La réunion

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La séance est ouverte à vingt et une heures.

Présidence de M. Patrick Hetzel, président.

La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements auditionne les représentants du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale (Général Emmanuel Valot, secrétaire général ; Lieutenant-colonel Vincent Delamarre, secrétaire général adjoint ; Colonel Jean Carrel, Major Érick Verfaillie, Major Vincent Charneau, Major Patrick Boussemaëre, Maréchal des logis-chef Christophe Duprat, Major Christophe Le Jeune, Adjudant-chef Frédéric Le Louette, Major Laurent Cappelaere, Major Rachel Chervier, Adjudant-chef Aline Rouy, Capitaine Marie Michelozzi, Adjudant-chef Sandrine Toulouze, membres).

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Nous terminons nos travaux de la journée avec l'audition du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale (CFMG). Je souhaite à tous la bienvenue et je vous remercie d'avoir répondu à la convocation de la commission d'enquête.

Nous cherchons à comprendre les éclats de violence qui ont marqué les manifestations de ce printemps et à évaluer la réponse apportée par les autorités publiques. Comme vous le savez, nous avons déjà entendu votre directeur général. La vision des gendarmes nous intéresse doublement. Vous avez été confrontés à ces violences dans deux rôles très différents. À travers les escadrons mobiles, vous avez eu la charge du maintien de l'ordre dans les manifestations urbaines et rurales. Avec la gendarmerie départementale, vous avez aussi assuré des fonctions de repérage et de renseignement ; vous avez dû gérer les suites judiciaires ; vous êtes aussi présents sur les lieux après les faits. Vous savez donc comment se construit la mémoire locale de tels événements.

Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées de manière exhaustive. Je vous invite à communiquer ultérieurement vos réponses écrites ainsi que tout élément d'information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d'enquête.

Il me revient de vous poser les premières questions de la soirée. En premier lieu, quel est l'état des personnels de la gendarmerie nationale après le cycle de manifestations violentes auquel nous avons assisté ? Je fais référence tout à la fois à l'état physique, à l'état d'esprit et, ce n'est pas moins important, à l'état des familles.

Ensuite, ce qui s'est passé à Sainte-Soline a été ressenti par beaucoup comme exceptionnel. Comment les évènements ont-ils été préparés ? Comment se sont-ils déroulés pour les gendarmes, sur les plans stratégique et tactique ? Par exemple, la décision d'employer des quads a interpelé des membres de la commission d'enquête ; j'imagine qu'il a fallu un minimum de temps pour former convenablement les pilotes.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment).

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Général Emmanuel Valot, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale

Nous sommes honorés que vous ayez sollicité le corps social de la gendarmerie afin que nous vous fournissions notre éclairage à cette commission d'enquête. Onze représentants du groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale sont présents devant vous. Ils illustrent l'image quasi complète des métiers de la gendarmerie.

Vous avez déjà eu l'occasion de recevoir le directeur général de la gendarmerie nationale. De notre côté, nous insisterons avec cœur sur la vision du corps social. Parmi les membres présents aujourd'hui figurent des praticiens en unité. Ils pourront vous fournir des éclairages précis. L'adjudant-chef Frédéric Le Louette, le secrétaire élu pour un an du groupe de liaison, s'exprimera le premier.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Nous vous remercions de nous recevoir pour évoquer ce sujet majeur. Les gendarmes sont régulièrement confrontés aux groupuscules violents lors des manifestations ou dans l'exercice quotidien de leurs fonctions. Cette commission d'enquête n'étant pas à huis clos, nous n'entrerons pas dans les détails techniques de nos missions. Mais nous essayerons de nous focaliser sur le ressenti des personnels. Nous pourrons compléter notre propos par écrit.

Comme tous les gendarmes, nous sommes attachés à la liberté de manifester et à la protection de ce droit. Pour nous, les réponses pénales à l'égard des casseurs doivent être réelles et à la hauteur. Nous constatons que ces groupuscules sont de plus en plus violents, structurés et coordonnés. Ils disposent de capacités de communication vers la France et l'étranger.

Les groupuscules violents menacent la liberté à manifester de ceux qui exercent légitimement ce droit. En manifestation, l'initiative est trop laissée à l'adversaire, dorénavant. Cet adversaire opère de véritables manœuvres tactiques au moment où la gendarmerie doit agir sans certaines armes intermédiaires dont nous disposions auparavant, mais également sans véhicules, notamment pour le maintien de l'ordre rural. Notre capacité opérationnelle s'en trouve affectée.

Aussi, nous pensons que les réflexions doivent se poursuivre pour développer de nouveaux usages. Nous pouvons parler des drones ou des quads, comme vous l'avez évoqué à propos de Sainte-Soline. Nous devons aussi travailler sur les véhicules multi missions que sont les Centaure, qui seront utiles. Il est également nécessaire de retrouver la mobilité des pelotons d'intervention pour réagir rapidement à la violence et y mettre fin par des interpellations plus nombreuses.

Malheureusement, les pelotons d'intervention sont trop souvent utilisés comme des pelotons de marche, principalement par manque d'effectifs. Des décisions ont été prises pour améliorer la capacité opérationnelle de la gendarmerie mobile. Cependant, les effectifs ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. Les sept escadrons à venir participeront à une meilleure réactivité, néanmoins déjà mise à mal par le nombre croissant de sollicitations auxquelles nous sommes confrontés depuis quelques années.

La gendarmerie a l'impression d'être en crise permanente et de lutter contre une crise permanente. Depuis de longs mois, l'emploi se situe à un niveau exceptionnel. Il paraît nécessaire de poursuivre un accroissement des effectifs pour revenir au niveau connu en 2006. Les escadrons de gendarmerie mobile comptaient alors de l'ordre de 15 000 personnels. Après la création des sept escadrons, qui est en cours, ils seront d'environ 13 800. Pour revenir au chiffre de 2006, il manquera encore 1 200 personnels. Or, le maintien de l'ordre est plus difficile qu'alors et les besoins outre-mer plus importants, comme nous le voyons à Mayotte. En outre, nous exerçons des missions que nous n'assurions pas à l'époque, telle la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous assumons aussi des missions qui nous avaient été retirées entre-temps, comme les centres de rétention administrative. Par conséquent, les moyens annoncés, s'ils sont appréciables et appréciés, demeurent insuffisants.

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Notre commission d'enquête se concentre sur les évènements qui se sont déroulés entre mars et mai 2023. Nous nous demandons comment ces évènements ont été ressentis au sein de la gendarmerie nationale. L'emploi a dû se situer à un niveau exceptionnel.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

L'impact sur les personnels est réel. Nous sommes confrontés à un emploi permanent et difficile, à des horaires à rallonge et à une médiatisation perpétuelle. Les gendarmes s'efforcent d'être irréprochables. Mais les effets sont indéniables sur la fatigue des personnels. L'état d'esprit n'est pas aussi bon qu'il le pourrait. Même si nous ne sommes pas proches de la dépression, les escadrons éprouvent évidemment une forme de lassitude. Tous mes camarades peuvent en témoigner.

Les familles sont également impactées, compte tenu des absences fréquentes et du nombre croissant de blessés assez graves. Puisque nous sommes en crise de manière permanente, cela pèse sur la vie de famille. Il en résulte inévitablement des conséquences importantes sur l'usure des personnels. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur la nécessité d'accroître les effectifs.

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Major Patrick Boussemaëre

En gendarmerie départementale, le ressenti est identique, c'est-à-dire une fatigue incessante et un avenir peu serein. En effet, des futurs évènements majeurs, à l'instar des Jeux Olympiques, mobiliseront fortement les forces de l'ordre. Il existe donc une véritable inquiétude et nous n'avons pas forcément de nombreuses réponses à fournir à nos camarades, ce qui constitue un véritable sujet de préoccupation.

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Adjudant-chef Sandrine Toulouze

Je tiens à mon tour à évoquer les familles. Les images de Sainte-Soline étaient d'une rare violence. Tout le monde a pu les voir, y compris les proches et notamment les enfants. De fait, les familles s'inquiètent de voir partir les gendarmes au travail et elles se demandent si leur vie ne sera pas clairement mise en danger.

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Major Erick Verfaillie

La commission d'enquête travaille sur un épisode violent de quelques mois. Cependant, il me semble nécessaire de le replacer dans le temps long. D'une part, l'intensité de la violence s'accroît et, d'autre part, nous sommes confrontés à un enchaînement de crises. On veut tirer un bilan sur le vif des évènements du printemps 2023. Mais il faudra nécessairement attendre pour en connaître les conséquences profondes. En effet, les personnels doivent effectuer des opérations de maintien de l'ordre de haute intensité, dont les effets post-traumatiques se déclenchent parfois plusieurs années après. Ce que nous avons vécu lors des dernières années et des derniers mois entraînera des conséquences inévitables. Il faudra garder en mémoire ces évènements lorsque les personnels chuteront et qu'il faudra les traiter. Au-delà des blessés physiques que nous déplorons immédiatement, les blessures psychologiques s'étaleront dans le temps, malheureusement.

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Major Patrick Boussemaëre

Vous avez évoqué notre engagement. Il est exact que notre métier est de plus en plus difficile à exercer, compte tenu de la violence croissante de ceux qui nous font face. En trente-cinq ans de service, je ne me rappelle pas avoir vécu une telle brutalité à l'encontre de la gendarmerie mobile ou de la gendarmerie départementale. Toute situation au départ anodine peut rapidement se détériorer et conduire à des difficultés importantes dans la gestion de l'évènement.

Tel est l'état d'esprit que nous ressentons au quotidien et que nous devons vous faire partager. Les témoignages demeurent empiriques, mais ils s'accumulent. Dans ce cadre, le rapport de la Cour des comptes sur l'attractivité de nos métiers prend tout son sens. Nous renvoyons l'image d'un métier difficile, dangereux, qui s'exerce dans des conditions compliquées, mais nous avons besoin de nouvelles ressources pour renforcer nos rangs. L'analyse de la Cour des comptes mettait en lumière que de nombreux gendarmes et policiers nationaux quittaient leur métier par anticipation. Ceci pose inévitablement question.

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Je vous remercie d'avoir répondu à notre convocation. Aujourd'hui, nous avons à cœur d'entendre la parole très spécifique du corps social de la gendarmerie. Je retiens notamment de vos propos les aspects relatifs au maintien de l'ordre de haute intensité. Nous le ressentons également de notre côté, de même que les grandes difficultés que vous rencontrez.

Ma première question sera d'ordre technique : quelle évolution observez-vous dans les profils violents sur la longue durée ? Nous disposons déjà d'un certain nombre d'informations mais je souhaiterais connaître votre regard.

Ensuite, constatez-vous concrètement des connexions entre des individus ou des groupes d'individus violents et un certain nombre de structures ? Elles peuvent être de nature différente : des groupements de fait, des structures associatives institutionnelles, voire des formations partisanes ou des organisations rattachées à certaines sensibilités politiques.

Quel regard portez-vous sur le traitement judiciaire et la caractérisation des infractions de violence à l'occasion de rassemblements, que ceux-ci soient interdits ou non ?

Enfin, je souhaiterais connaître votre analyse sur le schéma national de maintien de l'ordre. J'ai bien compris les outils que vous avez évoqués, notamment les drones. Il faut également mentionner les deux piliers que constituent la mobilité et la mise à distance. Comment voyez-vous les évolutions nécessaires dans ces domaines pour traiter les violences lors des rassemblements ?

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Ma réponse portera sur vos deux premières interrogations, liées à l'évolution des profils et aux connexions associatives.

Tout d'abord, l'évolution des profils est un sujet difficile à généraliser. Les cas individuels sont variés. Collectivement, la question est plus simple à évoquer : les black blocs ou les ultras s'abritent derrière des organisations et des associations connues et reconnues, qui sont très organisées. Elles se complètent, s'aident et n'hésitent pas à travailler ensemble. De fait, notre travail en amont est délicat car nous sommes noyés sous un agrégat d'associations, qui rend difficile la préparation des manifestations. Auparavant, elles étaient déclarées et linéaires, avec un point de départ et un point d'arrivée. Désormais, elles peuvent être qualifiées de « sauvage », sans connotation péjorative.

Actuellement, la force de nos adversaires s'inscrit dans ces collectifs violents, qui repoussent les limites de la loi pendant que nous répondons uniquement pour nous protéger. Les gendarmes ne cherchent jamais à blesser. Mais la tâche est difficile. Parmi les associations, on peut citer les Soulèvements de la Terre, la plus emblématique en ce moment.

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Major Laurent Cappelaere

Je souhaite revenir à votre question sur les profils violents. Si nous contextualisons ce sujet de manière historique, le maintien de l'ordre à la française parlait de citoyens « momentanément égarés du droit », qui produisaient un « désordre acceptable ». Aujourd'hui, les profils sur lesquels vous nous interrogez ne sont pas momentanément égarés du droit. Au contraire, ils préparent activement leurs actions en amont, de manière coordonnée et structurée. Il n'y a aucune spontanéité, aucun effet d'aubaine généré par une foule difficile à contrôler. La préparation est quasiment militaire, des groupes de réflexion se réunissent sur différents thèmes afin de procéder à des actions d'une grande violence.

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Je souhaiterais obtenir des précisions à ce sujet. Vous insistez sur les évolutions : la violence n'est désormais plus conjoncturelle mais, en quelque sorte, préméditée. Considérez-vous que l'ampleur de ce phénomène s'est accrue au cours des dernières années ? Ceux d'entre vous qui disposent d'une expérience longue du maintien de l'ordre le perçoivent-ils de cette manière ?

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Major Laurent Cappelaere

L'évolution de cette structuration de plus en plus aboutie peut s'envisager à travers un exemple : l'appel fréquent à des manifestants venant de l'étranger et qui sont spécialistes de la grande violence. Il s'agit pour eux de s'inspirer de différentes techniques comportementales pour créer du trouble dans un attroupement, rendre le maintien de l'ordre impossible et entraîner un basculement.

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Major Christophe Le Jeune

Je souhaite étayer les propos de mon camarade en faisant part de mon expérience personnelle. J'ai participé, il y a quelques années, au maintien de l'ordre autour de la réunion du G8 à Évian. Il s'était notamment déployé grâce aux hélicoptères Puma et l'organisation de la gendarmerie s'était adaptée pour lutter contre les violences pratiquées par des profils de différentes nationalités. À l'époque, les black blocs étaient déjà en action et les forces de l'ordre disposaient d'équipements nouveaux, les fameux Protecop.

Aujourd'hui, les adversaires sont parfois mieux équipés que les forces de l'ordre. Ils portent des masques et des casques. Ils ne craignent ni les lacrymogènes, ni de se retrouver face aux forces de l'ordre. Ils progressent de manière quasiment militaire et vont au contact. Nous devons réagir face à ces évolutions particulièrement inquiétantes.

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Je vous remercie pour ces précisions. Le G8 d'Évian nous ramène vingt ans en arrière, en 2003. Cela signifie que ces phénomènes se manifestent depuis deux décennies.

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Major Erick Verfaillie

La question du traitement judiciaire est à la fois simple et compliquée. Lorsqu'un camarade se trouve blessé ou mutilé par de l'acide, des pierres ou des bombes, nous attendons effectivement une réponse judiciaire conséquente. Mais nous sommes fréquemment déçus car elle n'est pas toujours à la hauteur.

La véritable difficulté à laquelle nous sommes confrontés tient au fait que nous devons apporter la preuve de l'agression dans le cadre d'un système régi par la règle de droit. Il ne s'agit pas d'une scène de crime figée : ces preuves doivent être récupérées au milieu du chaos alors même que nos adversaires sont entraînés pour précisément ne rien laisser sur place. Ils se camouflent et, lorsqu'ils sont en garde à vue, ils y sont préparés. Nous sommes face à une population entraînée pour n'être ni appréhendée, ni condamnée. Il ne s'agit pas pour nous de jeter l'opprobre sur la justice en dénonçant des réponses inadaptées de sa part. La difficulté est en réalité initiale, dans la collecte des preuves.

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Major Patrick Boussemaëre

Vous avez mentionné la mobilité et la mise à distance, qui ont fait l'objet de réflexions. Lors des évènements de Sainte-Soline, nous avons mobilisé des quads, qui ont rendu beaucoup de mobilité aux forces de l'ordre. En revanche, les protections individuelles des gendarmes mobiles sont d'un poids certain. Ces trente à quarante kilos supplémentaires affectent nécessairement nos facultés de déplacement.

Ensuite, la mise à distance entre les manifestants et les forces de l'autre permet effectivement d'éviter le contact physique. Lorsque nous réussissons à les maintenir à trente ou quarante mètres de distance, les violences sont évitées. En revanche, lors des évènements de Sainte-Soline, de nombreux manifestants étaient quasiment équipés de la même manière que les forces de l'ordre, ce qui leur permettait de traverser les nuages de gaz lacrymogène. Nous avons maintenu ces nuages pour créer cette distance. Mais les plus déterminés portent masques et lunettes ; ils ne s'arrêtent pas. Il faudrait sans doute réfléchir à d'autres moyens de maintien à distance. En zone urbaine, la solution est plus simple avec des canons à eau. C'est plus difficile à Sainte-Soline, ce qui entraîne des dégâts collatéraux de part et d'autre.

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Major Christophe Le Jeune

Le maintien à distance est un vaste sujet. Les différents évènements des dernières années nous ont conduits à perdre des moyens intermédiaires. Nous avons perdu des grenades OF et GLI-F4 qui auraient facilité le maintien de l'ordre rural. Au fil des ans, les forces de l'ordre sont moins armées pour le maintien à distance de nos adversaires.

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Maréchal des logis-chef Christophe Duprat

Pour le maintien de l'ordre en milieu rural, nous avons également perdu un grand nombre de véhicules, qui nous permettaient d'être mobiles. Certes, des quads ont été utilisés, mais nous demeurons toujours équipés d'Irisbus. Dans le maintien de l'ordre urbain, l'adversaire se saisit de ce qu'il trouve sur le terrain pour s'en servir contre nous. Mais dans le maintien de l'ordre rural, il amène avec lui son matériel.

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Major Rachel Chervier

Je souhaite intervenir au sujet des drones. Nous les avons perdus pendant quelques années en raison de problèmes juridiques et réglementaires. Nous les avons retrouvés depuis le 19 avril grâce au décret sur la captation vidéo. Nous pouvons les utiliser pour appuyer la manœuvre tactique et préserver la sécurité de nos adversaires comme de nos troupes. Les drones permettent de surveiller la zone et d'effectuer un positionnement tactique de la manière la plus pertinente possible. J'ajoute que, pour y recourir dans le cadre du maintien de l'ordre, il nous faut un arrêté préfectoral, ce qui ne pose pas problème. Ils représentent une très bonne évolution.

En revanche, s'agissant de la partie judiciaire, il n'existe pas encore de règlement permettant d'utiliser ces drones. Et nous devons également disposer d'un arrêté préfectoral pour organiser le secours à personne, puisque ce domaine est englobé dans le décret. Il est difficile de faire comprendre cet élément à nos concitoyens.

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Major Erick Verfaillie

Je souhaite évoquer le ressenti des troupes en me fondant sur ma propre expérience : j'ai d'abord été gendarme mobile avant de me tourner vers la gendarmerie départementale. L'évolution à laquelle j'ai assisté me fait dire qu'il existe un danger certain compte tenu d'un paradoxe : à chaque crise occasionnant des blessés, des moyens intermédiaires nous ont été supprimés.

Une des forces traditionnelles du maintien de l'ordre à la française reposait sur la gradation de la réponse en fonction de l'adversaire. Si l'on nous enlève des moyens, il est difficile d'élever la force à terme. Désormais, sur la distance cruciale des cinquante mètres, il n'y a plus rien. Au contact, les forces de sécurité s'efforcent toujours d'agir avec sang-froid et il faut leur rendre hommage. Cependant, certains ont cru se voir mourir.

Or, lorsque des forces de sécurité se voient départies de leurs moyens et se trouvent face à des individus armés, il ne reste que la légitime défense. Des voix s'élèvent pour renoncer aux lanceurs de balle de défense. Mais s'il n'y a plus d'armement intermédiaire, le risque de voir les forces de sécurité se faire tuer ne fera que croître. En effet, les groupes que nous affrontons veulent des blessés, voire des morts, afin de médiatiser leurs actions. Par conséquent, il sera nécessaire de retrouver de nouveaux moyens de force intermédiaire, ou de repenser certains modes de fonctionnement. Quoi qu'il en soit, la situation devient urgente, nos adversaires font preuve d'une adaptation permanente. Par exemple, l'effet de surprise dont nous avons bénéficié lorsque nous avons utilisé les quads va rapidement se dissiper.

On peut se demander si la violence a augmenté parce que les moyens ont été enlevés. Il est beaucoup plus difficile pour des manifestants de jeter de l'acide ou des bombes sur une distance de cinquante mètres que lorsque celle-ci est réduite à dix mètres. Il sera donc nécessaire de conduire une réflexion pour rétablir cette distance. Plus les personnes qui vous veulent du mal sont loin, moins il est nécessaire d'utiliser la force et moins les manifestants sont blessés. Cette vision me semble assez partagée par mes collègues.

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Pouvez-vous évoquer de manière synthétique l'ensemble des moyens de mise à distance que vous croyez utile de réintégrer ou de développer pour l'avenir ?

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Major Erick Verfaillie

Les grenades OF-F1 ont été retirées des dotations après la mort tragique de Rémi Fraisse. Cependant, la technologie évolue et il doit être possible d'utiliser du matériel qui puisse provoquer un choc tout en diminuant le risque de blessures. Mais il faut y réfléchir vite : le temps que la production se mette en place, les groupes qui nous font face auront déjà évolué. À de nombreuses reprises, nous avons déjà pu constater ces adaptations sur le terrain.

Je vous avoue que le retrait de ces grenades a suscité une grande incompréhension dans nos rangs. De plus, nos adversaires parviennent à recréer des grenades dotées d'explosifs auxquelles ils ajoutent du shrapnel. Par conséquent, les forces de l'ordre n'ont plus de grenade offensive mais elles sont victimes de jets de grenades défensives, dont les risques de blessure sont bien supérieurs. Il est urgent de trouver d'autres matériels avant que des tragédies ne surviennent.

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Major Christophe Le Jeune

Je partage les propos qui viennent d'être tenus et je souhaite les illustrer par un exemple. J'ai accueilli des gendarmes mobiles de retour de Corse. Parmi eux, de jeunes gendarmes à peine sortis d'école ont été blessés lors d'opérations de maintien de l'ordre de haute intensité. Les grenades artisanales dont ils ont été victimes ne les ont pas tués, mais il s'en est fallu de peu

De même, nous voyons des grenades artisanales jetées à hauteur d'homme, qui entraînent de forts impacts et effets de souffle. Certaines photos sont éloquentes : un gendarme mobile basé à Satory a perdu de la chair sur ses mollets. Pour le moment, nous avons eu de la chance qu'il ne s'agisse que de blessés. La situation pourrait devenir bien plus tragique.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Il existe une réelle utilité de l'armement intermédiaire de type OF et F4, notamment pour le maintien de l'ordre rural. À Sainte-Soline, si ces moyens avaient pu être utilisés, le nombre de blessés aurait été beaucoup plus faible car nous aurions pu empêcher les manifestants violents de se regrouper. Nous les aurions éloignés les uns des autres sans occasionner de blessure physique.

Par ailleurs, il convient d'évoquer la problématique de la protection. Par exemple, les gendarmes mobiles ne disposent pas de cagoules anti-feu alors même que la police en est dotée. Nous essayons d'obtenir cet équipement auprès de notre hiérarchie. Cela ne semble pas simple. Pourtant, une simple cagoule anti-feu nous aiderait grandement : à Sainte-Soline, certains de nos camarades ont subi de graves brûlures. Certains d'entre eux ont dû respecter soixante jours d'arrêt de travail.

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Major Erick Verfaillie

L'une des principales missions de la police et de la gendarmerie consiste à permettre de manifester dans des conditions acceptables. La liberté de manifester est un droit fondamental. Malheureusement, nous sommes confrontés à une montée en puissance de la violence, que nous ne pouvons maîtriser par manque de moyens intermédiaires. Parmi les manifestants, certains viennent en famille, avec leurs enfants. Pour nous, forces de l'ordre, cela pose un problème car il n'est jamais bon de se trouver pris entre le marteau et l'enclume. Certains groupes jettent de l'acide et des pierres ; d'autres personnes venues manifester pacifiquement se trouvent blessées par les individus violents. Même si cela ne fait pas la une des journaux, il y en a quand même régulièrement.

Si nous laissons nos adversaires se doter d'armements supplémentaires et exercer une violence encore plus forte, le droit de manifester sera tout autant mis en cause que l'intégrité physique des forces de l'ordre.

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Major Rachel Chervier

Nous ne pouvons plus compter sur la seule chance désormais. Il nous faut des équipements.

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Comment réagissez-vous aux commentaires selon lesquels le maintien de l'ordre tend à se durcir alors que vous constatez la disparition de moyens intermédiaires ? Dans certaines auditions, nos interlocuteurs ont parlé de « militarisation » et de « brutalisation ». Il me semble important que vous puissiez répondre à ces observations.

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Major Patrick Boussemaëre

À quoi faites-vous référence lorsque vous parlez de militarisation ?

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Certains interlocuteurs, qui sont parfois des parlementaires, dénoncent la militarisation des forces de l'ordre et le fait qu'elle représente un mode de « brutalisation ».

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Ce verbatim nous a effectivement été présenté en commission. Il semble important que vous puissiez y répondre. Le directeur général de la gendarmerie nationale a réagi, pour sa part, en expliquant précisément la doctrine. Mais nous souhaitons connaître votre opinion.

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Major Erick Verfaillie

La gendarmerie est militaire et le maintien de l'ordre a toujours été in fine militaire. J'ajoute que la militarité ne repose pas uniquement sur la force, mais aussi sur un encadrement, une hiérarchie, une retenue et une progressivité. Malgré la peur inhérente à certaines situations, elle implique également une maîtrise de soi acquise grâce à la formation initiale et à l'entraînement.

La militarisation a toujours existé en gendarmerie. Elle se fait, non pas dans le maintien de l'ordre, mais face à des groupuscules qui déploient une militarité comparable dans leur préparation, leur entraînement et leur stratégie. Des moyens nous ont été retirés après la survenue de tragédies. Mais ils ont toujours été utilisés de la manière la plus posée possible ; toute utilisation de la force, aussi maîtrisée soit-elle, entraîne malheureusement un risque de blessure ou de mort.

Par conséquent, ce n'est pas tant l'arme que son utilisation et la doctrine d'emploi qui importent. Dans la gendarmerie, la doctrine d'emploi a été revue et elle est très encadrée : nous allons assez loin dans la détermination de ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire. Nous devons donc conserver cette militarité dans le maintien de l'ordre, mais avec des moyens modernes et adaptés pour combler les lacunes dont nous souffrons actuellement, en particulier sur ces fameux cinquante mètres.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Nous sommes fiers d'être militaires. La militarité implique le respect des règles : la gendarmerie respecte la doctrine et le schéma national du maintien de l'ordre. De fait, elle est très peu mise en cause dans son maintien de l'ordre, que nous exerçons pourtant de manière quotidienne depuis de longs mois.

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Major Patrick Boussemaëre

Pour nous, la militarité n'est pas un gros mot. Je conçois que pour des personnes qui ne la vivent pas de l'intérieur, elle puisse être parfois perçue comme une montée en puissance dangereuse. Mais elle est notre quotidien, dans un cadre organisé.

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Major Laurent Cappelaere

Je ne peux que souscrire aux propos précédents. La militarisation est le gage d'une action entreprise dans le respect des règles, sur un socle d'encadrement, de formation, de rigueur et de déontologie. De notre point de vue, le travail bien fait est militarisé, dans le bon sens du terme. Il faut différencier différents états : paix, crise et guerre. Le maintien de l'ordre intervient éventuellement dans le cadre d'une crise, mais il ne s'agit ni de guérilla ni de guerre. Pour un gendarme, cette militarisation constitue une garantie contre les débordements anarchiques et incontrôlés.

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Les propos qui nous avaient été tenus revenaient à dire que le maintien de l'ordre évoluait de plus en plus vers des dispositifs de guerre du côté des forces de l'ordre. Comment les comprenez-vous, compte tenu notamment des équipements dont vous disposez ? Cela semble en complet décalage avec les témoignages que vous portez à notre connaissance.

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Major Patrick Boussemaëre

Les évènements de Sainte-Soline étaient d'une nature grave. Il y avait là une situation proche de celle d'une guerre. Face à des gens agressifs qui veulent en découdre, voire tuer des forces de l'ordre, ces dernières doivent relever d'un cran leur réponse. Cependant, force doit rester à la loi. En réalité, les forces de l'ordre sont à l'image des comportements des manifestants qui leur font face. S'ils sont calmes, nous sommes calmes. S'ils montent progressivement en violence, nous devons contenir cette violence en utilisant des moyens adaptés.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

La gendarmerie est une force armée et nous disposons heureusement d'équipements de guerre puisque nous devons être prêts à réagir, pour défendre le territoire si nous étions envahis ou pour nous projeter en opération extérieure. Certains de nos camarades étaient en Ukraine lorsque l'invasion russe a eu lieu. Heureusement pour eux, ils avaient de quoi se défendre. Mais cela ne doit pas faire peur : être équipé de telle manière fait partie de notre travail et de notre formation.

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Major Erick Verfaillie

J'invite ceux qui pointent la militarité du maintien de l'ordre à regarder ce qui se passe dans notre pays et les images que les médias peuvent relayer. Cela fait bien longtemps que l'on ne tire plus à balle réelle sur les manifestants, justement grâce aux armes intermédiaires que l'on est progressivement en train de nous enlever.

Si nous étions violents et assoiffés de sang, le maintien de l'ordre serait extrêmement simple : il suffirait d'utiliser un armement classique. Mais la réalité du maintien de l'ordre est toute autre : permettre la liberté de chacun, neutraliser les individus violents en essayant de ne pas les blesser. Les risques d'accident existent certes, mais jamais je n'ai entendu un ordre visant à blesser sciemment une personne, quand bien même celle-ci cherchait à nous faire mal.

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Major Rachel Chervier

Dans le même ordre d'idée, le principe qui nous anime est celui de la désescalade. Nous ne cherchons pas à élever le niveau de violence, bien au contraire. Nous devons maintenir, voire rétablir l'ordre.

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Adjudant-chef Sandrine Toulouze

L'une de nos forces réside dans notre faculté d'adaptation. Cela serait inverser le problème que de penser que nous cherchons en première instance à militariser les situations. Lorsque cette militarisation intervient, il s'agit d'une réponse : nous nous adaptons à la violence que nous rencontrons.

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Lorsque l'on vous écoute, nous devons constater une montée en préparation et en puissance des personnes qui vous font face, depuis quelques années. Simultanément, la mort de Rémi Fraisse a entraîné l'interdiction de la grenade de type F1, qui a marqué le début de la période où vous avez été « déséquipés ». Aujourd'hui, disposez-vous d'un matériel équivalent dans votre arsenal ? Faut-il revenir à un équipement de ce type pour maintenir à distance ceux qui veulent attenter à votre intégrité physique et pour être plus efficace face à la montée en puissance de la violence ?

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Major Erick Verfaillie

Nous ne sommes simplement, et c'est déjà beaucoup, les représentants du corps social. Ainsi, je ne dispose pas de l'expertise technique pour vous répondre. Je souhaite que nous puissions exercer la même mission sans cette arme, en offrant peut-être plus de sécurité pour celui qui subit son impact. Des études et des tests sont effectués de manière permanente, par exemple à Saint-Astier, pour nous assurer qu'il n'y a pas de risque létal lors de l'utilisation de nos matériels d'emploi.

Nous ne pouvons donc pas être catégoriques en exigeant le retour de l'ancien matériel. Nous avons l'espoir que la technologie permettra d'obtenir les mêmes effets avec moins de risques de blessure. Mais j'ignore si nous disposons déjà de ce nouveau matériel sur nos étagères.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Les grenades de désencerclement peuvent nous être utiles. Mais à l'heure actuelle, le manque ne porte pas forcément sur les grenades offensives ou les F4, dont l'impact était fort. Nous avons surtout besoin de grenades produisant un effet de souffle, qui nous aideraient à repousser l'adversaire. Nous cherchons à gagner en distance ; plus nous éloignons le danger, moins nous avons besoin d'être au contact et plus les risques de blessures diminuent, pour nous comme pour nos adversaires. Mais nous avons vu à Sainte-Soline que la limite du gaz lacrymogène est rapidement atteinte dans ce genre de manifestation.

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Major Erick Verfaillie

Nous sommes confrontés à une difficulté supplémentaire. Tous ces groupes peuvent exercer leur violence parce qu'ils se protègent derrière des gens innocents. Les manifestants pacifiques, qui viennent en famille, sont beaucoup moins équipés que ces groupes qui viennent casqués et masqués.

De notre côté, nous devons repousser des gens équipés et protégés sans risquer de causer des blessures à des gens qui ne le sont pas. Cette situation est plus compliquée qu'à l'époque où nous étions confrontés à une foule dont les comportements étaient homogènes. Les manifestations des marins-pêcheurs pouvaient être rudes, mais les comportements étaient prévisibles. Désormais, le mélange des publics rend difficile le maintien de l'ordre.

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Major Patrick Boussemaëre

Nous devons réfléchir à la manière de tenir à distance les comportements violents. Par conséquent, il peut être opportun de regarder ce qui se fait au-delà de nos frontières. Certes, les cultures du maintien de l'ordre sont différentes. L'Allemagne dispose par exemple de brigades canines au sein des escadrons. Elles permettent de maintenir à distance un certain nombre de manifestants. Dans les interventions effectuées en dehors du maintien de l'ordre, j'observe effectivement que la présence d'un maître-chien entraîne une réaction immédiate de la part des personnes.

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Colonel Jean Carrel

La question est double. Elle porte d'une part sur la détention d'un équipement qui permettrait de repousser ceux qui voudraient venir au contact de manière agressive. D'autre part, la deuxième partie de la question concerne l'emploi de ces moyens. Ensuite, comme cela a déjà été rappelé, la gendarmerie est une force militaire, dont le professionnalisme est reconnu. Nous disposons en dotation d'équipements allant au-delà du seul besoin de maintien de l'ordre.

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Général Emmanuel Valot, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale

Les évènements du Capitole aux États-Unis montrent bien qu'une manifestation relevant de l'ordre public peut se transformer rapidement en opération très violente nécessitant un autre cadre d'engagement. Dans ces circonstances, il est précieux de disposer d'un panel d'équipement large.

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Je vous remercie pour la clarté des propos tenus, sincères et poignants. Ils nous ont permis de saisir l'importance de vos missions, celles que vous avez l'habitude d'exercer mais également les nouvelles, comme la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous avons compris la résilience dont vous devez faire preuve face à des personnes qui repoussent les limites de la violence, dans un contexte de médiatisation accrue et de journées à rallonge.

Cette crise permanente que vous avez décrite aboutit incontestablement à des situations de stress, de lassitude et de fatigue. Avec la dégradation de vos conditions de travail, constatez-vous un déficit d'attractivité de votre profession, une difficulté de fidélisation des effectifs et une augmentation des démissions ?

Enfin, je souhaite recueillir vos idées afin de renverser ces tendances. Vous avez indiqué que le maintien à distance ou éventuellement l'utilisation de maîtres-chiens pourrait diminuer le danger et contribuer à une meilleure sécurité. Pouvez-vous faire part d'exemples supplémentaires ? Il nous importe que vous puissiez exercer à nouveau votre métier, difficile et respectable, dans de meilleures conditions.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Nos conditions de travail ne sont effectivement pas évidentes, mais ne noircissons pas trop le tableau. Nous ne nous plaignons pas. Nous exerçons ce métier par passion et par envie de défendre les Français. Cependant, nous sommes effectivement confrontés à des départs et à des difficultés de recrutement, qui ne sont pas uniquement dues à nos conditions de travail. Le secteur privé attire énormément, la police municipale également dans la mesure où les contraintes y sont moindres. Certains préfèrent être soumis à des obligations moins importantes pour un salaire identique.

Il faut donner envie aux jeunes de nous rejoindre et aux anciens de rester parmi nous. Ces incitations peuvent être d'ordre financier, mais également se matérialiser par d'autres formes de reconnaissance. Nous attendons que l'on nous remercie et que l'on nous récompense lorsque nous avons bien travaillé. Nous sommes militaires. Cela peut se traduire sur notre fiche de paie, mais également par des récompenses plus symboliques comme la remise de médailles, qui comptent toujours dans la vie d'un militaire.

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Major Erick Verfaillie

Le recrutement et l'attractivité relèvent de considérations multifactorielles. Les attentats qui se sont déroulés en France ont suscité un grand nombre de candidatures parmi nos concitoyens qui voulaient s'engager ou devenir réservistes dans la gendarmerie. Une fois l'émotion retombée, les choses ont changé. C'est humain.

Cependant, cette attractivité, quels que soient les moyens employés et la reconnaissance financière ou symbolique accordée, est cruciale pour l'avenir de la gendarmerie. En effet, la qualité des personnels sur le terrain dépend en grande partie de la sélectivité. À partir du moment où nous sommes obligés de retenir une personne sur dix candidats au lieu de vingt, nous courons mathématiquement le risque d'une baisse de qualité dans nos rangs. Actuellement, nous conservons un haut niveau de sélectivité. Elle doit être maintenue coûte que coûte.

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Je tiens à mon tour à réitérer notre soutien et notre amitié. La sécurité constitue la première des libertés et vous exercez un métier extrêmement difficile, au service des Français. Je vous remercie pour votre engagement quotidien.

Je souhaite m'arrêter sur la technicité française du maintien de l'ordre, qui fait l'honneur de notre pays. Lorsqu'il est venu devant la commission d'enquête, j'ai interrogé le directeur général de la gendarmerie nationale sur l'utilisation des moyens intermédiaires. Pensez-vous qu'il faille un moratoire sur l'évolution des moyens intermédiaires, notamment les grenades OF et GLI ? Faudrait-il réintégrer ces équipements ? La mort dramatique de Rémi Fraisse a entraîné leur retrait. Certains manifestants qui avaient voulu récupérer une grenade au sol ont pu être blessés. Néanmoins, le maintien à distance implique de conserver ces moyens intermédiaires. À Sainte-Soline, 5 000 grenades lacrymogènes et 80 grenades de désencerclement ont été lancées. Selon vous, si des moyens intermédiaires comme ces grenades de désencerclement ou des lanceurs de balles de défense avaient été davantage employés lors de cette manifestation, y aurait-il eu moins de blessés parmi les forces de l'ordre ?

Par ailleurs, sans entrer dans la polémique, je tiens à évoquer les ordres qui vous sont donnés. Le schéma national du maintien de l'ordre existe. Mais lorsqu'un groupuscule violent est parfaitement identifié, vous est-il demandé d'attendre ? Avez-vous la possibilité d'initier le contact, d'aller à l'impact pour désorganiser un black bloc ?

Enfin, à Sainte-Soline, la présence d'élus sur le territoire et pendant la manifestation a-t-elle désorganisé les forces de l'ordre ? Il est toujours délicat d'intervenir, de lancer une grenade ou de recourir aux lanceurs de balles de défense lorsqu'un élu est présent avec son écharpe tricolore. À votre avis, les peines complémentaires judiciaires, notamment les interdictions de paraître, pourraient-elles être efficaces ? Les éléments radicaux et violents sont souvent identifiés. Cela permettrait-il aux manifestations de se dérouler pacifiquement ?

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

S'agissant des moyens intermédiaires, nous ne sommes pas naïfs : nous ne croyons ni à leur retour, ni à un moratoire qui me semble difficile. Mais nous pensons qu'il faut travailler sur des moyens nouveaux, qui répondent à nos besoins. Les grenades de désencerclement peuvent constituer une partie de la solution. À Sainte-Soline, il me semble que 3 000 lacrymogènes ont été utilisées. Mais leur efficacité a été limitée. En effet, le terrain était vaste et les adversaires étaient protégés.

Les moyens intermédiaires doivent être employés. Les policiers et les gendarmes ne doivent pas avoir peur d'y recourir et qu'on leur reproche par la suite leur utilisation. Lors des manifestations des Gilets Jaunes, l'emploi de certains moyens était critiqué très rapidement. Il est compliqué pour nos camarades de voir qu'ils sont mis en cause simplement parce qu'ils exercent leur métier.

Ensuite, nous attendons effectivement les ordres. Il s'agit de notre manière de fonctionner en tant que militaires. Cependant, en cas de danger de la troupe, nous avons l'opportunité d'agir afin qu'elle ne soit pas menacée, dans une forme de légitime défense. Ainsi, de notre propre initiative, nous pouvons nous déplacer et nous défendre si la situation n'est pas tenable.

La présence d'élus n'est pas selon moi une problématique, bien au contraire. Les élus sont des manifestants comme les autres et nous protégeons tous ceux qui manifestent légitimement. Ils ne constituent pas une gêne supplémentaire, à moins qu'ils soient pris à partie par les manifestants. Naturellement, nous les prenons en compte, mais de la même manière que nous le faisons pour un enfant ou une personne âgée. Il s'agit de personnes plus « sensibles ».

Enfin, les peines complémentaires représentent évidemment un outil supplémentaire, qui peut avoir du sens. La possibilité d'éloigner quelqu'un de dangereux, qui peut nous mettre en danger lors d'une manifestation et qui peut avoir un impact sur les autres manifestants, doit être étudiée.

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Général Emmanuel Valot, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale

Plus nous pouvons neutraliser en amont les personnes violentes et radicales, notamment grâce au renseignement et aux outils juridiques, plus la situation est susceptible d'être bien gérée. À ce titre, on peut évoquer ou s'inspirer des interdictions de stade. Il importe de conduire un travail avec les autorités judiciaires, qui peut commencer plusieurs semaines en amont, jusqu'au jour même de la manifestation.

S'agissant des instruments juridiques, ceux-ci doivent être réalistes et pragmatiques. Il n'est pas utile d'inscrire de nouveaux articles dans le code pénal ou le code de procédure pénale si les enquêteurs et les magistrats ne peuvent y recourir en pratique.

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Maréchal des logis-chef Christophe Duprat

Le travail avec les élus se déroule en amont, par l'intermédiaire de la gendarmerie départementale. Une brigade de gendarmerie connaît tous les élus du territoire. Elle rencontre les maires une fois par semaine. Par conséquent, si un élu est conduit à prendre part à une manifestation, la brigade locale sera automatiquement avertie et elle disposera d'un allié sur place. Le renseignement pourra être disponible car, je le répète, dans les communes rurales, le maire est essentiel pour un gendarme départemental.

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Major Erick Verfaillie

Je tiens à revenir sur une des questions posées qui me semble particulièrement intéressante. Lorsque les black blocs se mettent en place et se rassemblent, pourquoi n'agissons-nous pas sans ordre ? Nous en revenons là à la question de la militarité : plus la force est nécessaire, plus il est important de respecter les ordres.

Nous intervenons désormais dans un plan à trois dimensions. Des drones sont utilisés, cela a été le cas à Sainte-Soline, pour mettre en place des stratégies, des fronts et des ouvertures. Ainsi, les forces de l'ordre sont souvent attaquées pour provoquer une réaction et donner l'opportunité d'ouvrir d'autres flancs. Au sol, nous pouvons avoir envie d'agir. Mais cela revient parfois à faire le jeu de nos adversaires. Il est donc essentiel de disposer d'une vision élargie de la situation et des manœuvres de l'adversaire.

Enfin, il n'existe pas de solution miracle, mais l'interdiction de paraître peut être utile à condition qu'elle puisse être appliquée. Si elle ne sert qu'à entraîner un surcroît de travail pour les forces de sécurité, nous ne pourrons y procéder que sur un nombre limité de personnes.

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Précédemment, lorsque j'évoquais les élus, je pensais à certains membres de la NUPES présents à Sainte-Soline avec leur écharpe. Cette situation n'a-t-elle pas eu un impact psychologique sur les gendarmes ? Quand on est sous le feu d'individus radicaux et violents qui projettent des objets perforants ou contondants, une idée de manœuvre ne peut-elle pas être annihilée par la présence d'élus en écharpe ? Les gendarmes ne peuvent-ils pas être plus réticents à intervenir avec efficacité et objectivité ?

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Je réitère mes propos : il n'y a pas de difficulté particulière. Nous prenons en compte la présence d'élus lors de nos opérations de maintien de l'ordre. Avec ou sans élu, avec ou sans caméras, nous respectons la loi, les schémas et nos doctrines. Nous n'éprouvons aucune difficulté à accomplir notre travail normalement.

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Major Erick Verfaillie

Je partage totalement ces propos. Il n'existe pas de difficulté supplémentaire. Les élus et les hommes politiques se joignent aux manifestants pour attirer l'attention médiatique. Mais celle-ci est déjà présente de toute manière et notre action ne s'en trouve pas modifiée.

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Je profite de votre présence pour remercier l'ensemble des forces de la gendarmerie nationale présentes sur le territoire, qu'il s'agisse des gendarmes mobiles ou des brigades départementales. Nous en avons besoin au quotidien.

Je souhaite évoquer l'effet de foule. Que pouvez-vous nous en dire ? Lors de certaines manifestations, des personnes arrivent imbibées d'alcool ou après avoir absorbé des psychotropes. Les effets de foule les font parfois basculer dans la violence. Quels sont ces effets aujourd'hui ? Comment les contenir ?

Par ailleurs, comment considérez-vous les personnes qui organisent ou qui accompagnent l'organisation de manifestations dites interdites, tout en sachant qu'elles seront violentes ? Je rappelle que des appels à la violence ont été diffusés, notamment sur les réseaux sociaux. Pensez-vous que la mise en scène de la violence et sa légitimation par des responsables politiques, syndicaux, associatifs ou des responsables de groupements de fait peuvent être considérées comme une complicité à la violence réelle ? Parfois, certains nous expliquent que la violence des manifestants est légitime face à la force qu'emploient l'État, les policiers et les gendarmes.

Comment interprétez-vous les consignes et les accompagnements dispensés sur les réseaux sociaux ? Pour ma part, j'ai été particulièrement choqué par des vidéos de personnes qui expliquent comment ne pas répondre aux agents de police et aux gendarmes, comment s'habiller pour ne pas être reconnu, ce qu'il faut avoir ou ne pas avoir sur soi pour répondre en cas « d'attaque » de la police ou la gendarmerie. Certains passent leur temps à distribuer de genre de conseils quand vous êtes de votre côté obligés de faire évoluer la manière dont vous assurez le maintien de l'ordre.

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Adjudant-chef Frédéric Le Louette

Lors des manifestations, il existe effectivement un certain nombre de personnes qui ne sont pas habituées et qui se laissent entraîner dans des débordements. N'étant pas venues casser, elles basculent malheureusement. Comme nous le faisons avec les manifestants classiques, parfois présents en famille, nous devons prendre le temps de les séparer des casseurs et des ultras qui posent bien plus de problèmes car armés et mieux organisés. Celui qui se laisse entraîner sera plutôt un électron libre et il pourra être traité plus facilement si nous parvenons à l'isoler. C'est aux forces de l'ordre de prendre le temps de le rendre inoffensif. Cependant, dans tous les cas de figure, la réponse pénale doit être à la mesure de la faute afin d'éviter les récidives. En effet, si un sentiment d'impunité voit le jour, le problème se répétera dans le temps.

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Major Patrick Boussemaëre

Nous nous sommes rendu compte que, dans ces manifestations, certains participants étaient uniquement présents pour casser quand d'autres étaient simplement venus défiler pour défendre légitimement leur cause. Pour nous, la difficulté consiste à distinguer ceux qui viennent en découdre avec les forces de l'ordre et les autres. L'effet de foule est aussi un mécanisme psychologique : au cours de ma carrière, je me suis rendu compte que des gens socialement bien établis réagissent parfois de manière insensée et deviennent aussi violents que certains casseurs, qui eux ne sont là que pour la violence. Ce phénomène se rencontre de temps en temps. Il s'est notamment produit à Sainte-Soline.

Ensuite, certains utilisent effectivement les réseaux sociaux pour accentuer la violence, ce que nous ne pouvons que déplorer. Appeler à la violence ne peut qu'exciter des esprits faibles, perméables à ce genre de messages. Malheureusement, il s'agit aujourd'hui d'un fait de société, que nous constatons comme tout le monde et que nous subissons.

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Major Erick Verfaillie

Vous avez évoqué le cas de certaines personnes qui légitiment, voire encensent la violence. Il peut s'agir de personnalités politiques, mais aussi de simples citoyens. De notre côté, la situation est assez simple : nos deux ouvrages de référence sont le code pénal et le code de procédure pénale.

Par ailleurs, les tutoriaux du manifestant violent sont à la mode. Mais là aussi, il ne s'agit que d'une forme modernisée d'un phénomène qui a toujours existé. Par exemple, les prisons ont toujours été des centres de formation pour les gangsters et les voleurs, où les anciens apprenaient aux nouveaux. Désormais, internet et les réseaux sociaux permettent simplement de faciliter l'accès à l'information.

En revanche, il est exact que nous assistons à une professionnalisation de la violence. Elle passe par la formation, souvent à distance, de ceux qui voudrait rejoindre ces groupes dont nous savons par ailleurs qu'ils ne sont pas structurés autour d'un chef charismatique. ils s'organisent volontairement sans hiérarchie pour demeurer des nébuleuses.

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Dans certaines vidéos, certains n'hésitent pas à expliquer comment entraver les enquêtes, à conseiller les manifestants de s'habiller en noir pour se fondre dans la foule. Si l'on additionne l'obstruction à l'enquête, l'outrage et la commission de faits de violence, le code pénal et le code de procédure pénale permettent-ils en l'état de qualifier ces actions de complicité ? Si tel n'est pas le cas, le législateur doit se saisir de la question et faire le reste.

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Major Erick Verfaillie

Permettez-moi de répondre par un trait d'humour : si cela était possible, tous les scénaristes de séries policières qui expliquent comment dissimuler des empreintes ou effacer des traces ADN devraient être emprisonnés. Les jeunes délinquants qui regardent ces programmes y ont appris comment ne plus se faire prendre. Nous ne trouvons plus d'empreintes.

La première étape consisterait à trouver les responsables de la diffusion de ces vidéos ou de ces conseils. Vous savez à quel point il est difficile d'imputer la paternité d'une publication sur internet. Cet après-midi encore, nous avons visionné ces vidéos, qui sont élaborées de manière insidieuse. À aucun moment, il n'est suggéré d'aller frapper des forces de l'ordre. Ces vidéos fournissent en revanche des astuces ou des solutions pour ne pas être reconnu. De la même manière, il est expliqué ce qu'il faut dire ou ne pas dire en garde à vue afin de compliquer l'administration de la preuve. Pour répondre à votre question, il me semble compliqué de se baser sur ces vidéos pour intenter des poursuites. Je crains que le législateur ne puisse pas faire grand-chose.

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Major Christophe Le Jeune

À Sainte-Soline, nos adversaires étaient équipés de casques et de bleus de travail. Les tracts qui circulent expliquent comment ne pas se faire attraper en ressemblant à d'autres manifestants.

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Je vous remercie vivement d'avoir contribué aux travaux de notre commission d'enquête. Ces échanges étaient pour nous particulièrement précieux. Nous serons évidemment conduits à échanger à nouveau avec vous par écrit.

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Général Emmanuel Valot, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale

Nous vous remercions de votre invitation, qui vous a permis de constater la foi et l'entrain du groupe de liaison pour alimenter votre commission de ses réflexions.

La réunion se termine à vingt-deux heures trente-cinq.

Présences en réunion

Présents. – M. Florent Boudié, Mme Edwige Diaz, M. Patrick Hetzel, M. Ludovic Mendes, M. Michaël Taverne, M. Alexandre Vincendet

Excusées. – Mme Aurore Bergé, Mme Emeline K/Bidi