Mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La mission d'information de la conférence des présidents sur l'accès des Français à un logement digne et la réalisation d'un parcours résidentiel durable a auditionné Mme Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France

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Notre mission d'information traite de l'accès au logement, plus particulièrement du parcours résidentiel et des freins que nous pourrions lever, dans un contexte de crise. Depuis septembre 2023, nous avons auditionné une multitude d'acteurs du secteur du logement. Notre rapport, qui établira une cartographie des freins existants et présentera des propositions pour les lever, sera transmis en mars prochain, afin que des mesures immédiates soient prises, en plus des dispositions qui pourraient nécessiter davantage de temps.

La problématique du logement n'est pas nouvelle et elle s'est même amplifiée ces derniers temps. Chacun en connaît les raisons, pour les avoir entendues, lues, mais surtout vécues. Que l'on soit étudiant, actif ou senior, il est difficile de se loger ou de se reloger pour faire correspondre son habitat à ses besoins et se rapprocher des commodités. On peut ainsi se demander quelles actions entreprendre sur les plans local et national afin de résoudre les difficultés que nos concitoyens rencontrent à chaque étape de leur vie.

Des bribes de loi ont été promulguées : nous avons adopté récemment un projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, qui comporte des mesures pour réaliser des travaux afin de mettre des logements dignes sur le marché. Peu de temps auparavant, une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements avait été adoptée par la commission des affaires économiques. Bien que la question des moyens se pose, il faut accélérer et construire mieux, en tenant compte des objectifs et des spécificités des territoires.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

Beaucoup a déjà été écrit sur la crise du logement, notamment par la Fondation Abbé Pierre, chaque année, et par le Conseil national de la refondation (CNR). Mes propositions et les points que je soulèverai manqueront donc peut-être d'originalité.

Il faut tout d'abord redire que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dit loi « SRU », constitue un socle indépassable. On ne peut pas comptabiliser les logements intermédiaires pour respecter les quotas fixés par la loi : c'est une offre intermédiaire, qui n'est pas celle du logement social. Seuls 3 % des demandeurs de logement social pourraient en effet y prétendre. On a besoin de logements sociaux qui le soient vraiment, avec des plafonds de ressources.

Le directeur général du bailleur social que je préside m'a alertée sur le fait que 30 % des nouveaux entrants sont en dette de loyer au bout de moins d'un an. Même un parc de logements anciens, financés par des prêts locatifs à usage social (Plus), ne suffit pas aux ménages qui sont au-dessus du premier quartile de revenus ; pour ceux de ce premier quartile, ces logements sont inabordables. De vraies questions se posent donc pour les logements sociaux que l'on construit, leurs destinataires et leur adéquation aux besoins de la population et aux capacités financières des ménages.

De plus, introduire le logement locatif intermédiaire (LLI) comme un élément permettant de satisfaire aux quotas de la loi SRU risque de mener à une spécialisation des communes : certaines dans les logements sociaux, car elles en ont beaucoup construit ; d'autres dans le LLI. On aboutirait ainsi à une fragmentation et une polarisation des populations au sein des métropoles, certaines communes privilégiant l'accueil de ménages à revenus intermédiaires, c'est-à-dire des ménages relativement aisés.

Cette mesure annoncée ne doit donc pas être adoptée. On en voit dès à présent les conséquences dans le plan national que le Gouvernement a lancé pour sauver la promotion immobilière et que je ne conteste pas. Les loyers des logements intermédiaires sont très proches de ceux du marché, bien qu'ils soient présentés comme leur étant inférieurs de 20 %. Le marché n'est pas uniforme : à Villeurbanne, où l'encadrement des loyers a été instauré, nous avons cinq zonages, que les logements intermédiaires ne prennent pas en compte.

La question est donc de définir l'offre de logements que l'on développe et les niveaux de loyer, y compris aux plafonds des prêts locatifs sociaux (PLS) – ces logements PLS ont du mal à trouver preneurs, car les ménages cherchent plutôt des logements au niveau des plafonds du prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) ou du Plus.

Il faut aussi travailler sur les zonages, le logement intermédiaire et l'encadrement des loyers. Bien qu'il ne soit pas encore très répandu ni très efficace, l'encadrement est un vrai outil, qui nécessite une politique publique cohérente.

Deuxième élément : le bail réel solidaire (BRS), qui est un vrai moyen d'accéder à la propriété, notamment en cœur de métropole où les prix sont très élevés. Sans être propriétaire du foncier, on accède à la propriété du bâti à 30 % ou 40 % en dessous du prix du marché. Les organismes de foncier solidaire ne sont toutefois pas assez dotés.

Pour faire du BRS un véritable outil, une piste consisterait à réfléchir aux plafonds de ressources des ménages qui accèdent à ce bail. Ceux-ci peuvent être fragiles, puisqu'ils sont éligibles au logement social et qu'accéder à la propriété représente des frais supplémentaires. Il serait intéressant d'inventer plusieurs BRS, avec différents plafonds de loyer. Dans la métropole de Lyon, sans ces dispositifs permettant à des personnes d'accéder à la propriété, il n'y aurait aucun primo-accédant, car les prix y sont bien trop élevés. Pour acquérir un logement, il faut habituellement en avoir revendu un autre. On a donc là un effet de levier très important.

La président de l'Union sociale pour l'habitat (USH), Mme Emmanuelle Cosse, que vous avez auditionnée, le dirait certainement mieux que moi : les bailleurs sociaux sont en immense difficulté. À Villeurbanne, ils nous demandent de choisir entre rénover une copropriété, travailler sur les copropriétés dégradées ou construire, car ils ne peuvent mener de front ces trois volets. Nous les sollicitons sur tous les registres, mais ils n'ont plus les fonds propres nécessaires pour soutenir les plans d'investissement.

Les offices publics de l'habitat (OPH) satisfont les obligations des commissions intercommunales d'attribution, chargées de loger les premiers quartiles. L'écart s'accroît entre les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) et les OPH s'agissant de ces obligations.

Il nous faut mobiliser les bailleurs sociaux pour qu'ils réalisent des plans stratégiques de patrimoine (PSP) à la hauteur des enjeux. Les dettes de loyers qu'accumulent les ménages diminuent d'autant leurs ressources pour ces plans.

Les demandes qu'adressent les bailleurs aux collectivités depuis quinze ans pour vendre des éléments du parc HLM soulèvent aussi des questions. Les bailleurs sont confrontés au fait que les ménages ont du mal à acheter – parmi les logements mis en vente, tous ne sont pas vendus. Ces ventes fabriquent les copropriétés dégradées de demain, puisque se trouvent parfois vendus des biens en mauvais état énergétique : lorsque les bailleurs ne sont plus majoritaires dans la copropriété, les ménages devenus propriétaires se trouvent en grande difficulté pour financer les travaux de rénovation nécessaires.

Il serait souhaitable que le bailleur social ait l'obligation de vérifier que l'ensemble des biens qu'il met en vente ne relèvent pas d'une classe énergétique G, F, voire E – il faut anticiper, compte tenu du temps nécessaire à la réalisation de la vente. Ce problème est récurrent : quatre membres de copropriétés différentes, qui venaient d'acheter leur logement auprès d'un bailleur social, m'ont indiqué qu'ils n'avaient pas l'argent pour rénover.

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Avez-vous connaissance du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement ? Adopté en première lecture par l'Assemblée, il doit désormais être examiné par le Sénat et prévoit que les syndics pourront prendre certaines mesures.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

Ce texte ne résoudra pas tous les problèmes, car les copropriétés que j'évoque, certes fragiles, ne sont pas encore dégradées – les bailleurs sociaux ne mettent tout de même pas en vente des copropriétés où les cages d'escalier sont en mauvais état.

Lorsque le bailleur social détient encore beaucoup de tantièmes, voire est toujours majoritaire au sein de la copropriété, il pèse fortement dans la décision de voter les travaux de rénovation énergétique prévus par la loi « Climat et résilience » ; le problème est que les copropriétaires qui ont récemment accédé à la propriété par la vente de HLM sont fragiles et qu'ils n'ont pas les moyens de financer ces travaux.

Se pose aussi la question des mutations dans le parc public. Un vrai levier serait de permettre aux ménages logés dans un grand logement avec un loyer faible d'accéder à un logement social plus petit, avec un loyer similaire. La proposition pourrait figurer dans un texte de loi : il s'agit de donner à tous les ménages en sous-occupation la garantie de disposer d'un logement assorti d'un loyer dont le prix par mètre carré serait équivalent à celui de leur loyer précédent.

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Ce dispositif a été expérimenté à Saint-Denis : il peut être une solution dans un délai court, pour diminuer la tension sur la demande, mais, sur le long terme, il est coûteux pour le bailleur.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

Il faut en effet prévoir des mesures de compensation pour les bailleurs sociaux qui ont appliqué la disposition. Il est certain qu'à moyens financiers identiques, les bailleurs ne pourront pas faire grand-chose.

Les copropriétés classées F et G que j'évoquais précédemment ne bénéficient pas de plans de sauvegarde, donc des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). D'autres subventions existent, mais les restes à charge sont élevés. Les avances sur travaux n'intègrent pas tous les mécanismes possibles – il y a bien Procivis, mais il se trouve surchargé de demandes.

J'ai demandé aux bailleurs sociaux de ma commune un état de situation des immeubles dans lesquels ils ont mis des logements en vente, afin qu'ils retirent de la vente les immeubles énergivores et qui nécessiteront des rénovations à court terme. Certains n'étaient pas concernés par cette demande, puisqu'ils avaient vendu les logements il y a longtemps. L'objectif est désormais de mettre en vente uniquement des logements qui ne placent pas en difficulté les propriétaires issus du logement social.

Pour ce qui est du parc privé, le projet de loi sur la rénovation de l'habitat dégradé est une bonne chose : il permet de faire levier, notamment par la pénalisation des marchands de sommeil ; il y manque toutefois une définition de ces marchands de sommeil.

En ce qui concerne les meublés touristiques, le projet de loi doit aller jusqu'au bout de la démarche car la situation est difficile, même pour les communes comme la mienne (Villeurbanne) qui n'atteignent pas le seuil des deux cent mille habitants au-dessous duquel les 120 nuitées ne sont pas déclarables. Quand elles sont dans ces interstices, les villes subissent un vrai préjudice en matière d'accès au logement, car la location de meublés touristiques est beaucoup plus rentable que la location en bail classique.

Quant aux colocations, elles peuvent ne pas relever du code de la construction et de l'habitation. Pour notre part, nous avons déjà refusé d'en classer certaines dans les zones habitables du plan local d'urbanisme (PLU) pour les assimiler à l'hôtellerie des zones économiques. Actuellement, tout le monde s'engouffre dans la brèche des produits de colocation car, associés à des techniques de défiscalisation, ils promettent des rendements de 10 % à 11 %, ce qui est colossal. En facilitant la conclusion de tels baux, la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « Elan », visait les colocations d'étudiants, mais elle a produit de puissants effets pervers d'autant que, passé l'âge de 25 ou 27 ans, la vie en colocation est plus souvent subie que choisie.

En matière d'encadrement des loyers, il reste beaucoup à faire. Les recours passent par une double saisine – conciliation et procédure administrative – qui reste assez compliquée à actionner. La direction départementale de la protection des populations (DDPP) s'intéresse aux agences immobilières qui commettent des infractions répétées, mais il me semble que nous pourrions aller un peu plus loin pour rendre cet encadrement effectif. Il faudrait aussi permettre l'application de loyers différenciés selon que le logement a fait ou non l'objet d'une rénovation. Actuellement, le propriétaire qui a fait de gros travaux se rabat sur la possibilité d'appliquer un surloyer, mais tout le monde s'y met, ce qui transforme le système en un vrai bazar – j'ai déjà vu appliquer un surloyer pour tenir compte de l'existence d'une fenêtre…

La question du foncier a été largement traitée par les groupes de travail du volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR). Comment encadrer le prix du foncier ? Il faut inventer des mécanismes pour majorer la taxation des plus-values de cession de terrains nus qui sont rendus constructibles. Il est problématique que certains terrains soient revendus moins de dix-huit mois après la révision du PLU, en affichant des prix en hausse de 10 % ou 15 %. C'est ainsi que l'on se retrouve, dans ma commune de Villeurbanne, avec des prix de logements libres dans des constructions neuves qui évoluent entre 5 500 et 6 500 euros par mètre carré, ce qui est inaccessible pour la quasi-totalité des ménages. La spéculation foncière crée une situation où l'accession à la propriété est impossible pour les ménages de la classe moyenne, à revenus modestes. Nous constatons qu'il n'y a plus de primo-accédants à la propriété dans notre commune, ce qui est très ennuyeux pour la diversité sociale et les écoles. Quoi qu'il en soit, quels que soient les moyens d'ingénierie utilisés, nous devons encadrer le prix du foncier si nous voulons pouvoir construire des logements accessibles à tous.

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S'agissant des logements pour seniors, estimez-vous que le nombre de porteurs de projets est suffisant pour anticiper les besoins futurs de logements de différents types ? Ces logements faciliteraient le maintien à domicile d'une bonne partie de ces personnes, dès lors qu'elles seraient proches des commodités, gage d'autonomie.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

Le problème n'est peut-être pas tant la quantité que la qualité – en particulier, la taille – des offres des résidences autonomie : les modèles d'affaires ont poussé à des structures de quatre-vingt à cent résidents au minimum, ce qui donne l'impression d'avoir affaire à des établissements médico-sociaux. Il faudrait des unités de logements plus petites et plus diffuses dans la ville, mais nous avons été soumis à de fortes pressions de la part des agences régionales de santé (ARS) pour regrouper les établissements : à Villeurbanne, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics comptent au moins quatre-vingts ou quatre-vingt-dix chambres pour des questions de rentabilité et le même phénomène touche les résidences autonomie. Un dispositif comme celui de l'aide à la vie partagée pourrait être utilisé pour les seniors, mais je remarque qu'il l'est, dans mon territoire, surtout pour les personnes en situation de handicap.

Au sein de la société d'économie mixte (SEM) dont je suis la présidente, nous explorons la possibilité de recourir à ce dispositif d'aide à la vie partagée dans le cadre d'un habitat diffus, au bénéfice des locataires du parc social d'un quartier. Nous avons un bailleur social dont le périmètre d'activité se situe dans un quadrilatère de deux cents mètres par cinquante mètres, ce qui est très concentré. L'idée est d'encourager les bailleurs sociaux à utiliser ce dispositif, si cela est possible, pour que les ménages restent dans leur logement mais bénéficient de l'offre de services telle qu'imaginée dans le cadre de l'aide à la vie partagée.

Cela étant, ces énormes ensembles en forme de pavé ne font pas forcément très envie, notamment pour anticiper les problèmes liés au vieillissement – mais nous sommes un peu contraints et forcés d'en passer par ces dispositifs d'aide. Peut-être la vieillesse se passerait-elle mieux si les seniors se montraient parfois plus proactifs ?

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Vos préoccupations rejoignent des propos que nous avons déjà entendus et que nous pouvons faire nôtres, sur la nécessité d'encadrer la vente de logements HLM et sur le fait que le logement intermédiaire n'a pas sa place dans la comptabilité SRU.

Le projet de loi sur la rénovation de l'habitat dégradé, adopté à la quasi-unanimité en première lecture à l'Assemblée nationale, fait l'impasse sur une définition du marchand de sommeil. Le procureur de la République de Bobigny me faisait d'ailleurs récemment remarquer que cette absence de définition n'aidait pas les juridictions à être efficaces. Au cours de la navette parlementaire, il nous faudra donc apporter des précisions sur ce point et en rectifier d'autres – il ne devrait pas être permis de louer un logement dont la hauteur sous plafond est de 1,80 mètre.

J'espère que notre mission permettra également d'apporter des éclaircissements sur la colocation, qui peut donner lieu à des baux séparés pour un même appartement depuis l'adoption de la loi Elan. Pour un prix souvent exorbitant, chaque colocataire dispose de quelques mètres carrés, mais pas de toilettes ni de salle de bains en propre : il est nécessaire d'encadrer ce dispositif, qui a révélé certains effets pervers.

Je suis d'accord avec la quasi-totalité de vos remarques ainsi qu'avec les conclusions du CNR Logement, qui a réussi à dégager un consensus des acteurs sur certaines propositions. Puisque celles-ci n'ont pas franchi ses portes, notre mission va en reprendre l'esprit.

Comment pourrions-nous rétablir un lien fiscal ou financier entre les communes bâtisseuses et celles qui ne le sont pas ? Le CNR Logement proposait, par exemple, de moduler la dotation globale de fonctionnement (DGF) en fonction de l'effort de construction des communes. La taxe d'habitation et l'aide aux maires bâtisseurs ont été supprimées, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été réformée : les maires n'ont plus d'intérêt à agir et ils ne peuvent plus compter sur les aides financières pour faire face aux besoins d'équipements et de services publics inhérents à l'afflux de populations nouvelles. L'AMF a-t-elle des propositions spécifiques à formuler concernant ce lien financier et fiscal entre le maire bâtisseur et l'État ?

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

Abondant dans votre sens, je citerai aussi la non-compensation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) comme frein à la construction par les communes, notamment celles qui respectent la loi SRU et accueillent des ménages de plus en plus fragiles.

Nous recevons des compensations pour les équipements publics, mais il nous en faudrait aussi pour les besoins sociaux. L'éducation nationale reçoit des moyens supplémentaires pour les zones classées en réseau d'éducation prioritaire (REP et REP+), là où la concentration de logements sociaux correspond à la géographie des quartiers prioritaires. Maintes communes n'ont pas renoncé à construire de nombreux logements sociaux, mais, comme Villeurbanne, essaient de le faire de différentes manières : développer le logement social en diffus, faire de l'hébergement d'urgence dans le parc privé dans le cadre de projets intercalaires, créer des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), etc. Il est regrettable que tout cela ne soit pas comptabilisé dans la loi SRU.

Par ailleurs, pour l'hébergement d'urgence et pour les constructions « en dur » visées par la loi SRU, les services de l'Etat travaillent en silo : ces deux mondes ne se parlent pas, le service d'accueil et d'orientation (SIAO) et la direction départementale des territoires (DDT) ne tenant d'ailleurs plus de comptabilité quand les communes ont dépassé le seuil de 28 % de logements SRU.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

Ce serait un geste judicieux.

L'État avait aussi accordé une aide aux maires bâtisseurs à la sortie de la crise sanitaire liée à la covid-19. Pour notre part, nous avions été très contents de recevoir plus d'un million d'euros d'aide, mais les promoteurs immobiliers n'ont pas réalisé le projet. Même quand le maire est volontaire, il peut être empêché par un contexte ou une conjoncture économique défavorables.

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J'imagine que tous les maires n'ont pas la même vision du logement et du parc social. Votre commune construit beaucoup pour le parc social, ce qui est très bien ; mais se posent aussi les questions du peuplement et de la gestion de la mixité par les communes. C'est pourquoi je ne partage pas votre point de vue s'agissant de l'idée d'ajouter les logements intermédiaires dans le calcul du quota que les communes soumises à la loi SRU doivent respecter.

La demande de logement social se porte essentiellement sur des PLAI et des Plus, alors que les PLS ciblent des personnes aux revenus plus élevés. Ne faudrait-il pas remettre à plat ces barèmes qui ne correspondent plus vraiment à la réalité ? Pour ma part, je pense qu'il y a trop de barèmes, mais aussi qu'il faudrait harmoniser les prix par mètre carré, car les écarts, qui se creusent au fil du temps, posent des problèmes de mobilité dans le parc social : le locataire d'un grand logement ne sera évidemment pas enclin à déménager dans un plus petit pour un loyer supérieur. Cette dérive n'est pas à l'avantage des bailleurs, qui auraient besoin de moyens pour construire et rénover. Le parcours résidentiel, dont il est souvent question, n'est pas respecté : vous gardez toute votre vie le PLAI que vous avez obtenu au départ, les variations de revenus ultérieures n'étant qu'assez peu prises en compte ; si l'on vous sort de ce PLAI, la surprise peut être assez désagréable. Il serait donc temps que les élus et les acteurs du logement social fassent des propositions sérieuses pour régler ce problème dont tout le monde a conscience.

Membre de la majorité présidentielle, je suis évidemment plutôt favorable à la proposition du Premier ministre d'ajouter les logements intermédiaires dans le quota SRU, afin de répondre au besoin de logement des classes moyennes. C'est aussi une manière de s'attaquer à la lourdeur du processus d'attribution des logements.

C'est bien beau de construire du logement social, encore faudrait-il éviter de créer des quartiers qui se paupérisent. N'y aurait-il pas, dans ce domaine aussi, un seuil à ne pas dépasser pour ne pas en arriver à ces copropriétés dégradées dont vous parliez ? Quel lien faites-vous entre ces logements sociaux, l'emploi et l'économie ? Que propose l'AMF pour faire en sorte que les logements soient construits au bon endroit, à proximité d'entreprises capables d'offrir des emplois aux habitants ? On parle de problématiques sociales sans s'intéresser suffisamment aux conditions nécessaires à remplir pour que les personnes ne restent pas en dehors de l'emploi et ne tombent pas dans la précarité.

Si l'idée d'encadrer le prix du foncier me semble bonne, il faut trouver des solutions crédibles pour le faire. Je remarque d'ailleurs que certaines collectivités n'hésitent pas à vendre au plus offrant : il faudrait donc mettre les pratiques en cohérence avec la volonté affichée de maîtriser le foncier.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

S'agissant de la remise à plat des loyers, le mouvement HLM en fait régulièrement la demande. Sans être une spécialiste du sujet, l'idée me semble intéressante. Pour citer des cas que je connais, je peux dire que les logements construits dans les années cinquante, n'ayant pas fait l'objet de réhabilitation, sont à 4,50 euros par mètre carré. Une fois ces logements réhabilités, leur prix passe à 5 ou 6 euros par mètre carré. Les logements PLAI neufs coûtent plutôt 7,5 ou 8 euros par mètre carré : un allocataire du RSA n'a pas les moyens de payer un PLAI à 8 euros. Les ménages les plus pauvres, ceux des premier et deuxième quartiles, ne peuvent payer que les loyers les plus bas.

Dans ces conditions, comment refondre les modalités de calcul des loyers ? Faut-il les établir en fonction des ménages et non plus en fonction du type de prêt et de l'année de construction ? Une telle réforme serait aussi importante que celle de 1977, qui avait créé les aides au logement. Si ces aides parviennent plus ou moins à solvabiliser les ménages, on constate aussi que c'est un puits sans fond dans le parc privé : elles ont alimenté une forte augmentation des loyers au cours des vingt à trente dernières années, à laquelle l'encadrement des loyers tente désormais de remédier. La piste d'une remise à plat des loyers est intéressante, mais elle implique de revoir en profondeur le financement du logement social, les types et durées de prêt et les moyens des bailleurs sociaux. N'oublions pas néanmoins, comme je le disais dans mon propos liminaire, que 30 % des ménages qui ont obtenu un logement social à Villeurbanne entre 2022 et 2023 ont déjà une dette locative – et nous ne faisons pas exception.

Quant au logement intermédiaire, non soumis au processus d'attribution et aux cinquante critères de priorisation y afférents, ce n'est pas du logement social. Les élus locaux ne sont même pas informés quand un investisseur en logements intermédiaires passe un contrat. Ce n'est pas possible ! Il m'arrive d'apprendre, au détour d'une conversation avec un promoteur, qu'il vient de signer un contrat avec In'li, la filiale spécialisée du groupe Action Logement. On ne peut pas tout demander au maire, sans lui donner des outils de pilotage.

Vous dites qu'il faudrait envisager les logements sociaux en lien avec l'emploi. Pour ma part, je pense qu'il est difficile de lier toutes les mobilités dans un même mouvement, car il y a des ruptures dans les parcours de vie : on peut changer de logement sans changer d'emploi et inversement, sans parler de ceux qui n'ont pas d'emploi. Si vous regardez l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », vous verrez qu'une personne qui est au RSA depuis très longtemps a beaucoup de mal à accéder à l'emploi, même si elle bénéficie d'un logement social. Il faut évidemment construire des logements à proximité des zones d'emploi, mais il faut aussi veiller à ne pas enfermer les gens comme au temps des corons.

La volonté de maîtrise du foncier n'empêche pas les collectivités – et aussi l'État – de chercher à dégager des recettes foncières : tout le monde a besoin d'argent. Actuellement, il n'y a pas de mécanisme d'encadrement permettant de faire en sorte que le prix du foncier n'empêche pas la construction de logements abordables pour les classes moyennes qui veulent accéder à la propriété, soit aux alentours de 3 500 à 4 000 euros par mètre carré. Le sujet suscite l'intérêt de nombreux organismes, tels l'Institut de la transition foncière, qui devraient réussir à imaginer des mécanismes d'encadrement… de sorte qu'on évite d'en finir par construire des logements à 7 000 euros par mètre carré, qui ne trouvent pas preneurs.

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Quand les gens n'ont pas les ressources nécessaires pour payer un loyer, même décoté par rapport au prix du marché libre, ne serait-ce pas aux APL de compenser ? C'est la seule manière de préserver la mobilité. Que les gens soient un peu moins aidés lorsque leurs revenus augmentent est assez logique et cela vaut mieux que les enfermer dans des logements dont les prix bougent à peine avec le temps et ne correspondent plus à la réalité du marché. Il y a là un enjeu d'économie du logement social.

Le logement social est un logement rentable, puisque des loyers sont encaissés, même s'ils sont décotés. Une fois le bien amorti, on gagne plus d'argent qu'on n'en dépense et je m'étonne donc que ce patrimoine immobilier ne permette plus de solvabiliser les bailleurs et de dégager des liquidités pour construire. Le parc social, qui représente plus de 500 milliards d'euros de patrimoine, ne vaut rien en termes comptables : est-ce normal ? N'est-il pas possible de revenir à des loyers encadrés, moyennant un zonage – car la situation n'est évidemment pas la même en région parisienne et dans d'autres régions ? Si nous en restons à la complexité des barèmes actuels, nous ne nous en sortirons pas.

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Agnès Thouvenot, membre du groupe de travail « Logement » de l'Association des maires de France (AMF)

C'est tant mieux si le parc social ne donne pas lieu à valorisation financière, car il s'agit d'un bien commun. Aujourd'hui, on financiarise tout – l'eau comme les forêts. Or le logement est un bien social fondamental, et le droit au logement, un droit à la dignité. Il est nécessaire d'avoir un toit pour subvenir à ses besoins, éduquer ses enfants, travailler et construire une vie : je ne suis donc pas favorable à la financiarisation du logement social. Au demeurant, on n'est pas obligé de valoriser financièrement le parc pour remettre à plat les loyers et, effectivement, peut-être y a-t-il là une piste pour permettre plus de mobilité.

Il existe certes le mécanisme du surloyer, mais les logements concernés ne sont pas très nombreux : il n'y a pas beaucoup de ménages dont les revenus se situeraient au-dessus des plafonds et qui vivraient richement dans des logements qu'ils n'ont pas choisis. La question est plutôt celle de l'assignation à résidence que subissent ceux qui ne choisissent pas le lieu où ils habitent et qui sont contraints par les prix de l'immobilier à rester dans les quartiers où ils se trouvent.

Les opérations de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) permettent quelques mobilités résidentielles choisies. Certaines personnes peuvent partir, d'autres reviennent ou arrivent – parfois plus pauvres encore, ce qui risque de laisser penser que les actions menées par l'Anru ne sont pas bénéfiques.

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Notre collègue Dominique Da Silva a le mérite de la constance, car il défend la même position à chaque audition !

La valorisation du patrimoine HLM est une vieille lubie du ministère des Finances. Je me souviens avoir eu, lors du débat sur la loi Elan, de longues discussions sur ce sujet avec le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, et son secrétaire d'État, Julien Denormandie. Le mouvement HLM et moi-même avions fini par les convaincre que l'économie du logement avait besoin de marcher sur deux jambes, l'une privée et l'autre publique (ou socialisée), et que le modèle économique HLM, qui a fait ses preuves au fil du temps, reposait précisément sur le fait qu'il n'y a plus d'encours sur une partie du patrimoine, en raison de son âge, et que les gains réalisés par un organisme sur le patrimoine amorti lui permettaient de dégager des marges pour investir, produire ou réhabiliter. Cet équilibrage de long terme fait la solidité du système, à l'opposé du court-termisme de l'économie privée. Coexistent donc un segment privé et un segment socialisé et il ne faut surtout pas déséquilibrer cette mixité de l'économie du logement, qui a permis que, dans des moments de crise, les acteurs puissent se relayer selon que leur situation était plus ou moins bonne.

La crise que nous traversons aujourd'hui est à la fois une crise immobilière, une crise sociale et une crise du logement, qui met en difficulté aussi bien le secteur socialisé que le secteur privé, pour des raisons multiples sur lesquelles je ne m'étendrai pas. La loi Elan a mis un terme à la velléité de capitaliser le patrimoine HLM, en entérinant le fait qu'il s'agissait d'une économie de long terme. Du reste, la durée des prêts consentis notamment par la Caisse des dépôts et consignations pour construire ou acheter du foncier témoigne de cette vision de long terme, qui permet à la fois de proposer des loyers inférieurs au prix du marché et de jouer le rôle social qu'assume le mouvement HLM.

Il n'y a pas de rente de situation dans le patrimoine HLM, sinon à la marge. Ce qui bloque la mobilité dans ce parc est le fait que, dans le parcours d'ascension sociale du salarié français moyen, le passage du HLM à la primo-accession, qui précédemment était une simple marche, est devenu, en raison des écarts de prix, un obstacle infranchissable ; dans les zones tendues, la mobilité dans le parc HLM a été divisée par deux : alors qu'elle était de 10 % ou 12 % par an, elle est désormais de 4 % à 6 %. En une cinquantaine d'années, la part du logement dans le budget des ménages est passée de 9 % environ du revenu dans les années soixante à 30 % en moyenne aujourd'hui, la proportion étant beaucoup plus importante pour les familles les plus modestes.

Ce n'est donc pas en augmentant les loyers ni en remettant en cause la mixité de notre économie du logement qu'on trouvera des solutions, mais plutôt en renforçant des modèles qui ont permis à notre pays de faire de grandes choses qu'il ne parvient plus à faire aujourd'hui, parce que nous avons trop démantelé le système. Il faut sans doute l'adapter et le moderniser, mais sans remettre en cause ses fondamentaux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un immeuble amorti génère évidemment des moyens permettant aux bailleurs de produire et de rénover, mais il faut aussi optimiser ce patrimoine. Louer à des niveaux de prix très inférieurs à ceux des logements plus récents construits à proximité ne correspond pas à la réalité de l'économie de l'habitat. Le fait qu'un immeuble soit ancien ou neuf ne doit pas faire varier les loyers du simple au triple, si le logement dispose des commodités requises. Il n'y a que dans le social que l'on ne suit pas le marché.

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La ville de Saint-Denis, dont je suis élu, compte de nombreux logements construits entre les années trente et soixante – il s'y trouve même la première cité HLM construite en France, en 1890 – et l'écart de loyer avec les immeubles récents n'est pas de un à trois, car ces cités ont été réhabilitées et leurs loyers ont été réajustés, en partie d'ailleurs pour payer cette réhabilitation.

Cependant, le taux d'effort des familles qui y vivent – car c'est là ce qui doit principalement nous intéresser – est souvent élevé et la mixité sociale n'est malheureusement pas au rendez-vous dans ces quartiers.

Pour le locataire, ce qui compte n'est pas tant le loyer que la quittance. Or, si je ne me trompe pas, le décret relatif aux charges locatives n'a pas été modifié depuis le début des années quatre-vingt, de sorte que l'APL ne solvabilise les ménages que pour la partie correspondant au loyer, qui ne représente parfois que 50 % de la quittance. Cette situation ne s'améliore pas, du fait notamment des augmentations du coût de l'énergie. Il faut donc plutôt raisonner en termes de quittance et en fonction des revenus du ménage : même avec un loyer de 7 euros par mètre carré – ce qui est maintenant le cas pour les loyers les plus bas du parc HLM, y compris pour les immeubles les plus anciens, les loyers situés entre 5 et 7 euros étant désormais très rares, même s'il en existe encore –, l'explosion du montant des charges rend souvent difficile pour les familles d'assumer les quittances. Ainsi, pour les 25 % de retraités qu'accueille le parc HLM de Saint-Denis et qui, même au minimum vieillesse, ne perçoivent plus l'aide personnalisée au logement une fois leurs enfants partis, la quittance peut représenter 40 %, voire 50 %, de leurs revenus. Il faut tenir compte de cette réalité.

Je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 15 h 00

Présents. – M. Mickaël Cosson, M. Dominique Da Silva, M. Stéphane Peu.