Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du jeudi 15 février 2024 à 14h00

Résumé de la réunion

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Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Jeudi 15 février 2024

La séance est ouverte à quatorze heures

Présidence de M. Guillaume Vuilletet, rapporteur

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition de la table ronde « Bilan de la gestion de l'ouragan Irma et de la reconstruction à Saint-Martin et Saint-Barthélemy » réunissant : Mme Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin et M. Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy (2007-2022).

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Je vous prie de bien vouloir excuser M. le président Mansour Kamardine : chacun comprendra que les événements en cours à Mayotte perturbent très fortement son agenda.

Nous poursuivons, cet après-midi, les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée au bilan de la gestion de l'ouragan Irma qui a touché le nord des Petites Antilles en septembre 2017, ainsi qu'à celui de la reconstruction à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Nous sommes connectés en visioconférence avec M. Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy de 2007 à 2022, ainsi qu'avec Mme Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin. Je les remercie d'avoir pu se rendre disponibles pour cette table ronde.

Après une série d'auditions consacrées aux organismes de recherche scientifique, à des questions plus techniques et à celles de la santé et des opérateurs de réseaux, nous avons souhaité avoir un retour d'expérience à propos de l'ouragan Irma.

Le président de la collectivité de Saint-Martin à l'époque des événements n'a pas pu se rendre disponible et je souhaite que nous lui renvoyions une invitation : la différence entre une invitation pour le thé et une commission d'enquête c'est que, dans le cas d'une commission d'enquête, il faut venir.

Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale, et son enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Avant de vous laisser la parole pour une courte intervention liminaire, et avant que nous puissions poursuivre nos échanges sous forme de questions et de réponses, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bruno Magras et Mme. Ketty Karam prêtent successivement serment).

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

J'habite Saint-Martin depuis 1985. Je participe encore activement et pleinement à la vie sociale de cette ancienne commune de la Guadeloupe. Mon témoignage sera avant tout celui d'une citoyenne engagée, puisque je n'ai été élue à la présidence de la délégation territoriale de la Croix-Rouge française à Saint-Martin qu'en décembre 2019, soit deux ans après le passage de l'ouragan Irma.

Située à 250 kilomètres de la Guadeloupe et à environ 6 700 kilomètres de la France hexagonale, l'île de-Saint-Martin est partagée en deux États : une partie française de 56 km², et une partie néerlandaise de 34 km², au sud. Une frontière sépare ces deux parties où cohabitent environ 75 000 personnes issues d'une centaine de nationalités différentes. Beaucoup de ces personnes sont en situation illégale. La partie française, dans laquelle près de 40 % de la population a moins de 25 ans, connaît un taux de chômage élevé, une précarité croissante, une pénurie de logements et d'emplois. La collectivité d'outre-mer, instituée en juillet 2007, concentre les compétences d'une commune, d'une région et d'un département.

Je me suis investie à Saint-Martin dès mon arrivée. J'ai assuré la direction des hôpitaux de Saint Martin pendant huit ans, et de ceux de Saint-Barthélemy pendant deux ans. J'y ai conduit des programmes de construction et la mise en place de structures sociales, associatives et médico-sociales. Je me suis engagée comme citoyenne dans la prévention, principalement par la création d'une association, Les Liaisons Dangereuses, à la demande de l'État : prévention dans le domaine du sida et des IST (infections sexuellement transmissibles), mais, surtout, dans celui des addictions, avec la création d'un espace santé jeunes, en partenariat avec les acteurs locaux. Ces activités ont permis d'aller au plus près des populations, dans les quartiers, et surtout de pénétrer dans les établissements scolaires afin d'y faire un minimum de prévention. Quinze jours après le passage d'Irma, l'association Les Liaisons Dangereuses a d'ailleurs été la première à intervenir, avec la Croix-Rouge française, par la mise à disposition dans les quartiers du Bus Santé, à des fins de prévention et de pratique de contrôles d'hypertension : tout était ravagé et de nombreux soignants partis, si bien qu'il ne restait plus grand monde pour suivre les personnes en traitement.

La Croix-Rouge a ensuite repris Les Liaisons Dangereuses et ses activités, concrétisant ainsi un pôle établissement, avec un service pour les IST et les addictions, et l'ouverture, en 2018, d'une maison Croix-Rouge où seront rassemblés tous les moyens dont la Croix-Rouge disposait à l'époque. D'autres services furent ensuite mis en place, dont – et c'est important – une crèche.

Lors du passage d'Irma, d'après ce qu'on m'a rapporté, les moyens de la Croix-Rouge comptaient plus de 300 personnes, qui se sont éparpillées sur tout le territoire et venaient directement de la France hexagonale.

Même si des réunions de préparation s'étaient tenues préalablement avec l'État, la collectivité et les acteurs impliqués, il ne me semble pas que l'on avait réellement pris la mesure de l'importance de ces phénomènes qui nous touchent régulièrement.

Après les événements, d'importants moyens humains et logistiques ont été déployés par des organismes extérieurs. Mais il serait peut-être intéressant de mettre en place une commission de préparation impliquant, outre les services officiels, des représentants des quartiers ou des personnes d'expérience susceptibles d'apporter une autre vision que celle de la régulation administrative. Même si les moyens extérieurs ont été nécessaires à la renaissance de Saint-Martin, on peut déplorer, à entendre certains acteurs locaux, l'arrivée massive d'une espèce de touristes curieux, peu respectueux des souffrances des personnes vivant sur place, si bien que ces dernières se sont senties écartées de leur propre zone d'intervention. Il faut ajouter à cela une méconnaissance du territoire : car on parle principalement l'anglais à Saint-Martin, beaucoup l'espagnol et le créole. Le français également, certes, puisque c'est la langue officielle, mais il ne faut pas méconnaître ces diverses populations.

En dépit des alertes météorologiques, les pouvoirs publics étaient, à mon avis, complètement déphasés et dans le déni de ce qui allait se passer, méconnaissant les phénomènes cycloniques et ne sachant pas les anticiper, chacun évoluant dans sa propre sphère. Les choses ont heureusement changé depuis deux ans. J'ai le sentiment qu'il existe une meilleure coordination entre l'État et la collectivité, qui devrait conduire à la création d'une cellule de gestion de crise agissant avant, pendant et après le phénomène, avec un responsable désigné.

En ce qui concerne la coordination entre les différents services de l'État, de la collectivité et de la population, elle ne semble pas, une fois de plus, avoir été activée dans la perspective d'une réelle mise à l'abri des populations et de leur prise en charge ultérieure : la coordination s'est faite sur le tas, à l'initiative de personnes indépendantes ayant l'habitude de travailler ensemble.

La présence des armées a été utile pour la sécurité et la protection du territoire, et le RSMA (régiment du service militaire adapté) a joué un rôle important dans la prise en charge des opérations de nettoyage.

La création d'une préfecture de plein droit pour les deux collectivités ne pourrait qu'améliorer la recherche des solutions qui leur sont propres, l'une, Saint-Martin, ayant le statut communautaire d'une RUP (région ultrapériphérique), l'autre, Saint-Barthélemy, celui d'un Ptom (pays et territoire d'outre-mer). Par ailleurs, compte tenu de leur différence statutaire par rapport à la Guadeloupe, cette organisation renforcerait la reconnaissance de l'État français sur notre territoire partagé entre la France et les Pays-Bas, et du représentant de l'État ainsi nommé vis-à-vis des îles voisines, dans ce périmètre anglophone et hispanophone de la Caraïbe.

Si, sur le moment, la mobilisation des personnes et des moyens venus de la France hexagonale a été bienvenue, compte tenu de l'ampleur des dégâts et du chaos, il reste que cet apport extérieur doit être anticipé en fonction des besoins du territoire, et non apparaître comme une exhibition des moyens de la France. On peut se demander, à cet égard, quel fut l'apport réel de la présence du bâtiment de projection et de commandement Tonnerre dans nos eaux. Des inventaires et des ajustements réguliers de matériel avec des responsables de zone et les Tacom (commandement tactique) permettraient peut-être de responsabiliser la population dans la préparation aux risques.

En ce qui concerne la coopération régionale, Saint-Martin a bénéficié du soutien des collectivités régionales et départementales de la Guadeloupe, tant en matière logistique que de ressources techniques, ainsi que de quelques moyens financiers pour des programmes de reconstruction. La coopération avec Saint-Barthélemy existe également, dans la mesure des moyens humains et financiers de ce territoire.

Je passe maintenant à la question des éventuels progrès accomplis depuis Irma.

La complexité des normes demeure et celles-ci mériteraient peut-être d'être adaptées à notre territoire insulaire, partagé entre deux États.

La coopération avec la partie néerlandaise se maintient, en dépit de normes différentes. Il y a eu une avancée au sujet de l'eau : l'État a annoncé qu'en cas de besoin et de coupure, lors d'un phénomène cyclonique, nous pourrions accéder aux ressources de la partie néerlandaise, alors que les normes de l'ARS (agence régionale de santé) interdisent actuellement ce recours. C'est une bonne avancée : l'eau de Saint-Martin provient en effet de la désalinisation, et nous avons des difficultés à la capter en cas de houle.

En ce qui concerne la coopération avec la Red Cross, dirigée pendant plus de quatre ans par les Néerlandais, une convention de partenariat est à l'étude avec la Pirac (plateforme d'intervention régionale d'Amériques-Caraïbes) pour un éventuel partage des moyens. La Pirac est la coordinatrice de la réponse à l'urgence sur le territoire et gère le stock de matériel entreposé à Concordia, sur les hauteurs de Marigot. En cas d'urgence, et compte tenu du manque de moyens humains de la délégation territoriale, il a été convenu que les services préfectoraux seront autorisés à faire usage des moyens de la Pirac avec le SDIS (service départemental d'incendie et de secours), si nécessaire.

Au sujet de la construction de logements : près de sept ans après le passage d'Irma, on n'a pas encore pris toute la mesure des besoins. Les financements manquent, et on ne comptabilise qu'une vingtaine de logements sociaux livrés depuis lors. Des maisons délabrées abritent encore des familles dans des zones sensibles. Cela avait d'ailleurs été à l'origine de mouvements sociaux, lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels (PPRN).

Des obligations anticycloniques existent sur l'ensemble des territoires ultramarins mais encore faudrait-il les faire appliquer, et les adapter à chaque territoire.

L'accès à l'eau potable souffre du vieillissement des circuits de distribution. Comme je l'ai indiqué, nous pourrions éventuellement avoir recours aux réserves néerlandaises. En cas de crise, des associations – et en particulier la Croix-Rouge – peuvent procéder à des distributions de bouteilles d'eau.

L'anticipation et la préparation aux risques naturels majeurs supposent la création d'une véritable cellule de gestion de crise, avec un référent commun. Ces observations valent également au regard des risques sismiques.

Enfin, la préparation et la réponse sanitaire aux risques naturels majeurs sur le territoire de Saint-Martin supposent, avant toute chose, des conditions d'habitat et d'hébergement décentes pour des populations le plus souvent en situation de précarité. Elles ont besoin de comprendre les règles établies, ainsi que de sécurité au quotidien.

L'après-Irma a entraîné l'arrivée de travailleurs, qualifiés ou non, prêts à participer aux travaux de reconstruction : travailleurs eux-mêmes sans toit, obligés de survivre comme ils le peuvent. La dégradation de leurs conditions de vie, le montant des loyers et des transports ainsi que l'absence de centre d'hébergement ont conduit ces populations à fréquenter de plus en plus de structures d'accueil, comme le lieu d'accueil de jour et point hygiène tenu par la délégation territoriale de la Croix-Rouge française. Ces personnes peuvent s'y doucher, laver leurs vêtements, bénéficier d'un sachet alimentaire, d'un kit d'hygiène, et partager un coin lecture. Ce lieu d'accueil continue de voir sa fréquentation augmenter, puisqu'il est passé de 4 610 passages en 2022 à 5 980 en 2023, à raison de neuf heures d'ouverture par semaine. Il est tenu par les bénévoles de la délégation territoriale, qui profitent de ces passages pour donner des conseils de prévention et orienter vers les services sociaux. Il convient de noter que la délégation territoriale vient de signer une convention de partenariat avec l'assurance maladie pour l'ouverture d'un pôle d'accès au droit dans ses locaux. Ce lieu permet aussi de diffuser les informations issues des services de l'État ou de la collectivité, notamment en période précyclonique : mesures à prendre et liste des abris anticycloniques.

Ces quelques thèmes évoquent la stratégie 2030 que la Croix-Rouge française entend porter. Elle repose sur les trois piliers de la résilience : prévenir, protéger, relever. Notre territoire, à travers les bénévoles de la délégation territoriale et les salariés de ses établissements, est un acteur de cette stratégie.

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Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy

Lorsque l'île de Saint-Barthélemy a été frappée par Irma, le 6 septembre 2017, j'assumais les fonctions de président de la collectivité. Au cours de mes mandats successifs, entre 1995 et 2017, Saint-Barthélemy a subi neuf phénomènes cycloniques. Je peux par conséquent affirmer que nous avons, dans notre île, une certaine expérience et une certaine culture du risque cyclonique. Si nous n'avons eu à déplorer ni mort ni blessé, c'est, d'une part, grâce à la discipline des habitants, qui respectent les consignes, et, d'autre part, grâce à la qualité du bâti. Les règles en matière de solidité du matériau et d'urbanisme sont respectées.

En dépit de l'importance du phénomène, les choses se sont bien passées pour nous. Il n'y a pas eu de panique, si ce n'est quelque peu du fait de la destruction des moyens de communication, dans les jours qui ont suivi. La situation a cependant été rapidement rétablie.

La collectivité, quant à elle, a toujours su anticiper et préparer. Certes, c'est plus facile dans le cas de l'arrivée d'un cyclone que dans celle d'un séisme. Les choses ont toujours été prises au sérieux. Depuis Luis, cyclone de catégorie 4, qui a frappé les îles les 5 et 6 septembre 1995, la collectivité a pris les mesures qui s'imposaient en matière d'abri sûr, d'activation du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) avant la saison des phénomènes cycloniques, de gestion de l'écoulement de l'eau dans les zones basses, d'équipement des services de sécurité. Au fil du temps, chaque phénomène apporte son lot d'expériences. Nous avons lancé, en 2020, la construction d'un parking immense, à l'échelle de Saint-Barthélemy, dont le sous-sol est prévu pour abriter durant le passage du phénomène tous les véhicules de sécurité – ambulances, véhicules de police et de gendarmerie, véhicules des pompiers et de l'hôpital –, et dont le rez-de-chaussée peut être aménagé pour offrir un abri sûr en cas de survenue d'un phénomène aussi important qu'Irma.

Je n'ai pas grand-chose à reprocher à l'État en ce qui concerne sa rapidité d'intervention. Dès le lendemain du passage d'Irma, nous avons bénéficié, en tout, du renfort de seize gendarmes, de l'arrivée de huit pompiers professionnels et d'une dizaine de membres de la sécurité civile. Mais j'ai toujours été agréablement surpris par la réactivité de la population et la rapidité avec laquelle tout le monde se met au travail pour remettre l'île en état.

Ce que je pourrais recommander, c'est un prépositionnement de certaines équipes dans les îles menacées par des phénomènes aussi violents. En 1995, le préfet Michel Diefenbacher, avec qui j'avais dû gérer le passage du cyclone Luis, avait prépositionné en Guadeloupe une équipe de la sécurité civile qui s'était rapidement rendue à Saint-Barthélemy. Mais ce serait une excellente chose si des pompiers professionnels, des gendarmes et des membres de la sécurité civile pouvaient se trouver sur place, en renfort, avant que l'île ne soit frappée.

Reste le problème de l'importance, évidemment imprévisible, de la catastrophe : force des rafales, puissance des vagues ou des secousses en cas de séisme. La difficulté, pour nos petites îles, est alors celle des évacuations sanitaires. Dans l'hypothèse où les infrastructures seraient endommagées, la question se pose de la disponibilité d'hélicoptères, par exemple, pour procéder à l'évacuation des blessés. L'État dispose-t-il des moyens pour venir en aide, dans de pareils cas ?

Quant à la coopération avec la partie néerlandaise de Saint-Martin, elle est quasiment inexistante et se limite à des relations de bon voisinage, en dépit du fait que l'aéroport international de Saint-Martin soit la porte d'entrée et de sortie de l'île de Saint-Barthélemy, pour les visiteurs comme pour ses habitants. Devrions-nous avoir besoin d'en appeler à la partie française ou à la partie néerlandaise de Saint-Martin, je ne doute cependant pas un instant que nous serions rapidement aidés, les îles n'étant éloignées que d'une trentaine de kilomètres.

Il y a une politique de formation à conduire, relativement aux phénomènes cycloniques et sismiques, auprès non seulement des jeunes, mais aussi de tous ceux qui le veulent. Former aux premiers secours, former à se préparer aux événements : je crois beaucoup à la responsabilité individuelle. Face à des phénomènes d'une telle violence, chacun doit être à même d'assumer ses responsabilités sans attendre que la collectivité ou l'État vienne lui dicter ce qu'il doit faire. Il y a donc peut-être une politique de formation et de sensibilisation à conduire dès le plus jeune âge, dans laquelle les professionnels du service territorial incendie secours pourraient jouer un rôle. L'État doit certes rester attentif aux événements, mais, comme je l'avais déclaré lors d'une interview qu'un journaliste m'avait quelque peu arrachée après le passage d'Irma, nous avons pris nos responsabilités en devenant une collectivité d'outre-mer autonome. Nous devons donc être en mesure d'y faire face, avec, bien entendu, le coup de main de l'État lorsque c'est nécessaire.

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Compte tenu du format particulier de notre table ronde et de la présence du député des deux territoires, je souhaite commencer par donner la parole à M. Frantz Gumbs.

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Vos interventions restituent très bien l'ambiance qui régnait dans les deux territoires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy au moment du passage de l'ouragan. J'ai constaté aussi, qu'au lendemain de celui-ci, des personnes extérieures à l'île, qui étaient venues y travailler – à l'école, à l'hôpital ou dans différentes administrations –, et dont le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) n'était pas situé sur ces îles, ont été à ce point traumatisées qu'elles se sont enfuies. Elles ont été évacuées en urgence, avec l'aide de l'armée, et nombre d'entre elles ne sont pas revenues. Avez-vous vu la même chose ?

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Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy

Effectivement, des gens qui n'ont pas la culture du phénomène cyclonique ont été traumatisés par Irma. Les habitants des îles, eux, en voient tous les ans. Mon inquiétude à moi, c'était essentiellement la sécurité. Je craignais que parmi tous ces jeunes – et moins jeunes – qui ne connaissent pas le déchaînement de violence que peut produire un phénomène de catégorie 4 ou 5, il y ait beaucoup de blessés ou des morts. Fort heureusement, je l'ai dit, les consignes ont été respectées et nous avons évité un drame.

Ce qui a provoqué un bref moment de panique chez ces personnes venues travailler dans l'île, c'est la rupture des communications, qui les a empêchées d'entrer en contact avec leur famille, en métropole ou ailleurs, mais elles ont vite été rétablies.

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

Je rejoins tout à fait le président Magras. Il est vrai que ces personnes, qui étaient vraiment affolées, ont voulu partir, et je dois reconnaître que leur départ a été particulièrement bien organisé, comme celui des personnes qui ont voulu rejoindre la Guadeloupe parce qu'elles n'avaient plus de maison, ou la métropole, pour que leurs enfants continuent à être scolarisés.

Ce qui a été déplorable, et j'en ai dit un mot tout à l'heure, ce sont les gens qui sont arrivés après, pour aider à reconstruire. Ils faisaient preuve d'une méconnaissance totale du territoire et étaient plutôt dans un esprit « pousse-toi de là, que je m'y mette », sans considération pour les habitants qui venaient de subir Irma.

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J'aimerais revenir sur la question de l'eau, que Mme Karam a évoquée. Il y a eu une panne de la production d'eau dans la partie française et on savait que la partie néerlandaise avait une capacité de production importante, qui dépassait ses besoins. Les autorités locales ont pris contact avec celles de la partie néerlandaise pour leur demander si elles pouvaient leur vendre de l'eau. Elles ont tout de suite accepté de faire les branchements nécessaires, mais la réglementation française, les normes de l'ARS, l'ont interdit, alors que les méthodes de production sont exactement les mêmes des deux côtés de l'île. De plus, si je ne me trompe pas, les deux entreprises qui produisent l'eau sont des filiales de l'entreprise française Veolia – c'était du moins le cas il y a quelques années. De mémoire, nous n'avons pu dépasser ce problème qu'après l'intervention du Premier ministre de l'époque.

Au-delà des situations d'urgence, il doit être possible que les deux parties de l'île coopèrent beaucoup plus, sur la question de l'eau, mais aussi sur d'autres, comme la banque de sang. S'il y a un accident dans la partie française et qu'il manque du sang, on en fait venir de la Guadeloupe, ce qui prend beaucoup plus de temps que si on le faisait venir de la partie néerlandaise, qui a aussi un hôpital, et sans doute sa banque de sang. Nous avons appris très récemment que Saint-Martin ne peut pas traiter les Dasri (déchets d'activités de soins à risques infectieux) produits par les hôpitaux, mais que Saint-Barthélemy peut le faire, parce qu'elle a la compétence environnement et une unité de valorisation des déchets. Même entre ces deux îles françaises, la réglementation peut être un frein à la coopération.

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Je me doutais, cher collègue, que vous ne vous contenteriez pas de poser des questions, mais que vous nous livreriez aussi votre témoignage, et c'est bien normal.

Étant parlementaire depuis 2017 et ayant été rapporteur d'un certain nombre de textes de loi relatifs aux outre-mer, j'ai aussi été rapporteur du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2019-235 du 27 mars 2019 relative aux dispositions pénales et de procédure pénale du code de l'urbanisme de Saint-Martin. Ce texte n'était pas révolutionnaire : il s'agissait, dans le cadre des ordonnances prévues à l'article 74-1 de la Constitution, d'étendre au droit local certaines dispositions du droit hexagonal. On avait remarqué qu'à Saint-Martin – et vous nous direz ce qu'il en est à Saint-Barthélemy –, les normes et les règles d'urbanisme étaient peu appliquées, ce qui créait un urbanisme assez désordonné. Quel est votre point de vue là-dessus ? Je poserai la même question aux autorités actuelles et passées de Saint-Martin, lorsque nous les auditionnerons. Les choses ont-elles évolué depuis cette époque ? Je me rappelle que le Président de la République, lorsqu'il s'est rendu à Saint-Martin, avait eu des mots très forts pour décrire la situation et j'imagine qu'il a fallu du temps pour que les choses bougent.

S'agissant de la population très fragile et, pour être clair, en situation irrégulière, comment vous y êtes-vous pris pour la préparer à ce qui allait arriver ? Et que s'est-il passé après ? Vous avez évoqué les personnes extérieures à ces îles, qui y exercent des missions essentielles, et qui ont été très surprises par la violence du phénomène, parce qu'elles n'ont pas la culture du risque que vous évoquiez. Fait-on désormais en sorte que ces personnes, ou celles qui arrivent, aient une formation accélérée à la connaissance des risques ? Ce que j'ai compris, c'est que nombre d'entre elles sont parties et que très peu sont revenues : j'imagine que cela a créé une béance dans la gamme des services dont ces îles ont besoin.

À vous entendre, le retour d'expérience est encore à faire, notamment en ce qui concerne le ressenti de la société civile et des acteurs de terrain, et cela m'inquiète un peu, car les épisodes cycloniques de forte intensité sont tout de même courants. Madame Karam, avez-vous été associée à la modification des plans Orsec qui ont suivi Irma ? À ce sujet, je souhaite que l'administration de la commission demande aux collectivités que nous auditionnerons qu'elles nous présentent leur plan Orsec, avant et après la dernière catastrophe naturelle qu'elles ont subie, afin que nous voyions comment il a été modifié. Il serait également souhaitable que la commission dispose des procès-verbaux des réunions qui ont permis ces modifications.

J'aimerais, pour finir, revenir sur les questions de voisinage et d'entraide. En tant que président de la commission d'enquête sur la vie chère en outre-mer, j'avais été accueilli par Frantz Gumbs dans sa circonscription. J'avais pu observer ce que l'on m'avait décrit, à savoir le caractère un peu kafkaïen des normes sur l'eau, qui empêchent les échanges entre Saint-Martin et Sint-Maarten. Je ne doute pas qu'une coopération puisse avoir lieu en cas d'événement exceptionnel, mais ce que j'ai compris, c'est qu'il n'existe pas de structure de coopération régionale permettant de mettre en place des mesures de soutien ou de secours, en dehors de la plateforme de la Croix-Rouge, qui, quant à elle, répartit ses moyens en fonction des nécessités. Pouvez-vous revenir sur ce point ? Confirmez-vous qu'entre les collectivités et les États, il n'y a pas de planification de gestion des aléas ?

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

S'agissant des plans Orsec, la Croix-Rouge a participé aux réunions d'organisation et de secours, mais il est vrai que, dans l'affolement, on n'arrive pas toujours à faire ce qui a été décidé. Vous parlez de la coordination du plan Orsec avec la zone néerlandaise : dans les réunions auxquelles nous invite la préfecture, il y a des représentants de la zone néerlandaise, notamment des pompiers. Mais les contraintes sont telles, que la coopération n'est pas toujours évidente.

Vous m'interrogez sur le manque de personnel : le turnover est particulièrement important parmi le personnel infirmier. Il est vrai qu'Irma, qui a fait fuir beaucoup de monde, a créé un vide. Ce qu'il faut, c'est développer la formation sur place – un institut de formation est d'ailleurs en projet. Cela nous permettrait d'avoir du personnel en permanence et de dépanner éventuellement Saint-Barthélemy – je ne parle pas de la partie néerlandaise de Saint-Martin, puisque nous n'avons pas les mêmes normes et qu'ils ne nous le demandent pas. La question du personnel est vraiment essentielle : pour toutes les spécialités, nous devons recourir à l'extérieur. Or, pour que l'île accueille davantage de monde, venant de Guadeloupe ou de métropole, il faudrait que les aéroports aient une activité plus importante.

S'agissant du logement, vous parlez du code de l'urbanisme, mais il va bien falloir trouver une solution pour toutes les personnes qui n'ont pas de titre de propriété et qui ne peuvent pas déménager et aller ailleurs. Ce n'est pas en faisant de Saint-Martin un îlot de logements sociaux que nous y arriverons. Saint-Martin n'est pas Mayotte, mais l'immigration en provenance de la Caraïbe y crée des situations tragiques. Il faut que nous arrivions à intégrer ces populations ou que des dispositions soient prises pour organiser une forme de vie normale à Saint-Martin.

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Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy

Vous dites, monsieur le rapporteur, que l'urbanisme dans nos îles est un peu confus ou désorganisé : ce n'est pas le cas à Saint-Barthélemy. Le 1er janvier 2008, la compétence urbanisme a été transférée à la collectivité. Auparavant, l'instruction des demandes de permis de construire était faite par l'ingénieur de la direction départementale de l'équipement (DDE). En cas de divergence entre la DDE et le maire de Saint-Barthélemy, que j'étais à l'époque, c'était M. le sous-préfet qui tranchait. Depuis 2008, nous avons établi des règles d'urbanisme qui sont bien plus strictes que celles en vigueur sur l'ensemble du territoire national. Malheureusement, il y a eu des procédures devant les tribunaux ; la carte d'urbanisme et les règles qui l'accompagnent ont été annulées à plusieurs reprises ; finalement, le Conseil d'État a confirmé la validité du code de l'urbanisme de Saint-Barthélemy. Le 14 février 2017, le conseil territorial de Saint-Barthélemy a adopté une carte d'urbanisme, qui a été révisée le 4 décembre 2020, en tenant compte de quelques remarques du Conseil d'État. Depuis, elle est appliquée sans difficultés.

Il n'y a pas d'habitat fragile à Saint-Barthélemy. Sans vouloir être critique vis-à-vis de Saint-Martin, il n'y a pas chez nous le même type de bâti – le député Gumbs, comme Mme Karam, pourra le confirmer. Le problème, c'est que nous avons subi le passage d'un ouragan dont les rafales atteignaient 300 kilomètres à l'heure ! Nous avons comptabilisé 8 600 sinistres à Saint-Barthélemy et 3 870 habitations ont été touchées, à des niveaux divers. Dieu merci, la qualité du bâti et le respect des consignes ont fait que nous n'avons eu à déplorer ni morts, ni blessés. Nous devons continuer de nous assurer de la qualité du bâti à Saint-Barthélemy. Immédiatement après le passage d'Irma, nous avons amélioré les règles d'urbanisme, essentiellement pour tenir compte des constructions situées à proximité du littoral, certains secteurs de l'île – Lorient, Saint-Jean ou Flamands – ayant été touchés par des vagues de submersion particulièrement importantes. Il a fallu prévoir des règles de rehaussement des constructions et des règles d'aménagement pour que les gens qui habitent dans ces secteurs se sentent en sécurité, quitte à les faire évacuer en cas de doute.

Nous avons pris tous ces éléments en compte, mais il ne faut pas se faire d'illusions : face à des phénomènes très violents, nous ne pourrons pas échapper à des destructions. Il faut s'y préparer et s'organiser au mieux. D'ailleurs, nous recommandons désormais – même si ce n'est pas une obligation – que dans les nouvelles constructions, il y ait un local sécurisé avec un toit en béton, où les gens puissent s'abriter. Ce sont des mesures de cet ordre qu'il faut prendre pour protéger la vie des personnes. Selon la violence du phénomène, les dégâts seront plus ou moins importants. Le risque zéro n'existe pas, face aux risques cyclonique et sismique, dans les Antilles comme partout ailleurs.

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J'ai bien compris que vous aviez l'un et l'autre une appréciation plutôt positive de la manière dont l'État avait mis à votre disposition ses moyens humains et matériels. Avez-vous la même appréciation au sujet de la résilience ? Trouvez-vous que l'attitude de la nation pour aider les territoires à se relever et surtout à prendre en compte l'expérience durement acquise pour la suite a été satisfaisante ?

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Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy

Personnellement, comme je l'ai déjà indiqué, je n'ai pas de reproches particuliers à faire à l'État. Il est intervenu rapidement, en mettant les moyens nécessaires. Nous n'étions pas demandeurs et, du reste, Saint-Martin avait davantage besoin d'attention que Saint-Barthélemy. Ce que je peux dire, c'est que j'ai été agréablement surpris par la rapidité avec laquelle la société EDF est intervenue après le passage d'Irma. Les réseaux électriques ont été remis en état très rapidement et nous avons poursuivi la politique que nous avions lancée avec le président Gilles Ménage en 1995, après le passage du cyclone Luis, d'enfouissement des réseaux. Nous l'avons fait avec le concours d'EDF, de la collectivité et de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui nous a aidés avec le fonds d'amortissement des charges d'électrification (Facé).

Parallèlement, les compagnies d'assurances ont joué leur rôle. Elles sont intervenues assez vite et ce sont 770 à 780 millions qui ont été injectés sur Saint-Barthélemy, ce qui a permis une reprise rapide des constructions et la rénovation de ce qui avait été plus ou moins endommagé. L'île a ainsi pu exercer son activité touristique pendant la saison 2017-2018 sans trop de dégâts.

L'État est intervenu par la suite, à travers quelques aides aux entreprises qui en avaient besoin. Par ailleurs, la décision qui a été prise immédiatement de désigner un coordonnateur en la personne de M. Philippe Gustin a été très bonne. Il a pu coordonner, avec les différents services de l'État, basés aussi bien à Saint-Martin ou Saint-Barthélemy qu'en Guadeloupe, ce qu'il fallait faire. Vous nous demandiez, dans le questionnaire, ce que nous pensions de l'idée d'avoir une préfecture de plein droit dans les îles du Nord : c'est une demande que j'ai formulée il y a déjà un certain temps et j'ai cru comprendre que le ministre de l'intérieur était sur le point d'en prendre la décision. C'est une bonne chose : nous sommes à 250 kilomètres de la Guadeloupe et ne pouvons plus être tributaires de décisions qui mettent du temps à intervenir.

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

Je suis du même avis que le président Magras. Quant à la résilience, je pense que la présence de la Croix-Rouge, qui ne cesse de s'intensifier, y contribue grandement puisque sa stratégie consiste à prévenir, protéger et relever. Il faut éduquer les populations et c'est un vrai défi puisque, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, il y a à Saint-Martin un mélange de populations qui n'ont pas du tout les mêmes cultures, ni les mêmes habitudes. Il faudra peut-être le soutien de l'État pour avancer dans ce domaine.

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Je vous remercie de vos témoignages, mais j'ai quand même le sentiment d'un vrai décalage entre ce qui s'est passé à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. En matière de reconstruction, il me semble tout de même que le bilan n'est pas tout à fait le même. C'est d'ailleurs ce qui avait suscité les remarques du Président de la République. Qu'est-ce qui explique cette divergence ?

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

Je ne saurais vous répondre, ce n'est pas mon secteur. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a toujours des défaillances en matière de logement. Il faut tout de même insister sur le fait que la population de Saint-Martin n'est pas la même que celle de Saint-Barthélemy : les gens de Saint-Martin n'étaient pas forcément assurés et, dans ce cas-là, il faut trouver de l'argent pour reconstruire.

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Le fait que les deux territoires aient des structures démographiques et sociales totalement différentes explique effectivement beaucoup de choses. Ils ont aussi des histoires différentes. Bruno Magras a expliqué qu'il s'était presque occupé tout seul de son code de l'urbanisme ; or il est respecté et les gens respectent les consignes. La petite taille du territoire explique peut-être aussi qu'il soit plus facile à contrôler que celui de Saint-Martin.

À Saint-Martin, au-delà de la structure démographique et sociale, il y a aussi la frontière ouverte avec la partie néerlandaise de l'île, qui permet un flux permanent, impossible à gérer. Par ailleurs, des quartiers entiers sont frappés par une squattérisation vieille de cinquante, soixante, voire soixante-dix ans. Je pense par exemple à la zone des cinquante pas géométriques de Sandy-Ground : un processus de régularisation complexe y est en cours. C'est surtout cet habitat plus ou moins improvisé, construit en dehors des règles strictes d'urbanisme, qui a été impacté par la violence de l'ouragan. Saint-Barthélemy ne connaît pas ce phénomène de squattérisation. Par ailleurs, du fait de son niveau de développement économique, l'immobilier y est beaucoup plus assuré qu'à Saint-Martin, où nombre de personnes ne sont pas assurées et où l'habitat est plus fragile : nombre de toits s'y sont envolés.

En réalité, nous avons eu de la chance de ne pas avoir eu plus de morts, car une grande partie de l'habitat est située sur le bord de l'eau. Dans le village de Quartier-d'Orléans, les habitations, bien que se trouvant au bord du lagon, sont protégées par une importante mangrove : les effets de la submersion marine ont donc été ceux non pas d'une vague destructrice, mais d'une eau qui monte progressivement, à un, deux ou trois mètres, avant de se retirer tranquillement. Les habitants ont ainsi pu nager pour se mettre en sécurité.

D'un point de vue structurel et social, les deux îles sont très différentes. La collectivité en a certainement tiré les leçons. Bruno Magras l'a évoqué, en matière de construction, depuis Irma, les permis de construire doivent intégrer un lieu sécurisé et équipé, où tenir trois ou quatre jours, avec de l'eau et de quoi se restaurer. Cette disposition figure dans les codes de l'urbanisme et de la construction et de l'habitation, qui relèvent de la compétence de nos deux collectivités. Ainsi, tous les nouveaux hôtels comportant deux ou trois étages et situés au bord d'une plage, avec un risque de submersion, ne sauraient être autorisés à construire des chambres au rez-de-chaussée. En outre, obligation leur est faite d'avoir un lieu sécurisé pour les clients. Les règles en matière de construction ont évolué.

Les services qui interviennent en prévention et postérieurement aux cyclones sont également mieux préparés. Le président Magras a indiqué avoir vécu neuf phénomènes cycloniques, entre 1995 et 2017. Pour ma part, à mon grand âge, je n'ai connu que trois phénomènes majeurs : les ouragans Donna en 1960, Luis en 1995 et Irma, qui fut le pire, en 2017. Pendant les périodes intermédiaires, des cyclones moins exceptionnels surviennent tous les deux ou trois ans. La population a donc acquis une certaine expérience et pris l'habitude de se protéger le mieux possible à leur annonce.

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J'aurai deux dernières questions. D'une part, quel est votre regard sur la coopération de la Guadeloupe avec les territoires voisins ? D'autre part, existe-t-il, à l'échelle régionale, entre les différentes îles du secteur, une forme établie de coopération permettant une mutualisation, ou du moins une meilleure mise en œuvre des secours ?

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

La préfecture de la Guadeloupe organise des réunions à cet effet en début d'année, dès le mois de mars, entre les différents acteurs concernés. La création d'une préfecture de plein exercice permettrait sans doute d'organiser davantage de choses, notamment avec Saint-Barthélemy.

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Nous avons fortement intérêt à développer la mutualisation de certains équipements, comme les aéroports. Au moment d'Irma, l'aéroport international Princesse-Juliana a été rendu inopérant. C'est le petit aéroport de Grand-Case à Saint-Martin qui a permis les premiers atterrissages. À proximité, à Anguilla, il existe une piste susceptible de recevoir des vols transatlantiques – des moyen-porteurs, voire des gros-porteurs. Il ne faut donc pas oublier tout le potentiel offert par l'environnement immédiat – si Saint-Barthélémy se situe à trente kilomètres de Saint-Martin, Anguilla est à moins de dix kilomètres. Les échanges avec les îles très proches gagneraient ainsi à être développés.

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Ketty Karam, présidente de la délégation territoriale de la Croix-Rouge de Saint-Martin

Toutefois, si nous sommes touchés, elles le seront aussi.

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Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy

Les liens avec la Guadeloupe sont normaux – sans plus. En effet, depuis que nous sommes devenus une collectivité d'outre-mer autonome, nous nous administrons librement. Certains des grands services extérieurs de l'État situés en Guadeloupe interviennent à Saint-Barthélémy, sur demande ou dans leur domaine de compétence. Saint-Barthélémy étant une île de 21 kilomètres carrés, nous sommes néanmoins tributaires des transferts sanitaires vers la Guadeloupe ou la Martinique.

En tout état de cause, j'ai la conviction qu'en cas de situations graves, il faut intervenir sans attendre la Guadeloupe, située à 250 kilomètres, même si beaucoup d'entreprises guadeloupéennes sont intervenues après le cyclone : par chance, les infrastructures portuaires et aéroportuaires de Saint-Barthélémy n'avaient pas été très endommagées.

Comme l'a évoqué Frantz Gumbs, c'est dans le cadre régional qu'une coopération sera possible : même si toutes les îles sont frappées, une entraide peut être organisée en fonction de la situation postcyclonique de chacune. S'il est important de maintenir les liens avec la Guadeloupe – les relations doivent être conservées entre les îles françaises –, je fais mienne l'expression « aide-toi, le ciel t'aidera ». Commençons par nous aider nous-mêmes, avant de faire appel aux autres !

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Nous en venons aux éventuelles interventions conclusives. Vous pouvez également compléter vos propos en nous faisant parvenir ultérieurement une contribution écrite, en sus de vos réponses au questionnaire.

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Bruno Magras, ancien président de la collectivité de Saint-Barthélemy

Il était extrêmement important que les acteurs locaux prennent et assument leurs responsabilités, même si l'État doit également apporter son concours. Nous savons désormais anticiper les cyclones et l'expérience a montré que la question de l'organisation est primordiale. Si nous devions connaître un phénomène tel que celui subi par Haïti en 2010 – un séisme responsable de 250 000 morts –, une intervention de l'État dans les meilleurs délais serait néanmoins nécessaire – même si nous sommes à 7 000 kilomètres de l'Hexagone. Les décisions prises et le sérieux avec lequel les élus analysent ces phénomènes me rendent confiant pour l'avenir. De plus, nous ne devrions pas connaître de cyclone de catégorie 5 chaque année.

La séance s'achève à quinze heures quinze.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition de la table ronde « Coopération avec le voisinage - Océan Indien » réunissant : Ambassade de France à Maurice : M. Marc Mertillo, Premier Conseiller ; Agence française de développement (AFD), direction régionale Océan Indien : Mme Patricia Aubras, directrice régionale ; Commission de l'océan indien (COI) : M. Vêlayoudoum Marimoutou, secrétaire général ; Plateforme d'intervention régionale de l'Océan Indien (PIROI) : M. Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes.

La séance est ouverte à quinze heures trente.

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Je présente les excuses du président Kamardine, retenu à Mayotte par des contraintes que l'actualité nous impose quasiment d'heure en heure.

Cette table ronde est consacrée à la coopération régionale entre la Réunion, Mayotte et leurs États voisins dans l'océan Indien en matière de gestion des risques naturels majeurs. Nous sommes connectés avec M. Marc Mertillo, Premier Conseiller à l'ambassade de France à Maurice, Mme Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l'Agence française du développement (AFD), M. Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la commission de l'océan Indien et M. Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes au sein de la Plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI) de la Croix-Rouge.

Madame, messieurs, je vous remercie de votre disponibilité pour cette table ronde. Elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et l'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour de courtes interventions liminaires, avant que nous ne poursuivions les échanges sous la forme de questions et de réponses.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Patricia Aubras et MM. Vêlayoudom Marimoutou, Marc Mertillo et Christian Pailler prêtent successivement serment.)

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Enfin, je salue la présence de notre collègue, Mme Cécile Rilhac, à distance.

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Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l'AFD

Je suis la directrice régionale océan Indien pour le groupe AFD, sur un périmètre d'activité comprenant Madagascar, les Comores, Maurice, les Seychelles, les territoires d'outre-mer de Mayotte et de La Réunion, ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Notre activité se déploie dans cette zone sur la base d'une stratégie régionale que nous avons travaillée en interne et avec nos partenaires en 2020. L'accompagnement de nos partenaires face au changement climatique constitue l'un des piliers de cette feuille de route.

Concernant les coopérations régionales bilatérales entre La Réunion, Maurice et leurs États voisins, je rappellerai que la région de l'océan Indien est parfois appelée la « ceinture du risque mondiale », en raison de sa vulnérabilité aux catastrophes naturelles et anthropiques. Dans cette région du monde, les catastrophes naturelles relèvent d'aspects climatologiques (cyclones, sécheresse), géologiques et tectoniques (tremblements de terre, tsunamis) ou encore hydrologiques (inondations, vagues de submersion).

Dans ce bassin océanique, La Réunion est un véritable fer de lance de la gestion des catastrophes naturelles, avec une réelle culture de la prévention des risques, en particulier des risques cycloniques ou volcaniques, ainsi que des risques liés aux inondations, à la sécheresse et aux glissements de terrain.

C'est un territoire très exposé, mais malgré tout moins vulnérable que les îles voisines, car mieux préparé. Il s'appuie sur des protocoles clairs, respectés et structurant les actions à mettre en œuvre à chaque étape d'un événement ou d'une catastrophe.

L'expertise française dans cette zone est reconnue. Cette reconnaissance passe notamment par la place et le rôle de la PIROI, plateforme que l'AFD accompagne depuis plusieurs années.

Les risques naturels qui frappent l'océan Indien sont parfois transfrontaliers, notamment lorsqu'ils relèvent de phénomènes météorologiques de grande ampleur, comme les cyclones. Dans ce cas précis, une approche collective est bien plus efficace. La coopération régionale est donc cruciale, particulièrement pour ce qui relève du partage d'expérience et d'expertise, entre les gouvernements, auprès des communautés et des acteurs, afin d'anticiper de manière efficace les événements, mais aussi d'apporter une réponse et de relever les économies à la suite de leur passage.

En cela, je pense que La Réunion apporte son expertise dans ce domaine aux autres pays et territoires de l'océan Indien. J'avais prévu de mentionner des exemples de coopération régionale ou bilatérale, portés notamment, au niveau régional, par la commission de l'océan Indien (COI). Sur ce sujet, je laisserai cependant la parole à monsieur le secrétaire général de la commission Océan indien.

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Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la COI

Pour ce qui concerne la commission de l'océan Indien, les efforts de coopération régionale s'appuient sur des projets financés principalement par l'Union européenne et l'AFD et à travers l'accord de partenariat entre la commission de l'océan Indien et la PIROI.

À La Réunion, sur le plan bilatéral, Météo-France travaille avec les pays de la zone sur plusieurs projets et initiatives. En collaboration avec la COI, un événement sur la prévision saisonnière dans l'océan Indien, appelé Southwest Indian Ocean Climate Outlook Forum (Swiofcof), est organisé chaque année. L'objectif est d'intégrer l'ensemble des informations dans la planification sectorielle (agriculture, gestion des risques…). Ce qui est important pour la région dans ce travail avec Météo-France, c'est l'implication des États membres de la COI, mais aussi du Mozambique, du Malawi, de l'Afrique du Sud, du Kenya et de la Tanzanie.

Météo-France apporte aussi un appui technique important à la COI pour la mise en œuvre d'un programme de résilience dans l'océan Indien, le programme Building Resilience in Indian Ocean (BRIO). Ce projet est financé dans le cadre du programme AdaptAction de l'AFD. Dans le cadre de ce programme, les agents des services météorologiques des États membres de la COI ont tous bénéficié de formations auprès de Météo-France à La Réunion, notamment sur la production d'analyses et de tendances climatiques à l'horizon 2100.

Un autre exemple de coopération entre l'Union européenne, comme principal bailleur, et la COI réside dans un programme intitulé « Renforcement de la résilience et gestion de la réponse aux catastrophes » dans l'océan Indien. La PIROI est impliquée dans la mise en œuvre des composantes de ce projet. La préfecture de La Réunion est également impliquée dans le partage et l'échange d'expériences sur les différentes thématiques. Ce programme vise aussi la mise en place d'une plateforme régionale sur la réduction des risques de catastrophe. Enfin, Météo-France et le centre régional de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) sur les cyclones travaillent en étroite collaboration.

Ces éléments résument en partie les projets et les programmes financés par les bailleurs – l'Union européenne et l'AFD –, au travers d'un accord de partenariat entre la COI et la PIROI. Je reviendrai ensuite sur les questions bilatérales, si cela vous convient.

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Marc Mertillo, Premier Conseiller à l'ambassade de France à Maurice

Pour ma part, je suis à l'ambassade de France à Maurice, chargée d'entretenir et de développer la relation bilatérale, sur le plan politique comme dans le domaine de la coopération, du développement et de la sécurité.

Nous menons aussi une coopération active avec La Réunion, avec la préfecture, le conseil régional et le conseil départemental, en particulier sur les questions abordées par la commission mixte Réunion-Maurice.

Nous avons également, bien entendu, une coopération avec la COI, d'autant plus proche qu'elle est basée à Maurice. Nous avons des relations régulières et étroites sur nombre de sujets.

Dans le cadre de cette table ronde, je compte personnellement intervenir sur le retour d'expérience de la gestion de crise mise en œuvre à l'occasion du cyclone Belal. Je pourrai également partager quelques éléments sur des projets de coopération bilatérale, qui pourraient être mis en œuvre dans le domaine des risques naturels majeurs dans l'océan Indien.

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Le cyclone Belal est évidemment l'événement le plus récent et le plus marquant, avec des enseignements sans doute très forts à porter.

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

La Piroi est une structure à vocation régionale. Nous dépendons de la direction des opérations internationales de la Croix-Rouge française. Habituellement, cette direction travaille plutôt à l'international, mais nous avons trois plateformes d'intervention régionale basées sur des territoires d'outre-mer, à La Réunion, en Guadeloupe et en Nouvelle-Calédonie.

La PIROI est la plus ancienne, avec vingt-quatre années de coopération régionale dans le cadre de la mise en œuvre d'un programme de gestion des risques de catastrophe, mais également sur la riposte au risque sanitaire. Nous travaillons, à travers les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de la région, avec deux pays de la côte africaine (le Mozambique et la Tanzanie), les îles du sud-ouest de l'océan Indien (les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles) et les deux départements français de Mayotte et de la Réunion.

Ce réseau repose sur les Croix-Rouge et Croissant-Rouge et représente 35 000 personnes dans la région. Nous travaillons sur le cycle complet de la gestion des catastrophes, avec tout d'abord la préparation. Nous disposons de stocks de contingence et de 11 entrepôts dans la sous-région, répartis dans les différents pays membres et représentant plus de 600 tonnes de matériel de réponse d'urgence (kits de reconstruction de l'habitat, kits famille, kits hygiène). Ce matériel est mutualisé : il appartient non pas aux pays, mais au réseau. Ces stocks peuvent intervenir sur un seul pays si nécessaire, selon un schéma que nous avons déjà connu.

Nous œuvrons aussi sur la préparation, avec le travail mené pour mettre en place des exercices de simulation, mais également des plans de contingence, en relation avec les services de protection et de sécurité civile et en lien avec les Croix-Rouge.

Sur la réponse d'urgence, nous sommes intervenus 68 fois depuis la création de la PIROI, au bénéfice de 1,9 million de bénéficiaires directs. Dans le cadre de la préparation et de ces réponses d'urgence, nous pouvons nous appuyer sur deux conventions : l'une avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, au travers du centre de crise et de soutien (CDCS), qui peut déployer des stocks par l'intermédiaire de la PIROI, en lien avec les ambassades ; l'autre avec la direction générale de la sécurité civile, où nous allons bientôt accueillir le stock de la réserve nationale.

En amont de ce volet, nous menons en outre un travail très important d'éducation et de sensibilisation aux risques naturels. C'est sur ce volet, qui n'est pas forcément le plus visible, que nous travaillons le plus, notamment en direction des plus jeunes, mais également des communautés villageoises.

La COI, avec laquelle nous avons mis en place un accord-cadre en 2012, renouvelé en 2016, a mené un fort plaidoyer auprès des différents ministères de l'éducation de la sous-région, ce qui nous a permis de pouvoir installer dans tous ces pays des programmes d'éducation aux risques pour les jeunes enfants, à l'image de notre action à La Réunion dans le cadre du projet « Paré, pas Paré ».

À La Réunion, ce projet a permis d'organiser des sessions de formation au bénéfice de 130 000 élèves du cycle 3. Nous avons aussi accompagné 340 enseignants sur les différents modules que nous gérons à travers un livret scolaire. Plus largement dans la région, nous avons soutenu 19 projets de réduction des risques avec les différents ministères de l'éducation.

Nous avons également un volet formation depuis 2008, avec 240 formations thématiques, diffusées auprès de 4 300 apprenants : traitement d'eau, logistique opérationnelle, évaluation d'urgence, abris…. En outre, nous avons initié la création d'un master « risques et environnement », en lien avec l'université de La Réunion. C'est le premier master de ce type à La Réunion. Nous en sommes à la troisième promotion, avec un taux de réussite de 100 % et 70 % des jeunes formés bénéficiant d'un métier à la clé, dans des organisations non gouvernementales, des collectivités, des mairies ou des services d'État. De jeunes Réunionnais, mais aussi de jeunes Malgaches, Comoriens ou Mahorais sont inscrits à cette formation, et nous souhaitons développer ce master, en réseau avec d'autres universités de la région.

Deux autres secteurs sont également rattachés à la PIROI : la recherche et l'innovation. Sur le premier volet, nous avons soutenu sur la dernière période des bourses de recherche et d'étude scientifiques, sur les thèmes suivants : gestion sociale de l'eau à Mayotte, mémoire et catastrophes à La Réunion, prise en compte de la dimension psychosociale des volontaires durant la crise covid aux Comores, savoirs et pratiques autochtones de la gestion des risques à Madagascar... Ces recherches sont très importantes puisqu'elles nous permettent de rééquilibrer les volets d'éducation aux risques de catastrophes vers les populations.

Nous travaillons également sur l'innovation de certains produits et l'accompagnement de porteurs de projets et d'outils directement utilisés dans nos opérations. Les deux dernières innovations ont concerné le traitement d'eau et les bornes solaires. Nous travaillons de plus avec Météo-France sur des prévisions intra-saisonnières.

Depuis dix ans, la PIROI travaille à son développement et est en train de faire naître, grâce à un financement important de l'AFD, le PIROI Center. Ce centre de formation, d'expertise et d'innovation sera basé à La Réunion, mais rayonnera sur les pays du sud-est de l'océan Indien. Il sera installé sur 4 000 m², avec un nouveau stock d'urgence, bien plus conséquent, un centre de formation et des bureaux pour accompagner les différents programmes de la zone.

Sur le plan de la formation, nous travaillons avec l'institut Bioforce, le centre de formation humanitaire implanté à Lyon. Nous proposerons à La Réunion, à partir de 2025, des formations métiers pour les humanitaires. Jusqu'à présent, les jeunes de la région devaient rejoindre la métropole pour recevoir une formation. À partir de 2025, avec Bioforce, nous pourrons les former dans la région.

Outre les risques de catastrophes, la région est aussi, malheureusement, concernée par des risques d'épidémie. Nous travaillons régulièrement sur la riposte aux épidémies. Le sujet est d'ailleurs d'actualité aux Comores, avec le choléra qui a fait son apparition. Nous sommes aussi intervenus au Mozambique ou en Tanzanie. Nous avons également des épidémies de peste à répétition à Madagascar. Sur ce plan, nous venons d'acquérir, par le biais d'un financement de l'AFD, un hôpital modulaire, qui nous permettra de nous projeter et de mieux gérer les épidémies en lien avec les autres partenaires sur le terrain.

Enfin, la PIROI est soutenue par un certain nombre de partenaires techniques, mais aussi financiers. Le budget de la PIROI sur la dernière période quinquennale s'élève à 23 millions d'euros, dont près de 10 millions d'euros pour la construction et l'implantation du PIROI Center.

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La PIROI est-elle la seule plateforme qui opère sur le territoire ?

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

Sur cette zone géographique, oui.

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La PIROI est donc l'opérateur qui s'est imposé progressivement sur le secteur pour assurer la formation, la prévention et l'intervention dans le domaine des risques naturels. Vous avez cité essentiellement des exemples d'action réunionnais, notamment au travers du ministère de l'éducation. Quelle est votre capacité à intervenir dans les autres pays de la zone ? Recevez-vous le même accueil et la même écoute ?

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

Nous sommes particulièrement bien accueillis, puisque nous travaillons au travers des Croix-Rouge et des Croissant-Rouge implantés dans ces pays. Il faut rappeler que les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont toutes auxiliaires des pouvoirs publics. Elles font donc partie de la chaîne des secours et de gestion des risques de catastrophes dans les différents pays. Nous n'avons donc pas de difficulté particulière à travailler avec les pays de la région.

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Vous formez des acteurs sur le territoire. Quels volumes cette action de formation représente-t-elle ? Touche-t-elle l'ensemble des territoires dans lesquels vous êtes impliqués ?

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

Les formations sont réalisées au bénéfice de l'ensemble des pays membres de la PIROI. Les formations thématiques spécifiques que j'ai mentionnées (réponse d'urgence, traitement d'eau, santé communautaire…) sont très prisées dans les pays de la zone. D'autres formations sont davantage calibrées pour les territoires français – j'ai cité le master « risques et environnement » ou les formations métiers proposées avec Bioforce. Ces formations s'adressent plutôt à un public franco-français (La Réunion et Mayotte), mais nous espérons développer cette coopération avec les pays de la zone, notamment dans le cadre du master.

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Si une estimation est possible, quel est le volume de personnes formées ?

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

Nous avons cumulé 4 800 apprenants sur les cinq dernières années.

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Ce volume est donc tout à fait conséquent. Pour revenir sur l'événement Belal, les réponses des territoires ont été très diversifiées. Pouvez-vous, chacun, partager votre retour d'expérience et le bilan que vous en tirez ?

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Marc Mertillo, Premier Conseiller à l'ambassade de France à Maurice

L'événement Belal s'est produit le 15 janvier. Je précise au préalable que l'île Maurice dispose d'une structure nationale de réponse aux crises, avec un système pyramidal au sommet duquel se trouve un vice-premier ministre en charge de la gestion des catastrophes et des collectivités locales. Ce dernier préside un comité interministériel, le National Emergency Operations Command (NEOC), dont la tâche consiste à assurer tout au long de l'année une veille des risques potentiels, y compris cycloniques. Il peut prendre des décisions pour protéger la population et en assurer la gestion et le suivi. Maurice a donc parfaitement intégré la menace cyclonique et y consacre des moyens importants.

Je ne suis pas sûr que les dommages causés par l'événement à Maurice aient été bien plus importants qu'à La Réunion. Ils ont surtout été très spectaculaires. Chacun a vu les images de centaines de véhicules pris au piège à Port-Louis. Dans certains points bas de la ville, l'eau s'est engouffrée et a tout emporté sur son passage (l'ambassade de France est située à environ 200 mètres de ces zones, sur un point haut de la ville).

Pour mémoire, la dernière catastrophe naturelle à Maurice remonte à mars 2013, avec un bilan de 11 morts – tous à Port-Louis. Ce n'était pas un cyclone, mais la conséquence de très fortes précipitations, localisées et soudaines. On parle depuis lors de flash floods, c'est-à-dire de crues soudaines.

Maurice connaît chaque année des alertes cycloniques, qui ont généralement peu de conséquences. Belal a fait deux victimes et causé de nombreux dégâts : routes endommagées, plages abîmées, récoltes anéanties… Ce n'est pas non plus une catastrophe nationale. Le passage de Belal à Maurice a été un choc collectif et une réelle surprise, non seulement pour la population, mais aussi pour le gouvernement, par rapport à ce qui avait été anticipé. Au vu des témoignages publiés, le bilan aurait pu être plus lourd. La population a exprimé une certaine colère dans les jours qui ont suivi, au regard d'un manque supposé d'anticipation du gouvernement, qui a pris immédiatement les mesures nécessaires pour faciliter les indemnisations.

Dans les jours qui ont précédé l'impact de Belal, tout laissait à penser que le cyclone se dirigeait droit vers La Réunion, en contournant Maurice par l'ouest. C'est ce que montraient les modèles météorologiques jusque 24 heures auparavant. Ceci a conduit le comité de crise NEOC à maintenir le stade 1 de l'alerte cyclonique le lundi matin du 15 janvier, soit le niveau d'alerte le plus bas. Les écoles étaient fermées, mais la population pouvait se déplacer et travailler, avec les consignes de prudence associées au stade 1.

Voyant la situation météorologique se dégrader au fil de la matinée, du fait de fortes pluies continues, le comité de crise NEOC a décidé, vers 10 heures du matin, le passage au stade 2, puis, à 13 heures 30, au stade 3, avec une obligation de confinement à domicile dans les trois heures suivantes. Je précise qu'au-delà de ces trois heures, aucune assurance ne prend en charge un éventuel sinistre.

Cette décision de passer du stade 1 au stade 3 en quelques heures était inédite. Elle a entraîné un début de panique, notamment à Port-Louis. C'est précisément à ce moment-là que les inondations soudaines se sont produites, occasionnant la coupure de l'autoroute, prise sous les eaux. Il a alors été impossible de sortir de la ville pendant trois heures. Le comité national de crise a alors décrété un confinement de la population à domicile jusqu'au lendemain midi. Entre-temps, cependant, le cyclone était déjà passé.

Quel retour d'expérience peut-on faire de cette séquence ? Tout d'abord, le comité national de crise a pris des décisions qui se sont révélées, rétrospectivement, insuffisantes, au regard des mesures qu'il aurait fallu prendre dès la veille au soir ou le lendemain très tôt. On n'aurait sans doute pas pu éviter la plupart des destructions, mais l'enjeu était de ne pas mettre en péril la sécurité des personnes. Il y a eu clairement une mauvaise évaluation du service météorologique, dont le responsable a d'ailleurs été muté le jour même, lors d'une déclaration en direct du premier ministre mauricien, qui l'a accusé d'avoir induit en erreur le comité national de crise.

Par ailleurs, il y a eu un facteur aggravant, avec une marée haute au moment du cyclone et une haute pression qui a conduit à une élévation du niveau de la mer, aggravée par les vents. Des vagues se sont projetées à l'intérieur des terres, sur les côtes de Port-Louis, ainsi que sur nombre de plages du nord de l'île.

Le troisième point a trait plus généralement à la prévention des risques de catastrophes. Le constat est que les règles d'urbanisme sont insuffisamment contraignantes. On a assisté ces dernières années à la multiplication de bâtiments construits en zone inondable.

Enfin, on constate aussi que les travaux qui devaient être menés depuis la dernière catastrophe, notamment pour multiplier les drains destinés à faciliter l'évacuation et l'écoulement des eaux dans la ville ont pris du retard dans leur réalisation et n'ont pas été menés à leur terme.

En revanche, j'insiste sur le fait que le dispositif de gestion post-crise a très bien fonctionné, lorsqu'il s'est agi de restaurer l'électricité et de dégager les nombreuses routes. Les traces de destruction avaient quasiment disparu du paysage dans les 48 heures qui ont suivi l'événement.

La prévision des trajectoires cycloniques est toujours un exercice difficile, mais le service de météorologie mauricien n'a pas été très performant. Certes, le cyclone n'est pas passé sur Maurice, mais sa puissance, exceptionnelle, a produit des effets à des centaines de kilomètres aux alentours de l'œil du cyclone – donc jusqu'à Maurice. Cet aspect aurait dû être davantage anticipé.

Aujourd'hui, la vie a largement repris son cours, mais cet épisode a eu des conséquences dès la semaine suivante, une nouvelle tempête tropicale menaçant de survoler Maurice. Le comité de crise NEOC a alors décrété une alerte de stade 2, au nom du principe de précaution. La conséquence a été un confinement de la population pendant 24 heures, et une nouvelle polémique a surgi sur le caractère cette fois-ci trop prudent des consignes de vigilance émises.

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Monsieur Marimoutou, pouvez-vous également décrire la manière dont votre organisation a vécu cet événement ?

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Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la COI

Le jour où l'événement s'est produit, j'étais moi-même à La Réunion. Le matin vers 6 heures, alors que je venais de me lever, une collaboratrice qui se trouve à Maurice m'a raconté ce qu'il se passait devant chez elle. J'ai alors organisé, dans la demi-heure qui a suivi, une petite réunion de crise avec les chefs de service et les chargés de mission. Vers 6 heures 45, nous avons décidé de placer tous les collaborateurs en télétravail.

La quasi-totalité de la COI a donc vécu le cyclone en télétravail, lorsque c'était possible. Dès lors que l'alerte est passée au stade 3, les équipes sont bien entendu passées en confinement total. Pour nous, la gestion a donc été relativement simple, et l'ensemble des agents ont vécu cet épisode dans des conditions relativement tranquilles.

En revanche, je pense qu'il faut travailler sur la réduction des vulnérabilités, en lien avec les enjeux liés à l'artificialisation des sols et à la régulation de l'urbanisme. On ne peut faire en sorte qu'un cyclone ne se produise pas, mais on peut travailler sur la réduction des vulnérabilités.

Enfin, un exemple intéressant pourrait être travaillé avec les États membres. Le système mis en place à La Réunion, avec deux niveaux – la question cyclonique elle-même et la question de la vigilance météorologique – pourrait alimenter un travail sur un réflexe au niveau régional dans la gestion des risques de catastrophes.

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En réalité, quand on parle de résilience, on parle en même temps de prévention : la prise en compte des événements permet de reconstruire et de restaurer les territoires, en veillant à réduire les vulnérabilités.

Ma question s'adresse encore à vous, monsieur Marimoutou, mais aussi à madame Aubras : comment s'articule, dans ce retour d'expérience, l'action de la commission avec des financements ou l'expertise de l'AFD ?

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Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la COI

Sur la prévention des cyclones, outre le programme Brio, il faut mentionner le vaste programme Hydromet porté par l'AFD, qui débute cette année. La COI a également introduit une demande de cofinancement auprès du Fonds vert pour le climat. Ce programme est également associé à l'Intra-ACP Climate Services and related Applications Programme (Intra-ACP ClimSA), avec l'objectif de s'appuyer sur des instruments météorologiques bien plus précis que les instruments actuels. Ce programme complet inclut un volet relatif à la formation des météorologues. C'est un projet auquel la France est pleinement associée, aussi bien dans la région que dans les pays voisins, puisqu'il comporte aussi des corrélations avec la Communauté de développement de l'Afrique australe (Southern African Development Community, SADC).

Cette démarche doit permettre d'améliorer la prévention des risques naturels majeurs. À ce programme s'ajoute la possibilité de disposer de services et de données hydrométéorologiques accessibles tout au long de l'année, pour les acteurs de différents secteurs (agriculture, assurance…).

La prévention doit s'associer à une démarche de réduction des vulnérabilités. Si cette culture des risques est présente à La Réunion, ce n'est pas tout à fait le cas dans tous les pays de la zone. Je pense qu'un important travail est à mener sur ce sujet.

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Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l'AFD

L'AFD accompagne l'île Maurice au travers du programme AdaptAction. Nous avons ainsi aidé l'île Maurice à travailler sur sa stratégie d'adaptation. Ce que nous constatons, c'est que Maurice dispose d'une série d'outils et de stratégies qui doivent lui permettre de mener des politiques d'urbanisation, de développement ou d'aménagement bien plus résilientes et plus structurantes sur le plan des vulnérabilités.

Les services météorologiques mauriciens sont compétents et dotés d'outils de prévision et de vulgarisation modernes, à la suite des collaborations régionales que nous avons pu avoir avec l'ensemble des acteurs impliqués dans les programmes Brio et Hydromet et en étroite collaboration avec Météo-France. Maurice dispose d'une cartographie récente des vulnérabilités à la submersion, à l'érosion et aux inondations sur l'ensemble des territoires. Il existe aussi une stratégie et des recommandations techniques précises pour lutter contre les inondations sur l'île principale, ainsi qu'un plan d'action pour agir efficacement en cas de catastrophe naturelle, à l'échelle nationale.

En l'occurrence, on constate qu'il y a eu un décalage entre l'appréciation des données météorologiques – nous pensons que les météorologues disposaient des mêmes données que leurs homologues réunionnais, dans la mesure où leur collaboration est très forte – et la prise de certaines décisions, qui ne relèvent pas nécessairement des météorologues. Un sujet de gouvernance apparaît donc, sur lequel doivent travailler les Mauriciens. Ils disposent d'éléments de cadrage stratégiques que l'on ne retrouve pas, cependant, dans les fondamentaux de la politique de développement et de croissance (usage des sols, programmes d'aménagement…).

Par ailleurs, au rang des recommandations pour améliorer les coopérations, notamment sur le plan des connaissances scientifiques et de la surveillance des risques, l'AFD soutient des programmes de recherche scientifique pour renforcer la résilience des populations et des territoires aux catastrophes naturelles et aux effets du changement climatique.

Ce qui est important pour nous, ce n'est pas uniquement de faire travailler Météo-France à La Réunion sur le programme Brio, mais c'est aussi de s'interroger sur l'utilisation et la vulgarisation des données ainsi produites. L'enjeu est d'accompagner les territoires français et les États partenaires pour qu'ils s'en saisissent et les intègre dans la définition des politiques publiques, notamment en matière d'aménagement et de programmes d'investissement.

En avril 2023, à La Réunion, sous l'égide de la préfecture et avec la Banque des territoires, l'AFD a organisé une séquence de vulgarisation des données scientifiques auprès des élus réunionnais. L'objectif était de présenter ces études en se plaçant à la hauteur des décideurs, afin qu'ils soient en position de les exploiter. L'initiative sera reproduite cette année à Mayotte. De même, Maurice utilise ces données dans ses différents cadrages stratégiques.

Ces projets sont à diffuser auprès de l'ensemble des partenaires de la zone, dans le cadre de Brio ou d'Hydromet. Sur ces sujets, nous pouvons nous appuyer sur une très bonne collaboration avec la COI, pour faire de ces données des outils d'aide à la décision.

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

Je pense que nous avons tous en tête le drame qui s'est produit à Maurice en 2013, avec 11 morts, à l'occasion d'une inondation très spécifique, qui avait d'ailleurs donné naissance à la sécurité civile mauricienne.

À Maurice, il faut certainement travailler sur la problématique d'aménagement. De nombreuses inondations auraient peut-être pu être évitées. Il faut aussi travailler sur les systèmes d'alerte. De ce point de vue, le retour d'expérience et la mutualisation, entre La Réunion, Maurice et les différents acteurs, seraient intéressants.

De plus, il faut continuer de travailler sur l'éducation aux risques des communautés et des enfants. Les systèmes d'alerte sont utiles, mais il faut aussi que les populations en aient connaissance et connaissent les gestes appropriés, selon les différents niveaux d'alerte.

La formation des agents communaux et des gestionnaires de crise est également importante. La PIROI a organisé de telles formations à Maurice.

Enfin, il importe de travailler en réseau, dans une démarche associant tous les acteurs de la gestion des risques de catastrophes, pour des échanges d'expérience.

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La PIROI dispose d'un budget de 23 millions d'euros. Au-delà de la Piroi, cependant, quels volumes financiers représentent ces mécanismes de coopération entre les différents États et territoires, pour bâtir une culture commune du risque et des réponses similaires ?

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Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l'AFD

Nous ne disposons pas nécessairement de toutes les données de financement au niveau global, dans l'ensemble de la zone. Pour l'AFD, je peux cependant citer quelques exemples.

Le projet régional Hydromet mobilise, pour une période de cinq ans, 70 millions d'euros de financement, apportés par l'AFD, par l'Union européenne, par le Fonds vert pour le climat et les États membres de la COI. Ce programme permettra à la COI de travailler sur le renforcement des capacités et le développement institutionnel des acteurs de la météorologie, d'améliorer les infrastructures d'hydrométrie et de météorologie et d'améliorer les dispositifs nationaux d'information et d'alerte des populations.

Brio, projet porté les services régionaux de météorologie de La Réunion et de Mayotte, représentait un financement de l'ordre de 300 000 euros. Les résultats de ces travaux n'ont pas de prix et sont d'une importance vitale pour les politiques publiques à l'échelon régional.

Nous avons aussi le projet « Résilience des écosystèmes côtiers du sud-ouest de l'océan Indien » (RECOS). Dans ce cadre, l'AFD a mis en place un financement de l'ordre de 5 millions d'euros.

Globalement, sur ces sujets de renforcement de nos capacités en matière de prévention et de gestion des risques de catastrophes naturelles, l'enveloppe des financements sur lesquels l'AFD intervient, à l'échelle de la zone de l'océan Indien, est de l'ordre de 90 millions d'euros, mis en place entre 2020 et 2023. J'inclus dans cette enveloppe le partenariat de la France, au travers de l'AFD, avec l'Association des États riverains de l'océan Indien (Indian Ocean Rim Association, Iora), dans son mandat d'implémentation des bonnes pratiques en matière de gestion des catastrophes naturelles dans ses États membres.

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Pour ce qui me concerne, j'en ai terminé avec mes questions. Souhaitez-vous aborder d'autres points ? Vous pourrez aussi compléter vos interventions par écrit, pour faire part à cette commission d'enquête de toute information qui vous paraîtrait utile.

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Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la COI

Vous savez que les relations et le travail avec les Comores ou Mayotte posent toujours un certain nombre de difficultés. Nous avons cependant une note verbale de 2019, qui inclut le domaine de la prévention des risques de catastrophe. Dans ce cadre, nous pouvons travailler ensemble sur la sécurité alimentaire, la santé et la prévention des risques liés aux catastrophes naturelles. Nous pouvons le faire en incluant Mayotte dans l'ensemble du programme. Ce n'est pas toujours facile, mais nous pouvons le faire et nous l'avons déjà fait.

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Marc Mertillo, Premier Conseiller à l'ambassade de France à Maurice

À l'ambassade, nous essayons de susciter des opérations de coopération institutionnelle et de formation, notamment avec La Réunion. Dans le dispositif, comme nous sommes accrédités auprès des autorités mauriciennes, nous assurons la facilitation de l'organisation de structures de coopération entre La Réunion et Maurice.

Je pense notamment à la commission mixte Réunion-Maurice, créée en 2011. Une nouvelle rencontre est prévue au second semestre 2024, sur des sujets décidés d'un commun accord entre Maurice et le conseil régional de La Réunion. Il sera certainement question de coopération en matière de sécurité civile, notamment avec les pompiers de La Réunion et de Maurice, pour répondre à une forte demande, de part et d'autre. D'une manière générale, la coopération existe de manière opérationnelle, mais nous rencontrons parfois des difficultés à formaliser tous ces éléments.

En matière de sécurité civile, un mémorandum d'entente est aussi en cours de négociation depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, entre les services météorologiques.

Par le biais du groupe de contact bilatéral sur les enjeux de sécurité Réunion-Maurice, nous nous attachons à formaliser une coopération opérationnelle très active entre les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (Cross), par le biais d'un protocole d'accord qui doit être signé.

L'ambassade assume ainsi un rôle de facilitation des relations entre La Réunion et Maurice, les deux îles sœurs. Nous sommes désireux de favoriser un travail commun, au travers des propositions que j'ai esquissées.

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Christian Pailler, chef de délégation régionale Amériques Caraïbes de la PIROI

Pour ma part, j'insisterai une nouvelle fois sur la nécessité de travailler en réseau, de partager l'expérience et de poursuivre sans relâche les efforts en matière d'éducation des populations. Si vous le voulez bien, j'adresserai au secrétariat de la commission une documentation sur notre programme.

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Patricia Aubras, directrice régionale océan Indien de l'AFD

Pour l'AFD, je soulignerai l'importance de l'information et du partage des données. Une des pistes pourrait consister à mettre en place des systèmes gérés et maintenus par les communautés elles-mêmes, qui permettraient aux collectivités menacées d'en faire le meilleur usage.

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Le sujet mériterait sans doute des développements plus longs. Vous avez mentionné des programmes de valorisation des techniques autochtones de prévention des risques. Si vous avez de la littérature à nous communiquer en la matière, nous serions très intéressés. L'appropriation par les populations et les communautés locales d'une culture du risque passe aussi par le fait de s'appuyer sur des traditions qui sont parfois aussi anciennes qu'efficaces.

Il ne me reste plus qu'à vous remercier de tous ces échanges, très riches. Encore une fois, je vous remercie de bien vouloir nous communiquer les réponses à nos questionnaires et d'y adjoindre tout élément qui vous semblerait utile pour nourrir la réflexion et les conclusions de cette commission.

L'audition s'achève à seize heures quarante.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition de la table ronde « Coopération avec le voisinage – Océan Atlantique » : Agence française de développement (AFD) réunissant : M. Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique ; Croix-Rouge française; Plateforme d'intervention régionale pour la zone Amérique Caraïbes (PIRAC) : M. Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale ; M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique.

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

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Je présente les excuses du président Kamardine, retenu à Mayotte par les contraintes de l'actualité. Nous poursuivons nos auditions avec une table ronde consacrée à la coopération régionale entre l'outre-mer et les États voisins en matière de gestion des risques naturels majeurs dans la zone de l'océan Atlantique.

Il nous est apparu que, dans la mesure où il est difficile de demander à un événement ou à un aléa naturel de limiter ses effets à des frontières, il fallait privilégier un raisonnement à l'échelle d'une zone géographique. Il nous a donc paru intéressant de vous demander de partager un état des lieux en matière de coopération.

C'est pour cette raison que nous accueillons aujourd'hui M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique. Nous sommes par ailleurs connectés avec M. Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l'Agence française de développement (AFD) et M. Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Plateforme d'intervention régionale d'Amériques-Caraïbes (PIRAC) de la Croix-Rouge française. Nous serons peut-être rejoints par deux représentants de l'Institut national des ressources hydrauliques de Cuba.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour des interventions liminaires, puis nous poursuivrons nos échanges sous la forme de questions et de réponses.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Roland Dubertrand, Marc Dubernet et Jérémie Sibeoni prêtent successivement serment.)

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Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique

Si je ne suis pas un spécialiste des risques naturels, je peux vous faire part de mon expérience dans le cadre de mes fonctions depuis septembre 2021 concernant ce sujet. Je dépends en effet du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, avec la mission d'accompagner l'action internationale et la coopération régionale des collectivités françaises des Amériques, à savoir la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Mon rôle est aussi d'accompagner l'action des services de l'État, présents dans les territoires, en lien avec notre réseau diplomatique dans la région.

Je ne saurais prétendre à une vision globale de la gestion des risques naturels pour l'ensemble de nos territoires, mais je les aborderai par deux prismes. Le premier est celui de la conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, que je suis chargé d'organiser et d'animer chaque année. Les risques naturels et la coopération régionale ont constitué l'un des thèmes de la conférence qui s'est tenue en Guadeloupe en mars dernier. C'était alors la première fois que nous reprenions, après la période covid, les conférences de coopération régionale, après trois ans et demi d'interruption.

Le second prisme se rapporte aux relations avec la Communauté des Caraïbes (Caricom, pour Caribbean Community). Dans une seconde partie de mon intervention, j'évoquerai nos projets pour signer un accord de coopération avec l'agence des risques naturels de la Caricom.

La conférence de coopération régionale, en mars dernier, comportait une session sur le thème de l'environnement, avec une sous-session sur les risques naturels, dans le but de réaliser un point précis sur l'état de la coopération régionale au sortir de la période covid.

Schématiquement, si un État ou un territoire de la région est touché par une catastrophe naturelle, nous pouvons distinguer, du côté français, trois niveaux d'intervention possibles : d'une part, les forces armées, qui disposent des moyens d'intervenir de manière immédiate sur le terrain ; d'autre part, l'état-major interministériel de la zone Antilles (EMIZA), qui regroupe les moyens de sécurité civile, sous l'autorité du préfet de la Martinique ; enfin, la Pirac, coordonnée par la Croix-Rouge française.

Lors de la conférence, le responsable de l'EMIZA – le lieutenant-colonel Nisslé, à l'époque – a proposé une intervention. Il en ressortait qu'un certain nombre d'opérations avaient eu lieu après le covid. Nous pouvons notamment citer une éruption volcanique à Saint-Vincent, qui a mobilisé un certain nombre de moyens des pays et organisations de la région, dont la France. Des ouragans ont également touché, ces dernières années, la région de Sainte-Lucie et de la Dominique. Des recherches de randonneurs égarés ont également dû être organisées en Dominique – en l'occurrence, ces opérations ne relevaient pas de la gestion des risques naturels, mais elles font partie des missions de la sécurité civile.

Pour les opérations dans lesquelles il est mobilisé, l'Emiza est en rapport avec les États de la région et avec les organisations régionales, comme l'organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO), qui regroupe les États des Petites Antilles, autour de la Martinique et de la Guadeloupe, et la Caricom.

Pour l'Emiza, l'enjeu consiste aujourd'hui à continuer de renforcer ces liens opérationnels. Il est important de favoriser un fonctionnement en réseau, sur la base d'une connaissance et d'une confiance mutuelle entre les acteurs. Si l'on veut répondre aux risques et aux catastrophes naturels dans la région, avec ce que cette réponse suppose de coordination et d'efficacité, ce travail opérationnel de contact est primordial. À mon avis, ces liens de coopération anciens fonctionnent.

Nous avons souhaité aller plus loin sur le plan diplomatique, avec la Caricom. La Caricom intègre en effet une agence des risques naturels, la Caribbean Disaster Emergency Management Agency (CDEMA). Avec la Caricom, on quitte l'environnement proche des Petites Antilles, pour passer à l'ensemble de la Caraïbe Sud. La CDEMA regroupe une vingtaine d'États et de territoires membres de la Caricom.

Nous avions préparé un accord de coopération avant la période covid. Les démarches n'ont pas progressé pendant le covid. Elles ont ensuite été relancées au niveau politique, notamment par l'intermédiaire de l'ambassadeur de France au Suriname, compétent auprès de la Caricom, implantée à Georgetown. Nous avons cependant rencontré une difficulté, dans la mesure où, selon les règles de la Caricom, il revenait à la CDEMA de signer l'accord en question avec la France et l'ensemble des États et territoires. Or il n'a pas été possible de mobiliser dans ce but la vingtaine d'États et de territoires que j'ai évoquée.

Notre ambassadeur a donc proposé à la secrétaire générale de la Caricom la signature directe d'un accord entre la France et la CDEMA. Cet accord nous permettra de formaliser et de structurer les coopérations au niveau de la région, mais aussi de favoriser une connaissance mutuelle et une réflexion d'ensemble sur la gestion des risques naturels. Nous souhaitons vraiment signer cet accord aussi tôt que possible.

Outre ces sujets, je suis également disposé à aborder le thème des sargasses. Il n'entre pas dans le domaine des catastrophes naturelles, mais relève bien des risques naturels. C'est un sujet que nous avions également abordé durant la dernière conférence de coopération régionale Antilles-Guyane.

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Vous pouvez développer ce thème, si vous le souhaitez.

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Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique

Les sargasses sont des algues bien connues dans les Caraïbes – on peut songer évidemment à la mer des Sargasses. Nous faisons face à un phénomène très inquiétant de prolifération, depuis 2011. Les échouements de sargasses touchent l'ensemble de la Caraïbe par l'est. La Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont concernés – la Guyane reste pour sa part relativement épargnée.

La France a organisé en 2019 une conférence internationale sur les sargasses, avec la Guadeloupe. Cet événement, coorganisé entre l'État et la région, avait réuni entre 700 et 800 personnes. En 2021-2022, une initiative internationale sur les sargasses a été lancée, pour mobiliser les acteurs régionaux et internationaux.

Aujourd'hui, l'Atlantique fait face à une masse énorme de sargasses. Des réservoirs de sargasses sont présents à l'embouchure de grands fleuves, comme le Mississippi, le Congo et l'Amazonie. Le phénomène ne constitue donc pas un problème caribéen stricto sensu.

Cette initiative, coorganisée entre l'État et la région Guadeloupe a été lancée le 2 décembre dernier, dans le cadre de la conférence de Dubaï de 2023 sur les changements climatiques (COP28), par le ministère délégué chargé des outre-mer et la vice-présidente du conseil régional de la Guadeloupe.

Il manque encore, en droit international, une définition des sargasses. Si l'on souhaite une action commune pour faire face au phénomène, il convient de pouvoir s'appuyer sur une définition partagée. Je pense qu'il est indéniable que les sargasses constituent un risque naturel. Pour autant, les échouements de sargasses doivent-ils être envisagés comme une pollution marine ou comme des déchets ? Les sargasses doivent-elles être appréhendées comme une espèce invasive ? Les possibilités sont multiples, et je pense qu'on proposera, dans notre initiative internationale, une définition aussi consensuelle que possible en droit international.

L'enjeu est d'avancer sur ce sujet, qui comporte une dimension régionale, à envisager au travers de la convention de Carthagène pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, et une dimension multilatérale, avec l'intention de présenter un plan au niveau de la conférence des Nations Unies sur l'océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025.

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Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac

La Pirac est le bureau de la Croix-Rouge française spécialisé dans la gestion des risques de catastrophes. Nous sommes basés en Guadeloupe. Notre équipe sur place compte une trentaine de personnes. Ce bureau existe depuis 2018, avec le mandat de travailler sur la gestion des risques de catastrophes, sur le plan de la prévention, de la préparation et de la réponse, sur une aire géographique qui correspond d'une manière générale à celui de la Grande Caraïbe, même si les projets les plus importants concernent plutôt les Petites Antilles.

Nous n'opérons pas de distinction, en termes de priorités ou de projets, entre pays étrangers et territoires français. Nous avons pour mandat de mener à bien ces types de projets sur les deux types d'entités que sont les territoires français (les quatre territoires des Antilles et la Guyane) et l'ensemble des petites îles des Antilles, qui correspondent d'une manière générale aux territoires intégrés à l'OECO.

La première thématique sur laquelle nous travaillons se rapporte à la prévention et à la réduction des risques de catastrophes. Nous travaillons depuis plusieurs années sur cet aspect, avec des projets ici en Guadeloupe ou en lien avec nos collègues en Martinique. Grâce à l'AFD, nous allons pouvoir mener à partir de cette année un programme de sensibilisation à la culture du risque dans les écoles, en Dominique et en République dominicaine.

La culture du risque est un sujet important pour nous. Nous œuvrons à la création d'outils ludiques pour que cette culture soit véritablement intégrée, auprès des enfants en particulier. Nous effectuons aussi de la sensibilisation auprès du grand public, mais il est vrai que nous mettons l'accent sur les enfants, puisque l'on sait que le changement de comportement est quand même plus efficace lorsqu'on travaille auprès des publics scolaires. Nous avons donc développé des outils ludiques, que nous essayons de mettre à la disposition d'un maximum d'écoles, majoritairement en Guadeloupe pour l'heure, mais bientôt aussi sur les deux territoires que j'ai cités et à terme, je l'espère, sur les quatre territoires des Antilles.

La problématique que nous rencontrons sur ce sujet concerne évidemment toujours l'accès aux financements. Autant l'accès aux financements est relativement simple sur le plan international – je pense à l'AFD, encore une fois, et à Interreg Caraïbes, notre partenaire privilégié, qui fonctionne d'ailleurs souvent en cofinancement avec l'AFD –, autant la démarche est plus complexe sur le territoire français. Il n'y a effectivement pas de guichet spécifique ; nous ne sommes pas éligibles aux financements de l'AFD sur le territoire français.

Les collectivités (région ou département de la Guadeloupe, collectivité territoriale de Martinique…) peuvent proposer des financements, tout comme la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) peut être un partenaire financier en Guadeloupe, mais ces financements restent modestes au regard des besoins et nécessitent de démultiplier les démarches. Ces dernières sont plus simples lorsque nous pouvons nous appuyer sur des financements importants et structurants comme ceux que nous pouvons obtenir auprès d'Interreg Caraïbes ou de l'AFD.

Outre la prévention, nous travaillons sur le volet relatif à la préparation, qui renvoie aux efforts pour se préparer à répondre aux catastrophes naturelles. Sur cet aspect, nous travaillons notamment avec les Croix-Rouge des différents territoires – dont nos collègues de la Croix-Rouge française sur les territoires français. Nous les accompagnons dans la préparation de la réponse aux catastrophes naturelles, en construisant des entrepôts de biens de première nécessité à distribuer, en formant les équipes en logistique…

Dans ce cadre, l'équipe locale de la Croix-Rouge du territoire sera le premier acteur de la réponse. Pour notre part, nous intervenons en appui au niveau régional, si nécessaire, en envoyant du matériel, des équipes ou encore des unités de production d'eau potable, comme lors de l'épisode Fiona en 2022. Dans un contexte multi-insulaire, nous avons besoin d'une équipe de la Croix-Rouge formée, avec un entrepôt de biens de première nécessité à distribuer et des moyens roulants. Nous nous attachons à accompagner et à former ces équipes locales, aussi bien de la Croix-Rouge française que des autres sociétés nationales.

Un autre enjeu réside dans notre propre capacité de réponse, lorsque le niveau de la catastrophe nous impose de nous positionner en appui, ou si les ressources de l'équipe locale sont dépassées, selon leur niveau de préparation. À cette fin, nous disposons de stocks prépositionnés en Guadeloupe et en Martinique ; nous construisons aussi actuellement un important entrepôt régional, pour quadrupler notre capacité de stockage. La construction de cet entrepôt, dans l'enceinte de l'aéroport de Pointe-à-Pitre, a débuté, pour une livraison prévisionnelle en mars 2025. Il permettra de se préparer à des catastrophes d'une ampleur plus importante, dans le contexte du changement climatique.

En termes de coopération, la CDEMA constitue l'acteur de référence opérationnel dans la réponse. Nos programmes sur place sont systématiquement en collaboration, au niveau régional, avec l'OECO, le partenaire plus politique de la coopération régionale des Petites Antilles, et avec la CDEMA, partenaire opérationnel au niveau plus large des Caraïbes. Ces partenariats nous permettent évidemment d'avoir accès plus facilement aux ressources de ces partenaires et aux différents pays de la région.

Nous menons une large activité avec ces partenaires. L'une des plus-values de la présence sur place de notre bureau réside dans la possibilité de favoriser des échanges entre le monde français et le monde anglophone, en particulier des Petites Antilles, mondes qui ont parfois quelques difficultés à interagir.

Quelles que soient les activités, nous invitons des acteurs des Antilles françaises et des acteurs de la région, dans le cadre d'événements bilingues. Nous avons par exemple organisé l'an passé un webinaire sur l'amélioration de la législation relative à la réponse aux catastrophes naturelles. Le discours d'ouverture a été proposé par le secrétaire de la CDEMA, et nous avions invité de nombreux représentants des sociétés nationales, des ministères ou des agences de réponse aux catastrophes des différentes îles, ainsi que nos collègues français.

Nous nous efforçons d'inclure au maximum ces deux mondes, en particulier lors de rencontres en présentiel, dans le cadre de formations, en Guadeloupe ou ailleurs. Nous avons par exemple proposé une importante formation à Saint-Martin sur le thème de la réponse aux catastrophes, en présence de la CDEMA et d'acteurs français.

Enfin, s'agissant de la collaboration dans la réponse, je citerai l'Emiza et les forces armées aux Antilles, avec lesquels nous entretenons de très bons rapports. Le nouvel amiral qui a pris ses fonctions il y a quelques mois est venu nous rencontrer au bureau. La collaboration avec les forces armées est essentielle. Si nous disposons effectivement de biens à distribuer, nous n'avons pas les vecteurs, tandis que les forces armées, à l'inverse, peuvent mobiliser des vecteurs, mais n'ont que peu de biens à distribuer. Nous sommes donc complémentaires, et nous avons appris à bien travailler ensemble dans le cadre des opérations que nous avons pu mener ces dernières années.

Pour revenir sur Interreg Caraïbes, son mandat porte véritablement sur la coopération régionale, avec une ligne importante sur l'adaptation au changement climatique et la réponse aux catastrophes naturelles. C'est donc pour nous un bailleur de référence. Comme Interreg Caraïbes ne finance pas ces projets en intégralité, l'accompagnement financier de l'AFD est vraiment important et nous permet de faire plus sur des aspects ciblés sur certains pays, que j'ai cités dans la première partie de mon intervention.

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J'ai cru comprendre au début de votre intervention que vous ne bénéficiez pas de financement de l'AFD ?

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Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac

Si, à l'international. Nous n'avons pas de financements de l'AFD dédiés sur le sol français, mais nous bénéficions de financements de cette agence sur la coopération régionale, dans lesquels nous pouvons intégrer parfois des acteurs français, comme c'est le cas pour l'entrepôt régional en construction.

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Merci de cette précision. Il ne me reste plus qu'à céder la parole à monsieur Dubernet.

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Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l'AFD

Je suis directeur régional pour la zone Atlantique à l'AFD. Je suis en poste depuis septembre 2022. Mon périmètre de responsabilité couvre les agences de Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon – territoire suivi à distance depuis la Martinique –, ainsi que, pour les États étrangers, Haïti, la République dominicaine et le Suriname. Sur ce périmètre, les enjeux environnementaux font partie de nos priorités stratégiques et de nos actions, que j'évoquerai au travers de quatre modalités.

La première modalité concerne le financement d'appuis de programme à la Croix-Rouge française, dans les trois océans : nous sommes effectivement présents sur ces sujets, la Croix-Rouge et nous-mêmes, dans l'océan Indien, l'océan Atlantique et l'océan Pacifique. Nous avons une approche de financement de la Croix-Rouge française et de ses différentes plateformes d'intervention régionale que sont la PIRAC pour l'océan Atlantique, la Plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI) et la Plateforme d'intervention régionale de l'océan Pacifique Sud (PIROPS).

Nous avons un financement global, dont la troisième phase est en cours d'instruction. Elle met en œuvre des financements relativement importants, apportés, via l'AFD, par l'État français, à travers le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le programme 209. Ce premier volet représente, en termes de volumes financiers, la part la plus importante de ce que l'AFD contribue à financer au titre de la prévention et de la gestion des risques naturels.

La deuxième modalité d'intervention se rapporte aux actions que nous sommes appelés à mettre en œuvre par le biais de notre filiale Expertise France, sur financement de l'Union européenne, par le biais du mécanisme de l'ancien Fonds européen de développement (FED), aujourd'hui intégré à l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI), piloté par la direction générale des partenariats internationaux (DG Intpa) à Bruxelles, ou sur financement français, au travers du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du budget 209.

Par l'entremise d'Expertise France, en tant qu'agence d'exécution – l'AFD étant une agence de financement –, un certain nombre d'actions se mettent ainsi en place dans la zone sur les sujets qui nous intéressent aujourd'hui. Je peux tout d'abord citer le programme en faveur de la résilience, des énergies durables et de la biodiversité marine dans les pays et territoires d'outre-mer des Caraïbes (Resembid). Ce programme, en passe de s'achever, concerne les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) de la zone – Saint-Barthélemy pour ce qui concerne la France – et a bénéficié de 37 millions d'euros de financement de l'Union européenne. Il comporte notamment un volet visant à renforcer la résilience des PTOM et leur adaptation aux phénomènes naturels extrêmes et récurrents, avec une action de recensement des capacités mise en œuvre par ce biais.

Le second volet concerne les sargasses, dans une démarche intégrant une vision de coopération régionale et des efforts pour tenter de fédérer des acteurs et des initiatives pour apporter des solutions au phénomène de prolifération évoqué précédemment. Nous sommes en phase d'instruction d'un financement cette année, sur le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, dans le cadre d'une structure qui sera mise en œuvre par le biais de notre filiale Expertise France.

La troisième modalité d'intervention, dont je ne suis pas certain qu'elle soit l'objet du périmètre de votre commission d'enquête, est davantage franco-française. Elle concerne les appuis aux collectivités françaises, au travers du plan séisme Antilles, mécanisme mis en place sur financement du ministère des outre-mer (budget 123). L'AFD intervient dans ce cadre pour apporter un certain nombre de moyens en dons, ainsi que pour renforcer les capacités des collectivités locales – principalement les communes – dans le développement d'une culture parasismique et la mise aux normes des bâtiments publics, en particulier des écoles primaires.

Enfin, la quatrième modalité d'intervention renvoie à nos efforts pour nous rapprocher des organisations régionales sur les thématiques de l'environnement, du changement climatique et du développement humain. Le volet environnemental inclut systématiquement une thématique dédiée à la prévention et à la gestion des risques naturels majeurs que partagent toutes les îles de cette zone.

Nous sommes déjà en partenariat avec l'OECO, au travers de l'accord-cadre signé en mars 2023, dans le cadre duquel nous commençons à mettre en œuvre un certain nombre d'actions, qui ne concernent pas directement la gestion des risques naturels majeurs, mais peuvent aborder cette thématique. La deuxième organisation régionale avec laquelle nous souhaitons développer un partenariat analogue, c'est la Caricom. Nous avons déjà un partenariat relativement solide avec l'une des agences de cette organisation, la Caribbean Public Health Agency (Carpha), sur le sujet de la santé. Enfin, la France est aussi en partenariat avec une autre agence, la CDEMA. Ce partenariat pourrait être repris dans un accord-cadre que l'AFD pourrait mettre en place.

Au travers des quatre volets d'intervention que j'ai décrits, notre rôle consiste donc à se positionner en observation, en coordination et en proposition pour faire coaguler les financements autour de ces thématiques et mener des programmes par le biais de notre filiale Expertise France, parallèlement aux partenariats qui pourraient se concrétiser avec des organisations régionales et aux actions que nous pouvons déployer dans les départements français, sur la base de financements plus modestes.

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Merci à vous. Ce qui est intéressant dans vos interventions respectives, c'est que nous sommes sur les trois moments d'une catastrophe naturelle : la prévention, le traitement de la crise et éventuellement la résilience.

J'aimerais solliciter votre vision sur le bilan d'Irma. Quel est votre regard sur l'action menée par la plateforme et par les autorités, dans un contexte qui était aussi régional ? Quels sont les éléments qui ont été selon vous pris en compte pour améliorer la prévention et la gestion de tels événements ? En quoi la coopération aurait-elle pu apporter davantage lors de cet épisode ?

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Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique

Pour ce qui concerne Saint-Martin, l'ouragan Irma a causé des destructions considérables, côté néerlandais et côté français. Il a donné lieu à une très forte coopération néerlandaise, avec un pont aérien, mais nous avons observé ensuite des problématiques de reconstruction séparées.

En même temps, depuis 2021, la France et les Pays-Bas ont nourri l'idée qu'il fallait, après cette catastrophe, relancer la coopération transfrontalière, dans les domaines de compétences respectifs des deux États, comme au niveau des collectivités. Une réunion quadripartite associant la France, les Pays-Bas, le conseil territorial de Saint-Martin et le gouvernement autonome de Sint-Maarten est organisée chaque année.

À mon sens, deux leviers peuvent être mobilisés. D'une part, la France et les Pays-Bas ont signé, le 26 mai dernier, l'accord frontalier, qui a permis d'éliminer les différends territoriaux qui existaient et de définir une délimitation très précise de la frontière. Cet accord, soumis à ratification parlementaire, prévoit des arrangements de coopération transfrontalière. La réponse commune aux risques naturels sera certainement approfondie par le biais de cet accord.

D'autre part, Interreg constitue un outil de coopération régionale européen très important. Un programme Interreg Saint-Martin a été déployé entre 2014 et 2020. Il a rencontré des difficultés d'application, mais il a permis de faire face à un certain nombre de conséquences de l'ouragan d'Irma, notamment le nettoyage du lagon de Simpson Bay. Nous devons entrer prochainement dans un nouveau programme Interreg Saint-Martin, qui doit être défini cette année.

Ces deux approches – coopération européenne avec l'outil Interreg et formalisation d'accords de coopération transfrontalière dans le cadre de la démarche quadripartite que j'ai évoquée – me paraissent constituer deux pistes à explorer.

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Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac

Au niveau de la Croix-Rouge française, Irma a eu un impact très important. La Pirac, qui constituait à l'époque un bureau bien plus modeste et disposait de moins de ressources, n'était sans doute pas suffisamment préparée pour faire face à une catastrophe d'une telle ampleur. Celle-ci nous a conduits à nous organiser différemment, en termes de ressources et d'expertise.

Nous serions aujourd'hui bien plus opérationnels et plus réactifs. Nous avons par exemple un stock prépositionné à Saint-Martin ; nous formons les équipes très régulièrement ; le prépositionnement à Saint-Martin d'une unité de production d'eau potable est également à l'étude. L'ouragan Irma a donc eu un impact fort sur le niveau régional, qui s'est avéré absolument essentiel, et probablement n'avait-on pas suffisamment investi pour faire face au risque d'une telle catastrophe.

On réinvestit depuis de manière importante – fort heureusement, il ne s'est pas produit de catastrophe naturelle d'ampleur sur les territoires français depuis longtemps. Il faut entretenir cette dynamique, mais ce n'est pas toujours facile. Ensuite, il faut aussi conserver à l'esprit qu'au-delà du niveau territorial et régional, nous pourrions compter, dans de telles situations, sur l'appui du niveau central de la Croix-Rouge française, pour renforcer les équipes de réponse.

L'autre enseignement réside dans l'intérêt d'investir sur la culture et la prévention du risque. À Saint-Martin, par exemple, les autorités ont constaté qu'au fil des années, à mesure que s'éloignait le souvenir de l'ouragan Irma, les réflexes de prévention se perdent. Plus de sept ans après Irma, aujourd'hui, les réflexes sont moins intégrés. C'est la raison pour laquelle les programmes de prévention et de sensibilisation, notamment dans les écoles, sont importants, pour ancrer fortement ces réflexes dans les comportements au quotidien, et non simplement à la suite d'une catastrophe récente.

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Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l'AFD

J'ai évoqué tout à l'heure le programme Resembid concernant les PTOM. Lorsque ce programme, qui a démarré en octobre 2018, a été instruit, les ouragans Irma et Maria de 2017 venaient de se produire. Ces épisodes ont conduit à intégrer la résilience aux impacts des catastrophes naturelles comme le troisième volet de ce programme. Ce dernier s'est achevé à la fin de l'année 2023. Je ne manquerai pas de solliciter auprès d'Expertise France la mise à disposition des premiers éléments de redevabilité et d'impacts.

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Je céderai la parole à mon collègue M. Frantz Gumbs, député de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, mais je suis très preneur d'un retour de France Expertise. Ce qui nous intéresse in fine, c'est effectivement de déterminer dans quelle mesure cette démarche a permis de renforcer la capacité d'absorption et de résilience des territoires.

Par ailleurs, dans le cadre de cette commission d'enquête, l'objet reste d'identifier les points de difficulté. Vous avez laissé entendre, monsieur Dubertrand, que le dernier programme Interreg a été difficile à mettre en œuvre à Saint-Martin. Pouvez-vous apporter un éclairage sur ce point ? Je laisse cependant M. Frantz Gumbs faire part de ses questions.

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Je précise tout d'abord qu'Interreg a permis de financer un radar météorologique à Saint-Martin. Des radars sont implantés à la Guadeloupe et à Porto-Rico, mais Saint-Martin et les îles du Nord, précédemment, n'étaient pas couvertes. Le radar financé par Interreg est implanté dans la partie hollandaise de Saint-Martin.

En matière de météorologie, le National Hurricane Center de Miami, en Floride, est responsable de la gestion des trajectoires et des avertissements pour l'ensemble de la zone Caraïbes. En parallèle, le centre météorologique en charge des territoires français se trouve en Guadeloupe. Pour la partie néerlandaise de Saint-Martin, le centre météorologique de référence se trouve à Curaçao. Les consignes données dans les différents territoires ne sont pas homogènes. Je m'interroge donc sur une éventuelle volonté de coordonner les systèmes et les messages d'alerte. J'ai par exemple eu l'occasion de constater des décalages dans le temps des alertes émises dans la partie néerlandaise. Dans ces conditions, quelles seraient les possibilités de normaliser les systèmes d'alerte et d'avis aux populations ?

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Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l'AFD

C'est une question fondamentale, sur laquelle des experts de Météo-France seraient certainement mieux placés pour apporter des éléments de réponse. Visiblement, cette coordination n'existe pas, puisque vous témoignez vous-mêmes que le territoire de Saint-Martin est couvert par le centre de Curaçao.

Si le partage d'informations ne s'opère pas de manière satisfaisante, que peut-on faire pour renforcer la coopération ? Si le sujet est d'ordre financier, l'AFD est à votre disposition pour faciliter, au travers de financements de coopération régionale, une mise en réseau qui pourrait être initiée, éventuellement, à partir de Météo-France.

D'autant plus qu'à ma connaissance, dans l'océan Indien, cette démarche a pu se concrétiser, en lien avec Météo-France. Nous avons pu soutenir un programme de mise en réseau et de fonctionnement coordonné des différents instituts météorologique de la zone en question.

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Un des premiers sujets que j'ai dû aborder lorsque j'ai commencé à m'intéresser aux outre-mer était celui de la coopération régionale. Une des questions concernait la difficulté, pour des territoires qui n'avaient pas le statut d'États, de travailler avec des territoires qui possédaient ce statut. Des avancées ont-elles été constatées sur ce point, ou bien une partie des frictions dans la coopération tiennent-elles encore à cette réalité ?

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Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique

Le droit a évolué, avec la loi d'orientation pour l'outre-mer (2000) et la loi dite « Letchimy » (2016). En vertu de cette dernière loi, les départements et régions d'outre-mer (DROM) peuvent signer des accords avec des États étrangers, à la différence des régions métropolitaines. La loi Letchimy dispose également que les DROM doivent adopter un programme-cadre de coopération régionale sur cinq ans et vise aussi à faciliter le placement des agents territoriaux au sein des ambassades, pour suivre ces programmes.

Au regard du caractère évident des enjeux régionaux et internationaux pour tous les territoires d'outre-mer, j'ai l'impression que la conscience et la mobilisation sont plus fortes que par le passé et que les outils à disposition sont plus nombreux.

La prochaine conférence de coopération régionale Antilles-Guyane se tiendra en avril prochain à Saint-Martin. Elle comportera notamment des sessions sur les enjeux de sécurité globale, l'intégration des commandements des forces aériennes (CFA) dans les organisations régionales, la question des exportations dans la région et les échanges culturels et linguistiques, avec une forte implication des acteurs. Le choix de retenir la notion de « sécurité globale » tient à la volonté de traiter à la fois des thèmes de sécurité stricto sensu (lutte contre les criminalités et les trafics), mais aussi des risques sanitaires et des risques naturels. Cette session sera également l'occasion d'évoquer l'agence caribéenne pour la cybersécurité.

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Pouvez-vous revenir sur les difficultés sur Interreg ?

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Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique

Les difficultés ne portent pas sur les risques naturels. Dans l'application du programme pour la période 2014-2020, les éléments qui touchaient aux risques naturels – notamment le nettoyage du lagon de Simpson Bay – ont été exécutés. En revanche, il y avait d'autres projets, qui ne concernent pas les risques naturels, qui n'étaient manifestement pas mûrs pour pouvoir être traités.

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Je reviens vers vous, monsieur Sibeoni. Pourriez-vous citer des exemples de coopération à l'échelle de la zone, dans les trois catégories que forment la prévention, le secours et la résilience ?

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Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac

Concernant le premier volet, je peux mentionner la campagne régionale de prévention que nous avons organisée l'an passé dans les médias (télévision, radio, réseaux sociaux…). Nous avons mis en avant la capacité à s'adapter au changement climatique, au niveau individuel, mais surtout au niveau communautaire. Nous avons ainsi mis en valeur dix initiatives, à Sainte-Lucie, la Dominique et la Guadeloupe. Nous avons diffusé des films en français et en anglais, afin que l'ensemble des territoires soient impliqués. Nous réitérerons probablement cette année ce type d'action, peut-être au travers de radios en langue créole, pour toucher davantage de populations plus vulnérables.

De même, en octobre 2023, nous avons organisé en Guadeloupe un atelier de formation sur le thème de la prévention et de la réduction des risques de catastrophes dans les écoles, avec des interventions de la CDEMA, de l'OECO et de collègues d'Amérique centrale. Les échanges, pendant une semaine, étaient donc en français, en anglais et en espagnol. Ils ont permis d'évoquer sur ce thème les expériences de petits territoires insulaires, comme Antigua, ou d'associations. Des collègues de l'île Maurice étaient également présents, pour favoriser le dialogue et le partage d'expérience entre les deux zones. Un autre aspect a porté sur la manière de toucher dans les programmes des populations spécifiques, comme les populations de migrants.

Sur le volet relatif à la préparation, nous avons organisé l'an passé une formation sur la manière de produire de l'eau potable avec des unités de production d'eau que nous avons en stock en Guadeloupe et en Martinique. Il s'agit véritablement d'une formation sur le terrain, avec un échange de bonnes pratiques.

Outre les actions sur le droit des catastrophes, nous avons aussi mené l'an passé une action sur la coopération civilo-militaire, coordonnée par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, avec des financements d'Interreg et de l'AFD. L'objet était de faire dialoguer les armées de la région et les acteurs civils de la réponse d'urgence, pour favoriser une connaissance mutuelle de nos modes de fonctionnement respectifs.

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Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac

Nous vous la transmettrons volontiers.

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Avant de clore cette séance, je propose de vous rendre la parole, si vous souhaitez compléter vos propos.

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Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de coopération régionale dans la zone Atlantique

Pour revenir sur l'aspect diplomatique, la signature d'un accord entre la France et la CDEMA constituera un pas important. Il facilitera la coopération avec les États et les territoires de la Caricom et permettra aussi de mener une démarche plus étendue, une initiative permettant de toucher plus largement les États au niveau de la Caraïbe, y compris ceux qui ne sont pas membres de la Caricom. La priorité est de signer cet accord avec la CDEMA, pour ouvrir ensuite de nouvelles perspectives.

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Marc Dubernet, directeur régional océan Atlantique de l'AFD

J'insisterai pour ma part sur l'importance de la coordination des systèmes météorologiques, dans une zone complexe et composée de petites îles, dont les cultures et les systèmes organisationnels peuvent différer. Il n'est pas toujours simple d'identifier le dénominateur commun permettant d'entraîner des effets de coopération. Je crois que les sujets de prévention, de gestion et de remédiation des impacts des catastrophes naturelles peuvent être fédérateurs, pour aller plus loin dans la mise en réseau.

Évidemment, cette mise en réseau nécessite aussi des moyens financiers. En l'occurrence, nous avons vu qu'ils sont principalement issus de l'Union européenne (Interreg et FED) ou qu'ils relèvent du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (budget 209, intermédié pour partie par l'AFD).

La limite de ce raisonnement, c'est que l'on constate, lorsqu'on fait intervenir des financements du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qu'il s'avère toujours difficile de défendre la création d'une part de valeur ajoutée sur le territoire national, ces financements étant conçus pour la coopération internationale. Nous connaissons des exceptions – il a été question précédemment de la construction d'un entrepôt en Guadeloupe, tout comme des projets bénéficient aussi en partie, à La Réunion, de financements du ministère de l'Europe et des affaires étrangères –, mais c'est toujours, en quelque sorte, par dérogation que l'on parvient à construire ces actions, alors que ces infrastructures ont leur place dans les départements français.

Un travail doit donc être mené sur une meilleure fluidification de nos propres financements et de ceux de l'Europe, pour réduire la complexité de la démarche de fédération de financements que nous pratiquons au quotidien sur différents projets.

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Sur ces sujets de coopération en matière de risques naturels, j'ai toujours été étonné que nos grandes écoles soient à Maurice, et non à La Réunion, par exemple.

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Jérémie Sibeoni, chef de délégation régionale de la Pirac

Je partage le propos qui vient d'être tenu. Je pense que nous n'avons pas les outils pour passer à l'échelle, en particulier sur les programmes de prévention et de réduction des risques de catastrophes dans les territoires ultramarins. Pour avoir un impact fort, il nous faudrait un guichet spécifique. C'est un plaidoyer que nous partageons avec l'AFD.

Un autre sujet est que les financements en question sont de plus en plus complexes. Ils mobilisent un volume de plus en plus important de ressources. Les procédures se complexifient d'année en année, avec des exigences de redevabilité parfois difficiles à atteindre. In fine, on parle plus d'audits que de projets et d'accompagnement. Il serait donc opportun de revenir à une forme de simplification, dans l'intérêt collectif et afin de placer nos ressources au service des projets et des populations.

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Il ne me reste plus qu'à vous remercier. Je vous invite à répondre au questionnaire écrit que nous vous avons communiqué, mais aussi à y adjoindre tout document ou toute contribution que vous jugerez utile.

La séance s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du jeudi 15 février 2024 à 14 heures

Présents. - M. Frantz Gumbs, Mme Cécile Rilhac, M. David Valence, M. Guillaume Vuilletet.

Excusés. - M. Xavier Batut, Mme Florence Goulet, M. Mansour Kamardine, Mme Sophie Panonacle.

Assistait également à la réunion. - M. Stéphane Vojetta.