Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend, conjointement avec la commission de la défense nationale et des forces armées, M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de programmation militaire

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Nous recevons aujourd'hui M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), afin qu'il présente à la commission des finances et à la commission de la défense l'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de programmation militaire (PLPM) pour les années 2024 à 2030. Je me réjouis de l'occasion de tenir une audition conjointe sur un tel sujet.

Conformément au souhait du bureau de la commission des finances, la commission examinera pour avis les articles 1er à 10 de ce projet de loi, lesquels portent spécifiquement sur la programmation financière, tandis que la commission de la défense est saisie au fond du projet de loi. J'en profite pour vous indiquer que nous auditionnerons le ministre sur cette question le 26 avril.

L'avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques est l'une des traductions de la réforme organique du 28 décembre 2021, qui a élargi ses attributions, puisque jusqu'alors, il n'émettait d'avis que sur les projets de loi de programmation des finances publiques (PLPFP). Désormais, il est expressément chargé par le VII de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de donner son avis sur les dispositions d'un projet de loi de programmation ayant une incidence sur les finances publiques.

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Je vous remercie, Monsieur le Président, de nous accueillir dans votre commission, pour cette audition commune. Je suis content que le HCFP se soit saisi du projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Son avis nous offre de la transparence, de la sincérité budgétaire et de la cohérence dans nos efforts financiers. Ses travaux alimenteront utilement ceux de la commission de la défense nationale, saisie sur le fond sur ce PLPM.

Les 413 milliards d'euros que le projet de loi de programmation militaire (LPM) consacre sur sept ans représentent un effort important de la nation. Ils correspondront à un doublement du budget annuel si cette programmation est votée. Notre commission de la défense est attachée à notre souveraineté globale, qui passe notamment par notre souveraineté financière, mais aussi par notre souveraineté alimentaire ou notre souveraineté énergétique. Nous sommes également soucieux de notre dépense publique.

Il convient de ne pas opposer cette dépense destinée à la sécurité collective aux autres dépenses de nature sociale. D'une part, comme le général de Gaulle l'indiquait, la défense « c'est là, en effet, la première raison d'être de l'État ». Il ne peut donc y avoir de santé, de protection sociale ou d'éducation si nous ne sommes pas en mesure d'assurer notre sécurité collective.

D'autre part, il convient de rappeler quelques ordres de grandeur. Les dépenses de défense correspondent à 1,9 % du produit intérieur brut (PIB) et notre objectif consiste à passer à 2 % en 2025. De leur côté, les dépenses de nature sociale s'élèvent à 30 % du PIB ; le ratio est donc d'un à quinze. L'effort demandé à la nation pour les dépenses en matière de défense doit donc être relativisé par rapport à l'ensemble des dépenses publiques.

Enfin, notre base industrielle et technologique de défense (BITD) concerne 200 000 emplois non délocalisables sur le territoire français. De nombreuses études soulignent l'effet multiplicateur keynésien de ces dépenses en matière de défense. Ces dépenses génèrent des revenus, des retombées fiscales et des emplois sur nos territoires, de manière directe.

M. le président du HCFP, nous sommes contents de pouvoir compter sur votre regard pour appréhender ce projet de LPM dans le cadre plus général des dépenses publiques de notre pays.

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

M. le président de la commission des finances, M. le président de la commission de la défense et des forces armées, M. le rapporteur général, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité devant vos deux commissions en tant que président du Haut Conseil des finances publiques et Premier président de la Cour des comptes, afin de vous présenter les principales conclusions de l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2024 à 2030.

C'est la première fois que le HCFP est amené à exercer la nouvelle compétence que le législateur organique lui a donnée en décembre 2021, qui consiste à rendre un avis sur la compatibilité des lois de programmation dites sectorielles avec les objectifs de dépenses pluriannuels que l'État a fixés en loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Pour autant, et au risque de décevoir, le HCFP n'est pas en mesure, aujourd'hui, de rendre un avis tel que prévu par le législateur organique. En effet, le projet de loi de programmation des finances publiques déposé au Parlement en septembre 2022 n'a pas été adopté et le Haut Conseil ne peut donc pas évaluer la compatibilité du projet de loi de programmation militaire avec une loi de programmation des finances publiques qui n'existe pas. La loi organique prévoit, à défaut de loi de programmation des finances publiques, que le HCFP analyse la compatibilité du projet de loi de programmation avec l'article liminaire de la dernière loi de finances, mais celui-ci porte exclusivement sur l'année 2023 alors que le projet de loi de programmation militaire commence en 2024. Ainsi, le HCFP ne peut, en l'absence de loi de programmation des finances publiques, exercer pleinement son mandat.

J'ai déjà eu l'occasion de dire plusieurs fois devant la commission des finances, et je le répète aujourd'hui, la nécessité pour la France de disposer d'une loi de programmation des finances publiques à même de fournir une ancre pluriannuelle pour l'évolution de la dépense publique et de la dette.

Le Parlement a adopté plusieurs lois de programmation sectorielles ces dernières années, en particulier la loi de programmation pour la recherche (LPR) 2021-2030 et la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) 2023-2027. Je ne conteste nullement l'intérêt de ces lois de programmation. Au contraire, c'est une démarche qui peut être utile, tant il est nécessaire pour nos politiques publiques d'être prévisibles et financées à moyen terme.

Mais ceci ne doit pas et ne peut pas se faire dans un brouillard : on ne peut pas empiler des lois de programmation sans fixer de limite globale à la dépense publique, au risque de s'engager sur une trajectoire de dépenses qui ne soit pas soutenable. Le Parlement et le gouvernement ont besoin de fixer des plafonds pluriannuels de dépenses publiques, comme le législateur organique l'a prévu, il y a à peine plus d'un an, car cet outil est indispensable pour piloter l'évolution des comptes publics.

Je rappelle ici que la France a connu une érosion progressive de la situation de ses finances publiques au sein de la zone euro : alors qu'elle faisait figure de bon élève au moment de l'entrée dans l'euro (en 2001, la dette publique française était au même niveau que la dette publique allemande, à 58 % du PIB), elle est progressivement devenue l'un des pays les plus endettés de la zone monétaire. Alors qu'un certain nombre de nos partenaires européens, frappés comme la France par les crises, ont réussi à engager, entre celles-ci, une dynamique de diminution de la dette, il n'en a pas été ainsi dans notre pays.

La loi de programmation des finances publiques devrait permettre de donner cette boussole pour empêcher une dérive lente de nos comptes publics en prévoyant des objectifs raisonnables en matière de dépenses chaque année pour rester conforme aux objectifs fixés. Les pouvoirs publics doivent utiliser tous les moyens à leur disposition, à commencer par ceux prévus par la loi organique, pour gérer au mieux les finances publiques et maintenir une gouvernance irréprochable.

Le HCFP appelle donc à l'adoption rapide d'une loi de programmation des finances publiques à la fois crédible et ambitieuse, pour fournir l'ancre pluriannuelle dont la gestion des finances publiques a impérativement besoin. En l'absence d'une loi de programmation des finances publiques, le HCFP a néanmoins décidé, comme le gouvernement le lui a d'ailleurs demandé, d'examiner la conformité de la trajectoire du PLPM avec le projet de loi de programmation des finances publiques déposé le 26 septembre 2022 au Parlement. Il s'agit donc d'un exercice conventionnel. Je tiens à souligner un point important : cette trajectoire n'a pas été actualisée depuis septembre 2022, alors même que la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 a été votée avec un montant de dépenses accru de 8 milliards d'euros par rapport à celles inscrites dans le projet de loi de finances. La trajectoire de référence est ainsi d'ores et déjà dépassée en 2023, au moins en prévision.

J'en viens maintenant au contenu de l'avis rendu par le HCFP. Le projet de loi de programmation militaire prévoit une trajectoire de crédits de paiements pour la mission Défense s'élevant à 400 milliards d'euros au total sur la période 2024-2030, en faisant la somme de l'ensemble des exercices. Le projet de loi prévoit une augmentation des crédits de la mission Défense de 3 milliards par an entre 2024 et 2027 puis de 4,3 milliards par an jusqu'en 2030. Les crédits atteindraient ainsi 69 milliards d'euros courants en 2030 contre 47 milliards en 2024.

L'avis du HCFP sur le projet de loi de programmation militaire porte trois messages essentiels. Tout d'abord, la trajectoire de crédits de paiements de 400 milliards d'euros est compatible avec celle du projet de loi de programmation des finances publiques. En revanche, le HCFP ne peut assurer que la trajectoire des besoins programmés, évalués à 413,3 milliards d'euros par le projet de loi de programmation militaire, soit entièrement prise en compte dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Dès lors, la compatibilité des deux trajectoires est affectée par des incertitudes.

Enfin, le HCFP souhaite attirer l'attention du Parlement sur le fait que, dans la mesure où environ 20 % des dépenses de l'État sont désormais couvertes par des lois de programmation qui visent des augmentations importantes de moyens, les dépenses restantes, soit 80 % des budgets de l'État, devront faire l'objet d'une maîtrise stricte pour permettre le respect de la trajectoire visée par le projet de loi de programmation des finances publiques. Ainsi, les ajustements devront être réalisés ailleurs si ces lois sont déployées comme prévu.

Le premier message est donc le suivant : la trajectoire de crédits de paiements de la mission Défense est compatible avec celle prévue dans le projet de loi de programmation des finances publiques de septembre 2022. Je rappelle que ce projet couvre la période 2023-2027, alors que le projet de loi de programmation militaire s'étend de 2024 à 2030. L'examen de la compatibilité de la trajectoire de dépenses militaires avec celle du projet de loi de programmation des finances publiques porte donc uniquement sur la période 2024-2027.

Le HCFP a constaté que les crédits budgétaires de la mission Défense inscrits dans le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de programmation des finances publiques sont identiques pour les années 2024 et 2025. L'administration a par ailleurs indiqué au HCFP que la trajectoire du projet de loi de programmation militaire était bien incluse dans celle du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2026-2027. Je précise que nous avons auditionné conjointement le ministère des finances et le ministère de la défense. Le HCFP n'a toutefois pu le vérifier directement car le projet de loi de programmation des finances publiques ne présente les crédits des missions budgétaires que sur les trois premières années de la programmation.

Notre deuxième message est le suivant : le HCFP relève cependant que le projet de loi de programmation militaire établit à 413,3 milliards d'euros le montant des besoins programmés pour la période 2024-2030, alors qu'il n'identifie que 400 milliards d'euros de crédits budgétaires pour les financer. Il ressort des échanges d'informations du HCFP avec le gouvernement que ces 13 milliards seraient financés de trois manières.

Tout d'abord, l'administration attend des ressources extrabudgétaires notamment des recettes de cessions immobilières, de cessions de matériels, ainsi que les recettes du service de santé des armées, qui contribueraient au total à hauteur de 5,9 milliards d'euros sur la période.

Les besoins supplémentaires seraient ensuite financés par « solidarité interministérielle », c'est-à-dire par des transferts provenant des autres budgets ministériels ayant des dépenses moindres que prévu. Enfin, la réduction des dépenses habituellement observées au sein du ministère de la défense (ce que les services nomment « marge frictionnelle »), ainsi que le report de charges du ministère seraient mobilisés pour assurer le besoin de financement résiduel.

Ces 13,3 milliards d'euros de dépenses ne sont pas isolés dans le projet de loi de programmation des finances publiques et le gouvernement n'a pas fourni d'éléments permettant au HCFP de s'assurer que ces dépenses supplémentaires soient pleinement prises en compte dans la trajectoire de dépenses du projet de loi de programmation des finances publiques.

Ainsi, l'impact exact du projet de loi de programmation militaire sur le montant de dépenses publiques prévu dans le projet de loi de programmation des finances publiques reste teinté d'incertitudes. Je relève d'ailleurs que, d'ores et déjà, le ministre des armées a indiqué demander pour 2023 des ouvertures de crédits supplémentaires très significatives, notamment en lien avec l'inflation qui s'annonce plus forte que la trajectoire prévue par le gouvernement.

Enfin, et c'est le dernier message de cet avis, le HCFP note que le projet de loi de programmation militaire, conjointement aux lois de programmation déjà votées en matière de recherche et de sécurité intérieure, contraint très fortement les autres dépenses du budget de l'État, et la maîtrise de la dépense est à ce jour peu documentée.

En effet, les crédits couverts par ces lois de programmation vont connaître une croissance plus rapide que la prévision du total de la dépense de l'État, imposant, pour respecter l'objectif de dépenses fixé en projet de loi de programmation des finances publiques, une croissance faible en valeur, et même une baisse en volume, des autres dépenses de l'État. Le HCFP estime ainsi que ces autres dépenses seraient amenées, en volume, à baisser de 1,4 % en moyenne par an sur la période 2023-2027, soit une baisse plus forte que par le passé, puisqu'elles ont diminué de seulement 0,3 % en moyenne par an entre 2012 et 2019. Le HCFP avait déjà indiqué, dans son avis de septembre 2022 sur le projet de loi de programmation des finances publiques, que celui-ci prévoyait une trajectoire en réalité ambitieuse de maîtrise de la dépense de l'État et que celle-ci était peu documentée. Ce jugement est donc renforcé par les informations qui nous ont été fournies sur le projet de loi de programmation militaire.

Ces calculs peuvent paraître très arides. Ils nous mettent cependant face à une réalité concrète. Nous faisons face, comme les autres pays avancés, à une montagne d'investissements et de dépenses publiques militaires et civiles indispensables pour restaurer notre défense, nos hôpitaux, nos universités et pour réaliser une transition énergétique et écologique. Face à ces besoins, nous sommes confrontés à un mur de dettes déjà très élevé, faute d'avoir par le passé utilisé les périodes de retour de la croissance pour réduire suffisamment les déficits annuels. Aussi, les financements qu'il est prévu d'accorder à l'État régalien ou à d'autres politiques impliquent des efforts collectifs de maîtrise d'autant plus importants de la dépense dans les autres champs de l'action publique.

Je le répète, il n'y a aucune fatalité à ce que la France continue à voir la situation de ses finances publiques s'éroder. La poursuite de cette érosion aurait de graves conséquences puisqu'elle limiterait d'autant notre capacité à investir pour l'avenir. Je crois notre pays parfaitement en mesure de s'engager dans une revue de ses dépenses et de leur qualité, afin d'en tirer les enseignements pour réduire ce qui n'est pas efficace. La Cour des comptes est bien sûr prête à s'y impliquer. Je m'en suis entretenu la semaine dernière avec le ministre de l'économie et des finances et le ministère délégué chargé des comptes publics. Nous contribuerons d'ici l'été à la revue de la qualité de la dépense et à la réflexion sur certaines missions de l'État, via la production de neuf notes thématiques. Nous espérons que ce travail sera utile au Parlement, sans l'implication duquel rien ne sera possible.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous au sujet de ce projet de loi de programmation, dans le champ de compétences qui est le nôtre. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition, avec M. Dubois, secrétaire général du HCFP et Mme Eloy, secrétaire générale adjointe, pour répondre à vos questions.

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Le président de la commission de la défense a expliqué que l'effort militaire ne devait pas entrer en concurrence avec les autres efforts en matière de santé, d'éducation et de préservation du climat. En revanche, comme le président Moscovici l'a indiqué, cet effort entraînerait une baisse des dépenses de 1,4 % dans d'autres secteurs que je juge aussi essentiels. Par conséquent, la question des recettes et des dépenses fiscales ne manquera pas de se poser.

Si j'en crois Les Échos qui titraient avant-hier sur le réarmement de la France, la loi de programmation militaire permettrait d'atteindre les objectifs que nous nous fixons en la matière. Mais je m'interroge. En réalité, les crédits augmenteront de façon moindre jusqu'en 2027, année des prochaines élections présidentielles, puis plus fortement. Ces marches ascendantes me laissent perplexe, à la fois sur le plan politique puisque l'effort interviendra après la fin du mandat de la majorité actuelle, mais également sur le plan pratique pour les commandes de matériel. En effet, je crains qu'attendre plusieurs années avant de mettre en œuvre ces augmentations de crédits s'accompagne d'un renchérissement du coût des commandes de matériel, avec une incidence sur le budget. En outre, si je ne me trompe pas, dans les dernières années de la programmation, le budget sera impacté par la moitié de l'investissement nécessaire à la construction du futur porte-avions français (5 milliards d'euros). J'aimerais que vous nous éclairiez sur le réalisme de ces marches.

Ensuite, pour les années 2024-2025, la loi de programmation militaire prévoit une croissance annuelle des dépenses de 3 milliards, ce qui correspond aux montants déjà prévus lors de la dernière loi de programmation. Cependant, un élément nouveau doit désormais être pris en compte : l'inflation. Compte tenu de l'inflation, ces 3 milliards représenteront de facto une diminution par rapport à la précédente loi de programmation.

La sécurité des Jeux olympiques va-t-elle être financée par le budget de la défense, pour un montant d'environ 800 millions d'euros, soit une somme qui ne serait pas consacrée au réarmement et à la modernisation des armées ?

Enfin, pouvez-vous me confirmer que l'armement cédé à l'Ukraine ne sera pas financé par les crédits prévus dans cette loi de programmation ?

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Je rappelle l'impératif de visibilité en matière d'investissement de défense, notamment pour un pays comme la France, qui tient à produire l'essentiel de ses équipements. En effet, au-delà de l'ambition financière de notre investissement de défense, nos capacités industrielles sont limitées. Par conséquent, même si nous fixions des marches plus ambitieuses, nous n'aurions pas nécessairement la capacité de produire ces équipements. Ensuite, je regrette plus généralement l'absence de LPFP. Cette programmation constituerait une sécurisation supplémentaire pour notre budget de défense.

Sur les 413 milliards d'euros de la LPM, 268 milliards d'euros sont consacrés à l'équipement, pour lesquels le multiplicateur keynésien est particulièrement important, au même titre que l'impact sur les dépenses fiscales et l'innovation. Vous savez, en effet, que l'innovation civile tire parti de l'innovation en matière de défense. Nous avons demandé une note d'analyse à la chaire économie de défense de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), laquelle a souligné les retours positifs en matière macroéconomique des trois premières années de l'actuelle LPM. Par ailleurs, notre BITD contribue très positivement à la balance commerciale de la France.

Avez-vous pris en compte ces éléments pour étudier la soutenabilité financière des trajectoires de programmation qui vous ont été soumises ?

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Je voudrais tout d'abord rappeler tout l'intérêt de ce premier avis du Haut Conseil des finances publiques sur un projet de loi de programmation sectorielle et combien il est essentiel de pouvoir disposer du référentiel que constitue la loi de programmation des finances publiques. À cet égard, je rappelle ma volonté de voter le projet de loi de programmation des finances publiques et je propose à toutes les oppositions qui le souhaitent d'avoir une discussion spécifique à ce sujet de manière à trouver une majorité pour qu'il puisse être adopté.

J'apporte mon soutien à l'effort sans précédent consenti pour nos armées alors que nous avons tous conscience de la gravité de la situation internationale. Le projet de loi de programmation militaire est par ailleurs adapté aux spécificités du budget des armées, compte tenu du temps nécessaire pour fabriquer les armements. L'accélération en matière d'effectifs et de budget a lieu dès 2024, avec 1 500 personnes de plus et 3 milliards supplémentaires chaque année.

Je m'interroge malgré tout sur les modalités de financement de l'enveloppe d'1,5 milliard d'euros supplémentaires prévus cette année, qui vient d'être annoncée par le ministre des Armées.

Je m'interroge également sur le reste à payer, qui augmente significativement, de l'ordre de 10 milliards d'euros, année après année. En 2022, le reste à payer s'est élevé à 91 milliards d'euros, ce qui me paraît colossal. Certes, on peut imaginer un décalage pendant un certain temps entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, mais le fait que ce décalage augmente année après année me surprend. Comment l'expliquez-vous ? Par ailleurs, plus il existe de lois de programmation – absolument essentielles sur certains sujets – plus notre budget se rigidifie et nos marges de manœuvre s'amoindrissent. Pensez-vous qu'il faille continuer d'augmenter le nombre de lois de programmation sur d'autres sujets ? Ou considérez-vous que nous avons traité les sujets les plus stratégiques à moyen terme et qu'il faut en rester là pour conserver des marges de manœuvre ?

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En tant que rapporteur du PLPM, je me félicite de la saisine du HCFP, dont l'avis est une source d'information très précieuse pour les parlementaires. Cette saisine présente également l'avantage de rappeler l'effort significatif et nécessaire en faveur de nos armées. Sans défense nationale, il n'y a plus d'État. Chaque euro dépensé doit être utile. Je souhaiterais en outre rappeler que le budget de la défense nationale irrigue tous nos territoires, au bénéfice également d'autres intérêts que ceux de la défense proprement dits.

Je souhaiterais vous interroger sur l'impact de l'inflation. Le ministre des armées l'a chiffré à 30 milliards sur l'ensemble de la programmation. Considérez-vous que les hypothèses qui fondent la LPM sont pertinentes ?

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Le financement supplémentaire de 1,5 milliard d'euros annoncé par le ministre des armées pour 2023 est-il envisageable sans projet de loi de finances rectificative (PLFR) ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Certaines de vos questions ne relèvent pas de mon champ de compétences. En effet, il ne nous revient pas de nous prononcer sur le fond du projet de loi de programmation militaire.

Nous n'avons pas non plus à nous prononcer sur le nombre de lois de programmation. J'observe néanmoins que la multiplication des lois de programmation a tendance à rigidifier le processus. En l'absence d'une loi de programmation des finances publiques permettant d'avoir une vue d'ensemble, nous pourrions aboutir à la situation paradoxale d'un besoin d'ajustement massif sur toutes les dépenses non programmées, qui nous conduirait à une forme d'aporie. Autrement dit, le législateur doit examiner ces éléments avec sagesse, laquelle peut suggérer de ne point trop en faire.

L'avis du HCFP porte sur la cohérence d'ensemble de nos finances publiques et de ce projet de loi de programmation militaire. J'indique au président de la commission des finances qu'une des notes de la Cour des comptes sur la qualité de la dépense publique portera sur les dépenses fiscales et les dépenses sociales, qui représentent une masse de 170 milliards d'euros, dont il faut faire l'inventaire pour que les parlementaires puissent prendre des décisions à cet égard.

S'agissant des marches évoquées par plusieurs d'entre vous, il est vrai que le rehaussement s'effectue en deux temps : 3 milliards annuels jusqu'en 2027, puis 4,3 milliards entre 2028 et 2030. Il est également vrai que la durée de la programmation enjambe celle de la législature, mais c'est assez fréquent en matière de dépenses. Néanmoins le montant de 3 milliards n'est pas négligeable pour la période 2024-2027.

Je note que cette forte hausse des crédits était globalement inscrite dans le projet de loi de programmation des finances publiques, à deux nuances près. Tout d'abord, nous n'avons pu nous assurer que ces sommes figuraient totalement dans le projet, puisqu'elles étaient uniquement mentionnées pour les années 2024-2025, le texte ne présentant de programmation par mission pour les années 2026 et 2027. Les entretiens que nous avons réalisés conduisent à penser que cette trajectoire est plutôt cohérente. Mais le HCFP ne peut pas garantir que les 13 milliards d'euros supplémentaires prévus par le projet de loi de programmation militaire, dont le financement paraît encore incertain, aient bien été prévus en projet de loi de programmation des finances publiques.

Une autre incertitude porte sur l'inflation. Je ne crois pas qu'elle conduirait à une baisse des dépenses, mais il est exact que la LPM est bâtie sur l'hypothèse d'inflation du projet de loi de programmation des finances publiques, que nous estimons un peu faible. En toute hypothèse, la hausse des dépenses militaires en volume sera affectée par l'inflation, qui en limitera la progression. Cela posera question si l'on veut tenir les ambitions affichées, notamment en matière industrielle.

Ensuite, il est vrai que l'effort national de soutien à l'Ukraine vient s'ajouter aux ressources budgétaires prévues. Il est mis en œuvre notamment sous forme de contribution à la facilité européenne pour la paix, de cession de matériels et d'équipements nécessitant un recomplètement, ou d'aides à l'acquisition de matériels ou de prestation de défense et de sécurité. Ces moyens sont prévus en sus, c'est-à-dire en dehors des 3 milliards d'euros évoqués.

S'agissant du multiplicateur keynésien, je suis très attaché à la BITD française, mais il faut néanmoins distinguer quelques éléments. Incontestablement, cette industrie existe sur nos territoires et présente une série de débouchés. Néanmoins, je suis plus prudent à l'évocation du multiplicateur keynésien, puisque celui-ci se joue à l'échelle globale en termes de productivité et d'emploi. À court terme, il existe effectivement une accélération, mais à long terme, il n'y a pas d'impact mesurable sur le PIB potentiel de la France. Un effort global serait nécessaire pour que celui-ci augmente, et non pas qu'il porte uniquement sur 1,9 % du budget de l'État. Toutefois, le HCFP ne produit pas d'analyse macroéconomique spécifique, mais il s'attache à la cohérence en matière de dépenses.

Enfin, les restes à payer sont essentiellement dus à l'allongement des contrats, selon les réponses fournies par le ministère de la défense et le ministère des finances.

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La programmation poussée à 413 milliards d'euros incitera nos industriels à être beaucoup plus pertinents et performants. Pensez-vous de manière générale que l'établissement d'un objectif plus élevé permet de contraindre certains acteurs du domaine, afin que les deniers publics soient dépensés de manière plus efficace ?

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La presse a étalé les multiples désaccords au sein du gouvernement. Matignon a développé une logique d'austérité avec une LPM au rabais, que Mme Borne souhaitait réduire à 392 milliards d'euros, avec une augmentation insuffisante de 2 milliards d'euros par an, en début de LPM, soit un montant inférieur à la précédente loi de programmation. De son côté, le ministère des armées souhaitait à juste titre une LPM plus ambitieuse à 413 milliards d'euros entre 2024 et 2030. Le rapport du HCFP est très clair à ce sujet : les 413 milliards ne sont pas budgétés sincèrement. En réalité, 13 milliards sont annoncés sans que l'on trouve de trace sérieuse et crédible de leur financement.

Ensuite, le gouvernement prévoit des marches insuffisantes de 3 milliards d'euros chaque année en début de LPM, bien loin des besoins exprimés par les industriels et l'état-major des armées, qui demandaient une première marche de 5 milliards d'euros. À ce titre, il s'agit là d'un revers pour M. le ministre Lecornu, qui rejoignait pourtant les positions de bon sens de l'état-major. L'hypocrisie de ce gouvernement consiste à rehausser les marches en prévoyant des crédits supplémentaires après l'élection présidentielle de 2027, ce qui va à l'encontre des besoins des industriels de la défense et témoigne de l'insincérité et du cynisme de ce gouvernement.

Une autre source d'incertitude porte sur l'inflation. Les dépenses sont programmées en euros courants, ce qui laisse planer un doute sérieux sur l'effectivité réelle de ces crédits, au vu des prévisions d'inflation. La seule disposition de crédits supplémentaires concerne la hausse du prix des carburants. Le 28 février, lors d'une audition au Sénat, M. le ministre Lecornu a confirmé que l'inflation pèsera à hauteur de 30 milliards d'euros sur les 413 milliards d'euros de la LPM. Quel regard porte le HCFP sur ce point ?

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Le HCFP identifie 400 milliards d'euros de crédits budgétaires sur les 413 milliards que comporte le PLPM. Les 13,3 milliards d'euros restants trouveraient leur source dans des financements interministériels, des reports de charge, ainsi que des cessions immobilières, qui rapporteraient au maximum 5,9 milliards d'euros. Nous restons donc loin du compte.

Nous déplorons l'impossibilité de définir l'impact exact sur les dépenses publiques de la LPM. L'imprécision qui les entoure nous interroge et nous inquiète. Les dépenses restent les mêmes en 2024 et 2025, puis connaissent une augmentation conséquente à partir de 2027, au moment où le gouvernement actuel ne sera plus en exercice.

En outre, étant donné qu'il n'y a aucun changement pour les années 2024 et 2025, le budget sera en réalité à la baisse compte tenu de l'inflation. Le budget dont nous débattons est incertain car il est calculé en année n-1. Autrement dit, l'inflation record de 6,2 % constatée sur un an n'est pas prise en compte dans ce PLPM. À l'image de la réforme des retraites, le gouvernement demande une nouvelle fois à la représentation nationale de débattre sur des chiffres hasardeux. Cependant, ce constat ne doit pas conduire à la conclusion d'une nécessaire baisse des dépenses publiques, comme l'estime le HCFP.

Rappelons que depuis 2017, les montants annuels des prélèvements obligatoires ont été réduits de 60 milliards d'euros, tandis que ceux des aides aux entreprises, composés à 80 % de niches fiscales et d'exonérations, ont été augmentés de 80 milliards d'euros. Tout cela sans efficacité réelle. Nous refusons que cette programmation soit vectrice d'austérité. L'inflation persiste, elle est nourrie par les superprofits de certaines entreprises et touche les plus fragiles de nos concitoyens. Dès lors, pourquoi faire de la baisse des dépenses publiques plutôt que de l'augmentation des ressources la contrepartie indispensable de la programmation des dépenses militaires ?

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Je vous remercie pour l'avis du HCFP concernant le PLPM pour la période 2024-2030. Vous insistez sur la question essentielle de la soutenabilité budgétaire. Ce matin en commission de la défense, M. le ministre Lecornu a indiqué que sur un plan budgétaire, il considérait la LPM comme une « loi plancher », c'est-à-dire une forme de strict minimum. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, vous indiquez que l'impact exact sur le montant des dépenses publiques présente des incertitudes, dont les fameux 13 milliards d'euros provenant de ressources extrabudgétaires. Surtout, vous concluez votre avis en indiquant qu'il faudrait un effort de maîtrise important de nos finances publiques, qui reste à ce jour peu documenté. Auriez-vous des pistes de réflexion à ce sujet, qui constitue le premier talon d'Achille du projet présenté par le gouvernement ?

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Notre groupe se réjouit de la réunion conjointe des deux commissions pour aborder cette LPM essentielle pour l'avenir de notre pays et de notre armée. Le HCFP est ainsi saisi pour la première fois sur un projet de la sorte, à la suite de la réforme portée par Laurent Saint-Martin et Éric Woerth, qui a introduit cette nouveauté en 2021.

Comme vous l'avez indiqué, vos travaux ont été limités par l'absence d'une LPFP, alors que la LPM court jusqu'à 2030. Aussi, voyez-vous d'autres conséquences du rejet de la LPFP pour nos finances publiques et les travaux du Parlement ?

Vous indiquez par ailleurs que la LPM impliquera des choix budgétaires sur d'autres domaines, pour réduire nos finances publiques. Alors que le texte que nous allons étudier prévoit d'importants investissements tant dans le tissu économique de notre pays qu'en recherche et développement, est-il possible d'estimer un impact positif pour nos finances publiques de cet investissement massif dans notre BITD ?

Enfin, nous connaissons une période d'inflation importante, notamment sur les matières premières et les hydrocarbures. La complexité des conséquences de l'inflation semble avoir été prise en compte par le ministère dans sa rédaction. Mais avez-vous pour votre part pensé à la création d'un indicateur spécifique pour les dépenses militaires, notamment pour tenir compte du coût des matières premières.

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L'avis du HCFP sur la LPM indique que sur les 413 milliards de besoins programmés, elle ne dispose en réalité que de 400 milliards d'euros de crédits véritablement identifiés, la partie manquante devant être couverte par des ressources complémentaires, notamment des ressources extrabudgétaires. Une partie de ces ressources manquantes doit également provenir de la solidarité interministérielle, ce qui pose deux problèmes principaux.

D'une part, ceci implique que des baisses de dépenses interviendront certainement dans d'autres missions budgétaires de l'État. Nous nous interrogeons donc sur la trajectoire budgétaire, même si elle s'étale dans le temps. D'autre part, il n'est pas certain que le budget se portera réellement à 413 milliards d'euros, même s'il contribue à la reconstruction de nos armées.

Nous fondons notre analyse parlementaire sur une LPM de reconstruction qui prépare l'avenir dans un monde en profonde mutation. La Cour des comptes ayant rendu en janvier 2023 un rapport sur les opérations extérieures (Opex) et le soutien aux exportations de matériel militaire, j'aimerais connaître votre avis sur l'équilibre budgétaire de la LPM : sommes-nous engagés sur les exportations ?

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Je vous remercie d'avoir rendu un avis sur le projet de loi de programmation militaire malgré l'absence de LPFP en raison du rejet du projet de loi de programmation des finances publiques (PLFFP) à l'automne dernier. Dans cet avis, le HCFP regrette le manque de documentation des efforts de long terme qui devront être réalisés pour assumer les dépenses des lois de programmation, notamment du projet de loi de programmation militaire. En effet, dans le cadre de mon récent rapport d'information sur l'économie de guerre, j'ai pu constater que malgré le respect de la LPM, les industriels majeurs réclament plus de visibilité afin de monter en cadence, notamment au travers de la commande publique pluriannuelle. Or ces objectifs de visibilité se heurtent au principe d'annualité budgétaire. Ainsi, avez-vous des recommandations à formuler afin de concilier les impératifs de l'annualité budgétaire et les objectifs élémentaires de visibilité à long terme inhérents aux projets de défense ?

Comment conjuguer ces deux impératifs antinomiques pour favoriser les innovations, les investissements et les développements, au sein et en dehors de la commande publique, notamment à l'export ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

On peut entendre la réflexion concernant la pression exercée sur les industriels à travers une forme de flexibilité des ressources. Mais d'autres pressions peuvent également intervenir : nous pouvons imaginer qu'une hausse de la dépense pourrait se heurter à une offre insuffisante, surtout dans un contexte de hausse généralisée des budgets militaires à l'échelle mondiale, laquelle pourrait entraîner elle-même une hausse des prix. Je préfère une construction plus robuste. En tant que Premier président de la Cour des comptes et président du HCFP, je suis plutôt favorable à un alignement des crédits et des besoins, afin de réduire l'incertitude.

Par ailleurs, comme je l'ai déjà indiqué, l'inflation prévue laisse malgré tout de la place pour une hausse de la dépense en volume. Cependant, cette inflation devrait être plus élevée, notamment en 2023.

Ensuite, je me défends d'être un maniaque de l'austérité ou de ne m'intéresser qu'aux dépenses, sans aborder les recettes. Il m'arrive d'ailleurs de me rendre à l'Assemblée en tant que président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) et de présenter des réflexions sur les impôts. Cependant, nous menons nos analyses dans le cadre de la loi organique. Nous avons donc comparé la trajectoire des dépenses prévues par le projet de loi de programmation militaire avec les autres dépenses prévues par le projet de loi de programmation des finances publiques. Tel est notre mandat : nous agissons dans un cadre fixé.

Néanmoins, sur le fond, je constate que les dépenses publiques représentent 58 % du PIB. Dans ce cadre, leur augmentation poserait quand même un certain nombre de problèmes, y compris en termes de recettes puisque les prélèvements obligatoires avoisinent les 45 %. Mais encore faut-il que nos concitoyens soient totalement satisfaits de la qualité du service public, ce dont je ne suis pas absolument sûr, en tant que citoyen. Je considère donc qu'il est temps de s'intéresser à la qualité de la dépense publique. Je ne postule jamais qu'il faut atteindre tel ou tel niveau de la maîtrise de la dépense, mais que de la qualité doit découler une efficacité supérieure, qui ne se réalise pas forcément à un coût supérieur.

Je ne veux pas me prononcer sur l'idée d'une « loi plancher ». Il est assez logique que les positions de Bercy, du ministère de la défense, de Matignon et de l'Élysée soient différentes, chacun étant dans son rôle. Je ne goûte donc guère au terme d'insincérité : pour être insincère, il faut avoir l'intention de tromper. S'il s'agissait d'une « loi plancher », cela supposerait une accélération, mais il faudrait alors trouver les recettes ou de moindres dépenses ailleurs. La maîtrise de la dépense que l'on ne ferait pas sur telle ou telle loi de programmation sectorielle finirait par entraîner une baisse en volume difficile à assumer pour le reste de la dépense publique, notamment les dépenses sociales, de transfert ou d'éducation. Incontestablement, ce phénomène de vases communicants existe. La multiplication de lois de programmation sectorielles sans une loi de programmation d'ensemble peut aboutir à une situation in fine assez absurde.

J'ai déjà évoqué devant la commission des finances les risques induits par une absence de loi de programmation des finances publiques. Ces risques sont à mon avis de nature juridique, politique et financière. Quoi qu'il en soit, il existe bien un risque que le HCFP ne puisse exercer sa mission sur les prochaines lois de règlement. En effet, leur objet consiste à comparer les résultats aux objectifs de la LPFP.

Je rappelle à ce titre qu'il n'y a pas eu de loi de règlement l'année dernière. On peut donc estimer que le processus d'élaboration de la loi de finances devient discontinu, ce qui peut poser un problème juridique sérieux. Enfin, il existe également un risque sur les financements européens. Aujourd'hui, les règles européennes ont été suspendues en raison de la crise Covid, mais elles finiront un jour par être réinstaurées. Il sera toujours nécessaire de s'accrocher à un objectif de moyen terme prévu par une ancre interne de finances publiques. Il est très donc compliqué de vivre sans une loi de programmation des finances publiques, qui doit être crédible et ambitieuse.

Enfin, les Opex sont déjà financées par solidarité interministérielle, comme le prévoient les procédures de la LPM. Ce sujet ne me paraît pas problématique en termes financiers.

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Ce débat large nous engage dans un avenir incertain de six ans. Une loi de programmation offre l'avantage de permettre un affichage généreux sans avoir à en assumer la totalité de l'exécution. On comprend donc que l'outil puisse être politiquement intéressant pour un gouvernement.

Sur les 413 milliards d'euros figurent 13 milliards d'euros de recettes incertaines, apportées par des cessions immobilières ou des ventes de fréquences radio. Comment évaluez-vous la sincérité de la capacité d'obtenir ces 13 milliards d'euros de recettes supplémentaires ? Dans un contexte inflationniste, quelle part de ces 413 milliards d'euros pourrait être annihilée ? Si un rythme de 5 % annuel devait être enregistré, les 100 milliards d'euros de hausse seraient intégralement grignotés.

Enfin, pour assurer la soutenabilité financière, vous avez indiqué qu'il faudrait par ailleurs diminuer des dépenses à hauteur de 1,4 % dans différents domaines. Cette réflexion intègre-t-elle l'évolution à la hausse des taux d'intérêt et de la charge de la dette ? À ce rythme, la charge de la dette risque en effet de devenir le premier budget de l'État.

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La diminution de l'effort budgétaire préoccupe tout le monde et je rejoins ma camarade au sujet des exonérations fiscales qui grèvent le budget de notre État sans que leur utilité pour l'intérêt général soit démontrée. Malgré tout, il demeure un angle mort en matière militaire : le maintien en condition opérationnelle (MCO) de systèmes d'armes qui ont plusieurs décennies d'existence. Par exemple, une frégate est construite pour cinquante ans de service. Or le MCO, les rechanges et certaines interventions se font sous l'empire de la commande publique face à des industriels qui se retrouvent en position de négociation sans mise en concurrence puisqu'ils détiennent la propriété intellectuelle des systèmes d'armes. Dans ces conditions, ne pouvons-nous pas réfléchir conjointement à l'opportunité d'acheter cette propriété intellectuelle sur certains programmes, ce qui réduirait le coût du MCO ?

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Comment le PLPM prévoit-il de renforcer la coopération européenne en matière de défense ? Quelles sont les mesures pour renforcer les capacités de cyberdéfense de la France ? Comment ce PLPM prend-il en compte les enjeux environnementaux et de transition écologique dans le domaine de la défense ? Comment prévoit-il de soutenir l'innovation dans les domaines de la défense, notamment en matière de technologies émergentes comme l'intelligence artificielle et la robotique ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Messieurs Mathieu et Laqhila me pardonneront de ne pas avoir beaucoup de réponses à apporter leurs questions, dans la mesure où elles débordent du mandat du HCFP.

Je crois déjà avoir répondu à plusieurs reprises sur le sujet de l'inflation ; je n'y reviendrai donc pas. Cette inflation est supérieure à ce qui avait été prévu. En fonction de son niveau, l'augmentation en volume des dépenses sera plus ou moins élevée. Il s'agit là d'un des points de vigilance pour l'avenir des finances publiques.

S'agissant des 13,3 milliards d'euros d'écart entre les crédits et les besoins, je manie pour ma part avec une extrême prudence l'épithète d'insincérité, notion constitutionnelle et grammaticale très précise qui porte sur l'intention de tromper. Pendant la durée de mon mandat, vous n'entendrez pas parler d'insincérité ; je l'espère en tout cas. En revanche, je préfère utiliser le terme d'incertitude, que le HCFP emploie d'ailleurs au sujet du PLPM. Sur les 13,3 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires, environ 5,9 milliards sont documentés, mais le reste l'est moins. Il est donc plus hypothétique, mais il ne nous paraît pas inatteignable.

Enfin, s'agissant du service de la dette, l'austérité ne fait pas partie de ma culture. De fait, il n'y a pas eu d'austérité en France, comme en témoignent la part des dépenses publiques dans notre PIB ou l'évolution de la dette sur la durée, qui augmenté de 55 points de PIB en France depuis 2000 contre 40 points en Italie et 10 points en Allemagne. Néanmoins, je sais d'expérience que lorsque le service de la dette est très élevé, la marge de manœuvre est extraordinairement réduite, voire négative. La capacité à agir et à investir pour les besoins de la société, qu'ils soient civils ou militaires, devient alors nulle.

Il faut donc être extrêmement vigilant sur le service de la dette, qui augmente déjà beaucoup. Nous sommes sortis de la période de taux d'intérêt faibles, voire négatifs, pour entrer dans une période de taux d'intérêt beaucoup plus consistants. Cela a donc un impact sur le service de la dette, qu'il faut sans aucun doute contenir. C'est la raison pour laquelle il nous faut maîtriser notre endettement. Vous aurez à examiner dans les semaines à venir le programme de stabilité de la France, qui sera sans doute cohérent avec les engagements pris dans le PLPFP qui a été déposé. Je redis ici que j'aurais une préférence pour aller un peu plus vite et un peu plus fort, et que nous n'attendions pas l'année 2027 pour donner le signal d'une baisse de la dette.

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Je remarque qu'en matière militaire, tout le monde semble s'accorder pour dire que les dépenses publiques ont un effet multiplicateur. Ce constat permet de rappeler que les dépenses publiques entraînent également des recettes dans le PIB.

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le président, j'ai exprimé précédemment mes réserves sur le principe d'un effet multiplicateur à l'échelle globale.

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Certes, à l'échelle globale, mais il est néanmoins réel.

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Je vous remercie de nous avoir accueillis en commission des finances pour ces débats intéressants. L'argent est le nerf de la guerre et je souhaite que nos discussions puissent contribuer à créer une culture de défense commune entre nous.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 15 heures

Présents. - M. Franck Allisio, Mme Émilie Bonnivard, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Fabien Di Filippo, Mme Sophie Errante, M. David Guiraud, M. Patrick Hetzel, M. Mohamed Laqhila, Mme Charlotte Leduc, M. Christophe Plassard, M. Emeric Salmon

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Joël Giraud, M. François Jolivet, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Louis Margueritte, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pires Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Pierrick Berteloot, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, Mme Caroline Colombier, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Murielle Lepvraud, Mme Pascale Martin, M. Frédéric Mathieu, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, Mme Isabelle Santiago, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin