Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures cinq

(Présidence de Mme Isabelle Rauch, présidente)

La commission organise une table ronde, en lien avec les états généraux de l'information, sur le thème de l'adaptation du droit des médias aux évolutions du secteur réunissant M. Tristan Azzi, professeur à l'École de droit de la Sorbonne, université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Mme Alexandra Bensamoun, professeure de droit privé à l'université Paris-Saclay, et Mme Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas.

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Mes chers collègues, dans le cadre de notre cycle de d'auditions en lien avec les États généraux de l'information, nous recevons aujourd'hui trois professeurs de droit pour une table ronde sur les adaptations du droit des médias aux évolutions les plus récentes du secteur. Je souhaite donc la bienvenue à M. Tristan Azzi, professeur à l'École de droit de la Sorbonne (de l'Université Paris I – Panthéon Sorbonne), Mme Alexandra Bensamoun, professeur de droit privé à l'Université Paris-Saclay et Mme Camille Broyelle, professeur de droit public à l'Université Paris Panthéon Assas.

M. Tristan Azzi, vous qui êtes spécialisé notamment en droit de la propriété intellectuelle, pourriez-vous nous présenter un premier bilan de l'application de la directive européenne de 2019 imposant aux plates-formes la rémunération des ayants droit pour l'utilisation de leur contenu ? Je souhaiterais savoir ce que vous pensez des accords signés entre les groupes de presse et les géants du numérique. Quelles sont les évolutions qui vous semblent à terme envisageables ou souhaitables pour intégrer des développements technologiques récents dans une juste approche des droits d'auteur et des droits voisins ?

Mme Alexandra Bensamoun, vous avez été membre de la commission sur l'intelligence artificielle mandatée en septembre 2023 par le Président de la République et qui a présenté son rapport le 13 mars dernier. Nous aimerions vous entendre nous exposer les problématiques spécifiques liées à l'intelligence artificielle et les principales conclusions et préconisations de la commission sur les effets du développement de celle-ci dans la sphère informationnelle. Je pense notamment à la recommandation n° 21 visant à faciliter l'appropriation et l'accélération des usages de l'IA dans la culture et les médias pour limiter la polarisation entre grands groupes et petits acteurs et lutter contre la désinformation.

Les travaux de Mme Camille Broyelle portent plus particulièrement sur la régulation des médias. Vous organisez d'ailleurs prochainement à la Sorbonne un colloque sur le pluralisme dans les médias. J'aimerais que vous nous présentiez votre analyse de la décision du Conseil d'État du 13 février 2024 suite à la saisine de l'association Reporters sans frontières. Quelles sont selon vous les difficultés d'application posées par cette décision pour l'Autorité de régulation et comment les surmonter ?

Je laisserai la parole à chacun d'entre vous pour un propos liminaire de sept minutes puis mes collègues pourront vous poser leurs questions. Vous n'êtes pas obligés de répondre immédiatement à mes questions introductives.

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Tristan Azzi, professeur à l'École de droit de la Sorbonne, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition pour pouvoir discuter avec vous de ces questions passionnantes dans le cadre des États généraux de l'information. Je devrai malheureusement vous quitter à dix heures et demie car j'ai un cours magistral à assurer. Le sujet est très vaste. En tant que spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, je réduirai le périmètre de mon intervention à ce domaine et notamment aux droits d'auteur et aux droits voisins.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'insister sur le profond bouleversement qu'a représenté Internet pour le secteur des médias et pour la propriété littéraire et artistique (droits d'auteur et droits voisins). Il me semble également inutile d'expliquer en quoi l'internet de première génération des années 1990 est aujourd'hui obsolète, les technologies numériques actuelles étant très différentes de celles de l'époque. Les progrès techniques constants ont considérablement amplifié les capacités de communication et de reproduction des contenus protégés par les droits d'auteur et les droits voisins. Parallèlement, l'accès des particuliers à internet et aux technologies numériques s'est considérablement démocratisé. Enfin, de nouveaux prestataires de services ont émergé, qui jouent le rôle d'intermédiaires dans la diffusion des œuvres et contenus protégés par les droits voisins, et qui engrangent d'importants revenus avec ces activités en ne les partageant guère avec les principaux producteurs de contenus (les auteurs et les titulaires de droits voisins). Se pose alors la question du partage de la valeur, qui semble mieux assurée depuis notamment une directive de 2019, même s'il n'est pas certain qu'elle donne entièrement satisfaction à l'heure de sa mise en application.

J'ai sélectionné certaines questions sur le thème de la propriété intellectuelle. J'aimerais tout d'abord évoquer l'intelligence artificielle, qui pose des difficultés aussi bien en aval qu'en amont comme ma collègue Alexandra Bensamoun vous l'expliquera certainement.

Le deuxième sujet est lié à l'article 17 de la directive sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, qui vise précisément à permettre un meilleur partage de la valeur entre les plateformes de partage et les différents titulaires de droits. Cette directive a été transposée dans le droit français en 2021 et sa mise en application a débuté. Nous devons nous assurer qu'elle donne satisfaction.

Le troisième sujet important à mes yeux est le nouveau droit voisin qui a été consacré au bénéfice des éditeurs de publications de presse. J'ai d'ailleurs fait partie de ses détracteurs mais à présent qu'il a été institué, il n'est plus question de le remettre en cause. Je constate cependant que sa mise en œuvre est complexe. Deux difficultés se posent : d'une part, beaucoup de grandes plateformes ne se prêtent que très difficilement au jeu du droit voisin, ce qui est source de contentieux, et d'autre part ce droit voisin génère des rémunérations au bénéfice des éditeurs de presse mais une part appropriée et équitable doit être rétrocédée aux auteurs de presse (journalistes, photographes, etc.). Des négociations sont en cours et il a fallu saisir la commission sur les droits d'auteur et les droits voisins car les éditeurs et les auteurs ne parvenaient pas un consensus. À mes yeux, les auteurs doivent avoir droit à une part conséquente en tant que fournisseurs de contenus en amont de l'éditeur de presse.

Même si ce sujet n'entre pas strictement dans le champ de cette réunion, il me semble important de mentionner un droit voisin qui existe depuis 1985 et qui concerne les entreprises de communication audiovisuelles, autrement dit les chaînes de radio et de télévision. Ce droit voisin était dormant et avait suscité très peu de contentieux depuis 1985 mais il semble connaître un réveil assez rapide, comme le montre notamment la décision de la Cour de justice de l'Union européenne d'imposer que les entreprises de communication audiovisuelle bénéficient de la rémunération pour copie privée. Celle-ci génère environ 300 millions d'euros par an, ce qui est considérable à l'échelle des industries culturelles et, en l'occurrence, des chaînes de radio et de télévision. Or la législation française ne prévoit pas de tel dispositif. Il faudra donc réfléchir à une modification de la législation française sauf à considérer que le préjudice est minime comme le dit la Cour de justice mais je ne suis pas certain que ce soit le cas. Cette réflexion en appellera une autre sur l'identification des titulaires de ce droit. Cet exercice était relativement trivial en 1985 car la définition d'une chaîne de radio ou de télévision était plutôt claire mais le paysage actuel est plus complexe et la définition légale d'une entreprise de communication audiovisuelle, qui figure dans la loi de 1986 sur la liberté de communication, est désormais inadaptée ; cette loi a subi de nombreuses modifications, impliquant par conséquent des changements d'interprétation sur la nature des titulaires de droits voisins. Je ne suis d'ailleurs plus certain de savoir définir au sens légal une entreprise de communication audiovisuelle. Les chaînes classiques entrent certes dans ce champ mais la question est plus ardue en ce qui concerne certains acteurs digitaux. Cette question devra être tranchée s'il s'agit de les rémunérer au titre de la copie privée.

Le dernier sujet sur lequel j'aimerais insister est la situation des auteurs d'images fixes, plus précisément de photographies et notamment de photographies de presse. Cette profession est en danger du fait de la propriété intellectuelle. J'ai été conduit à rédiger un rapport pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique – qui dépend du ministère de la Culture – sur les métadonnées. Sommairement, les métadonnées sont des informations textuelles intégrées à des photographies numériques. Y sont indiqués le nom de l'auteur, la date de la photographie, le titulaire des droits, les restrictions d'utilisation, etc. Or ces métadonnées sont très souvent « écrasées », selon l'expression consacrée, lorsque les photographies sont diffusées sur internet. Divers opérateurs tels que les exploitants de réseaux sociaux mais aussi certains éditeurs de presse effacent ces données. Les grands médias de presse comme Le Figaro ou Le Monde sont très respectueux des métadonnées mais ce n'est pas le cas de certains éditeurs plus petits.

L'effacement de ces métadonnées pose diverses problématiques d'exploitation des droits et de lutte contre la désinformation. Dans le rapport auquel j'ai fait référence, nous avons proposé un certain nombre de solutions que je partagerai avec vous.

Je m'en tiendrai là pour l'instant, mais j'aurai certainement l'occasion d'aborder d'autres sujets lors des questions-réponses.

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Alexandra Bensamoun, professeure de droit privé à l'université Paris-Saclay

Afin de compléter les propos de Tristan Azzi, l'Autorité de la concurrence vient de publier un communiqué où elle annonce la condamnation de Google à une amende de 250 millions d'euros pour ne pas avoir respecté ses obligations de négocier de bonne foi sur la rémunération des droits voisins pour les éditeurs de presse. Le droit de la concurrence a tendance à devenir assez lié à celui de la propriété intellectuelle. C'est par des actions complémentaires sur ces leviers que nous pourrons avancer.

J'ai été nommée en septembre au sein d'un collège de quinze experts dans le cadre d'un rapport commandé par le Président de la République sur la stratégie nationale en matière d'intelligence artificielle, l'objectif étant que la France devienne un champion dans ce domaine. Cette ambition nécessitera des investissements importants. Nous avons formulé vingt-cinq recommandations. Notre rapport est disponible sur le site de l'Élysée, celui de Matignon et celui de Bercy entre autres. Au sein de ce collège d'experts, j'étais la représentante du secteur de la culture et des médias. Quatre recommandations portent sur les industries culturelles et créatives et plus généralement les médias. Une recommandation sur l'emploi est également contenue dans ce rapport, priorité étant donnée au secteur de la culture, qui est davantage concerné.

La première recommandation vise à mettre en œuvre les obligations de transparence prévues par l' Artificial Intelligence Act ; le règlement voté par le Parlement européen le 13 mars dernier, le jour même où nous remettions notre rapport au Président de la République, impose une transparence des sources. Comme vous le savez, les IA génératives sont entraînées sur des masses de données et il est avéré que certains contenus de ces bases de données sont exploités sans autorisation ni rémunération des titulaires de droits. La transparence est donc nécessaire pour que ceux-ci puissent exercer leurs droits. Cette obligation a été obtenue de haute lutte au niveau européen. Vous aurez un rôle important à jouer afin de vous assurer de la mise en œuvre effective de cette mesure.

Comme le Président de la République l'a plusieurs fois rappelé, il est fondamental d'assurer le rayonnement de la culture française, et c'est l'objet de notre deuxième recommandation. En effet, les IA génératives sont entraînées sur des bases où la culture anglo-saxonne est omniprésente par rapport à la culture française. D'ailleurs, vous pourriez être étonnés des réponses des robots à certaines questions qui font l'objet de désaccords, comme par exemple sur l'identité de la première personne qui a réussi à effectuer la traversée de la Manche en avion. Pour assurer la diffusion de la culture française, nous avons recommandé la création d'une infrastructure technique qui favoriserait la mise en relation entre les développeurs d'intelligence artificielle et les détenteurs de données patrimoniales libres de droit. Je souligne que le dépôt légal ne nous appartient pas et que, donc, nous ne pouvons absolument pas utiliser ce dépôt légal pour mettre à disposition ces contenus. La Bibliothèque nationale de France, l'Institut national de l'audiovisuel et d'autres institutions ont à disposition de nombreux contenus qui pourraient être utilisés pour entraîner ces systèmes d'intelligence artificielle. Ces contenus libres de droit et cette infrastructure pourraient servir de plateforme de négociations à travers laquelle les titulaires de droit pourraient être rémunérés pour l'utilisation de ces contenus.

Notre troisième recommandation porte sur la formation des professions créatives à l'intelligence artificielle. L'objet est d'accélérer l'appropriation de l'IA par les industries culturelles et créatives et par les créatifs en général. Pour cela, nous recommandons d'investir dans le secteur de l'information et de la sensibilisation. Notre commission ne s'attend pas à des conséquences nécessairement négatives pour l'emploi, l'enjeu se situant plutôt au niveau de la complémentarité que de l'éviction. Le secteur de la culture doit faire l'objet d'une attention spécifique en raison de son organisation, caractérisée notamment par l'utilisation de contrats précaires. Certaines professions sont menacées à très court terme, ce qui nécessitera une attention accrue à leur égard. Certaines entreprises ont d'ailleurs annoncé à grand bruit leur intention de licencier des journalistes, considérant qu'elles n'en avaient plus besoin – ce qui reste encore à démontrer.

Enfin, au sujet de la recommandation que vous avez mentionnée, madame la Présidente, le domaine culturel et médiatique est organisé selon une structure oligopolistique. Un petit nombre de grands groupes y cohabitent avec une multiplicité de petits acteurs et même quelques indépendants. Le déploiement de l'intelligence artificielle dans ces secteurs aura pour conséquence d'accentuer la bipolarisation entre ces grands groupes d'un côté et ces petits acteurs de l'autre. En particulier, dans le domaine de l'information, cette bipolarisation accentue le risque démocratique avec l'apparition notamment de nouveaux acteurs qui n'ont pas de responsabilité éditoriale et qui pourront se livrer à de la désinformation ou à de la mésinformation. Des bulles de filtres sont également possibles avec les agents conversationnels. Nous considérons donc que le secteur de la presse doit être préservé vis-à-vis du déploiement de l'IA. Nous avons recommandé la création d'un fonds prioritaire d'innovation et d'appropriation des intelligences artificielles. Ce fonds pourrait être étendu au niveau européen au sein du programme Europe créative. Nous avons également recommandé de donner les moyens à la presse de renforcer la lutte contre la désinformation, à travers le financement d'initiatives en faveur de la transparence des sources. Il est très important que les groupes de presse sachent lorsque leurs sources sont utilisées. Transparence des sources, responsabilité éditoriale, traçabilité de l'information sont les axes que nous recommandons. Nous prônons également le développement d'audits de modèles, le développement de bases de données de fact checking (pour vérifier la véracité de l'information). Ce fonds serait doté d'un budget de 60 millions d'euros. Cela peut paraître très ambitieux alors que les budgets ont tendance à être réduits mais l'enjeu nous semble à la hauteur compte tenu du risque démocratique.

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Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas

Merci de votre invitation. Vous souhaitiez que j'évoque la décision rendue par le Conseil d'État au sujet du litige qui opposait Reporters sans frontières à l'Arcom à propos de CNews. Le litige portait sur l'interprétation de l'obligation de pluralisme interne qui découle de l'article 13 de la loi de 1986. Reporters sans frontières critiquait le fait que l'Arcom basait son appréciation du respect de cette obligation simplement sur le décompte des temps de parole des personnalités politiques invitées à intervenir sur CNews. En l'occurrence, l'Arcom considérait que le temps de parole était équitablement réparti sur cette chaîne, et dès lors, que le pluralisme interne était respecté. Le Conseil d'État a remis en cause cette interprétation dans la mesure où les discours politiques ne sont pas réservés aux personnalités politiques. Des invités, des chroniqueurs ou des journalistes peuvent aussi exprimer des opinions politiques. Le Conseil d'État considère donc que l'Arcom doit compléter son approche par une analyse de l'ensemble des programmes. Cette décision a été fortement critiquée – à tort selon moi. Je vous invite à vous emparer du sujet dans la mesure où la décision du Conseil d'État met en lumière les points forts et les points faibles de la loi de 1986.

Le Conseil d'État reconnaît tout d'abord que le pluralisme interne est le seul moyen de s'assurer du pluralisme sur les chaînes de la TNT. L'objectif recherché est que le public ait accès à une diversité de titres de presse et de chaînes de radio et de télévision. Le pluralisme peut être mis en œuvre de deux manières différentes : on parle de pluralisme externe lorsqu'il est fait en sorte que les acteurs soient nombreux, et de pluralisme interne lorsque chacun des acteurs se voit imposer de relayer des opinions diverses. Le pluralisme externe domine dans la presse et il est d'ailleurs soutenu par l'État. La loi « Bichet » sur la distribution de la presse favorise l'émergence de titres de presse exprimant des courants de pensée différents. En matière audiovisuelle, compte tenu de la rareté des fréquences hertziennes disponibles, le pluralisme interne a été choisi. Faute de pouvoir disposer d'un nombre suffisant d'éditeurs, le pluralisme est assuré au sein de chaque éditeur. Bien évidemment, l'environnement technique audiovisuel a considérablement changé puisque, depuis le passage de l'analogique au numérique, les fréquences de TNT sont devenues moins rares. Sur une trentaine de chaînes, le pluralisme externe pourrait devenir envisageable. En outre, les éditeurs ont désormais la capacité de distribuer leurs programmes sur internet.

Je pense que le pluralisme interne reste le seul modèle pertinent sur les chaînes de la TNT mais qu'en dehors de la TNT, il n'est pas recommandé. L'argument selon lequel le pluralisme externe pourrait être assuré avec une trentaine de chaînes se heurte à des considérations économiques : l'accès à la TNT est réservé à des éditeurs possédant une surface financière importante, ce qui peut favoriser la concentration des acteurs. Et étant donné que l'on ne peut guère empêcher qu'un groupe monopolise plusieurs chaînes de télévision, le pluralisme interne me semble assez incontournable sur la TNT. D'aucuns considèrent que la TNT n'est plus l'assiette pertinente pour mesurer le pluralisme dans la mesure où il est possible de diffuser des contenus sur internet. Certes mais la TNT détient encore la majorité de l'audience. Ceux d'ailleurs qui avancent cet argument se gardent bien de voir ce qu'il en est sur internet. Les éditeurs, et notamment ceux du groupe Bolloré, privilégient la TNT dans la mesure où elle détient la plus large part d'audience. Je pense donc que le pluralisme interne doit demeurer sur les chaînes de la TNT.

Je pense cependant que vous devriez réexaminer la question du pluralisme interne pour les chaînes de radio. Le droit positif tempère cette exigence dans la mesure où le Conseil d'État a considéré que les chaînes de radio hertzienne pouvaient être des radios d'opinion et que le pluralisme interne ne pouvait pas leur être imposé. La question du pluralisme interne me semble encore moins fondée pour les émissions diffusées sur internet. Je considère qu'elle n'est plus justifiée du tout, ce qui ne signifie pas pour autant que vous deviez accepter que des chaînes de télévision distribuées sur internet puissent véhiculer des idées fausses. Cela contrevient en effet à un autre principe légal qui joue le rôle de corde de rappel : le principe d'honnêteté et d'indépendance de l'information, qui contient des exigences de pluralisme. Quand bien même on considérerait qu'une chaîne d'opinion distribuée sur internet serait affranchie de l'obligation de pluralisme interne, l'exigence d'honnêteté et d'indépendance de l'information n'en demeure pas moins applicable, ce qui revient à imposer à cette chaîne d'opinion de respecter la pluralité des points de vue sur des questions prêtant à controverse. La véritable question est celle-ci : un éditeur peut-il être autorisé à exprimer un discours démagogique et à manipuler l'opinion ?

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Merci de ces interventions liminaires. Nous allons entendre les orateurs des groupes.

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Au sein de la Majorité présidentielle, avec Jérémie Patrier-Leitus et Laurent Esquenet-Goxes, nous avons mis en place un groupe de travail qui a reçu ces derniers mois de nombreux acteurs des médias et de l'information, notre objectif étant de pouvoir émettre des recommandations en tant que députés dans le cadre des États généraux. Nous sommes vingt-cinq membres issus notamment mais pas seulement de la commission des Affaires culturelles. Nous serons tous sollicités si des modifications législatives doivent être envisagées après ces États généraux.

D'ici quelques jours, nous entamerons un débat parlementaire sur une proposition de loi relative au droit d'agrément (déposée après la reprise du Journal du Dimanche, JDD ). Nous devons débattre du pluralisme et de l'indépendance des médias, de la concentration et des modèles économiques. Nous devons aussi nous pencher sur l'évolution du métier de journaliste compte tenu du développement des technologies numériques et de l'intelligence artificielle en particulier. Droits d'auteur, déontologie et rémunération de la profession et pratiques éditoriales sont des sujets que nous devrons étudier.

Le droit est donc omniprésent mais je concentrerai mon intervention sur deux sujets en particulier à propos desquels j'aimerais connaître votre opinion. Ma première question porte sur l'accès aux droits et à la vie privée. Les réseaux sociaux ont massivement intégré l'espace d'information. Tout récemment, dans le cadre de l'examen d'une proposition de loi portant réforme du statut de l'élu local, un amendement avait été adopté pour modifier certaines dispositions de la loi de 1881 dans le but de renforcer la protection des élus, alors que les réseaux sociaux peuvent être un instrument de diffusion pour des campagnes de désinformation massives, voire d'injures publiques. Cette proposition de modification, qui traduisait une méconnaissance du dispositif, a suscité une vive réaction et nous y avons renoncé. Mais le problème est bien réel : comment y remédier ?

Ma deuxième question porte sur le nouveau statut des créateurs de contenus de l'information (avec des chaînes telles qu'Hugo Décrypte, Gaspard G ou le Crayon). Ces chaînes sont largement plébiscitées par les jeunes, la plupart de ces derniers s'informant exclusivement auprès d'elles. Ils ont déserté les chaînes de la TNT et de radio et ils ont tendance à rechercher de l'information directement sur leur smartphone à travers ces plateformes. Or le cadre légal actuel n'englobe pas ces nouveaux créateurs de contenus.

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Je souhaiterais vous interpeller sur la question de la place de nos médias. Si nous pouvons tous nous féliciter d'avoir su préserver une souveraineté audiovisuelle, celle-ci n'en est pas pour autant exemptée de menaces. Je ne compte plus les entreprises privées ou publiques de l'audiovisuel français qui m'ont fait part de leurs inquiétudes concernant la prédation constante des plateformes américaines vis-à-vis de leur modèle. Ces chaînes de télévision, qui font face au développement des téléviseurs connectés, s'inquiètent de voir leurs utilisateurs recevoir des télécommandes avec uniquement des touches qui renvoient vers des plateformes, quand ces écrans ne privilégient pas les mêmes plateformes au détriment des chaînes de la TNT. Ces plateformes disposent également d'un budget colossal pour la création audiovisuelle, comparativement au budget de l'ensemble des acteurs nationaux. Il faut dire que les deux tiers des revenus publicitaires sont captés à présent par le numérique.

Nos chaînes de radio s'inquiètent quant à elles de la disparition progressive des autoradios, remplacées par des interfaces connectées qui invisibilisent aussi progressivement les stations françaises.

Ne pensez-vous pas que, face à ces mutations du marché, la loi de 1986 est devenue obsolète pour protéger efficacement notre souveraineté audiovisuelle ?

Enfin, concernant la presse, les différents acteurs ne cessent de se plaindre de la non-application des lois votées concernant le droit voisin. En audition, des représentants de la presse magazine rappelaient que la majorité des entreprises du numérique ne jouent pas le jeu de la négociation. Les médias de presse estiment qu'ils ont perdu la moitié de leurs revenus publicitaires ces dix dernières années et que 90 % des volumes correspondants ont été captés par les Gafam. Pensez-vous qu'il soit possible d'aller encore plus loin pour contraindre les plateformes au niveau national ?

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Le comité de l'intelligence artificielle générative, sous l'autorité du Premier ministre, vient de publier son rapport où il formule vingt-cinq propositions. Parmi elles, une seule concerne la protection du droit d'auteur et elle reste malheureusement très vague. La technologie de l'intelligence artificielle peut trouver des applications absolument partout : la santé, l'écologie, l'économie, l'éducation, la défense, l'aérospatial, etc. Elle pourrait probablement même faire le café mais dans le domaine de la culture et des médias, son utilisation interroge. Une intelligence artificielle nécessite quantité de données pour s'exercer et se perfectionner. Ces données proviennent de livres et d'articles de presse écrits par des humains, de photographies et de peintures produites par des humains, des films et des vidéos d'humains. Dans le monde capitaliste dans lequel nous vivons, ces êtres humains ont un droit à l'image et un droit sur leurs œuvres.

Aucune mesure n'est actuellement prise pour protéger les créateurs dont le travail est illicitement utilisé pour entraîner des IA. Avez-vous des propositions ou des réflexions approfondies sur ce sujet ?

De même, l'IA pourrait entraîner une forte augmentation de la productivité suivie d'une reconfiguration des emplois dans de nombreux secteurs, y compris celui des médias. Cependant, il existe un risque démocratique lié au développement de l'IA dans cet espace notamment si elle devient une pratique hégémonique en imposant un fonctionnement uniforme. Certains acteurs du secteur commencent à prendre conscience de cette problématique comme en témoigne l'adoption de la charte « éthique intelligence artificielle » par le quotidien Le Monde. Quelle est votre opinion sur ces enjeux ? L'utilisation croissante de l'IA et la pression exercée par les propriétaires sur les rédactions risquent de provoquer une crise dans le paysage médiatique et démocratique.

Enfin, ne croyez-vous pas qu'il serait nécessaire d'ouvrir un grand chantier démocratique et de réfléchir même à un moratoire pour encadrer et accompagner cette technologie ? Ne devrions-nous pas organiser les conditions d'une appropriation collective de l'IA et de ses enjeux afin de définir collectivement son rôle dans notre société et dans nos vies quotidiennes ?

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Quatre mois après le lancement des États généraux de l'information par Emmanuel Macron, de nombreux médias s'inquiètent que les débats passent à côté des problématiques économiques. En effet les enjeux de ces États généraux ne sont pas des moindres : la survie des médias d'information français dans les prochaines années, l'intelligence artificielle, l'émergence de modèles économiques viables face à la suprématie des Gafam.

Cependant, la question du financement du modèle économique a mis beaucoup de temps à arriver en tête de nos préoccupations. En dix ans, les recettes publicitaires des médias ont été divisées par deux face à la puissance numérique des plateformes américaines, sans oublier la crainte que les contenus des médias soient complètement absorbés gratuitement par les nouveaux géants de l'intelligence artificielle. Comment faire face à ces nouvelles réalités et ainsi s'assurer que le travail des journalistes reste monétisable ? Quel cadre juridique est-il possible de concevoir pour que les médias traditionnels et les nouveaux acteurs de l'information puissent coexister et comment réguler ces nouveaux médias numériques ?

Dans quelque temps, notre commission examinera une proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l'État. Elle prévoit que pour prétendre à des aides d'État, toute nomination d'un directeur ou directrice de rédaction devra faire l'objet d'un vote d'approbation des journalistes employés par la rédaction. Je souhaitais connaître votre position sur ce point qui fait débat.

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Le sujet des médias est au cœur de l'actualité et cette table ronde organisée par madame la Présidente tombe à point nommé. Les États généraux devront remettre leurs conclusions d'ici quelques mois. Les parlementaires y contribueront, notamment dans le cadre du groupe « médias et information » cité tout à l'heure que j'ai l'honneur de co-présider avec Violette Spillebout et Jérémie Patrier-Leitus. À ce titre, nous avons déjà réalisé de très nombreux rendez-vous individuels, une grosse dizaine d'auditions sont en cours d'organisation et nous entendrons pour finir plusieurs grands témoins. L'objectif global que nous partageons tous est bien sûr le renforcement de l'indépendance des rédactions, la pérennité économique du secteur ou encore la garantie de la liberté de la presse.

Ces priorités sont également portées au niveau européen par la majorité et globalement par l'ensemble des eurodéputés, à l'exception de ceux d'extrême droite, comme le montrent les votes sur le sujet au Parlement européen. En ce sens, le Media Freedom Act, couplé à la directive sur les procédures-bâillons, a posé les bases d'une législation européenne protectrice. Nul doute que leur adaptation en droit français permettra de beaux débats, davantage encore si celle-ci est couplée à la mise en œuvre des conclusions des États généraux de l'information.

Avez-vous, sur ces textes, des points d'attention à nous communiquer ? J'aurais aussi aimé vous entendre sur plusieurs thématiques souvent évoquées. D'abord celle de la concentration : on sait que la loi 1986 est souvent remise en question. Pensez-vous également que son adaptation soit nécessaire et si oui comment ? Ensuite sur celui des droits voisins : M. Azzi, vous avez évoqué tout à l'heure le droit existant et ses difficultés d'application face aux Gafam. Comment le faire évoluer ?

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Une des évolutions face à laquelle il nous faut à mon sens légiférer est la concentration croissante du secteur. Cette concentration fragilise l'indépendance de l'information et sa crédibilité. Dans un contexte caractérisé par un interventionnisme croissant de certains actionnaires, les rédactions pourraient utilement avoir le droit de s'opposer, par un vote majoritaire, à la nomination d'un directeur de la rédaction. À ce titre, la société des rédacteurs du journal Le Monde est un excellent modèle. Elle dispose d'un droit de regard sur la nomination ou l'éviction du directeur de la rédaction.

Il me semble nécessaire de mieux concilier aujourd'hui la liberté d'entreprendre et la liberté des médias, toutes deux garanties par notre Constitution. Pourtant, dans le silence de la loi, la première tend dangereusement à prendre le pas sur la seconde. Ce droit d'agrément, proposé par les organisations et associations ayant participé aux États généraux de la presse indépendante et bientôt trop débattu à l'Assemblée, bénéficierait aux rédactions du secteur de la presse écrite comme du secteur audiovisuel, et aurait permis aux journalistes du Journal du Dimanche de sauvegarder leur indépendance. C'est une proposition que j'ai faite en mon nom à l'issue de la mission d'évaluation de la loi « Bloche » que j'ai menée pendant plusieurs mois avec la présidente Isabelle Rauch. J'aimerais connaître votre avis sur l'instauration d'un droit d'agrément et plus globalement sur la mise en place d'outils légaux à la disposition des journalistes pour leur permettre de faire valoir leur liberté face à la place grandissante prise par l'actionnariat.

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Vos interventions précieuses nourrissent notre réflexion sur ces enjeux majeurs qui sont tout à la fois un atout et une menace pour nos démocraties. Vous l'avez dit, ce matin, l'Autorité de la concurrence vient de condamner Google à une amende de 250 millions d'euros pour non-respect de ses engagements concernant les droits voisins. Elle reproche à Google de ne pas avoir négocié de bonne foi avec les éditeurs de presse pour évaluer leur rémunération au titre de ces droits. Par ailleurs, Google n'a pas prévenu les éditeurs de presse que certains de leurs contenus allaient être utilisés pour entraîner son logiciel d'intelligence artificielle Bard. Dans quelle mesure l' Artificial Intelligence Act permet-il de répondre à ces enjeux de rémunération et de transparence des données des sources ?

Mon propos portera maintenant plus particulièrement sur la manière dont l'intelligence artificielle percute le secteur culturel et artistique qui occupe les travaux de notre commission. En quelques années, l'intelligence artificielle est devenue un enjeu majeur pour notre pays. Il lui a suffi de quelques mois pour rattraper le changement climatique au rang des préoccupations majeures. Dans tous les domaines, son développement bouleverse nos sociétés et constitue un changement systémique. C'est un enjeu de souveraineté industrielle et culturelle. Notre pays a lancé, sous l'impulsion du Président de la République, une stratégie nationale puis un comité de l'intelligence artificielle auquel vous appartenez, Mme Bensamoun.

Face à ces nouveaux défis, il faut renforcer nos formations, investir pour favoriser l'innovation, définir une régulation adaptée pour nous protéger des dérives. J'aimerais vous interroger plus précisément sur les enjeux culturels et artistiques. Pouvez-vous préciser les potentialités de l'IA dans l'accès à la création et l'accès à la culture ? Pourriez-vous approfondir la question de l'évolution du régime juridique sur les enjeux culturels ?

Concernant la fiabilité de l'information, vous avez évoqué le fact checking et la création d'infrastructures. Pouvez-vous préciser votre propos ?

Enfin, j'aimerais vous entendre sur le sujet de la valorisation des œuvres et des contenus français et francophones. Comment faire en sorte que l'IA soit un levier de rayonnement et de valorisation de nos contenus culturels ?

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Le pluralisme est en danger à mon sens. En France, nous sommes très attachés à la liberté de la presse et plus généralement à la liberté d'opinion et à la liberté d'expression. C'est aussi pourquoi les dernières transactions sur le marché et le regroupement d'un grand nombre de chaînes de télévision et de radio ainsi que de titres de presse entre les mains d'un nombre réduit d'acteurs menace sans doute cette indépendance des médias. Ce n'est pas pour rien que la société en prend conscience. J'en veux pour preuve les États généraux de l'information qui ont été lancés il y a quatre mois mais aussi, en décembre, l'appel de plus de 250 professionnels de presse, de télévision et de radio.

Je suis attaché au pluralisme de la pensée et je pense que l'inquiétude que l'on peut avoir pour notre société, c'est qu'elle finisse dans une pensée unique avec la disparition du contradictoire. J'aimerais savoir comment juridiquement garantir le pluralisme dans notre pays, comment développer les prérogatives du journalisme. Est-ce que conditionner les aides publiques directes ou indirectes des entreprises de presse d'information politique à un droit d'agrément sur la nomination d'un directeur de la rédaction sera suffisant ou suffisamment dissuasif ?

Enfin j'aimerais aussi vous entendre au sujet des territoires ultramarins, qui sont souvent confrontés à des situations de monopole encore plus accentuées que dans l'Hexagone. Par ailleurs, avez-vous des retours d'expérience à propos du décret de 2021 dont l'objet était de créer un fonds d'aide pour le pluralisme des titres ultramarins ? Avons-nous des éléments permettant d'apprécier son efficacité ?

J'aimerais évoquer l'intelligence artificielle, qui provoque une mutation du secteur. J'aimerais savoir si la nouvelle réglementation européenne sur l'intelligence artificielle est suffisante ou si elle devrait être complétée par d'autres textes législatifs qui renforceraient son efficacité. Pourriez-vous notamment nous donner des pistes de réflexion basées sur des dispositifs juridiques élaborés dans d'autres pays européens, qui seraient susceptibles de préserver le pluralisme au sein de la presse et des médias ?

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Tristan Azzi, professeur à l'École de droit de la Sorbonne, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Je répondrai dans l'ordre aux questions qui ont été posées en lien avec la propriété intellectuelle. S'agissant de la protection des créateurs de contenus d'information, je fais partie de ceux qui considèrent que le droit d'auteur – et plus généralement la propriété intellectuelle – est doté d'une formidable capacité d'auto-adaptation quant à la question de savoir qui est susceptible d'être protégé. Le code de la propriété intellectuelle renferme certes une liste des œuvres susceptibles d'être protégées mais cette liste est purement indicative et il existe deux critères pour qu'une œuvre soit protégée, qui s'appliquent à n'importe quel objet (compris dans la liste ou non). Il faut que l'œuvre soit exprimée dans une forme – l'émission à travers un écran par le biais d'internet est considérée comme une forme –et il faut que la création soit originale (depuis au moins le XIXe siècle). À partir du moment où un créateur de nouveaux contenus de l'information s'exprime à travers une forme et que ce qu'il dit ou montre est original, le droit d'auteur a pleinement vocation à s'appliquer. Voilà à mon avis la principale forme de protection à laquelle ils peuvent prétendre. Toutes les règles classiques ou plus modernes s'appliqueront ensuite pour mettre en œuvre le droit d'auteur. Même si certaines posent des difficultés, elles ne me semblent pas spécifiques à ces créateurs de nouveaux contenus.

Alexandra Bensamoun répondra sans doute plus complètement que moi aux nombreuses questions sur l'intelligence artificielle. Ce sujet me semble central mais il ne doit pas occulter à mon sens les autres questions de propriété intellectuelle, ce qui a parfois tendance à être le cas ces temps-ci. Le problème comprend deux composantes : l'intelligence artificielle se nourrit d'œuvres et ce qu'elle produit ressemble à des œuvres. Pour le premier volet, un dispositif issu de la directive de 2019 s'applique : l'exception relative à la fouille de textes et de données. L'une des difficultés que rencontrent les auteurs à cet égard est qu'ils ont la faculté de s'opposer à la fouille de textes et de données mais que ce droit est concrètement extrêmement difficile à exercer pour de nombreuses raisons. Quant à la production de l'intelligence artificielle, peut-elle être protégée par le droit d'auteur ? Tout dépend de l'intervention humaine, tout du moins pour ce qui est du droit positif.

La question des droits voisins a rebondi ce matin même puisque Google vient d'être condamné à nouveau pour ne pas avoir respecté son obligation de négocier de bonne foi. D'aucuns vous diront que l'interaction entre la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence est une bonne chose. Pour ma part, j'aurais plutôt tendance à penser le contraire. Si le droit de la propriété intellectuelle a besoin du droit de la concurrence pour être appliqué, c'est que le droit de la propriété intellectuelle est mal conçu. Or, très clairement, sans le droit de la concurrence, le droit voisin est complètement ineffectif et les affaires en cours, et celle dont il est question ce matin, le montrent. Il faut trouver un moyen de contraindre les opérateurs d'internet à négocier et peut-être, s'ils ne veulent pas négocier, remplacer le droit voisin par un autre système. Le système de droit voisin repose sur le droit exclusif, c'est-à-dire la faculté d'autoriser ou d'interdire l'exploitation en ligne des contenus. Cela permet surtout de monétiser la diffusion de ces contenus, entraînant par-là une faculté de négociation. Or la négociation ne fonctionne pas face à un opérateur qui ne veut pas négocier – tout du moins dans les règles. C'est ce qui justifie les amendes considérables infligées à Google. Dans ces conditions, il existe un autre système dans le droit de la propriété intellectuelle, qui reviendrait à bouleverser complètement celui élaboré en 2019 dans le cadre de la directive dont le législateur français avait anticipé la transposition et qui consisterait à remplacer le droit exclusif par ce qu'on appelle un droit à rémunération, c'est-à-dire une obligation pour Google ou tout autre acteur de payer chaque fois qu'il exploite des contenus de presse en ligne. Cela n'empêcherait pas des procès car les opérateurs chercheraient sans doute à s'y soustraire mais le dispositif serait peut-être – je suis prudent sur le « peut-être » – préférable. Cela supposerait aussi de modifier la législation française et surtout européenne, ce qui n'est pas une mince affaire ! Ma réflexion sur ce sujet est trop embryonnaire pour que je puisse vous décrire précisément ce système alternatif mais je pense que cela pourrait faire office d'épée de Damoclès.

Toujours à propos du droit voisin, je pense, comme beaucoup d'autres, que l'exception culturelle est fondamentale. Celle-ci a vocation à protéger avant tout ceux sans qui la production de contenus serait impossible. En amont des éditeurs de presse d'une chaîne, je pense avant tout aux auteurs. Sans auteur, aucune œuvre n'est produite et aucun contenu ne peut être créé. Or ce sont finalement les auteurs qui me paraissent les moins bien protégés. Pour en revenir au droit voisin, il est difficile de fournir des chiffres sur les négociations qui ont lieu actuellement dans la mesure où elles interviennent à titre privé, quand bien même elles impliquent, entre autres, la commission des droits d'auteur et des droits voisins. Je pense que les négociations pourraient permettre aux auteurs d'être mieux rémunérés. Ils n'ont pas vocation à récupérer uniquement des miettes du droit voisin. La loi le prévoit très clairement : ils doivent obtenir une part « appropriée et équitable ». Le Parlement n'a pas souhaité expliciter cette notion. Pour d'autres systèmes qui ressemblent à celui de la rémunération des auteurs, le législateur a assumé la responsabilité de fixer des clefs de répartition dans la loi, et très souvent le partage entre auteurs et exploitants s'effectue à 50-50. Pour ce qui est de la propriété intellectuelle des œuvres musicales faisant l'objet d'une diffusion par exemple, la loi prévoit que la rémunération versée par les chaînes de radio et par les lieux publics qui diffusent de la musique est équitable dès lors que les artistes interprètes et les producteurs de musique reçoivent chacun la moitié des sommes versées. La rémunération pour copie privée obéit aussi à des clefs de répartition légales. Les auteurs y sont également bien traités. Le législateur pourrait donc prendre ses responsabilités et fixer lui-même une clef de répartition. Tous les acteurs chercheraient naturellement à obtenir la meilleure part possible auprès du législateur mais un tel principe permettrait de prévenir des conflits internes au secteur de la presse, qui traverse actuellement une crise.

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Alexandra Bensamoun, professeure de droit privé à l'université Paris-Saclay

Merci pour ces nombreuses questions. En tant que spécialiste de la propriété intellectuelle, je me concentrerai pour ma part sur celles qui portaient sur l'intelligence artificielle. Je pratique le droit du numérique à travers les questions relatives aux données à caractère personnel, l'intelligence artificielle, etc., depuis un certain nombre d'années. Je collabore avec des scientifiques sur ces sujets.

Vous avez certainement lu le rapport remis par la commission sur l'intelligence artificielle. J'étais considérée, au sein du collège d'experts, comme devant assurer la protection de la culture et des médias. Je reçois depuis quelques jours de nombreux remerciements du secteur de la culture, ce qui me touche particulièrement. Cette commission a siégé pendant les discussions sur l' Artificial Intelligence Act, lesquelles ont été tendues, notamment à propos de la propriété littéraire et artistique. Mon premier objectif a été de faire entendre la voix de la culture, considérant les IA génératives comme une nouvelle chaîne de valeur. Les IA génératives ont besoin d'un modèle de fondation. Elles sont directement issues de modèles de fondation. Elles sont entraînées à partir de données dont certaines peuvent être protégées par le droit d'auteur et les droits voisins du droit d'auteur. Il peut paraître étonnant que cette chaîne de valeur ait donné lieu à autant de discussions mais il a été très compliqué de faire adopter le principe de transparence au niveau européen, la raison étant que cela introduisait une charge supplémentaire et que certains s'opposaient à ce qu'ils considéraient comme une régulation trop forte. Pour ma part, j'ai soutenu l'idée qu'il n'était pas possible de créer un écosystème IA en supprimant une partie de la chaîne de valeur. Nous avons besoin de ces contenus culturels pour créer ce marché. Le principe de rémunération des contenus protégés par le droit d'auteur et les droits voisins a été rappelé très clairement dans notre rapport, de même que le principe de distinction et de valorisation du contenu humain par opposition au contenu synthétique ou artificiel. Quatre recommandations– plus une cinquième recommandation sur l'emploi – sur un total de vingt-cinq portent sur la culture alors qu'il s'agissait d'un rapport transverse sur l'IA à l'origine. Cela a été une gageure et je remercie d'ailleurs tous les membres de la commission sur l'intelligence artificielle d'avoir compris tout l'enjeu du secteur de la culture et tout l'intérêt à ne pas s'engager dans une voie qui donnerait lieu à de multiples procès comme on le voit aux États-Unis. Tous les secteurs y sont en procès à travers des class actions car les acteurs du numérique ont entraîné des systèmes d'intelligence artificielle sur des contenus protégés, dont ceux du New York Times, mais tous les autres secteurs ont réagi : producteurs de jeux vidéo, d'œuvre littéraires ou graphiques, etc. Les procédures dureront des années et coûteront des dizaines de millions de dollars. Évitons cela en créant un marché éthique, responsable, compétitif à l'échelle européenne, qui prenne en compte l'ensemble de la chaîne de valeur. Pour cela, protégeons notre point fort en France : la culture. Permettons aux industries culturelles et aux titulaires de droits d'être rémunérés pour l'utilisation de ces contenus.

Vous avez demandé si l' Artificial Intelligence Act était suffisamment garant de la protection de la culture. Initialement, il propose une régulation par les risques et pas du tout par la technologie. Plus le risque provoqué par l'usage de l'IA est considéré comme important et plus la régulation doit être stricte, avec le cas échéant une interdiction totale (comme par exemple pour le scoring social). Il est complètement proscrit d'introduire sur le marché un système d'IA de notation sociale.

L'apparition de ChatGPT à la fin de 2022 a été un événement important. Il a fallu un certain temps avant que l'on comprenne comment il fonctionne et comment il a été entraîné. C'est après plusieurs mois d'analyse de bases d'entraînement telles que BooksFree par des chercheurs américains que l'existence de contenus piratés au sein de ces bases a été mise en évidence. S'est alors posée la question du droit applicable : était-il possible d'utiliser ces contenus sans autorisation et sans rémunération ? La directive de 2019 sur les droits d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, à la transposition de laquelle j'ai travaillé à travers un rapport commandé par le ministère de la Culture, prévoit, en son article 4, une exception aux droits d'auteur et aux droits voisins en cas de fouille de textes et de données. Cet article 4 a été introduit par amendement en cours de discussion de manière assez subreptice alors que nous étions tous concentrés sur l'article 17 qui portait sur la rémunération des auteurs et sur les articles 18 et 23 sur les droits voisins des éditeurs de presse. On nous avait expliqué à l'époque que l'article 4 avait été introduit pour la recherche médicale. Cela nous a semblé malgré tout assez large. Des conditions ont été introduites pour pouvoir bénéficier de ce régime d'exception mais elles sont assez élémentaires : il s'agit d'un accès licite aux sources et de l'absence de droit d'opposition de la part du titulaire des droits. Cette exception est en revanche ouverte à l'ensemble des acteurs, quelle que soit la finalité de leurs travaux, et y compris pour une finalité commerciale. Dans mon rapport dans le cadre de la transposition de cette disposition en droit national, j'ai mis en exergue le fait que les titulaires de droits n'étaient guère mobilisés dans le cadre de cette exception car nous ignorons comment sont précisément créées les IA génératives.

Les premiers articles sur les IA génératives de la part des acteurs du numérique datent de 2017. Cette exception avait été déjà pensée très en amont, mais en France, et même en Europe, nous n'avions pas pleinement conscience de sa portée.

Courant 2023, les titulaires de droit ont commencé à s'émouvoir, s'estimant victimes d'une forme de pillage numérique. Les premières procédures ont été lancées aux États-Unis et les titulaires de droit ont commencé à exercer massivement leur droit d'opposition. La directive européenne prévoit que ce droit puisse s'exercer par des moyens lisibles par des machines mais comme cela a déjà été souligné, les métadonnées sont susceptibles d'être écrasées. Si la mise en ligne est effectuée par un tiers et non par le titulaire des droits, il n'y a aucune garantie que les métadonnées soient bien présentes et que son droit d'opposition puisse être appliqué. Dans notre rapport, nous proposons de travailler sur une standardisation du droit d'opposition. Cela m'apparaît fondamental.

Une fois que les auteurs exercent leur droit d'opposition, comment peuvent-ils ensuite faire valoir leurs droits dans l'ignorance de l'utilisation effective de leurs contenus par des modèles de fondation ? C'est alors qu'a émergé une discussion sur la transparence des sources. L' Artificial Intelligence Act a alors changé de physionomie : il ne s'agissait plus seulement de réguler les risques mais aussi d'encadrer la technologie des IA génératives. Ce texte introduit alors le concept de modèle d'intelligence artificielle à usage général ( General - Purpose AI ou GPAI,). Un régime spécifique a été introduit pour ces GPAI, qui dépend de différents critères : le modèle a-t-il besoin, pour fonctionner, d'une puissance de calcul supérieure à 1025 flops ( floating point operation per second, ou nombre d'opérations en virgules flottantes par seconde) ? s'agit-il d'un modèle en open source ou non ?

La question du respect du droit d'auteur et des droits voisins s'est continuellement posée lors de l'élaboration de ces critères. Il a été considéré par certains que le respect de ces droits était facultatif pour des modèles en open source. Pourquoi après tout ? Il s'agit bien d'acteurs privés qui réalisent des profits et il n'y a donc pas de raison de les exempter, tout au plus de leur octroyer des réductions tarifaires. Après d'âpres discussions, le respect du droit d'auteur et des droits voisins a été exigé pour tous les acteurs, avec une obligation de mettre en œuvre une politique interne pour garantir le respect de ces droits et une obligation de déclarer les sources. Je pense qu'un marché compétitif des IA génératives doit impérativement être éthique. Une forme de rémunération des contenus culturels doit être trouvée.

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Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas

Une question a été posée sur la visibilité des médias audiovisuels classiques dans l'espace numérique à travers des boxes internet et des agrégateurs de contenus. L'article 20-7 de la loi de 1986, qui lui-même découle de la directive relative aux médias audiovisuels, permet aux États de prendre des mesures pour mettre en avant les médias audiovisuels sur ces interfaces. Elle fait référence aux médias audiovisuels qui représentent des services d'intérêt général. L'Arcom a adopté récemment une délibération dans laquelle elle considère que toutes les chaînes de la TNT constituent des services d'intérêt général, de sorte qu'elles devront être mises en valeur de manière spécifique sur les interfaces numériques.

Le Media Freedom Act, un règlement européen en cours d'adoption, prévoit des mesures spécifiques pour protéger les médias contre des mesures de suppression ou de restriction de la part des plateformes. Il est cependant peu ambitieux sur ce point car il se contente d'imposer aux plateformes de motiver la décision de restriction de la visibilité des médias avant de prendre une telle décision. Il ne s'agit donc aucunement d'une interdiction de restriction.

C'est surtout le Digital Services Act (DSA) qui contient des outils, et sa mise en œuvre dépendra de la politique décidée par la Commission européenne. Parmi les risques systémiques que les plateformes doivent analyser, il en est un relatif au pluralisme des médias. Les plateformes sont censées prendre des mesures pour atténuer – selon l'expression consacrée – les risques identifiés, c'est-à-dire remédier à ces risques. Si le remède proposé est insuffisant, la Commission européenne est susceptible d'intervenir. Ses premières actions montrent qu'elle est investie d'un esprit assez volontariste. On peut dès lors imaginer qu'elle impose aux plateformes de modifier leurs algorithmes pour assurer une meilleure visibilité aux médias.

Pour ce qui concerne la concentration des médias, je pense que les règles qui découlent de deux lois de 1986 (respectivement pour les médias audiovisuels et pour la presse) sont devenues obsolètes.

Le Media Freedom Act prévoit de mesurer les effets de la concentration sur le pluralisme. Les règles relatives à la concentration des médias ont donc vocation à évoluer. Cela étant, l'impossibilité pour un acteur de monopoliser le marché n'apporte pas la garantie que les acteurs aient une expression diversifiée. Les règles anti-concentration sont donc nécessaires mais non suffisantes pour assurer le pluralisme.

S'agissant de l'agrément, la difficulté se constate à travers la combinaison de la liberté d'entreprendre et la non-ingérence de l'actionnaire dans les décisions éditoriales. La création d'un média d'opinion repose sur l'initiative d'un entrepreneur. Il peut donc difficilement lui être reproché d'influer dans la décision de nomination du directeur de rédaction. Une question qui mérite d'être posée est la suivante : une fois ce média installé, les journalistes qui composent la rédaction peuvent-ils être investis d'un droit d'opposition à la nomination d'un nouveau directeur de la rédaction ? La question en filigrane est : la ligne éditoriale d'un média peut-elle évoluer ?

J'attire votre attention sur l'article 6 du Media Freedom Act qui, tout en préservant la liberté d'entreprendre de l'actionnaire, prévoit une distanciation de l'actionnaire vis-à-vis de toutes les décisions éditoriales individuelles. Il peut donc édicter une ligne éditoriale générale mais il ne peut pas intervenir dans les décisions quotidiennes de la rédaction. Cette règle semble essentielle pour l'indépendance de l'information.

Vous avez demandé comment l'effectivité du pluralisme pouvait être garantie. La décision du Conseil d'État qui concerne l'Arcom, Reporters sans frontières et CNews indirectement souffre d'une lacune : elle impose la mise en œuvre du pluralisme interne sans fournir de grille de lecture. D'aucuns considèrent que cette décision entraîne une obligation de fichage de toutes les personnalités exprimant des idées politiques. Cette interprétation me semble inexacte. L'Arcom avait déjà élargi la notion de personnalité politique en y englobant des personnes non affiliées à des partis politiques. C'est ainsi qu'Éric Zemmour avait été considéré comme une personnalité politique par l'Arcom. Le Conseil d'État aurait très bien pu demander que la qualification de personnalité politique englobe toute personne exprimant des idées politiques à l'antenne. Ce n'est pas ce qu'il a fait. Il est vrai que le texte de la décision est ambigu à ce propos. La décision du Conseil d'État n'étend donc pas l'obligation de fichage à toutes les personnes s'exprimant sur les plateaux. Il revient alors à l'Arcom de créer un outil qui permette de caractériser le non-respect du pluralisme interne par un média donné. Contrairement à ce que certains prétendent, l'élaboration de ce genre d'outils est tout à fait possible. De toute manière, c'est une nécessité, et c'est pourquoi je juge l'argument de la difficulté assez faible. L'alternative serait de renoncer au pluralisme, ce qui n'est pas envisageable car il s'agit là d'une exigence constitutionnelle.

Imaginons une chaîne de télévision qui n'organiserait pas de débats en plateau mais qui diffuserait simplement des programmes de fiction. Imaginons que tous ces programmes aient une vocation propagandiste. Devrait-on se contenter de l'argument selon lequel aucun temps de parole ne peut être mesuré, et que faute d'outil, il serait impossible de rappeler à cette chaîne son obligation au pluralisme interne ? Absolument pas ! Identifier des courants de pensée dans des contenus audiovisuels, c'est le travail quotidien des juges pénaux à travers la loi sur la presse. Il leur est demandé d'apprécier si par exemple une affiche véhicule un message antisémite et ils n'ont pas besoin d'éléments chiffrés pour cela. Des centres de recherches, notamment au sein du CNRS, mesurent l'activité des mouvements politiques sur internet. Ils ont développé des indicateurs qualitatifs qui leur permettent de catégoriser des contenus suivant la nature des thèmes abordés, la manière dont ils sont présentés, l'iconographie, l'effet recherché sur le public (rejet ou adhésion), etc. Les sciences sociales se sont approprié ce genre d'outils et l'Arcom doit faire de même. C'est d'ailleurs son intention : plutôt que de ficher tous les intervenants sur les plateaux de télévision, elle souhaite créer un outil qualitatif.

La question de la mesure du pluralisme m'apparaît donc comme essentielle et nous ne devons pas nous arrêter à un discours général sur l'impossibilité de ficher tous les intervenants.

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Nous allons procéder à une deuxième série de questions-réponses.

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Les algorithmes d'intelligence artificielle ont besoin de nombreuses données. Mme Bensamoun, l'une des recommandations de la commission sur l'intelligence artificielle m'intéresse particulièrement : celle relative à la mise en place d'une infrastructure technique favorisant la mise en relation entre les développeurs d'IA et les détenteurs de données culturelles patrimoniales. Quelle devrait être la nature de cette infrastructure technique ? Vous avez évoqué la standardisation du droit d'opposition, mais ne pourrait-on pas également envisager que cette infrastructure puisse permettre à des créateurs de mettre leur contenu à disposition contre rémunération, voire contre un droit de licence ?

J'aimerais également connaître votre opinion quant à la possibilité de reconnaître des contenus générés par l'intelligence artificielle comme des œuvres.

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Vous avez évoqué l'adoption du Media Freedom Act le 13 mars dernier. J'aimerais revenir sur la question de la concentration dans les médias puisque cette nouvelle réglementation va imposer aux États membres de garantir l'indépendance des médias européens et de protéger les journalistes de l'Union européenne face aux ingérences politiques et économiques. Dans le même esprit, je souhaitais connaître votre avis sur la proposition formulée par l'inspection générale des affaires culturelles dans son rapport de mars 2022, consistant à élargir le champ de l'article 7 de la loi de 1986 aux services de presse en ligne et à étendre le périmètre de la réglementation des investissements étrangers en France à l'ensemble des médias d'information. Cet article dispose que les étrangers ne peuvent procéder à une acquisition ayant pour effet de porter leur part à plus de 20 % du capital social ou des droits de vote d'une entreprise éditant une publication de langue française. Est-ce que cette mesure vous semble transposable ?

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Considérez-vous que la possible budgétisation du financement de l'audiovisuel public soit de nature à transformer celui-ci en une forme de média gouvernemental et quelles seraient selon vous les implications légales ?

Je me demandais si la décision du Conseil d'État n'avait pas vocation à alimenter une réflexion en vue de clarifier le rôle des experts et des éditorialistes.

Enfin, ma troisième question porte sur la concentration. Vous avez évoqué le sujet, mais seulement dans le champ des médias. Or la concentration peut être horizontale ou verticale et dépasser le champ des médias. Quels dispositifs pourraient s'appliquer vis-à-vis d'acteurs qui seraient à la fois producteurs et diffuseurs de contenus et qui contrôleraient des agences de publicité ? La même question se pose pour les éditeurs et diffuseurs de presse, notamment avec les acquisitions de Vincent Bolloré. Avez-vous des pistes de réflexion à ce sujet ?

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Depuis vingt ans, les réseaux sociaux sont devenus un moyen de s'informer pour une large partie de la population. Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès en 2022, 62 % des Français s'informent quotidiennement via les réseaux sociaux, et même 70 % des 15-34 ans. Comme vous le rappelez, les réseaux sociaux sont une sorte de croisement entre la Samaritaine et une brocante à ciel ouvert, où l'on trouve de l'information comme de la désinformation. Les réseaux sociaux ne reposent pas sur les faits mais sur l'attention. Je souhaitais vous interroger ce matin sur l'influence des réseaux sociaux sur les lignes éditoriales des différents médias et sur la qualité de l'information relayée. Alors que l'on sait que chaque réseau social à son public et que celui-ci est plus que jamais clairsemé, que la publicité générée par leur site internet est également une source de revenus pour les médias, comment voyez-vous l'évolution des contenus journalistiques depuis vingt ans ? Comment les médias traditionnels et les nouveaux médias en ligne sont-ils adaptés aux évolutions des réseaux sociaux et à l'évolution du droit pour se protéger de fausses informations ? Enfin, la France est-elle aujourd'hui suffisamment armée juridiquement pour protéger nos médias et garantir l'exigence du fait et la qualité de l'information ?

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La valorisation boursière des Gafam dépasse les 10 400 milliards de dollars, soit près des deux-tiers du PIB de l'Union européenne. Ils sont devenus de puissants acteurs du monde moderne mais leur volonté d'hégémonie est une réelle source d'inquiétude. Leur stratégie de diversification et d'intégration verticale et horizontale en a fait des conglomérats disposant d'une puissance de marché difficile à concurrencer. Les multiples acquisitions opérées par ces acteurs de l'économie mondiale sont accusées de tuer la concurrence et l'innovation. Les acquisitions prédatrices – et je pèse mes mots – de ces acteurs posent un problème pour l'équilibre du marché numérique. Cela n'est pas sans impact sur le secteur des médias d'information. Pour autant le Digital Market Act (DMA) n'apporte pas de réponse à ce sujet. L'examen par la Commission européenne des acquisitions dans le secteur numérique devrait être renforcé. Quel est votre avis sur ce sujet ?

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J'aimerais revenir sur les outils dont pourrait disposer l'Arcom pour catégoriser les experts et invités. Comment serait catégorisée une personne qui se plaindrait le matin de la lourdeur des procédures administratives et de la fiscalité française, un discours qui pourrait être considéré comme libéral, mais qui l'après-midi exprimerait un discours selon lequel il faudrait imposer des mesures de protectionnisme pour faire face à la concurrence déloyale ? De même qu'en serait-il d'une personne qui appellerait à prendre des mesures drastiques face au changement climatique puis qui déplorerait le manque des moyens de la police et qui nierait les accusations selon laquelle la police tuerait des citoyens ? Quelle est votre opinion à ce sujet ?

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Je ne suis pas certaine que nos concitoyens connaissent la ligne éditoriale des différents médias et qu'ils soient conscients de la subjectivité de certains messages qui peuvent être diffusés. N'existerait-il pas un moyen pour simplifier l'accès à la ligne éditoriale d'un média pour quiconque ?

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À l'exception des journaux télévisés, les magazines et documentaires d'information diffusés sur les chaînes sont tous achetés à des sociétés de production qui forcent les journalistes à se déclarer comme auteurs réalisateurs, collaborateurs artistiques ou scénaristes, leur refusant l'application de la convention collective des journalistes avec les salaires, l'ancienneté et la protection qu'elle implique. Ces journalistes contraints et forcés à être des artistes sont payés au forfait dans des entreprises qui ne déclarent que la moitié des journées travaillées afin que l'assurance chômage finance le reste. Les journalistes réalisateurs de télévision ont perdu 30 % de niveau de vie en vingt ans. Résultat : nombreux se voient retirer leur carte de presse, des dizaines abandonnent chaque année et se reconvertissent, et les diffuseurs et le Centre national du cinéma et de l'image animée sont parfaitement au courant de cette disparition programmée et accélérée d'une profession. Selon vous, comment le statut de journaliste pourrait-il être mieux protégé ?

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M. Azzi ayant dû nous quitter pour aller donner un cours, Mesdames, c'est à vous de répondre en fonction de vos domaines de compétences.

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Alexandra Bensamoun, professeure de droit privé à l'université Paris-Saclay

La distinction entre amont et aval est déjà apparue dans mon rapport co-écrit avec Joëlle Farchy pour le ministère de la culture sur l'intelligence artificielle et la culture. À l'époque, le sujet s'apparentait encore à de la science-fiction mais nous pressentions que le développement de l'intelligence artificielle aurait des conséquences pour le secteur. Vous avez compris qu'en amont, l'enjeu essentiel est la rémunération des titulaires de droits pour l'utilisation de leurs contenus. Au vu de la fragilité économique du secteur de la presse, il est essentiel de préserver cette chaîne de valeur et donc de permettre que l'utilisation des contenus par l'intelligence artificielle donne lieu à rémunération.

Dans notre rapport de la commission sur l'intelligence artificielle, nous préconisons la création d'une infrastructure technique qui permettrait de mettre en œuvre cette rémunération. Nous espérons que cette initiative soit financée par l'État. L'idée serait de créer une plateforme d'intermédiation où dans un premier temps, pour inspirer la confiance, les données seraient libres de droits. Ce seraient donc des données patrimoniales et non des données soumises à un dépôt légal, des données pour lesquelles les droits d'auteur et les droits voisins éventuels sont échus. Si les titulaires de droits font confiance à cette infrastructure, sous l'égide du ministère de la culture, il sera alors possible d'envisager que des auteurs y déversent des contenus protégés, puissent exercer leur droit d'opposition et délivrer des licences d'utilisation contre rémunération. Ces licences pourraient éventuellement englober des catalogues de contenus. Nous avons recommandé une mise en place très rapide, dans un délai d'un an, ce qui est bien entendu très ambitieux mais nous avons le droit d'espérer. Si une telle plateforme est créée, alors peut-être pourra-t-elle servir à la négociation pour les partenaires privés.

Dans le rapport de 2019, j'avais imaginé quelques pistes concernant l'aval. Nous en étions à un stade prospectif de la réflexion. Il me semble essentiel de ne pas disqualifier les créateurs, c'est-à-dire de leur permettre d'utiliser l'intelligence artificielle. Il n'y a aucune raison que l'intelligence artificielle soit démocratisée mais que les créateurs qui l'utiliseraient perdent la protection de leurs œuvres. Le produit de la création assistée par l'intelligence artificielle mais avec une intervention humaine doit pouvoir conserver son statut d'œuvre. La question mérite d'être posée en revanche pour les productions entièrement générées par l'intelligence artificielle, c'est-à-dire sans intervention originale de la part d'une personne physique. Ces créations ne peuvent pas être protégées par le droit d'auteur. Celui-ci implique une certaine créativité et l'intervention d'une personne physique. Ces conditions ne sont pas réunies. Certains secteurs souhaitent néanmoins qu'une forme de droit soit reconnue pour la création de tels contenus, et notamment le secteur technologique. Celui-ci utilise en effet l'intelligence artificielle pour coder, et il risquerait d'être fragilisé. Si ces productions étaient considérées comme publiques, alors elles ne bénéficieraient d'aucune forme de protection. On considérerait alors que la propriété intellectuelle ne s'appliquerait qu'aux créations humaines. L'idée d'un domaine public payant a été avancée. Le premier à imaginer ce concept a été Victor Hugo. La mise en œuvre d'un tel modèle est potentiellement difficile. Des outils pourraient pallier l'absence de réserves possibles dans l'application, comme l'utilisation du droit de la concurrence au sens large : les agissements parasitaires, la concurrence déloyale, etc. Toutes ces pistes de réflexion devront être explorées à moyen terme, l'urgence étant surtout d'assurer la survie d'un secteur et de garantir la rémunération des détenteurs de droits.

Quoi qu'il en soit, il sera impossible de mettre en place un régime spécifique à la France. Les discussions auront sans doute lieu au niveau européen. Cela n'empêchera pas des initiatives françaises d'être intégrées comme nous l'avons vu avec l'article 17 de la directive et avec des mesures relatives aux éditeurs de presse. Forts de l'avancée de notre réflexion, nous pourrons sans doute être source de propositions au niveau européen.

L'influence des réseaux sociaux sur la qualité de l'information est incontestable. En réalité, l'information est devenue « obèse », et se pose une problématique de hiérarchisation. Les jeunes ne comprennent pas toujours l'intérêt d'une information vérifiée. Je pense que nous ne pourrons pas échapper à une labellisation, distinguant la véritable information, celle dont l'origine est respectueuse de la charte de l'information et des principes de vérification, d'indépendance, etc. Je crains donc que nous devions expressément indiquer ce qui doit être considéré comme de l'information par opposition aux autres contenus.

Dans le rapport de la commission, nous considérons que le Digital Market Act doit être complété, en particulier parce que tous les acteurs du numérique investissent dans l'intelligence artificielle. Le DMA ne prend pas en compte la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle. Nous n'avons pas affaire à des plateformes en tant que telles. Je crois beaucoup à l'influence du droit de la concurrence et à l'assainissement du marché par son application. Cette mise en œuvre a été peut-être trop timide à l'échelle européenne. Ne nous privons pas d'utiliser et le cas échéant de compléter les outils à notre disposition. Il en va de notre démocratie et de notre économie face à des acteurs en position dominante.

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Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas

J'ai classé vos questions entre celles qui renvoyaient à des problématiques économiques et celles qui étaient relativement décorrélées.

L'un d'entre vous a évoqué la question du seuil de 20 % de participation ou de droits de vote pour les investisseurs étrangers. Il me semble important qu'il puisse être appliqué à tous les médias. Des rumeurs ont été entendues à propos d'opérateurs de télévision qui avaient l'intention d'être rachetés par des opérateurs étrangers pour être transformées en plateformes de services de vidéos à la demande, échappant ainsi aux exigences sur la détention de 80 % du capital et des droits de vote par des investisseurs français. Cette question me semble importante. Christian Azzi évoquait tout à l'heure la frontière ténue entre les différents services audiovisuels. En quoi des services de vidéos à la demande comme Brut sont-ils différents de la presse ? La caractérisation du secteur audiovisuel appelle un travail de réflexion dans la mesure où les régimes juridiques sont très différents. Il me semble donc important d'étendre la mesure sur les 80 % de détention française aux autres services audiovisuels et notamment aux plateformes de vidéos à la demande, qui peuvent devenir des médias d'information à part entière, certaines ne proposant même que des contenus d'information. Cela me semble particulièrement important si l'on considère les ingérences étrangères, qui peuvent être considérables.

Vous avez demandé si les règles en matière de concentration devaient intégrer d'autres formes d'expression publique comme celles de l'édition par exemple. J'ai tendance à penser que oui. Les lieux d'expression publique, en France comme dans la majeure partie des démocraties occidentales – avec l'exception notable mais quasi unique des États-Unis –, sont réglementés. Nous considérons que l'expression publique fabrique l'opinion et que les lieux où cette expression s'exerce doivent dès lors être réglementés. C'est le cas pour les individus avec la loi de 1881. Aux États-Unis, cette loi apparaîtrait comme une aberration. Nous proscrivons, y compris à l'échelle individuelle, les propos racistes, le négationnisme ou l'incitation à la haine, considérant que cela porte tort à la société toute entière. Le droit positif appréhende l'expression publique comme un lieu de renouvellement de la cohésion sociale. Si l'on considère que l'expression publique et en particulier celle des médias doit être réglementée, on peut très bien en déduire que tous les médias doivent être assujettis à une réglementation, avec bien entendu des exigences pertinentes pour chaque forme de média. Je ne prône pas une réglementation de la littérature mais il ne me semble pas absurde que les éditeurs de livres soient concernés par les règles anti-concentration.

Vous avez aussi évoqué le phénomène de concentration verticale avec l'émergence d'acteurs qui sont à la fois des producteurs et des diffuseurs de contenus. C'est ce que l'on voit avec les plateformes américaines, qui créent leurs propres moyens pour ne plus dépendre des opérateurs de communication électronique. Les difficultés que cela génère sont en principe gérées par le principe de neutralité d'internet et plus généralement l'obligation de transporter sans discrimination tous les contenus. Imaginons qu'un éditeur crée son propre réseau de communication, lui faisant acquérir le statut d'opérateur de communication électronique. Il serait alors tenu, à ce titre, d'ouvrir son réseau aux autres acteurs. C'est exactement ce qui s'est produit avec les opérateurs de téléphonie mobile. France Télécom a été contrainte d'ouvrir l'accès à son réseau à des opérateurs alternatifs. Si l'on autorise cette concentration verticale, le filet de sécurité me semble être d'obliger ces opérateurs à ouvrir leurs infrastructures de transport aux autres opérateurs sans discrimination. Le droit positif est déjà engagé en ce sens.

S'agissant du financement du service public et de la question de la transformation potentielle des médias publics en médias d'État, la question s'est posée en Allemagne avec Radio France International au moment de la suppression de la redevance audiovisuelle. En Allemagne, me semble-t-il, les médias gouvernementaux disposent d'un statut spécifique. Il me semble que la question était liée à l'attribution des fréquences. La question primordiale est que, indépendamment de sa forme, le financement de l'audiovisuel public doit être suffisant et pérenne. La jurisprudence constitutionnelle sur le Media Freedom Act exige un financement suffisant de l'audiovisuel public et le texte y ajoute une notion de prévisibilité et de stabilité. Cela me semble fondamental.

Une question portait sur les outils de mesure. L'exemple que vous avez choisi ne correspond pas à ce qui est préconisé par la décision du Conseil d'État. Il serait inexact de penser que cette décision impose le fichage et le décompte du temps de parole des intervenants qui s'expriment à l'antenne. Il aurait fort bien pu considérer que toute personne exprimant des idées politiques était une personnalité politique, et dès lors, que le temps de parole de toutes ces personnes devait être comptabilisé, mais ce n'est pas du tout le sens de sa décision. J'ai évoqué l'utilisation d'un outil qualitatif qui serait de nature à apprécier de manière globale le bon respect du pluralisme interne par un média donné. La question que vous évoquez ne se pose alors plus.

À mes yeux, un média d'opinion « pur » est un média idéologique qui n'assure pas le pluralisme. Un tel média assène une idée sans offrir de point de vue contradictoire. Il est assez facile d'identifier ce genre de média, y compris sans une sensibilité politique exacerbée. On ne peut pas prétendre qu'il n'existe pas d'outil capable de retranscrire cette évidence. De même, lorsque vous voyez une image à caractère antisémite ou raciste, vous l'identifiez immédiatement comme telle. Vous n'avez pas besoin de vous abriter derrière des critères objectifs. Il n'existe aucune règle officielle selon laquelle la représentation d'un juif avec un grand nez doit être considérée comme antisémite. C'est une évidence pour chacun. Des critères sociaux nous permettent immédiatement d'identifier des contenus antisémites ou racistes ou, plus généralement, des médias d'opinion purement idéologiques.

Je sais que ce n'est pas la question qui a été posée mais j'aimerais commenter la décision relative à la liberté d'expression des médias et à CNews. Il ne s'agit pas en l'occurrence de la liberté d'expression des médias. Ils sont régis par une réglementation qui est entièrement dirigée vers le public. En France et dans la plupart des démocraties, l'objectif est de former une communauté vivant de manière harmonieuse, et il convient que le public soit correctement informé pour prendre de manière éclairée les décisions adéquates pour la nation. Le pluralisme est entièrement au service du public. Dès lors, la liberté d'expression des médias n'est pas une transposition de la liberté d'expression des individus. Je vous recommande un ouvrage de Damian Tambini, un auteur italien, sur cette question.

Pourquoi la presse perçoit-elle des aides ? Parce que l'on considère que la diversité des titres de presse est bonne pour la communauté. Cela explique aussi pourquoi la liberté éditoriale des médias est plus contrainte que la liberté d'expression des individus. On considère en effet que les médias jouent un rôle social, ce qui implique des responsabilités.

On évoque beaucoup le phénomène d'invisibilisation des médias par les réseaux sociaux. D'où les mesures visant à leur accorder une plus grande visibilité sur les plateformes numériques et sur les réseaux. J'aimerais attirer votre attention sur un autre phénomène peut-être encore plus pernicieux : les réseaux sociaux amplifient l'impact de certains médias traditionnels. Fox News n'aurait pas eu autant d'effet sans le relais des réseaux sociaux. D'aucuns considèrent que l'ère des médias traditionnels est révolue dans la mesure où l'information est disponible sur internet. Cette information est cependant toujours issue des médias traditionnels. Il me semble que nous devons être particulièrement vigilants car ces médias bénéficient d'un écho considérable à travers les réseaux sociaux.

Je pense avoir répondu à la plupart des questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais vous réinterroger au sujet du statut des journalistes, en lien avec une préoccupation qui apparaît dans le rapport que j'ai rédigé avec mon collègue Inaki Echaniz. Nous suggérions de faire en sorte que le public soit capable d'identifier s'il a affaire à un journaliste, un influenceur ou un expert.

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Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas

Je me rappelle qu'une autre question a été posée sur la transparence de la ligne éditoriale. Je ne suis pas spécialiste du journalisme mais il me semble impossible de promouvoir les médias traditionnels sans faire de même avec le métier de journaliste. Le destin de notre démocratie repose sur eux après tout. Leur formation doit être renforcée car si le niveau des journalistes venait à baisser, nous serions perdus ! Nous devons également préserver l'attractivité de ce métier.

À propos de la ligne éditoriale, on peut avoir affaire à des médias d'opinion qui avancent masqués. Certaines chaînes de la TNT utilisent des émissions de divertissement pour propager des discours politiques. Le droit proscrit l'existence de médias ou de chaînes d'opinion mais en pratique, ils existent, y compris selon des formats inattendus. On ne s'attend pas à ce que des émissions de divertissement servent de support à des expressions politiques. La transparence me semble donc fondamentale.

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Alexandra Bensamoun, professeure de droit privé à l'université Paris-Saclay

Il me semble important que les journalistes soient identifiés comme tels et que leur responsabilité soit engagée comme telle. Je suis donc en faveur d'une distinction plus ferme.

Quant à la ligne éditoriale des médias, l'idée pourrait être d'utiliser les outils qui servent à juger du pluralisme pour catégoriser la ligne éditoriale des médias comme cela existe par exemple avec le système PEGI pour les jeux vidéo.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, Mesdames, ainsi que M. Christian Azzi. Merci aux membres de la commission pour leurs questions.

Nous avons pris note de toutes vos recommandations, et notamment de celles qui ont trait à préservation de la chaîne de valeur et de la pluralité. Vous nous avez renvoyés à nos obligations à travers l'adaptation des outils législatifs européens comme nationaux. J'ai également retenu des problématiques à explorer, notamment pour ce qui concerne l'éditorialisation et l'identification des émetteurs. Enfin, vous avez prôné une bonne appropriation de l'intelligence artificielle, aussi bien de la part des médias que de leurs consommateurs.

La séance est levée à onze heures quinze.

Information relative à la commission

La commission a désigné Mme Virginie Lanlo rapporteure de proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien (n° 2106).

Présences en réunion

Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Rodrigo Arenas, Mme Bénédicte Auzanot, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, Mme Béatrice Bellamy, Mme Lisa Belluco, M. Idir Boumertit, Mme Soumya Bourouaha, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, M. Lionel Causse, M. Roger Chudeau, Mme Fabienne Colboc, M. Laurent Croizier, M. Hendrik Davi, M. Inaki Echaniz, M. Philippe Emmanuel, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Philippe Fait, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Estelle Folest, Mme Martine Froger, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, Mme Catherine Jaouen, Mme Virginie Lanlo, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Sarah Legrain, M. Christophe Marion, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, M. Paul Molac, Mme Véronique de Montchalin, M. Julien Odoul, M. Karl Olive, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, Mme Isabelle Rauch, Mme Claudia Rouaux, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier, M. Léo Walter

Excusés. – Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Béatrice Descamps, M. Raphaël Gérard, M. Frantz Gumbs, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Frédéric Maillot, M. Emmanuel Pellerin, M. Boris Vallaud, M. Christopher Weissberg

Assistaient également à la réunion. – Mme Sylvie Bonnet, M. Mickaël Bouloux, M. Stéphane Lenormand