Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du jeudi 26 octobre 2023 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur spécial :

J'ai le plaisir de rapporter pour la huitième année consécutive les crédits de la mission Justice, soit l'intégralité du budget du ministère de la justice.

L'année 2023 a été importante pour le ministère, avec l'aboutissement de près de deux ans de réflexions et de concertations sur l'avenir de l'institution. En effet, le 18 octobre 2021, à la suite d'une interpellation par les deux plus hauts magistrats de France, le chef de l'État lançait les états généraux de la justice, qui se sont conclus en juillet 2022 par la remise du rapport de M. Jean-Marc Sauvé. Ce dernier dresse un tableau très sombre : dégradation de l'institution judiciaire, souffrance du personnel, incompréhension des justiciables. Ses mots sont forts et évoquent une désespérance collective.

Si nous en sommes là, c'est beaucoup du fait d'un sous-investissement chronique. Le retard pris en matière d'effectifs, d'outils numériques, de modernisation des procédures, de construction immobilière est tel que l'augmentation budgétaire constatée depuis plusieurs années peine à produire ses effets. Compte tenu du cruel défaut de pilotage du ministère, elle tardera à améliorer significativement le service public de la justice.

Cela étant, la loi de programmation et d'orientation du ministère prévoit des augmentations importantes, et le PLF pour 2024 respecte cette trajectoire : plus 13,72 % en autorisations d'engagement et plus 5,1 % en crédits de paiement. Hors contribution au compte d'affectation spéciale, les crédits de paiement s'établiraient à 10,08 milliards, en hausse de 503 millions par rapport à 2023.

Dans le détail, pour ce qui est des crédits hors titre 2, c'est le programme Justice judiciaire qui porte l'essentiel de la hausse. L'augmentation des AE du programme 107, Administration pénitentiaire, est en réalité due pour une large part – près de 1 milliard – au renouvellement des marchés de gestion déléguée. On note une hausse de 14 millions des frais de justice, dépense que le ministère ne parvient pas à rationaliser malgré le lancement d'un plan destiné à la maîtriser.

En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, le programme immobilier déçoit. Les AE et les CP de cette ligne sont en baisse alors que le calendrier de mise en œuvre du « plan 15 000 », désormais « plan 18 000 », devrait se traduire par un très gros volume d'engagements en 2024 et 2025. Au contraire, les crédits d'investissement diminuent pour 2024 de 60 millions en AE et de 32 millions en CP, et, en 2025, c'est un véritable trou d'air qui est prévu, avec une chute de près de 80 % des AE, à 148 millions ; une remontée à près de 1 milliard est annoncée en 2026, liée en grande partie à la très lourde réhabilitation de la prison de Fresnes. Ces variations sont normales s'agissant des grands projets d'investissement, mais le calendrier interroge : ces signaux confirment le retard pris dans le plan de construction de places de détention, comme je le détaillais dans mon rapport d'information du printemps dernier.

Concernant les emplois, en revanche, on constate des hausses bienvenues. Au programme 166, les dépenses de personnel augmentent de 8,8 %, notamment pour la création d'emplois. Dans le programme 107, la hausse de 5,7 % des crédits de titre 2 est liée à la création de 447 emplois supplémentaires ainsi qu'aux mesures catégorielles nouvelles dont bénéficient les personnels pénitentiaires.

J'appelle l'attention de la commission des finances sur deux sujets auxquels la Cour des comptes a récemment consacré des rapports : l'aide juridictionnelle, dont les crédits sont portés par le programme 101, et les établissements de la protection judiciaire de la jeunesse, relevant du programme 182.

Le coût de l'aide juridictionnelle a augmenté de 13 % par an depuis 2017 alors que le nombre de dossiers acceptés a été globalement stable. Cette dépense devient difficilement soutenable et le ministère ne s'est pas doté d'outils lui permettant de la réguler et de la piloter. La Cour des comptes souligne que le seul procès des attentats de novembre 2015 a entraîné une dépense d'aide juridictionnelle de 54 millions, le niveau de rémunération de certains avocats étant très élevé. Une doctrine d'octroi plus précise devrait pouvoir être élaborée.

S'agissant des établissements de protection judiciaire de la jeunesse, le plan gouvernemental de création de vingt centres éducatifs fermés supplémentaires est coûteux, chaque CEF représentant un investissement initial dont l'évaluation, à 4,5 millions au départ, a été portée à 6 millions mi-janvier 2023.

Si l'on suit la trajectoire détaillée dans la loi de programmation, le budget de la justice aura augmenté de plus de 5 milliards entre 2017 et 2027. Mais, pour l'instant, le ministère peine à transformer l'essai, à améliorer rapidement les délais de jugement, la qualité des décisions rendues et à réduire le taux de surpopulation carcérale, qui s'élève à 140 % dans les maisons d'arrêt. On l'a vu à l'issue de l'épisode dramatique des émeutes urbaines : nos citoyens ont une exigence vis-à-vis de leur justice ; légitime, elle ne semble toujours pas satisfaite.

Pour ces raisons, j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission. Cet avis a pour objectif d'alerter le ministère sur la nécessité d'améliorer enfin effectivement son pilotage.

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