Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE Á LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 19 juillet 2018

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence nationale de Biomédecine, du Professeur Yves Pérel, directeur général adjoint en charge de la politique médicale et scientifique, et du Professeur Olivier Bastien, directeur de la Direction du prélèvement et des greffes d'organes et de tissus

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Pour cette première matinée d'auditions, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, accompagnée du professeur Yves Pérel, directeur général adjoint chargé de la politique médicale et scientifique, et du professeur Olivier Bastien, directeur de la direction du prélèvement et des greffes d'organes et de tissus.

Comme l'indique le rapport que vous avez publié en janvier dernier, l'Agence apporte une contribution importante à la préparation du réexamen de la loi. Ce rapport, à la fois exhaustif et dense, traite de nombreux sujets et donne un éclairage sur la mise en oeuvre effective de la loi de 2011 au regard de l'évolution de la science et des pratiques médicales en matière de traitement, de diagnostic, de procréation ou de recherche sur l'embryon. Nous attendons donc de cette audition qu'elle nous offre un panorama général des enjeux liés à la bioéthique et je forme l'espoir que nos échanges permettent de nous éclairer.

Le cas échéant, nous nous réservons avec le rapporteur la possibilité de faire appel à vos compétences dans la suite de nos travaux pour apporter un éclairage particulier sur telle ou telle thématique.

Madame la directrice générale, merci de notre présence. Je vous cède la parole.

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Monsieur le président, c'est un plaisir d'être devant vous aujourd'hui. L'information du Parlement figure dans nos missions légales. Cette mission nous tient particulièrement à coeur. Aujourd'hui comme pour la suite des travaux, nous sommes bien évidemment entièrement à votre disposition.

La révision de la loi de bioéthique est un enjeu démocratique majeur. Vous le savez, puisque vous êtes en première ligne sur ce grand temps de la vie démocratique. Par définition, l'Agence de la biomédecine ne peut se désintéresser de cet exercice. Créée par la loi de bioéthique, l'essentiel de ses activités est régi par cette loi. Nous le faisons dans le cadre de notre rôle institutionnel sur lequel je reviendrai brièvement.

L'Agence nationale de la biomédecine est un établissement public sous tutelle. Cela signifie, et vous êtes bien placés pour le savoir, que nous ne faisons pas la loi mais que nous l'appliquons. De ce fait, nous sommes tenus à un devoir de réserve. En particulier, nous n'avons pas à prendre parti dans les débats de société. Nous avons un rôle d'expert. Nous sommes là pour vous apporter, comme nous le faisons auprès du Gouvernement, une expertise pluridisciplinaire – juridique, médicale, scientifique, informatique – nourrie de notre rôle opérationnel et de notre contact permanent avec tous les acteurs du terrain, professionnels de santé, associations ou autre acteurs institutionnels, et une expertise spécialisée.

J'insiste sur ce dernier point car, même si nous embrassons un champ très large, nous n'embrassons pas tout le champ potentiel de la loi de bioéthique. En tant qu'établissement public, nous avons un objet spécialisé. Notre champ de compétence couvre les prélèvements et greffes d'organes et de tissus, les cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse, l'assistance médicale à la procréation, le diagnostic préimplantatoire, le diagnostic prénatal, la génétique constitutionnelle, c'est-à-dire les caractéristiques propres de l'individu, ainsi que la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Sur les autres champs, nous n'avons pas d'expertise particulière à faire valoir. Je pense, par exemple, au sujet de l'intelligence artificielle qui va vous occuper beaucoup.

Notre rôle d'éclairage s'exerce par des auditions comme celle d'aujourd'hui, mais aussi par la remise de rapports. Vous avez évoqué le rapport sur l'application de la loi de bioéthique. En réalité, nous avons mis trois rapports à la disposition des parlementaires mais aussi de nos concitoyens, y compris dans la perspective des états généraux dont la phase publique vient de s'achever.

Nous avons d'abord émis le rapport d'information au Parlement et au Gouvernement (RIPG) sur l'état des connaissances et des sciences. Ce document, assez ardu et dense sur le plan médical et scientifique, fait le point des connaissances et des grands sujets sur lesquels travaillent et réfléchissent les chercheurs – au sens large, car il peut s'agir d'innovations technologiques, comme des machines à perfusion pour des organes pulmonaires ou cardiaques.

Nous avons mis à disposition un deuxième document, que vous avez mis en ligne et qui figure sur nos sites internet, faisant le bilan de l'encadrement juridique international en matière de bioéthique. Il s'agit de la présentation des grandes règles suivies par nos grands voisins. Certes, comparaison n'est pas raison, mais ce document fournit des points de repère et de référence sur ce qui se passe à l'étranger, soit pour s'en inspirer, soit pour s'en écarter, et permet d'apprécier comment s'inscrit le modèle français par rapport à d'autres pays.

Le troisième document, à mon sens le plus intéressant pour vos travaux, est le rapport sur l'application de la loi de bioéthique ,qui, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, a pour vocation de rappeler les grandes règles dans les différents champs de compétence de l'Agence, de dire comment elles s'appliquent sur le terrain et les difficultés que nous avons rencontrées ou qui nous ont été remontées par nos partenaires, et de proposer, dans chacune des thématiques de l'Agence, quelques pistes de réflexion.

Le principal enseignement de ce rapport, c'est le constat qu'au fur et à mesure de l'entrée en vigueur de leurs dispositions, et grâce à la mobilisation de l'ensemble des acteurs, les lois de bioéthique ont accompagné et encadré efficacement, dans le respect des personnes et des grands principes éthiques, le développement des connaissances et des sciences dans notre pays. De ce point de vue, la France a probablement un des systèmes législatifs et réglementaires les plus aboutis en Europe et dans le monde. Néanmoins, des difficultés existent. Aujourd'hui, les exigences éthiques visent non seulement les règles législatives mais aussi tout simplement l'organisation des soins et l'allocation des moyens. Se posent des questions d'ordre pratico-pratiques. Cet exercice doit donc se penser aussi au regard des plans ministériels élaborés pour la période 2017-2021, qui nous fixent collectivement des objectifs ambitieux pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

Bien entendu, des questions apparaissent dans quelques domaines législatifs. Selon notre retour d'expérience, le législateur devra se questionner et éventuellement trancher sur trois grands blocs.

Le premier concerne les questions de société, très présentes dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation. Vous êtes bien placés pour le savoir. Il suffit de lire la presse pour s'en convaincre. Elles étaient aussi très présentes dans les États généraux de la bioéthique. Qu'il s'agisse de l'autoconservation sociétale des ovocytes, de l'extension du champ de l'assistance médicale à la procréation, de l'insémination post mortem ou de l'anonymat du don de gamètes, dans tous ces débats de société, l'Agence n'aura pas à prendre parti ou à se prononcer.

Le deuxième bloc concerne les ajustements qui méritent d'être questionnés face au constat qu'une disposition mise en place ne fonctionne pas aussi bien qu'on l'aurait souhaité ou pourrait fonctionner mieux. C'est le cas en matière de transplantation, avec le programme de dons croisés d'organes visant à répondre à des impasses immunologiques pour des patients ayant un accès difficile à la greffe compte tenu de leur niveau d'immunisation. Par exemple, un donneur vivant est disposé à vous donner un rein, mais il est malheureusement incompatible avec vous. Or un autre couple se trouve dans la même situation, et le donneur de l'un est compatible avec le receveur de l'autre couple. Il faut donc opérer un croisement. Mais les conditions fixées à ce jour empêchent ce programme de décoller. Des alternatives sont recherchées car, jusqu'à présent, soit le temps d'accès à la greffe est très dégradé, soit il faut recourir à des greffes ABO-incompatibles qui supposent une préparation et désensibilisation du receveur.

Un autre type d'ajustement peut tout simplement traduire une évolution des pratiques médicales. Vous le savez, la médecine est très évolutive, c'est d'ailleurs pour cela que les lois de bioéthique le sont aussi. En matière de cellules souches hématopoïétiques et de moelle osseuse, par exemple, en l'absence d'un donneur compatible dix sur dix, est aujourd'hui développée une greffe alternative, dite greffe haplo-identique. Vous êtes à moitié compatible. C'est généralement la situation des enfants et des parents. La montée en puissance de ces greffes apparentées, plus simples à organiser, mieux maîtrisées, conduit à réinterroger certaines règles posées par la loi de bioéthique, notamment en ce qui concerne les prélèvements sur mineurs.

Le troisième bloc est lié aux ruptures et aux innovations, qu'elles soient médicales, scientifiques ou technologiques. La génétique en est le domaine le plus illustratif. Vous avez sans doute beaucoup entendu parler du ciseau moléculaire CRISPR-Cas9, permettant d'opérer des modifications génomiques très ciblées, performantes, de façon relativement facile – relativement, car il s'agit malgré tout de génomique – et accessible à un certain nombre d'équipes. La connaissance des gènes ainsi que le développement du séquençage de nouvelle génération (NGS) rendent aujourd'hui presque plus simple d'examiner le génome dans son ensemble plutôt que de façon ciblée. Les études sont de plus en plus approfondies, de moins en moins coûteuses et de plus en plus performantes. C'est également la question de la culture des embryons et de sa durée. Dans ces domaines, les innovations et les ruptures scientifiques ou technologiques posent de nombreuses questions.

Ces trois grands blocs ne se répartissent pas exactement de la même façon, suivant les thématiques de l'Agence. Ainsi, la thématique de la transplantation s'inscrit plus dans des logiques d'ajustement que dans des logiques de rupture. En revanche, dans les domaines de la génétique et de la recherche sur l'embryon, il existe potentiellement des questionnements sur des évolutions majeures.

Tel est le panorama que je pouvais décrire en forme d'introduction. Pour la suite, souhaitez-vous que nous procédions à un examen par thématique ?

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Vous n'avez pas abordé des sujets comme l'intelligence artificielle ou la médecine prédictive. Y avez-vous également réfléchi en termes prospectifs ou bien cela dépasse-t-il les compétences de l'Agence ?

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

L'intelligence artificielle allant au-delà des compétences de l'Agence, nous n'avons pas été amenés à y réfléchir ou à nous questionner à ce sujet. L'Agence est ni plus ni moins dans la même situation que l'ensemble des équipes et des autres organismes publics ou privés. Nous n'avons pas de réflexion spécifique ni de compétence spécifique dans ce domaine.

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Je propose en effet un passage en revue des différents thèmes, en insistant sur le don d'organes, l'assistance à la procréation et la recherche sur l'embryon.

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Commençons logiquement par la transplantation, le domaine d'activité le plus ancien de l'Agence. Les premières greffes datent des années 1950, même si ce sont les traitements immunosuppresseurs qui ont permis à la transplantation de prendre toute sa place dans notre paysage.

C'est au travers de l'activité de transplantation que se sont structurées les lois de bioéthique. Les grands principes fondateurs des lois de bioéthique ont été pensés, réfléchis au travers de l'activité de transplantation. Le don éthique à la française, ce don anonyme gratuit et librement consenti, est directement issu du secteur de la transplantation et de la réflexion sur le don d'organe. À partir de ce domaine a été confortée l'idée que la bioéthique ne devait pas être conçue en rupture avec les valeurs de la société. Ce n'est pas parce que ce sont des activités innovantes qu'elles seraient en rupture ; elles sont au contraire en lien étroit avec les valeurs fondamentales de la société, notamment avec les principes républicains et notre devise républicaine. Depuis la loi Caillavet, et plus encore avec les lois de bioéthique qui se sont succédé, l'idée de fraternité et de solidarité qui figure dans notre devise républicaine et dans nos principes républicains peut aller au-delà du décès des personnes. D'où l'idée du consentement présumé qui est au coeur du système du don d'organe en France.

Dans ce domaine, les interventions du législateur ont été déjà nombreuses. Dès 1994, le sujet a été traité dans la perspective de restaurer la confiance dans le système de transplantation, promouvoir le don d'organe et commencer à l'encadrer et le réguler via la création de ce qui s'appelait à l'époque l'Établissement français des greffes. En 2004, le législateur transforme l'Établissement français des greffes en Agence de la biomédecine pour élargir la mission de régulation et affirmer la priorité donnée à l'activité de prélèvement et de greffe dans notre pays. En 2011, le législateur traite à nouveau de la question de la transplantation. Afin de réaffirmer cette priorité nationale, il insiste sur la reconnaissance au donneur – j'y insiste, car c'est un précieux levier d'action et de mobilisation sur le terrain. Mais parce que la principale exigence éthique, c'est de remédier à la pénurie, les besoins augmentant plus vite que l'activité et la greffe étant victime de son succès, le grand apport de la loi de 2011 a été la volonté de développer toutes les sources de greffon. À cet égard, le travail réalisé par le législateur en 2011 sur le don du vivant a apporté une impulsion décisive par l'élargissement du cercle des donneurs et la mise en place du programme de dons croisés.

En 2016, le législateur va continuer à s'intéresser au sujet en introduisant deux dispositions dans la loi de modernisation de notre système de santé. La première est le transfert à l'Agence de la biomédecine de la biovigilance des organes, tissus et cellules, qui relevait jusqu'alors de l'Agence du médicament. L'attention est ainsi portée par le législateur sur la qualité et la sécurité des soins, qui est l'autre volet de la confiance et de l'exigence éthique qui encadre l'activité de transplantation. La seconde, et l'un d'entre vous est particulièrement bien placé pour le savoir, vise à conforter les règles en matière de consentement présumé et surtout à les clarifier en cas de refus de prélèvement. Un travail de concertation pour définir tous les actes réglementaires a été entrepris, qu'il s'agisse du décret ou des règles de bonnes pratiques.

Ce sont les deux dernières interventions du législateur en ce domaine, mais il apparaît clairement qu'il a déjà beaucoup investi. Il n'est pas étonnant que ce sujet ne soit pas celui qui a retenu le plus l'attention des états généraux de la bioéthique ou des médias, car il est bien connu, que le législateur est intervenu au fil de l'émergence des besoins. Cela ne signifie pas qu'il n'y a plus place à son intervention, mais les besoins relèvent plutôt de la simplification, la clarification, l'harmonisation et la consolidation de ce qui a été entrepris jusqu'ici.

En 2011, le législateur s'était penché sur ce que certains appellent le « statut » du donneur vivant, en s'attachant à faire en sorte que toutes les garanties soient apportées au donneur, qui fait un magnifique geste altruiste en acceptant de donner l'un de ses reins ou une partie de son foie à un de ses proches : plein respect du principe de neutralité financière, limitation d'avance de frais, délais de remboursement aussi réduits que possible, absence de plafond opposable pour les remboursements pris en charge par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Ces garanties sont à la fois la marque de la reconnaissance de la nation et une reconnaissance de la beauté et de l'altruisme de ce geste.

Toutefois, comme je l'expliquais dans mon propos introductif plus général, le programme du don croisé peine à démarrer. Nous avons fortement mobilisé les professionnels de santé et noué des partenariats avec des pays étrangers, notamment la Suisse, pour obtenir plus de paires. Un nombre suffisant de paires et de possibilités d'appariements étant nécessaire au développement de ce programme, une réflexion est à mener sur un éventuel assouplissement des conditions fixées par la loi. En 2011, le législateur, à juste titre soucieux d'assortir de garde-fous ce programme nouveau, avait souhaité en limiter l'application entre deux paires et de façon simultanée. Cette simultanéité de deux paires est déjà un défi logistique, sans parler de la phase de transport en amont. Pour ceux qui sont déjà entrés dans des blocs, c'est assez redoutable à organiser ! Ne pourrait-on envisager d'aller au-delà de deux paires ? Sans renoncer à l'idée d'un délai rapproché, il existe sans doute une marge de discussion entre la stricte simultanéité et un délai rapproché. Certes, il convient d'éviter que l'un des couples se retire du programme après avoir récupéré le greffon, mais cela s'organise par des délais rapprochés et un niveau élevé d'engagement, de sélection et de vérification de la motivation. Des garde-fous peuvent se mettre en place. Cela ouvrirait la possibilité d'amorcer les chaînes. L'intérêt du don croisé, c'est non seulement de répondre à ceux qui, en impasse immunologique, rencontrent des difficultés d'accès à la greffe, mais aussi de créer des chaînes afin que davantage de personnes bénéficient de ce programme. Cela suppose de disposer de plus de paires mais aussi d'autoriser les délais rapprochés, et non plus simultanés, car plus il y a de paires, plus la simultanéité devient impossible à organiser.

Cela fait partie des grandes réflexions en cours dans le secteur de la transplantation, avec la réaffirmation de la priorité nationale donnée à cette activité. Des objectifs ambitieux nous ont été fixés, dans un contexte qui devient difficile. L'organisation des soins, la formation, la communication sont des éléments mobilisateurs, et nous avons plus que jamais besoin de l'affirmation de la priorité nationale par le législateur tant en ce qui concerne le prélèvement que la greffe.

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Merci beaucoup, madame la directrice générale, pour ce tour d'horizon. J'avais prévu de nombreuses questions, mais je me limiterai à trois.

La première porte sur les transplantations, dont le nombre, année après année, est en croissance modérée. Il en a été réalisé 6 100 l'année dernière, tandis que l'objectif assigné est de 7 800 transplantations en 2021. Comment pensez-vous l'atteindre ?

On constate chaque année beaucoup plus d'inscriptions sur la liste d'attente que de transplantations réalisées. La probabilité d'être greffé diminue, le nombre de décès de personnes inscrites risque de croître, sans compter toutes celles qui sont retirées de la liste parce qu'elles ne deviennent plus transplantables après cinq à dix ans d'attente. Vous l'avez dit, il faut lutter par tous les moyens contre la pénurie et trouver des donneurs, notamment vivants. Vous avez parlé de la chaîne des donneurs. En France, on observe plus de réticences que dans certains autres pays. Comment entendez-vous lever certaines de ces réticences afin que les donneurs vivants soient accueillis dans les chaînes de donneurs ?

Le programme « Maastricht III » s'est mieux développé en France que dans d'autres pays grâce à la bonne coopération entre votre Agence et l'Assemblée nationale, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), les réanimateurs et bien d'autres acteurs.

Mais le nombre de prélèvements le plus élevé provient des donneurs en état de mort cérébrale. En décembre dernier, j'ai effectué, pour la commission des affaires sociales, une mission « flash » qui a révélé une grande disparité régionale. Où en est l'action dans les endroits où le prélèvement est très insuffisant ? Avez-vous pu, comme c'était suggéré, travailler sur la notion de contexte invoquée par beaucoup d'équipes de prélèvement alors qu'elle ne figure ni dans la loi ni dans le décret d'application, mais uniquement dans les guides de bonnes pratiques. L'absence de précision induit très facilement la possibilité pour quiconque de se désister de ce devoir de solidarité, ou tout au moins de cette activité de prélèvement.

La loi prévoit que le mode principal d'opposition au prélèvement est l'inscription au registre national des refus. Or, en pratique, c'est la cause la moins prégnante de non-prélèvements. Les personnes inscrites représentent un très faible pourcentage des refus. Comment expliquer cette transgression de la notion de volonté principale du donneur lui-même au profit de celle d'autres intervenants. Comment progresser ?

Deuxièmement, si la procréation médicalement assistée (PMA) est étendue aux femmes seules et aux homosexuelles, il y aura besoin d'un plus grand nombre de gamètes. Pour éviter la pénurie, cela nécessitera l'organisation de campagnes. Il y en a déjà eu quelques-unes, mais si modérées qu'elles n'ont pas atteint la majorité des donneurs potentiels. Envisagez-vous de réaliser une grande campagne de dons dès maintenant ou attendez-vous la commande du Gouvernement après l'édiction des lois ?

Ma troisième question est d'ordre général. Pour l'instant, la révision des lois de bioéthique intervient occasionnellement tous les sept ans. Il apparaîtrait plus logique de revenir à la périodicité de cinq ans, soit une fois par mandat. Si tel était le cas, verriez-vous une objection à la création d'une structure parlementaire permanente qui serait en contact régulier avec l'Agence de la biomédecine et qui serait tenue d'établir un rapport annuel, afin d'intégrer les innovations de rupture que vous avez évoquées ou de réfléchir à des mesures additionnelles en vue de répondre aux problèmes insuffisamment résolus faisant obstacle à l'atteinte des objectifs fixés ?

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Je vous propose de répondre à la question sur la PMA à la suite de ma présentation générale sur l'assistance médicale à la procréation, d'autant que je présume que d'autres parlementaires s'apprêtent également à la poser.

Les modalités de révision faisant partie des questions de pure opportunité politique ou, à tout le moins, des discussions entre le législateur et le Gouvernement, vous comprendrez bien que nous ne nous prononcions pas sur la question. Bien évidemment, quelles que soient les modalités qui seront adoptées in fine et quels que soient les choix opérés par le législateur, l'Agence fera tout pour s'adapter et répondre aux sollicitations dont elle fera l'objet dans le cadre qui sera ainsi défini.

Concernant les objectifs assignés en matière de transplantation, nous marchons sur deux pieds en matière d'encadrement et d'accompagnement du développement de l'activité : un pied législatif auquel vos travaux participent et un pied pour ce qui est plus de la réflexion à avoir sur l'organisation, les financements de l'activité, la communication et la formation des professionnels. Cela correspond au plan ministériel adopté en 2017, qui régit l'activité jusqu'en 2021, avec l'objectif d'atteindre 7 800 greffes d'ici à 2021.

Cet objectif que nous savions dès le départ extrêmement ambitieux suppose, comme vous venez de le dire, monsieur le rapporteur, de travailler sur les trois sources de greffons de façon complémentaire. Après avoir, pendant longtemps, en France, donné la priorité aux prélèvements sur les donneurs en état de mort encéphalique, nous avons assisté à une prise de conscience, notamment autour du « Nouvel Élan pour la greffe » en 2008, face à une situation dont nous craignions qu'elle soit un plafonnement et qui, finalement, n'a été qu'un plateau. Un tassement de l'activité avait conduit à engager avec l'OPECST et les parlementaires intéressés une réflexion qui conclut à la nécessité de travailler sur les trois sources principales de greffons : le donneur en mort encéphalique, le donneur vivant – ce fut le travail du législateur en 2011 – et le donneur « Maastricht III » dans le cadre des opérations de fin de vie. L'impulsion décisive a été donnée par l'audition à l'OPECST de février 2013. C'est sur ces trois leviers qu'il faut continuer à travailler, de façon complémentaire. Dans certains pays, on a observé que l'attention portée au développement d'une activité s'était parfois faite au détriment d'une autre activité, ce qui s'était soldé par une progression globalement moindre de l'activité de greffe.

Je laisserai le professeur Bastien apporter des précisions.

S'agissant du donneur vivant, les réticences traditionnelles sont réelles. En France, le programme de donneur vivant a été engagé relativement tard, compte tenu de certaines réticences, certains voyant dans l'acte de prélèvement sur un donneur sain une forme de mutilation. L'idée de primum non nocere, la peur de nuire, créait des freins, tout particulièrement au sein du corps médical, qui se combinaient à une grande méconnaissance par les patients eux-mêmes et leurs proches de cette possibilité thérapeutique. Un travail considérable a été réalisé collectivement, par l'assouplissement législatif qui a été proposé, par le travail réalisé pour rendre les financements plus incitatifs, par un travail de communication, en particulier à destination des professionnels de santé pour qu'ils comprennent que cette activité ne présente pas de risques majeurs pour le donneur. Les techniques ont fortement évolué. Désormais effectués par coelioscopie, les actes de prélèvement sont devenus beaucoup moins invasifs et les résultats pour le receveur, excellents. Parallèlement, un travail de communication a été entrepris en direction du grand public. La campagne sur le don d'organe réalisée traditionnellement au mois d'octobre par l'Agence de la biomédecine porte sur le don du vivant.

Tout cela doit se poursuivre, car cette activité qui avait quasiment doublé en cinq ans est aujourd'hui en faible augmentation, voire en stagnation. Des réticences demeurant chez certains praticiens, de même qu'une méconnaissance du sujet par le grand public, la communication doit être poursuivie. Au-delà, il existe des problèmes d'organisation de l'activité. Les équipes font part de difficultés pour organiser la chaîne du prélèvement, comme trouver des créneaux de consultation pour les bilans ou l'organisation de l'accès aux blocs. Ceux qui connaissent le fonctionnement de l'hôpital connaissent la problématique de l'organisation et de l'accès aux blocs, aussi bien pour le donneur en mort encéphalique que pour le donneur vivant.

À cela s'ajoute l'activité des personnels médicaux et non-médicaux. Les infirmiers coordinateurs de greffes, les techniciens d'études cliniques (TEC) et d'autres ont un rôle indispensable à jouer pour la constitution du dossier et pour aboutir au prélèvement et à la greffe. Nous travaillons avec les sociétés savantes concernées et les associations pour voir comment progresser sur chacun de ces leviers et lever les freins que nous avons pu identifier. C'est un travail de longue haleine, je ne vous le cache pas, mais le travail de transplantation est toujours un travail de longue haleine.

Concernant le registre national des refus, qui a vocation à être la modalité principale, je rappelle que d'importants progrès ont été réalisés sous l'influence de l'Agence de la biomédecine. En un an, nous avons enregistré beaucoup plus d'inscriptions sur ce registre que nous ne l'avions fait en vingt ans d'existence du registre. Je ne sais si je plaide coupable, mais reconnaissons avec modestie que l'Agence n'avait pas beaucoup communiqué sur le sujet ! La discussion parlementaire et tous les travaux qui ont eu lieu par la suite avec l'ensemble de la communauté – associations, professionnels de santé, acteurs institutionnels, ainsi que la sortie du film Réparer les vivants –, l'importante action de communication réalisée pendant deux ans ont significativement amélioré la connaissance de la loi par nos concitoyens. Quand l'amendement ad hoc a été voté, 7 % des Français connaissaient la loi sur le consentement présumé. Si les gens ne connaissaient pas le consentement présumé, ils ne risquaient guère de s'inscrire sur le registre national des refus !

La connaissance de la loi s'est beaucoup améliorée, même s'il reste des marges de progression. Le nombre des inscriptions sur le registre a sensiblement augmenté, mais n'est pas arrivé à son terme. Ce que nous comprenons de l'opinion publique, le niveau potentiel d'inscriptions reste significatif. Un travail de pédagogie à long terme doit être poursuivi. La confiance est fondamentale, mais elle est longue à construire et très facile à perdre. Nous savons aussi que la pédagogie s'inscrit dans la durée, et il est besoin de marteler les messages. J'ai un passé dans l'Education nationale, où l'on dit que la pédagogie est affaire de répétition. Dans le domaine de la transplantation, c'est plus que jamais le cas au sujet de la pédagogie du don et du consentement présumé.

Je vais laisser le professeur Bastien compléter mon propos.

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Olivier Bastien, directeur de la Direction du prélèvement et des greffes d'organes et de tissus à l'Agence de la biomédecine

Les discordances entre besoins croissants et possibilités de greffe est différenciée selon les organes. La discordance la plus marquée concerne la greffe rénale. L'âge des patients, comme celui des donneurs, a augmenté, et avec lui le nombre de comorbidités. La complexité des dossiers à examiner ajoute à cette difficulté. Pour certains organes, nous constatons des contre-indications temporaires, c'est-à-dire des périodes où une transplantation ne peut être réalisée à cause d'une autre maladie qui l'empêche. Ces maladies n'apparaissent pas toujours après plusieurs années d'attente, mais parfois dès la fin du bilan, voire pendant le bilan. Le taux de contre-indications varie entre 8 % et 48 %. Il convient de l'avoir à l'esprit en comparant nos propres données. J'ai bien entendu la réserve d'Anne Courrèges sur les comparaisons internationales, mais les données publiées à l'international portent toujours sur des listes actives, c'est-à-dire des listes excluant les patients en contre-indication. En France, l'Agence publie les deux chiffres.

Il convient aussi de prendre en compte l'évolution scientifique. Ainsi, les progrès considérables réalisés en termes d'antiviraux dans la prise en charge de l'hépatite C entraînent une nette diminution, et entraîneront sans doute à terme une extinction, de l'indication de la greffe du foie, laquelle est en partie remplacée par des indications dans les carcinomes hépatocellulaires, les cancers primitifs du foie.

De même, en matière de greffe pulmonaire, des progrès considérables ont été réalisés dans la réanimation des donneurs et la réhabilitation des organes, de sorte qu'un équilibre est en cours. L'année dernière, pour la première fois, nous avons enregistré moins de nouveaux inscrits que de greffes réalisées. Tous les progrès annexes, comme les filières de prise en charge des mucoviscidoses, ont transformé le pronostic de la maladie. Naguère première indication de greffe pulmonaire en France, elle est devenue l'an dernier la troisième indication.

Concernant la greffe rénale, M. Touraine est bien placé pour savoir que la prise en charge précoce des patients par les néphrologues est un élément clé. Or il existe de fortes disparités dans le nombre de néphrologues pour mille patients dialysés d'une région à une autre. Donc, c'est aussi un type d'approche à privilégier pour stabiliser le nombre de greffes et éviter l'augmentation incontrôlée des besoins.

S'agissant du donneur vivant, comme l'a dit Anne Courrèges, nous avons essentiellement travaillé sur deux axes, le premier étant l'information des patients. Après plusieurs campagnes spécifiques, nous en ferons cette année une plus orientée vers les médecins généralistes, qui n'étaient pas la cible initiale, mais qui ont aussi leur place en qualité de conseil de patients et de donneurs potentiels. Nous essaierons également d'entretenir la confiance, qui peut être facilement ébranlée. La presse a publié des articles suggérant des trafics dans certains pays. Deux publications internationales qui ont fait beaucoup de bruit montraient un léger risque, à long terme, d'insuffisance rénale chez des donneurs, dans des modèles qui ne sont pas le modèle français. Il importe donc que l'Agence dispose de données françaises de suivi de la qualité, telles que prévues par le législateur et le système français sur le très long terme, soit plus de quinze ans. Or le suivi des donneurs à très long terme n'est pas facile à mettre en place, nous ne sommes pas encore totalement performants, car il faut suivre le patient et lui donner la capacité d'être suivi au bon moment, sans en faire un malade, ce qu'il n'est pas par définition. Nous avons créé un groupe de travail, composé également de représentants de la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation (SFNDT) et de la Société francophone de transplantation (SFT), qui cherche à conforter le suivi en rétablissant la confiance, y compris auprès des professionnels de tous niveaux, comme les infirmières de dialyse. C'est par ces actions de terrain que nous atteindrons l'objectif ambitieux de doubler le nombre de donneurs vivants. Ce nombre avait fortement augmenté entre 2011 et 2015, mais il marque un plateau depuis deux ans.

Quant à l'identification des freins organisationnels, je constate en permanence sur le terrain que des équipes rencontrent des difficultés d'accès aux blocs et aux consultations, sachant que des pistes sérieuses existent. Le statut des infirmières de coordination, qui sont clairement des auxiliaires indispensables aux services de néphrologie pour faciliter la prise en charge au sein de cette filière et être à l'écoute des patients, a été créé mais n'existe pas réellement. L'évolution de la réflexion sur les pratiques avancées représente peut-être une opportunité, mais il faut aussi réaffirmer clairement que la greffe est une priorité nationale. Nous passons actuellement beaucoup de temps à soutenir des équipes de transplantation qui, historiquement, étaient autonomes et dont nous nous contentions d'évaluer leurs résultats. Aujourd'hui, des équipes nous demandent de l'aide. Nous sommes à leur disposition, mais ce soutien est très consommateur de temps et il faut avoir les moyens de répondre à leurs demandes.

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Je vous invite à poser des questions relatives au don et à la transplantation d'organes, avant de passer à un autre sujet.

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Madame la directrice générale, c'est un plaisir de vous revoir. Parmi les mesures à envisager dans la nouvelle loi de bioéthique figure l'élargissement du don croisé par un amorçage du don d'organe à partir du programme « Maastricht III », des donneurs en état de mort encéphalique. Cela me paraît justifié.

Par ailleurs, vous avez évoqué le statut du donneur vivant et la reconnaissance de la nation. À quel niveau situez-vous la norme ? Doit-il être législatif ?

Enfin, estimeriez-vous opportun de prévoir dans la légalisation, comme cela se pratique déjà aux États-Unis, le système du « bon Samaritain », donneur volontaire qui donne un rein afin d'amorcer le système de don croisé ?

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Mon collègue a devancé mon propos, puisque je voulais vous interroger sur la possibilité et l'opportunité du don solidaire et des risques.

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Madame la directrice générale, vous avez répondu à la question que je voulais vous poser concernant la facilitation et l'amplification des dons.

Quelles réticences subsistent actuellement chez les personnes qui expriment clairement leur volonté en s'inscrivant au registre national des refus ? Quels sont les derniers verrous ? Je m'interroge à ce sujet car, pour moi, le don est une évidence.

J'ai compris que l'Agence de la biomédecine ne traite pas de l'intelligence artificielle. Toutefois, les expérimentations en matière de greffes non humaines se multiplient. N'appartenant pas du tout au secteur médical, je ne sais comment cela s'appelle, mais je sais qu'un coeur de ce type peut désormais être greffé. Quelles sont les perspectives et comment inclure cela dans les révisions futures ?

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Madame la directrice générale, au sujet des greffes alternatives, vous avez dit vouloir réinterroger les règles des prélèvements sur mineurs. Quelles sont concrètement vos suggestions en la matière ?

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Je vous remercie de ces questions qui vont me permettre de préciser certains propos.

Le législateur a déjà prévu une reconnaissance symbolique en décidant, en 2011, de faire également de la Journée nationale du 22 juin une journée de reconnaissance envers les donneurs. Celle-ci se traduit par un certain nombre d'actions sur le terrain, notamment, il faut l'avouer, pour les donneurs décédés, comme la pose de plaques commémoratives ou la plantation d'arbres.

Pour le donneur vivant, le législateur s'est attaché à éviter que l'acte de prélèvement et la générosité se retournent contre lui. Il s'est d'abord agi de faire en sorte qu'en vertu du principe de neutralité financière, le donneur ne soit pas financièrement pénalisé par son acte de don. Le principe de neutralité financière conduit à prendre en charge tous les actes de soin directement liés au prélèvement. Cela va des actes de consultation aux frais de garde d'enfant pour les chargés de famille sans autre solution, en passant par des indemnités journalières. C'est cela que le législateur a voulu organiser avec force. Des difficultés pratiques peuvent apparaître, souvent liées à la méconnaissance des règles du principe de neutralité financière, ce qui nous a conduits à élaborer un guide à destination des directions financières des établissements de santé, afin de faire connaître ces règles dans toute leur subtilité, leur nuance.

Au-delà des délais de remboursement, nous avons rencontré la problématique des patients ultramarins qui doivent se rendre en métropole. Les billets d'avion, les frais d'hébergement peuvent représenter des sommes importantes. Comment éviter qu'ils soient contraints de faire des avances de frais, notamment s'ils n'en ont pas les moyens financiers ? Dans un certain nombre d'hypothèses bien identifiées, le remboursement a posteriori peut constituer une difficulté, tout comme les délais de remboursement.

Il faut être attentif au principe de neutralité financière comme au suivi des donneurs. C'est l'objet d'un groupe de travail réunissant des représentants des professionnels de santé et d'associations concernées, car le législateur a affirmé avec force la nécessité d'un suivi annuel des donneurs vivants. La problématique que nous rencontrons est que la cohorte progresse et que les donneurs, initialement retenus pour leur bonne santé, ne se sentent pas malades et sont parfois eux-mêmes insuffisamment attentifs à leur suivi. Se mêlent ainsi des considérations d'ordre juridique et des considérations d'ordre pratique et organisationnel. C'est bien pour cela je dis que l'on marche toujours sur deux pieds dans ce domaine.

La question du « bon Samaritain » vous sera soumise, car elle est posée par un certain nombre d'associations de professionnels. On parle de « bon Samaritain », de donneur « altruiste », de donneur « solidaire », de donneur « sans lien affectif », c'est-à-dire d'une personne qui envisage de faire don d'un rein sans aucun lien de proximité, de façon totalement altruiste et désintéressée. Cela se pratique dans certains pays. La question n'est pas simple. Même si toutes les garanties nécessaires quant à l'état de santé du donneur et à son suivi sont apportées, le don de rein reste invasif et mobilisateur. Il nécessite d'importants garde-fous afin de vérifier la motivation du donneur et parce que les dons altruistes de cette nature sont les plus susceptibles de conduire à des problématiques de pressions et de trafics. Vérifier que le don est réellement altruiste est une nécessité. Cela doit être questionné et réfléchi. À cet égard, le rapport est assez prudent. Nous utilisons la formule providentielle du juriste « en tout état de cause ». Si vous souhaitiez vous engager dans cette voie, il faudrait prévoir des garanties spécifiques, compte tenu de la nature très particulière de ce don. Il s'agit de donner un rein et non une cellule !

Les réticences au don d'organe sont multiples. Le travail de clarification réalisé récemment met l'accent sur le refus du défunt. Un des causes était souvent l'état de sidération des familles. La question se pose souvent, hélas, dans des situations dramatiques, imprévues, douloureuses, difficiles. La façon dont la question du don d'organe est posée peut susciter une deuxième souffrance. Il nous revient des coordinations des équipes de terrain que cette clarification ainsi que les règles de bonne pratique qui ont bien décomposé chaque étape ont apporté une nette amélioration au travail des coordinations.

Plusieurs facteurs peuvent intervenir. Pour certains, sensibles à l'idée d'une atteinte à l'intégrité du corps, les garanties apportées quant à la restauration ne sont pas considérées comme suffisantes. Il existe aussi des réticences de nature culturelle, qui ne sont pas nécessairement fondées mais qui sont liées à des représentations. On entend parfois dire : « Ma religion me l'interdit ». En réalité, toutes les religions monothéistes sont favorables au don d'organe compte tenu de sa finalité et dès lors, bien évidemment, que des garanties sont apportées quant au consentement et au respect des règles éthiques. D'autres disent qu'ils voudraient bien, mais qu'ils ont peur de faire souffrir leurs proches. À cela s'ajoute du non-dit, notamment la difficulté pour les certains de se projeter dans leur propre mort. Entrer dans la logique du don d'organe, c'est accepter de se projeter dans sa propre mort.

De nombreux facteurs devant être pris en compte, la communication doit jouer sur plusieurs leviers, jouer à la fois sur la communication de proximité et celle, plus générale, des grandes campagnes nationales. Il faut parfois utiliser la médiation, car la parole institutionnelle n'est pas toujours la plus apte à lever certains freins psychologiques. Des personnes ayant suivi le même parcours que vous ou appartenant à votre communauté peuvent être plus à même d'en parler. La difficulté est de parvenir à actionner les leviers appropriés, car chaque réponse est assez personnelle et individuelle.

J'ajoute qu'en l'état actuel du droit il nous est impossible de consulter le registre national des refus pour en connaître les raisons. Nous y inscrivons les gens, mais nous ne pouvons pas l'utiliser comme source d'étude. Une étude sur le sujet a été lancée par le groupe de recherche Famiréa. Mais il s'agit davantage de recherche universitaire, clinique ou empirique, car nous n'avons pas la possibilité d'examiner si un profil se dégage du registre national des refus ou de lire les courriers rédigés par ceux qui ressentent le besoin d'expliquer leur démarche.

Un des facteurs est la méfiance à l'encontre du système de soins, des acteurs institutionnels ou de ce que certains appellent la socialisation ou l'étatisation des corps. Nous pouvons difficilement contrer ce genre d'opposition, mais cette méfiance à l'encontre du système de soins existe et nous interpelle collectivement d'autant plus que notre activité repose sur la confiance.

Ma remarque relative aux mineurs ne portait pas sur la transplantation d'organes, mais sur les cellules souches hématopoïétiques – donc sur la moelle osseuse, et dans des hypothèses de dérogations très encadrées. Le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur est actuellement interdit. Des possibilités de dérogation ont été ouvertes pour les frères et soeurs, les cousins, etc., mais la situation parents-enfants n'a pas été prévue, parce qu'elle n'était pas techniquement possible. Or le développement des greffes haplo-identiques remet la question à l'ordre du jour. Elle nous a d'ores et déjà été posée par des praticiens confrontés à une situation dans laquelle le seul donneur « compatible », ou « semi-compatible », pour un parent était un enfant mineur. Il s'agissait d'un jeune âgé de dix-sept ans et trois mois, mais il était impossible, compte tenu de l'état du receveur, d'attendre les neuf mois restants. Nous posons des questions, nous n'apportons pas de réponses. En tout cas, il faudra prévoir des garde-fous pour s'assurer que l'enfant ne subit aucune pression, est libre de son choix et que ses intérêts sont protégés par rapport à ceux des parents. Des systèmes bien organisés existent déjà, auxquels il faudra recourir.

Enfin, concernant les xénogreffes ou la bio-impression – on parle communément de greffes dans les médias alors que ce n'en sont pas –, je cède la parole au professeur Bastien, qui est un passionné du sujet.

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Olivier Bastien, directeur de la Direction du prélèvement et des greffes d'organes et de tissus à l'Agence de la biomédecine

La xénogreffe peut être considérée sous l'angle symbolique de la modification de certains gènes, en particulier du porc, afin d'éviter le rejet suraigu qui s'opère lorsque l'on transgresse la barrière d'espèce. D'importantes expérimentations sont en cours. Les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 ont profondément modifié la façon dont on pouvait non pas humaniser les organes, mais modifier certains gènes afin d'éviter ce rejet. Le risque sanitaire théorique de transmission de virus de l'animal à l'homme peut être contrôlé par certains dispositifs d'élevage des animaux, mais se pose la question éthique de savoir jusqu'où on peut aller : faut-il modifier dix, vingt ou trente gènes ?

Au-delà de ces aspects symboliques, d'autres progrès importants sont réalisés, ouvrant notamment la possibilité de réaliser des xénogreffes de cornée, lesquelles ne posent pas de problèmes immunologiques. Les Coréens du Sud, qui sont très avancés, devraient dans les prochains mois réaliser les premières greffes de cornée issues de porcs transgéniques, car il faut tout de même modifier certaines protéines. Des équipes américaines, coréennes et japonaises sont très avancées également dans la fabrication d'îlots pancréatiques de xénogreffe. C'est une première étape avant d'envisager des transplantations d'organes classiques.

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Madame la directrice générale, en vous écoutant, j'en suis venue à me poser une question sociétale. Je sais que la direction de la Banque de France entend lutter contre le surendettement en agissant de façon préventive plutôt que curative. C'est en particulier le cas pour des parents isolés gagnant moins de 1 700 euros par mois, dont on sait qu'ils ont de forts risques de tomber dans le surendettement au bout de cinq ans. S'agissant de la PMA, existe-t-il une définition de la précarité pour les mères célibataires ? Une femme seule ne peut adopter un enfant qu'après une enquête financière. Qu'en est-il pour la PMA ?

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Nous en sommes actuellement au don d'organes, mais nous retenons la question pour la suite.

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Madame la présidente, lors de la précédente législature, plusieurs propositions de loi visaient à poser explicitement la question du consentement au don d'organe lors du dépôt de demande de permis de conduire. Cela permettrait, d'une part, d'alimenter le fichier et, d'autre part, de faire figurer cet élément sur le permis de conduite. Sur ce sujet, qui a été posé à plusieurs reprises ces dernières années, avez-vous formulé un avis ou avez-vous un avis ?

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Certaines associations considèrent que le receveur devrait être davantage informé sur la qualité des greffons. Quelles informations leur sont aujourd'hui transmises ? Pourrait-on leur en donner davantage ?

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

La question du permis de conduire renvoie plus largement au régime de consentement et à la création d'un registre du positionnement, comme celui existant en Belgique. Quand les gens ne répondent pas ou ne passent pas l'examen du permis de conduire, le régime du consentement présumé s'applique. En Belgique, cela ne passe pas par le permis de conduire, mais par un formulaire d'inscription dans les communes. Quant à l'inscription sur le permis de conduire, elle pose la question de savoir s'il faut rendre publique une information aussi intime.

La question, à nouveau posée par le législateur en 2016 par la loi de modernisation du système de santé, a donné lieu à des débats nourris et argumentés. Dans son rapport, l'Agence de la biomédecine fait valoir que la question vient d'être examinée ; les textes d'application sont parus au 1er janvier 2017. Or, dans notre domaine, il importe de faire preuve de constance et de continuité. Il convient d'accompagner jusqu'au bout la mise en oeuvre des dispositions de clarification adoptées. Comme l'indiquait M. le rapporteur, des questions se posent et un travail de formation et de communication doit être conduit pour que ces dispositions produisent leur plein effet. Revenir sur le sujet dans le contexte d'une expression du législateur encore récente supposerait d'avoir d'excellentes raisons pour le faire. C'est probablement prématuré, alors même que nous venons de remettre en place tous les systèmes de communication et de formation afin de prendre en compte la dernière expression du législateur.

Les régimes de consentement sont toujours des sujets délicats. En outre, un certain nombre de pays, comme le Pays de Galles et les Pays-Bas, s'orientent vers le régime de consentement présumé, comme nous le connaissons en France. Une réflexion est ouverte dans d'autres pays, mais ce régime tend à devenir le modèle de référence, pour des raisons de principe – c'est l'idée de la solidarité entre les hommes qui va au-delà de la mort – et parce qu'il assure un bon équilibre en termes d'efficacité globale des dispositifs et de garantie éthique.

Je me permets de le dire, l'important, c'est la loyauté de l'information délivrée. Nos concitoyens doivent bien comprendre la loi et ce qui est attendu d'eux. De ce point de vue, il importe de se positionner de façon simple, facile et sans aucune ambiguïté. La loyauté de l'information délivrée est garante de l'efficacité d'un régime de consentement présumé.

Concernant l'information sur la qualité des greffons, sujet qui nous préoccupe en permanence, le Professeur Bastien va vous apporter des précisions.

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Olivier Bastien, directeur de la Direction du prélèvement et des greffes d'organes et de tissus à l'Agence de la biomédecine

Au préalable, il vous sera peut-être utile d'apprendre que, le Pays de Galles ayant modifié son système, un bilan récemment publié après un an d'exercice montre que les dispositions copiées sur le modèle français qu'il a adoptées ont conduit à une réduction sensible du taux d'opposition. En revanche, et cela doit être un point de vigilance pour nous, ils relèvent une forme de désinvestissement de la société : puisque leur avis n'est plus nécessaire, ils ne ressentent plus le besoin de se mobiliser pour les campagnes, puisque, de toute façon, on prend les responsabilités à leur place. Nous constatons dans des enquêtes d'opinion que si, autrefois, 76 % à 80 % des Français interrogés se sentaient concernés par le sujet du prélèvement et même de la greffe, ce taux a aujourd'hui diminué. C'est une inquiétude.

L'information au sujet de la qualité du greffon est souvent débattue. Elle ne peut être faite après ou au moment de la greffe, parce qu'il faut préparer le donneur et l'anesthésie est souvent engagée avant même l'arrivée du greffon. Elle est réalisée par la qualité du dossier transmis de l'établissement préleveur, via l'Agence de la biomédecine qui anonymise toutes les données, à l'équipe, de la façon la plus performante aujourd'hui allant jusqu'à la transmission d'images. L'équipe reçoit donc le plus rapidement possible toutes les informations nécessaires à sa prise de décision, mais l'essentiel de l'information doit être réalisé en amont. C'est lors de la consultation et du bilan, qui souvent dure longtemps, que toutes les questions doivent être posées et que le consentement à une greffe dérogatoire – c'est le cas de greffes lorsque certains marqueurs viraux sont encore présents – doit être demandé. C'est à ce moment-là aussi que l'on peut demander à être autorisé à obtenir un greffon provenant d'un donneur « Maastricht III ». C'est alors qu'il faut renforcer l'information et la discussion avec le patient. Le temps du néphrologue et le temps du chirurgien sont comptés. La meilleure façon est de recourir à plusieurs relais, notamment le médecin généraliste et l'infirmière de coordination. C'est tous ensemble qu'ils informeront correctement le patient.

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Je vous propose de passer au thème de la recherche sur l'embryon. La loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 a modifié les conditions de la recherche sur l'embryon. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer à ce stade ?

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

La recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines – lesquelles donnent quantitativement lieu à davantage d'études – ont fortement mobilisé le législateur en 2011. C'était naturel, car le statut de l'embryon in vitro est éminemment d'ordre législatif. En 2011, le choix avait été fait de confirmer l'interdiction de telles recherches et de rendre permanente la possibilité de dérogations, très encadrées, sous certaines conditions. Depuis, il y a eu deux interventions du législateur.

En 2013, le législateur a choisi, par une initiative sénatoriale, de dire que nous serions désormais dans un régime d'autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, mais autorisation encadrée par sous certaines conditions et un système d'autorisation par l'Agence de la biomédecine suivant un processus très rigoureux et exigeant.

En 2016, avec la loi de modernisation de notre système de santé, et cela me permettra de clarifier un point, la modification n'a pas porté sur le régime de la recherche scientifique sur l'embryon mais celui de la recherche clinique. Dans la recherche scientifique sur l'embryon, il n'y aura pas de gestation in fine ; une fois la recherche finie, l'embryon est détruit, la question étant de savoir s'il doit être détruit à sept jours ou à quatorze jours. Il existait en 2011 un régime hérité des recherches sur l'embryon, qui est de la recherche clinique, visant soit à développer les soins pour l'embryon lui-même, soit à améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation, qui se conclut par une gestation et la naissance d'un enfant ; et on est dans une logique d'essai clinique.

Ce n'est pas du tout le même régime que celui dont l'Agence de la biomédecine a la charge. En 2013, ce régime spécifique et particulier, relevant davantage de l'essai clinique ou de la recherche sur les personnes, a donné lieu à malentendu. Le législateur avait souhaité faire entrer ce régime de recherche dans la logique classique des essais cliniques, dans les recherches biomédicales qui relèvent de l'Agence du médicament avec avis de l'Agence de la biomédecine. Il avait donc supprimé le régime pour le transférer dans ce régime de droit commun. Le Conseil d'État, dans sa formation consultative, a réaffirmé le statut législatif de l'embryon in vitro et dit qu'il manquait un maillon législatif. La loi de 2016 a apporté ce maillon législatif pour remettre en place ce régime de recherche interventionnelle, et le confier à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) parce qu'on est dans une logique d'essai clinique. Il s'agit donc bien d'un régime différent.

Celui dont je vous parle concerne la recherche scientifique sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Cette recherche est en train de produire ses fruits. Menée par très peu d'équipes, elle est exigeante et longue. Il faut dix ans pour envisager les premières publications, dix à quinze ans pour arriver aux premiers essais cliniques. Peu d'équipes en France sont en mesure de mener des recherches de ce type. De ce fait, des équipes comprennent bien les enjeux éthiques et les exigences posées compte tenu du statut propre de l'embryon in vitro. Nous arrivons aujourd'hui aux premiers essais cliniques. Dans le monde, dix-huit essais cliniques font appel à des cellules souches embryonnaires humaines. En France, il y en a eu un, l'essai clinique du professeur Menasché sur les cardiomyocytes pour traiter l'insuffisance cardiaque sévère. Puis il a changé de protocole. Une réflexion est en cours pour un protocole sur la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et sur les plaies ulcéreuses ou drépanocytoses. Partout dans le monde, la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en est au stade des essais cliniques.

Parallèlement, la recherche sur l'embryon connaît un regain d'intérêt. Initialement tournée vers la dérivation de nouvelles lignées de cellules souches, elle vise aujourd'hui à comprendre le développement de l'embryon précoce et à améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation. Nous avons vu revenir des demandes d'autorisation de recherches de l'embryon ces derniers temps.

Cette recherche a été bouleversée par des évolutions technologiques ou scientifiques. Deux grands types de questions se posent, et vous sont posées. Nous nous bornons à poser les questions, à charge pour vous de les approfondir et d'y apporter les réponses que vous jugez nécessaires.

Des questions relèvent de l'application de la loi, telle qu'elle existe aujourd'hui. Elles concernent notamment les conditions d'autorisation, la façon dont est pensée l'articulation avec les cellules souches pluripotentes induites (IPS), qui sont des cellules adultes qui ont été reprogrammées et qu'on a forcées à redevenir pluripotentes, c'est-à-dire d'un stade où elles étaient différenciées, revenir à un stade où elles pourraient se redifférencier en d'autres cellules. Il n'y a eu qu'un seul essai clinique, et encore a-t-on dû en changer totalement la méthodologie. Les IPS n'en sont qu'au début et de nombreuses questions se posent encore quant à leur stabilité, et quant à la présence d'un « effet mémoire » après qu'elles ont été forcées à se reprogrammer. Aujourd'hui, tous les chercheurs nous disent que la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et la recherche sur les IPS ne sont pas alternatives ni opposées, mais complémentaires. Ils souhaitent mener les recherches de façon parallèle, d'abord parce que les cellules souches embryonnaires humaines sont le gold standard, la référence et que les performances de IPS ne peuvent s'apprécier qu'en s'y référant. En fait, les équipes font des allers et retours. Elles commencent parfois avec des IPS et, constatant que cela ne fonctionne pas bien, reviennent vers les cellules souches embryonnaires humaines, ou, inversement, commencent avec les cellules souches embryonnaires pour bien définir leur processus de différenciation, puis partent vers les IPS. C'est le message que nous ont transmis l'ensemble des équipes de recherche.

Par ailleurs, certains se demandent, et l'on trouve trace de ce questionnement dans l'étude du Conseil d'État, s'il faut maintenir le même régime d'autorisation sur la recherche sur l'embryon et sur les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, parce que les enjeux éthiques ne sont pas exactement les mêmes. Dans les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, l'embryon a déjà été détruit au moment de la dérivation, de sorte que la question de l'atteinte de l'embryon ne se pose pas de la même façon. De plus, cette recherche se fait sur des lignées qui ont déjà été dérivées, et l'on ne dérive plus aujourd'hui de lignées. Ce sont donc des lignées qui ont été dérivées à la fin des années 1990 pour l'essentiel. Les cellules souches ne pouvant pas reconstituer un embryon, il est impossible de revenir en arrière. Les questions éthiques ne sont pas tout à fait les mêmes.

Se pose aussi la question du périmètre des autorisations. Puisqu'on s'oriente vers l'essai clinique vont se poser des questions qui relèvent davantage du processus industriel, telles que les milieux de culture, les contrôles qualité, etc. Ces questions relèvent plus d'une logique « industrielle » – je n'aime pas trop ce terme – que de recherche scientifique pure. Doivent-elles entrer dans le régime d'autorisation, et comment ? Le régime d'autorisation doit-il être adapté pour tenir compte de la nature et de la finalité particulières de ces recherches ?

S'agissant des principes qui avaient été définis en 2011, nous évoquions la question du transgénique. La loi a posé un certain nombre d'interdits en 2011 dans un contexte scientifique assez théorique. Aujourd'hui, ces concepts sont réinterrogés par un certain nombre d'études. Je pourrai citer notamment une étude sur l'ADN mitochondrial et les dysfonctionnements liés aux maladies mitochondriales. Cela pose des questions de cette nature.

Se pose aussi la question du devenir des embryons donnés à la recherche.

Ces questions se posent d'ores et déjà par rapport aux conditions d'application de la loi, elles se posent aux équipes de recherche et nous sont remontées ou que nous avons été amenés à nous poser au regard des demandes d'autorisation qui nous ont été soumises.

Puis il y a des questions nouvelles, en raison de l'évolution des sciences et des connaissances dans ce domaine. Quatre sont développées dans le rapport. J'en citerai deux.

Le premier est celle du ciseau moléculaire CRISPR-Cas9. Nous ne sommes pas dans l'hypothèse de faire de la gestation, donc l'interdiction de transmission à la descendance reste valide. Mais peut-on modifier le génome sur un embryon dans le cadre d'une recherche scientifique pure, ne serait-ce que pour vérifier l'innocuité et l'efficacité de la technique, s'assurer qu'elle n'a pas d'effets de bord et qu'elle permet de cibler aussi bien qu'on le dit ? Le législateur va devoir clarifier la question. L'étude du Conseil d'État laisse penser qu'aujourd'hui, en l'état actuel du droit, il serait possible de faire de la recherche scientifique pure sur l'embryon pour inactiver l'expression d'un gène, mais pas pour rajouter ou modifier un gène. Ce serait en moins mais pas en plus. Ces distinctions interrogent aussi. Il y a un besoin de clarification qui vous a été posé aussi par l'Académie de médecine et le comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), de savoir ce qu'on peut faire ou ce qu'on ne peut pas faire dans ce domaine.

L'autre exemple est celui de la durée de culture des embryons. Je disais qu'à l'issue de la recherche, les embryons sont détruits. La question est de savoir au bout de quel délai maximum on est amené à détruire les embryons. En 2001, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu un avis disant que la durée de culture de l'embryon devait être de sept jours, car c'est la durée avant implantation. Au-delà, on passe de l'in vitro à l'in vivo. Je signale qu'en 2001, la recherche sur l'embryon était non seulement interdite mais inexistante en France. Nous étions dans un contexte scientifique où, de toute façon, il était impossible de cultiver l'embryon au-delà de sept jours. Cette réflexion a aujourd'hui dix-sept ans, elle s'est faite dans un contexte éthique et scientifique très différent. Ce n'est pas nécessairement la référence développée dans d'autres pays, où la référence est à treize jours, répondant au concept de bienfaisance-malfaisance. En effet, au bout de treize jours, c'est l'affirmation de l'individu : on ne peut plus faire des jumeaux, c'est l'individualisation. C'est aussi le moment où intervient le développement du tube neural, ce qui renvoie au concept de bienfaisance-malfaisance. Le standard international est plutôt à treize jours.

Quand la question s'est posée en 2001, on ne savait pas cultiver l'embryon au-delà de sept jours. Depuis, deux équipes dans le monde ont publié et ont été capables d'aller jusqu'à treize jours et ont même dit qu'elles auraient pu aller au-delà – difficilement, certes, car elles reconnaissaient que des phénomènes de dégradation étaient en cours, mais elles pensaient, en perfectionnant leurs techniques, pouvoir aller au-delà. Dans les pays qui étaient à treize jours s'est posée la question de savoir si le délai de treize jours restait valable. Cela a conduit certains chercheurs en France à poser, d'ores et déjà, la question de savoir si la limite des sept jours, qui ne figure que dans un avis publié en 2001, reste d'actualité ou doit être réinterrogée, puisqu'il est possible d'aller à treize jours, notamment pour dévoiler ce que l'on appelle la « boîte noire » du développement embryonnaire et savoir ce qui se passe entre sept et treize jours, pour mieux comprendre le développement de certaines maladies, pour étudier ce qui peut compromettre la réussite des techniques d'assistance médicale à la procréation. D'après les chercheures, il y a un certain nombre de connaissances théoriques que l'on peut a priori retirer de cette période comprise entre sept et treize jours, d'où l'intérêt des chercheurs dans le monde, et d'où le fait que certaines équipes en France sont susceptibles de se poser la question.

À ce jour, l'Agence de la biomédecine et son conseil d'orientation, son instance éthique qui donne un avis sur chaque projet de recherche, n'ont pas eu à se prononcer. Je ne vous cache pas que nous avons des raisons de penser qu'il n'est pas exclu qu'un projet de recherche nous soit prochainement soumis et que nous ayons à nous prononcer sur cette question. La question qui se pose est de savoir si c'est à l'Agence de la biomédecine de trancher des questions de cette nature – sous le contrôle, in fine, du juge puisqu'à la fin le juge sera amené à donner la réponse – ou plutôt au législateur, compte tenu des enjeux éthiques qui y sont associés.

Telles sont les questions qui sont aujourd'hui posées au législateur sur les cellules souches embryonnaires.

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Je vous propose de prendre une dernière série de questions sur ce sujet, et sur d'autres, pour qu'il n'y ait pas de frustration par rapport à cette audition, sachant que, dans la seconde partie de nos travaux, nous pourrons prévoir une nouvelle audition complémentaire.

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Madame la directrice générale, vous avez dit, en off, que la modification du génome était possible pour l'extinction d'un gène en l'état actuel du droit et, en on, qu'elle n'était pas possible. Faut-il envisager de différencier entre cellules germinales et cellules somatiques ?

Vous avez indiqué que les dérivations de lignée n'étaient pas à l'ordre du jour. Or plusieurs scientifiques que nous avons auditionnés en commission des lois et en commission des affaires sociales estiment qu'il faudrait dériver de nouvelles lignées cellulaires, car celles dont on dispose ont un peu vieilli et ont évolué de façon incontrôlée – dans le bon ou le mauvais sens.

D'une façon plus générale, et vous l'avez évoqué en introduction, nous nous interrogeons sur l'intelligence artificielle et les neurosciences, sujets dont nous avons discuté lors d'une audition précédente. Quid du rôle de l'Agence de la biomédecine dans les neurosciences ? La question se pose de façon prégnante. L'intelligence artificielle, notamment avec l'homme « augmenté », se rapproche de la transplantation. Nous sommes à la frontière. Si des mesures législatives étaient prises sur l'intelligence artificielle, ne serait-ce pas à l'Agence de la biomédecine, sa qualité opérationnelle étant universellement reconnue, d'assumer également cette fonction ?

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Dans votre rapport, vous évoquez les questions posées par les nouvelles techniques de séquençage de l'ADN, qui posent la question des découvertes incidentes, en particulier s'agissant de l'information de la personne concernée, en lien avec la loi de 2011 qui, dans un autre cadre, prévoyait l'obligation d'informer la parentèle en cas de diagnostic d'anomalie génétique. Le sujet, qui intervient dans le cadre médical, me semble déborder sur le contexte plus large d'accès aux données génétiques, compte tenu de la simplification de l'accès aux tests génétiques. Le législateur vous a confié l'inventaire des tests génétiques et la mise en place d'une information fiable, mais qu'en est-il des données qui excèdent le cadre médical ? L'Agence pourrait-elle accompagner ce mouvement, par exemple en informant ou en accompagnant avec des conseillers en génétique ?

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Je voulais poser la même question que ma collègue sur les tests génétiques. J'ajouterai trois questions incidentes. Quel regard portez-vous sur cette médecine prédictive qui pourrait se développer ? Quel encadrement prévoir ? Quelles nouvelles questions se posent, compte tenu des évolutions ?

Je reviendrai également sur la question du rapporteur relative à la périodicité de révision des lois de bioéthique. Je comprends que vous ne souhaitiez pas vous prononcer sur l'opportunité politique d'une telle décision, mais la question se pose au regard de l'accélération des évolutions technologiques et médicales que souligne cette audition. La périodicité de sept ans correspond-elle au rythme des évolutions médicales et technologiques, ou bien une révision à cinq ans serait-elle plus adaptée aux enjeux des évolutions ?

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Madame la directrice générale, vous êtes une éminente juriste. Le droit comparé montre que nos voisins allemands sont allés assez loin du point de vue constitutionnel en considérant la protection de la vie humaine comme un droit fondamental et qu'un certain nombre de travaux réalisés sur l'embryon étaient dérogatoires à ce droit fondamental. Estimez-vous que le droit français pourrait s'engager dans cette voie, considérant que l'objectif premier est la protection de la vie humaine et en l'assortissant ensuite de dérogations ? C'était un peu la philosophie générale de l'argumentation juridique développée par Simone Veil lorsqu'elle a défendu le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Ayant posé comme préalable le principe supérieur de la protection humaine, elle considérait, dans ce cas précis et pour une raison de santé publique, que la question devait être traitée par exception. Que pensez-vous d'une telle orientation fixant une sorte de chapeau générique pour toutes les questions de bioéthique ?

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Madame la directrice générale, vous évoquez la possibilité de faire passer de sept à treize jours la durée autorisée de culture des embryons. J'entends tous les arguments scientifiques et médicaux que vous mettez en avant, notamment la possibilité de faire progresser la recherche sur certaines maladies. Mais nous sommes ici pour nous demander jusqu'où la médecine et la science, qui peuvent de plus en plus de choses, doivent être suivies. On soigne, on prévient et c'est une chance. L'homme « augmenté », c'est tentant. N'oublions pas cependant que nous ne sommes pas ici pour acter systématiquement toutes les avancées de la science, mais aussi pour dire quand elle va trop loin. Nous ne sommes pas des créateurs, nous sommes là pour remettre un peu d'ordre dans tout cela.

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Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

La dernière question est fondamentale. Je vous pose des questions, je n'apporte pas de réponses.

La réflexion éthique fait partie des enjeux. Le propre de la réflexion éthique, c'est d'être un questionnement permanent et pluridisciplinaire, qui ne doit pas être confisqué par les experts. Elle interroge l'ensemble de la société. Elle nécessite des débats approfondis au regard de la sensibilité des sujets, et afin de bien mesurer les implications de chaque mesure, non seulement par elle-même, mais aussi par ses effets de bord, ses effets domino ou « Mikado ». Il est un point dont il faut être convaincu : une technique ou une connaissance n'a pas de sens par elle-même ; elle n'a de sens que si elle est mise au service de l'humanité tout entière et au service des patients. Mais il faut en mesurer tous les enjeux éthiques, toutes les conséquences. C'est bien la difficulté qui est la vôtre. En tant que législateur, votre responsabilité est redoutable puisqu'il vous revient de trouver le point d'équilibre capable de concilier l'ensemble des intérêts en présence et d'apporter une réponse qui fait le système éthique « à la française ». Il est l'un des plus aboutis en Europe et dans le monde, il est source de fierté. En tout cas, à l'Agence de la biomédecine, nous sommes fiers de représenter les valeurs de la loi de bioéthique et d'en être sinon le « bras armé », du moins l'opérateur.

Nous vous fournissons des éléments d'explication et d'appréciation, mais nous ne pourrons vous apporter l'ensemble des éléments. D'où l'importance que vous procédiez à des auditions multiples et variées pour entendre de très nombreux points de vue. C'est ce que traduit la composition du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ou de notre conseil d'orientation, instance éthique, qui comprend d'ailleurs huit parlementaires. La confrontation des points de vue et la discussion conduisent sinon à des consensus, du moins à partager, ce qui est déjà beaucoup. Je vous remercie de cette question qui m'a permis d'apporter cette précision, à mes yeux, fondamentale.

Concernant la modification du génome, je tiens à préciser, car c'est fondamental, que nous parlons des cellules germinales. Pour les cellules somatiques, il n'y a pas de question. D'ores et déjà, des protocoles de recherches ont été autorisés. Ce n'est pas de même nature. C'est bien la problématique de la possible transmission à la descendance par les cellules germinales qui pose question.

Après une absence de demandes de recherche sur l'embryon pendant quelques années, nous en avons de nouveau reçu depuis 2013, mais elles ne portaient pas sur la dérivation des lignées. Rien n'interdit toutefois de poser des questions dans ce domaine. C'est à suivre.

Les neurosciences sont un vaste sujet. En 2011, le législateur, dans sa grande sagesse, a souhaité confier à l'Agence de la biomédecine une mission d'information et de veille sur les neurosciences. Mais il se trouve que nous n'avions pas en interne les compétences nécessaires pour exercer cette activité très éloignée de nos métiers habituels, et que nous n'avions pas d'expertise ni la capacité de l'acquérir dans le contexte de l'époque. Cela nous a conduits à mettre en place un comité de pilotage, composé d'experts extérieurs que nous hébergeons et qui rendent annuellement un rapport sur un sujet considéré comme émergent en matière de neurosciences. L'homme « augmenté » fait partie de ses sujets d'étude. Notre rapport d'activité joint en annexe – nous renvoyons désormais par un lien vers le site internet par mesure d'économie – cette étude faite tous les ans ou tous les deux ans, suivant la charge de travail du comité, pour éclairer un des aspects des neurosciences. Nous n'avons abordé l'intelligence artificielle que sous le mode de chacun des opérateurs, ce qui nous a conduits à être auditionnés par l'OPECST au sujet des scores, lesquels font appel à des algorithmes, mais comme n'importe quel acteur, sans aucune spécificité.

S'agissant des tests génétiques et de la génétique, je serai moins concise, car c'est un sujet très sensible dont les développements posent beaucoup de questions.

Ce n'est pas parce qu'une technique est disponible qu'il faut nécessairement l'utiliser. Il convient, en tout cas, de s'interroger sur son utilité, son efficacité, son innocuité et ses conséquences. La donnée génétique est, en principe, inaltérable – je dis « en principe » puisqu'une partie de la recherche vise à la modifier. Elle dit beaucoup de vous ; je ne verse jamais dans le « tout génétique », mais elle présente la particularité d'être identifiante non seulement pour vous, mais aussi pour votre famille. Elle ne concerne pas que vous. D'où la mise en place des dispositifs, notamment le dispositif spécifique de l'information parentale. Toutes les connaissances développées en génomique montrent à quel point cette donnée est complexe. Nous sommes attentifs à l'interprétation et surtout aux limites de l'interprétation. Pour restituer une donnée génétique, il faut aussi être capable d'expliquer en quoi cela ne détermine pas tout, en quoi on ne sait pas, en quoi on sait. La susceptibilité n'est pas la prédisposition. Un gène dominant n'est pas un gène récessif.

Cela fait beaucoup d'éléments à indiquer. Cela pose de redoutables questions en termes d'information et de consentement. Le consentement vaut-il une fois pour toutes ? Au fur et à mesure de l'avancée des connaissances, à l'instant T+1, on pourrait découvrir d'autres éléments que ceux trouvés par un test génétique réalisé à l'instant T. Cela pose des questions redoutables en termes de big data, de conservation des données et d'accès aux données. C'est tout le problème des sites internet hébergés dans des pays étrangers. On ne sait pas où sont hébergées les données, qui y a accès ni pour quel usage. Je ne suis pas sûre que le modèle économique repose seulement sur la réalisation du test.

Se posent des questions fondamentales de conseil génétique. Une fois obtenue une donnée génétique, en supposant qu'on soit en mesure de l'interpréter, un accompagnement est nécessaire parce que c'est toujours une forme de vulnérabilité, et il n'est pas toujours simple de prendre connaissance et de digérer l'information. Nous ne sommes pas aujourd'hui en capacité d'obtenir le conseil indispensable. Or il est probable que les tests génétiques continueront à se développer, notamment parce que la médecine prédictive est un des axes majeurs de développement de la médecine actuelle. Nous aurons donc encore plus besoin de conseil génétique. C'est la question que nous posons dans notre rapport de l'accompagnement de ce développement du conseil génétique. Renforcer les prérogatives des conseils génétiques, s'appuyer davantage sur eux, sous la supervision d'un médecin, suppose de développer de nouvelles connaissances, de nouveaux métiers, comme la bio-informatique pour l'interprétation des données. Compte tenu des enjeux qui sont emportés, je ne suis pas sûre que cette audition suffise à vous apporter des réponses. Il importe, en tout cas, de s'intéresser à l'encadrement international au regard du développement de sites internet souvent présentés de façon anodine, qui permettent de faire tout et n'importe quoi. On vous dira de façon récréative si vous avez dans votre ascendance un Scandinave, un Indien, mais ce qu'on en tire n'est pas du tout récréatif. À cela s'ajoutent de plus en plus de découvertes incidentes.

Afin de répondre à la mission d'information qui nous a été confiée, nous avons mis en place un site internet qui est plutôt bien référencé. Mais un site internet ne suffit pas à faire de la pédagogie. Un important travail est à faire avec la presse et les médias. Nous avons tous la responsabilité de faire la pédagogie de ces sujets. En revanche, je ne suis pas sûre que nous soyons les plus pertinents pour sérier les tests et les qualifier, car cela sort vraiment de notre champ de compétence. Nous entrons là dans des questions de dispositifs divers et variés qui ne ressortent pas du tout du champ de compétence traditionnels de l'Agence.

En revanche, donner cette information parce que l'on mesure ce qu'est la génétique constitutionnelle renvoie à une autre question, qui est que cela rend plus floue la frontière entre génétique constitutionnelle et génétique somatique, donc entre les caractéristiques génétiques qui nous sont propres et, par exemple, les caractéristiques génétiques d'une tumeur – la génétique somatique. Nous parlions de médecine prédictive et de la médecine personnalisée qui se développe de plus en plus, faisant souvent appel à des « tests compagnons » visant à adapter le traitement au plus près des caractéristiques propres de chaque patient. Or ces « tests compagnons » qui visent à résoudre un problème somatique fourniront des informations constitutionnelles, sans que l'on ait nécessairement aujourd'hui, étant donné la façon dont cela est organisé, accès à toutes les garanties d'encadrement des examens des caractéristiques génétiques constitutionnelles.

Cela fait beaucoup de questions. Je ne suis pas sûre d'avoir tout éclairé en un temps aussi court.

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En tout cas, vous avez fait le maximum et nous vous en remercions. L'échange était très intéressant. Nous allons continuer à travailler, et nous retenons l'idée de nous retrouver dans une deuxième partie de nos travaux.

Madame la directrice générale, messieurs les professeurs, nous vous remercions et vous disons à bientôt !

La séance est levée à onze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 9 h 30

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Jean-François Eliaou, M. Patrick Hetzel, Mme Caroline Janvier, M. Jean François Mbaye, M. Thomas Mesnier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

Excusés. – M. Joël Aviragnet, Mme Gisèle Biémouret, M. M'jid El Guerrab, Mme Bérengère Poletti

Assistait également à la réunion. – M. Thibault Bazin