La réunion

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Jeudi 1er juin 2023

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)

La commission auditionne M. Benoit Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom.

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Mes chers collègues, nous reprenons le cours de nos auditions dans le cadre de notre commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.

Dans un premier temps, nous allons entendre Eurodom, représentée par son délégué général adjoint, M. Benoît Lombrière. Eurodom est une association créée en 1989 afin de représenter auprès des institutions nationales et européennes les secteurs économiques et les exécutifs des départements français d'outre-mer disposant du statut de région ultra-périphérique. Votre action a notamment été mise en cause par M. Dubois, ancien conseiller spécial du ministre délégué aux outre-mer. Vous aurez peut-être l'occasion de commenter ce qu'il a pu dire.

Je vous souhaite d'abord la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes qui précèdera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Benoît Lombrière prête serment).

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Notre activité existe depuis bien longtemps, déclarée auprès de toutes les instances nationales et communautaires. L'essentiel de notre activité se situe à Bruxelles. Vous avez eu la justesse de rappeler que notre association a été créée en 1989 pour défendre finalement la production locale dans les départements d'outre-mer.

Nous défendons les milieux agricoles, agroalimentaires et la production industrielle destinée à la consommation locale. S'agissant de la production agricole, nous défendons la production locale destinée à l'exportation et à la consommation locale. Je n'ai donc rien de plus à déclarer qui n'est déjà déclaré à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), à laquelle vous pouvez vous référer.

Votre commission d'enquête est une commission d'enquête sur la vie chère. Bien souvent, au titre des fonctions que nous exerçons, nous avons à défendre la production locale et la production industrielle et agroalimentaire locale, ce qui nous amène la plupart du temps à être les défenseurs les plus acharnés du dispositif d'octroi de mer, parfois montré du doigt, à notre avis à tort, comme un facteur plus pénalisant que les autres de vie chère.

L'octroi de mer est un vieil impôt à qui l'on a assigné dans les années 1970 une tâche nouvelle. Cet impôt finançait les collectivités locales traditionnellement. À partir des années 1970, le conseil général de la Martinique, très rapidement suivi par celui de La Réunion, a décidé de faire de cet outil là aussi un outil de protection de la production locale. Au fur et à mesure des évolutions normatives, et en particulier des évolutions communautaires, ce dispositif de protection s'est adapté aux exigences nouvelles, la dernière adaptation notable étant celle de 1993. Les départements d'outre-mer devant entrer pleinement dans l'Union européenne et donc respecter les exigences de l'acte unique, il a fallu adapter le dispositif d'octroi de mer qui, auparavant, ressemblait à une taxe protectionniste – on l'appelait la modulation d'octroi de mer – pour satisfaire les besoins du marché unique, en particulier la liberté de circulation des marchandises au sein de l'espace européen.

On a souvent tendance à réfléchir à ce dispositif-là selon un axe franco-français ou régional. Il y a évidemment une dimension communautaire majeure.Pour pouvoir être compatible avec le traité, les membres du Conseil, c'est-à-dire tous les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne, ont considéré en 1993 qu'il convenait d'accorder une dérogation aux départements d'outre-mer pour pouvoir continuer à appliquer le dispositif d'octroi de mer, plus précisément les différentiels de l'octroi de mer. Cette dérogation est une dérogation directe aux traités européens, plus précisément à l'article 110 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Nous sommes donc sur le plus haut niveau de dérogation possible au sein de l'Union européenne. C'était un peu comme si, ramené à la situation nationale, on avait accordé aux départements d'outre-mer une dérogation à la Constitution française.

Faisons attention, s'il est décidé de réformer le dispositif d'octroi de mer, à ne pas lâcher la proie pour l'ombre et ne pas rouvrir avec les institutions communautaires une négociation qui a été déjà compliquée à l'époque, qui s'est faite avec un nombre d'États membres beaucoup plus réduit qu'aujourd'hui, avec des régions ultrapériphériques (RUP) qui étaient objectivement les régions les plus pauvres de l'Union européenne, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui avec l'élargissement. Ma première remarque est une remarque de prudence.

Le dispositif, lorsqu'il a été modifié en 1993, a été attaqué très vivement par les acteurs économiques des outre-mer devant la Cour de justice, en particulier les adversaires éternels de l'octroi de mer, aujourd'hui favorables à une réforme. Je cite par exemple les importateurs, qui ont attaqué durement ce dispositif, qui a d'ailleurs été légèrement amendé pour tenir compte de la jurisprudence et qui est aujourd'hui un dispositif d'une immense solidité juridique, validé par une dérogation aux traités donnée par le Conseil, par une autorisation d'aide d'État donnée par la Commission et solidifié par la jurisprudence de la Cour de justice.

En 1993, le dispositif a été autorisé pour dix ans, renouvelé en 2004 pour dix années encore. En 2014, il a été renouvelé pour sept ans et en 2020, pour sept ans de plus. Nous sommes donc dans la période qui va de 2020 à 2027 et qui nous autorise à continuer à appliquer les différentiels d'octroi de mer.

La première question qu'il faut peut-être se poser quand on examine l'octroi de mer consiste à savoir s'il remplit bien sa fonction. Je représente la production locale des départements d'outre-mer et je vais plutôt m'intéresser aux différentiels, un peu moins au financement des collectivités, mais on va voir au fur et à mesure du déroulement de mon propos liminaire que depuis trente ans, les dispositifs sont tellement imbriqués que cela devient assez difficile de toucher à l'un sans avoir des répercussions sur l'autre.

Premièrement, l'octroi de mer a-t-il rempli son rôle vis-à-vis de la production locale ? Pour nous, la réponse est incontestablement oui. Nos estimations, que nous pourrons vous transmettre, montrent que près de 26 000 entreprises bénéficient des différentiels d'octroi de mer. Il faut ajouter à ce nombre les très nombreux artisans et petites industries. Je veux insister sur ce point, souvent négligé dans le débat. J'appelle « petites industries » celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 550 000 euros. Elles sont aujourd'hui non assujetties à l'octroi de mer. Cela veut dire qu'elles bénéficient de la protection maximale de l'octroi de mer. Quand vous êtes un producteur local non assujetti, vous n'êtes pas redevable à cette taxe d'octroi de mer, que doivent payer en revanche tous vos concurrents qui importent. Vous avez donc un niveau de protection pour la production locale très élevé et très exactement égal à la valeur de la taxe d'octroi de mer qui vient renchérir les produits de vos équivalents importés. Ces artisans et petites industries peuvent se situer dans tous les secteurs. Elles n'ont pas à être couvertes par les secteurs d'activité qui sont autorisés par la décision du Conseil, si bien qu'on les retrouve partout. C'est l'essentiel des artisans et une bonne partie des commerçants. Je pense aux boulangers, aux bouchers, aux acteurs de la production. Je pense aussi à l'innovation dans les départements d'outre-mer. Quand on lance une nouvelle ligne de produits et qu'on est avec un chiffre d'affaires inférieur à 550 000 euros, on peut être dans n'importe quel secteur. Vouloir supprimer toutes les taxations d'octroi de mer sur les produits importés qui n'ont pas d'équivalent en production locale s'avère impossible. Une telle démarche supposerait de toucher les artisans, une partie des commerçants et la petite industrie. Cette dernière étant non assujettie par définition, elle est inconnue des services. Nous avons un exemple très précis en Martinique. Lors du précédent renouvellement du dispositif d'octroi de mer, le seuil de non-assujettissement a été abaissé de 550 000 euros à 300 000 euros. De fait, certaines entreprises entre 300 000 et 550 000 euros de chiffre d'affaires se sont retrouvées nouvellement assujetties. C'est le cas en particulier de la bijouterie. La petite bijouterie fantaisie qui était produite en Martinique jusqu'aux années 2010 a complètement disparu puisqu'elle s'est retrouvée dans la mauvaise tranche, c'est-à-dire entre 300 000 et 550 000 euros, donc trop haute pour être non assujettie. Elle n'avait pas négocié de différentiel et s'est donc retrouvée exposée à la concurrence de la bijouterie, principalement asiatique, et elle a disparu en quelques mois.

Je veux insister sur ces aspects parce qu'on n'en parle pas beaucoup. Je pense que dans vos réflexions et celles du gouvernement, c'est une dimension à prendre en compte de manière très sérieuse.

Je disais que 26 000 entreprises sont non assujetties. Il faut ajouter tous ceux qui se situent sous le seuil de 550 000 euros. Ces 26 000 entreprises, pour nous, sont vraiment un minimum. Elles représentent à peu près 80 000 emplois privés dans le secteur marchand, un nombre considérable pour les départements d'outre-mer. Si on essayait de rechercher un ordre de grandeur métropolitain, on parlerait de dix à quinze millions d'emplois en métropole.

Si nous voulons nous convaincre de l'efficacité de l'octroi de mer sur le tissu économique local, il suffit de prendre l'exemple de la Guyane. Lors du renouvellement de 2004, de nombreux différentiels ont été supprimés en raison d'un manque d'anticipation locale. Beaucoup d'entreprises se sont donc retrouvées face à la concurrence sauvage sans la protection de l'octroi de mer. Les chiffres en un an ont été colossaux. On a perdu 17 % du chiffre d'affaires réalisé dans les industries agroalimentaires. On a perdu 13 ou 15 % du chiffre d'affaires dans le secteur de la pêche, en particulier dans la transformation des produits de la pêche.

La France a réintroduit rapidement une négociation pour essayer de rectifier le tir. Immédiatement, la production industrielle s'est restabilisée et a continué sa progression jusqu'au niveau que l'on peut connaître aujourd'hui. Nous trouvons en Guyane un exemple parfait des conséquences liées à la fin de l'octroi de mer.

Le système actuel présente beaucoup d'avantages. Je les énumère en une minute. C'est un système stable par rapport à un système alternatif qui pourrait être un système d'aide directe. Nous en entendons parler. Pour remplacer le système des exonérations par un système de subventions, il faudrait trouver 450 millions d'euros tous les ans, votés par le Parlement, uniquement pour les entreprises des départements d'outre-mer. Allons dire que c'est un peu moins stable et cela apporte un peu moins de visibilité aux entreprises de production locale.

C'est un système automatique, avec un effet financier immédiat pour les entreprises. C'est un système qui repose sur l'auto liquidation, c'est-à-dire qui permet de ne pas alourdir le fonctionnement administratif, les charges administratives qui s'imposent aux entreprises. Il n'y a pas de dossier à remplir pour l'octroi de mer. Il n'y a pas de demande annuelle d'aides ou de subventions à remplir. C'est donc un système très souple et flexible. La collectivité a la possibilité de piloter son développement économique comme elle le souhaite. Elle peut fixer des taux précis sur chacun des secteurs et même à l'intérieur de chacun des secteurs, à chaque ligne de produits, à la différence d'un outil comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui ne contient que deux ou trois niveaux de taux. L'octroi de mer permet d'avoir une infinité de taux et donc de remplir l'obligation communautaire de ne pouvoir mettre des différentiels qu'à la hauteur des surcoûts subis par les entreprises qui en bénéficient. C'est un système simple pour les plus petites entreprises et très robuste juridiquement, puisqu'il est validé par le Conseil, la Commission ou la Cour de justice.

Bien sûr, toute imposition a un impact sur le pouvoir d'achat. S'il y avait moins d'octroi de mer, de TVA, d'impôts sur les sociétés, de cotisations sociales, il est probable que les prix seraient moins chers. Nous ne nions pas le fait que la fiscalité a un impact sur le prix des produits. Nous considérons que l'octroi de mer a un effet inflationniste moindre que la TVA. Huit points d'octroi de mer, ce n'est pas pareil que huit points de TVA. Les huit points d'octroi de mer sont perçus au moment où le produit entre dans le département d'outre-mer, avant que les différents intermédiaires ajoutent leurs marges. Les huit points de TVA arrivent en bout de processus, après que le produit ait été importé et reçu les différentes marges des différents intermédiaires, dont la grande distribution. Il vaut mieux huit points d'octroi de mer que huit points de TVA. Ce n'est probablement pas le système le plus inflationniste, surtout que l'assiette de la TVA intègre l'octroi de mer. Surtout, c'est un outil mixte qui protège la production locale, mais qui finance aussi les collectivités.

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J'aimerais connaître le budget de l'association Eurodom et le nombre de ses salariés. Qui la finance, notamment entre les acteurs économiques et les collectivités ? Quels sont ses résultats ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Notre budget est d'à peu près deux millions d'euros. Il est constitué de plusieurs cotisations. Les producteurs de bananes des Antilles cotisent à hauteur d'à peu près 400 000 euros, les associations pour la promotion et le développement de l'industrie, les associations des moyennes et petites industries (MPI) en Guyane et l'Association pour le développement industriel de la Réunion (ADIR) cotisent à peu près à la même hauteur. Les filières animales dédiées à la production de viande, les producteurs de sucre en Guadeloupe et à La Réunion cotisent dans les mêmes proportions. Les producteurs de rhum cotisent à hauteur d'à peu près 200 000 euros par an, la pêche pour 140 000 euros, et les acteurs du bois en Guyane entre 81 000 et 100 000 euros par an.

Nous déclarons au titre de nos activités en France, selon les lignes directrices qui sont données par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), entre 300 000 et 400 000 euros de budget consacrés à nos actions à Paris, et nous sommes déclarés également au régime de transparence de l'Union européenne.

Nous sommes une équipe entre dix et douze personnes, en fonction de la présence de stagiaires. Quant à nos résultats, nous faisons du mieux que nous pouvons.

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Quand vous dites que vous faites du mieux que vous pouvez, que voulez-vous dire concrètement ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Disons que nous remplissons généralement les mandats qui nous sont donnés.

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Vous êtes une association, vous n'avez pas de bénéfices. Quel est votre bilan financier ?

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Vous êtes une association de lobbying et je voudrais connaître la place d'Eurodom dans l'organisation. Êtes-vous liés aux groupes d'intérêts et au cabinet-conseil Action Europe ? J'ai vu que parmi vos adhérents figurent un certain nombre d'acteurs économiques des territoires. Portez-vous leurs dossiers ? Assurez-vous une traçabilité de vos résultats par rapport aux engagements que vous prenez vis-à-vis de vos adhérents ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Eurodom une association créée en 1989, qui délègue l'ensemble de son activité de lobbying, c'est-à-dire l'essentiel de son activité, à une entreprise qui s'appelle Action Europe, dont je suis l'un des dirigeants. Je pourrais vous transmettre le résultat d'Action Europe, il n'y a aucun problème, les comptes sont publics et publiés à l'équivalent du greffe en Belgique, puisque c'est une association qui a été créée par Gérard Bally qui lui-même est résident belge.

La plupart des adhérents d'Eurodom ne quittent pas Eurodom et je suppose donc qu'ils sont contents des résultats.

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Quel est l'intérêt d'Eurodom dès lors qu'Action Europe agit déjà sur le montage et le portage des dossiers et l'attribution des subventions des fonds européens ? Les clients peuvent directement passer par Action Europe. Le spécialiste ou l'expert d'Eurodom est Action Europe, dont vous êtes le dirigeant. Quels sont vos résultats en termes d'obtention de subventions européennes à la demande de vos clients ? Obtenez-vous 80 ou 90 % de ce que vous demandez ? Quelle est la mesure de vos résultats ? J'aurais d'autres questions, notamment celles sur les subventions européennes en faveur de Banamart, rattaché, je crois, à l'Union des groupements de producteurs de bananes (UGPBAN).

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Pourquoi sommes-nous en format associatif ? D'abord, il y a une raison historique. Eurodom a été créée il y a bien longtemps. Ensuite, nos niveaux de cotisations sont fixés très indépendamment des prestations fournies. Je m'explique. De nombreux secteurs n'auraient pas les moyens d'avoir recours à un cabinet comme le nôtre si nous étions dans une économie de marché normale. En revanche, nous faisons bénéficier ceux qui ont un peu moins les moyens de cotiser à Eurodom. Certains versent une cotisation symbolique. Je pense par exemple aux filières végétales dans les départements d'outre-mer, qui ont besoin d'être défendues au même titre que les autres. Elles bénéficient de l'effet de masse des autres cotisants dont j'ai cité l'essentiel.

Nous tenons à rester dans ce fonctionnement associatif qui permet, lors des assemblées générales, de prendre des décisions collectives et des délibérations au nom de tous. Notre fonctionnement ne repose pas sur des rapports de force financiers, mais simplement sur l'équivalent d'un homme une voix.

Nous sommes restés pendant longtemps sous le statut associatif. Action Europe a été créée un peu plus tard pour une raison simple, c'est que les actions de lobbying devenaient de plus en plus complexes et nécessitaient donc d'étoffer l'équipe. Les membres de l'association n'étaient pas prêts à suivre, sur le plan budgétaire, et il a donc été décidé de créer une société commerciale, qui s'occuperait du lobbying pour Eurodom et qui aurait aussi d'autres clients en dehors des départements d'outre-mer, ce qui est le cas aujourd'hui. Action Europe est la société qui prend le risque financier pour le compte d'Eurodom.

Si nous n'obtenions pas de bons résultats, les adhérents d'Eurodom quitteraient l'association et le niveau de cotisations baisserait. Action Europe devrait se débrouiller en trouvant d'autres clients et en gardant l'équipe telle qu'elle est aujourd'hui. Nous sommes dans un système à la fois mutualiste, au sens où nous mutualisons les recettes pour payer une équipe qui bénéficie, avec le même niveau d'intensité, à chacun des membres de l'association. Les membres de l'association n'ont pas à subir le risque financier d'une équipe qui serait devenue trop importante par rapport au niveau de cotisations.

Jusqu'à présent, nous obtenons les résultats que l'on nous demande d'obtenir. Il serait un peu présomptueux de dire que nous obtenons 100 % des résultats. En faisant attention à ne pas faire de demandes exubérantes, nous obtenons généralement ce qu'on nous demande d'obtenir. Quand on nous demande d'obtenir des choses que nous jugeons déraisonnables ou inatteignables, nous refusons tout simplement de porter le dossier.

Nous bénéficions depuis une trentaine d'années d'une crédibilité assise sur une réputation de sérieux et de solidité vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous escomptons bien garder cette réputation, ce qui implique parfois de faire un peu le tri dans les demandes que nous portons. Quand nous acceptons de porter une demande, généralement, nous arrivons à obtenir un résultat.

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Vous avez fait un plaidoyer en faveur de l'outre-mer que nous avons bien noté, avec des informations importantes. Lorsque nous nous sommes déplacés en Martinique, nous avons rencontré un certain nombre de petits producteurs à qui l'organisation de la filière, à partir de groupements, apparaît comme étant une forme d'accaparement de moyens et des aides qui peuvent être apportés par les gros producteurs et comme étant des éléments qui ne leur permettent pas de vivre. Qu'en pensez-vous ?

On nous a présenté le système d'aides européennes, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei), davantage comme un système de rentes qui favoriserait les principaux producteurs locaux, et pas la production locale. Quelle est votre appréciation ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

J'encourage chacun à prendre une pelle et une pioche et à venir faire de l'agriculture en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane ou à La Réunion pour voir si l'on devient rentier en faisant cela. Il se trouve que le propos est excessif et déplacé, voire peu respectueux du travail engagé. Le travail agricole dans les départements d'outre-mer est très compliqué : il y a des impasses phytosanitaires considérables, des impacts colossaux liés à l'éloignement, à la difficulté de commercialiser les production, àla nécessité de résister à la concurrence de l'import de métropole et des pays avoisinants. Bref, tout est compliqué, de la production à la commercialisation, et tout est très sensiblement plus compliqué qu'en métropole. On parle de rentes, mais les gens que je rencontre sont assez peu dans leur hamac à attendre que les subventions tombent.

Je réponds à la question suivante, relative aux petits producteurs. Ils sont très nombreux et regroupés dans des organisations de producteurs. Vous avez rencontré un certain nombre de gens qui se disent insatisfaits du fonctionnement en organisation collective. Vous me permettez deux remarques.

La première, c'est que les pouvoirs publics, singulièrement le Président de la République, nous incitent à tendre vers une organisation toujours plus forte de la production, tout simplement parce que quand vous avez face à vous des importateurs, des mûrisseurs et des réseaux de distribution situés en métropole, vous avez intérêt à être unis au risque de vous faire rapidement casser les reins s'agissant des prix d'achat de vos productions. J'en veux pour preuve le système qui existait en Martinique et en Guadeloupe jusqu'au début des années 2000. Chacun s'en rappelle, la banane était pour ainsi dire morte. Les entreprises fermaient les unes après les autres, les faillites se multipliaient, la production de bananes était plus que menacée. Pourquoi ? Tout simplement parce que les producteurs de bananes étaient divisés. Il y avait plusieurs organisations de producteurs qui suivaient chacune leur logique commerciale, avec leur réseau de distribution et, au final, chacune se faisait concurrence. Qui tirait son épingle du jeu de ce système ? Ceux qui ne produisaient pas de bananes, qui étaient en métropole, amenaient les bananes en métropole, les faisaient mûrir, les distribuaient et les commercialisaient. La grande innovation de la filière des bananes a été de créer l'unité à l'intérieur de chacune des deux îles, en Martinique et en Guadeloupe, où je crois qu'il y avait deux groupements sur une île et trois groupements sur l'autre. Les producteurs de bananes ont donc réussi cette unité, avec un seul groupement par île, puis une union générale qui assurait la liaison entre les deux producteurs. La démarche a souvent permis de mettre dehors les importateurs, souvent métropolitains, de prendre leur place, de racheter un réseau de mûrisserie et de commercialiser la production de bananes pour le compte des producteurs.

L'UGPBAN et les outils de commercialisation appartiennent aux producteurs de bananes, si bien que par rapport à la situation du début des années 2000, les producteurs de bananes maîtrisent l'intégralité du circuit depuis le vitroplant qu'ils mettent en terre jusqu'à l'installation des bananes dans la grande distribution. Cela n'est possible que parce qu'il y a une unité. Dès lors que l'on recrée de la division, on revient au système précédent, on recrée des voies de concurrence interne aux deux îles et donc de la misère à peu près partout.

S'agissant plus particulièrement des petits producteurs, les groupements sont très attentifs à maintenir un profil stable de la production de bananes. De nombreuses actions sont engagées, très dynamiques et volontaristes, pour accompagner les petits producteurs. Par exemple, les producteurs de moins de 500 tonnes bénéficient d'un prix d'achat garanti minimum de douze euros la caisse de bananes, quel que soit le cours. Si les prix sont supérieurs, on privilégie le prix le plus fort. Si les prix sont inférieurs à douze euros, ils touchent douze euros quoiqu'il arrive. Banamart a acheté une mûrisserie locale destinée à acquérir les bananes, principalement des petits producteurs, pour pouvoir les commercialiser aussi sur le marché local, où l'on trouvait insuffisamment de bananes locales. Évidemment, les bananes qui sont mûries et distribuées localement coûtent moins cher que celles en métropole puisqu'il n'y a pas les coûts de stockage, de fret et de mûrisserie, si bien que le petit producteur qui livre ses produits pour la mûrisserie locale gagne plus d'argent que s'il expédiait ses bananes.

Je terminerai par deux exemples. En Guadeloupe, le groupement de producteurs LPG, qui va bientôt être imité par le groupement martiniquais, a construit à ses frais une station d'emballage collective, inaugurée par le ministre Jean-François Carenco. Là aussi, après la production des bananes, il faut les mettre en carton pour l'expédition. Quand on est un petit producteur, il est un peu compliqué d'avoir une station d'emballage pour soi-même. Nous avons donc commencé à mettre en place des stations d'emballage collectives. Le producteur, et singulièrement le petit producteur, n'aura plus qu'à produire ses bananes, à les apporter à la station où elles seront prises en charge pour l'emballage et l'expédition, ce qui va être un soulagement important de la charge de travail pour les petits producteurs.

Je vous cite des exemples comme ils me viennent, parce que je pense que le procès qui est fait à Banamart est assez injuste. Nous sommes en train de demander une modification des mesures du Posei afin que les petits producteurs de bananes puissent recevoir une aide lorsqu'ils sont en dessous des 500 tonnes, qui serait majorée de 5 à 7 % supplémentaires par rapport aux producteurs qui feraient plus de 500 tonnes. C'est-à-dire qu'au lieu d'avoir 404 euros par tonne, ce qui correspond à l'aide à la tonne versée à tous les producteurs, on serait autour de 430 ou 440 euros. C'est beaucoup multiplié par 500 tonnes. C'est un apport d'argent qui n'est pas négligeable et qui va leur permettre de faire face à la maladie actuelle que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur, la cercosporiose noire. Elle rend la situation des producteurs extrêmement difficile vis-à-vis des produits phytosanitaires.

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Je m'adresse maintenant au dirigeant d'Action Europe. Lorsque vous montez les dossiers pour vos clients, vous assurez aussi la certification, donc les remontées de justificatifs auprès de l'Europe.

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Non, nous ne montons pas de dossiers et ne présentons pas de dossiers de demande de subvention. Ni Action Europe, ni Eurodom ne monte de dossier. Notre action consiste à faire en sorte que l'environnement normatif, les lois, les décrets, les directives, les règlements, quand on est à Bruxelles, soient adaptés à la réalité de ce que vivent nos adhérents. Nous accompagnons nos clients vers des revendications qui peuvent conduire à changer la loi, à changer les règlements, tout simplement parce que faire de l'agriculture en milieu tropical humide, ce n'est pas la même chose que faire de l'agriculture en milieu continental. C'est la première partie de notre activité.

La deuxième est de veiller aussi à ce que la compensation des surcoûts que subit la production locale dans les départements d'outre-mer soit bien toujours juste. Quand un nouveau surcoût apparaît et handicape la compétitivité de la production locale, nous faisons en sorte que les dispositifs soient bien adaptés et pris en compte dans les règles de calcul des aides, qu'elles soient européennes ou qu'elles soient nationales.

Nous ne montons aucun dossier sur le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), aucun dossier sur le Fonds européen de développement régional (Feder). Personne ne s'occupe de remplir ces dossiers chez nous.

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Que répondez-vous aux propos de M. Max Dubois, ancien conseiller spécial du ministre délégué aux outre-mer qui vous accuse de connivence politique avec le ministère des outre-mer ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Rien. J'ignore ce que signifie « connivence politique avec le ministère des outre-mer ». Nous travaillons avec le ministère de l'outre-mer, le ministère de l'agriculture, quelles que soient les majorités politiques. Nous travaillons depuis trente ans avec l'ensemble des gouvernements qui passent. Les populations des départements d'outre-mer sont confrontées à des problèmes, nous les faisons remonter, nous ne sommes pas les seuls. Si nous sommes convaincants et si les préfets, les différents services de l'État, l'administration centrale, les cabinets et le ministre constatent que ce que nous disons se vérifie sur le terrain, je ne sais pas bien ce que signifie la connivence politique. Si votre question est de savoir si j'ai une carte à la République en Marche ou à d'autres partis politiques, la réponse est non, ni à droite, ni à gauche. Pour le reste, notre activité est connue, transparente, déclarée. J'incite l'association République et développement outre-mer (R&Dom) à en faire de même.

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Si j'ai bien compris, votre mission est surtout d'influencer ou de convaincre le Parlement européen, de modifier les lois et de les adapter aux réalités locales du modèle économique de nos territoires. Il y a aussi des parlementaires qui représentent les territoires. J'ai du mal à comprendre de quoi vit Action Europe, qui est une entreprise. Vous ne faites pas la loi, mais vous travaillez avec des expertises sur la loi. Comment réussissez-vous à convaincre finalement le Parlement européen, avec le peu de moyens que vous évoquez ici, qu'il s'agisse de l'association Eurodom ou de l'entreprise Action Europe ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Nous disposons des moyens qu'il faut pour fonctionner. Comment faisons-nous ? Nous faisons ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui, ni plus ni moins. Vous parlez d'influence, mais je n'influence personne. Je convaincs éventuellement avec des arguments, j'arrive avec des chiffres et des documents. Nous travaillons beaucoup. Nos arguments sont pertinents, nous les confrontons à la réalité du terrain, mais nous ne sommes décisionnaires de rien. Je ne parle pas d'influencer quelqu'un, ce qui voudrait dire que les parlementaires sont influençables. Je ne pense pas que les membres des cabinets ou les ministres sont influençables.

Les gens que je viens de citer veulent que les choses avancent. Ils nous ont comme interlocuteurs parmi un millier d'autres. Nous apportons une expertise toute particulière sur la micro tête d'épingle dont nous sommes des spécialistes, c'est-à-dire le développement de la production locale dans les départements d'outre-mer et la manière de faire en sorte que les dispositifs nationaux et communautaires accompagnent cette production locale. Je n'influence personne, je fais des raisonnements, j'amène des chiffres, je travaille, j'avance et un débat contradictoire ou pas s'engage. Je réponds et, à la fin, de la décision ne me revient pas. Sur l'octroi de mer, je peux faire le plaidoyer le plus fort, mais, au final, vous voterez la loi et le gouvernement proposera la réforme qu'il estime nécessaire. Je n'ai pas d'outil de contrainte particulier. Je n'ai pas de connivence politique, je n'ai rien. Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il n'y ait aucune connivence entre nous autour de cette table ni ailleurs.

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Je voudrais revenir sur votre appréciation sur l'organisation en filière. Les groupements forment-ils une organisation qui suffit à structurer la filière ? Pensez-vous qu'il existe un débouché régional pour les productions ultramarines ? Pensez-vous que le système, en particulier d'import-export, permet un débouché convenable pour les produits ultramarins dans l'espace hexagonal et européen ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Pouvez-vous simplement préciser votre dernière question ?

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Le système est organisé aujourd'hui avec un quasi-monopole sur le transport, sur le fret. L'organisation du marché aujourd'hui permet-elle d'obtenir des débouchés suffisants et corrects pour les produits locaux sur le marché hexagonal et sur le marché européen ?

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Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Nous considérons qu'en dehors de l'organisation en filière, en dehors de l'organisation collective, il ne peut pas y avoir de production locale digne de ce nom. Il peut y avoir une production locale de proximité. Il peut y avoir le cas échéant, des jardins créoles, de l'autoconsommation, mais lorsqu'on souhaite passer à un stade de souveraineté alimentaire, il faut atteindre une étape où l'on doit apporter de la régularité dans la production, du calibrage dans les produits proposés. Il faut également être à l'écoute du marché. Il n'y a pas de modèle économique fort sans s'adresser à la masse du marché. Il peut y avoir des niches. Il y en a d'ailleurs dans le café, dans le cacao, mais ce sont des niches. Si nous voulons passer au stade de la vraie production agricole, de l'autosuffisance ou de la souveraineté alimentaire plus poussée, il faut avoir une organisation qui, sur la base d'un cahier des charges, permet de cadencer et d'organiser les productions. Quand on va parler par exemple à la grande distribution, on doit être en capacité de passer un contrat avec elle, de lui garantir un approvisionnement en tomates par exemple, qui soit régulier tout au long de l'année, avec des tomates calibrées que le consommateur achète. Il faut aussi dialoguer pour savoir quelles sont les aspirations du consommateur. Il est plus facile pour un producteur de livrer un poulet avec toutes ses plumes pour le mettre en rayon, mais ce n'est pas exactement ce que le consommateur recherche et ses goûts peuvent évoluer. Le consommateur peut préférer les filets à un moment, puis les pilons à un autre. Bref, il faut qu'on soit en permanence à l'écoute et on ne peut pas être à l'écoute du marché, composé essentiellement de la grande distribution, sans organisation collective qui répercute les besoins du marché à ceux qui sont en charge de la production alimentaire. C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'il faut encourager les filières.

Globalement, il y a un accord assez général sur le fait que les filières de production sont la bonne solution pour aller vers le maximum de sécurité alimentaire. C'est d'ailleurs inscrit noir sur blanc dans les objectifs du Posei, un outil qui permet de structurer et de pousser à la structuration. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il existe. Le jour où l'on retire au Posei l'obligation de structuration, on perd l'argument principal qui a fait que nous avons obtenu ces aides auprès de l'Union européenne. Quand vous avez une organisation de production, des filières, vous avez pour le producteur une masse de contraintes supplémentaires. Être dans une organisation de producteur, c'est plus de contraintes : c'est de la régularité, c'est une obligation de déclarer l'ensemble de ses revenus, d'être en règle fiscale, en règle sociale, ce sont bien souvent - je pense en particulier aux filières animales à La Réunion – des obligations renforcées en matière d'agroécologie. Tout cela permet de mieux valoriser la production, de la vendredans les circuits de grande distribution et de mieux la vendre car on apporte un plus avec de la production locale. En contrepartie de ces obligations plus fortes, des aides viennent du Posei pour une bonne partie et du complément national que l'on appelle le Ciom.

En revanche, ces aides n'existent pas quand on est en dehors de l'organisation de production. Nous militons par exemple pour que l'on continue avec le système de couplage des aides, c'est-à-dire que les aides restent couplées à la tonne. L'objectif dans nos départements est de produire davantage. L'objectif de la politique agricole commune (PAC) est tout autre, en régulant la surproduction. Nous nous rappelons tous des montagnes de lait et de beurre déversées par les producteurs dans les années 1980, qui ont amené à ce que l'on découple la PAC. On considère que l'objectif principal de la PAC est de lutter contre la surproduction. Le Posei, qui est l'équivalent de la PAC dans les départements d'outre-mer, a pour vocation d'encourager la production. Il s'agit donc du couplage des aides, du fait de conditionner et de percevoir des aides à l'adhésion à une organisation de production, à une filière et d'avoir des filières qui soient les plus longues possible. L'exemple le plus abouti de cette organisation-là se trouve à La Réunion où dans l'interprofession même, vous avez le fabricant d'aliments pour animaux, le producteur de viande, le transformateur qui va transformer la viande en première, deuxième ou troisième transformation, le distributeur et même l'importateur des produits concurrents. Tous ces gens-là se retrouvent dans la même interprofession et essayent de trouver des équilibres pour que chacun arrive à exister.

On est même allé dans ce système-là à inventer, avec le soutien de la grande distribution et de l'importation, un système qu'on appelle le système des CIE, les cotisations interprofessionnelles étendues, qui sont des cotisations obligatoires payées par les importateurs, et qui bénéficient exclusivement au développement de la production locale. C'est-à-dire que les importateurs de poulet payent pour développer la production locale de poulet, que l'on pourrait considérer comme étant leurs concurrents. En dehors de ces filières, il n'y a pas de salut, à notre avis.

La coopération régionale est possible sur quelques niches. Elle apparaît très compliquée pour une raison simple. D'une part, ‘ nous produisons trop cher nos productions agricoles et industrielles pour pouvoir être compétitifs dans les pays qui entourent les départements d'outre-mer. D'autre part, ces pays produisent des normes qui ne sont pas aux normes européennes et qui donc ont des difficultés à être importées chez nous. Il ne faut pas fermer la porte à la coopération régionale, mais en l'état actuel du droit, il sera compliqué d'aller beaucoup plus loin, sauf à vouloir baisser le niveau des normes pour permettre à des produits régionaux de rentrer. Mais ce serait asymétrique car on permettrait aux produits de rentrer, mais nos coûts de production handicaperaient les exportations de nos produits. Or, ces normes sanitaires, sismique, de construction ou environnementales ont des raisons d'être : les abaisser risquerait de diminuer le standard de qualité auquel nous sommes habitués.

Enfin, pour répondre aux possibilités d'exportation, certaines productions le font, c'est le cas de la banane, du sucre, du rhum, d'un certain nombre de productions fruitières ou de fleurs, un peu à la Martinique, beaucoup à La Réunion. Je pense à l'ananas Victoria, aux litchis, aux mangues que l'on retrouve à la saison de Noël, donc à contre-saison, sur les étals en métropole.

Aujourd'hui, le défi principal me semble être de produire suffisamment pour nourrir les populations locales. Le jour où l'on aura trop de productions pour nourrir la population locale, on verra s'il est pertinent d'exporter et à quelles conditions. Je pense que ceux qui peuvent le faire le font. Je pense aussi au café et au chocolat. L'essentiel de ces exportations, en tout cas, les exportations de niches, se fait par avion. La banane, le rhum et le sucre sont transportés par bateau.

Vous disiez qu'il existe un quasi-monopole. Vous pourrez en parler dans quelques minutes au principal intéressé. Je crois qu'il y a trois ou quatre compagnies, trois compagnies sans doute sur la Martinique et au moins deux sur La Réunion. Depuis dix ans, le fret n'a jamais été aussi peu cher sur la Martinique qu'aujourd'hui. Pour le moment, un acteur se montre relativement responsable, en tout cas pour ce que je peux en juger, et accompagne les départements d'outre-mer quand ils ont des difficultés. Je crois que la CMA CGM l'a fait relativement convenablement, mais vous les interrogerez directement.

Un dernier mot sur le projet de réforme de l'octroi de mer. Le budget de l'octroi de mer représente environ 475 millions d'euros d'exonérations fiscales au titre de la protection de la production locale. C'est le montant de ce qu'on appelle l'aide d'État, le montant maximum de compensation des surcoûts octroyé à la production locale dans les départements d'outre-mer. Les recettes perçues par les collectivités locales s'élèvent à 1,2 milliard, selon le rapport du député Jean-René Cazeneuve et du sénateur Georges Patient « Soutenir les communes des départements et régions outre-mer pour un accompagnement en responsabilité » (2019). Imaginons, comme on l'entend parfois, que l'on supprime la taxe dès lors qu'il n'y a pas de production locale en face. C'est une proposition qui revient ces derniers temps de manière relativement insistante. La première conséquence, j'en ai déjà parlé, c'est qu'on va fragiliser, à mon avis détruire, une bonne partie de nos artisans et des petites entreprises répartis dans une infinité de secteurs et qui, par définition, ne sont pas connus puisque non assujettis à l'octroi de mer. Si on retire l'octroi de mer, ces entreprises vont finir sans aucune protection, j'ai évoqué l'exemple des bijoux fantaisie en Martinique et de la Guyane.

La deuxième conséquence est qu'il va falloir trouver 1,2 milliard de recettes pour compenser la suppression de la taxe d'octroi de mer. Je rappelle que des collectivités locales en bonne santé intéressent les entreprises, au regard de l'importance de la commande publique dans les départements d'outre-mer. Sauf à imaginer que Bercy signe un chèque de 1,2 milliard tous les ans aux collectivités locales des DOM, ce qui est assez peu probable, il est bien évident que l'État va chercher à appliquer de nouvelles taxes pour trouver les recettes nécessaires au financement des collectivités locales. Plusieurs systèmes sont envisagés, mais aucun ne fait l'économie d'une hausse de la TVA. Elle peut être plus ou moins forte en trouvant d'autres recettes. On évoque parfois une taxe sur les tabacs ou sur les alcools. D'ailleurs, je crois que la taxe sur les tabacs est déjà une taxe des collectivités. Soit on augmente la TVA nationale et l'État reverse aux collectivités locales, soit on crée une TVA régionale, c'est-à-dire une TVA recette affectée. Dans le rapport, il est indiqué que la TVA rapporte au taux actuel 964 millions d'euros dans les DOM et l'octroi de mer rapporte 1,2 milliard, selon les chiffres de 2017. Je vous laisse faire le calcul du niveau de taux de TVA régional pour trouver les recettes équivalentes. Quand on a, au taux actuel, une TVA qui rapporte 20 % de moins que ce que l'on cherche à financer, cela risque de générer des taux de TVA colossaux.

La troisième conséquence est que l'on va créer une TVA, quel que soit son taux, en Guyane et à Mayotte, où la TVA est à taux zéro. Il faudra donc la pousser de quelques points.

La quatrième conséquence, c'est que le prix de tous les services va considérablement augmenter puisque la TVA frappe indistinctement les biens et les services, alors que l'octroi de mer frappe les seuls produits. Les services forment l'essentiel des dépenses des ménages : l'abonnement Internet, le téléphone portable, l'assurance scolaire des enfants, la cantine scolaire, etc. On va donc mettre une TVA régionale ou augmenter le taux de TVA sur ces services qui, aujourd'hui, ne sont pas frappés d'octroi de mer, tout en espérant un gain bien hypothétique selon nous sur les produits, en faisant le pari que le gain fiscal né de la suppression de la taxe d'octroi de mer se retrouve dans les prix aux consommateurs.

L'exemple en métropole de la baisse de la TVA dans la restauration devrait nous inciter à beaucoup de prudence sur la répercussion d'une baisse de la TVA ou d'une baisse de fiscalité sur les prix. Ensuite, le soutien plus ou moins appuyé à une réforme à destination des importateurs dans les départements outre-mer devrait aussi nous inciter à la réflexion et peut-être même à la prudence.

Au final, au nom de la lutte contre la vie chère, on aura fragilisé le financement des communes et des collectivités. On aura fragilisé, pour ne pas dire plus, le tissu des artisans et des petites entreprises non assujettis. On aura fait augmenter considérablement le prix des services pour un hypothétique gain sur les produits. Je me permets donc d'appeler à la plus grande prudence sur cette réforme annoncée par le gouvernement. Le principe de la réforme a été annoncé, mais pas ses modalités. Je me permets d'appeler votre attention sur ce sujet, puisque vous aurez bien le dernier mot ici à l'Assemblée nationale à travers le vote d'une loi.

Certains promoteurs de la réforme mettent aussi en avant le système dit de l' Arbitrio sobre Importaciones y Entregas de Mercancías (AIEM) ou arbitrage sur les importations et les livraisons de marchandises, en vigueur aux Canaries, et qui, c'est vrai, est une taxe qui frappe les produits importés avec une production locale en face. Ce système est beaucoup moins puissant que celui de l'octroi de mer actuel, pour au moins deux raisons. D'abord, il ne traite pas le cas des non assujettis qui, j'insiste, constitue une part importante du tissu économique du département d'outre-mer. Ensuite, il représente une aide maximum de 150 millions d'euros par an, là où notre octroi de mer permet d'aller jusqu'à 450 millions d'euros par an. C'est donc une aide trois fois plus puissante pour une population équivalente entre les Canaries et les départements d'outre-mer, soit environ 2,2 millions habitants. D'ailleurs, le PIB des Canaries est substantiellement inférieur à celui des départements d'outre-mer, il faut le rappeler parce qu'on a parfois tendance à voir l'herbe plus verte dans le pré du voisin. Le PIB des Canaries s'élève à 39 milliards d'euros, celui de l'ensemble des DOM atteint les 46 milliards. Cette différence est due à un poids plus important de l'agriculture et de l'industrie dans le PIB des DOM par rapport à celui des Canaries. N'allons pas changer notre modèle efficace contre un modèle qui, manifestement, en tout cas dans les chiffres, l'est moins.

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J'ai bien noté que vous vouliez compléter votre plaidoyer en faveur de l'octroi de mer. Ce débat a été très largement repris pendant nos auditions. Monsieur, je vous remercie et je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé pour préparer cette audition.

La commission auditionne ensuite MM. Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime (CMA CGM), et Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en entendant M. Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM, et M. Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes. Je vous souhaite la bienvenue, je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je rappelle à mes collègues et à ceux qui nous suivent que notre commission d'enquête a été créée pour faire la lumière et établir des faits concernant le coût de la vie outre-mer. Elle n'a pas vocation à instruire le procès des personnes qui sont auditionnées, mais bien à éclairer la réalité.

En application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d'enquête a le droit de se faire communiquer tout document, sauf ceux couverts par le secret de la défense, des affaires étrangères et de la sécurité de l'État ou relevant de l'autorité judiciaire. Si le secret des affaires n'est pas en soi opposable à ces travaux, elle n'a pas le droit de révéler les éléments de caractère secret ailleurs que dans son rapport. Par ailleurs, si nous interrogeons certains des acteurs économiques ultramarins les plus puissants, nous ne pourrons pas entendre tous leurs concurrents pour leur demander les mêmes informations. Aussi, notre pratique concernant les chiffres de ces entreprises sera constante. Si les auditionnés s'engagent publiquement à fournir par écrit les données chiffrées demandées par le rapporteur, nous ne demanderons pas à ce qu'ils les révèlent publiquement. Bien entendu, si cet engagement n'était pas respecté, nous conserverions le droit d'aller les chercher sur pièces et sur place, conformément aux prérogatives d'une commission d'enquête.

Messieurs, je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire que je souhaite d'une dizaine de minutes, peut-être un quart d'heure, mais en tout cas pas davantage, parce qu'il nous paraît important d'avoir un exercice de questions et de réponses avec les parlementaires présents physiquement ou en visioconférence. Ces questions-là commenceront par celles de notre rapporteur.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Rodolphe Saadé et Grégory Fourcin prêtent serment).

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Je vous remercie de me donner l'opportunité de vous faire part de mon analyse et de mon point de vue sur la vie chère dans les outre-mer et de clarifier le rôle du transport maritime dans celle-ci. C'est en effet un sujet important, car les outre-mer, qui représentent près de trois millions de personnes, sont des territoires à part entière de notre pays. Il n'est pas acceptable qu'ils soient l'objet d'inégalités vis-à-vis de la métropole.

Il appartient à chacun, y compris aux entreprises, d'agir pour cela, et ce d'autant plus que le groupe CMA CGM est très attaché aux outre-mer, et pas seulement pour des raisons économiques. En tant que compagnie maritime, nous savons que les outre-mer sont une chance pour notre pays. La France est une grande nation maritime, notamment grâce aux outre-mer, qui contribuent à faire de notre pays le deuxième espace maritime le plus vaste au monde.

En tant que leader français du transport maritime, nous avons une responsabilité particulière vis-à-vis des outre-mer et des Français d'outre-mer, car la quasi-totalité des départements et collectivités d'outre-mer sont des territoires insulaires. Nous sommes le principal lien avec la métropole. Nos navires importent ce qui est nécessaire à la vie de nos concitoyens. Ils exportent le savoir-faire de ces territoires, contribuant à l'emploi sur place. Enfin, à travers la CMA CGM, nous sommes présents depuis plus de 150 ans sur ces territoires. Nous faisons partie de leur histoire comme ils font partie de la nôtre.

C'est ce qui nous pousse à avoir, vis-à-vis des territoires d'outre-mer, une politique volontaire qui nous a conduits, dès le mois de mai 2021, à geler les tarifs de fret. Puis, à compter de juillet 2022, à abaisser de 750 euros le container, alors même que les taux de fret explosaient partout ailleurs dans le monde, et à prolonger cette baisse jusqu'à la fin de l'année 2023.

Pour nous permettre de mener à bien les travaux de notre commission d'enquête, j'aimerais aborder avec vous trois sujets.

Le premier, c'est la part du transport dans le prix final du produit, le deuxième l'évolution du prix du transport et le troisième, enfin, quelques leviers d'action qui me sembleraient de nature à lutter contre ce phénomène de vie chère.

Abordons le premier point. Il y a de nombreuses étapes dans la réalisation d'un transport. Les opérations permettent d'amener un container vide chez un industriel, de le remplir de marchandises, de l'amener jusqu'à un port et de le mettre sous douane, ce qui implique le chargement du container sur le navire, le transport maritime qui nécessite le pilotage, le remorquage, ‘le lamanage au départ et à l'arrivée, le déchargement du container à l'arrivée, le dédouanement du container, puis sa livraison jusqu'au client importateur qui déchargera la marchandise et enfin le retour du container vite où il sera réceptionné dans l'attente de son rechargement.

Dans cette chaîne de valeurs, vous avez quatre principaux acteurs : la compagnie maritime qui facture un fret et une surcharge carburant, communément appelée la BAF (Bunker adjustment factor) ; les transporteurs routiers, ferroviaires ou fluviaux ; les acteurs portuaires, sociétés de manutention et de services portuaires et enfin le transitaire, l'acteur logistique qui organise le transport. Il achète dans la plupart des cas le transport maritime et le transport routier des douanes à l'export et à l'import et peut également stocker. Il refacture tous ses services à l'importateur.

Plusieurs analyses et études ont été menées pour étudier la part du transport dans le prix d'un produit, que ce soit par l'Autorité de la concurrence en 2019 ou par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Martinique, qui a fait appel au cabinet de conseil DME (Didacticiels & Modélisation Economiques) en 2023. Le fret maritime représentait en moyenne moins de 5 % du coût d'achat des produits importés ou 3 % du prix de vente des produits. Bref, une part minime du coût du produit, qui ne peut être responsable ni de la vie chère ni même de l'inflation.

Prenons quelques exemples concrets. À la date d'aujourd'hui, pour un container quarante pieds qui va transporter près de vingt tonnes de marchandises, nous sommes à un tarif de fret de 2 221 euros pour un transport entre le Havre et Fort-de-France qui se décompose de 1 321 euros de fret et de 796 euros de BAF pour 6 600 kilomètres parcourus ; 2 237 euros pour un transport entre Le Havre et Pointe-à-Pitre qui se décompose par 1 331 euros de fret et 796 euros de BAF. Pour terminer, nous parlons de 2 497 euros pour un container quarante pieds du Havre vers le Grand port maritime de La Réunion, qui se décompose par 1 227 euros de fret et 1 122 euros de BAF pour 12 770 kilomètres.

Est-ce un coût élevé ? Au-delà du pourcentage qu'il représente et que nous avons déjà rappelé, j'aimerais vous donner quelques ordres de grandeur. Pour un transport entre Le Havre et la Martinique, le prix du transport maritime est donc de 2 121 euros pour un container de vingt tonnes de marchandises, soit 10,5 centimes d'euro par kilo de marchandises pour faire 6 600 kilomètres. À titre de comparaison, le prix d'un même container transporté entre Le Havre et Lyon est de 1 200 euros pour une distance de 650 kilomètres, soit près de six fois plus cher au kilomètre.

Si je peux me permettre de tirer deux premières conclusions, la première est que le prix du transport maritime qui nous incombe représente en moyenne une part très faible du coût du prix et il reste le mode de transport le moins coûteux. Regardons maintenant l'évolution dans le temps de ces prix et comparons-le avec une route similaire en comparant Le Havre à Caucedo, à Saint-Domingue, par exemple. Nous observons deux choses. Le prix du transport maritime s'est envolé dans le monde entier en 2021 et 2022. Il a été multiplié par quatre entre Le Havre et Caucedo. Seuls les prix entre la métropole et les outre-mer sont restés extrêmement stables et ont même baissé, y compris en ajoutant la BAF. Si vous regardez le tableau projeté sur l'écran, la courbe orange, qui est le taux de fret entre Le Havre et Pointe-à-Pitre, comparé à Saint-Domingue, laisse voir une différence très importante. Les taux de fret à destination des Antilles sont restés extrêmement stables, que ce soit à destination de la Martinique ou de la Guadeloupe, contrairement à Saint-Domingue.

Cela s'explique par une seule raison, notre volonté délibérée de préserver les habitants et les entreprises des territoires ultramarins de la hausse des taux que connaissait le reste du monde, et ce malgré une hausse de nos propres coûts. Cet effort de baisse des taux représente pour mon entreprise une enveloppe annuelle de plus de 80 millions d'euros. À mon sens, la problématique de la vie chère dans les outre-mer est plus globale et nous pouvons agir à travers plusieurs leviers.

D'abord, en investissant. C'est notre rôle premier en tant qu'entreprise. Nous avons fait le choix d'investir 850 millions d'euros dans une flotte de sept nouveaux navires pour les Antilles, des navires pouvant transporter entre 7 300 et 7 900 containers qui respecteront les futures normes environnementales. Ils offriront de la capacité supplémentaire aux industriels. Ils seront livrés entre juillet 2024 et avril 2025. Ils seront propulsés au gaz naturel liquéfié et ensuite au biométhane. Ils nous permettent de maîtriser nos coûts et de ne pas être dépendants du marché de l'allocation de navires, l'affrètement, dont les coûts peuvent exploser, comme cela a été le cas durant les derniers mois.

Le deuxième levier est d'accompagner le développement économique de ces territoires, tout comme nous l'avons fait en 2025 avec le hub de La Réunion. Nous sommes aussi convaincus que les terminaux de Martinique et de Guadeloupe peuvent devenir des hubs régionaux et attirer d'autres compagnies maritimes.

Ces hubs, ou plates-formes de transbordement, doivent alors pouvoir accueillir des navires, à l'instar de ceux que nous avons commandés. Des projets d'extension sont donc en cours, augmentant la capacité opérationnelle des ports antillais de 350 000 à 400 000 containers équivalents vingt pieds (EVP) en Martinique, contre 200 000 EVP aujourd'hui, et 400 000 à 450 000 EVP en Guadeloupe, contre 300 000 EVP aujourd'hui. CMA CGM investira près de 85 millions d'euros en nouveaux équipements portuaires en Martinique et Guadeloupe. Nous avons d'ores et déjà indiqué que nous serions prêts à contribuer à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires pour permettre aux collectivités de finaliser leur budget. Cela permettra d'une part de renforcer le positionnement des deux îles comme hub logistique majeur dans la zone, d'autre part d'aller chercher de nouveaux débouchés, de diversifier les sources d'approvisionnement et de faire croître les flux intra-caribéens.

L'approvisionnement régional peut être aussi un accélérateur pour lutter contre la vie chère en raccourcissant les zones d'approche. Nous avons d'ailleurs ouvert en novembre 2022 un service supplémentaire intra-île dans le bassin caribéen pour connecter la Martinique et la Guadeloupe aux îles limitrophes : Puerto Rico, Antilles néerlandaises, la Dominique, Sainte-Lucie, la Barbade, Antigua et Barbuda, Saint-Martin, Grenade, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Trinidad, Tobago, etc.

Le troisième levier pour lutter contre la vie chère est la création d'emplois, et c'est aussi notre rôle en tant qu'entreprise. La modernisation des grands ports maritimes permettra de créer des emplois dans les secteurs portuaires, environ cent emplois de docker et para-portuaires. Par ailleurs, nous ouvrirons une structure de formation professionnelle commune à la Martinique et à la Guadeloupe, dédiée aux compétences liées à la modernisation des grands ports maritimes, en partenariat avec les services de l'éducation nationale et les universités.

En complément des créations d'emplois précédentes, il faut aussi accompagner ceux qui veulent se lancer dans l'entrepreneuriat. Nous avons décidé de créer un incubateur de start-up en Guadeloupe, qu'on a appelé The Box Caraïbes. Il a été inauguré en 2022. Vingt start-up sont déjà incubées. Certaines ont d'ores et déjà réalisé leur première levée de fonds et lancé leurs premiers recrutements. Cet incubateur a une vocation régionale parce qu'une fois de plus, je suis convaincu que nos outre-mer peuvent jouer un rôle plus important qu'ils ne le jouent aujourd'hui.

Enfin, le dernier levier est la solidarité envers ceux qui en ont le plus besoin, que ce soit en finançant plus de 750 000 repas à la banque alimentaire pour la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, ou bien en mobilisant notre outil naval, comme nous l'avons fait lors de l'ouragan Irma en 2017, pour acheminer vivres et matériels de secours.

En conclusion, le transport maritime joue un rôle clé au sein de nos départements et collectivités d'outre-mer. C'est un atout pour leur développement économique. En tant qu'acteur responsable et engagé, le groupe CMA CGM entend pleinement contribuer à la lutte contre la vie chère. Je suis certain que nos travaux permettront à tous les acteurs, élus, collectivités, État, entreprises et simples citoyens de disposer d'un état des lieux objectif et partagé, qui fasse toute la transparence sur la situation actuelle. Alors nous pourrons construire ensemble des solutions pérennes pour lutter contre la vie chère et faire réussir les outre-mer.

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Je vais passer la parole à notre rapporteur, mais je voudrais auparavant vous poser deux questions. Vous imaginez bien que dans la chaîne des prix, la question du fret est une question centrale, et c'est légitime. Vous nous avez apporté un certain nombre d'éléments qui nous semblent importants. Pour autant, ils arrivent parfois un peu en contradiction avec d'autres éléments qu'on a pu nous fournir.

Comment s'élabore la BAF ? Personne n'a réussi complètement à nous expliquer comment cette partie du coût est élaborée. J'aimerais bien avoir vos lumières en la matière. Ensuite, nous avons remarqué que le coût par container n'était pas le même, selon que l'on transporte des pâtes ou des smartphones. Dans un cas, vous avez une valeur totale qui fait que le coût du fret est négligeable. Quand ce sont des produits de première nécessité, c'est un peu différent.

On nous a dit que les containers étaient, selon une logique de portefeuille, un peu mutualisés, c'est-à-dire que l'on mettait des éléments de différentes valeurs à l'intérieur, de façon à ce que la prise de risque soit répartie. Pouvez-vous nous confirmer cela ?

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Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes de CMA CGM

Vous savez qu'à l'instar de toutes les compagnies de transport, que ce soit routier ou aérien, la CMA CGM applique une BAF depuis 2000, une surcharge de carburant qui permet à CMA CGM de faire face aux variations exogènes et non maîtrisables du prix des combustibles. C'est un élément du prix total du fret maritime appliqué sur les marchés du monde entier. Elle est trimestrielle depuis 2018. Son calcul s'appuie sur la consommation des navires sur un marché donné, qui reste fixe alors que le prix des combustibles varie. Le montant des BAF est annoncé un mois à l'avance pour une application le premier jour de chaque trimestre. Je vous donne un exemple à titre d'illustration. Pour une application de la BAF qui va se faire au 1er juillet, au troisième trimestre 2023, la déclaration s'effectue le 1er juin, donc aujourd'hui, par exemple, c'est concret. Nous prendrons en considération les variations du prix bunker du Brent pendant les trois trimestres qui l'ont précédé, c'est-à-dire le calcul de mars, avril et mai. Nous ferons une moyenne du taux de VLSFO (very low sulphur fuel oils), le fioul à très faible teneur en soufre, sur les trois mois. C'est de cette manière que nous faisons aujourd'hui notre déclaration de BAF auprès de nos clients. Cette BAF est également disponible sur Internet et sur notre site Web.

La BAF a augmenté, mais de manière très rapide. Le 30 avril 2020, le Brent était à 25 dollars. Un an plus tard, il était à 70 dollars, multiplié par 2,5. En 2022, on a vu une explosion du Brent et du baril de pétrole. Il est passé à 129 dollars le 8 mars 2022, multiplié par cinq comparé à 2020. Vous imaginez que la BAF a elle aussi augmenté de manière mathématique. Aujourd'hui, au 31 mai 2023, le Brent est plutôt aux alentours de 72 ou 75 dollars, ce qui fait que la BAF, depuis la fin de l'année 2022, est en chute libre.

Pour les Antilles, par exemple, la BAF, entre le quatrième trimestre 2022 et le troisième trimestre 2023, va baisser de 488 euros par quarante pieds. Le calcul se fait à chaque fois à la hausse ou à la baisse. C'est la réplique du prix du fioul que nous devons répercuter pour faire fonctionner nos navires. ‘

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Ce mécanisme de BAF, qui signifie bunker adjustment factor en anglais, s'applique à tous les marchés du monde, que ce soit au départ de métropole à destination des Antilles ou au départ de la Chine à destination des États-Unis. Tous les secteurs sont sujets à un ajustement du prix du pétrole.

Pour répondre à votre deuxième question, nous avons déjà consenti un effort très important dans un premier temps en gelant nos tarifs de fret, en les réduisant de 750 euros aux containers de quarante pieds, ce qui représente pour nous un manque à gagner de 80 millions d'euros sur une année.

Il est difficile pour un transporteur maritime de savoir ce qu'il y a dans un container. Et même si nous le savions, il est compliqué de dire comment il convient de procéder pour facturer le tarif de fret en fonction des différents produits stockés dans un container. C'est la raison pour laquelle un tarif par container est pour nous beaucoup plus adapté, car nous ne sommes pas en charge de savoir ce qu'il y a dans un container.

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Comment expliquez-vous que tous les grands groupes considèrent que la BAF est extrêmement complexe et qu'ils n'y comprennent rien en termes de calcul et de montant ? J'aurais aimé avoir votre regard sur l'analyse des grands groupes par rapport à votre indicateur. Ensuite, en juillet 2022, la compagnie Maersk a annoncé que ses lignes maritimes entre l'Europe et les Antilles seraient fermées. Comment expliquez-vous ce retrait ? Pourquoi le contrat n'a-t-il pas été reconduit ?

Pour les dix territoires ultramarins (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, Polynésie, La Réunion, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna), quelles sont les lignes que vous desservez et quel est votre niveau de position dans la desserte de ces lignes ? Êtes-vous en position dominante ?

Pour revenir sur votre baisse des 750 euros du coût de container, plusieurs grands groupes ont affirmé que la BAF a augmenté d'autant et qu'en fait, cette mesure n'a pas pu être répercutée sur les prix de vente.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

J'aimerais savoir ce que les grands distributeurs ont fait des économies dont ils ont bénéficié suite à la baisse des tarifs de fret. On me questionne sur le montant de la réduction et je suis prêt à donner tous les chiffres. Mais eux, qu'ont-ils fait avec ces économies ? L'ont-elles été répertoriées auprès des clients finaux ? Il est facile d'aller taper sur la compagnie maritime, mais qu'ont-ils fait ? Moi, j'ai 80 millions de moins. J'aurais pu augmenter mes tarifs de fret, je ne l'ai pas fait. Ces économies que j'ai données aux clients finaux, où sont-elles passées ? Moi je les ai donnés, elles ne sont pas chez moi. J'aimerais bien aussi que vous posiez ces mêmes questions aux distributeurs.

Concernant Maersk, je ne peux pas commenter les décisions stratégiques de retrait d'un concurrent. Tout ce que je sais, c'est que les volumes que Maersk ne changera plus à bord de nos bateaux, nous les partagerons avec Marfret, partenaire de CMA CGM sur le territoire des Antilles et de la Guyane. Peut-être que Maersk a considéré que desservir les Antilles lui coûtait beaucoup trop cher et qu'il a préféré se retirer.

Le mécanisme de la BAF est assez clair et transparent. Si nous n'avons pas suffisamment communiqué, nous sommes prêts à expliquer une nouvelle fois à nos clients le fonctionnement de ce mécanisme, appliqué partout dans le monde. Il n'y a pas d'exception pour les Antilles. Au contraire, c'est un mécanisme mis en place dans le secteur du transport maritime, accepté par les clients.

Je réponds à votre question sur notre position dominante : je ne pense pas. Je pense que nous sommes présents dans les territoires des outre-mer depuis de très nombreuses années. Notre objectif est de desservir ces îles de la manière la plus compétitive, en offrant une qualité de service irréprochable à nos clients. Qu'on soit seul ou qu'il y ait d'autres acteurs, ce n'est pas à moi de juger. Tout ce que je sais, c'est que l'objectif du groupe CMA CGM est de desservir nos clients aux Antilles et dans les territoires d'outre-mer de la manière la plus économique et de la manière la plus qualitative.

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Je considère comme une grande chance que nous ayons en France l'un des leaders mondiaux de ce beau métier qui relie, et il vaut mieux l'avoir en France et constater que la prise en compte de nos préoccupations maritimes nationales est intégrée dans ses réflexions.

Vous avez, dans vos exemples, essentiellement évoqué les Antilles, mais vous êtes présents également dans l'Océan indien et dans le Pacifique. Pouvez-vous nous développer cet aspect ? Nous connaissons les singularités évidentes d'éloignement, en particulier pour le Pacifique.

Quand vous évoquez les chiffres de 5 ou 3 % pour ces territoires, n'est-ce pas plus, ne serait-ce que du fait de l'éloignement ?

Nous constatons, en circulant dans ces pays, qu'un certain nombre de ports, dans leurs équipements, sont défaillants ou peu adaptés à un trafic qui s'est accru. Je prends un exemple très concret. Dans le Pacifique, des ports ne peuvent pas accueillir des containers complètement chargés, ce qui fait qu'au kilo, le prix revient plus cher puisqu'on doit avoir des containers plus légers que la norme. Merci de nous préciser les efforts qui doivent porter sur les équipements portuaires réalisés par les partenaires privés, mais aussi par la puissance publique.

Nous avons vu un pic de prix très élevé il y a cela maintenant quelques mois, sensiblement descendu, voire très sensiblement. Quels sont les pronostics, si tant est qu'ils puissent être faits, pour les mois et les années à venir, toutes choses égales par ailleurs, quant à l'évaluation du prix du fret maritime ?

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Le groupe Bolloré a annoncé le 21 décembre 2022 la cession à 100 % de Bolloré Africa Logistics au groupe MSC. Cela concerne l'ensemble des activités de transport et de logistique du groupe Bolloré en Afrique. Par ailleurs, la presse a annoncé en avril 2023 le rachat de Bolloré Logistics par CMA CGM. Deux compagnies maritimes possèderont un maillon supplémentaire de la chaîne logistique. Doit-on déduire de cette nouvelle stratégie une ambition de diminuer le coût du fret ? Si oui, l'emploi sera-t-il préservé à son niveau actuel ?

Ma deuxième question vous concerne directement. L'article 61 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique prévoyait d'associer les compagnies maritimes et les transferts à l'effort de modération du bouclier qualité-prix (BQP). Pouvez-vous nous confirmer que cela a été bien le cas pour CMA CGM et nous indiquer l'effort financier que cela représente chaque année par territoire pour la compagnie maritime ?

Quelles sont les raisons pour lesquelles l'Autorité de la concurrence ne parvient pas à accéder aux informations relatives à vos activités ? Face à l'inflation, vous avez proposé une baisse du fret pour les importations vers les outre-mer pour les containers de quarante pieds, une aide que vous avez reconduite et que vous avez fait passer à 750 euros. Jusqu'à quand comptez-vous laisser ce dispositif ?

CMA CGM a décidé effectivement de baisser de 750 euros le prix du container pour toutes les importations à La Réunion qui transitent par ces navires. Dans le même temps, le prix du container pour les exportations, lui, ne baisse pas. C'est une illustration pour nous du maintien de notre île dans le sous-développement de l'économie de comptoir. Favoriser les importations qui sont payées par les Réunionnais plutôt que l'exportation des produits qui peuvent créer de la richesse pour le territoire. Vous avez parlé d'emploi, M. Le président-directeur général, au début de votre propos. Compte tenu de cette réalité, pourquoi ne pas mieux travailler ce dispositif afin qu'il soit profitable à La Réunion et à l'outre-mer en général ? Pourquoi ne pas avoir agi dans ce sens alors que la question de la vie chère est primordiale ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Je vais répondre de manière désordonnée. Concernant le prix de l'export, nous nous adaptons au prix de marché et nous proposons des tarifs de fret en fonction du marché, au départ de La Réunion vers la métropole ou vers d'autres destinations comme l'Asie. À moins que vous ayez des exemples spécifiques, nous sommes compétitifs à l'export parce que nous avons besoin de ressortir nos containers et nous sommes donc prêts à accepter des tarifs de fret compétitifs pour pouvoir repositionner notre équipement.

La baisse de 750 euros, qui devrait arriver à son terme à la fin du mois de juillet, est finalement prolongée pour encourager la baisse des tarifs de fret jusqu'à la fin de l'année 2023. Donc la CMA CGM maintient cette baisse de 750 euros jusqu'au 31 décembre 2023.

Le groupe Bolloré a décidé il y a quelques mois de céder son activité dans les terminaux en Afrique au groupe MSC, premier armateur mondial. En qui concerne le groupe CMA CGM, nous avons signé un accord d'acquisition de l'activité logistique de Bolloré et cet accord est sujet aux autorités chargée de la concurrence, que l'on obtiendra probablement vers la fin de l'année. En début d'année prochaine, nous devrions être le nouvel acquéreur de Bolloré Logistics. Je n'ai pas d'information concernant le fait que nous ne donnions pas accès à de l'information à l'Autorité de la concurrence. Quand l'Autorité de la concurrence demande des informations, nous n'avons pas le choix : on les donne.

S'agissant de la charte à laquelle vous faisiez référence, nous avons signé la charte dans les différentes îles et n'avons pas de sujet à ce titre. Bien au contraire, nous sommes contents d'avoir signé.

Sur la question de l'équipement portuaire, le groupe CMA CGM investira dans une nouvelle flotte de navires pour pouvoir relier la métropole à la Martinique et à la Guadeloupe. Notre programme d'investissement se compose de plusieurs centaines de millions d'euros pour déployer des navires de 7 000 containers, alors qu'aujourd'hui, on déploie des navires de 3 000 containers. C'est bon pour l'emploi, parce que cela veut dire que l'on va recruter davantage de dockers en Martinique et en Guadeloupe. Aux côtés de l'État et des collectivités locales, des investissements seront réalisés pour pouvoir accueillir ces grands navires. Comme je le disais dans mon propos, nous allons investir également dans de l'équipement neuf. Pour répondre à votre question, oui, il faut remplacer l'équipement usagé et CMA CGM participe à cet effort. Il faut un partage entre ce que fait l'État et ce que fait l'entreprise CMA CGM. Nous nous occupons de tout ce qui est horizontal et l'État gère toute la partie verticale, à savoir le chargement et le déchargement des containers à bord des navires. Pour notre part, nous nous chargeons de l'activité du terminal. C'est ce que nous faisons en renouvelant l'équipement qui devient usagé.

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Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes de CMA CGM

Je réponds à la question relative au Pacifique et à l'équipement portuaire. À ma connaissance, nous n'avons pas de limitation de poids des containers. Si vous avez des exemples très concrets, nous pouvons tout à fait les étudier. Vous avez raison de dire que l'équipement portuaire est décisif pour accueillir les navires et rendre les ports et les territoires d'outre-mer compétitifs, puisqu'on sait que le port représente la voie d'entrée économique d'un territoire ultramarin, tout comme l'aéroport.

Nous nous arrêtons toutes les semaines à Nouméa et à Papeete. Auparavant, ce service était assuré tous les quatorze jours et, désormais, il devient hebdomadaire. La fréquence a été multipliée par deux et des contraintes apparaissent aujourd'hui pour entrer avec des plus grands navires. On escale avec des navires de 2 200 unités, ce sont de petits navires qui font le tour du monde. Ils partent du nord Europe, traversent le canal de Panama, descendent à Papeete et à Nouméa, vont en Australie et en Nouvelle-Zélande et ensuite, remontent et reviennent en Europe en passant par les États-Unis.

Nous avons besoin d'avoir des ports compétitifs. Le port de Nouméa propose 10,50 mètres de tirant d'eau. On doit donc se décharger avant pour pouvoir entrer à Nouméa. Il y a peut-être un lien de corrélation avec ce que vous mentionniez tout à l'heure sur les containers. En tout cas, on ne limite pas l'importation sur Nouméa. À Papeete, il faut prendre en compte la passe d'accès au port. Je sais que le port de Papeete nourrit un projet d'agrandissement de cette passe pour 2025-2027.

Sachez aussi que les contraintes environnementales vont peser de plus en plus sur l'exploitation de nos navires. Il faudra des ports qui puissent accueillir des navires plus grands, puisqu'on rencontrera des difficultés demain à exploiter des navires plus petits. Un navire plus petit, généralement, consomme plus au container. Je sais que c'est une question importante pour tous les grands ports maritimes, dans le Pacifique et dans l'Océan indien.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Il serait intéressant d'avoir une discussion avec vous sur les contraintes environnementales, de plus en plus complexes. En tant que grand transporteur maritime, nous respecterons les nouvelles normes réglementaires. Est-il possible de continuer à envoyer des navires aussi loin que dans les territoires ultramarins, alors que les contraintes environnementales vont nous obliger à réduire la vitesse, à brûler du carburant très propre qui n'existe pas aujourd'hui en grande quantité ?

Toutes ces contraintes auront un impact sur le transport maritime. Comment faisons-nous pour desservir des territoires lointains comme Papeete ou la Nouvelle-Calédonie ?

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Nous sommes tout à fait preneurs de vos contributions en la matière.

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CMA CGM nous dit qu'il a fait un effort de 750 euros pour les containers de quarante pieds et de 375 euros pour les containers de vingt pieds. Il a partiellement répondu à la question tout à l'heure que j'allais lui poser. Pourquoi les personnes en outre-mer n'ont-elles pas ressenti cet effort en bout de chaîne ? Vous nous avez demandé de poser la question à la grande distribution. Depuis le début de ces auditions, je constate que tous les acteurs réalisent de larges bénéfices, mais ce n'est jamais la faute de personne. En fait, nous avons lancé ces auditions avec des « pourquoi » et nous n'avons obtenu que des « parce que ». Je constate juste que la vie chère que nous subissons depuis des années n'est la faute de personne.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

J'entends votre inquiétude. En tant que transporteur maritime, nous avons fait un effort en gelant et en réduisant les tarifs de fret. Mon manque à gagner est conséquent. C'est une décision que l'entreprise a prise et que j'assume totalement parce que cela fait partie de ce qu'un grand groupe comme le nôtre, qui est responsable, doit continuer à faire. Mais je pense qu'à un moment donné, une discussion avec les distributeurs devrait avoir lieu pour voir un peu où sont passées ces économies.

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J'ai lu quelque part que la femme de M. Hayot est la marraine de l'un de vos bateaux.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Exactement.

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Il y a donc des discussions entre vous. Nous aurions peut-être dû mener une mission croisée pour éviter que chacun se rejette les fautes. Au bout du compte, ce sont toujours les habitants des outre-mer qui souffrent et qui crèvent la bouche ouverte.

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Monsieur, l'an passé, vous avez affiché un bénéfice record de quasiment 25 milliards de dollars. Le bénéfice de CMA CGM au premier trimestre de cette année s'élève à seulement deux milliards de dollars uniquement pour le premier trimestre, mais vos provisions sont à la hausse. Comment allez-vous répercuter ces bénéfices sur les coûts des transports des containers ? Quel est votre bénéfice sur le transport des containers en outre-mer ?

Où en sont vos projets de rachat des sociétés travaillant dans le commerce ? Que répondez-vous à M. Hayot, qui, lors de son audition ici même le 17 mai, proposait notamment de travailler sur un dispositif qui, je cite, supprimerait le fret pour 2 500 produits de première nécessité.

Vous dites avoir consenti 80 millions d'euros sur les containers et que vous ne voyez pas la répercussion sur le produit final, notamment pour les consommateurs. Pensez-vous pouvoir agir à ce niveau ? Si oui, comment ? Pouvez-vous agir en participant aux discussions sur le BQP par exemple ?

S'agissant de la BAF, certains disent que le prix des containers a été baissé de 750 euros, mais que la BAF a été augmentée. Donc cela revient au même au final. Pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur l'évolution de la BAF sur les deux-trois dernières années, et les prévisions pour l'année suivante.

Vous nous dites que vous allez maintenir à la baisse de 750 euros sur les conteneurs jusqu'au 31 décembre 2023. Mais au vu de vos bénéfices, ne serait-il pas possible de la prolonger ?

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Réalisez-vous des bénéfices sur la BAF ? La BAF participe-t-elle à vos résultats ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

La réponse est non. Nous ne réalisons pas de bénéfices sur la BAF. Nous calculons la BAF des trois derniers mois, nous la revoyons tous les trimestres et nous l'appliquons à nos clients en fonction des chiffres. Nous ne margeons pas sur la BAF. Nous répercutons seulement sa hausse et sa baisse. Depuis quelques mois, vous voyez que la BAF est au plus bas.

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Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes de CMA CGM

Excusez-moi, pour reprendre mon propos, nous parlons de moins 488 euros entre fin décembre et juillet s'agissant des Antilles. Avec notre effort de 750 euros, vous avez 488 euros de baisse de la BAF qui vont s'appliquer depuis le 1er janvier au 1er juillet. Ces 488 euros, au 1er juillet, sont bien réels. La BAF sera moins élevée de 488 euros qu'elle ne l'était au 31 décembre 2022. Vous pouvez vérifier toutes ces données sur notre site web : tout est disponible et public.

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Vous parlez beaucoup des Antilles, mais n'oubliez pas que la Réunion est le plus grand territoire des outre-mer en nombre d'habitants. Les prix continuent d'augmenter. Donnez-nous aussi des chiffres pour La Réunion.

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Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes de CMA CGM

Pour La Réunion, la BAF va passer au 1er juillet à 1 060 euros aux quarante pieds. Elle était à 1 748 euros au dernier trimestre 2022. Cela veut dire qu'elle va perdre 700 euros. Ce mécanisme de BAF fonctionne dans les deux sens, à la hausse et à la baisse. Et les exemples que l'on vous a donnés le reflètent bien.

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Vous parlez de baisse de la BAF, mais est-ce la baisse de la compagnie CGM en réduction des 750 euros ou cette baisse est-elle liée aux baisses du coût de l'énergie durant la période considérée ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Les 750 euros ne sont pas liés à la hausse ou à la baisse de la BAF. On a accepté de réduire nos tarifs de fret de 750 euros jusqu'à la fin de l'année, sans relation avec la BAF. En plus de la baisse du taux de fret, il y a aussi, à partir du 1er juillet, une baisse conséquente de la BAF à destination des Antilles et de La Réunion, à hauteur d'environ 400 euros sur les Antilles et de plus de 700 euros sur la Réunion. Cela vient en plus de la baisse du tarif de fret.

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Je reviens à la proposition de M. Hayot sur le fait de neutraliser l'octroi de mer et le fret sur 2 500 produits de base. Quel est votre avis sur cette proposition ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Il faut étudier toutes les propositions, mais il faut qu'elles soient réalistes. J'en ai déjà parlé avec le groupe Hayot. Nous avons essayé de regarder à plusieurs reprises cette possibilité, mais il est difficile de pouvoir séparer des marchandises à bord d'un container. Dans un container de groupage, vous avez différentes marchandises qui appartiennent à différents importateurs, qui ne sont pas nécessairement les mêmes. Comment partager et qui va venir le faire au nom de qui ? C'est le point compliqué. Nous avons souhaité pour notre part appliquer une baisse du tarif de fret à tous les produits, que ce soit un iPhone ou un kilo de pâtes. Je reste à disposition pour rencontrer les grands distributeurs et les représentants de l'État, à qui il revient de prendre les décisions.

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Je crois que la préfecture de la Martinique vous a proposé de passer par les codes douaniers pour faciliter cet exercice. Avez-vous eu ce contact ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Nous avons eu cette discussion avec le préfet il y a quelques mois de cela, mais rien ne s'est passé depuis. Je reste ouvert à la discussion. Le problème de la vie chère aux Antilles et à La Réunion a constitué un sujet majeur. En attendant qu'une discussion ait lieu, nous avons pris position et acté une baisse de 750 euros aux quarante pieds.

Pour répondre à la question consistant à savoir si nous gagnons notre vie dans les territoires ultramarins, avec les efforts que nous consentons, nous gagnons beaucoup moins.

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Vous évoquez la baisse de la BAF. Devons-nous nous attendre, à partir du 1er juillet, à des baisses du coût, qui vont s'accumuler avec les baisses que vous avez faites sur le prix des conteneurs ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Ce qui est sûr, c'est que vous allez payer moins de BAF. Vous paierez une BAF si vous exportez de la marchandise à destination des Antilles ou de la Réunion. Vous allez payer 450 euros de moins sur les Antilles ou 700 euros de moins sur La Réunion. Donc oui, la facture sera moins élevée pour vous.

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Y aura-t-il un impact sur le prix que va avoir le consommateur en bout de chaîne ou pas du tout ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Je ne peux pas répondre à la place du consommateur. Tout ce que je sais, c'est que je vais facturer la BAF moins chère à l'importateur. Ensuite, de quelle manière l'importateur répercute-t-il cette baisse ? Ce n'est plus mon expertise.

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Vous n'avez pas répondu à la question sur votre bénéfice sur les transports des containers en outre-mer. Vous avez dit que le coût du transport des marchandises représentait de 5 % du coût du produit final. Avez-vous plus d'éléments à nous donner sur ces 5 % et sur la composition des prix ?

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Je reviens de Guadeloupe, ou en compagnie du ministre Bruno le Maire, j'ai pu visiter le projet d'extension des quais du port, porté par CMA CGM, afin de faire arriver de nouveaux porte-containers plus gros et dans le respect des normes de décarbonation. Un de vos représentants a participé à cette réunion. Cependant, fustigeant la protection de l'environnement par la décroissance, le ministre a pris clairement position pour l'industrie en refusant la réalité établie que la décroissance est l'un des moyens les plus efficaces de lutte contre le réchauffement climatique. Il persiste et signe en expliquant que cette extension est aussi une opportunité pour faire de la Guadeloupe le hub portuaire le plus vertueux du point de vue environnemental.

Or, plus tôt dans l'une de vos réponses, vous avez parlé des nombreuses contraintes écologiques qui viennent contredire les propos du ministre. Des contraintes qui, comme vous l'avez dit, amèneraient les navires à consommer plus de carburant. Pouvez-vous nous expliquer concrètement en quoi ce projet pourrait bénéficier à l'environnement guadeloupéen et si des études d'impact ont été menées afin de connaître les effets de ces travaux sur la biodiversité guadeloupéenne et les récifs coralliens environnants ? Le projet en lui-même se veut vertueux à ce niveau. L'état des récifs coralliens dépend aussi de la pression exercée par les activités humaines locales, notamment à travers la pollution qui rend la régénération du corail plus longue et difficile.

De quelle manière allez-vous participer à ce projet d'extension, notamment sur la plateforme opérationnelle où vous avez vos activités ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Aujourd'hui, si je regarde les Antilles, peu d'acteurs du maritime offrent des services à destination de la Martinique et de la Guadeloupe. Les seuls qui restent sont CMA CGM et, dans une moindre mesure, Marfret. Maersk a décidé de sortir pour des raisons qui lui sont propres, mais peut-être aussi parce qu'il perdait de l'argent en restant aux Antilles. CMA CGM a décidé non seulement de rester, mais de continuer à investir.

Je vous ai parlé du projet de déploiement de sept navires dans le cadre d'un investissement de 850 millions d'euros. Ces navires feront le double de la taille des navires actuels et nous permettront de réduire nos émissions de dioxyde de carbone (CO2) de l'ordre de 20 % parce qu'ils sont propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL). Dans quelques années, nous serons en mesure de brûler des énergies plus vertueuses et de réduire encore davantage nos émissions de CO2. Aujourd'hui, peu de compagnies maritimes investissent autant dans ces territoires. Nous le faisons par attachement pour les Antilles parce que c'est un secteur qui est important à nos yeux.

Nous sommes présents avec la CGM depuis plus de 150 ans. Nous continuons à recruter du personnel et nous continuons à investir également dans le domaine portuaire, alors que d'autres compagnies maritimes tournent le dos et s'en vont.

S'agissant de La Réunion, nous investissons également dans une plateforme de transbordement au Grand port de La Réunion. Depuis plusieurs années, à partir de La Réunion, nous desservons les îles de l'Océan indien. Ce sont des territoires importants à nos yeux et nous réalisons les investissements qui vont bien. On peut toujours discuter de la BAF et de la cherté de la vie, mais aujourd'hui vous avez une compagnie maritime qui croit beaucoup en ces territoires, qui investit massivement pour offrir aux clients la meilleure qualité de service. Aucun d'entre vous ne m'a dit que vous n'étiez pas content de la qualité de service, ce qui montre que nous menons un travail efficace.

Je comprends la critique sur les tarifs de fret, mais nous sommes beaucoup plus bas que les autres. Et si vous voulez que je continue à investir, que je continue à offrir une qualité de service, il va bien falloir qu'à un moment donné, les tarifs de fret reflètent ces investissements.

Je laisse Grégory donner le détail des 5 %.

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Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes de CMA CGM

Ce sont les retours des Autorités de la concurrence, totalement neutres. Je vous invite également à regarder la dernière étude d'Olivier Sudry, menée pour la chambre de commerce et d'industrie de Martinique, qui aboutit aux mêmes conclusions, à quatre ans de différence près. Au final, une baisse de la BAF de 400 euros entre décembre et juillet de cette année aura-t-elle un impact sur le kilo de pâtes ou sur la bouteille de champagne ? Je ne le pense pas.

Cela veut bien dire que ce qui est à l'intérieur du container et ce qui est facturé par la compagnie maritime pour acheminer le fret pèsent très peu sur le produit vendu dans les territoires ultramarins. En tout cas, c'est la réflexion que je me fais aujourd'hui.

Vous avez posé des questions sur l'aide au pouvoir d'achat. Nous aimerions bien voir ces 750 euros au niveau des ménages et des hypermarchés, mais peut-être que ces 750 euros que vous divisez par 20 tonnes et que vous divisez ensuite pour le kilo de pâtes ne se voient pas assez. Le fret constitue-t-il une part de la vie chère dans les territoires ? Sur un container qui a une valeur de 50 000 euros ou de 100 000 euros, le fret contribue-t-il à la cherté du produit ? Je ne le pense pas. Nous ne sommes pas habilités à pouvoir discuter de cela puisque nous n'avons pas ces données statistiques. En revanche, l'État et les collectivités possèdent des données statistiques douanières de la valeur des marchandises à l'intérieur des conteneurs.

Donc je pense qu'il faut travailler ensemble, distributeurs importateurs, État, pour définir les contours des produits que vous souhaiteriez faire diminuer dans les rayons. Je ne crois pas que le fret soit le phénomène impactant.

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Messieurs, vous ne répondez pas aux questions. Quel est votre bénéfice sur le transport des containers en outre-mer ? Je voudrais vous dire que ce n'est pas l'outre-mer, ce sont les outre-mer et vous répondez en prenant comme exemple la Martinique ou ici ou là. Vous affirmez que la part du coût du transport sur les produits se situe à 5 %. Le confirmez-vous sur l'ensemble des outre-mer ? Allez-vous maintenir la baisse de 750 euros après le 31 décembre 2023 ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

La réponse est non.

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En mai de cette année a été rendu public le partenariat entre le Groupe CMA CGM et Air France-KLM dans le transport aérien des marchandises. Ce partenariat devrait permettre de tirer parti des atouts respectifs des deux groupes pour offrir aux clients des services personnalisés, flexibles et efficaces. En tout cas, c'est ce qui a été annoncé sur votre site Internet. Ma question est très simple. Comment ce partenariat sera-t-il bénéfique pour les consommateurs ultramarins ? En quoi ce partenariat agira-t-il sur la qualité de service, sur le coût des transports d'acheminement des biens de consommation vers les outre-mer ?

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Vous évoquez les 5 % du coût du fret pour l'outre-mer. Spontanément, nous avons le sentiment que ce coût est nécessairement plus élevé vers l'Océan indien et a fortiori vers le Pacifique, au regard des distances plus longues. Avons-nous, par zone, une déclinaison des 5 % ? L'idéal serait de l'avoir par territoire, mais au moins par zone.

Je suis député d'une circonscription bretonne très marquée par la logistique – ce sont des camions, pas des bateaux - et je discute souvent avec mes transporteurs. Leur obsession est le fret de retour, c'est-à-dire le remplissage des containers au retour. S'ils sont mal remplis, le fret aller sera plus cher puisqu'il n'est pas possible d'amortir le transport par le retour. Donc, l'exportation des produits de nos outre-mer vers la métropole serait positive pour le coût de la logistique. Nous voyons que c'est compliqué. À Mayotte, il n'y a pratiquement pas d'exportation. Dans d'autres territoires, c'est très différent. Qu'en est-il du fret de retour qui, s'il était positif, permettrait d'atténuer l'ensemble du coût du fret ?

Bolloré est découpé en deux morceaux, l'un qui va à MSC et l'autre qui vous revient. Je me réjouis qu'une entreprise qui a ses bases en France reste présente, en particulier sur l'Afrique. Comment se fait le partage ? Quel morceau de Bolloré reprenez-vous en quelque sorte ?

La séance est brièvement suspendue à la suite de la rupture de la liaison en visioconférence.

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En attendant que nos problèmes techniques soient réglés, êtes-vous en mesure de nous préciser votre bénéfice sur les liaisons avec l'ensemble des outre-mer ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Les investissements que nous réalisons dans les territoires d'outre-mer sont massifs, surtout avec l'arrivée d'une nouvelle flotte de porte-containers respectant les normes environnementales. Ce sont aussi nos investissements dans les terminaux en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion. Maintenant, si vous me demandez un chiffre spécifique, je pourrai vous le fournir.

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Je voulais juste rappeler qu'encore une fois, la Guyane a été oubliée, aucun chiffre concernant la Guyane n'a été donné lors de cette audition. Notre territoire, qui n'est pas une île, nécessite une attention particulière.

J'insiste pour que l'ensemble des chiffres donnés singulièrement pour les Antilles soient aussi communiqués pour la Guyane. Je ne vous demande pas de me répondre maintenant, mais que nous puissions les avoir à disposition très rapidement. J'aimerais aussi connaître votre analyse de la situation et des contraintes du port de la Guyane.

Un chiffre particulier vous a été largement demandé lors de cette audition, celui sur les marges que vous réalisez, et singulièrement pour la Guyane.

Pour terminer, je cite la particularité du port de la Guyane, liée à son problème d'envasement. Je reprends aussi le sujet déjà évoqué relatif aux containers qui repartent à vide. Quel serait l'impact sur les coûts ?

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

J'apprécie cet échange et je comprends les questions que vous posez. Répondre de manière précise et spécifique à toutes les questions n'est pas toujours très aisé parce que certaines questions que vous posez ne me permettent pas de vous répondre de manière aussi franche et directe. On parle beaucoup de profits. Il est surtout important de savoir ce qu'on en fait. J'ai essayé de vous démontrer durant cette audition que le groupe CMA CGM réinvestit massivement ses profits dans son outil de production, que ce soit dans des navires verts et des terminaux qui nous permettent la productivité la plus efficace possible et d'opérer avec des navires en ligne avec les nouvelles normes environnementales. Nous veillons aussi à la stabilité des tarifs. Depuis octobre 2020, les tarifs de fret n'ont plus augmenté sur le territoire des Antilles, de la Guyane et de la Réunion. Peu de secteurs dans le monde bénéficient d'une telle stabilité dans le transport maritime. Les tarifs de fret ont plutôt tendance à monter. Sur les Antilles et les territoires d'outre-mer, les taux sont restés stables depuis octobre 2000. Je parle du fret et de la BAF.

Pour revenir à la Guyane, la grande difficulté à Dégrad des Cannes est que les grands bateaux ne peuvent pas s'approcher à cause du problème de tirant d'eau. Nous réfléchissons au meilleur moyen de pouvoir continuer à desservir la Guyane tout en respectant les normes environnementales. Le projet ne verra le jour que dans deux ans. Pour l'instant, nous continuons d'utiliser les navires actuels et nous assurons le service chaque semaine. Quand les normes environnementales seront plus contraignantes, il faudra regarder la meilleure solution pour desservir ce territoire.

Nous sommes extrêmement compétitifs sur le retour à vide parce que nous sommes obligés de ramener nos boîtes, de repositionner nos containers en métropole où les marchandises vont repartir. À l'export de la Martinique, de la Guadeloupe, de La Réunion et de la Guyane, nous sommes très compétitifs parce qu'il n'y a pas suffisamment de marchandises dans les outre-mer pour ramener nos containers et nous ramenons beaucoup de vide. Si vous avez des exemples, je suis prêt à m'en occuper moi-même personnellement.

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L'objectif de la commission est de mesurer, pour chaque acteur de la chaîne, le poids et l'impact sur le coût de la vie de nos territoires. L'un des enjeux, c'est la question effectivement de la transparence. Nous avons besoin d'éléments tangibles. Il y a ce que ‘l'Autorité de la concurrence dit en 2019, nous sommes en 2023 et nous avons besoin de mesurer le poids du transport sur le coût de la vie et la formation des prix, transport dont CMA CGM est partie intégrante. Vous dites que le coût du fret n'a pas augmenté depuis 2020. Il me semble que la BAF a augmenté considérablement après 2020, vers 2022, et qu'il y a eu une répercussion avant même les 750 euros. Je vous demande de me confirmer vos propos.

Nous avons besoin de la formule de calcul de la BAF. Pouvez-vous nous la fournir ? Nous avons besoin de savoir comment évoluent vos coûts de fret maritime. Je ne vous demande pas de me répondre aujourd'hui précisément, puisque ce sont des éléments précis que vous allez nous envoyer par la suite pour nous aider dans notre rapport. Comment ont évolué vos coûts de fret maritime et vos prix année par année, territoire par territoire depuis dix ans ? Merci de détailler la réponse par des données chiffres en volume, en valeur et en pourcentage.

Nous revenons sur la question des marges sur les liaisons maritimes entre l'Hexagone et les territoires ultramarins, en valeur et en pourcentage de prix. Comment ces marges ont-elles évolué depuis dix ans ? Ces lignes sont-elles bénéficiaires ? Combien percevez-vous d'aides au fret chaque année ? Sur cent grands bateaux qui arrivent dans les ports ultramarins, combien appartiennent à la CMA CGM ? Merci de vos retours par écrit et de ce que vous nous direz oralement.

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Encore une fois, il ne s'agit pas d'une interrogation écrite. Il est important d'avoir les éléments, mais je vous laisse préciser ce que vous souhaitez par oral.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Dans mon introduction, je vous ai montré un graphique sur l'évolution du tarif de fret d'octobre 2020 à avril 2023. Je vous l'enverrai. Il montre la stabilité des tarifs, BAF incluse.

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Votre point de référence pour mesurer l'évolution dans ce graphique est 2020, au moment de la crise de la Covid-19.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Il vous revient de prendre la référence que vous souhaitez. Le graphique couvre tous les mois d'octobre 2020 à avril 2023. Comme ça, vous avez suffisamment de visibilité.

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Le document, qui montre une évolution, part d'une période de crise. Or, il faut que ce soit une période de référence avant 2020, une année classique de fonctionnement.

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Vous pourriez nous envoyer un graphique qui commence en 2018.

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Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA CGM

Avec plaisir.

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Toutes nos questions figurent dans le document qui vous a été adressé, que je vous invite à nous retourner complété. Je note que vous êtes disponible pour travailler sur cette logique des 2 500 prix. La même demande vaut pour les distributeurs et l'État afin que nous puissions être en mesure d'avoir une vision étendue du BQP.

N'hésitez pas non plus à nous envoyer tous les documents que vous jugerez nécessaires. Je vous remercie en tout cas d'avoir passé cette heure et demie avec nous, particulièrement dense.

La séance s'achève à treize heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Johnny Hajjar, M. Marc Le Fur, M. Frédéric Maillot, M. Philippe Naillet, Mme Claire Pitollat, M. Stéphane Rambaud, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Cécile Rilhac, Mme Sabrina Sebaihi, M. Guillaume Vuilletet.

Assistaient également à la réunion. – M. Christian Baptiste, M. Jean-Victor Castor.