Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mardi 3 décembre 2019 à 19h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • concrétisation
  • départementaux
  • préfet
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

Source

La séance est ouverte à 19 heures 10.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France, accompagné de Mmes Anne Bouillot-Gourinat, directrice de cabinet adjointe, et Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère chargée des relations avec le Parlement.

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Mes chers collègues, nous recevons M. Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France, qui est accompagné de Mme Anne Bouillot-Gourinat, directrice de cabinet adjointe et de Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère chargée des relations avec le Parlement.

M. Jules Nyssen, directeur général de Régions de France, aurait dû participer à cette réunion mais il nous a fait savoir hier qu'il avait un empêchement.

Nous allons poursuivre avec vous nos travaux sur les difficultés rencontrées par les collectivités locales pour appliquer les lois et sur les moyens d'atténuer ce problème. Nous avons notamment auditionné M. Stanislas Bourron, directeur général des collectivités locales, et M. Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), mais nous n'avons pas encore pu prendre le pouls des représentants des collectivités locales.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Elle fera, par ailleurs, l'objet d'un compte rendu.

Je vous propose de commencer par un propos liminaire d'une quinzaine de minutes.

Nous serons probablement rejoints par d'autres collègues en cours d'audition, la séance publique n'étant pas terminée.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente de la mission d'information.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Vous mesurez mieux que moi l'ampleur de la question de la concrétisation des lois. Nous pensons, à l'ADF, qu'elle renvoie à un problème plus générique que l'on pourrait qualifier de « capillarité » dans la connaissance des territoires. Comment la connaissance du terrain, dont on nous rebat les oreilles – la langue française n'a jamais été à ce point encombrée par les références au terrain et aux territoires –, est-elle possible ?

Je crois, et c'est peut-être le fonctionnaire d'État que j'ai été, et que je reste, qui parle, qu'il y a d'abord un problème de connaissance de la réalité du terrain par les administrations d'État – la représentation parlementaire n'est pas en cause. L'ADF a fait un certain nombre de propositions qui visent notamment à renforcer – car nous ne sommes pas du tout anti-étatistes – la présence de l'État territorial. Malgré l'existence de carrières alternées dans la fonction publique d'État, il y a encore une grande méconnaissance des réalités quotidiennes de la part de l'administration centrale, et il existe une paupérisation, aussi bien matérielle que numérique, des fonctionnaires déconcentrés. Cela rend la « capillarité » de plus en plus compliquée.

Mon expérience au sein de l'État est un peu ancienne – cela fait quelques années que je suis à l'ADF – et le chiffre que je vais évoquer est empirique, mais je me souviens que, dans plus de la majorité des cas, ce que je lisais dans les dossiers ne correspondait pas à ce que je voyais sur le terrain – vous devez vivre les mêmes situations en tant qu'élus de la nation. Cela concernait, par exemple, la dangerosité d'un tourner-à-gauche à un carrefour ou la gestion d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – que l'on peut vérifier en passant une demi-journée sur place.

C'est une question fondamentale. Pour éviter que la concrétisation des lois ne reste un débat trop théorique, il faut absolument que le pouvoir réglementaire, qui se trouve très largement entre les mains du Premier ministre et de l'administration d'État, puisse être renseigné de manière à éviter les contresens et les faux-sens par rapport à la volonté du législateur.

Dans cette perspective, l'ADF a très officiellement proposé que 20 % – il fallait bien donner un chiffre – des fonctionnaires d'administration centrale fassent l'objet d'une déconcentration vers les administrations départementales. C'est d'autant plus nécessaire que la régionalisation a sans doute été abusive ou excessive : elle a encore plus dépossédé les administrations départementales. Le projet de loi « 3D » du Gouvernement traite notamment de la déconcentration – c'est un des « 3D » : nous pensons qu'on pourra juger de la crédibilité de cette déconcentration en fonction du nombre de « troupes » qui seront effectivement remises sur le terrain.

S'agissant de la consultation des collectivités territoriales telle qu'on la vit dans les associations d'élus en général et à l'ADF en particulier, dans notre rôle modeste, mais peut-être pas totalement inefficace, d'éclaireurs de la décision publique en amont, nous avons souvent l'impression que la concertation au niveau étatique est trop tardive et de façade – ce n'est pas le cas à l'Assemblée nationale, comme cette audition en est la preuve.

Je vais vous donner un exemple que j'ai vécu, avec Dominique Bussereau, à propos d'un sujet polémique et « à la mode », qui est la limitation de vitesse à quatre-vingts kilomètres à l'heure. Nous avons été invités à une réunion à Matignon, à un niveau significatif du cabinet du Premier ministre. On nous a alors expliqué, très en amont, environ quatre mois avant l'application du dispositif, qu'il s'agirait d'une mesure uniforme. Je rappelle qu'il y a près de 380 000 kilomètres de routes départementales et un peu plus de 20 000 kilomètres de routes nationales : la décision s'appliquait donc majoritairement sur nos routes. Après avoir écouté le cabinet et le délégué interministériel à la sécurité routière, nous avons proposé une cogestion du dispositif – cela pourrait prêter à sourire aujourd'hui compte tenu de tout le temps que l'on a perdu. Les deux tiers ou les trois quarts des routes auraient été limités à quatre-vingts kilomètres à l'heure – si on ne fixe pas une norme, la situation part dans tous les sens – et nous aurions décliné cette décision au niveau du réseau départemental en choisissant, en concertation avec les préfets, les axes, minoritaires, appelés à rester à quatre-vingt-dix kilomètres à l'heure, et ceux devant passer à quatre-vingts kilomètres à l'heure. La réponse a été : vous vous méprenez, nous ne vous avons pas fait venir pour vous demander votre avis, mais pour vous informer de notre décision.

Un tel exemple peut paraître caricatural : au sujet de cette question aussi sensible pour l'opinion publique et la sécurité, et dans laquelle nous sommes profondément impliqués, car les présidents des départements et leurs services connaissent bien l'état de leur réseau routier, je crois qu'on a atteint le paroxysme d'une concertation qui n'en est pas une. Nous avons très souvent l'impression d'être mis devant le fait accompli. Il s'agit seulement de cocher la case « ADF consultée » avant de passer à l'association d'élus suivante. C'était sans doute déjà vrai – mais j'ai moins d'expérience en la matière – sous les gouvernements précédents : ce n'est pas tant un problème de Gouvernement que de comportement. Certains parleraient de « surplomb » de l'État – vous devez sans doute avoir, parfois, la même impression au Parlement.

Comme Alain Lambert l'a dit avec plus de talent et d'expérience que moi, nous pensons par ailleurs qu'il faudrait renforcer le CNEN. Je ne suis pas là pour attribuer des bons et des mauvais points, mais je crois que cet organisme fait un travail de très grande qualité – Anne Bouillot-Gourinat pourra compléter mes propos, car elle est notre « Madame normes », si je puis la qualifier ainsi. Le CNEN a une capacité, aussi bien en amont des textes qu'en aval, en matière d'application, qui pourrait être valorisée.

Sans vouloir polémiquer avec la représentation nationale, nous avons soutenu une disposition adoptée par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique aux termes de laquelle les compétences du CNEN auraient été élargies à l'évaluation de l'impact juridique des textes. Le Gouvernement et l'Assemblée nationale n'ont pas été favorables à cette disposition. Le CNEN offre pourtant un levier : c'est une instance qui peut aider à faire évoluer la situation.

Quand on parle de concrétisation, il faut essayer d'être concret – pardon pour ce truisme. Nous avons de multiples exemples de décrets d'application non publiés dans le domaine de l'assistance technique ou de l'ingénierie technique dans les départements – je pourrai vous transmettre une note écrite, afin de ne pas être trop long.

Il y a aussi toute la problématique de l'accueil et de la prise en charge des jeunes migrants dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance (ASE), problème d'une éminente actualité. La loi de 2016 relatives à la protection de l'enfant s'est traduite par une évolution importante des principes appliqués en la matière. Ce texte complète la loi « Bas » de 2007, qui a notamment prévu une dimension très personnalisée du suivi de l'enfant en danger. Il y a un écart entre les ambitions qui étaient celles du législateur en 2016 et la réalité de l'application de la loi. Alors que l'aide sociale à l'enfance était très calibrée au sens où on s'appuyait sur des situations très caractérisées pour qualifier l'enfance en danger – la minorité, les défaillances familiales, une situation de danger liée à des parents violents, alcoolisés ou encore drogués –, on a fait, pour des raisons liées au droit européen et international, de la présomption de minorité en ce qui concerne les mineurs étrangers une espèce de passeport pour l'entrée dans l'ASE. Il y a, d'un, côté un dispositif d'entrée qui est moins normé, ou tout au moins « multicritères », et, de l'autre, un processus d'entrée extrêmement balisé, sans doute à juste titre – car il n'est jamais évident d'enlever un enfant à ses parents. Il s'est produit une déviation entre l'esprit et la lettre de loi de 2016, d'une part, et son application, d'autre part.

Le problème de la concrétisation des lois est double : il y a non seulement les lois qui ne sont pas concrétisées, mais également celles qui sont déviées par rapport à l'intention du législateur, du fait des réglementations adoptées.

La loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique peut sans doute aider à avancer, notamment par la fluidification des relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Je rappelle aussi – pardon d'énoncer une évidence – que l'axe de la concrétisation relève du pouvoir réglementaire. Dès lors qu'on a l'impression qu'il existe une distance entre ce qui est l'inspiration du pouvoir réglementaire d'État et les territoires, pourquoi ne pas faire évoluer le pouvoir réglementaire pour le rapprocher des collectivités ? On prendrait un raccourci en confiant l'instrument aux collectivités. On pourrait imaginer un pouvoir réglementaire classique qui continuerait à appartenir au Premier ministre, conformément à l'article 21 de la Constitution, pour les fonctions régaliennes – qu'il resterait à définir avec précision – et pour le cadre général de l'application des lois, et un pouvoir réglementaire local, autonome, qui aurait pour objet d'assurer une déclinaison concrète des compétences qui doivent relever des collectivités locales. Ce ne serait donc pas un pouvoir réglementaire à deux vitesses, mais à deux niveaux : un niveau général et régalien, d'une part, et un niveau particulier, ciblé, dans le cadre d'un transfert aux exécutifs régionaux, départementaux ou communaux, d'autre part.

D'une façon générale et en anticipant un peu sur ce que nous pourrions dire l'année prochaine à propos du projet de loi « 3D », sans faire de procès d'intention, notre position, qui est commune avec l'Association des maires de France (AMF) et les Régions de France, est que nous aurons là l'occasion de trouver une solution à la question de la concrétisation des lois. Cela peut sembler théorique, à ce stade, mais il s'agirait de mettre enfin en oeuvre, d'une manière inédite, à cause de toute l'histoire de l'administration de l'État et de sa construction en France, une véritable subsidiarité. Celle-ci doit être ascendante et non descendante. La question est de savoir qui peut, dans la plus étroite proximité possible, exercer les compétences : on commencerait par regarder si la commune peut le faire ; sinon on ferait monter l'ascenseur, si j'ose dire, en passant à l'échelon supérieur. Il faudrait évidemment donner les moyens réglementaires d'exercer les compétences.

Cette subsidiarité ascendante, qui représente une petite révolution intellectuelle ou culturelle, voire les deux en même temps, peut être un chemin pour aller vers une République décentralisée au vrai sens du terme et une voie principale pour faire en sorte que les lois conçues par vous soient mieux et plus précisément concrétisées.

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Merci beaucoup pour cette intervention large, qui nous renvoie à des discussions que nous allons avoir prochainement ou que nous avons déjà eues.

Je voudrais vous poser une question s'inscrivant dans notre problématique, qui consiste à voir comment nous pourrions nous organiser pour nous assurer de la concrétisation des lois que nous avons votées – je ne parle pas de la fabrique des lois, même si je partage l'idée qu'un travail en amont doit être réalisé avec les collectivités locales et les citoyens. Vous qui avez l'expérience de collectivités importantes, et qui avez constaté que l'application des lois n'est pas toujours de la meilleure qualité, comment envisagez-vous le travail à réaliser avec les députés des départements, qui ont participé au vote des lois ? Des actions sont-elles menées pour interroger les députés qui étaient à la manoeuvre, ou qui, du moins, étaient aux responsabilités ? Avez-vous des préconisations à faire pour les associer davantage à l'application des lois ?

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Comme vous le savez, l'évêque de nos 103 paroissiens est Dominique Bussereau : je ne suis qu'un modeste vicaire général. (Sourires.)

Les pratiques varient. Si je peux me permettre de les hiérarchiser, une bonne pratique, qui est celle de certains des présidents des départements consiste à organiser régulièrement des réunions avec les parlementaires, de toutes sensibilités, du département. Je crois que l'on peut inclure les parlementaires, sans confusion des genres et sans créer des conseillers départementaux honoris causa, dans la vie démocratique des assemblées départementales. Si je travaillais non à l'ADF mais auprès d'un président de département, je lui conseillerais d'organiser, selon une périodicité correspondant à l'actualité législative et à sa déclinaison locale, par exemple tous les trimestres – cela peut varier, et il ne faut pas être rigide – une séance, qui ne serait non pas symbolique, mais longue, avec l'ensemble des conseillers départementaux afin de permettre un échange.

Faut-il recevoir ensemble les parlementaires du département ou procéder par auditions séparées ? C'est à voir selon les ambiances et les rivalités locales – vous connaissez mieux que moi le monde politique. En tout cas, il faut qu'il y ait un échange très concret qui permette aux parlementaires de rendre compte – même s'ils n'ont pas de comptes à rendre, au sens impératif du terme, à propos de leur action à Paris, qui n'est d'ailleurs pas toujours bien connue dans les territoires –, et aux élus départementaux de poser des questions très concrètes et de faire un certain nombre de remarques, que je ne suis pas capable de formuler, pour ma part, car je ne sais pas ce qui se passe partout sur le terrain. Si l'on prend comme exemple telle loi relative aux violences faites aux femmes, un élu peut constater, en tant qu'adjoint au maire, que les sévices subis par Mme X ont fait l'objet d'un signalement mais que cela n'a rien donné – ou au contraire, que cela a très bien fonctionné parce qu'il y a eu un engagement de la part des services de sécurité.

L'institutionnalisation, non pas au sens d'une obligation mais d'une culture, de l'échange entre niveaux électifs différents n'est pas assez fréquente dans notre pays. Nous souffrons beaucoup, c'est connu – et on peut le décliner pour n'importe quel sujet –, d'une culture en silos. Les énarques parlent aux énarques, les députés aux députés, les conseillers départementaux aux conseillers départementaux, les boulangers aux boulangers et les pâtissiers aux pâtissiers – quand quelqu'un est boulanger-pâtissier, cela devient déjà légèrement suspect. (Sourires.)

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Je partage votre analyse et je m'interroge sur la nécessité d'institutionnaliser ce que vous évoquez – une telle pratique est rarissime. Je ne connais quasiment pas de conseils départementaux qui prennent la peine de réunir les parlementaires pour les entendre ou leur faire part de leurs inquiétudes. Or cela me paraît tout à fait intéressant.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Je peux aussi vous répondre en remettant l'autre casquette que j'ai portée lorsque j'étais en poste en tant que préfet. Je recevais tous les parlementaires en tête à tête, lors de déjeuners de travail. Les présidents des départements peuvent faire ce que font les préfets. Sans vous donner de conseils, ce que je ne me permettrais pas, cela pourrait être une recommandation de la représentation nationale. Nous pourrions la relayer au sein de l'ADF – je sais que Dominique Bussereau sera d'accord –, tout en restant prudents afin de ne pas avoir l'air de donner des leçons.

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Le fait qu'il y ait une différence notoire entre ce que font les préfets et ce que font les présidents des conseils départementaux est intéressant. Je crois qu'il y a, au-delà de la recommandation que l'on pourrait formuler, une réelle nécessité d'agir si l'on veut apporter les améliorations que souhaite notre mission d'information.

Nous travaillons sur la concrétisation et non sur l'évaluation ex-post : nous nous intéressons à la tuyauterie permettant de faire descendre ce qui provient du Parlement au plus près des citoyens, dans les territoires.

S'agissant des relations entre les parlementaires et les conseils départementaux, je cite souvent le cas des Pass culture, car c'est un cas d'école. Je suis élu dans le Val-de-Marne, qui est un territoire où le dispositif est expérimenté. Or le conseil départemental a sa propre politique en matière d'accompagnement et d'aide à la culture pour la jeunesse, et il fait opposition au déploiement du Pass culture. Comment sort-on de cette situation ? La majorité du conseil départemental est opposée à la politique du Gouvernement. Il y aura toujours des oppositions entre les départements et le Gouvernement. Néanmoins, comment fait-on pour s'obliger à travailler ensemble sur des projets qui sont complémentaires mais entre lesquels il y a une opposition parce qu'ils ne sont pas issus des mêmes « tuyaux » et de la même volonté politique ? Les uns vont dire que le Pass culture est génial, et d'autres que c'est l'Ordival qui l'est… Comment traiter de telles situations dont les victimes sont les citoyens, et en l'occurrence les jeunes ? Il est urgent de sortir de ces idioties politiciennes qui empêchent de rendre complémentaires les projets menés par l'État et ceux des collectivités. Vous qui avez connu les deux, vous pourrez sans doute nous apporter des réponses.

Nous ne pouvons que souhaiter que les parlementaires puissent s'asseoir autour de la même table que les conseillers départementaux pour travailler sur la concrétisation des lois, exactement comme le font les préfets de département.

J'en viens aux relations entre les exécutifs départementaux et les préfets de département. Pouvez-vous nous décrire la réalité actuelle, compte tenu de vos deux casquettes ? Avez-vous constaté une évolution ? Le parlementaire peut-il être, parfois, une courroie de transmission efficace entre le préfet et l'exécutif départemental ou est-ce un voeu pieux ? Pouvons-nous avoir aussi cette vocation ?

Vous avez évoqué les troupes affectées à l'État déconcentré dans les départements, que vous voyez comme un indicateur de réussite. Est-on vraiment sûr que l'effectif des troupes soit égal à l'efficacité en matière de concrétisation des lois ? Je n'en suis pas certain. Je pense qu'il faut s'intéresser au liant entre tous les acteurs plutôt qu'aux troupes de l'État déconcentré. Ce que l'on fait dans ce domaine me convient bien, par exemple quand on essaie de sortir de Paris les grosses administrations pour les mettre dans les territoires, mais je ne suis pas certain que le nombre d'agents publics de l'État dans les départements soit un indicateur clef en ce qui concerne la bonne concrétisation des lois.

Dernier élément, quel regard portez-vous sur le rôle joué par le CNEN ? Nous avons auditionné il y a peu de temps Alain Lambert, qui connaît également bien l'échelon départemental. Le CNEN est un acteur très intéressant pour la bonne concrétisation des lois. Les départements travaillent-ils bien avec cet organisme ? Y a-t-il des pistes d'amélioration dans ce domaine ?

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

S'agissant du Pass culture, c'est tout le problème des mesures gouvernementales ou étatiques qui apparaissent, à tort ou à raison, un peu comme la limitation de vitesse à quatre-vingts kilomètres à l'heure, comme des OVNI surgissant tout à coup dans le ciel. Je crois beaucoup, comme les élus, à la pédagogie : un des moyens d'amortir les chocs politiciens que vous avez décrits est de faire de la pédagogie en amont.

Le retour que j'ai à propos du Pass culture, de la part des conseils départementaux, est qu'ils n'ont pas été assez associés au dispositif. Ils ont eu l'impression – peut-être fausse : je ne veux pas porter de jugement – que le Pass culture leur tombait dessus. Ils ont perçu qu'on leur disait : vous êtes gentils avec vos politiques culturelles, dans le Val-de-Marne ou ailleurs, mais vous êtes quand même des élus locaux, vous avez une vision moins stratosphérique que nous quand il s'agit de concevoir des dispositifs, et nous allons donc vous donner un instrument bien meilleur qui s'appelle le Pass culture.

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Pourquoi l'État serait-il stratosphérique ?

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Je parle de la perception de la réalité – elle peut être légitime ou non : il ne m'appartient pas d'en juger. Quand a-t-on l'impression que quelque chose est stratosphérique ? Précisément quand on ne vous a pas suffisamment présenté ou expliqué ce qui allait se passer. Les départements considèrent avoir été insuffisamment associés. Ils ont l'impression de servir uniquement de relais pour l'application du Pass culture. Le même problème se pose à propos de la contractualisation dans le domaine social. Je sens monter un vent de fronde anticontractualisation au motif que celle-ci est déséquilibrée, inégalitaire, entre l'État et les collectivités.

La solution pour éviter le choc des cultures que nous avons commencé à avoir, Madame la députée, consiste à faire le plus de pédagogie possible. Dans le cas concret du Pass culture, l'État aurait pu faire un « tour de France » des politiques menées, en demandant éventuellement une aide à l'ADF : nous aurions pu réaliser une synthèse de tout ce qui ressemble à des Pass culture dans les départements. Puis on aurait confronté le dispositif auquel on avait pensé avec ce qui existait déjà. Si on s'était aperçu qu'il y avait des éléments auxquels on n'avait pas songé, dans l'Ariège ou la Meuse, par exemple, on les aurait intégrés dans le dispositif. Ou, à l'inverse, on aurait recommandé à tel ou tel département, dans le cadre d'un échange, d'amender certains dispositifs qui auraient été en porte-à-faux avec ce que l'on avait proposé au niveau national.

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Pensez-vous qu'il serait réaliste d'organiser une concertation avec une centaine de départements pour chaque réforme envisagée par le Gouvernement ?

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Vous m'avez interrogé sur le télescopage entre une mesure nationale telle que le Pass culture et des dispositifs locaux qui existaient antérieurement. C'est presque de la psychologie de base : quand on est un élu de terrain, comme vous l'êtes tous, et qu'on a créé une politique, on a tendance à penser qu'elle est plutôt bonne. C'est la nature humaine – on n'est pas masochiste.

Je crois qu'on pourrait commencer à faire des « tours de France » sur un certain nombre de sujets. Nous pourrions très bien réaliser des inventaires de ce qui existe déjà – même si cela ne serait pas possible, du côté de l'ADF, à jet continu, car nous n'avons pas des effectifs pléthoriques. Je ne peux pas vous dire que je connais toutes les politiques culturelles – ou routières – des départements : ce serait très prétentieux de ma part. Les « tours de France » que j'évoque nous éclaireraient nous-mêmes.

Il faut faire de la pédagogie et prendre le pouls, si j'ose dire, de l'ensemble des départements pour ce qui est des politiques départementales.

L'autre solution, que j'ai déjà évoquée, est la subsidiarité ascendante. La question est de savoir, s'agissant d'une politique visant à assurer l'accès de la jeunesse à des pratiques culturelles diversifiées, quel est le bon niveau. Il n'y aura plus de télescopage si on laisse cette politique à des niveaux plus proches du terrain.

J'en viens à la question concernant les relations entre les préfets et les présidents des départements. Sans vouloir me fâcher avec ces deux corporations, je suis très frappé par une évolution par rapport à la période qui a suivi la décentralisation, au début des années 1980. J'étais encore en culotte courte à cette époque, administrativement parlant, mais les maîtres qui m'ont élevé m'en ont parlé. Le combat pour les petites cuillères en argent du préfet et les palais de la République est terminé. Nous ne sommes plus du tout dans cette confrontation, même s'il faut nuancer. En effet, il peut encore y avoir un ou deux présidents de départements ultralibéraux, hostiles à toute présence de l'État, mais ils ne sont absolument pas significatifs au niveau global. Les présidents des départements réclament des préfets présents sur le terrain. Ils regrettent un phénomène qui me désespère : les préfets qui ne sont plus présents le week-end dans certains départements – j'espère que vous ne connaissez pas cette situation. J'ai personnellement un appartement en région parisienne, mais je n'y ai pas passé un week-end tant que j'étais préfet. Mon chez-moi était l'hôtel de la préfecture et surtout le terrain.

La foire agricole ou la pose d'une première pierre le samedi sont de bonnes occasions d'évoquer les difficultés qui peuvent exister. C'est aussi un moyen de percevoir la vie quotidienne des élus, qui sont sur le terrain le week-end. Si j'étais ministre de l'Intérieur – ce qui n'arrivera pas, je vous rassure (Sourires) –, la première mesure que je prendrais consisterait à ne pas caler la prime des préfets sur le nombre de morts dans les accidents de la route mais sur leur présence le week-end – et en semaine, bien sûr.

Je suis très surpris – mais c'est peut-être en raison de mon parcours – par le nombre de présidents de conseils départementaux, notamment ruraux, qui me disent que leur préfet n'est pas comme ils voudraient qu'il soit, non pas du point de vue du caractère, mais de ce qu'on peut appeler la capacité à tomber amoureux de son territoire.

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On pourrait dire aussi, au risque de caricaturer, qu'il y a beaucoup de préfets qui aimeraient avoir un président de conseil départemental ayant un comportement beaucoup plus transversal, généreux, à l'écoute des uns et des autres. Nous avons tous connu ce genre de situations. Il n'y a pas, d'un côté, les vertueux et, de l'autre, ceux qui doivent faire des efforts. J'ai un excellent préfet, en tout cas, je tiens à le dire.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Rien ne résiste à la continuité dans les rapports humains. Il est souvent question des relations entre les magistrats et les préfets : quand vous coprésidez régulièrement un conseil départemental de sécurité avec un procureur de la République, et que vous l'invitez systématiquement à déjeuner à votre table, pour échanger, les relations changent très rapidement – sans doute parce que nous sommes français et que la table a une importance chez nous. Quand vous passiez, autrefois, une note des Renseignements généraux au procureur de la République, au nom de l'ordre public – une notion globale et non corporatiste –, vous changiez aussi le rapport de confiance.

Les êtres humains sont comme ils sont – certains sont plus ouverts que d'autres – mais il faut aimer les gens quand on est dans la vie publique, qu'on ait été nommé ou élu. Cela veut dire aimer les élus quand on est un préfet, et aimer les préfets quand on est un élu. Cela vaut aussi pour les relations entre les députés et les présidents des départements, même s'il y a naturellement des rivalités politiques – c'est une autre question. Vous allez peut-être me trouver un peu naïf, mais je crois très profondément à cette idée. Je pense qu'il faut avoir ce type de convictions.

En ce qui concerne le nombre des troupes, je ne suis pas d'accord vous, monsieur le rapporteur. Je pense qu'il y a un seuil en dessous duquel les capacités d'action sont gravement atteintes, même si je ne peux pas donner un chiffre précis. Lorsque nous allons à des réunions à Bercy, je suis très frappé de voir que nous sommes deux ou trois, de l'ADF, face à une quarantaine de fonctionnaires de l'État. Quand on travaille dans une administration déconcentrée, on s'arrache les cheveux pour savoir qui on peut envoyer à une réunion à la préfecture de région, à Paris ou sur le terrain pour telle ou telle mission. Il y a un vrai problème d'effectifs. À force de faire peser toujours sur le même échelon la révision générale des politiques publiques (RGPP), hier, et l'évolution des effectifs de la fonction publique, aujourd'hui, on finit par se trouver « à l'os », si je peux employer une expression un peu vulgaire. Il y a vraiment un problème de taille critique.

Pour ce qui est du CNEN, je vais laisser s'exprimer Anne Bouillot-Gourinat, si vous le permettez, car elle a une expérience directe de cette institution.

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Anne Bouillot-Gourinat, directrice de cabinet adjointe

Nos relations avec le CNEN sont excellentes, aussi bien du côté des élus que des services de la direction générale des collectivités locales.

Le volume des textes est le principal obstacle : nous recevons tous les mois une trentaine de textes. Il nous est absolument impossible physiquement de les envoyer à notre réseau et de faire remonter les observations en un mois.

Pour le reste, nous trouvons que le mode de fonctionnement du CNEN est très positif : c'est vraiment un lieu de dialogue entre les administrations centrales et les élus.

Des échanges plus réguliers avec le Parlement en général – c'est déjà le cas avec le Sénat – pourraient permettre de faire remonter les observations des élus locaux en amont.

S'agissant de la concrétisation des lois, nous ne pouvons pas identifier les difficultés qui pourraient se poser s'il n'y a pas de concertation au préalable.

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Certains députés font de la concertation en amont des textes. Il y a des initiatives intéressantes sur tous les bancs : des députés tiennent des ateliers citoyens, auxquels le président du département est invité. Nous essayons de travailler dans la transversalité.

Je crois que ce que vous avez évoqué à propos de l'amont concerne les études d'impact. Par ailleurs, le Pass culture ne relève pas de la loi mais du règlement. Ce n'est pas dans notre sphère.

Sur le plan législatif, je suis convaincue, comme vous, qu'il faut absolument travailler en amont, mais je pense aussi que l'on doit vérifier la concrétisation. J'ai toujours regretté que les départements soient muets au sujet des dispositifs législatifs qui ne fonctionnent pas bien. Il n'y a pas que la norme et le règlement : il y a aussi la loi, et elle tient tout. Si les règlements tordent les dispositifs, il faut que vous nous alertiez. On doit redonner du sens.

Quand une loi s'adresse aux départements, il me semble que les présidents des conseils départementaux doivent prendre l'initiative de réunir les députés, quelle que soit leur couleur politique, car on n'est plus dans le débat politicien. Je pense d'ailleurs que les députés, dans leur circonscription, ne s'inscrivent pas dans un cadre politicien : ils sont à la recherche de l'utilité. Nous devons jouer un rôle d'apaisement et être capables de relativiser notre travail, en faisant preuve d'humilité : nous pouvons nous tromper.

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Merci beaucoup pour vos interventions.

Avez-vous identifié des situations précises de non-concrétisation de textes législatifs ? Si vous n'avez pas de réponse à nous apporter aujourd'hui, vous pourrez le faire par écrit. Nous avons vu quelques exemples lors des auditions précédentes – les motifs peuvent être liés aux moyens d'application ou au télescopage entre différents textes. Il nous serait utile d'avoir des exemples de blocage issus de la vraie vie et de savoir ce qui se passe dans ces cas-là. Quel est l'interlocuteur du président du département ou du directeur général des services ? Est-ce le préfet de département ou de région, ou bien cela remonte-t-il directement au niveau du ministre ou de son cabinet ?

Comment l'application de la subsidiarité ascendante que vous avez décrite tout à l'heure pourrait-elle permettre de résoudre les difficultés ? Peut-on tenir compte, en même temps, de la diversité ou de la subsidiarité horizontale qui est déjà prévue, d'une certaine manière, par la Constitution et qui est plutôt en voie de promotion ? Certaines compétences, y compris celles potentiellement concernées par la subsidiarité ascendante, pourraient être utilement exercées dans certaines collectivités ou dans certains départements et moins dans d'autres, en raison des spécificités qui peuvent exister.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Votre deuxième question porte en particulier sur la différenciation, au sens où il pourrait y avoir des modalités de concrétisation différentes selon les départements ou les territoires. Certaines lois peuvent avoir des impacts majeurs ou non selon les endroits, au-delà du cas, caricatural, des lois relatives au littoral, qui ont davantage d'effet quand il y a un bord de mer…

Il existe une vraie difficulté sur laquelle il n'est pas évident de se prononcer – c'est d'ailleurs à vous qu'il appartient de le faire. L'inégalité est l'argument que l'on oppose habituellement à une différenciation véritable, c'est-à-dire à une vraie décentralisation : l'idée est que l'on va nourrir les inégalités si on n'applique pas partout de la même façon la loi, qui se conçoit sous la forme d'un singulier de majesté en France. La question qu'on peut se poser, sans vouloir être trop abstrait, est de savoir si une loi unique et non différenciée n'est pas moins concrétisée, et s'il n'y a pas une inégalité due à sa faible concrétisation. Vaut-il mieux une loi universelle, uniforme, républicaine, pure et parfaite, mais peu incarnée et concrétisée, ou une loi moins universelle, plus différenciée et donc plus inégalitaire – j'ose employer ce gros mot ? Je pose la question.

Je vais prendre un exemple très trivial, qui concerne l'égalité des Français devant la santé, laquelle est éminemment souhaitable. Pensez-vous que l'on a les mêmes chances de guérir d'un cancer s'il se déclare dans telle ou telle ville – je ne vais citer aucun territoire afin de n'être discourtois envers personne – où l'équipement hospitalier est léger et où il n'y a pas d'oncologue ou dans l'arrondissement de Paris où nous nous trouvons en ce moment ? De ce point de vue, l'égalité est purement abstraite. Ne faut-il pas répondre aux besoins du mieux que l'on peut, même si on le fait d'une façon inégalitaire, dans le cadre de mises en application différentes ? C'est un débat que l'on ouvre peu souvent car il est dérangeant, compte tenu de nos principes traditionnels, mais je crois que c'est une façon de répondre à votre question.

Je crois profondément que la subsidiarité ascendante, qui est encore un peu théorique à ce stade, je vous l'accorde, doit être une espèce d'épreuve de vérité. Ayons le courage collectif – cela pourrait être un exemple de travail entre parlementaires et élus départementaux – de nous poser sans a priori la question de savoir quel est le niveau le plus adapté pour telle compétence ou telle politique, comme le Pass culture. Je vais être iconoclaste vis-à-vis de moi-même, ou en tout cas de mes mandants : y a-t-il une sorte de loi divine qui ferait que les collèges relèvent de la compétence des départements et les lycées de celle des régions ? Cela dit, je tiens surtout à évoquer les collèges, pour montrer que nous essayons d'être impertinents à l'égard de nous-mêmes.

Passons au crible les services publics qui incarnent et concrétisent les lois que vous concevez, afin de voir entre quelles mains ils sont le plus susceptibles d'atteindre un optimum. C'est compliqué et déchirant, mais pas politicien. Même si cela peut être vexant pour certains nombrils, je crois que c'est un beau défi, qui ne prendra pas seulement cinq minutes : cela peut constituer un grand programme de mobilisation nationale. Nous sommes prêts, pour notre part, à cet exercice. C'est un véritable enjeu : lorsqu'une compétence est exercée à un niveau optimal de proximité, on règle un grand problème sur le plan de la concrétisation. Si on passe le ballon, si je puis dire, à celui qui est le plus compétent pour le manier, on évite des erreurs.

La subsidiarité ne doit pas être juste un mot : il faut qu'il y ait un véritable passage en revue des politiques publiques, sans tabou ni a priori. Cela provoquera quelques grincements de dents, mais cela vaut quand même la peine d'essayer.

En ce qui concerne la non-concrétisation des textes législatifs, nous pourrions peut-être vous adresser une contribution écrite, car je ne veux pas être trop long : j'ai quelques exemples en tête, mais les décrire risque d'être un peu fastidieux. Nous pourrions vous faire parvenir quelques morceaux choisis.

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Tout à fait. Si vous pouviez aussi revenir par écrit sur le travail que l'on peut réaliser en commun avec les élus des territoires, notamment des départements, je crois que ce serait utile.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Je m'y engage.

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Mon intervention va être rapide, et je devrai malheureusement quitter cette réunion assez vite.

Je suis d'accord pour regarder dans le millefeuille territorial si on ne peut pas enlever quelques couches et redistribuer des compétences. On aimerait vraiment le faire : je crois que ce serait très utile. Cela permettrait surtout de clarifier la situation pour les citoyens, qui ne savent pas à qui s'adresser pour la plupart des démarches qu'ils ont à faire, notamment auprès des collectivités territoriales. Les compétences sont parfois exercées d'une manière facultative, parfois d'une manière obligatoire – c'est très disparate d'un territoire à l'autre. Par ailleurs, certains échelons n'ont pas supporté qu'on leur enlève certaines compétences et ils continuent donc, sous couvert d'autres compétences, de faire de l'économique ou du social alors que ce n'est plus leur rôle. Il règne un flou total pour nos concitoyens. On constate souvent qu'ils ont des droits théoriques plus que réels, faute de savoir à qui s'adresser pour les exercer concrètement. Cela fait partie de nos objectifs : la concrétisation des lois vise aussi à permettre aux citoyens de faire valoir leurs droits. Pour cela, il faut que les choses soient claires. Or ce n'est pas le cas à l'heure actuelle, vu l'enchevêtrement des compétences.

Je ne vous rejoindrai pas, en revanche, à propos des différenciations. Elles existent déjà, et on est confronté à des situations totalement ubuesques quand on est, comme moi, à la limite de plusieurs départements – l'Isère, qui est le territoire auquel je suis rattachée, l'Ain, le Rhône et la Savoie. Au-delà de la question des relations qui peuvent exister entre les responsables politiques, on assiste à des pratiques relevant de l'optimisation sociale. En ce qui concerne l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), par exemple, l'Isère est le département le plus généreux – davantage, en tout cas, que le Rhône et la Drôme. On peut comprendre la différenciation territoriale quand on parle de territoires littoraux ou de montagne, mais quand il s'agit de concrétiser des politiques publiques, on voit bien que trop de différenciation tue la volonté politique de départ et le droit réel que l'on voulait donner aux gens – en tant que législateurs, nous ne faisons que dire à quoi on a droit, et quels sont les devoirs.

J'aimerais vraiment qu'on arrive à avancer avec les collectivités territoriales à propos de la concrétisation de la loi, notamment en ce qui concerne le texte sur la dépendance que nous allons bientôt examiner. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de concertation avec les départements sur ce sujet : cela fait des mois qu'on en parle, et le Président de la République a annoncé le projet de loi il y a plus d'un an, lors du congrès de la Mutualité française. Nous nous inscrivons dans des démarches proactives, mais je n'ai pas encore vraiment entendu la voix des départements sur ce sujet – sauf aujourd'hui lors d'une rencontre avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui a vu les départements commencer un dialogue avec la ministre. Je trouve dommage que ce dialogue n'ait pas eu lieu auparavant et que l'on n'ait pas l'occasion de discuter dans les territoires, entre responsables politiques, de ce qu'il faudrait faire et de la manière dont on peut aboutir à un consensus.

Les lois que nous adoptons ne viennent pas de nulle part : ce ne sont pas des bébés-éprouvettes conçues dans des laboratoires. Le pass culture n'est pas non plus un bébé-éprouvette : on a vu dans les territoires des dispositifs qui fonctionnent et on s'en est inspiré. Il serait temps que les élus locaux – ceux des régions, des départements, des communes et des autres collectivités – et surtout leurs représentants sortent des postures, afin que l'on puisse enfin travailler ensemble à la concrétisation des lois, en tenant compte des différences de besoins – ce sera l'objet de la loi « 3D ». Les besoins ne sont pas forcément les mêmes dans l'Isère, c'est-à-dire à la montagne, et à Lyon, à côté du Rhône, par exemple en matière de tarification des services à la personne. Le président du département de l'Isère a fait quelque chose de très bien dans ce domaine. On peut trouver de bons exemples, mais je crois aussi qu'on doit sortir des postures pour arriver à rendre les choses concrètes.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Je vais vous répondre sans esprit de polémique en ce qui concerne les points de désaccord.

S'agissant de la clarification, nous avons régulièrement un débat sur les compétences économiques avec les élus des régions. Qu'est-ce qui est le plus important, étant entendu qu'il y a, derrière, la légitimité démocratique ? Que les Français sachent précisément qui a fait quoi, c'est-à-dire qu'ils ont obtenu telle aide ou qu'il y a telle politique grâce au conseil régional, au conseil départemental ou à l'intervention du député, ou bien que leurs besoins soient satisfaits ? Pour moi, c'est ce dernier point qui importe le plus. Au-delà de nos illusions corporatistes – je m'inclus dans cette affirmation, et je ne parle pas de vous –, la sphère publique est un grand tout, un « grand machin » pour les Français : il y a vous, moi – avec mon ancienne casquette et celle d'aujourd'hui –, les présidents des départements, la SNCF et la Poste. Même si cette dernière a été privatisée, elle reste un service public aux yeux des Français, et c'est notre faute à tous quand il y a une fermeture de bureau de poste. L'important est que la réponse soit adaptée aux demandes, si elles sont légitimes, bien sûr.

Pour ce qui est des aides économiques des départements, il y a une ambiguïté liée à la question du signifiant – est-ce le nom commun ou l'adjectif dans la langue française ? Quand on parle d'économie touristique, le signifiant est-il le nom – dans cette hypothèse, ce sont les régions qui sont compétentes – ou l'adjectif, auquel cas la compétence est partagée ? Je ne sais pas s'il y a des sémiologues dans la salle, mais on peut en discuter.

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Je suis linguiste, à l'origine. Le signifiant est clairement le nom.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Dans ce cas, l'adjectif complète la signification.

Lorsque nous recevons des responsables de l'économie sociale et solidaire et qu'ils nous disent – cela dépend aussi du contrôle de légalité, mais je ne vais pas entrer dans ce détail – qu'ils ont besoin de l'aide des départements parce que le président de telle région, que je ne citerai pas, ne veut pas agir pour des raisons idéologiques, au motif que l'économie sociale et solidaire correspond – je caricature – à une vision de l'économie qui est quand même très à gauche, nous estimons, au nom de l'intérêt général, qu'il est légitime que nous apportions une aide. Dans la région qui est celle de Dominique Bussereau, Alain Rousset ne souhaite pas aider la conchyliculture parce que cela ne s'inscrit pas dans ses axes stratégiques – c'est un choix légitime, qui lui appartient. Lorsque les éleveurs de moules disent qu'ils ont besoin d'aide parce qu'ils ont subi les conditions météorologiques que vous connaissez, et qu'Alain Rousset dit à Dominique Bussereau qu'il peut les aider sans problème, pourquoi, au nom d'une clarification vraiment théorique et de la beauté du millefeuille, devrait-on abandonner les conchyliculteurs du littoral atlantique ? Je pense qu'ils ne comprendraient pas qu'on leur dise qu'on ne peut pas les aider parce qu'on veut avoir une application claire et nette du signifiant, dans le respect de son sens initial.

Je tiens à dire au nom des présidents des départements, même si Mme Motin est partie – et je ne me sens pas visé, car je ne suis pas un élu départemental, ni même un élu tout court – que la posture n'est pas le monopole d'une strate d'élus. Il y a des présidents de départements qui sont dans la posture mais c'est le cas aussi de certains de vos collègues et de certains membres du Gouvernement, quel qu'il soit. Je ne crois pas qu'un échelon soit davantage dans la posture qu'un autre.

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J'ai été très longtemps un élu local, et je crois que la simplification et la clarification ont des vertus. On ne peut pas dire que tout est dans tout.

On peut retourner l'exemple que vous avez donné. Beaucoup de départements nous reprochent de ne pas avoir suffisamment de financements pour mener à bien toutes les politiques qu'ils souhaiteraient conduire : la clarification permet de leur dire qu'ils ont des financements pour telle compétence et pas pour telle autre. On a très peu entendu mon département quand s'est produite la baisse drastique que nous avons connue – j'étais maire à l'époque – mais beaucoup d'acteurs réclament aujourd'hui de l'argent alors qu'une simplification a été réalisée. Les financements sont assez fléchés : quand on veut mener des politiques dans tous les domaines, cela devient compliqué. S'il y a des strates différentes, il me semble que ce n'est pas pour rien. Or vous êtes un peu en train de dire qu'on peut s'occuper de tout s'il y a une nécessité de terrain. Il me semble qu'on ne peut pas aller jusque-là.

Je veux bien comprendre certaines choses. Ma position a d'ailleurs évolué à propos des départements. J'ai longtemps pensé qu'ils présentaient une certaine inutilité, mais je crois maintenant qu'ils constituent une strate nécessaire en termes de proximité. Mais encore doit-on bien définir ce que les départements doivent faire. C'est à cette condition que j'estime qu'ils peuvent être très utiles. Il est possible de rouvrir le débat, mais le législateur a fixé des règles. Beaucoup de départements prennent des libertés : elles sont peut-être légitimes – c'est ce que vous dites – mais nous avons prévu des financements pour certaines politiques publiques.

C'est là qu'intervient le problème « politicien » évoqué par le rapporteur. Il ne faut pas se voiler la face : il y a des oppositions qui sont purement et simplement politiques. On peut les comprendre mais on se heurte quand même à une difficulté. Il est vrai que les départements ont mal vécu certaines pertes de compétences. Je suis assez décentralisateur, et je comprends donc aussi cette réalité, mais je crois que les choses doivent être claires. Sinon, il va y avoir un moment où on ne saura plus qui fait quoi, ce qui serait quand même préjudiciable.

Je voulais réagir à ce que vous avez dit, mais aussi revenir sur ce qu'a souligné le rapporteur : les interprétations politiciennes peuvent conduire à ne pas concrétiser, en tout ou partie, certaines politiques voulues par le législateur parce qu'on en privilégie d'autres.

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Vous serez certainement d'accord avec moi, monsieur le député, pour dire que le jour où il n'y aura plus de politicaillerie dans la politique, nous serons, vous et moi, dans un autre monde – que j'espère meilleur. (Sourires.) Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie, et là où il y a de la politique, il y a de la politicaillerie.

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Je suis d'accord, mais la simplification des compétences ne conduit-elle pas à une clarification et donc à moins de politicaillerie ?

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Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF)

Vous êtes un élu depuis quelques années : comme vous le savez, le monde où tous les acteurs faisaient tout a existé, à l'époque de la clause de compétence générale « généralisée », et la France n'est pas tombée dans un malheur abyssal pendant cette période. Lorsque les départements aident tel ou tel secteur – j'ai cité l'exemple des conchyliculteurs – c'est parce qu'il y a une demande, même s'il peut exister, là aussi, des postures. Je constate que toutes les demandes ne sont pas satisfaites. Si la clarification doit conduire à une non-satisfaction des besoins, il me semble que le remède est pire que le mal.

Certains de mes mandants seraient d'accord avec vous : lorsqu'il y a un débat interne pour savoir s'il faut réclamer ce que j'appellerais une clause de compétence générale « balai » – qui s'appliquerait quand personne ne veut ou peut agir –, des présidents de départements jugent commode de pouvoir répondre à telle ou telle corporation qui demande une aide que cela ne fait plus partie de leur compétence et qu'il faut donc aller voir le président de la région ou celui de l'intercommunalité. Mais ce qui m'intéresse, comme vous, ce sont les Français. Or il n'est pas bon au regard du sentiment qu'ils peuvent avoir de la prise en charge des problèmes que nos concitoyens se heurtent à une porte close, lorsqu'ils sont allés voir les interlocuteurs auxquels on les a renvoyés.

C'est l'objet d'un débat serré avec nos collègues des régions – je peux le dire sans trahir de secret. Il me semble qu'il peut y avoir des compétences axiales, au sens où le département s'occupe de la solidarité sociale et territoriale, mais aussi des espèces de compétences supplétives, qu'il faudrait sans doute normer – on peut imaginer une limite : pas plus de x % du budget serait consacré à ces aides diverses – mais qui permettraient de répondre aux besoins quand ils s'expriment. J'ai évoqué l'exemple de l'économie sociale et solidaire : il peut exister des angles morts pour des raisons partisanes ou du fait des stratégies adoptées. Je crois qu'il faut être très pragmatique.

Si on revient plus directement à la question de la concrétisation, je pense qu'il faut être au plus près des demandes. Je ne sais pas trop ce qu'est une demande d'un territoire, car j'ai rarement entendu un territoire parler, mais il y a des demandes des Français qui habitent dans notre territoire national.

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Nous nous sommes un peu éloignés du sujet de la mission d'information, mais c'était très intéressant et je remercie tous ceux qui se sont exprimés – ils l'ont fait avec beaucoup de franchise. Merci beaucoup, monsieur le préfet.

La séance est levée à 20 heures 20

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Fabien Gouttefarde, M. Régis Juanico, M. Michel Lauzzana, Mme Cendra Motin, M. Laurent Saint-Martin, M. Vincent Thiébaut, Mme Alexandra Valetta Ardisson