Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Réunion du mercredi 19 février 2020 à 15h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 35.

Présidence de M. Éric Ciotti, président de la commission.

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Mesdames, Messieurs, merci de votre présence devant notre commission d'enquête, qui travaille depuis quelques mois maintenant sur l'attentat qui a frappé la préfecture de police le 3 octobre dernier, et qui, au-delà, souhaite se pencher sur la situation de la radicalisation dans nos grands services publics, notamment dans ceux qui participent à la protection de notre nation, l'administration pénitentiaire en faisant partie au premier rang. Nous avons encore quelques auditions à faire avant que notre rapporteur, M. Florent Boudié, rende son rapport, fruit des travaux de notre commission.

Nous souhaitions vous entendre, ainsi que le directeur de l'administration pénitentiaire que nous auditionnerons après vous, pour connaître votre analyse, votre point de vue, vos interrogations et peut-être vos propositions sur la radicalisation islamiste en prison.

Avant de vous donner la parole, je vous précise que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Éric Faleyeux, Mme Rosalie Lamartinière, MM. Fabrice Begon, Wilfried Fonck, Yoan Karar, Dominique Gombert, Emmanuel Baudin, Mme Gaëlle Verschaeve et M. Sébastien Nicolas prêtent successivement serment.)

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Mesdames, messieurs les députés, merci de nous recevoir sur un sujet ô combien important, qui comporte deux aspects différents, d'un côté la radicalisation des personnels et, de l'autre, celle des personnes détenues. Il est bien plus facile pour nous d'aborder le second aspect que le premier.

Il est difficile de parler de la radicalisation des personnels parce que nous n'avons pas beaucoup de chiffres. On estime qu'une trentaine de personnes sont radicalisées ou fichées dans nos rangs. Ce sont des chiffres que nous obtenons par des biais détournés puisque l'administration ne communique pas sur le sujet.

Il n'y a pas de procédure pour repérer les personnels radicalisés. Ce sont essentiellement les collègues qui font des signalements. Il n'y a pas de conseil de discipline. On assiste à la mutation du collègue signalé, on le déplace pour l'éloigner du service dans lequel il travaillait.

À notre avis, la radicalisation des personnels de surveillance n'est pas un phénomène très développé. Il faut être vigilant et faire remonter les informations, mais les données ne sont pas très révélatrices.

Le problème est totalement différent en ce qui concerne les détenus. Malheureusement, le phénomène s'amplifie et la surpopulation pénale ne facilite pas les choses. En effet, il est plus facile de radicaliser son codétenu quand vous êtes dans une cellule où il y a trois ou quatre matelas au sol. Des quartiers dédiés ont été créés mais ils ne changent rien puisqu'ils ne sont pas étanches. Le prosélytisme se fait par la voix, les échanges verbaux. On sait bien que ces quartiers ne sont qu'une réponse politique pour montrer que le Gouvernement a essayé de faire quelque chose. Mais en fait il ne répond pas au problème. Nous réclamons depuis le grand mouvement de 2018 une classification des établissements, c'est-à-dire des établissements entièrement dédiés à ces prisonniers. On ne comprend pas pourquoi une personne qui est soit prévenue, soit condamnée pour acte ou tentative d'acte terroriste n'est pas placée directement dans un établissement spécifique afin d'éviter de contaminer les autres détenus. Malheureusement nous ne sommes pas entendus. Je n'ai toujours pas compris quel est l'intérêt d'évaluer quelqu'un qui est prévenu ou condamné pour acte ou tentative d'acte terroriste, pour savoir s'il est radicalisé. Aujourd'hui, on se rend bien compte que cela ne fonctionne pas. J'ai appris qu'on allait faire « tourner » les gens qui sont dans ces quartiers, car il faut bien les faire bouger. Or, quand on les sort de ces quartiers, c'est pour les remettre en détention normale…

Pour en revenir aux surveillants, les signalements sont faits, mais je ne sais pas comment ils sont traités ensuite. En tout cas, il n'y a jamais eu de conseil de discipline. On sait qu'une personne est radicalisée quand elle est mutée. Cela s'est vu à Toulouse, Paris et Marseille. Il n'y a aucune raison en effet que l'administration pénitentiaire ne soit pas touchée par ce phénomène de radicalisation.

Je le répète, s'agissant des personnes détenues, le phénomène existe et malheureusement rien n'est fait pour le stopper. Ce qui a été instauré n'est qu'une opération de communication complètement stupide : il fallait répondre à l'urgence et à l'attente des Français. À Strasbourg, on a vidé un étage entier de la maison d'arrêt où vivaient quarante détenus pour créer ce quartier où ils ne sont que cinq ou six ; c'est vous dire à quel point c'est absurde…

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Wilfried Fonck, secrétaire national de l'Union fédérale autonome pénitentiaire

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation, mais je dois vous avouer que nous avons été surpris de recevoir une convocation de votre commission d'enquête. Nous nous sommes demandé en effet quel était l'intérêt de s'adresser à l'administration pénitentiaire. Mais en lisant votre questionnaire, nous avons bien compris que vos interrogations concernaient la radicalisation chez les personnels pénitentiaires.

Comme l'a dit notre collègue de Force Ouvrière, la radicalisation existe en milieu carcéral. Cela mériterait une enquête parlementaire spécifique sur la radicalisation de la population pénale, de même que sur l'utilisation des crédits du plan de lutte antiterrorisme (PLAT) par l'administration pénitentiaire. Vous auriez quelques surprises quant à l'utilisation des deniers publics…

On peut lire, dans le rapport d'information n° 2082 sur les services publics face à la radicalisation, que le directeur de l'administration pénitentiaire reconnaissait qu'une dizaine de personnels de surveillance étaient radicalisés. Nous n'avons pas de chiffre exact, mais nous estimons entre dix et trente le nombre de personnes radicalisées. Cette radicalisation chez les personnels est toujours antérieure au recrutement, c'est-à-dire qu'elle n'est pas, pour l'instant, liée à des interférences entre des détenus appartenant à la mouvance djihadiste et les personnels. Il n'y a pas eu de cas de retournement de personnels intra-muros, et c'est tant mieux. S'agissant des personnels radicalisés avant leur recrutement, se pose la question de la transmission des enquêtes administratives qui devraient être diligentées par les services idoines.

La question du risque d'ingérence se pose également. En effet, dans un établissement pénitentiaire, il y a beaucoup plus de personnels extérieurs à l'administration pénitentiaire – personnels de santé, de l'éducation nationale, etc. – que de personnels pénitentiaires. Malheureusement, l'administration pénitentiaire n'a pas de service de contre-ingérence. Cela fait plusieurs années que l'UFAP-UNSa justice demande que l'administration pénitentiaire se dote d'un service propre de contre-ingérence, ce qui nous permettrait d'avoir accès, dans un premier temps, aux enquêtes administratives concernant le recrutement des personnels et de ne plus avoir à découvrir que certains sont fichés – quel que soit le fichier – une fois qu'ils sont titulaires de leur poste.

Comme l'a dit Emmanuel Baudin, une fois que la personne est titulaire de son poste, il devient très compliqué de la licencier. Dès lors qu'il n'y a pas de faute professionnelle imputable à l'agent, on ne peut pas le faire passer en conseil de discipline. Un seul cas, celui d'un agent, à Arles, a été présenté en conseil de discipline à la suite de suspicions de radicalisation : il a prononcé son licenciement, mais l'agent a fait appel de cette décision et il a été rétabli dans ses droits et a réintégré un établissement dans le sud de la France – actuellement, il est en congé maladie, mais cela ne résout pas le problème. Une fois que les personnels sont radicalisés et identifiés comme tels, l'administration pénitentiaire, comme toute administration, n'est pas en mesure de se séparer d'eux. Comment faire, en amont, pour éviter d'être confronté à de telles situations ? La seule et unique réponse consiste à créer un service de contre-ingérence. Si on ne le crée pas au sein de l'administration pénitentiaire, au moins pourrait-on le faire au niveau du ministère de la Justice. Ce service serait chargé exclusivement de la sécurité et de la protection du ministère, sur le modèle de ce qu'était précédemment la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) au ministère de la Défense.

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Éric Faleyeux, secrétaire général adjoint du Syndicat national des cadres pénitentiaires-Confédération française démocratique du travail

L'objet de la présente commission d'enquête étant l'attentat du 3 octobre dernier à la préfecture de police de Paris, et en particulier la radicalisation chez les personnels, je voudrais dire en introduction que la caricature de l'individu barbu en djellaba se promenant avec un livre religieux sous le bras n'existe plus. Aujourd'hui, les terroristes se fondent dans la masse, ils boivent de l'alcool, ils fument, ils vont en soirée, bref, ils passent inaperçus. D'où l'importance de la détection de ce que l'on appelle les signaux faibles. À l'instant, mon collègue parlait des enquêtes administratives : lors de l'intégration dans la fonction publique, une enquête administrative est normalement diligentée. Mais on peut se demander si c'est vraiment le cas ; personnellement, j'en doute.

Une fois que le fonctionnaire est recruté et que l'enquête administrative a été faite, il ne se passe plus rien tout au long de la carrière de l'agent. On pourrait pourtant imaginer que cette enquête administrative soit renouvelée, par exemple lors d'une mutation ou d'une promotion interne, l'idée étant de détecter les signaux faibles de radicalisation chez les personnels.

Il existe au sein de l'administration pénitentiaire une commission des dossiers réservés chargée exclusivement de la radicalisation du personnel. Après l'attentat du 3 octobre, une fiche de signalement a été créée et envoyée dans les différents services. Mais il n'est pas facile de signaler un collègue que l'on soupçonne de radicalisation, parce qu'on a toujours à l'esprit le fait que, si on le dénonce, il risque de perdre son emploi. Ces fiches de signalement existent néanmoins et il faut s'y intéresser car, après un attentat, on se dit souvent que tout le monde savait mais que rien n'a été fait.

J'espère avoir l'occasion, avant la fin de la réunion, de vous suggérer deux idées qui pourraient permettre de faciliter ces signalements et d'aider nos agents qui nourrissent des suspicions de radicalisation au sujet de certains de leurs collègues.

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Peut-être pouvez-vous nous les indiquer maintenant…

(Sourires.)

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Éric Faleyeux, secrétaire général adjoint du Syndicat national des cadres pénitentiaires-Confédération française démocratique du travail

La première suggestion serait d'instaurer des formations au sein des services administratifs à destination des agents, pour leur permettre de s'informer sur la façon dont on détecte les signaux faibles, sur ce qu'est la dissimulation, ce qu'est un élément ou un comportement suspect. Ces formations permettraient de donner des éléments de compréhension et de contexte aux fonctionnaires.

La deuxième idée serait de créer des référents radicalisation dans les services, c'est-à-dire des personnes qui connaîtraient bien le sujet, à qui l'on pourrait parler, se confier, qui auraient éventuellement des contacts avec les renseignements territoriaux ou la sécurité intérieure et qui pourraient apporter des solutions lorsqu'un collègue viendrait leur faire part de quelque chose.

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Ayant été l'un des rapporteurs de la mission d'information sur les services publics face à la radicalisation, j'avais eu l'occasion de rencontrer certains d'entre vous. Avec le co-rapporteur Éric Poulliat, nous avions auditionné Laurent Ridel, le directeur interrégional des services pénitentiaires Paris-Île-de-France, puis Stéphane Bredin, le directeur de l'administration pénitentiaire, que nous voyons régulièrement en commission des Lois et que je poursuis souvent de mes assiduités.

Combien de surveillants sont-ils radicalisés ? La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) indique que dix surveillants sont inscrits au FSRPT, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient radicalisés. Comme j'ai un doute sur ce chiffre, je poserai la question tout à l'heure à M. Stéphane Bredin. Je veux bien qu'il n'y en ait que dix, mais il y en a déjà quatre dans les Bouches-du-Rhône. En tant que député des Bouches-du-Rhône, je veux bien avoir la plus grande part du gâteau, mais…

Combien y a-t-il de détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR) ? Il est difficile de l'estimer, compte tenu de la dissimulation. L'administration s'en tient à 900, mais je pense qu'il y en a plutôt 1 500.

Il y a un an, vous m'aviez alerté, à juste titre, sur le niveau de recrutement des surveillants pénitentiaires. Lorsque j'ai dit à M. Bredin qu'ils étaient recrutés à partir d'une moyenne de trois sur vingt, celui-ci s'est insurgé et m'a expliqué que c'était faux. Où en est-on un an après, sachant que, pour la première fois, en mars 2019, les 6 300 personnes recrutées ont été criblées, c'est-à-dire qu'on a pu vérifier à leur entrée s'ils étaient inscrits au FSPRT ? C'est en tout cas ce que nous a dit la directrice du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS). Bien évidemment, il serait nécessaire d'effectuer un rétro-criblage au cours de la carrière des agents.

Je précise que je poserai également ces questions à M. Bredin.

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Je souhaite rebondir sur la question de M. Diard à propos du recrutement, qui est aujourd'hui le sujet fondamental.

Tant que vous êtes dans un système de recrutement de masse, ce qui est le cas pour l'administration pénitentiaire, vous aurez des difficultés à évincer les candidats qui ne partageraient pas les valeurs de la République. Cela pose la question des contrôles à la fois dans la phase de recrutement, en amont du concours, et à l'école. Ce sont des contrôles classiques effectués par les services du renseignement. Cibler le FSPRT est une chose, cibler les fichiers de police, c'est bien aussi, mais aller un peu plus en profondeur en ayant un entretien avec le candidat est peut-être une nécessité. On le fait pour certains concours. Par exemple, pour intégrer la magistrature, on passe obligatoirement un entretien avec un membre du renseignement, ce qui n'est pas le cas pour tous les fonctionnaires, notamment ceux qui seront chargés de publics sensibles, comme les personnes incarcérées. La vérification de la moralité du candidat est un premier sujet.

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Non. On peut jouer sur les notes, passer de trois à cinq par exemple, mais soyons clairs, il s'agit de professions qui ne sont pas attractives : elles sont choisies par défaut. Malheureusement, dans un système de recrutement de masse où il faut tout faire pour saturer le plafond d'emplois sinon l'année suivante ce plafond diminue, les présidents de jury reçoivent des consignes pour recruter un maximum de candidats. Le problème, ce n'est pas d'avoir une moyenne de trois ou cinq sur vingt, mais de recruter des candidats qui n'ont pas forcément le bagage suffisant pour mettre à distance les théories complotistes ou les postures radicales que pourraient éventuellement leur souffler des personnes détenues. Dans un établissement pénitentiaire, les détenus et les surveillants se parlent. J'ai entendu tout à l'heure qu'il n'y avait pas eu de cas de retournement d'un agent par un détenu.

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À ce moment-là, je vous ai vu hocher la tête, monsieur Nicolas !

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Je n'ai pas vérifié cette information ; s'il n'y en a pas encore eu, il y en aura demain, parce qu'on met des jeunes professionnels face à une population pénale extrêmement manipulatrice, et qu'ils peuvent se retrouver en difficulté parce qu'ils n'ont pas le bagage suffisant.

Les promotions de surveillants sont très hétérogènes. Il y a d'excellents éléments mais aussi des jeunes qui se retrouvent, du fait du recrutement de masse, à une place qui ne devrait pas être la leur et qui sont ensuite en danger dans des établissements pénitentiaires.

J'ai travaillé dans un établissement où l'on a découvert, en groupe d'évaluation départemental (GED), qu'un élève surveillant était suivi par le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) pour des faits de radicalisation. C'est assez déstabilisant d'apprendre cela en présence du préfet du département.

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Nous venons de connaître un cas de retournement à Argentan.

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Il s'agit d'une surveillante qui vivait sous l'emprise d'un détenu.

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Elle est désormais incarcérée. Je la connais bien puisqu'elle a été trésorière de mon syndicat lorsque j'étais à Argentan.

Je vous confirme que ce sont bien 30 personnes de l'administration pénitentiaire qui sont radicalisées.

Si M. Bredin indique que 900 détenus sont radicalisés, vous n'avez qu'à multiplier ce chiffre par trois et vous obtiendrez le chiffre réel.

Je rejoins les propos de M. Nicolas s'agissant du recrutement : il est catastrophique. On a même le cas de gens qui ont été licenciés en conseil de discipline, qui ont repassé le concours et qui sont de nouveau surveillants. On ne vérifie rien. Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) n'est pas consulté. Vous dites que l'administration pénitentiaire indique qu'elle a passé tout le monde au crible : je n'y crois pas une seconde, car elle reconnaît elle-même ne pas consulter ce fichier alors qu'elle y a accès. Pour certains agents qui passent en conseil de discipline, c'est nous qui apportons les informations : l'autre jour, on a eu le cas de quelqu'un qui avait trente-deux affaires à son casier ; l'administration pénitentiaire n'était même pas au courant ! Les fichiers ne sont pas consultés parce qu'il n'y a plus assez de personnel dans les prisons, ni dans les bureaux du Millénaire, ce beau bâtiment intelligent, et plus personne ne contrôle rien.

Tout le monde se réjouit de la baisse du chômage mais ce n'est pas une bonne nouvelle l'administration pénitentiaire, qui aura encore plus de mal à recruter. De source sûre, je sais que le schéma d'emploi n'est pas réalisé. Nous sommes présents à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), et je peux vous dire qu'à Paris, sur 1 200 candidats inscrits, 300 seulement sont venus passer l'examen. La profession n'attire pas, les conditions de travail non plus. Il y a quelques jours, j'ai rencontré une personne au ministère qui nous a expliqué que l'objectif était que demain les retraites soient les mêmes dans le public et dans le privé. Si nous perdons nos avantages comparatifs dans ce domaine, il n'y aura plus du tout de surveillants dans les prisons. Je rappelle que l'espérance de vie dans notre profession est de 62 ans et qu'un surveillant touche le SMIC en début de carrière.

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Vous dites que l'espérance de vie est de soixante-deux ans !

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Tout à fait. Nous faisons un métier stressant, nous travaillons la nuit, nous ne mangeons jamais à l'heure. Bref nous avons un rythme décalé. Il existe bien un syndicat des retraités de l'administration pénitentiaire, mais malheureusement ils ne sont pas très nombreux.

On parle de formation, mais on n'arrive déjà pas à faire des formations au tir, aux techniques d'intervention. Et même ceux qui travaillent dans les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) ne sont pas formés.

Je reviens un instant sur le nombre de 30 personnes radicalisées : ce sont les chiffres qui nous sont remontés. Il y en a déjà quatre à Fleury-Mérogis et M. Diard vient de parler de quatre cas dans les Bouches-du-Rhône.

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Yoan, secrétaire général adjoint du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

L'administration dispose déjà de quelques outils. Il est écrit sur les notes de mutation que tout agent muté doit être passé au criblage, notamment au FIJAISV. Mais personne à l'administration centrale n'est habilitée pour le faire et n'a le temps nécessaire.

Le SNRP est désormais capable de diligenter quelques enquêtes, notamment sur les personnels. C'est tout nouveau. Ce service ne fonctionne que grâce aux remontées d'informations. Or celles-ci ne peuvent se faire que s'il y a du personnel sur le terrain. En général, un surveillant est seul à l'étage. Il ne peut donc voir ni si un de ses collègues dérive, ni si des détenus se radicalisent. Des outils existent, des textes sont votés, mais ils ne sont malheureusement pas appliqués. Avant d'essayer de trouver de nouvelles solutions, appliquons déjà les textes existants.

Pour siéger en commission de discipline nationale et en commission administrative paritaire (CAP) de titularisation et stagiérisation d'agents, je peux dire qu'on titularise des agents qui ont un casier judiciaire B2, car on a des difficultés à recruter. Fort heureusement, ces cas sont minoritaires, et il ne s'agit pas de délits très graves mais, quand on en arrive là, c'est bien qu'il y a un problème d'attractivité.

Ce sont malheureusement les organisations syndicales qui sont obligées d'apporter les preuves matérielles à l'administration, lors du passage d'agents en conseil de discipline. J'en veux pour preuve ce cas qui a été évoqué tout à l'heure d'une personne qui avait trente-deux mentions dans son casier judiciaire pour des faits de cambriolage – soit des faits assez lourds pour un membre du personnel pénitentiaire – sans que l'administration soit au courant, alors qu'elle peut consulter le FIJAISV ou que le SNRP peut passer au crible certains agents.

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Je crois que nous sommes tous stupéfaits par vos propos. Nous parlons bien de la radicalisation potentielle des personnels, ce qui ne veut pas dire que le sujet de la radicalisation des détenus soit secondaire, bien au contraire. Nous pensons que la porosité est possible, même si vous parlez d'absence de retournement tout en citant un cas. Mais je comprends bien que vous-mêmes manquez d'informations.

Au-delà de la question des moyens et de l'attractivité du métier qui est ancienne et réelle, si j'ai bien compris ce que vous dites, il n'y a aucune culture de vigilance sur les risques de vulnérabilité des agents de l'administration pénitentiaire. Il n'y a en amont aucune formation initiale, aucune procédure de détection un tant soit peu formalisée lors du recrutement, aucun signalement, aucune remontée hiérarchique concernant des risques de vulnérabilité des agents face à la radicalisation ou à toute autre menace, y compris lorsqu'il s'agit de personnes qui ont été condamnées pour des infractions délictuelles. Vous confirmez qu'il n'y a, dans le corps de métier que vous représentez, et de façon générale dans les établissements pénitentiaires, aucune sensibilisation à cette culture de la vigilance concernant vos propres agents ?

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Gaëlle Verschaeve, trésorière générale adjointe du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Je tiens à nuancer vos propos car, dans le cadre de la formation initiale, tout corps de l'administration pénitentiaire reçoit, au sein de l'ENAP, une formation sur le phénomène de radicalisation. La formation pour les personnels surveillants est d'une durée totale de neuf heures et se divise en trois modules : un module sur les processus et les signes de radicalisation, un module sur les modes de prise en charge et un module de travaux dirigés pour travailler sur le repérage et les grilles d'évaluation des détenus mises en place. Les signes de radicalisation sont les mêmes que la personne concernée soit un surveillant ou un détenu.

Le renseignement s'est très largement développé depuis 2015 au sein de l'administration pénitentiaire et début février vient d'être ouvert à l'ENAP un bureau de formation au renseignement. On peut donc penser qu'à court ou moyen terme des formations à destination des personnels de surveillance seront dispensées pour les sensibiliser aux risques et à la détection des signes. Il existe donc bien une formation, même si elle reste insuffisante et difficile à compléter une fois que vous êtes en poste, cela pour tout corps de l'administration.

Vous avez demandé si la procédure de signalement était structurée. Une note du 17 octobre 2019 de M. Bredin fait état de la mise en place d'une procédure de remontée par signalement. Le collègue évoquait la création d'une fiche. Effectivement, après l'attentat du 3 octobre, l'administration a instauré un processus de remontée de l'information. Pour les personnels de surveillance, il est difficile de dénoncer un collègue. Mais comme nous sommes dans un métier de sécurité, je pense que les collègues ont bien conscience de la réalité du risque. Il ressort des collègues référents de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP) que, depuis la mise en place de la procédure du 17 octobre, le nombre de signalements a augmenté.

Aujourd'hui, il existe donc clairement une procédure identifiée par les chefs d'établissement et leurs adjoints. Par ailleurs, au sein des établissements pénitentiaires, les délégués du renseignement sont très clairement identifiés par les collègues, même si ces délégués ont normalement été désignés pour suivre les personnes détenues. Nous commençons donc à nous organiser, même si nous n'avons encore que quatre-vingt-six référents pour tous les établissements pénitentiaires, c'est-à-dire que tous n'en ont pas. Le recrutement continue, mais il reste insuffisant. Par ailleurs, des fiches de signalement sont remontées à la CIRP puis transmises directement à la direction de l'administration pénitentiaire.

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Wilfried Fonck, secrétaire national de l'Union fédérale autonome pénitentiaire

Monsieur le rapporteur, vous avez mis le doigt sur la vulnérabilité face à la radicalisation ou aux nombreux autres risques envisageables. On touche ici au cœur du problème du recrutement dans l'administration pénitentiaire. Pour intégrer la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il y a une enquête de quatre mois et des entretiens de sécurité avant et après l'enquête. On n'y fait pas entrer tout le monde et n'importe qui.

Si l'on veut vraiment lutter contre les vulnérabilités des personnels de l'administration pénitentiaire, il faudra donc, à un moment donné, se prendre par la main et créer un service de contre-ingérence. C'est évident.

Tout à l'heure, on a parlé de 10 à 30 personnels radicalisés : 10 selon le directeur de l'administration pénitentiaire, 30 selon les bruits de couloir. La vérité se situe entre les deux.

S'agissant de l'affaire d'Argentan, il faut attendre les retours de l'enquête judiciaire en cours pour voir s'il y a un lien avec une quelconque activité terroriste car, tout à l'heure, lorsque j'ai parlé d'absence de porosité, je visais uniquement les actes de terrorisme.

S'agissant du niveau de recrutement, j'indique que certains surveillants terminent leur carrière en tant que directeurs des services pénitentiaires. Cela montre que l'on peut très bien entrer dans l'administration pénitentiaire en tant que surveillant avec un faible niveau de diplôme et finir directeur.

Quant au nombre de détenus radicalisés mais non terroristes, on se situe dans une fourchette entre 1 500 et 2 000, même si l'administration parle de 900 parce qu'elle a ses propres critères liés à la nécessité de donner un chiffre qui soit bien en-deçà de ce que les organisations syndicales peuvent annoncer, tout simplement parce qu'elle ne veut pas créer de structure spécifique et adaptée totalement étanche pour accueillir ce genre de population.

Enfin, former les gens aux signes de radicalisation, c'est bien, mais quand vous sortez de cette formation, vous vous posez encore plus de questions que lorsque vous êtes arrivés. En la matière, l'administration a de gros progrès à faire, le premier d'entre eux étant de cesser de parler de radicalisation et de mettre le doigt sur ce qu'est la menace contre laquelle on souhaite lutter. Tant qu'on emploiera ce mot de radicalisation et qu'on ne dira pas qu'il s'agit d'islam politique et militant, on ne s'en sortira jamais.

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Madame Verschaeve, j'ai un point désaccord avec vous ; selon moi, on ne forme pas de la même façon à la détection de la dérive fondamentaliste islamiste chez les détenus et à celle des signaux faibles chez des collègues. Par exemple, il sera assez difficile de déterminer si un détenu ne serre pas les mains aux femmes, alors que chez un collègue cela peut être un indice. De même, la conversion n'est pas forcément un élément significatif chez un détenu, alors que ce peut être un signal faible chez un surveillant, non pas qu'il soit interdit de se convertir à l'islam, mais c'est un indice qui peut conduire à enquêter sur la mosquée fréquentée et la présence ou non dans cette mosquée d'un imam fondamentaliste – ce qui était en l'occurrence le cas dans l'affaire de la préfecture de police. Il me semble donc qu'il est nécessaire d'envisager une formation spécifique à la détection des points de vulnérabilité chez les personnels.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur un point qui m'a un peu surprise. Si j'ai bien compris, vous nous avez dit que les personnels chez qui avaient été détectée une adhésion au fondamentalisme islamiste avaient simplement été mutés et changés d'établissement, ce qui signifie que le danger qu'ils représentent est toujours aussi important mais qu'il a simplement été déplacé. En outre vous nous confirmez que le seul agent qui a fait l'objet d'une procédure disciplinaire et a été licencié a finalement été réintégré ?

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Yoan Karar

Oui, mais je précise que ce n'est pas sa radicalisation qui l'a conduit devant le conseil de discipline, mais des faits antérieurs, auxquels s'ajoutait la présomption de radicalisation.

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La radicalisation figure-t-elle au moins dans le code de déontologie ou la liste des faits qui relèvent du conseil de discipline ?

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Cela n'est pas formulé clairement, mais le code de déontologie permettrait d'appuyer une décision d'exclusion d'un agent fondée sur le non-respect des valeurs de la République. En tout cas, ni la radicalisation ni l'adhésion à l'islam politique ne sont spécifiquement visées en tant que telles par le code.

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Dominique Gombert, secrétaire général adjoint du Syndicat national pénitentiaire-Force Ouvrière Personnels de surveillance

J'ai l'exemple d'un stagiaire affecté dans un établissement parisien où il refusait de serrer la main aux femmes. Puisqu'il n'avait pas encore été titularisé, l'administration a pu le licencier pour incompatibilité avec la fonction.

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Gaëlle Verschaeve, trésorière générale adjointe du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Il faut savoir qu'un surveillant inscrit au fichier national n'est pas suivi par l'administration pénitentiaire, puisque nous ne suivons que les personnes incarcérées. Au niveau local, nous n'obtenons l'information que si nous participons au groupe d'évaluation départemental (GED), ce qui n'est pas systématiquement le cas. Et, lorsque le cas d'un personnel de surveillance est évoqué en GED, dans la mesure où la réunion est couverte par le secret, on ne peut s'appuyer dessus pour envisager une procédure disciplinaire. C'est la raison pour laquelle, comme le disaient mes collègues, nous sommes obligés de nous appuyer sur d'autres faits s'apparentant à une faute professionnelle, sans viser expressément la déviance ou la radicalisation.

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Vous avez évoqué la hausse du nombre de signalements, suite à la diffusion d'une note en date du 17 octobre 2019, c'est-à-dire postérieure à l'attentat de la préfecture de police. Auriez-vous des chiffres plus précis à nous communiquer ?

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Gaëlle Verschaeve, trésorière générale adjointe du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Au 5 octobre 2019, entre cinquante et soixante signalements avaient été remontés au niveau de la DAP par les référents CIRP, qui procèdent à ces remontées tous les deux mois. Depuis cette date, aucun chiffre nouveau n'a été porté à leur connaissance.

Si j'ai évoqué une augmentation des signalements, c'est eu égard aux informations que m'a communiquées la CIRP avec laquelle j'ai préparé cette audition.

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Il faut savoir que lorsqu'on mute des personnels au SNRP, bien souvent l'habilitation n'arrive qu'après la prise de poste de l'agent, c'est-à-dire qu'il est installé au sein du renseignement avant communication des résultats de l'enquête, ce qui fait qu'on est parfois obligé de renvoyer des agents deux mois après leur mutation.

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Vous avez évoqué la difficulté pour un collègue de dénoncer un autre collègue, c'est-à-dire, en quelque sorte, de faire de la délation. N'y aurait-il pas moyen pour éviter aux agents d'en référer directement à leur hiérarchie de mettre en place une plateforme qui permettrait de faire ces signalements de manière plus ou moins anonyme, sans qu'il s'agisse d'en faire un défouloir pour les règlements de compte personnels ? Pouvoir s'exprimer librement faciliterait sans doute les choses ; qu'en pensez-vous ?

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

C'est moins les dispositifs existants qui importent que le climat de confiance entre le personnel et la direction. Cela participe d'un fonctionnement intuitu personæ, propre à chaque établissement et ne relève malheureusement d'aucune procédure particulière.

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Yoan Karar

Alors que nous manquons déjà d'outils pour détecter la radicalisation chez les détenus, il paraît difficile de nous imaginer détecter des collègues en voie de radicalisation, sachant qu'un surveillant pénitentiaire ne bénéficie plus désormais que de six mois de formation et qu'à l'ENAP la question de la radicalisation des personnels est abordée en toute fin de formation, lors d'une intervention de quelques minutes en amphithéâtre.

Un personnel de surveillance qui travaille en détention n'est pas armé. Pour sa défense, il ne peut compter que sur lui-même et sur ses collègues. Dans ces conditions, il est difficile pour lui de jeter l'opprobre sur quelqu'un à qui il doit par ailleurs faire confiance pour protéger sa vie en cas de problème. Ce n'est pas une question de délation : aucun d'entre nous n'aura de scrupules à dénoncer un agent qui trafique ou dont on est sûr qu'il appartient à telle ou telle mouvance – car on parle de la mouvance islamiste, mais il y en a bien d'autres. En cas de doute, c'est une autre histoire car, dès lors qu'on a été stigmatisé, on le reste tout au long de sa carrière, et il existe chez nous un puissant esprit de corps.

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Il faut aussi imaginer le cas où vous dénoncez un collègue, qui finalement n'est pas licencié mais muté, et que vous retrouvez plus tard dans un autre établissement…

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Une chose m'inquiète et je ne suis pas le seul : vous parlez non pas de 900 détenus radicalisés mais plutôt de 1 500 ou 2 000. Pourquoi ces chiffres qui varient du simple au double ?

Par ailleurs, certains de ces radicalisés vont sortir de prison – on parle de 140 ou 150 libérations dans les deux prochaines années. C'est la loi, mais ce sont, selon moi, des bombes à retardement. Quel est votre sentiment sur cette question ?

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Yoan Karar

Si on analyse tous les épisodes à risque qui se sont produits dans l'administration pénitentiaire, on retombe chaque fois sur le même problème, celui de la remontée ou de la descente d'informations. Ce fut le cas à Osny, où a eu lieu le premier attentat djihadiste. Dans bien des situations, le détenu était suivi, mais les personnels sur le terrain n'en avaient pas été avertis. C'est toujours la même histoire que celle de l'agent que l'on évoquait tout à l'heure, avec ses trente-deux mentions au casier judiciaire.

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

J'ai dit l'autre jour à la ministre qu'il fallait en finir avec l'angélisme et accepter le fait que certaines personnes soient perdues pour la société. Il n'y a qu'à prendre le cas de Aït Ali Belkacem, que j'ai eu à gérer, et qui radicalisait ou convertissait tous ceux qu'il pouvait. Ce garçon s'est promené pendant des années comme il le voulait dans les quartiers de détention, que ce soit à Saint-Maur ou à Condé-sur-Sarthe, où, par angélisme, on l'a laissé faire du prosélytisme. D'où mon idée d'instaurer une classification des établissements, qui était l'une de nos revendications en 2018 mais pour laquelle nous n'avons pas obtenu gain de cause.

Moi, le désengagement, je ne sais pas ce que c'est. On a investi des fortunes dans cette idée, pour finalement comprendre qu'on s'était fait avoir. J'espère sincèrement qu'on peut sortir de la radicalisation, mais, avant d'en être sûr, il faut éviter la contamination.

Quant à ceux qui sortent, en effet, c'est ce que la loi prévoit. L'auteur de l'attaque de Condé-sur-Sarthe est sorti, on lui a trouvé un juge chargé de le contrôler, mais c'est en effet une bombe à retardement. Sur ce point, c'est vous, les législateurs !

Ensuite, même dans l'hypothèse d'une classification des établissements, il ne s'agit pas d'enfermer les gens dans des blockhaus car, si on les maintient en prison, nous aurons à les gérer et à faire en sorte, justement, qu'ils ne deviennent pas des bombes à retardement. On sait aujourd'hui que plusieurs auteurs d'attentat ont connu en prison Aït Ali Belkacem… Il faut donc isoler ces individus des autres, pour éviter la propagation de leurs idées.

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Wilfried Fonck, secrétaire national de l'Union fédérale autonome pénitentiaire

Mon collègue vient de faire référence à l'attentat d'Osny. Il s'agit d'un véritable scandale administratif, puisque l'administration pénitentiaire était parfaitement au courant qu'un avis négatif avait été émis sur l'affectation de cet individu à Osny.

Pour revenir ensuite sur la prise en charge des détenus terroristes, ils sont aujourd'hui un peu plus de 580, pour moins de 350 places dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) ou les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR). Il y a donc moins de places que de détenus. Or la ministre de la Justice affirme qu'elle est prête à recevoir les djihadistes de retour de Syrie : nous lui répondons, nous, que nous ne le sommes pas.

Enfin, avec le programme de désengagement de la violence – ainsi qu'on a rebaptisé le programme de déradicalisation pour paraître moins prétentieux –, l'objectif de l'administration pénitentiaire est, en réalité, moins la déradicalisation que la remise en détention ordinaire de détenus qui en avaient été extraits pendant un certain temps.

Cela étant, on n'a aucune certitude que ce genre de programmes fonctionne, d'autant moins que, selon les spécialistes, si on ne coupe pas un individu radicalisé – et, a fortiori, un terroriste – de sa base pendant au moins deux ans, aucun programme ne sera efficace, sachant par ailleurs qu'à la suite du programme, une prise en charge de dix à douze ans est nécessaire.

On est donc loin du compte avec ce qui n'est que de l'affichage politique, improvisé à la va-vite en 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, à une époque où la directrice de l'administration pénitentiaire et la ministre de la Justice étaient plus proches de la mouvance anticarcérale que de ceux qui militent pour une administration pénitentiaire digne de ce nom. C'est également l'époque où a été totalement dévoyée l'expérimentation originale tentée à Fresnes et qui consistait à couper ces détenus du reste de la population pénale pour éviter la diffusion de leur idéologie. C'était sans doute une solution très minimaliste mais à laquelle on aurait pu s'en tenir, avant de s'engager dans des réponses extravagantes, dont le résultat ne peut que laisser sceptique.

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Lorsqu'un agent est l'objet d'un signalement, auprès de qui est fait ce signalement, sachant qu'il n'y a pas de CIRP partout : est-ce aux chefs de détention, au directeur de l'établissement ?

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Il y a en effet le chef d'établissement, il y a aussi le délégué local du renseignement pénitentiaire (DLRP), sachant que ce dernier n'est censé faire que du renseignement, mais que, du fait du manque de personnel, il fait parfois un peu de tout. J'en reviens cependant au repérage, car c'est très compliqué. La collègue d'Argentan dont nous parlions tout à l'heure a été signalée par son ex-mari, qui avait remarqué qu'elle ne mangeait plus de porc ; tous ses collègues sont tombés des nues.

Par ailleurs, en maison d'arrêt, les agents ne touchent pas terre et ne font souvent que se croiser. Il n'y a qu'en service de nuit que le rythme se calme et qu'on peut prendre le temps de discuter avec un collègue. Ce sont de toute façon des procédures très longues. Y compris lorsqu'il ne s'agit que d'une présomption de trafic, il faut une enquête de plusieurs années avant qu'un agent tombe. C'est pour cela que, souvent, on se contente de muter les personnels. On peut soupçonner un agent de s'être radicalisé ; encore faut-il en apporter la preuve.

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Il faut également pouvoir démontrer que l'on a affaire à un cas problématique pour l'administration. Dans l'exemple du stagiaire que je citais tout à l'heure, c'est d'abord grâce au GED qu'il a été identifié ; il s'est ensuite illustré en refusant de serrer la main au personnel féminin de l'établissement et en manifestant une attitude beaucoup trop empathique vis-à-vis de la population pénale ; il a surtout eu une violente altercation avec une caissière de supermarché, à laquelle il a fait état de sa fonction de surveillant au centre pénitentiaire. C'est sur la base de ces trois derniers éléments jugés problématiques, et non à cause du fait qu'il pratiquait chez lui un islam rigoureux, qu'un rapport a pu être établi et adressé à la fois à la direction interrégionale de rattachement et à l'ENAP.

Comme il n'était pas titulaire, nous avons donc pu le renvoyer, mais il faut savoir, pour la petite histoire, que le second établissement où cet élève devait effectuer un stage était une maison centrale extrêmement sécuritaire, qui accueille précisément des détenus incarcérés pour des faits terroristes graves ou de très longues peines. Il n'existe pas de dispositif de transmission idoine mais, le bouche-à-oreille fonctionnant très bien, l'établissement qui accueillait l'élève-surveillant a contacté la directrice de la maison centrale en question, laquelle, avant que l'administration arrête une décision, avait déjà pris des mesures pour que l'élève en question ne soit pas affecté en détention mais sur un poste périphérique. Donc nous parvenons à nos fins, mais de manière artisanale, sans méthode ni procédures adaptées.

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Éric Faleyeux, secrétaire général adjoint du Syndicat national des cadres pénitentiaires-Confédération française démocratique du travail

Le CNRP, comme les CIRP, au niveau régional, et les DLRP, au niveau local, ne travaillent pas sur les personnels. Ces derniers sont du ressort de la commission des dossiers réservés, directement rattachée au DAP, et les cas de ces personnels sont traités par les ressources humaines et non par le renseignement pénitentiaire.

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Pensez-vous qu'il serait pertinent d'élargir le domaine de compétence du SNRP ?

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Fabrice Begon, secrétaire national de l'Union fédérale autonome pénitentiaire

C'est déjà le cas. L'article L. 850-1 du code de la sécurité intérieure a été modifié en ce sens par la loi de programmation de 2018, et permet, sur demande expresse du DAP, l'utilisation des services mis à disposition de renseignement pénitentiaire pour l'étude du dossier des agents.

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Yoan Karar

En effet, il existe depuis quelques mois, au sein du SNRP, une petite cellule de quelques personnes, directement rattachée au DAP et qui enquête sur les personnels, dès l'instant où il y a des signalements.

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Yoan Karar

C'est une autre question…

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Lorsque je l'ai auditionné, Stéphane Bredin a déclaré que les détenus les plus radicalisés étaient orientés vers les QPR, ajoutant : « Ces QPR sont étanches. » Or vous affirmez le contraire : pourquoi, selon vous ?

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Tout simplement parce que vous avez des fenêtres dans les cellules ! Force Ouvrière est parvenue à se faire entendre sur cette question de l'étanchéité – visuelle ou sonore –, et tous ces quartiers devraient être fermés. Or il n'y a aucun quartier de détention aujourd'hui où un détenu ne puisse pas parler à un autre détenu, soit en cours de promenade, soit s'il le croise lors d'un parloir.

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Est-il vrai que les détenus ont le téléphone dans leurs cellules ?

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

L'installation de postes fixes est en effet en cours.

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Donc, pour vous, ces quartiers ne servent à rien ?

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Non. Par ailleurs, il faut savoir qu'en maison centrale, toutes les portes sont ouvertes. C'est pourquoi nous préconisons, en lieu et place de l'actuelle classification, d'adapter les conditions de détention en fonction du profil des détenus, avec des établissements plus ou moins sécuritaires, et des agents plus ou moins formés à la sécurité ou à la réinsertion ; tout le monde – agents comme détenus – y trouvera son compte. Cela avait été envisagé il y a quatre ou cinq ans pour les maisons centrales, mais cela ne s'est jamais concrétisé, et c'est à l'ensemble du parc que cette organisation devrait s'appliquer.

Aujourd'hui, les QPR coûtent un argent fou et créent surtout des complications dans l'organisation, car multiplier le nombre de quartiers dans un établissement devient ingérable pour les chefs d'établissement, notamment à cause des tensions que cela engendre entre agents : pour attirer du personnel, on va en effet proposer aux recrues un service où ils seront quatre ou cinq pour gérer autant de détenus, tandis que leur collègue d'à côté en aura cent cinquante… Cela n'a aucun sens, ça coûte de l'argent et c'est inefficace. Il faut donc souhaiter qu'on finisse par entendre ceux qui travaillent sur le terrain, sur les coursives, au lieu d'inventer des réponses faites pour rassurer les Français.

On prend le problème à l'envers. Des places, il en existe : on va fermer la maison centrale de Clairvaux, alors que c'est un établissement isolé, avec des places libres. À côté de ça, tous les projets de constructions nouvelles sont repoussés aux calendes grecques, l'argument immédiat étant, à l'approche des élections municipales, que les maires ne veulent pas de prison chez eux. Je rêverais que, demain, il y ait moins de prisons dans notre pays, cela signifierait que notre société se porte mieux, mais, en attendant, il faut prendre les problèmes à bras-le-corps, au lieu d'accumuler les mesurettes qui ne servent à rien.

Nous demandons, par exemple, à ce que le métier de surveillant soit repensé et adapté à la population pénale d'aujourd'hui. Concrètement, cela veut dire équiper les agents en poste dans les quartiers où sont incarcérés des détenus violents et dangereux de pistolets à impulsion électrique (PIE). Je suis convaincu que cela retiendrait 99 % des détenus de passer à l'acte, parce qu'ils savent ce qu'est un PIE. Autre exemple qui fonctionne : à Condé-sur-Sarthe, les surveillants ont été équipés de caméras-piétons pour faire baisser la tension. Nous demandons également des gazeuses CAP-STUN pour se défendre, lorsqu'il faut maîtriser un détenu – combien de prises d'otages seraient évitées, si les surveillants étaient équipés de CAP-STUN ? Ce sont des propositions simples, qui ne coûtent pas grand-chose et pourraient améliorer la situation, sachant que l'objectif de ces équipements est de dissuader les détenus de commettre des agressions. Encore faut-il accepter d'évoluer.

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Yoan Karar

Compte tenu des dévoiements du système, à la suite des différents plans de lutte antiterroriste et de la mise en place des quartiers dédiés, si, demain, je devais être incarcéré, je me déclare islamiste sur-le-champ, pour bénéficier de l'encellulement individuel, du téléphone et des séances de calinothérapie avec des hamsters !

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On leur fait aussi faire des sports de combat !

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Yoan Karar

Tout ça pour dire à quel point on en est arrivés à des dérives débiles – pardonnez-moi l'expression –, alors que la première des choses à faire serait de réinstaurer de la sécurité dans les établissements et d'apprendre le respect aux détenus. Si un détenu a fauté, c'est qu'il ne comprend pas les principes de notre société, et il faut donc lui en inculquer les bases. Lorsqu'un surveillant ouvre une cellule le matin et qu'en guise de bonjour, il entend : « Va te faire enculer », c'est un problème. Obliger un détenu à prendre sa douche, à travailler ou à se former, en France, malheureusement, ça ne se fait pas.

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Aujourd'hui, ce sont les plus faibles qu'on enferme, et ce sont eux qui se font punir. Ce sont eux qui sont privés de promenade et interdits de parloir pour les protéger des trafics et du caïdat, pour éviter que leurs familles ne servent de mules. Ils seraient pourtant les plus aptes à s'en sortir.

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Est-il normal que tous les détenus – en tout cas, la majorité d'entre eux – aient des portables ?

Est-il vrai qu'on entre délinquant en prison et qu'on en sort islamiste ?

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

Sur ce dernier point, n'allons pas jusqu'à la caricature. Il faut savoir que, pour se protéger, certains jouent le jeu de la radicalisation. Ils jaugent la puissance des clans et s'y rallient pour qu'on les laisse tranquilles, mais ce n'est pas pour cela qu'ils sortiront de prison islamistes. Ceux qui se radicalisent réellement, ce sont les plus faibles, ceux qui n'ont pas de famille et qui n'ont pas les moyens de cantiner ; car c'est aussi en leur fournissant à manger que les islamistes peuvent attirer des détenus.

Quant aux téléphones portables, des systèmes de brouillage était censés être déployés. On en a installé un à la Santé, mais tous les détenus sont passés chez SFR, car ils se sont aperçus que le brouillage ne fonctionnait pas avec cet opérateur… Dans la prison de Lutterbach, qui va sortir de terre, des brouilleurs étaient prévus, mais ils ont été supprimés, sans qu'on sache pourquoi.

Ensuite, le problème est la manière dont ces téléphones entrent en prison. Il y a d'abord, massivement, les projections. Or la seule manière d'éviter les projections c'est d'avoir des agents qui font le tour des établissements, mais la mise en place d'équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) prévue pour assurer le périmètre de sécurité autour des établissements se heurte toujours au manque de personnel.

En second lieu, l'article 57 de la loi de 2009 a interdit les fouilles au corps systématiques ; enfin, ne nous voilons pas la face, le trafic a augmenté chez les personnels, ce qui s'explique non seulement par les nouveaux recrutements mais aussi par le niveau des salaires chez des agents chargés de surveiller des détenus qui, en une journée, gagnent ce qu'eux-mêmes gagnent en trois mois.

En tout état de cause, le fait d'installer des téléphones en cellule n'y changera rien car ce que veulent les détenus, c'est se filmer en cellule ou filmer le surveillant et échanger sur les réseaux sociaux, en bref, un accès à internet.

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Selon vous, quel est le pourcentage de détenus en possession d'un portable ?

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Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Personnels de surveillance

À mon avis, les deux tiers, et ils n'en ont pas qu'un seul : celui qui n'en a qu'un seul, il est mauvais !

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Dominique Gombert, secrétaire général adjoint du Syndicat national pénitentiaire-Force Ouvrière Personnels de surveillance

Dès 1998, l'administration pénitentiaire était confrontée à la radicalisation en prison. J'étais en poste à Fleury-Mérogis où étaient incarcérés plusieurs membres du Groupe islamique armé (GIA) : des rassemblements avaient lieu en cour de promenade avec des appels à la prière, mais l'administration ne s'est pas montrée, à l'époque, suffisamment réactive.

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Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat national pénitentiaire-FO Direction

Je ne saurais trop vous recommander, mesdames et messieurs les députés, de demander une évaluation du dispositif actuel de lutte contre la radicalisation par l'administration pénitentiaire, à la fois chez les détenus et chez les personnels.

On a mis en place un réseau de renseignement et des politiques de prise en charge, qui sont encore jeunes mais qui existent. Tout ceci a donné lieu à une dépense publique importante qu'il convient d'évaluer. Nous vous avons suggéré d'établir la manière dont avait été dépensé l'argent des plans de lutte contre la radicalisation. Pour ma part, je ne pense pas qu'il doive être consacré à acheter des ballons pour divertir les détenus en cour de promenade, et il y a bien d'autres investissements à faire. L'évaluation des politiques publiques de prise en charge de la radicalisation en établissement pénitentiaire est donc, à nos yeux, une priorité.

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Merci à tous pour vos interventions, très pertinentes et très instructives pour nous. Elles s'éloignent du tableau officiel qui nous est souvent dépeint – et qui va sans doute nous être dépeint dans quelques instants…

Nous mesurons enfin la difficulté de votre mission, dont on sait l'importance. Nous connaissons votre dévouement et tenons à vous exprimer toute notre gratitude.

La séance est levée à 16 heures 50.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Isabelle Florennes, Mme Séverine Gipson, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Marine Le Pen, Mme Alexandra Valetta Ardisson