amendement. Nous avons formulé dans le rapport une recommandation sur l'harmonisation minimale.

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Mon avis est défavorable, car j'estime que cet amendement est redondant avec d'autres dispositions de l'avis politique.

L'amendement est rejeté.

Amendement n° 6 de M. Dominique Potier.

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Cet amendement invite les négociateurs européens à contraindre les États membres à accorder une portée conventionnelle aux déclarations internationales ou, à tout le moins, à rendre leur contenu obligatoire et invocable à l'encontre des entreprises devant les tribunaux internes. Il insiste sur la nécessité de mettre en place, au niveau de la France et de l'Union européenne, un plaidoyer en faveur d'un traité ou d'un accord juridiquement contraignant prévoyant l'instauration d'obligations de vigilance au niveau mondial, en s'appuyant sur les travaux du groupe de travail intergouvernemental de l'Organisation des Nations unies (ONU) sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l'homme.

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Le premier paragraphe me semble mal formulé. Comment en effet inviter les négociateurs européens à « contraindre » les États membres ? Cela n'est pas possible. Le deuxième paragraphe est redondant avec le point 23 de l'avis politique.

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Le deuxième paragraphe est effectivement déjà satisfait. Quant au premier paragraphe, il y a un problème de rédaction : nous voulions appeler à prévoir une contrainte pour les États, non pas à les contraindre directement. Nous retirons notre amendement.

L'amendement est retiré.

L'avis politique est adopté à l'unanimité .

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

La séance est levée à 14 heures 20.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierrick Berteloot, M. Stéphane Buchou, Mme Sophia Chikirou, Mme Mireille Clapot, M. Thibaut François, Mme Félicie Gérard, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Denis Masséglia, M. Thomas Ménagé, Mme Louise Morel, Mme Danièle Obono, Mme Nathalie Oziol, M. Jean-Pierre Pont, M. Vincent Seitlinger, M. Charles Sitzenstuhl,

Excusés. – M. Henri Alfandari, Mme Lysiane Métayer, Mme Liliana Tanguy

Assistait également à la réunion. – M. Dominique Potier