Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du jeudi 25 janvier 2024 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures cinq.

(Présidence de Mme Isabelle Rauch, présidente)

Dans le cadre d'un cycle d'auditions en lien avec les États généraux de l'information la commission auditionne, au cours d'une table ronde sur la perception des Français à l'égard des médias et de l'information, M. Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), M. Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive France, et Mme Laure Salvaing, directrice générale des études de Verian.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une table ronde sur la perception des Français à l'égard des médias et de l'information, dans le contexte de la tenue des États généraux de l'information.

Je souhaite la bienvenue, en votre nom à tous, à M. Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (Cevipof), M. Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive France, et Mme Laure Salvaing, directrice générale des études de l'agence Verian France. M. Cautrès participe à nos débats en visioconférence depuis le Brésil où il assure des enseignements au sein de l'Université de São Paulo.

Je vous remercie tous les trois de vous être rendus disponibles pour échanger avec les membres de la commission sur une problématique à laquelle les pouvoirs publics cherchent des réponses depuis de nombreuses années : la défiance des Français à l'égard des médias. Ce phénomène, déjà ancien, semble s'amplifier. En février 2023, le baromètre de la confiance politique du Cevipof montrait que seuls 28 % des Français avaient extrêmement confiance ou plutôt confiance dans les médias, contre 69 % n'ayant plutôt pas confiance ou pas du tout confiance en eux.

Le journal La Croix et l'agence Verian, dans le trente-septième baromètre sur la confiance des Français dans les médias, parviennent à des conclusions similaires : 54 % des Français pensent que « la plupart du temps, il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité », contre 37 % qui estiment au contraire que l'on peut en général leur faire confiance.

Les doutes sur l'impartialité et l'indépendance des journalistes constituent l'une des premières causes de cette défiance à laquelle la loi du 24 novembre 2016, dite « loi Bloche » a souhaité apporter des réponses, notamment en instaurant une obligation pour les entreprises de presse d'adopter une charte déontologique ou en créant des comités d'éthique au sein des services de radio ou de télévision. Mon collègue Inaki Echaniz et moi-même, rapporteurs d'une mission d'évaluation de la loi Bloche, avons constaté au cours de nos travaux que ces deux obligations étaient peu connues, notamment du grand public.

Comment analysez-vous l'évolution de la confiance des Français dans les médias ? Outre le déficit supposé d'indépendance et d'impartialité des journalistes, quels sont les ressorts de la défiance ? Je formule une hypothèse, que vous confirmerez ou infirmerez : n'observe-t-on pas un repli des Français sur un nombre restreint de médias, qui conforte le lectorat dans ses convictions ? Ce phénomène n'alimente-t-il pas la défiance à l'encontre des « mauvais médias », c'est-à-dire ceux qui ne partagent pas vos convictions et qui, de ce fait, seraient forcément biaisés ? En effet, selon le baromètre 2023 de la confiance des Français dans les médias, seulement 50 % d'entre eux déclarent se faire leur opinion sur un sujet d'actualité en confrontant ce qu'en disent plusieurs médias. Comment inciter les Français à des comportements plus pluralistes ? Que nous apprennent les comparaisons avec les pays de l'Union européenne ?

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Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (Cevipof)

Il faut évidemment situer la question de la confiance dans les médias dans le contexte plus général de la confiance envers les acteurs du politique. Nos enquêtes, comme celles produites par d'autres chercheurs ou instituts de sondage, montrent que les acteurs de l'espace public – personnels politiques, médias – sont ceux qui bénéficient des taux de confiance les moins élevés. Il faut cependant rappeler qu'au cours des quinze années d'existence du baromètre de la confiance politique du Cevipof, nous avons déjà connu des taux de confiance dans les médias plus faibles que les 28 % que vous avez cités précédemment.

Comment expliquer cette défiance ? La confiance est un mécanisme qui repose sur un « pari » envers les autres, l'idée que l'on sera payé en retour de cette confiance. À cet égard, les médias présentent une particularité : il leur est difficile de « renvoyer la balle » et de montrer que le lien sera réciproque. Cet élément fait écho à l'enjeu plus général de la pluralité en démocratie, mais aussi à celui du caractère vérifié d'une information et à la capacité des médias à reconnaître qu'ils se sont trompés.

L'autre question fondamentale a trait à l'éducation aux médias. Il ne faut pas noircir le tableau : notre système scolaire et les acteurs de la société civile œuvrent ici dans le même sens pour éduquer les citoyens à être de bons décodeurs de l'information, en mesure de mettre en perspective et de comparer les informations, au même titre que le font les journalistes. De fait, de nouveaux métiers sont apparus dans l'espace médiatique, comme les fact checkers ou le journalisme fondé sur l'analyse empirique des données.

Bien évidemment, en tant que chercheur et enseignant universitaire, je ne dirai jamais que l'on perd du temps en éduquant et en formant. Même si cela est compliqué et long, même si les résultats ne sont pas instantanément perceptibles, nous savons que nous avançons dans la bonne direction. Une grande station de radio publique nationale déploie ainsi un slogan que je trouve particulièrement pertinent quand elle dit à propos d'elle-même : « Pas juste l'info, l'info juste ».

La question du pluralisme total dans les médias est également essentielle. À cet égard, le public peut éprouver le sentiment que les invités des plateaux sont toujours les mêmes et qu'ils sont sollicités pour discuter toujours des mêmes sujets. De ce point de vue, il demeure sans doute beaucoup à accomplir en matière de formation de l'agenda médiatique. Beaucoup ont ainsi le sentiment que l'on parle toujours de la même chose et que de nombreux problèmes sont laissés de côté. Par exemple, des sujets aussi essentiels que la grande exclusion sociale ou la pauvreté ne sont pratiquement jamais traités.

Les commentateurs de l'actualité politique sont aussi fréquemment frappés par un syndrome de Cassandre, qui les conduit à privilégier les drames ou les trains qui n'arrivent pas à l'heure, oubliant que de nombreuses choses fonctionnent. Ces phénomènes entraînent parfois une forme de lassitude chez les citoyens, qui ont l'impression que les mêmes sujets sont toujours évoqués par les mêmes personnes.

J'imagine que vos réflexions porteront notamment sur la manière d'accentuer le pluralisme, y compris à l'intérieur de chaînes « de niche ». Les propositions qui consistent à s'adresser à des publics très segmentés sont légitimes, mais la question du pluralisme au sein de ces segments devient malgré tout très importante.

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Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive France

Il m'apparaît également essentiel de nous demander si nous sommes aujourd'hui confrontés à un enjeu qui touche uniquement l'univers médiatique ou s'il concerne plutôt l'ensemble des acteurs qui prennent la parole dans l'espace public. Au regard des différentes enquêtes que nous réalisons, nous constatons que ce deuxième aspect est très prégnant. Cette défiance semble ainsi porter sur les acteurs qui interviennent dans l'espace public, soit qu'ils n'apparaissent pas sincères, soit parce que sous la justification d'une forme d'expertise, ils font valoir des opinions qui leur sont propres, soit encore parce qu'il pourrait exister des intérêts cachés dans le cadre de cette prise de parole. Dans nos enquêtes, qu'elles soient publiques ou confidentielles, nous observons que ce doute existe.

Dans le cadre des États généraux de l'information, nous avons conduit une étude qui met en avant un certain nombre d'aspects. En premier lieu, il existe encore un intérêt manifeste pour l'information. Nous le remarquons d'autant plus que chaque semaine, nous interrogeons de manière spontanée des Français sur les sujets qui les ont marqués. À chaque fois, nous sommes surpris par la richesse de la restitution qui peut en être faite par nos compatriotes. Cet intérêt ne porte pas forcément sur la rubrique des « chats écrasés » ou des faits divers, mais peut s'exercer sur de grands sujets internationaux, avec parfois une forme de décorrélation entre ce qui a marqué nos concitoyens dans l'actualité et la manière dont l'information est hiérarchisée, s'agissant en tout cas des grands médias traditionnels installés au niveau national.

Je le dis assez souvent : il est faux d'affirmer que les sujets internationaux n'intéressent pas nos compatriotes. Simplement, ils les intéressent d'une manière différente de celle des années 1970 ou 1980. Les événements qui se sont déroulés ou se déroulent en Syrie, en Israël, en Ukraine ou au Yémen constituent des sujets qui ressortent spontanément quand nous interrogeons nos compatriotes, alors même qu'ils ne sont pas toujours considérés comme étant des thèmes qui vont susciter de l'audience ou de l'intérêt par un certain nombre de directions éditoriales dans les grandes chaînes de télévision et de radio.

Il existe par ailleurs une forme d'interrogation qui, là aussi, ne touche pas uniquement l'univers du journalisme. Elle porte sur l'indépendance et la liberté des médias privés, mais également publics. Lors de cette même étude, nous avons été frappés de constater l'existence d'un léger « surplus » de confiance à l'égard des médias publics par rapport aux médias privés, qui demeure cependant limité à cinq à six points d'écart.

Nous observons donc un intérêt pour l'information, un doute concernant l'indépendance de la presse et la liberté des journalistes, mais également une difficulté à pouvoir se montrer confiant dans la véracité de l'information. Par exemple, 60 % des Français déclarent qu'il leur arrive assez fréquemment de rencontrer des difficultés pour savoir si les informations diffusées dans les médias sont vraies ou fausses. Cette interrogation sur l'émetteur en tant que tel, sur l'indépendance et la véracité des informations peuvent se traduire de différentes façons. De manière sous-jacente, le doute renvoie à une course à l'audience qui entraînerait la mise en avant de dimensions qui, sans être tronquées, se concentreraient uniquement sur des aspects spectaculaires.

Le troisième type d'interrogations porte sur la confrontation entre un « ancien monde », celui des médias traditionnels télévisuels et radiophoniques, et un « nouveau monde », les réseaux sociaux et l'environnement numérique.

Près de dix millions de Français regardent le journal télévisé (JT) de 20 heures des deux plus grandes chaînes. Si celui-ci est plus particulièrement suivi par les plus âgés, il demeure le plus grand prescripteur ou « influenceur ». Même si les jeunes générations recourent plus massivement aux « nouveaux médias » que sont internet et les différents réseaux sociaux, elles ne leur accordent pas une confiance qui viendrait supplanter l'information émise par les grands médias traditionnels.

Dans une société parfois un peu défaitiste qui peut être traversée par l'idée que « c'était mieux avant », plus d'un Français sur deux estime que les informations apparaissent aujourd'hui moins fiables que par le passé. La question de la multiplication des médias joue également un rôle : la confiance dans une information s'accroît lorsque celle-ci est présente sur différents médias, qu'elle n'est pas produite par un seul émetteur. Cette confiance progresse également dès lors que l'information apparaît comme neutre, qu'elle est évoquée par des sources officielles et qu'elle est corroborée par des données et par des expertises scientifiques. Cependant, il ne s'agit pas non plus d'une évidence absolue : un doute peut parfois demeurer à l'égard de la parole scientifique à proprement parler.

Enfin, s'il peut exister une défiance à l'égard des émetteurs, nous avons paradoxalement observé une confiance vis-à-vis des journalistes. Nous interprétons cet élément de la manière suivante : les Français estiment que les journalistes font individuellement preuve de bonne volonté, mais que les systèmes dans lesquels ils sont aujourd'hui engagés les empêchent de pouvoir mener globalement à bien leur mission.

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Laure Salvaing, directrice générale des études de Verian

Je dirige l'institut de sondage Verian, qui correspond à l'ancien Kantar Public. En 2023, nous avons effectivement réalisé le trente-septième baromètre annuel de la confiance des médias pour le journal La Croix. Je suis frappée de constater que le rapport aux médias n'a en réalité guère changé lors des vingt à trente dernières années. En effet, la défiance à l'égard des médias en tant qu'institution existait déjà dans les années 1990.

Je suis également assez positive sur l'état de la société française en matière d'actualité et d'information. Lors de notre dernier baromètre et contrairement à ce que l'on peut entendre sur leur désaffection supposée quant au collectif, 75 % des Français ont indiqué suivre avec un grand intérêt l'actualité qui se déroule aujourd'hui en France. Nous le remarquons notamment en matière d'actualité politique : habituellement, après une période d'élections, l'intérêt pour l'actualité politique diminue. Or nous observons plutôt un maintien de cet intérêt depuis un an.

En outre, nous sommes tous d'accord pour souligner le rapport très paradoxal que les Français entretiennent avec les médias. En France, les avis sur les institutions sont régulièrement plus négatifs que dans les autres pays du continent, comme nous l'observons dans le cadre de nos eurobaromètres. Différentes raisons y concourent, mais nous savons que les attentes des Français envers leurs élus, l'État, mais aussi les grandes institutions qui représentent la France – dont les médias – sont élevées. La défiance existe bel et bien : 57 % des Français se méfient aujourd'hui de ce que disent les médias. On parle à ce titre de « fatigue informationnelle », que la moitié des Français nous disent avoir déjà ressentie.

Ainsi que Bruno Cautrès l'a indiqué, nos compatriotes déplorent la redondance des sujets traités – en 2023, par exemple, la mort de Nahel et le conflit en Ukraine –, mais regrettent que trois autres thèmes n'aient pas fait l'objet d'une plus grande couverture médiatique : les violences faites aux femmes, les difficultés rencontrées dans les services publics et la fin de vie, trois sujets qui touchent à leur quotidien. Cette redondance perçue peut ainsi conduire à une défiance ou une certaine mise à distance de l'actualité.

Le deuxième point évoqué par les Français concerne le traitement des sujets, jugé souvent trop négatif. Ils nous disent se sentir passifs et impuissants face à cette information marquée par la violence et l'éloignement, ce qui les incite à prendre leurs distances à l'égard d'une actualité dont le traitement est éloigné de leur vie quotidienne. En matière d'environnement et d'écologie par exemple, ils souhaiteraient entendre davantage de conseils pour pouvoir agir concrètement. En ce sens, redonner de la confiance aux citoyens dans leurs médias passerait par leur redonner une capacité d'agir.

Comme cela a été déjà indiqué, le journal de 20 heures demeure le moyen d'information privilégié des Français, devant internet et les réseaux sociaux, la presse et la radio. Il faut également noter que la confiance dans les informations fournies diffère selon les médias. Les Français font majoritairement confiance aux JT et à la presse quotidienne régionale (PQR), alors que, par ailleurs, ils expriment de la défiance envers les médias en tant qu'institution. À ce titre, un parallèle intéressant peut être dressé avec la perception du personnel politique par les Français : s'ils sont relativement critiques à l'égard des hommes et des femmes politiques en général, les scores remontent très notoirement quand il s'agit de l'image de leur député dans leur circonscription.

Enfin, il faut mentionner les réseaux sociaux, qui ont été étudiés spécifiquement cette année dans notre baromètre. Souvent décriés, ils demeurent cependant très utilisés par les jeunes, tout en obtenant un niveau de confiance beaucoup moins important que les autres médias comme la télévision, la presse et la radio. Ces jeunes se différencient sur plusieurs points : ils considèrent d'abord que les réseaux sociaux leur permettent d'accéder à une information et, surtout, de s'intégrer à une actualité à laquelle ils ne s'intéressaient pas forcément. Ensuite, quand le reste de la population estime que les informations sont plutôt trop redondantes et qu'elles véhiculent parfois de fausses informations, les jeunes en font beaucoup moins état. En outre, si la population générale souhaiterait davantage de régulation et de contrôle sur ces mêmes réseaux sociaux, les jeunes y sont beaucoup moins favorables.

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Monsieur Cautrès, je sais que vous allez devoir nous quitter rapidement. Souhaitez-vous ajouter quelques mots avant que je ne passe la parole à mes collègues députés ?

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Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (Cevipof)

Le niveau de confiance dans les réseaux sociaux est effectivement inférieur de dix points à celui de l'ensemble des médias. Le caractère anxiogène des informations a également été mentionné avec justesse : les Français peuvent avoir le sentiment d'être confrontés à une avalanche permanente de mauvaises nouvelles, diffusées en boucle pendant des heures.

En outre, je souscris aux propos concernant le rapport paradoxal des Français à leurs médias, car ils s'intéressent malgré tout à l'actualité, à l'information politique, à la chose publique, ce qui constitue en soi une bonne nouvelle. Je partage également ce qui a été évoqué sur les ressorts extrêmement positifs et intéressants d'une appétence civique chez les Français. Pour autant, les acteurs de l'espace public demeurent perçus de manière négative.

Il convient de conserver tout de même cette idée d'une éducation au pluralisme et de rappeler la nécessité pour nos concitoyens de multiplier et vérifier les sources, de comparer les chaînes. À ce titre, un même effort doit être entrepris par les acteurs du débat public, dont la représentation nationale, pour miser à long terme sur une éducation à la citoyenneté pluraliste et tolérante.

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Je tiens tout d'abord à saluer le travail de mes collègues Violette Spillebout, Jérémie Patrier-Leitus et Laurent Esquenet-Goxes, à l'initiative du groupe de travail « médias et information – majorité présidentielle ». Vingt-cinq députés prennent ainsi part aux États généraux de l'information qui ont été lancés le 3 octobre dernier et ont pour objectif de poser les bases d'un modèle d'espace médiatique et numérique pour les futures générations, en y associant des professionnels, des chercheurs et des citoyens. Je salue cette initiative, car il ne s'agit pas seulement de protéger le droit à l'information, mais également de le promouvoir dans un cadre mouvant, en proie à de profondes mutations, qui concernent l'intelligence artificielle (IA), l'indépendance des rédactions, le financement de l'audiovisuel public et la concentration des médias.

Ces États généraux se dérouleront jusqu'à l'été 2024. Son président, Bruno Lasserre, a annoncé que des propositions seront transmises à la représentation nationale en juin prochain. Dans l'attente de ces dernières, je vous remercie de votre présence aujourd'hui. La perception qu'ont les Français de l'information et de leurs médias constitue un sujet crucial pour comprendre les différentes pratiques en matière d'information, mais aussi leur intérêt pour l'actualité, la fatigue informationnelle qu'ils peuvent ressentir, leur utilisation des médias ou encore leur méfiance envers ces derniers. En effet, selon le baromètre sur la confiance des Français dans les médias réalisé chaque année par Verian pour La Croix, 54 % des Français estiment qu'il faut généralement se méfier des médias sur les grands sujets d'actualité.

Comment pouvons-nous, en tant que représentants politiques et acteurs médiatiques, répondre efficacement à la défiance croissante des citoyens français envers les médias ? Quelles actions concrètes pourrions-nous mettre en œuvre pour restaurer la confiance dans l'information ?

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Lorsque l'on s'intéresse à la perception des Français à l'égard des médias, de l'information et des journalistes, on s'aperçoit que les attitudes sont effectivement paradoxales : ils ont globalement soif d'information, mais sont méfiants envers les médias, tout en faisant confiance aux médias dont ils se sentent les plus proches. Ici, la notion d'âge entre également en compte.

Plus globalement, leur regard sur les journalistes est assez critique. À en croire le dernier baromètre du Cevipof sur la confiance des Français, les médias se situent sur la troisième marche du podium des plus mal classés, juste devant les partis politiques et les réseaux sociaux. Pourtant, ces mêmes Français sont en quête d'informations et témoignent d'une appétence pour l'actualité. Mais, nouveau paradoxe, 57 % d'entre eux estiment qu'il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets. La méfiance semble donc s'être généralisée.

Pourtant, selon la même étude, 67 % estiment que les JT des grandes chaînes, la presse écrite et la radio sont fiables, la population la plus âgée étant la plus confiante envers ces médias. Les réseaux sociaux ne bénéficient pas de la même appréciation : ils sont considérés comme non fiables par 60 % des personnes. Néanmoins, un tiers des Français et plus de la moitié des moins de 35 ans – ce qui peut inquiéter – indiquent s'informer tous les jours via les réseaux sociaux. Il y a là, à nouveau, un paradoxe. La confiance dans les influenceurs est quant à elle au plus bas ; personne ne leur fait confiance.

En outre, 57 % des personnes interrogées estiment que les journalistes ne sont pas indépendants. Vis-à-vis de qui, selon vous ? S'agit-il du pouvoir politique, des annonceurs, des actionnaires ? Face à ce constat, il est désormais indispensable de penser une réelle politique d'éducation aux médias. Quelle serait, selon vous, la meilleure manière de la concrétiser ? Enfin, ma longue carrière de journaliste me fait dire que le caractère anxiogène des informations n'est pas récent : il est perçu depuis très longtemps par les Français.

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Je vous remercie de vos interventions très intéressantes. Un discours déplorant la défiance des Français vis-à-vis des médias se développe en ce moment. En tant que législateurs, nous devons nous interroger sur ses causes. Les propos de mon collègue du Rassemblement national le confirment : bien souvent, les causes sont recherchées en dehors du système médiatique lui-même, pour évoquer par exemple un manque d'éducation des Français ou un usage abusif des réseaux sociaux.

Monsieur Lévy, vous venez d'indiquer que les journalistes bénéficiaient globalement de la confiance des Français s'agissant de leur implication et de leur volonté de bien travailler, mais qu'ils seraient limités par les systèmes dans lesquels ils évoluent. Dès lors, je souhaiterais vous interroger sur la façon dont la nature même du système médiatique pèse sur cette confiance des Français.

À cet égard, il semble que la question de la déontologie est plus que jamais posée, à l'heure où l'éditorialisme moutonnier et la quête de buzz semblent supplanter le travail d'enquête journalistique et de reportage. De quelle manière les conditions de contrôle – ou l'absence de contrôle – des obligations de pluralisme, de représentation de la diversité ou tout simplement du respect des lois contre le racisme et les discriminations influent-elles sur cette défiance ? À titre personnel, je suis frappée de la résonance que trouvent sur les réseaux sociaux des actualités sur les saisines et les sanctions – ou l'absence de telles sanctions – de la part de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), sur la critique récente du Conseil d'État concernant le refus de l'Arcom de mettre en demeure CNews, ou encore sur les travaux de la commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision sur la TNT créée à l'initiative de La France insoumise.

Il convient également de mentionner la question de la concentration de la propriété des médias dans les mains d'une poignée de milliardaires dont certains, tel M. Bolloré, assument pleinement une forme d'ingérence. Je souligne à ce sujet que 56 % des Français pensent que les journalistes ne sont pas à l'abri des pressions financières et que 91 % d'entre eux considèrent comme important ou essentiel que les médias préservent leur indépendance vis-à-vis des milieux économiques. Selon un sondage commandé à Harris Interactive lors du dépôt de notre proposition de loi sur la concentration des médias, 79 % des Français interrogés sont favorables à ce que le capital détenu par une seule personne ou une seule entreprise au sein d'une entreprise des médias soit plafonné à 20 %.

La question des pressions politiques doit également être évoquée, à travers les phénomènes d'atteinte au secret des sources, le placement de journalistes en garde à vue, la répression de certains journalistes couvrant des mouvements sociaux, ou encore la tentation récente d'imposer tel vocabulaire à l'Agence France-Presse. Des pressions sont également exercées concernant le financement par l'État de certaines agences ou de l'audiovisuel public. Dès lors, je souhaiterais savoir quelles seraient selon vous les mesures de nature à redonner aux Français le sentiment qu'en France, leurs droits à bénéficier d'une information libérée des pressions économiques et politiques, encadrée par des règles déontologiques, sont bien respectés.

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L'édition 2023 du baromètre réalisé par Kantar Public pour La Croix, en partenariat avec Onepoint, a mis en évidence un regain d'intérêt pour l'actualité et une hausse de la confiance accordée aux médias par les Français interrogés avec14 points supplémentaires par rapport à l'année précédente.

Pourtant, le rapport entre les Français, leur consommation de l'actualité et leur perception des journalistes est loin d'être idéal : impression récurrente que l'on parle toujours des mêmes sujets dans les médias, manque de confiance à l'égard de leur indépendance, canaux d'information démultipliés par les réseaux sociaux, ou encore actualités anxiogènes. Cela induirait un risque de polarisation croissante de notre société, notamment sous l'effet de campagnes de désinformation. Le contexte des prochaines élections européennes et américaines doit nous appeler à la plus grande des vigilances.

Dans ce contexte, les États généraux de l'information, dont les conclusions seront rendues en juin prochain ont vocation, par divers débats, à envisager toutes les solutions pour y remédier, garantir l'indépendance des médias et retrouver la confiance en l'information.

Je souhaite vous interroger sur les raisons qui peuvent nous conduire à nous tourner vers tel ou tel média. Selon plusieurs études, nous aurions tendance à préférer nous exposer à des informations qui vont dans le sens de nos opinions politiques, ce qui s'apparente alors à un phénomène d'« exposition sélective ».

Vous représentez des organisations qui mènent des études d'opinion, notamment statistiques, par différents moyens et selon des échantillons les plus représentatifs possible. Quels grandes tendances et moments de bascule avez-vous pu identifier dans la perception des médias par les Français ? En conséquence, quel regard portez-vous sur les critères qui influencent le choix des canaux par lesquels nous nous informons ? Enfin, comment des structures comme les vôtres peuvent-elles renforcer leur action pour lutter contre la désinformation et ses conséquences ?

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Face au sentiment de défiance des Françaises et des Français envers les médias, je souhaite vous interroger sur la place occupée par la presse quotidienne régionale, dont vous avez parlé en évoquant les pratiques informationnelles de nos concitoyens. Malgré les bouleversements qui la frappent actuellement, la PQR reste la presse quotidienne la plus lue en France, comme le rappellent Pauline Amiel et Franck Bousquet dans l'introduction de l'ouvrage qu'ils lui consacrent. En effet, 3,6 millions d'exemplaires sont vendus chaque jour par les cinquante-deux titres de la PQR en 2020 – contre 1,4 million pour la presse quotidienne nationale payante –, qui occupent sept des dix premières places du classement des quotidiens les plus diffusés.

De plus, une étude récente de l'Ifop met en exergue le rôle essentiel d'intermédiaire que joue la presse régionale à l'échelle de chacun des territoires, en fédérant les Français. Selon Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies d'entreprise » de cet institut, un Français sur deux lit la presse quotidienne régionale, quand TF1 touche seulement un Français sur cinq. À l'heure de la fragmentation des audiences, la PQR constitue le dernier pilier qui fonctionne en matière d'information. Que pensez-vous de ce constat, notamment au regard des tendances pour l'année 2024, que vous avez commencé à nous présenter ?

Les médias locaux constituent également une forme de lien entre le politique et les habitants de nos territoires. Compte tenu de la défiance envers les médias et les institutions, l'enjeu de la préservation de la PQR s'avère particulièrement crucial. Sa disparition, qui est à craindre en raison des graves difficultés économiques auxquelles elle fait face, participerait à l'érosion de la confiance dans les médias. Quel est votre regard sur ce sujet ?

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Nous partageons totalement l'idée que les médias sont au cœur du système démocratique : il n'y a pas de démocratie sans médias et quand ceux-ci vont mal, la démocratie va mal également.

Vous avez souligné que la fatigue informationnelle est également liée au sentiment d'impuissance, c'est-à-dire que le lecteur, le téléspectateur se considère comme un « voyeur » derrière un écran, mais qu'il n'a pas la capacité d'agir. Estimez-vous que les Français souhaitent une meilleure mise en valeur des engagements qui existent aujourd'hui dans notre société, notamment au sein d'associations ?

Vous avez également mentionné la question de la confiance envers les journalistes, qui se conjugue à une défiance envers le système. Le fait de donner plus de droits aux journalistes, notamment vis-à-vis des actionnaires des entreprises qui les emploient, pourrait-il renforcer la confiance des Françaises et des Français ? J'ai d'ailleurs déposé très récemment une proposition de loi en ce sens.

Par ailleurs, la concentration des médias dans les mains de quelques-uns doit également nous conduire à nous interroger. Si quelques milliardaires peuvent capter un certain nombre de médias, cela signifie que le modèle économique de la presse éprouve des difficultés à se financer. Cependant, les Françaises et les Français sont-ils prêts à payer davantage pour une meilleure information ? Enfin, quel a été l'impact de la suppression de la redevance audiovisuelle ? Les Françaises et Français ont-ils considéré qu'il s'agissait d'une bonne idée, notamment au regard de leur pouvoir d'achat ? Se sont-ils interrogés sur les conséquences qu'elle pourrait notamment avoir sur l'indépendance du service public ?

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Karl Marx écrivait que « ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience ». Il ajoutait que le système de pensée de chacun est conditionné par ses conditions matérielles d'existence. Je me suis remémoré cette phrase au moment de l'élection présidentielle, lorsque la majorité des médias audiovisuels cherchaient à placer les questions d'immigration et de sécurité au premier plan des débats, considérant que l'élection allait se jouer sur ces sujets. En réalité, la question du pouvoir d'achat l'a emporté sur toutes les autres.

Je souligne également que selon les sondages, seulement un quart des Français considèrent que les journalistes sont indépendants des pouvoirs d'argent et politiques. Ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire de revoir la loi de 1986 et les dispositions concernant les seuils de concentration des médias ? La situation actuelle est très éloignée de celle qui prévalait juste après la Seconde guerre mondiale, alors qu'une grande partie de la presse régionale était détenue par des coopératives représentant en leur sein les différentes tendances des forces qui avaient contribué à la libération du pays. Au regard des enjeux en matière de pluralisme, n'est-il pas urgent de revoir cette loi de 1986 et d'assurer aux rédactions un statut leur permettant d'être plus indépendantes vis-à-vis des propriétaires de presse ?

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Député des Français des États-Unis, j'ai évidemment en tête ce qui s'y passe et notamment le phénomène Donald Trump, qui est à sa manière un « enfant de la télévision » et qui a su jouer des réseaux sociaux et des médias d'opinion, très puissants dans ce pays. À cet égard, il est possible de dresser un parallèle entre l'action de Rupert Murdoch aux États-Unis et celle de Vincent Bolloré en France. Lorsque ce dernier a racheté le Journal du dimanche (JDD), les Français ont-ils eu conscience que la ligne éditoriale de ce journal changeait ? Plus généralement, peut-on tirer les enseignements de ce qui passe aux États-Unis, afin que le législateur français évite la construction de ces bulles cognitives qui mettent à mal l'esprit critique de part et d'autre ?

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Pour ma part, je souhaiterais connaître votre perception du rapport des jeunes vis-à-vis de l'information et des médias. Quels sujets les intéressent, sur quels supports s'informent-ils ? Comment est-il possible de leur redonner goût à l'information, si cela s'avère nécessaire ?

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Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive France

Tout d'abord, je souhaite rappeler que nous sommes des sondeurs et non des législateurs. Dès lors, je me garderai de répondre à un certain nombre de questions qui ont été posées.

Ensuite, ce n'est pas forcément parce qu'il existe des données d'opinion ou des attentes de la part des Français qu'il faut pleinement les satisfaire. Les acteurs politiques peuvent avoir des convictions qui ne sont pas nécessairement celles les plus spontanément exposées par nos compatriotes. Ce jeu d'interaction fait précisément partie de l'objet de la relation entre les Français et les législateurs qui, en tant que tels et tout en ayant conscience des attentes des premiers, peuvent avoir une vision différente de ceux-ci et leur expliquer les engagements qui peuvent effectivement être pris et les raisons qui les sous-tendent.

En outre, les Français que nous sommes conduits à interroger dans nos enquêtes ne sont pas des experts et ne se posent pas ces questions avec autant d'intention ou d'intensité que nous sommes en train de le faire. Dans ce contexte, le travail qui est entrepris aujourd'hui et dans le cadre des États généraux de l'information est appréhendé positivement par nos compatriotes, ce qui n'était pas évident au départ.

D'un point de vue extérieur, la question de l'indépendance et de l'éducation aux médias apparaît primordiale. L'accès à l'information et sa « digestion » sont assez socialement marqués. Or l'école constitue un des acteurs clefs capables de limiter les différences sociales ou les différences culturelles inhérentes aux individus. L'école a plus globalement vocation à rappeler le rôle joué par la démocratie, son fonctionnement, son essence, mais également la fragilité de ses acquis, dont n'ont pas toujours conscience les jeunes générations, notamment celles qui évoluent dans des univers où le capital culturel est différent. De fait, dans nos travaux, nous constatons qu'au-delà de la variable d'âge, leur rapport à l'information se décline différemment en fonction des variables sociales et culturelles.

Nos enquêtes ne font pas nettement ressortir de la part des Français le sentiment qu'il existerait un système de concentration dans les médias ou une emprise qui s'exercerait sur certains médias privés. Comme je l'ai mentionné précédemment, le surplus de confiance dont font l'objet les médias publics par rapport aux médias privés demeure limité. La taille joue ici un rôle : dans un pays comme la France, ce qui est « gros » paraît plutôt suspect. Ainsi, les médias qui sont aux mains d'acteurs ayant des intérêts économiques ou financiers suscitent une forme d'appréhension négative. De plus, les Français que nous interrogeons ne parviennent pas toujours à distinguer les médias privés des médias publics, ni ne connaissent les principaux actionnaires des groupes de médias et leur récente évolution. En particulier, l'évolution éditoriale du JDD n'est pas perçue de manière précise par l'ensemble des citoyennes et des citoyens.

Par ailleurs, les efforts déployés par les rédactions en matière de rénovation ou de modernisation, notamment s'agissant des maquettes des titres de la presse écrite, ne sont pas toujours identifiés spontanément par les personnes interrogées, y compris par les lecteurs réguliers. En résumé, les transformations éditoriales mettent également du temps à être perçues par les individus, dont les comportements sont également marqués par des effets d'habitude de consommation.

De son côté, l'idée d'une lutte contre les fake news apparaît surtout assignée aux médias qualifiés de traditionnels plutôt qu'aux autres types de médias. Les Français ont fréquemment le sentiment de connaître par avance les opinions des « experts » qui prennent la parole et que l'on retrouve de plateau en plateau pour évoquer des sujets différents, un jour le coronavirus, un autre la guerre en Ukraine ou l'attaque du Hamas en Israël. Cette impression vient évidemment renforcer le sentiment de défiance ou la remise en cause d'une forme d'expertise. Les Français ont ainsi du mal à dissocier dans cette parole ce qui relève de l'information, de l'analyse et du commentaire. La sincérité de ces avis est dans ce cas fortement interrogée.

Le niveau de confiance dans la PQR a également été mentionné, de même que la diminution simultanée de ses ventes. Ceci témoigne notamment de la volonté des lecteurs d'avoir une aide pour mieux comprendre leur vie quotidienne, pour trouver des solutions concrètes. Le reproche adressé à la fois au monde politique et aux médias est souvent résumé de la manière suivante : « Vous ne nous connaissez pas, vous ne nous comprenez pas et vous parlez de sujets éloignés de nos préoccupations, qui n'intéressent qu'un petit cercle fermé ». Cette critique est ainsi adressée à une forme perçue d'entre-soi. À l'inverse, la PQR semble plus proche car elle traite de problèmes qui intéressent la vie quotidienne de ses lecteurs.

Je souhaite par ailleurs mettre en exergue un aspect extrêmement sensible. Nous faisons face à des générations qui n'ont pas été culturellement exposées au fait qu'il fallait payer pour obtenir de l'information. Il est donc peu évident qu'elles pourront désormais être convaincues de débourser des sommes, même modestes au regard d'autres dépenses, pour obtenir une information qui leur semble aujourd'hui facilement accessible et qui s'inscrit d'ailleurs dans une démarche différente de celle qui prévalait par le passé. Désormais, avec le développement des plateformes et des réseaux sociaux, on ne va plus chercher l'information ; c'est elle qui vient à nous. L'aspect le plus singulier concerne les différentes notifications que nous pouvons recevoir sans même toujours les avoir sollicitées. Certes, un certain public s'est habitué à s'abonner à des publications, alors que dans les années 2000, la quasi-totalité des articles en ligne étaient gratuits. Néanmoins, ce public est surtout composé de générations qui avaient par le passé l'habitude d'aller au kiosque ou de souscrire à des abonnements, ce qui n'est pas le cas des plus jeunes générations.

Enfin, on ne peut complètement considérer que la jeunesse serait aujourd'hui désinformée. Elle continue à être informée, mais ne cherche plus nécessairement à creuser de manière systématique l'information. Elle entend parler de beaucoup de choses, mais n'est pas toujours en mesure de développer les contenus informationnels. L'exposition nette à l'information demeure, mais de manière peut-être plus superficielle que celles de générations plus anciennes.

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Laure Salvaing, directrice générale des études de Verian

La presse régionale, qu'elle soit quotidienne ou hebdomadaire, est effectivement le deuxième média dans lequel les Français ont le plus confiance, à 61 %, derrière les JT d'information. Cette donnée demeure d'ailleurs constante depuis de nombreuses années. Les Français estiment ainsi qu'il est plus facile de vérifier localement l'information qu'elle diffuse, car celle-ci est une information de proximité. De fait, dans nos enquêtes, les Français déplorent que les médias ne parlent pas assez de leurs préoccupations, des tracas du quotidien, par exemple des difficultés rencontrées auprès des services publics.

La jeunesse se caractérise effectivement par une confiance plus importante à l'égard des réseaux sociaux, mais pour le reste, ses comportements sont assez proches de ceux du reste de la population. Elle est également marquée par une capacité de « décrochage », de zapping d'une information à l'autre, sans avoir forcément le sentiment qu'il soit nécessaire de creuser un sujet. Les jeunes nous disent également qu'ils ne comprennent pas toujours les informations qui leur sont adressées en raison du langage employé, ce qui implique, pour les journalistes mais aussi les acteurs publics, de simplifier leur propos.

Il y a quelques années, nous avions ainsi mené une étude pour savoir si les Français comprenaient d'une manière générale les mots qui étaient utilisés dans les médias en matière économique, comme les notions de « PIB » ou d'« inflation ». Les résultats avaient été particulièrement atterrants. Il existe un décalage entre ce que les Français comprennent de certains sujets parfois un peu techniques, à l'instar des sujets économiques, et la perception des journalistes à ce propos.

Lors de la dernière édition du baromètre La Croix, nous avons posé une question au sujet de la gratuité. Il apparaît clairement que la jeune génération se singularise en la matière, puisqu'elle considère que l'information doit être accessible facilement. Tous âges confondus, les Français répondent à 67 % qu'ils ne sont prêts ni à souscrire à un abonnement ou accéder à un contenu payant, en échange d'une information de meilleure qualité, ni à payer de manière ponctuelle.

Par ailleurs, 59 % des Français considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions des partis politiques et du pouvoir économique, ce qui rejoint une thématique explorée à de nombreuses reprises il y a plusieurs années déjà par Pierre Carles, notamment dans son film Pas vu pas pris. L'idée d'une collusion et d'une connivence, d'un entre-soi entre les mondes journalistique et politique demeure. Cela rejoint l'idée d'une élite qui serait bien distincte du reste de la population, qui ne s'intéresserait pas à elle, ni ne lui parlerait réellement.

Les médias publics bénéficient systématiquement d'une opinion plus positive que les médias privés, notamment en termes de pluralité d'opinions et de diversité, mais aussi d'innovation et de renouvellement. De plus, 45 % des Français considèrent que l'existence de médias audiovisuels publics est une bonne chose pour l'indépendance de l'information, contre seulement 26 % pour les groupes de presse privés.

Il a également été question d'éducation à l'information et, en parallèle, de la formation des journalistes afin qu'ils comprennent bien les besoins des Français en termes d'information. Nous, sondeurs, sommes très décriés en période électorale, notamment quand nous produisons des enquêtes sur des intentions de vote. Nous avons proposé à plusieurs reprises à des journalistes de venir voir comment nous travaillons, mais également de leur ouvrir nos dossiers pour les former. Malheureusement, nous n'avons pas pu organiser une seule session de formation.

Enfin, en matière de lutte contre la désinformation, nous avons mené des expérimentations intéressantes, notamment en Angleterre et en France. À ce titre, il semble pertinent d'habituer les publics à des alertes concernant le risque de désinformation. De telles actions tendent en effet à améliorer les perceptions et à renforcer le niveau de confiance.

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Disposez-vous d'éléments sur la façon dont les Français perçoivent spécifiquement les conditions de travail des journalistes et, plus précisément, leur statut ? Vous avez parlé de cette défiance vis-à-vis d'une sorte de caste journalistique qui vivrait dans un entre-soi déconnecté de la vie des Français. Ces derniers établissent-ils une distinction entre, d'une part, les éditorialistes qui passent de plateau en plateau pour traiter une multitude de sujets avec une expertise extrêmement sujette à caution et, d'autre part, les journalistes qui réalisent un travail d'enquête sur le terrain et sont parfois exposés à une forme de précarité tout en étant soumis à de lourds rythmes de travail et différentes formes de pression ?

Concernant cet entre-soi journalistique, ne faudrait-il pas prendre a minima des mesures de transparence et de déontologie ? Je pense notamment à la situation de la ministre la plus mise en cause en ce moment, Amélie Oudéa-Castéra, dont des membres de la famille occupent très largement l'espace médiatique en qualité de journalistes ou d'éditorialistes. De la même manière, Anna Cabana parle avec des étoiles dans les yeux du président Macron ou de Jean-Michel Blanquer, dont elle est l'épouse. Ces phénomènes nuisent profondément à l'image d'un journalisme indépendant, qui ne serait pas là pour relayer la parole des puissants. Que préconiseriez-vous en matière de transparence ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que les Français pouvaient méconnaître les structures capitalistiques des différents médias. À ce sujet, êtes-vous favorables à l'édiction de règles de transparence concernant l'actionnariat, mais également les liens entre les sphères politique, économique et médiatique ? Des règles de déport pourraient-elles être établies et leur respect imposé par la puissance publique ?

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Comment maintenir une analyse construite à l'heure où la distinction entre les médias se brouille et où tous les supports utilisent internet et les réseaux sociaux ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame Salvaing, vous avez souligné que l'information est perçue par les jeunes comme une nécessité, au même titre que l'air ou l'accès à l'eau. L'information est-elle selon vous un bien comme un autre ? Nous constatons qu'au-delà de la fatigue informationnelle qui a été évoquée, il existe également un vrai besoin d'information. Par ailleurs, les citoyens perçoivent-ils la différence de statut qui existe entre un journaliste, un animateur ou un influenceur ? La clarification de cette différence ne contribuerait-elle pas à restaurer un lien de confiance ?

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Laure Salvaing, directrice générale des études de Verian

Les études d'opinion montrent bien qu'il existe effectivement un véritable besoin d'information, un réel intérêt pour l'actualité, pour ce qui se passe autour de soi naturellement, mais également sur le plan national. Cela vaut également pour les jeunes : il serait erroné de penser qu'ils se désintéressent de l'actualité. Ils affirment au contraire que les réseaux sociaux leur permettent de s'y intéresser davantage, avec une approche différente, comme celle proposée par HugoDécrypte, qui rencontre un très grand succès et fait aujourd'hui référence. Par ailleurs, la tradition du JT reste encore ancrée dans un certain nombre de familles, y compris chez les jeunes.

La sociologie des journalistes constitue effectivement un vrai sujet. Nous avons déjà souligné que si les Français avaient une mauvaise perception des médias en tant qu'institution, les résultats sont meilleurs lorsque l'on procède dans le détail, média par média. Je pense que si nous demandions aux Français leur opinion sur les experts des plateaux, les présentateurs de journaux ou des journalistes de terrain, une différenciation similaire serait opérée.

Lors de notre dernier baromètre, nous avons observé que les Français ne sont pas réticents à l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les médias, notamment peut-être pour choisir des contenus ou pour aider les journalistes à réfléchir sur des sujets, à condition que ce processus respecte la transparence et qu'il soit effectivement indiqué « sujet généré par l'intelligence artificielle » à l'antenne. Il en va de même pour les traductions générées par l'IA.

Plus nous donnerons à la population française des outils pour bien comprendre et analyser ce qu'ils voient dans les médias, plus nous pourrons effectivement nourrir ce lien de confiance.

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Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive France

Les Français méconnaissent les conditions de travail des journalistes, de même que les contraintes éditoriales, les contraintes de temps ou de vérification des sources. Par ailleurs, lors des enquêtes que nous avons menées, il ne semble pas non plus que ces sujets les passionnent particulièrement. Ils estiment que ce métier, toujours considéré plutôt comme prestigieux, a été délibérément choisi par ceux qui l'exercent et comporte, comme tous les autres, des contraintes. Ils pourraient peut-être cependant changer d'avis s'ils devaient être confrontés aux injonctions contradictoires auxquelles sont soumis les journalistes, s'ils avaient connaissance des difficultés du métier. Malgré tout, à ce jour, ils sont surtout intéressés par le « produit fini » plus que par les conditions de production de l'information.

En outre, les Français ne parviennent pas toujours à distinguer les éditorialistes des journalistes ou des présentateurs. À leur décharge, les frontières ne sont pas toujours très affirmées : sur certaines chaînes d'information, le présentateur peut devenir un « expert » en fonction des émissions, avant de redevenir une personne chargée de distribuer la parole. En revanche, la distinction avec les influenceurs est mieux établie, d'autant plus qu'ils interviennent sur des réseaux particuliers.

Il est exact que la séparation entre, d'une part, les réseaux sociaux et internet et, d'autre part, les médias traditionnels est peut-être exagérée par rapport à la réalité de la consommation. Dans les années 1970, 1980 voire 1990, la socialisation autour du type de média jouait un rôle dans l'appropriation de l'information. Aujourd'hui, lorsque nous interrogeons les Français, et singulièrement les plus jeunes générations, pour savoir sur quel type de média ils ont entendu, vu ou lu une information, le label d'origine, même s'il s'agit d'un label de qualité, est quand même un peu moins identifié. Culturellement, les jeunes générations ont été construites de cette manière, sans avoir toujours conscience des différentes lignes éditoriales.

Par ailleurs, il est vrai que les Français peuvent avoir le sentiment de l'existence d'une forme de caste politico-journalistique parisienne. De ce fait, les responsables politiques peuvent se voir reprocher de ne pas chercher à convaincre les Français, mais plutôt les journalistes qui évoluent dans le même univers qu'eux, avec lesquels ils discutent de sujets éloignés des véritables préoccupations de nos compatriotes.

Enfin, la différence entre les journalistes de terrain et les journalistes de plateau est évidente, y compris auprès des jeunes générations. La perception plutôt favorable de la PQR par rapport à d'autres formes de médias en est ainsi un témoignage assez clair. De même, HugoDécrypte est perçu comme étant au contact des préoccupations des individus.

À l'heure actuelle, nous assistons même à l'émergence de commentaires en direct des prises de parole de responsables politiques par des « décrypteurs » sur différents réseaux sociaux, dont Twitch par exemple. Dès lors, la personne qui s'intéresse à l'événement ne va pas toujours entendre la totalité du propos du responsable politique, mais plutôt le commentaire ou le décryptage qui en est fait en direct, sur le format d'un commentaire de rencontre sportive, celle d'un match de football par exemple. Nous avons notamment observé ce phénomène chez les plus jeunes lors de la présentation des vœux d'Emmanuel Macron ou de la récente conférence de presse du Président de la République.

Nous assistons donc à une nouvelle forme de consommation des médias, sans confrontation directe avec l'événement. S'agit-il d'une disqualification de l'information ou des médias traditionnels ? Peut-être. Il s'agit peut-être également d'une manière d'aller plus au fond des sujets ou de remettre en cause la question de la suspicion. Il faut également souligner que ces nouvelles modalités d'accès à l'information sont, une fois encore, gratuites. Comme nous l'avons indiqué précédemment, ces publics estiment qu'ils n'ont pas besoin de payer pour satisfaire leur besoin d'information.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier pour vos réponses. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous et vous consulter, en cas de besoin. La commission des Affaires culturelles et de l'éducation est en effet désireuse de prendre toute sa place et sa part au sein de ces États généraux de l'information. Cela nous paraît indispensable pour comprendre ce qui se passe et pouvoir ensuite agir sur le plan législatif.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Présents. – M. Philippe Ballard, M. Idir Boumertit, Mme Fabienne Colboc, M. Philippe Emmanuel, Mme Virginie Lanlo, Mme Sarah Legrain, Mme Sophie Mette, M. Emmanuel Pellerin, M. Stéphane Peu, Mme Isabelle Rauch, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Christopher Weissberg

Excusés. – Mme Béatrice Bellamy, Mme Soumya Bourouaha, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, M. Raphaël Gérard, M. Frantz Gumbs, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, M. Christophe Marion, M. Maxime Minot, Mme Claudia Rouaux, M. Boris Vallaud

Assistait également à la réunion. – M. Inaki Echaniz