La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

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Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), et M. Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative ».

Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale et vous remercie vivement de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.

L'Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d'enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations, dont les médias se sont fait l'écho, comme Mediapart.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes :

- L'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

- L'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

- L'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.

Nous avons entendu de nombreuses victimes la semaine dernière, sportifs de très haut niveau ou non, hommes ou femmes, intervenant dans des disciplines différentes comme le tennis, les sports de glace, le judo, la gymnastique, le basket, l'athlétisme, etc. Ils nous ont tous décrit leur calvaire et les violences qu'ils ont subies, principalement lorsqu'ils étaient mineurs, essentiellement du fait de leur entraîneur ou de la part d'autres sportifs manipulés par leur entraîneur.

Ils ont également insisté sur l'omerta généralisée qui règne dans chaque discipline où « tout le monde sait mais personne ne dit rien… ». Bien souvent, les parents ne sont pas au courant et font largement confiance au club et à l'entraîneur, alors que leur enfant est incapable de s'exprimer en raison de la honte ou de la peur qui les accompagnent.

Au-delà de ces formes de violences qui semblent particulièrement répandues, s'ajoutent des actes de discriminations fondés sur le sexe ou sur la race, qui contribuent également au mal-être des joueurs et conduit à des dérives.

Enfin, nous avons auditionné des journalistes d'investigation qui ont dénoncé plusieurs scandales financiers dans le milieu du sport, en particulier dans le football et le rugby.

Tous ces faits, la plupart illégaux, vous sont connus en tant qu'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. Vous nous avez transmis une vingtaine de rapports qui présentent de nombreuses défaillances graves dans le milieu sportif et qui formulent d'importantes recommandations.

Les principales questions que je souhaite vous poser sont les suivantes :

- Pourquoi, avec tous les signalements recueillis depuis 2020 et vos enquêtes approfondies, les mesures ne sont pas encore prises pour éradiquer ces pratiques illégales, protéger les jeunes sportifs et sportives, contrôler efficacement les fédérations et les clubs et sanctionner les auteurs de violences en tous genres ou les malfaiteurs ?

- Que vous manque-t-il pour être entendu ? Que faut-il faire pour changer profondément les choses ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure et demie, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire, chacun à votre tour, « Je le jure », après avoir activé votre micro.

Mme Caroline Pascal et M. Patrick Lavaure prêtent serment.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

Merci Madame la présidente. Je note que vous avez pris connaissance de l'ensemble des rapports qui vous ont été envoyés. Ils ont été à l'origine de dix signalements de l'Inspection générale depuis 2020 en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

L'IGÉSR a été créée en 2019 avec la fusion de quatre inspections générales, deux portant sur l'enseignement scolaire et l'enseignement universitaire, une qui avait pour vocation de contrôler les bibliothèques et enfin l'inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS), qui contrôlait les fédérations sportives. Ces compétences ont été réaffirmées en 2021.

Nous menons deux types d'enquêtes sur les fédérations : d'une part des missions de contrôle, qui sont des missions de conformité, où nous regardons le fonctionnement général, structurel de chacune des fédérations, dans une situation qui n'est pas dysfonctionnelle, d'autre part des missions liées à un dysfonctionnement. Lors d'une mission de contrôle, il arrive que nous découvrions un certain nombre de dysfonctionnements. Nous passons dans un autre mode d'enquête, qui vient confirmer ou infirmer des faits précis de dysfonctionnement, qui peuvent être d'ordre différent, notamment ceux que vous avez mentionnés, comme des violences sexuelles et sexistes, que nous appelons VSS, des dysfonctionnements financiers ou tout autre type de dysfonctionnement.

Dans le cadre de nos missions de contrôle, nous nous étions fixé comme objectif en 2014 d'avoir vu l'ensemble des fédérations sportives avant 2024. Nous l'atteindrons juste avant l'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques. Parallèlement, la part d'enquêtes administratives a considérablement augmenté, notamment sous l'impulsion des ministres, Madame Roxana Maracineanu puis Madame Amélie Oudéa-Castera, qui nous ont saisis de manière beaucoup plus fréquente que nous ne l'étions auparavant, notamment depuis 2020, sur des cas de dysfonctionnement, signalés soit par des remontées directes, soit par une interpellation des médias.

L'inspection générale intervient dans un dans un écosystème qui dispose de ses autorités de régulation ou de contrôle, notamment la Cour des comptes, qui contrôle les fédérations et avec laquelle nous sommes en lien étroit, pour éviter de superposer des contrôles et pour partager les informations. Nous travaillons également avec l'Agence française anticorruption, qui suit son propre programme de contrôle de la probité économique et financière des fédérations, et avec laquelle la collaboration reste à approfondir. Vous nous interrogez, Madame la présidente, sur l'efficacité de nos contrôles et de nos enquêtes. Plus la collaboration avec les autres autorités est étroite, plus nos contrôles sont efficaces.

Depuis 2020, l'Inspection générale porte un regard particulier sur les questions de gouvernance, de violences sexuelles et sexistes et enfin sur les dysfonctionnements financiers. Ces trois axes correspondent à ceux de votre commission d'enquête. Ils sont rapidement apparus comme regroupant les dysfonctionnements majeurs, avec un impact humain et social important. Par ailleurs, ce sont aussi les axes politiques sur lesquels les ministres nous ont saisis et pour lesquels une politique publique de zéro tolérance a été mise en place.

Sur les aspects de gouvernance, nous avons soulevé, comme vous le retrouverez dans un certain nombre de nos rapports, la question de la démocratie au sein des fédérations. La répartition des sièges à la suite des élections, pour laquelle il existe plusieurs modèles et sur laquelle la loi de 2022 est revenue, a montré des failles, notamment une concentration des pouvoirs pour la liste gagnante, qui ne nous paraît pas de bon augure pour permettre l'expression démocratique d'une opposition, ou même simplement, au sein des instances, d'une discussion permettant d'éviter des dérives. En absence de l'expression d'une opposition forte, ces dérives sont en effet plus faciles.

Nous sommes néanmoins tout à fait conscients qu'il est nécessaire qu'une équipe puisse mener une politique et donc qu'il y ait une prime au gagnant. Dans les modèles qu'elle propose, l'Inspection générale prévoit une répartition proportionnelle assez classique, comme il en existe dans les collectivités territoriales, avec une équipe majoritaire qui porte un projet tout en préservant la capacité pour l'opposition de se faire entendre.

Plusieurs rapports ont mis en lumière ce problème à l'occasion de l'apparition de dysfonctionnements. En 2022, le rapport sur la fédération française de football qui a fait du bruit évoquait aussi cette question de la place de l'opposition dans la gouvernance de la structure.

Sur les VSS, je laisserai Patrick Lavaure s'exprimer sur les contrôles réalisés avant 2019 par l'IGJS, puisque je n'ai pris la tête de l'IGÉSR qu'au moment de sa création.

La question de la discrimination raciale n'a pas fait l'objet de travaux récents et l'IGÉSR n'a pas reçu d'alerte significative récente.

En revanche, les violences et sexistes ont été au cœur d'un certain nombre d'enquêtes sur les fédérations. Ces enquêtes ont mis en lumière des pratiques sur de jeunes sportifs qui ne sont évidemment pas tolérables et dont certaines sont passibles de poursuites pénales. C'est dans ce cadre que nous avons fait un certain nombre de signalements au procureur, pour lesquels des enquêtes ont été menées et des sanctions prononcées. Des suites ont donc été données à nos rapports.

Par ailleurs, nos rapports ont proposé des éléments plus structurants, vis-à-vis de la direction des sports comme des fédérations et de leur comité d'éthique, de manière que ces questions, remontent jusqu'à la présidence des fédérations et à l'autorité ministérielle et ainsi éviter toute forme d'omerta, comme vous l'avez évoqué.

La direction des sports a également mis en place la Cellule Signal-sports. C'est un outil qui n'est sans doute pas encore suffisamment performant mais qui a permis de faire remonter un certain nombre de signalements, qui jusque-là ne remontaient pas, qui ont été pris en compte et sur lesquels l'Inspection générale a enquêté. Parallèlement, les services départementaux ou les directions régionales peuvent aussi être amenés à conduire des enquêtes sur la base des signalements qui parviennent à la direction des sports.

Nous devons encore collectivement travailler, notamment à cause du déficit de formation d'un certain nombre de dirigeants de fédérations et de clubs, sur la clarification des périmètres des enquêtes judiciaires et des enquêtes administratives. Pendant longtemps, on considérait que si une enquête judiciaire était en cours, l'autorité administrative n'avait aucune raison de mener sa propre enquête. Aujourd'hui, il devient de plus en plus clair pour toutes les parties prenantes que les enquêtes judiciaires ont pour rôle de qualifier les faits et éventuellement d'engager des poursuites pénales, alors que les enquêtes administratives permettent de mettre en évidence des manquements déontologiques, de retirer des licences, etc. Les deux enquêtes peuvent donc être menées en parallèle.

Enfin, les dysfonctionnements financiers, notamment en matière d'appels d'offres, de marchés publics, etc. sont assez récurrents. Ils ont donné lieu à des rapports importants sur des fédérations ou sur des groupements d'intérêt public dont le parquet national financier (PNF) s'est saisi et ont donc débouché sur des enquêtes. Ces enquêtes n'ont pas encore abouti, sauf pour la fédération française de rugby, pour laquelle des condamnations ont été prononcées. Les signalements sont donc suivis d'effets ! Cependant, il n'est pas toujours très clair pour les fédérations de savoir si elles sont soumises à la nécessité de passer par une procédure d'appel d'offres. Compte tenu de leur statut, elles n'ont pas de pouvoirs adjudicateurs et il est un peu complexe de distinguer entre ce qui relève de leur délégation de service public et ce qui relève d'éléments plus commerciaux. Patrick Lavaure pourra revenir sur ce point car il a participé à des missions au cours desquelles cette problématique a été relevée.

Les rapports de l'Inspection générale ont permis de faire avancer un certain nombre de sujets. La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport prévoit déjà un certain nombre de mesures destinées à améliorer la démocratie au sein des fédérations. Nous sommes très attentifs à la façon dont les fédérations se sont emparées de ces dispositions. Certaines n'ont pas encore tiré les conséquences de cette loi mais le mouvement est en marche pour améliorer la représentation des oppositions au sein des fédérations. L'organisation territoriale de certaines fédérations manque encore aussi de maturité. Elle est en train de se mettre en place, comme les obligations en matière de parité entre les femmes et les hommes qui figurent dans la loi mais ne sont pas encore parfaitement appliquées.

Par ailleurs, la responsabilité et le pouvoir du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en matière d'éthique ont été renforcés. Il doit jouer un vrai rôle d'impulsion qui doit encore être renforcé.

Sur les VSS, la création de la Cellule Signal-sports a contribué à renforcer la formation et le signalement autour des services académiques jeunesse et sports. Ils sont beaucoup plus réactifs au moment des signalements. La question des règlements disciplinaires de fédération est une question également ouverte. Il est sans doute nécessaire de renforcer l'automaticité des mesures de suspension dès lors qu'il y a signalement sur un licencié, dirigeant ou non. Enfin, la question de l'honorabilité des encadrants a été confortée et renforcée au cours des dernières années et il y a dans ce domaine une dynamique tout à fait positive.

L'Inspection générale a régulièrement souligné l'ambiguïté qui peut exister entre le rôle du directeur technique national (DTN), qui est un agent de l'État, et le directeur général des services (DGS) ou directeur général (DG) des fédérations. Ces deux fonctions sont parfois occupées par la même personne mais nous considérons que ce n'est pas souhaitable. Il est en effet important que le DTN conserve un regard, qui est celui de l'État, avec une fonction interne presque de contrôle, alors que le DGS ou le DG sont plus impliqués dans la politique menée par la fédération.

Certaines de nos propositions vont plus loin que celles qui sont mises en œuvre aujourd'hui, notamment dans le cas de situations fortement dysfonctionnelles. Nous préconisons un certain nombre de mesures qui permettraient au ministre ou à la ministre de prendre des dispositions que la législation actuelle ne permet pas d'envisager. Ils ne peuvent que retirer l'agrément ou la délégation, qui sont des mesures fortes, très déstabilisantes pour une fédération, et ne disposent pas de mesures graduées, moins lourdes de conséquences, qui permettraient néanmoins de mettre un point d'arrêt à certains dysfonctionnements.

En termes de transparence financière, la mise en place d'un cadre juridique permettant de définir les conditions d'application des règles de transparence et de publicité pour les fédérations sportives nous semble pertinente, de manière à distinguer leurs activités commerciales de leur délégation de service public. Nous pourrions envisager des règles différentes selon la nature de l'activité, qui serait ainsi soumise ou pas à la commande publique.

Nous réfléchissons aussi à la possibilité d'inscrire dans les statuts fédéraux la possibilité de mise en retrait d'un dirigeant en cas d'appel à la suite d'une condamnation pénale. Vous saisissez sans doute le cas auquel je fais allusion. Cette mise en retrait qui, aujourd'hui, ne peut être que demandée par la ministre puisqu'elle ne figure pas dans les statuts fédéraux, pourrait constituer une solution intéressante dans certains cas de condamnation pénale et d'appel.

Quant au rôle de l'Inspection générale, je serai extrêmement attentive à ce que nous puissions conforter cette revue permanente des fédérations, au-delà des jeux olympiques et paralympiques qui nous ont permis d'en voir trois ou quatre par an. C'est un moyen de regarder régulièrement leur fonctionnement et d'en tirer un certain nombre de préconisations plus générales et plus structurelles. Cela suppose que le traitement des urgences ne vienne pas impacter directement notre programme de travail. Depuis 2020, des saisines très importantes nous ont beaucoup occupés et ont parfois perturbé le rythme de revue permanente que nous avions mis en place. J'espère qu'un certain nombre de situations dysfonctionnelles vont avoir tendance à s'atténuer, voire à disparaître, compte tenu des politiques menées et de la fermeté des réponses qui ont été apportées dans les quelques cas médiatiquement connus. Les fédérations se saisissent ainsi plus rapidement des signalements qui leur remontent.

Nous devons aussi conforter et renouveler l'expertise administrative des cadres de l'Inspection générale dans le cadre de la fonctionnalisation. Vous savez que nous avons changé de modèle, il est donc important que nous soyons en mesure de renouveler cette expertise.

Enfin, nous sommes très attentifs à améliorer le suivi de nos recommandations, qui n'ont pas le même statut qu'un certain nombre de revues d'audit. Elles doivent en effet être suivies par la direction des sports et par les fédérations.

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Je vous remercie pour l'éclairage que vous nous apportez à la suite des auditions que nous avons menées au cours des dernières semaines. Avant de vous interroger précisément sur les rapports que nous avons pu consulter, je souhaite revenir sur la Cellule Signal-sports. Nous avons en effet auditionné de nombreux sportifs qui ont indiqué qu'ils ne connaissaient pas cette cellule, ce qui pose la question de l'information sur son existence, y compris pour les sportifs qui sont à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Monsieur Laurent Blanc, que nous avons entendu avant vous, ne connaissait pas non plus cette cellule qui a pourtant été mise en place il y a deux ans. Par ailleurs, certains sportifs nous ont indiqué qu'ils n'avaient pas forcément confiance dans les dispositifs internes au ministère des sports, puisque les personnes qui mènent les enquêtes, notamment au niveau régional, ont des liens très forts avec leur club ou avec leur fédération. Ils craignent notamment un manque de transparence.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

La cellule Signal-sports a été mise en place à un moment compliqué pour les fédérations et pour les clubs sportifs, en sortie de Covid, où l'information était peut-être moins fluide. Pour autant, cette cellule a reçu 850 signalements l'année dernière. Si elle n'est pas encore aussi performante qu'on le souhaiterait, elle est active et elle commence à être connue. La direction des sports est consciente de la nécessité de mieux communiquer sur cette possibilité de signalement et sur la protection accordée à ceux qui les font, je pense que Fabienne Bourdais vous l'a dit. Nous devons néanmoins encore tenir compte d'une forme d'autocensure, de crainte, notamment chez les très jeunes sportifs, qui, en raison du lien très fort qu'ils entretiennent avec leur entraîneur, peuvent ne pas oser signaler des comportements anormaux. C'est une nouvelle culture que nous devons mettre en place, dans chaque club, au plus près des très jeunes sportifs, et leur apporter des réponses.

Sur votre seconde question, je ne viens pas du monde du sport, et j'ai été frappée, quand j'ai pris mes fonctions en 2019, par l'entre-soi d'un milieu relativement restreint, où la crainte d'une forme d'omerta peut être tout à fait justifiée. La volonté de sortir de cet entre-soi est à l'origine même de la création de l'IGÉSR et nous conduit à envoyer systématiquement des équipes mixtes en mission, des équipes qui sont composées d'anciens cadres du monde sportif, mais aussi du monde éducatif et du monde universitaire. Ces derniers portent un regard pas nécessairement différent, mais avec une culture différente sur les situations auxquelles ils sont confrontés. Sur une fédération très connue, au sein de laquelle nous avons ainsi envoyé une équipe mixte, l'inspecteur général qui n'appartenait pas au monde sportif, a été très frappé que les autres inspecteurs puissent s'adresser au président de la fédération en l'appelant « Président » alors qu'il était lui-même attentif à l'appeler « Monsieur ». Cette différence n'avait pas d'impact sur la mission, les inspecteurs venant du monde sportif avaient la même impartialité, la même objectivité que lui mais ce décalage montre cette volonté de sortir de l'entre-soi. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles l'Inspection générale est saisie, afin de dépayser le dossier et d'éloigner le contrôleur du monde sportif. Néanmoins, je crois qu'il faut combattre cette idée. Les cadres administratifs et sportifs bénéficient désormais d'une véritable formation dispensée au niveau départemental et régional, qui permet de créer cette distance et d'évacuer ce risque ou cette suspicion de partialité ou de subjectivité dans le traitement des cas.

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Depuis le début de nos auditions, nous entendons parler du contrôle d'honorabilité et nous avons beaucoup de mal à comprendre comment il fonctionne. Pouvez-vous nous l'expliquer ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

C'est une disposition introduite par la loi, qui prévoit que tout éducateur sportif exerçant à titre professionnel, c'est-à-dire dans une fonction rémunérée, et tout bénévole encadrant une activité, y compris les juges et les arbitres, que ce soit en club ou dans le cadre de championnats fédéraux, départementaux, régionaux ou nationaux, est soumis à une obligation de déclaration auprès du préfet de département. La loi prévoit que ces informations soient normalement transférées aux fédérations, à l'aide d'une plateforme, pour que celles-ci puissent confirmer que les encadrants sont bien licenciés au sein des fédérations. Parallèlement, ce fichier fait l'objet d'un double contrôle, d'une part du fichier des casiers judiciaires B2, qui comprend les infractions les plus graves, d'autre part du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Ce contrôle réalisé par un agent habilité des services départementaux permet d'identifier des encadrants qui ont fait l'objet d'une mesure pénale ou, depuis peu dans le cadre du Fijais, d'une enquête ouverte par le parquet. Cette identification enclenche une enquête administrative diligentée par le préfet de département, qui demande à l'inspecteur d'académie, directeur des services de l'éducation nationale au niveau départemental, de procéder, selon des modalités fixées par voie réglementaire, à l'audition des éventuelles victimes, si elles sont identifiables, et du potentiel coupable. Elle conduit à une décision administrative d'interdiction d'exercer, qui était autrefois une mesure uniquement prévue pour les encadrants à titre professionnel et qui a été étendue aux bénévoles, aux juges et aux arbitres. Cette mesure, prononcée par le préfet, est prise soit en urgence si les faits l'exigent, soit après avis du Conseil départemental de la jeunesse, des sports et de la vie associative (CDJSVA). Elle doit être accompagnée d'une suspension ou du retrait de la licence par la fédération. Il existe donc un lien entre les mesures pénales, les mesures administratives prises par les préfets de départements et les mesures disciplinaires prises par les fédérations. Il faut conforter la mise en œuvre systématique de ce lien puisqu'elle est prévue par la loi.

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Le déclenchement d'une enquête bloque-t-il le recrutement ou la personne est-elle en activité au sein du club dans l'attente des résultats de l'enquête ? Par ailleurs, vous avez utilisé le terme « normalement ». La procédure est-elle correctement appliquée aujourd'hui ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Le dispositif a connu une montée en puissance très nette depuis le début de l'année 2022. Je pense que la directrice des sports pourrait vous en parler mieux que nous mais en un an et demi, la situation a considérablement changé. L'Inspection générale reprend toutes les affaires remontées par la cellule Signal-sports pour examiner les conditions dans lesquelles elles ont été traitées, dans le cadre d'un contrôle de deuxième niveau. Depuis un an et demi, je constate une réelle différence. Nous ne rencontrons plus les difficultés auxquelles nous étions confrontés en 2020 et en 2021, notamment sur le lien entre la remontée d'information par le canal des services jeunesse et sport et le traitement de ces informations par la fédération concernée. Aujourd'hui, le lien fonctionne.

Je ne peux néanmoins pas garantir que l'identité d'un bénévole qui arrive dans un club, qui dispose des compétences nécessaires, par exemple un diplôme fédéral, pour s'impliquer dans une fonction d'encadrement, est immédiatement transmise au niveau fédéral pour faire l'objet d'un contrôle Fijais par le département. La presse se fait parfois l'écho de personnes qui ont été intégrées aux équipes d'encadrement dans un club et pour lesquelles le contrôle Fijais / B2 est intervenu plusieurs semaines après leur arrivée. Il faudrait comprendre pourquoi les vérifications n'ont pas été effectuées plus tôt. Dans les contrôles que nous avons opérés au cours des deux dernières années, nous n'avons pas été confrontés à des situations de ce type mais elles peuvent potentiellement arriver. Je pense que la loi doit prévoir les moyens de s'assurer de l'automaticité du contrôle à l'entrée en fonction, contrôle qui devrait être une condition.

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Je comprends que le contrôle à l'entrée n'est aujourd'hui pas automatique.

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Normalement, dès qu'un cadre intervient dans un club, il prend ou renouvelle une licence qui est délivrée par la fédération. Celle-ci remonte par le canal fédéral et déclenche automatiquement un contrôle Fijais / B2 par les services départementaux.

Il se peut néanmoins que certaines fédérations délivrent des licences postérieurement à la prise de fonction d'un encadrant. Il appartient aux fédérations de faire preuve de la plus grande vigilance pour qu'aucun bénévole, quelles que soient sa passion et son envie, n'intervienne dans un club tant que le processus de contrôle n'a pas été mené à son terme.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

Le processus est automatique mais il n'est pas toujours enclenché avant l'entrée en fonction. Je rappelle qu'aucun rapport récent de l'Inspection générale n'a relevé ce type de problème.

La présidence de la séance est assurée par M. Stéphane Buchou, vice-président de la commission d'enquête, à partir de dix-sept heures cinquante-cinq.

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Nous avons pu consulter différents rapports de contrôle, à commencer par celui portant sur la fédération des sports de glace publié en juin 2023. Vous décrivez une fédération qui s'affranchit historiquement des orientations ministérielles pourtant prioritaires. Le rapport indique que cette fédération a pris des engagements sur plusieurs volets et qu'ils n'ont pas forcément été respectés. Comment cela est-il possible ? Par ailleurs, j'observe qu'une fédération qui ne respecte pas ses engagements n'est pas sanctionnée par l'État.

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Si une fédération bénéficie d'une subvention dédiée à l'achat d'un équipement et à la mise en œuvre d'un projet territorial, il faut une opération de contrôle pour se rendre compte que l'équipement n'a pas été acheté ou que le projet n'a pas été mis en œuvre. Cette opération de contrôle a eu lieu. Elle s'est traduite par deux signalements, le premier à la direction des sports, pour qu'elle examine, en liaison avec l'agence nationale du sport, les suites à donner s'agissant de la subvention, puisque, comme vous le savez une subvention peut être annulée, le deuxième au parquet national financier au titre de l'article 40.

Vous nous demandez comment une telle situation peut arriver. Je suis dans l'incapacité de répondre précisément à cette question, elle tient sans doute à la vision que certains dirigeants de fédérations sportives se font de la subvention publique. Ils sont heureusement très peu nombreux mais certains oublient qu'une subvention publique est assortie d'engagements et d'obligations.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

C'est tout l'objet des contrôles réguliers. La direction des sports attribue des subventions pour des projets et attend qu'ils soient mis en œuvre et que les engagements des fédérations soient tenus. Ce sont les contrôles qui permettent de mettre au jour les dysfonctionnements et c'est ce qui s'est passé au mois de juin. Nous avons mené une mission de revue permanente de la fédération des sports de glace qui avait fait l'objet auparavant d'une enquête sur des faits de violences sexuelles et sexistes. C'est ce contrôle qui a permis de mettre au jour que la fédération n'avait pas tenu son engagement et a conduit aux signalements mentionnés par Patrick Lavaure.

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

J'ajoute que c'est son caractère délibéré et volontaire qui fonde le caractère délictuel de la faute commise par la fédération des sports de glace. Une fédération ou un club peuvent ne pas réussir à mettre en œuvre un projet pour lequel ils ont reçu une subvention. Ils doivent alors se tourner vers l'autorité publique qui l'a délivrée pour s'en expliquer. Il est aussi possible que des projets fédéraux n'atteignent pas les objectifs fixés au moment du versement d'une subvention.

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Vous avez publié un rapport sur la fédération des sports de glace en juillet 2020 sur des faits de violence sexuelle. Vous décrivez des problématiques récurrentes de violences, d'agressions sexuelles et d'alcoolisme et un fonctionnement fédéral controversé marqué par une concentration des pouvoirs. Trois ans après, la situation a-t-elle évolué dans cette fédération ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Je peux attester que la situation a franchement évolué. Nous avons peu l'occasion à l'Inspection générale, dans le cadre de notre droit de suite, de valoriser le travail réalisé dans le cadre de nos missions de contrôle. Nous sommes satisfaits du travail que nous avons accompli. Nous le devons principalement aux dirigeants de cette fédération qui ont considérablement transformé leur approche de ces sujets. Il reste encore beaucoup de travail, rien n'est acquis dans ce domaine.

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C'est peut-être la première bonne nouvelle depuis que cette commission d'enquête a commencé ses auditions. Il est donc possible, quand tous les acteurs se mobilisent, de faire bouger les choses dans certaines disciplines.

Dans un rapport de contrôle de la fédération française de tennis (FFT) publié en février 2022, vous constatez que l'attribution, l'achat et la revente de billets du tournoi de Roland Garros donnent lieu à des soupçons et à des contentieux récurrents depuis de nombreuses années. Face à ce constat, si vous reconnaissez que la FFT a pris certaines mesures, vous estimez qu'elle n'a pas adopté des règles claires et incontestables, notamment au niveau du siège, des ligues et des comités. Pouvez-vous développer ce constat ? Les éditions 2022 et 2023 du tournoi ont-elles donné lieu à des changements ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Il existait auparavant un système qu'il serait intéressant que le président de la fédération vous présente. C'était un système de rétribution des instances déconcentrées de la fédération, ligues, comités départementaux, leur attribuant, dans le cadre de leurs relations institutionnelles avec leurs partenaires, un volant de places pour le tournoi de Roland Garros. Dans chaque instance, le président et le comité directeur disposaient d'un volume très significatif de places.

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Qu'entendez-vous par volume significatif ? Pouvez-vous nous donner un chiffre ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Plusieurs centaines de places étaient mises à la disposition des instances déconcentrées de la fédération pour que les enfants des écoles de tennis, les présidents de club, les élus locaux, les partenaires institutionnels et les entreprises locales qui aidaient les clubs puissent être invités à Roland Garros. Ce système a été arrêté. Aujourd'hui, les droits commerciaux de ce grand événement sportif ont été revisités et recadrés sur le plan juridique. Ce sont désormais les principaux sponsors du tournoi qui disposent de ces places et qui en font bénéficier leurs salariés et leurs partenaires. La fédération dispose toujours de places, dans des proportions bien moins importantes, pour inviter ses présidents de clubs, de ligues ou de comités départementaux. Fort heureusement car ce sont des bénévoles qui sont pleinement engagés pour faire vivre les clubs et il est normal qu'ils puissent assister à quelques matches de ce grand événement. Le règlement fédéral prévoit que ces places doivent être utilisées à des fins fédérales, de manière transparente et éthique. Par conséquent, un président peut inviter des partenaires, en toute transparence, dans des proportions raisonnables et ne peut en aucun cas revendre des places. La fédération et les ligues régionales sont très attentives au principe de non-revente des places dédiées au cadre fédéral. La presse s'est fait l'écho de situations qui ont pu concerner certaines ligues régionales il y a quelques années, au moment où le nouveau président de la fédération, Gilles Moretton, prenait ses fonctions.

Nous avons donc observé au cours de notre inspection qu'il existait désormais un dispositif totalement transparent dans le règlement fédéral. Quand nous avons restitué notre rapport au président Moretton, nous avons insisté pour que la fédération se donne les moyens de contrôler l'utilisation des quarante à cinquante billets, ce qui est très peu, mis chaque année à la disposition des ligues régionale, conformément à son règlement. Indépendamment de l'affaire évoquée dans la presse, les dirigeants de la fédération sont très attentifs à l'application du règlement fédéral. Enfin, j'ajoute qu'aucune poursuite n'a été engagée à la suite de ces révélations.

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Près de la moitié des recommandations de votre rapport de contrôle du pilotage de la fédération française de football (FFF) publié en février 2023 ont trait à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ces violences représentent-elles un vrai fléau au sein de cette fédération ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

La fédération française de football est l'une des premières fédérations à avoir mis en place, avant 2020, c'est le syndrome du cyclisme et du dopage, un dispositif de remontée d'information sur les violences sexistes et sexuelles. Mais ce n'est pas forcément ceux qui anticipent qui s'en sortent le mieux. Tout d'abord parce que la FFF est la première fédération en termes de licences, avec deux millions de pratiquants, qui sont plus difficiles à contrôler que dans une fédération regroupant 60 000 licenciés. Il est plus difficile de faire remonter les informations, le contrôle de conformité est plus complexe à réaliser. Nous avons relevé au centre national de Clairefontaine, dans certaines ligues régionales et dans le milieu de l'arbitrage de graves faits de violences à caractère sexiste et sexuel, qui ont fait l'objet d'articles de presse et, pour la plupart, de poursuites judiciaires. Les cas que nous avons identifiés ont été remontés par Signal-sports ou ont fait l'objet d'articles de presse. Nous avons auditionné les victimes systématiquement et nous espérons que ce sont les seuls cas au sein de cette fédération.

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L'expression que vous employez, « nous espérons », peut nous laisser penser que ce ne sont pas les seuls.

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Il y a toujours un risque que des violences à caractère sexiste et sexuel soient commises. C'est aussi le cas dans notre société, indépendamment de ce qui peut se passer dans le milieu du football.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

L'enquête menée par l'Inspection générale sur cette fédération a permis de confirmer un certain nombre de signalements remontés par la cellule Signal-sports ou évoqués publiquement dans les médias. Nous avons pu faire toute la lumière sur certains de ces cas et le signalement au procureur comme le prévoit l'article 40 a vocation à couvrir l'ensemble des sujets que nous avons remontés. Pour autant, cette enquête est limitée dans le temps, ce qui ne permet sans doute pas de voir tout ce qui aurait pu être découvert. Je ne dis pas que nous renonçons à traiter certains sujets mais que l'enquête judiciaire, plus longue et plus complète, qui dispose de pouvoirs de police que nous n'avons pas, permet de creuser et peut-être de découvrir des éléments qui n'étaient pas remontés jusqu'à nous. Je pense que Patrick Lavaure veut dire que, quand nous terminons une enquête, nous espérons toujours avoir été exhaustifs, mais nous savons aussi que l'enquête judiciaire peut découvrir des éléments que l'enquête administrative n'a pas eu le temps de voir.

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Ma dernière question est liée à ce que nous avons entendu tout au long de la journée. Pensez-vous, au regard des enquêtes que vous avez menées, qu'il existe une omerta sur ces sujets au sein de cette fédération ? En effet, au fil de nos auditions, nous avons l'impression que si certains cas ont été identifiés, on « noie un peu le poisson » et on reporte la faute sur le ministère ou au sein même de la fédération, alors qu'on a connaissance de cas graves et qu'on n'agit pas.

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Lors des auditions que la mission a conduites, nous avons identifié des victimes qui n'avaient jamais parlé. Elles ont été informées de l'existence de cette mission et ont décidé de contacter les inspecteurs et les inspectrices et de témoigner. La mission les a conseillées sur les suites à donner à titre personnel. C'est un élément de satisfaction, si vous permettez que j'emploie ce terme dans un contexte si sensible.

Nous ne sommes jamais sûrs de la portée d'un rapport d'inspection générale mais ici, nous sommes certains que la mission a permis à certaines victimes de se manifester. Je ne sais pas s'il existe une forme d'omerta. Je suis incapable de répondre à cette question car une mission ce sont des investigations, sur des pièces, des contrôles sur place, des auditions de victimes, des vérifications, des croisements d'informations, puis la rédaction d'un rapport contradictoire. Notre travail s'arrête au moment où notre rapport définitif est remis à la ministre. Depuis trois ans, j'ai le sentiment que chaque fois que nous achevons une mission de ce type, qui est douloureuse et sensible pour tout le monde, y compris pour les dirigeants fédéraux, que les choses changent, les situations évoluent. Le regard porté au sein de la fédération sur ces événements change. Je ne peux absolument pas garantir qu'il change définitivement mais de profonds traumatismes sont gérés dans le cadre de ces missions et toutes les informations dont nous disposons sont transmises aux procureurs dans le cadre de l'article 40. Cette démarche marque les dirigeants et change leur attitude sur tous ces sujets.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

Je partage les propos de Patrick Lavaure. J'ajoute que le retour très fort que nous avons de ces enquêtes, quelles que soient les fédérations qui ont été concernées par des faits de cette nature, montre une réelle libération de la parole. Nous ne pouvons pas assurer qu'elle est complète pour toutes les raisons que nous avons évoquées. Patrick Lavaure vous a indiqué que des victimes avaient parlé pour la première fois, d'autres ont fini par parler au cours de leur audition. L'assurance qui est donnée par les inspecteurs généraux sur la protection accordée à leur témoignage est souvent un élément déclencheur. Par ailleurs, dans le cadre de ces missions, les inspecteurs généraux définissent un certain nombre d'auditions à mener et ouvrent la possibilité de témoignages spontanés. Dans un certain nombre de cas, ce sont ces témoignages spontanés qui ont apporté des éléments significatifs nouveaux qui n'avaient pas été relevés.

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Nous avons auditionné ce matin des associations qui accompagnent les enfants sur les questions de violences sexistes et sexuelles. L'une d'entre elles nous a alertés sur les auditions des mineurs qui sont contraints de répéter les situations auxquelles ils ont été confrontés. Une victime a ainsi dû répéter son histoire onze fois. C'est un problème que nous devrons prendre en compte et je pense que notre commission fera des recommandations sur ce point. Nous savons aussi, comme nous l'a confirmé une des associations que nous avons entendues, que répéter l'histoire ne serait-ce que deux fois modifie le témoignage. Ce n'est pour moi pas le rôle de l'enquête administrative de recueillir le premier témoignage de la victime, qu'elle soit mineure ou majeure.

Par ailleurs, j'ai lu dans un des rapports que vous nous avez communiqués que Signal-sports occupait trois personnes pour environ neuf cents cas signalés. Je pense qu'il est compliqué pour ces trois personnes de gérer autant de signalements et je m'interroge sur les moyens humains alloués à cette cellule.

Envisagez-vous de demander plus de moyens ?

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

Votre première remarque ne concerne pas que le sport. L'IGÉSR a été régulièrement amenée, j'en suis attristée, à traiter de cas de violences sexuelles et sexistes à l'école, dans les collèges, les lycées et à l'université. Le témoignage des mineurs est un sujet que les autorités judiciaires et administratives ont bien en tête. Des réflexions sur la manière de permettre à un mineur de ne pas répéter un témoignage sont en cours pour éviter le traumatisme que représente la prise de parole. Nous évoquions avec Patrick Lavaure des témoignages d'adultes et la première des prises de parole. Nous devons tous réfléchir, les propositions de la commission sur ce point seront précieuses sur la manière dont nous pouvons utiliser ces témoignages dans un autre cadre, de manière à éviter leur répétition, tout en restant dans la fiabilité de ces témoignages. Nous sommes toujours sur une ligne de crête, entre la nécessité de disposer du témoignage original et celle de ne pas faire répéter des mineurs sur des éléments traumatisants.

Sur votre seconde question, nous ne décidons pas des moyens qui sont alloués à la cellule Signal-sports. Trois personnes pour 900 cas peut en effet paraître très insuffisant mais elles assurent le tri des témoignages avant de les transmettre aux nombreux agents qui les traitent, en ouvrant des enquêtes ou en reprenant contact avec des signalants et les fédérations ou les clubs impliqués. C'est presque une gare de triage, si je puis me permettre.

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Quelle est la formation des personnes traitant les témoignages ?

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Elles suivent une formation spécifique. Par ailleurs, la direction des sports a diffusé des outils détaillant les conditions dans lesquelles les auditions doivent être conduites dans le cadre des enquêtes administratives et la manière de fiabiliser sur le plan juridique les modalités de rédaction des rapports d'enquête administrative. Tous les agents qui interviennent sur ces sujets ont bénéficié d'un important dispositif de formation depuis le début 2021, que ce soit dans les services départementaux, les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) ou au niveau central. L'Inspection générale a apporté sa contribution à ces formations en termes méthodologique et de procédures à travers son pôle contrôle et activités juridiques. Nous sommes nous-mêmes formés à conduire des auditions, à rédiger des comptes rendus d'auditions signés dès la fin de l'audition, à poser des questions dans un souci de protection des victimes, à ne pas interpréter les propos et à les rapporter tels qu'ils ont été exprimés, à ne pas faire preuve de subjectivité, etc.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

Tout cela est vrai dans le domaine du sport comme à l'université et dans l'éducation nationale. Nous disposons d'une méthodologie bien construite, puisque malheureusement les faits nous y ont obligés. Il y a des référents sur ces enquêtes administratives et notamment sur les questions de violences sexuelles et sexistes qui ont vocation à délivrer des formations dans toutes les académies. Aujourd'hui, les services départementaux de la jeunesse et des sports et les directions régionales font partie des agents des académies. À ma connaissance, plus de la moitié des académies ont reçu cette formation, y compris les agents des Drajes et des services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES). Pour autant, une formation ne suffit pas pour être pertinent et nous proposons une forme d'accompagnement aux enquêtes administratives dès que nous sommes saisis. Dès qu'un SDJES ou qu'une académie, dans son versant éducation nationale ou enseignement supérieur et recherche (ESR) sont saisis, nous vérifions qu'ils ont bénéficié de la formation et nous accompagnons les équipes afin d'avoir une forme de contrôle de conformité sur la manière dont l'enquête est menée. Cette méthode ne permet pas d'éviter toutes les difficultés pouvant survenir au cours des entretiens mais nous disposons d'un guide de l'entretien, nous animons des formations sur la conduite d'entretien.

Vous disiez que c'étaient peut-être les seules bonnes nouvelles de votre journée. C'est un sujet émergent depuis deux ou trois ans. Les ministères, les services déconcentrés, les fédérations et les clubs sont conscients de la situation et nous observons un changement de mentalités sur ces sujets. Vous avez évoqué la question de l'omerta mais je crois qu'aujourd'hui tous les acteurs sont très en alerte sur ces sujets et que la formation comme la culture sont en train de se mettre en place pour éviter les dérives que nos rapports ont mises en lumière sur des pratiques passées. Nous sommes néanmoins conscients que ce processus prend du temps et que nous avons tous, collectivement, à progresser sur ces sujets.

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Je me réjouis des propos que vous tenez et de la prise de conscience des différents acteurs. Nous espérons qu'elle évolue encore plus vite. Depuis de nombreuses années, beaucoup de rapports sur ces questions ont été publiés et nous notons une forme de lassitude chez certaines personnes, qui considèrent que la situation n'a pas assez évolué. C'est un point d'alerte important et le rapport s'attachera à trouver les bons outils et les bons leviers pour que cessent tous ces agissements. Pour le dire de manière brutale, il va falloir faire pas mal de ménage au sein des fédérations !

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Nous avons auditionné des personnes qui ont un autre point de vue en tant que sportives et parfois victimes. Nous avons entendu des personnes qui étaient presque désespérées, car la situation n'a pas vraiment évolué malgré la publication de nombreux rapports. Je m'interroge sur les sanctions. Des rapports ont évoqué des faits graves comme du racisme ou de la discrimination, mais aucune sanction n'a été prise. Le fait que les sanctions ne soient pas connues, même si elles sont prononcées, participe au maintien d'un sentiment d'impunité au sein des fédérations. Il me semble important de montrer que les actes répréhensibles sont sanctionnés pour dissuader d'autres personnes d'adopter les mêmes comportements. Quand j'entends que dans l'affaire dite des quotas, ce ne sont pas les propos qui ont été tenus qui posent un problème mais le fait qu'ils aient été enregistrés et publiés, je m'interroge. Quand j'entends que de tels propos sont régulièrement tenus, je m'interroge. Quand j'entends des sportifs nous expliquer que la situation ne s'est pas améliorée sur le racisme et les discriminations mais qu'elle s'est aggravée puisqu'elle a touché d'autres milieux comme les arbitres ou les joueurs eux-mêmes au-delà des gradins et des supporters, je m'interroge. Est-ce que c'est l'image du sport que nous voulons véhiculer ? Je pense qu'il faut repenser les sanctions. Enfin, nous parlons beaucoup des enquêtes qui sont menées à la suite de signalements mais je pense qu'il faut mener un travail de fond sur la prévention pour éviter que les actes soient commis. Quelles sont vos propositions sur la prévention ? Nous avons l'impression que les mécanismes qui mènent à des violences sexuelles ou sexistes ou à des faits de discrimination ou de racisme sont toujours les mêmes, quelles que soient les fédérations.

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Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)

La question que vous soulevez sur la connaissance des sanctions est un vrai sujet. J'ai demandé que l'Inspection générale s'en saisisse. Diffuser à ceux qui ont fait des signalements ou qui ont porté plainte la sanction infligée à celui qui a été mis en cause est une vraie question. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet avec les autres inspections générales pour envisager la possibilité de faire un retour aux victimes ou aux porteurs de signalement. Aujourd'hui, l'Inspection générale ne communique pas sur les suites données aux témoignages, ni publiquement, ni auprès des victimes. C'est pour moi un problème sur lequel je travaille avec mes équipes. Je serais favorable, sous réserve que la législation le permette, à ce que nous puissions faire un retour aux victimes qui se sont signalées ou que nous avons auditionnées.

Par ailleurs, depuis 2020, nous n'avons rien caché, nous n'avons jamais participé à un quelconque « pas de vague », nous n'avons jamais « mis la poussière sous le tapis » et mes félicitations s'adressent particulièrement au collège JSVA dont Patrick Lavaure est responsable. Depuis 2020, nous avons conduit toutes nos missions avec une totale liberté de nos ministres et nous avons dit exactement ce que nous avons vu et ce qui nous a été rapporté, ce qui a conduit à un certain nombre de signalements au titre de l'article 40. Le fait de montrer qu'un président n'est pas intouchable et que les travaux de l'Inspection générale ont été en mesure de caractériser un certain nombre de faits qui peuvent être ensuite qualifiés pénalement constitue un signal social important.

Enfin, il y a trois aspects, le retour aux victimes, sur lequel nous avons encore à travailler, l'effet modélisant de ne pas épargner des autorités reconnues dans leur milieu et bien évidemment la prévention, avec une information forte auprès des fédérations, notamment dans le cadre de la haute performance. L'enjeu est en effet tel pour le jeune sportif, qu'il y a une forme d'acceptation de pratiques, de propos ou de gestes qui ne sont pas tolérables même s'ils ne vont pas jusqu'à des actes pénalement répréhensibles. La prévention est assez présente dans la politique ministérielle et relève de la direction des sports. C'est pour nous le troisième volet de ce qui doit être mis en place pour faire véritablement évoluer la situation.

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Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA)

Nous espérons que dans chaque club, à chaque rentrée, les jeunes qui intègrent une discipline sportive pour la pratiquer avec passion reçoivent une formation sur ces sujets-là, par des cadres formés, en capacité de développer un discours cohérent, juste, qui leur disent qu'ils seront à leur écoute en cas de difficulté et qu'ils sauront y donner les suites appropriées. De nombreuses fédérations sportives, dans le cadre de leur contrat d'objectifs avec le ministère, ont pris l'engagement et ont mobilisé des ressources internes ou demandé des subventions pour agir en ce sens. Vous avez auditionné des associations qui ont développé des dispositifs de prévention et de formation qui sont à la disposition des fédérations et de leurs clubs. Il faut renforcer les efforts de tous les acteurs pour que tous les jeunes soient sensibilisés sur ces sujets.

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Nous vous remercions pour votre disponibilité et pour les réponses que vous nous avez apportées.

La séance s'achève à dix-huit heures quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Pascale Martin, Mme Sophie Mette, M. François Piquemal, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi