Commission des affaires étrangères

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Table ronde, en visioconférence, sur la crise liée à la pandémie de covid-19 et ses conséquences en Amérique latine, avec M. Olivier Dabène, professeur de science politique à Sciences Po, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) du Centre de recherches internationales (CERI), Mme Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo et M. Damien Larrouqué, chercheur à l'Institut des affaires publiques de l'Université du Chili

La séance est ouverte à 15 heures.

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Nous sommes réunis aujourd'hui pour faire un point sur ce qu'il se passe en Amérique latine. L'Amérique latine est devenue, malheureusement, le nouvel épicentre mondial de l'épidémie avec plus 100 000 morts. Vous nous direz si ces chiffres sont réalistes ou s'il y a des polémiques sur le nombre de morts. Aujourd'hui, le nombre de morts et de contaminations ne cessent d'augmenter.

Évidemment, les grandes questions d'urbanisation, d'insalubrité, de pauvreté, de qualité du système sanitaire rendent la lutte contre la pandémie beaucoup plus ardue. Dans une région où le niveau de protection sociale est souvent faible, de très nombreux travailleurs pauvres appartenant au secteur informel de l'économie sont évidemment contraints de continuer à travailler pour se nourrir et pour nourrir leur famille. Vous nous ferez évidemment un point sur cette question et un état des lieux de la situation sanitaire en Amérique latine.

Cette crise aura aussi, à l'évidence, des conséquences économiques et sociales absolument majeures, d'autant plus que l'épidémie frappe des économies latino-américaines qui étaient déjà très affaiblies. Selon la Banque mondiale, la région pourrait connaître une récession de 7,2 % cette année, soit plus que n'importe quelle autre région du monde, et le Fonds monétaire international (FMI) a prévu, hier, une baisse du PIB de la zone Amérique latine et Caraïbes de 9,4 %. Des millions, voire même des dizaines de millions de personnes, pourraient ainsi basculer dans la pauvreté. Ces perspectives inquiétantes et douloureuses expliquent que plusieurs pays de la région soient tentés par un allégement des mesures de restriction, avant même d'avoir contrôlé l'épidémie, ce qui risque évidemment de les exposer à un rebond épidémique.

Cette crise aura d'importantes répercussions sur un continent où de nombreux pays connaissent des situations économiques, sociales, politiques et démocratiques particulièrement difficiles. Là aussi, vous nous ferez un point sur la situation de ces pays et de ce continent. Et nous regarderons ensemble l'impact possible de cette crise sur la place de l'Amérique latine dans le monde. Est-ce que les relations de l'Amérique latine avec les États-Unis et la Chine sont amenées à évoluer ?

Je veux ajouter quelque chose qui me tient à cœur depuis longtemps. C'est peut-être enfin le moment pour que l'Europe se tourne vers ce continent, où elle est tant attendue. Chaque fois que nous y allons, nous entendons cette attente, mais l'Europe reste si absente.

Je laisse la parole à Deisy Ventura qui fera un état des lieux de la crise sanitaire, avant que Damien Larrouqué n'évoque les conséquences économiques, sociales, politiques et démocratiques de la crise. Et enfin, nous entendrons Olivier Dabène sur les enjeux stratégiques à venir pour le continent.

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

Au cours des trente derniers jours, les cas de covid-19 ont triplé en Amérique latine et dans les Caraïbes, passant de près de 700 000 cas, le 24 mai, à plus de 2 millions aujourd'hui. D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la pandémie ne recule pas, bien au contraire, elle continue de s'accélérer sur le continent.

À mon avis, les inégalités constituent l'élément le plus important dans l'analyse de la réponse latino-américaine à la pandémie, car elles se trouvent avant, durant et après la crise.

D'abord, les inégalités sont à l'origine de la propagation vertigineuse de la maladie, dû à ce que nous appelons les « déterminants sociaux de santé ». Ce sont des facteurs interdépendants dans le domaine social, politique, économique et culturel qui créent les conditions dans lesquelles les personnes naissent, vivent, grandissent, travaillent et vieillissent. La répartition inéquitable de ces déterminants entre les groupes sociaux est à l'origine de la construction et de la reproduction des inégalités sociales de santé, au sein d'un même pays ou entre divers pays. Ils incluent notamment l'éducation, l'emploi, les conditions de travail, le logement, l'environnement, les genres, la race et le racisme, l'expérience migratoire et plusieurs autres facteurs. Or, nous sommes en face du continent le plus inégalitaire au monde, en ce qui concerne la quasi-totalité de ces indicateurs.

Ensuite, les inégalités s'expriment durant la crise. D'après l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS), presque un tiers de la population de la région n'a pas accès aux soins de santé, en général pour des raisons économiques, mais aussi pour d'autres raisons, comme l'éloignement du domicile. En outre, on estime que plus de la moitié de la population latino-américaine est engagée dans le secteur informel, qui se caractérise, bien évidemment, par la vulnérabilité des travailleurs. Les programmes de protection sociale, même s'il faut reconnaître leur existence dans la plupart des pays, sont largement insuffisants et peinent à atteindre leurs vrais destinataires durant la crise. Cette condition impose à des millions de latino-américains le choix entre adhérer au confinement et risquer la faim, ou sortir pour travailler et risquer la maladie et la mort.

Enfin, les inégalités marqueront aussi l'après-pandémie en Amérique latine. Selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, la CEPALC, la crise sanitaire devrait engendrer 11 millions de chômeurs additionnels et plus de 200 millions de pauvres, l'Argentine, le Brésil, le Nicaragua et le Mexique étant probablement les pays les plus touchés.

Il n'est pas aisé de dresser un panorama synthétique des systèmes de santé car l'Amérique latine est une vraie mosaïque, marquée par une frappante hétérogénéité. Je voudrais quand même identifier des grandes lignes et des caractéristiques structurelles de ces systèmes de santé : la segmentation et la fragmentation.

D'abord, une segmentation avérée. Nous avons, dans plusieurs pays, des sous-systèmes de santé avec différents types de financement, d'affiliation et de prestations de service, chacun étant spécialisé sur différentes couches de la population, d'après des paramètres tels que l'insertion professionnelle, les niveaux de rente ou la classe sociale. Cette segmentation consolide et approfondit les inégalités d'accès et d'utilisation du système de santé entre les différents groupes. Coexistent, dans chaque pays, une ou plusieurs entités publiques, assurances sociales et plusieurs assureurs et prestataires privés.

Il y a ensuite la fragmentation des systèmes, la coexistence d'unités et de services, souvent hors réseau. Ce sont des services ou établissements qui ne collaborent pas entre eux, qui s'ignorent, ou même rivalisent avec d'autres fournisseurs de soins. En l'absence d'intégration de ces différents acteurs, la standardisation des prestations, de la qualité et des coûts devient difficile, sinon impossible dans la plupart des pays. Tout cela génère une augmentation des coûts et une allocation inefficace des ressources de ce système.

Dans ce panorama, il faut attirer l'attention sur l'expérience brésilienne, car elle est unique sur le continent. Le Brésil dispose d'un système unique de santé (SUS), qui prévoit l'accès universel aux services de santé publics, perçu comme un droit de citoyenneté inscrit dans la constitution fédérale. Ce système est présent sur tout le territoire national. Il se fonde sur un réseau de soins de santé primaire, comprenant la prévention, et des unités d'urgence, de soins intensifs et d'hospitalisation.

En tant que Brésilienne, j'aimerais être là pour vous présenter un exemple de réussite dans la réponse à la covid-19. Même s'il s'agit d'un pays en voie de développement, marqué par d'immenses inégalités, y compris dans le domaine de la santé, le Brésil dispose, avec sa couverture universelle, d'un avantage important par rapport à certains pays d'Europe et par rapport aux États-Unis. Hélas, on ne peut pas parler de réussite. Le carnage évitable auquel nous faisons face, avec nos 53 000 morts et plus d'un million de personnes contaminées, va bien au-delà de la simple stratégie politique, du déni qui a également caractérisé le Nicaragua et le Mexique au début de la pandémie.

D'abord, il faut souligner les déficits chroniques de financement. La pandémie a frappé un système de santé brésilien affaibli par les politiques d'austérité, en particulier l'amendement constitutionnel qui a fixé un plafond aux dépenses de santé publique à partir de 2017. En 2019, par exemple, ce plafond a fait perdre au système 9 milliards de réaux. Certains des programmes les plus efficaces du système de santé ont été soit éteints, soit affaiblis. À mon avis, les principaux éléments de l'échec brésilien sont liés au démantèlement du ministère de la santé, désormais entièrement militarisé, et à la question de l'organisation fédérale.

Sur l'organisation fédérale, il n'y a aucun doute que la réponse à la pandémie devrait être coordonnée entre le ministère de la santé, les États fédérés et les municipalités, comme le prévoit, d'ailleurs, la loi. Le système unique de santé comporte clairement une gestion articulée entre les entités fédératives, donc les secrétaires régionaux et les secrétaires municipaux de santé. Une nouvelle loi en février 2020 a attribué aux gouvernements locaux la compétence pour l'adoption des mesures visant à diminuer la propagation de la covid-19.

Pourtant, le gouvernement fédéral a déclaré la guerre aux gouverneurs et aux maires, en leur contestant la compétence de prendre des décisions pour faire face à la crise sanitaire. La cour suprême fédérale a reconnu la compétence concurrente des trois niveaux de la fédération, dans une décision du 15 avril 2020 sur la compétence des gouverneurs et des maires pour prendre des mesures de lutte contre l'épidémie. Il s'agit en réalité d'une confrontation politique, qui a pour raison principale raison les éventuelles conséquences économiques, voir électorales, des mesures de confinement. La tension politique au Brésil est maximale et, malheureusement, les gouverneurs semblent céder à certaines pressions.

Au cours des dernières décennies, on a assisté à une croissance de la judiciarisation de la santé au Brésil, phénomène qui s'accentue de façon inquiétante pendant la pandémie. À la mi-juin, plus de 3 000 cas liés à la covid-19 ont été portés devant la seule cour suprême. Nous comptons des dizaines de milliers de cas devant les juridictions locales. Parmi les décisions majeures, nous pouvons relever celles relatives à la gestion de l'information, qui sont enclines à protéger la démocratie et les droits humains. Par exemple, les communications du gouvernement fédéral allant à l'encontre des mesures de confinement décidées au niveau local ont été interdites par le pouvoir judiciaire à plusieurs reprises. En revanche, on retrouve aussi des décisions qui ont permis de déroger aux salaires des travailleurs pendant la pandémie. Sur le plan local, les pouvoirs judiciaires se sont transformés en champs de bataille entre les groupes qui soutiennent les mesures de confinement et ceux qui les attaquent. Il est encore tôt pour affirmer dans quelle direction la judiciarisation de la pandémie se dirige, si cela conduira à une jurisprudence plus ou moins productive en termes de droits et de libertés, ou le contraire.

Revenons à l'ensemble de l'Amérique latine. En l'absence de traitement efficace ou de la disponibilité d'un vaccin, le continent connaîtra fort probablement des flambées récurrentes de la maladie, entrecoupées de périodes de transmission limitée, au cours des deux prochaines années. Les plus susceptibles de tomber malades et les moins susceptibles de recevoir de soins sont les peuples indigènes qui subissent un vrai génocide – j'ai bien pesé le mot –, les noirs, qui sont toujours les cibles d'un racisme culturel et structurel, les populations migrantes et les plus pauvres.

Un dernier mot sur la coopération entre les pays de la région. Il faut reconnaître que l'OPS, qui abrite aussi les bureaux régionaux de l'OMS, joue un rôle majeur. Elle constitue le seul et unique mécanisme de coordination régionale disponible pour la réponse à la crise. Les vrais mécanismes d'intégration régionale sont pratiquement éteints, comme c'est le cas de l'Union des nations sud-américaine (UNASUR), qui était pourtant arrivée à créer un institut sud-américain de gouvernement en santé, qui a fermé ses portes l'année dernière, ou sont très faibles, comme c'est le cas du Mercosur. Le manque de leadership du Brésil est déconcertant.

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Damien Larrouqué, chercheur à l'Institut des affaires publiques de l'Université du Chili

Je veux revenir sur les réponses des gouvernements de la région à la crise, en soutenant l'idée selon laquelle ils ont été, le Chili en est l'illustration, dans une posture de réaction plus que d'anticipation. Et dans un second temps, je veux me faire l'écho d'économistes qui nous annoncent que la crise de la covid-19 va avoir des conséquences aussi graves que celles du krach boursier de la crise de 1929. Je ne suis pas économiste mais politiste : néanmoins, je veux mettre en évidence les similitudes entre les deux situations afin de montrer quelles pourraient être, à moyen et long terme, les répercussions politiques et institutionnelles de cette crise de covid-19. En conclusion, je reviendrai aussi sur quelques limites structurelles dans la gestion de crise sur le continent, déjà pointées par Deisy Ventura.

En premier lieu, sur les réponses des gouvernements. Comme le disait Deisy Ventura tout à l'heure en parlant d'hétérogénéité, il est difficile de penser l'Amérique latine au singulier. On dit souvent qu'il faut penser l'Amérique latine au pluriel. Il est donc difficile de faire des généralités, mais je vais essayer de dresser un panorama général. Je conserverai en tête quatre idées principales.

La première idée, comme je l'ai évoqué, c'est que la posture des gouvernements était plutôt réactive que proactive. À leur décharge, les premiers cas ont été diagnostiqués dans la région entre la fin du mois de février et le début du mois de mars, soit une dizaine de jours avant que l'OMS déclare la pandémie mondiale. C'est d'ailleurs à partir du moment où l'épidémie de covid-19 s'est répandue en Amérique latine qu'elle a été déclarée pandémie mondiale. En quoi a consisté la réaction des gouvernements ? Je la qualifierais de régalienne, car elle s'est traduite par une fermeture brutale des frontières terrestres, aériennes, maritimes. Cela a été le cas du Chili autour du 15 et du 16 mars.

La seconde idée que je défends, c'est qu'il y a eu, ce que l'on pourrait appeler en sciences politiques, une logique d'isomorphisme institutionnel, c'est-à-dire une copie de ce qui s'est fait ailleurs. Vous parliez, madame la présidente, de la place de l'Europe dans cette crise. Je remarque que c'est à partir des premières mesures en Italie, en Espagne, mais aussi en France après le discours du Président Macron, aux alentours du 16 et 17 mars, que les gouvernements de la région ont pris, de manière quasiment simultanée, la mesure de la gravité de la situation, fait les premières annonces et décidé les premières mesures de confinement.

Troisième point : qu'en est-il de cette tension, que l'on voit aussi ailleurs, entre la protection de la santé de la population et la relance d'une activité économique qui a été complètement paralysée ? Tendanciellement, c'est la seconde option qui tend à l'emporter. Ce n'est pas encore le cas ici au Chili, mais on le voit ailleurs dans d'autres pays de la région, étant entendu que nous sommes en plus en calendrier inversé et que la situation, si elle est aussi grave aussi, c'est parce que nous sommes bientôt au cœur de l'hiver.

Quatrième point : il est possible aussi d'interroger l'usage politique qui est fait de la crise de covid-19. Cela fait écho à ce que j'ai dit sur la réaction régalienne de l'autorité de l'État. Nous pouvons voir que les mesures de confinement ont été prises de manière opportune pour faire taire un certain nombre de mouvements sociaux ou de protestations. Et là, il y a des exemples qui peuvent être soulignés au Nicaragua, au Venezuela, en Colombie et bien sûr, ici, au Chili qui a vécu son annus horribilis après la crise d'octobre 2019.

Alors, pour revenir à cette comparaison entre la situation de 1929 et la crise actuelle, la CEPALC, qui est une agence des Nations unies qui siège à Santiago, a annoncé à partir de la fin mars-début avril que les conséquences de la crise actuelle seraient aussi catastrophiques que la crise de 1929. Le krach boursier a eu des conséquences économiques graves aux États-Unis, en Europe, mais aussi en Amérique latine. En effet, l'interruption des circuits financiers a révélé les fragilités consubstantielles des pouvoirs publics, des institutions publiques de l'époque. On pourrait évoquer trois fragilités qui ont été mises en exergue par le krach de 1929. En premier lieu, la précarité de la capacité de coercition physique et donc fiscale. En deuxième lieu, une institutionnalisation bancale ou fragile, c'est-à-dire que l'État à l'époque n'avait pas les moyens de ses ambitions. Le tout associé à une économie de biens primaires, foncièrement dépendante de l'Occident. C'est donc un cocktail assez dangereux.

Essayons de l'actualiser. En termes de coercition physique, c'est-à-dire la capacité à assurer l'ordre social, on voit que l'État est contesté dans un certain nombre de territoires par des groupes mafieux, par des narcotrafiquants. Un exemple pendant la crise de covid‑19 : nous avons tous vu ces images de narcotrafiquants mexicains qui ont utilisé la crise pour faire œuvre de propagande en pointant les défaillances des États, en palliant ses dysfonctionnements, en venant en aide aux populations confinées ou démunies. Car, comme vous l'avez rappelé, dès lors que les gens ne travaillent pas, surtout avec un secteur informel aussi important, ils ne peuvent plus se nourrir. Sur le plan fiscal, le système reste profondément régressif, c'est-à-dire que le budget de l'État est supporté massivement par la TVA, à savoir par les classes populaires.

Deuxièmement, au niveau de l'architecture institutionnelle et de l'organisation des pouvoirs publics, on peut dire que la situation s'est dégradée au cours des trente dernières années. J'entends par-là que l'État était plus solide qu'il ne l'est aujourd'hui. C'est d'autant plus vrai que les institutions publiques en Amérique latine ont été soumises à une néolibéralisation échevelée dans les années 1990, et un certain nombre de secteurs sont désormais confiés au marché. C'est le cas, comme le disait Deisy Ventura, du secteur de la santé, avec cette fragmentation et cette privatisation. Bien sûr, c'est le cas au Chili.

Enfin, dernier point, sur la question économique, nous constatons depuis une quinzaine d'années une re-primarisation des économies latino-américaines. Les partenaires commerciaux ont changé : à l'époque c'était l'Europe, les États-Unis, désormais c'est l'Asie et au premier chef la Chine. Un proverbe dit que : « Quand la Chine tousse, l'Amérique latine s'enrhume. » Nous vivons vraiment le cas paroxystique.

Donc, qu'en est-il des conséquences de cette crise ? La crise de 1929 a transformé durablement la matrice institutionnelle de la région. À partir des années 1940, on est passé dans un nouveau mode de développement stato-centré avec un État très interventionniste dans de multiples secteurs, dont la santé. Aujourd'hui, il y a à nouveau une vraie rupture. On peut penser que cette crise de la covid-19 va donner lieu à un processus de renégociation similaire, c'est-à-dire un changement de paradigme institutionnel et, pour le dire vite, il est possible que la covid-19 soit la fossoyeuse de l'État néolibéral tel qu'il s'est mis en place au cours des vingt dernières années.

Pour terminer, en conclusion, trois fragilités structurelles de l'Amérique latine que cette crise met en évidence. D'abord, la question de la regressivité fiscale, encore une fois, avec ce paradoxe qui est que l'Amérique latine est un continent riche, mais avec des États volontairement appauvris, paupérisés et une société profondément inégalitaire. Le second point, c'est la question, bien sûr, de l'accès à la santé avec cette fragmentation, cette segmentation, ces dysfonctionnements aussi, qu'évoquait Deisy Ventura. Et enfin, nous l'oublions souvent, mais cela a été particulièrement important ici au Chili : la question de l'accès à l'eau, notamment pour les gestes barrières. La région est soumise aux conséquences du changement climatique d'une manière très importante. Il y a une recrudescence des sécheresses et nous constatons de plus en plus des périodes de stress hydrique. Jusqu'à ce qu'il se remette à pleuvoir, ici, à Santiago, il y a à peu près une quinzaine de jours, 400 000 Chiliens ne pouvaient pas ne serait-ce que se laver les mains, car ils n'avaient pas accès à l'eau au robinet. Pour conclure, oui la situation est grave, elle est sérieuse, mais elle pourrait permettre aussi d'entrevoir des changements profonds et que nous espérons positifs.

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Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI

Pour compléter les propos déjà détaillés et précis de mes collègues, je dirais que cette crise, vous l'avez souligné vous-même madame la présidente, est une crise qui est très politique. Bien sûr, nous pouvons évoquer la dimension sanitaire, la dimension humaine, parce que cette crise va évidemment se traduire par des conséquences sociales qui vont faire reculer l'Amérique latine de dix ou quinze ans en arrière. La problématique des inégalités, comme l'a souligné Deisy Ventura, est évidemment au centre de cette crise, mais de mon côté, je voudrais souligner les dimensions plus politiques, parce qu'il y a quand même une très grande variété à l'intérieur de l'Amérique latine. Il y a des différences énormes entre les pays qui sont les plus affectés, et ceux qui le sont beaucoup moins.

D'ailleurs, nous parlons de l'Amérique latine comme étant l'épicentre de la crise sanitaire mondiale aujourd'hui, mais il faut garder à l'esprit que, si on regarde le compteur du nombre de morts par million d'habitants, les pays les plus affectés en Amérique latine, le Pérou et le Brésil affichent des indicateurs qui sont autour de 250 ou 300. Nous sommes quand même à la moitié de ce que nous avons connu en Europe, voir même à un tiers de ce qu'a connu la seule Belgique, qui détient ce funeste record mondial du nombre de morts par million d'habitants. Donc n'exagérons pas, même si la crise n'est pas du tout terminée en Amérique latine et qu'il est probable que certains pays d'Amérique latine rattrapent, d'une certaine façon, l'Europe.

Mais il y a quand même une différence énorme entre d'un côté le Brésil, le Pérou, l'Équateur, le Chili, qui sont les pays les plus affectés, par million d'habitants, et à l'autre extrême des pays qui sont très peu affectés comme l'Uruguay, peut-être le Costa Rica. On a tout de suite envie de dire : « Ce sont les pays les plus démocratiques de la région, donc ils ont aussi des systèmes de santé qui sont plus solides. » Mais pour d'autres pays, ces explications ne fonctionnent pas, comme avec le Venezuela et Cuba.

On ne peut que constater l'existence de beaucoup d'anomalies dans cette crise, si l'on recherche des facteurs explicatifs robustes et si l'on est tenté de regarder du côté des indicateurs socio-économiques ou politiques. Par exemple, une des façons d'établir des différences dans les performances des pays en matière de résistance à la crise, c'est de regarder ce que l'on appelle, en sciences politiques, l'indice d'efficacité gouvernementale, en empruntant d'ailleurs des données qui sont produites par la Banque mondiale. C'est-à-dire, est-ce que les pays sont en mesure de mettre en œuvre des politiques grâce à un appareillage administratif ?

Le Pérou est un cas emblématique de ce paradoxe et de la difficulté à trouver des facteurs explicatifs. Voilà un pays qui pendant les vingt dernières années a connu une trajectoire de croissance économique impressionnante, ce qui lui a permis de se constituer des réserves souveraines. Le pays est aujourd'hui en mesure d'utiliser ces réserves pour combattre le virus et ses effets. Et par ailleurs, c'est un pays qui a suivi à la lettre les recommandations de l'OMS, c'est-à-dire la quarantaine, le confinement généralisé, très tôt dans la crise, je crois après neuf morts. Malgré les réserves qui permettent de financer la relance et malgré ce bon suivi des recommandations de l'OMS, c'est aujourd'hui une catastrophe.

On a tendance à se dire qu'il y a de telles inégalités dans le pays qu'il est très difficile de mettre en œuvre une politique de contrôle quand les gens ne peuvent pas rester confinés, pour les raisons que Deisy Ventura évoquait tout à l'heure. Mais il y a d'autres critères. Si nous prenons le Chili, c'est de très loin le pays qui a la plus haute efficacité gouvernementale selon de nombreux indicateurs qui mesurent l'efficacité des États. Le Chili est loin devant, et pourtant c'est un des pays qui est aujourd'hui le plus frappé. Donc il faut admettre une certaine difficulté aujourd'hui dans la recherche, mais la recherche est en cours.

Le réflexe premier consiste à penser, en substance, que c'est simple, que ce sont des pays qui ont copié la recette qui était appliquée en Europe quelques semaines avant, mais qu'ils sont incapables de la mettre en œuvre car les États sont faibles et n'ont pas les capacités. Mais il y a trop d'exceptions. Et je me suis amusé à faire une courbe, hier, qui croise le nombre de morts et l'efficacité gouvernementale, et c'est une corrélation qui est faible, et surtout c'est une corrélation qui est positive. Alors là, nous ne comprenons plus rien. C'est-à-dire : plus il y a d'efficacité gouvernementale en Amérique latine, plus il y a de morts.

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Cela veut dire qu'il peut y avoir une différence sur le comptage des morts, dans ce cas-là ?

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Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI

Nous n'allons pas soupçonner le Chili de manipuler ses statistiques, comme pourrait peut-être le faire le Venezuela, par exemple, ou le Nicaragua. Il y a trop d'anomalies en ce moment. C'est une situation d'une extrême complexité et il faut rester modeste, parce qu'aucun chercheur n'a trouvé l'explication. En tout cas, ce n'est pas celle qui vient immédiatement à l'esprit concernant la capacité à gouverner, l'efficacité gouvernementale. Encore une fois, la corrélation est positive : plus les pays sont efficaces, plus il y a de morts. Cela ne va pas du tout. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, car la recherche est en cours. Nous sommes en train d'utiliser toute une batterie d'indicateurs pour essayer de trouver celui qui nous permettra de comprendre ces disparités entre les pays.

Ce qui est peut-être plus facile à évoquer, c'est l'impact qu'a déjà cette crise. Parce que nous pouvons déjà mesurer et observer des choses qui sont tout à fait intéressantes, concernant, par exemple, la démocratie. Partout dans le monde, quand une crise fait rester les gens chez eux, qu'ils ne peuvent plus s'exprimer, qu'ils ne votent plus, il y a des élections qui sont reportées, ils ne peuvent plus descendre dans la rue pour exprimer des idées, il y a des libertés publiques qui sont suspendues, il y a concentration du pouvoir entre les mains du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif et judiciaire, etc.

Aujourd'hui, beaucoup de travaux portent sur la régression démocratique comme conséquence de la gestion de la crise, de la gestion de l'urgence, qui rappelle des choses que l'on connaît, c'est-à-dire que toute situation d'urgence est favorable à l'exécutif. Parce que l'exécutif prend des décisions rapides et qu'il n'y a pas le temps d'organiser de la concertation, comme vous êtes en train de le faire, au sein du pouvoir législatif. L'exécutif n'a pas le temps d'organiser des délibérations citoyennes. Et cela affecte obligatoirement plusieurs dimensions de la démocratie.

Cela dit, il faut aussi rappeler que cette crise intervient en Amérique latine dans un contexte où il y avait déjà, de longue date, certaines régressions démocratiques et un certain désenchantement vis-à-vis de la démocratie représentative.

Aujourd'hui, de nombreuses études commencent à relativiser cette idée d'une régression démocratique au cours de cette crise, parce qu'on voit le pouvoir législatif exercer ses fonctions de surveillance. Comme l'a souligné Deisy Ventura, le cas du Brésil est particulier, mais les cours de justice interviennent beaucoup. On a vu la justice, en Argentine, par exemple, décider de libérer des prisonniers. Finalement, en suivant ce genre d'études, je relativiserais. On a vu, dans presque tous les pays, des cours suprêmes, des cours fédérales qui prenaient le temps d'essayer de contrôler certaines décisions prises dans l'urgence. Cela n'a pas été partout le cas : la plus haute instance judiciaire et le Parlement du Pérou ont ainsi délégué tous les pouvoirs à l'exécutif pendant quarante-cinq jours. Là, évidemment, on est dans une situation exceptionnelle. Mais, je dirais que pour l'instant, cela pourrait être bien pire. Ce qu'il faudra observer, à l'avenir, c'est effectivement si ces privations de liberté et de l'exercice de la citoyenneté se prolongent outre mesure.

Nous avons rappelé que l'Amérique latine a été surprise par cette crise en pleine mobilisation sociale : on se rappelle du « printemps latino-américain ». Toutes ces mobilisations ont été gelées, suspendues, les gens ne manifestent plus dans la rue, les réformes qui devaient être apportées dans les différents pays pour satisfaire les demandes des gens qui étaient dans la rue ont aussi été suspendues, mais cela va revenir en force. Avec d'autant plus de force que, comme l'a très justement souligné Deisy Ventura, cette crise va provoquer une hausse brutale de la pauvreté et des inégalités. Les citoyens auront donc d'autant plus de raisons de revenir dans la rue que les demandes qu'ils ont exprimées l'année dernière n'ont pas été satisfaites et que de nombreuses demandes supplémentaires vont apparaître.

Il sera vraiment intéressant de regarder dans quelle mesure les gouvernements vont saisir le prétexte de la crise sanitaire pour continuer à étouffer l'expression citoyenne dans la rue. Si c'est le cas, on pourra effectivement parler d'une régression de la démocratie, et il y a fort à parier que, dans certains pays, cela se passera plutôt mal. Il n'est pas difficile de l'imaginer parce que cela se passait déjà mal avant : on ne voit pas en quoi cela se passerait mieux après coup, étant donné que les revendications vont s'accumuler. Je pense qu'il ne faut pas non plus exagérer la portée du scénario le plus cauchemardesque selon lequel des gouvernements pourraient tirer prétexte de la crise pour durcir le régime et organiser ces régressions démocratiques. Il se peut très bien que les choses s'arrangent d'ici la fin de l'année.

Il y aura aussi un indicateur qu'il faudra observer, c'est la façon dont les pays vont déplacer leurs calendriers électoraux. De nombreuses élections ont été déplacées. Les municipales d'octobre au Brésil ont été déplacées en novembre. Il y a des élections qui devaient avoir lieu en Bolivie, qui ont été déplacées. Il faudra voir comment se déroulent les campagnes électorales dans les prochains mois, parce que cela va aussi nous donner des indications sur l'ampleur de cette éventuelle régression démocratique, c'est-à-dire la question de savoir si les gouvernements en place vont, encore une fois, saisir le prétexte de la crise sanitaire pour étouffer l'opposition, pour truquer les élections. On l'a tellement vu en Amérique latine que l'on sait comment cela peut se passer.

Le cas que j'ai à l'esprit est celui de la Bolivie. Peut-être aura-t-il valeur de test en 2020. Il y a eu la destitution d'Evo Morales, l'installation d'une présidence par intérim qui devait se limiter à organiser de nouvelles élections et désormais une présidente qui va bien au-delà, un peu comme cela avait été le cas, d'ailleurs, au Brésil. C'est-à-dire qu'elle conduit un agenda politique qui consiste à affaiblir le parti d'Evo Morales et à persécuter ses militants. Grâce au coronavirus, elle a pu allonger cette période jusqu'au mois de septembre, période pendant laquelle elle est en campagne et réprime le parti d'Evo Morales. Il y a de nombreuses atteintes à la démocratie et il va falloir voir quelle est l'issue de ce processus jusqu'à l'élection, pour en tirer les conclusions.

Pour résumer, je crois qu'aujourd'hui la dimension politique est extrêmement importante, notamment pour expliquer pourquoi on a des différences si grandes entre les pays. Par exemple, c'est fascinant de comparer le Mexique, le Brésil et l'Argentine, trois grands pays fédéraux, avec des présidents qui sont dans des situations politiques très différentes et qui ont des capacités différentes à imposer des mesures impopulaires. À la différence du Président argentin, les Présidents du Mexique et du Brésil n'ont pas de soutien partisan très important dans les assemblées. C'est fascinant de comparer les pays entre eux et d'essayer de comprendre, en regardant les capacités à gouverner, les raisons de ces grandes différences, en dehors, évidemment, d'autres facteurs, concernant le système de santé.

Pour l'instant, mon diagnostic général est que, finalement, l'Amérique latine, de ce point de vue-là, ne s'en sort pas si mal que cela. Cela aurait pu être pire si nous regardons en arrière. Il faut voir si cette crise va être ce qu'on appelle dans notre jargon une « conjoncture critique », c'est-à-dire un élément qui déclenche des ajustements institutionnels durables avec des possibles changements de paradigme. Là, je rejoins Damien Larrouqué, je pense que cette crise peut, d'une certaine façon, dans des pays qui ont été à la pointe du néolibéralisme, comme le Chili, mais aussi comme le Pérou et d'autres, être l'occasion de réviser les paradigmes dominants. Et de comprendre que certains domaines, comme la santé publique, relèvent de biens communs et ne doivent pas faire l'objet d'une approche mercantile.

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Vous reviendrez peut-être vers nous quand vous aurez fini votre étude sur les raisons qui expliquent que certains pays ont été davantage frappés que d'autres. C'est très intéressant de voir à quel point cela doit rendre modeste. Parce qu'au fond, vous n'avez pas encore trouvé de lien avec le niveau d'efficacité gouvernementale. Comme quoi, il y a peut-être une part de hasard dans cette pandémie et la façon dont certains pays la traversent.

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Vous n'avez pas évoqué les États-Unis, donc je souhaiterais en savoir un peu plus sur l'influence de la réponse à l'épidémie des États-Unis sur l'Amérique du sud.

Vous avez évoqué les inégalités. J'aimerais savoir quel impact a cette crise sur les jeunes filles et sur les femmes, qui sont particulièrement touchées, car elles sont à la fois très présentes dans les services publics et très sujettes aux violences, à la fois domestiques, sexistes et sexuelles. Par quel moyen aujourd'hui peut-on poursuivre l'émancipation de ces populations vulnérables ?

Pendant la crise, on a connu un événement à Genève avec le départ du Brésilien Roberto Azevêdo de la direction générale de l'Organisation mondiale du commerce. Comment ce départ a-t-il été perçu au Brésil ?

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Est-ce qu'il y a des coopérations envisagées entre pays d'Amérique du Sud pour faire face à cette pandémie de covid-19 ? Quelles sont les attentes communes qui peuvent exister entre les différents pays pour essayer de résoudre ce problème terrible ?

Est-ce qu'il y a des liens aussi avec les deux seules puissances européennes, la France et les Pays-Bas, qui sont, à ma connaissance, présentes en Amériques du Sud, actuellement dans le cadre de petits morceaux de territoire ?

Troisième question : est-ce qu'il y a eu des débats concernant les réserves stratégiques de masques, de gel, d'appareils respiratoires tels qu'on a pu les connaître en France ? Parce que vous avez vu que cela avait fait énormément « causer » en France et qu'on se rend compte aujourd'hui que les pouvoirs publics ont failli dans ce domaine. Je voulais savoir s'il y avait eu des discussions, des polémiques, des problèmes liés à ces questions.

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Au-delà de la crise sanitaire, je voudrais poser une question sur le dernier point abordé dans votre introduction, madame la présidente, relative à l'attente d'Europe.

L'Europe et les pays qui la constituent sont aujourd'hui excessivement absents en Amérique latine. Autant nous sommes régulièrement sensibilisés aux relations internationales lorsqu'il s'agit des États-Unis d'Amérique, de la Chine, de la Russie, de l'Inde, du Moyen-Orient ou du Japon, autant nous n'avons pas d'idée précise, et c'est là une constance historique, sur l'Amérique latine, sauf pour certains pays comme le Brésil ou ponctuellement le Mexique, le Venezuela, plus bas, voire le Chili. Pourtant, c'est une vingtaine de pays comptant plus de 600 millions d'habitants parmi lesquels des populations d'origine européenne, portugaise, espagnole, italienne et dans une moindre mesure française.

Bien entendu, des échanges commerciaux existent, avec la France et l'Europe. Mais c'est peu de dire que les relations bilatérales sont assez peu visibles et lisibles, quand elles ne sont pas que protocolaires. Relations politiques, stratégiques, culturelles, universitaires, relations entre les populations, on pourrait imaginer une nouvelle dynamique parce que, lorsqu'on procède à un état des lieux, on s'aperçoit que les choses ne sont pas à la hauteur.

Comment expliquez-vous cette réalité, et surtout comment faire en sorte pour notre pays et l'Europe soient plus présents, plus entreprenants, plus réellement déterminés à engager un partenariat plus actif et plus proche sur un certain nombre d'enjeux en commun ? C'est d'autant plus envisageable, me semble-t-il, que la population française a toujours eu un a priori favorable, bienveillant et sympathique à l'égard des populations d'Amérique latine. La France serait sûrement intéressée par des relations plus étroites et plus suivies avec nombre de pays qui, aujourd'hui, nous apparaissent trop lointains et pas simplement sur le plan géographique. Dans quels domaines et avec quels pays y aurait-il lieu de votre point de vue de développer des liens plus directs, plus concrets et plus durables ?

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Est-ce qu'il vous est possible de préciser la place et le rôle qu'a tenu l'OMS en Amérique latine en général, et en particulier dans la gestion de la crise sanitaire lié à la covid-19 ?

Par ailleurs, dans un contexte très compliqué de prise de distance des États-Unis, de la crise du multilatéralisme, la Chine accentue-t-elle son influence dans les pays d'Amérique latine ?

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Ma question porte sur les traités de libre-échange. La signature d'un accord de libre-échange entre le Mercosur et l'Union européenne est intervenue en juin 2019. En avril 2018, le Mexique avait également signé un accord de principe avec l'Union européenne. Aujourd'hui, la Commission européenne ne veut plus se limiter à des accords purement économiques, mais veut esquisser une politique commerciale équilibrée et novatrice, notamment au travers de la prise en compte du pacte vert européen dans les échanges commerciaux. La crise de la covid-19 nous a notamment montré que la recherche scientifique et la solidarité sanitaire étaient des enjeux mondiaux et communs. Dans quelle mesure ces traités de libre-échange, qui incluraient la coopération dans le domaine de la santé, auraient pu aider l'Amérique latine dans sa gestion de la crise actuelle ? Une solidarité internationale aurait-elle été suffisante pour soutenir ce continent malgré les faiblesses qui ont vu le jour avant la crise et pendant la crise sanitaire ?

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Je souhaite parler d'un grand pays footballistique, deux fois champion du monde de football. Certains penseront à l'Uruguay, champion du monde en 1931 et en 1950, mais je souhaite parler de l'Argentine, qui a été championne en 1978 et 1986, de mémoire. On sait que l'Argentine a, depuis de nombreuses années, des problèmes de financement avec des problèmes de dette et de défauts de paiement. Je voudrais savoir comment l'Argentine traverse la période et quels sont les risques financiers.

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Pourriez-vous nous en dire plus sur les personnels de santé dans cette mosaïque de pays très différents que constitue l'Amérique latine ? Comment est-ce que les personnels de santé qui, traditionnellement, sont souvent des femmes, ont-ils été protégés ? Comment sont-ils rémunérés et soutenus par les politiques publiques, y compris dans les communautés indigènes ? Est-ce que vous pensez que le forum Génération Egalité, qui a été repoussé et dont le Mexique est co-organisateur, peut avoir une influence favorable sur les questions de genre égalité femmes-hommes en Amérique latine ?

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La crise de la covid s'est diffusée, et nous l'avons toutes et tous subi, dans le monde. Mais certaines populations l'ont subi encore plus fortement ; elles ont été victimes d'un deuxième virus qui est un virus social. Je veux parler des violences domestiques. Je veux parler de la condition des femmes pendant la crise, notamment en Amérique du Sud.

Comme l'a dit le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, le monde a connu une horrible flambée de violences domestiques pendant la crise. De nombreuses femmes et jeunes filles se sont retrouvées exposées à cette violence. De nombreux responsables se sont émus de cette situation. Les premières aides d'urgence ont été mises en place dans les pharmacies ou dans les magasins de proximité. Mais cela n'est pas suffisant, il faut continuer à réfléchir à de nouvelles aides. Alors pour y parvenir, pourriez-vous nous aider dans le diagnostic de la situation ? Disposez-vous de données actualisées sur le nombre de violences domestiques depuis le début de la crise ? Observe-t-on des différences entre les différents pays d'Amérique latine ? Quelles sont les protections les plus efficaces et dont nous pourrions soutenir une mise en œuvre massive ?

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

Comme l'a dit Olivier Dabène, nous n'avons pas de données globales et fiables sur tous les domaines qui ont été évoqués dans vos questions. Nous allons essayer de donner, soit certaines intuitions, soit des données partielles. Mais je ne serai pas capable de donner les données sur la violence domestique par exemple. Je pourrais les avoir pour le Brésil, mais pas dans le cadre général de l'Amérique latine.

La question qu'a posée Marion Lenne sur les États-Unis est très intéressante. L'avenir de la réponse latino-américaine à la covid-19 dépend des élections dans plusieurs pays, mais dépend également des élections aux États-Unis. Le destin du Brésil, surtout, est lié au résultat des élections américaines. On perçoit malheureusement un mimétisme dans le comportement du Président Bolsonaro par rapport au Président Trump. Je crois même que le Président Trump normalise le comportement de Bolsonaro aux yeux de la communauté internationale. Nous sommes très liés à ce qu'il va se passer aux États-Unis. Même si la décadence de la politique étrangère nord-américaine n'est pas une nouveauté, c'est vraiment très frappant de vivre cette pandémie sans le leadership des États-Unis et sans le leadership du Brésil. Ce n'est pas ordinaire, pour nous c'est vraiment quelque chose de nouveau.

Par rapport à la question de Pierre Cordier sur les coopérations entre les pays d'Amérique latine, l'OPS est très active. On a eu quelques initiatives annexes : par exemple, nous avons eu une réunion des ministres de la santé du Mercosur. Mais ce sont des initiatives très faibles, justement parce que les leaders ne sont pas aux avant-postes.

Il est intéressant de comparer la réponse au Brésil et en Argentine. Le Brésil dispose d'un système de santé d'excellence. On pensait avoir un budget affaibli, mais les autorités ont su trouver des milliards de réaux pour sauver les entreprises et les banques. La façon d'employer ces ressources peut être remise en question. En d'autres termes, on avait les moyens de mettre en œuvre une réponse excellente mais finalement, c'est la catastrophe. De l'autre côté, on a l'Argentine, qui n'a pas ce système de couverture universelle comme au Brésil, et qui a un Président, Alberto Fernández, qui est arrivé au pouvoir dans un pays très polarisé et qui vit une crise économique majeure. Après des élections très disputées, je dirais que la polarisation en Argentine est comparable à la polarisation politique que nous avons au Brésil. Malgré cela, on a eu un Président argentin capable de construire un consensus. J'ai été très impressionnée par les conférences de presse de l'État argentin. Je dis « l'État argentin » car il y avait, lors de ces conférences de presse, le Président de la République du parti péroniste, le gouverneur de la province de Buenos Aires, qui est un indépendant, et le maire de Buenos Aires, qui est macriste, c'est-à-dire de droite. Des forces politiques différentes ont été capables d'arriver à un consensus et ont considéré que la réponse à la covid-19 était un problème de l'État, et non un problème d'un parti politique ou d'un gouvernement en particulier. L'Argentine est un exemple de réussite dans la réponse latino-américaine à la covid-19. C'est une surprise qui nous invite à la réflexion.

Les réponses faciles n'ont pas leur place pour analyser l'impact de la covid-19 en Amérique latine. C'est beaucoup plus compliqué que ce que l'on pourrait penser. À mes yeux, le plus important était d'avoir un système public, une couverture universelle. Nous constatons que la dimension politique vient avant. Comme je l'ai dit, je suis très impressionnée par l'Argentine, toujours plongée dans une crise économique très grave, mais qui a quand même montré des chiffres dont elle peut être fière dans cette pandémie.

Par rapport aux questions qui ont été posées sur les masques et les tests, je recommande le dernier rapport de l'OPS, qui couvre toutes les actions de l'Organisation entre le 17 janvier et le 31 mai 2020. Ce rapport s'intitule Réponse de l'Organisation panaméricaine de la santé à la covid. Vous seriez surpris de voir tout ce qu'a fait l'OPS. Lorsqu'on a un regard critique sur l'OMS et l'OPS, en général, il y a une intention politique de critiquer le multilatéralisme. Parce que dans cette région, il faut reconnaître le rôle majeur que cette organisation a joué. Pas sur un plan subjectif, c'est une question objective. Même les achats de masques et de tests se sont faits par le biais de l'OPS parce qu'individuellement les États n'avaient pas la capacité d'acheter ces produits. C'est une action décisive, il faut le reconnaître. Je sais que c'est différent selon les régions, mais chez nous, c'est vraiment très important.

Les chiffres sont sous-évalués partout en Amérique latine, partout dans le monde peut-être. Mais la faiblesse des politiques de dépistage nous mène à croire que, dans certains pays, le nombre de cas est peut-être cinq ou six fois supérieur aux données officielles, voire dix ou douze fois au Brésil. Bien sûr, il peut y avoir une intention de fausser les chiffres de la part de certains pays. Et même s'ils n'ont pas cette intention, la sous-évaluation est une réalité. C'est pour cela que je ne suis pas aussi optimiste qu'Olivier Dabène. Je suis aussi peut-être marquée par le fait que je suis Brésilienne et que je travaille beaucoup sur l'expérience de mon pays. Je suis vraiment très inquiète car nous n'avons même pas atteint le pic de l'épidémie. Nous ne sommes pas arrivés au moment le plus inquiétant. C'est déjà un carnage que l'on aurait pu éviter.

En Amérique latine en général et au Brésil en particulier, la question de la violence faite aux femmes est présente et en croissance. Nous avons aussi la question du travail domestique, qui frappe surtout les femmes dans nos pays. Elles sont doublement victimes de cette pandémie. Même la charge des soins repose essentiellement sur les femmes, donc on va dire qu'elles sont triplement touchées par la pandémie. Il va falloir élaborer des politiques publiques ciblées sur les femmes. L'après-pandémie sera une catastrophe pour les femmes en Amérique latine.

Je voudrais dire que nous vivons un moment de crise de la politique étrangère brésilienne dans son ensemble. Le Brésil a toujours eu une position très constructive vis-à-vis des organisations internationales. Le Brésil est même à l'origine de la création de l'OMS. Nous avons eu un Président brésilien de l'OMS pendant une vingtaine d'années, entre 1953 et 1973. Nous avons exercé la présidence du conseil exécutif de l'OMS dans les années 2018 et 2019. Et on parle maintenant de quitter l'OMS. Ce que l'on voit, c'est un changement, voire le premier grand changement en matière de politique étrangère brésilienne.

D'un côté, on pourrait dire que l'on quitte la scène dans certaines organisations internationales mais d'un autre côté, on est aussi très présent, on a un changement d'agenda. Dans le cas de l'OMS, par exemple, à la grande surprise de la communauté internationale, le Brésil devient un allié des États-Unis sur un agenda très conservateur par rapport aux droits des femmes, par rapport aux droits humains d'une façon générale.

Je n'hésite pas à dire que nous avons une crise de la politique étrangère. On risque l'isolement. L'avenir dépendra des résultats des élections aux États-Unis. En attendant, nous perdons une opportunité très importante, compte tenu de notre expertise en santé, de notre rôle dans la santé globale, de notre présidence des négociations de la convention globale sur le contrôle du tabac qui a été conclue à l'OMS en 2003. Il y a des programmes en santé publique de référence au Brésil, notamment contre le sida. Nous avons raté une opportunité vraiment très importante pour l'insertion internationale du Brésil durant la pandémie. Mais je dirais que c'est une crise générale de la participation du Brésil au système multilatéral.

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Damien Larrouqué, chercheur à l'Institut des affaires publiques de l'Université du Chili

Le Chili a été touché le 3 mars. La réponse apportée par le gouvernement a été celle d'un confinement sélectif. Mais il y eu des tensions au sein du gouvernement entre le ministère de la santé d'un côté, et le ministère de la recherche, de l'autre. Le ministre de la recherche, qui soutenait l'association des médecins, demandait un confinement drastique dès le départ. Le ministre de la santé a choisi un confinement sélectif sur des critères plus ou moins obscurs, en fonction de la capacité de lits, d'un certain seuil de malades, etc.

On a donc eu un confinement sélectif accompagné d'un test obligatoire. Le Chili a insisté sur les tests. S'il apparaît comme l'un des pays les plus touchés, c'est aussi parce qu'il a testé massivement. Au départ, les tests étaient payants, même très chers, jusqu'à 300 dollars. Les autorités ont décidé de les rendre gratuits pour les plus de 60 ans et pour les plus pauvres. Pour les autres, les prix ont été plafonnés, aux alentours d'une quarantaine d'euros. Dès lors que vous êtes malades, vous êtes systématiquement testés à votre charge sous peine d'amende.

Le confinement sélectif a finalement échoué car il est venu se télescoper avec des considérations administratives. La métropole de Santiago est une ville de sept millions d'habitants, mais si l'on prend Santiago intramuros, la superficie est de 27 kilomètres carrés, c'est-à-dire trois arrondissements parisiens. Personnellement, je vis près du palais présidentiel. J'ai été confiné à titre obligatoire dès le 17 mars. Mais mes collègues qui vivent dans l'équivalent de Bagnolet ou de Neuilly ne l'ont été qu'il y a un mois. Compte tenu de ce décalage, les gens ont continué à circuler et cela a permis la diffusion de l'épidémie. Le Chili est un pays assez transparent sur les chiffres, mais il y aurait eu des mensonges, un écart entre les chiffres officiellement annoncés par la presse et les chiffres qui ont été présentés à l'OMS.

Il y a eu des tensions avec le collège des médecins. Cela a coûté sa place au ministre, qui a présenté sa démission il y a deux semaines. Il semblerait qu'aujourd'hui il y ait de meilleures relations avec le collège des médecins, ce qui explique que les conditions de déplacement sont ici drastiques : on risque même la prison. Il y a des contrôles systématiques. Le Chili a pris des mesures assez draconiennes.

Il manque une réelle solidarité au plan sanitaire entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Encore une fois, l'Amérique latine souffre de cette fragmentation du système de santé et d'énormes différences dans la solvabilisation des patients. Le prix des médicaments au Chili est trente à quarante fois plus élevé que celui des pays comme le Brésil ou l'Argentine, dans la mesure où la santé est largement privatisée au Chili. J'ai en tête une initiative prise par l'ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy qui avait créé un fonds international pour essayer, avec l'accord des grandes entreprises du secteur pharmaceutique, de faciliter l'accès à certains traitements de type rétroviraux. Par ailleurs, est-ce qu'il ne serait pas possible que l'Europe appuie les initiatives régionales comme l'OPS, trouve des moyens pour renforcer la coopération sanitaire et créer des économies d'échelle dans l'achat d'équipements médicaux ?

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Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI

Avant toute chose, je voudrais me réjouir, parce que cela fait très plaisir d'entendre chez les parlementaires français un désir de resserrer des liens avec l'Amérique latine. Je voudrais vous dire que, quelles que soient les initiatives que vous prendrez en ce sens, vous pouvez compter sur nous, à Sciences Po, mais aussi sur la communauté académique dans son ensemble.

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Cela fait très longtemps que l'on se trompe à ne pas regarder vers l'Amérique latine.

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Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI

Vous prêchez un convaincu depuis des décennies. Et si l'on devait d'ailleurs pointer quelque chose qui marche dans la coopération entre la France et l'Amérique latine, Deisy Ventura et Damien Larrouqué en sont la preuve. Damien Larrouqué est un jeune chercheur français en poste au Chili et Deisy Ventura est une chercheuse brésilienne qui a séjourné en France et soutenue sa thèse à l'université Paris-Sorbonne. La coopération universitaire fait partie des thématiques qui sont plutôt en bonne santé. On peut toujours faire beaucoup plus mais c'est déjà pas mal. Mais pour le reste, si vous prenez une initiative de diplomatie parlementaire, vous pouvez compter sur nous.

Je vais développer les dimensions internationales et cette impossibilité des pays de l'Amérique latine à travailler ensemble.

Deisy Ventura a justement souligné un déficit tragique de leadership dans la région, aux États-Unis, mais aussi en Amérique du Sud. Il n'y a absolument aucun leadership. Il y a un leadership naturel dans la région, qui est évidemment celui du Brésil, et, mais cela n'est pas forcément toujours une bonne nouvelle, celui des États-Unis. Mais aujourd'hui, ni l'un ni l'autre, comme aucun autre pays, n'est capable de prendre des initiatives.

Il y a des tentatives de la part de puissances que je qualifierais, sans les insulter, de « moyennes », c'est-à-dire la Colombie et le Chili, qui ont par exemple lancé l'année dernière une alternative à l'Union des Nations sud-américaines (UNASUR), jugée beaucoup trop à gauche. Ils ont lancé un forum pour le développement, appelé PROSUR, pour discuter. Mais ce n'est pas l'équivalent de ce qu'était auparavant l'UNASUR. L'UNASUR avait été aussi très innovante en faisant de la santé une de ses priorités. Et c'est vraiment une histoire qui est triste et qui est très ironique que d'avoir vu l'UNASUR abandonner toute ambition en la matière et même être abandonnée par ses États membres.

Aujourd'hui, c'est un désert complet en matière de multilatéralisme en Amérique latine. Le multilatéralisme fonctionne par cycle dans la région. Quand tout va mal, c'est à ce moment-là que certains pays se rendent compte que l'absence totale de coopération est finalement nuisible. Un sommet latino-américain n'est pas improbable avant la fin de l'année. Le Mexique assure la présidence de la CELAC et a potentiellement un leadership, que l'on attend toutefois depuis des années. Le paysage n'est pas aussi catastrophique que cela. Je suis toujours assez optimiste dans le fond.

Je veux aussi répondre à la question sur les traités de libre-échange. Effectivement, il y a eu une négociation très longue, qui a duré vingt ans, entre le Mercosur et l'Union européenne. Les évolutions de cette négociation, dans les dernières années, ont placé à l'agenda des préoccupations communes qui ont été abordées dans l'accord de Paris lors de la COP21. Mais ce sont surtout des questions liées à l'environnement, et donc aujourd'hui cette ratification du traité avec le Mercosur est fortement compromise, étant donné l'attitude du Brésil qui aujourd'hui ne tient pas compte de ses engagements au titre de l'accord de Paris. Le Brésil conduit une politique qui a un coût environnemental qui est considéré comme incompatible avec ce qui est écrit dans le traité Union européenne-Mercosur.

Là aussi, le multilatéralisme interrégional Europe-Amérique latine est en mauvaise posture. Nous, Français, sommes perçus, à tort ou à raison, comme étant en partie responsables de ces problèmes. Pendant longtemps, l'Amérique du Sud nous a perçus comme un pays protectionniste, qui mettait en avant des questions de respect de l'environnement pour masquer des intérêts économiques et la défense du secteur agricole français. Aujourd'hui, depuis l'accord de Paris et l'entrée en fonction du Président Macron, on nous voit aussi comme un obstacle à la conclusion de cet accord, toujours pour les mêmes motifs : une défense de nos intérêts et un protectionnisme masqué. La période est donc difficile pour nous Français, et même pour nous Européens, parce qu'il y a, et cela fait deux décennies que cela dure, cet accord entre l'Union européenne et le Mercosur qui fait l'objet de beaucoup de litiges, beaucoup de malentendus et qui complique singulièrement les relations.

Je crois qu'il y a un niveau peut-être plus modeste sur lequel nous pouvons travailler. C'est le niveau de la coopération avec des pays en particulier ou des soutiens à des organisations de la société civile. Par exemple, je travaille assez régulièrement avec la Commission européenne, et je sais qu'elle suit une stratégie qui consiste à cibler la coopération à défaut de pouvoir passer par le haut avec des sommets présidentiels et des grands accords. Elle dispose de moyens qui ne sont pas négligeables pour faire passer cette idée que l'Europe est une puissance normative, que nous avons des valeurs, et qu'il faut les respecter dans les relations internationales. Mais on peut le faire de façon peut-être plus modeste, plus ciblée.

Je faisais allusion à la diplomatie parlementaire il y a un instant. Il se trouve que la diplomatie parlementaire en Amérique latine a réussi à faire quelque chose ces derniers mois que n'ont pas réussi à faire les chefs d'État. C'est-à-dire organiser un sommet régional avec les présidents des parlements de tous les pays, y compris les pays qui sont considérés aujourd'hui comme peu fréquentables, comme par exemple le Venezuela. Toute initiative en Amérique latine qui vise à construire une réponse régionale à des problèmes communs comme la santé publique se heurte à cette fin de non-recevoir : les pays ne veulent pas inviter le Venezuela. On n'avancera pas en Amérique du Sud tant que l'on n'invitera pas le Venezuela. Il y a un nœud ici qu'il faut défaire.

L'Amérique latine savait le faire dans les années 1980-1990. Il y avait beaucoup de disparités, de rivalités politiques dans la région. Mais il y avait cette capacité à asseoir autour d'une table des gens qui par ailleurs ne pouvaient pas se parler et entretenaient des relations exécrables. Il y avait cette capacité, parce qu'il y avait du leadership. Cette capacité-là, l'Amérique latine l'a perdue aujourd'hui. Du point de vue de la défense ou de la santé publique, cela constitue aujourd'hui un obstacle. Il faudrait que quelques pays prennent des initiatives. Le seul qui soit en mesure de le faire aujourd'hui, c'est le Mexique, en coordination avec l'Argentine. Je pense que cela pourrait peut-être se faire en 2020, mais ce n'est pas clair.

Pour le reste, je n'ai pas plus de données très précises à mettre à votre disposition concernant les féminicides. J'ai vu passer des rapports en faisant état. Plus généralement, il y a un rapport qui vient d'être publiée par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) sur les violations des droits de l'homme en général. Mais nous n'avons pas, à l'échelle du continent, des chiffres très précis concernant des féminicides.

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J'ai envie de vous relancer sur quelques questions. Premièrement, quel est le rôle et l'influence de la Chine en Amérique latine ?

Deuxièmement, j'aimerais revenir sur la question de Mireille Clapot sur la situation des personnels de santé dans la région. Cette situation est-elle homogène sur l'ensemble du continent ? Quel est leur niveau de rémunération ?

Troisièmement, sur la question de Pierre Cordier sur les coopérations entre les pays d'Amérique latine. Je crois comprendre que l'OPS a fonctionné, et plutôt bien fonctionné pendant la crise. Je rappelle que c'est une organisation ancienne, qui a été créée en 1902, et dont on a pas du tout entendu parler en Europe. Je serais très intéressée que vous nous disiez si elle s'est occupée, par exemple, d'acheter les tests et les masques et de les fournir aux pays de la région. Il serait très intéressant que nous sachions ce qui a bien fonctionné dans cette organisation. Et ce qui a bien fonctionné avec les États-Unis, parce les États-Unis en sont membres et que le siège de l'OPS est à Washington.

Une dernière question, posée aussi par Pierre Cordier et qui nous intéresse tous. Est-ce qu'il y a eu, dans les pays d'Amérique latine, des débats nombreux sur la question des masques, et sur de potentielles injonctions contradictoires ?

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Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI

Il y a depuis quelques années, et même depuis quelques décennies, une importance croissante de la Chine dans l'économie de l'Amérique latine. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de nombreux pays d'Amérique latine et le premier investisseur. Damien Larrouqué l'a dit tout à l'heure : « Quand la Chine tousse l'Amérique latine s'enrhume. » L'Amérique latine est devenue dépendante du taux de croissance chinois. Les cycles économiques de l'Amérique latine sont des cycles au cours desquels nous voyons la Chine acheter massivement des matières premières latino-américaine et l'Amérique latine acheter massivement des produits à faible valeur ajoutée, notamment en termes de technologie, élaborés en Chine.

Il y a une dépendance à la Chine qui est indiscutable. C'est vrai que cette crise a touché l'Amérique latine au moment où la croissance chinoise était en train de ralentir. Et donc, les taux de croissance en Amérique latine s'étaient renversés. Cette nouvelle dépendance est accompagnée d'une désindustrialisation. L'Amérique latine ne vend pas seulement ses matières premières, elle achète aussi des produits industrialisés qui ruinent son tissu industriel fragile. La Chine a renvoyé les pays d'Amérique latine, y compris un pays semi-industrialisé comme le Brésil, au XIXe siècle, c'est-à-dire à une époque où l'Amérique latine était complétement dépendante de ses exportations de matières premières pour assurer sa croissance économique. Il y a des pays où c'est dévastateur. La re-primarisation de l'économie et la désindustrialisation en Argentine est assez catastrophique, par exemple. Même chez les bons élèves, comme le Chili ou le Pérou, la croissance économique repose sur très peu de produits, en direction de très peu de marchés, principalement la Chine. Cela place l'Amérique latine dans une situation inconfortable et, dans le cadre de cette crise, dans une dépendance, notamment par rapport aux masques et aux matériels importés de Chine.

Sur la collaboration entre les pays d'Amérique du Sud, Deisy Ventura pourra peut-être dire un mot sur le Mercosur. Mais parmi les accords régionaux, si on devait citer une sous-région qui a pris des initiatives, c'est l'Amérique centrale. L'Amérique centrale a développé une dynamique d'intégration régionale qui est assez remarquable, pour des petits pays pauvres, et cette dynamique aurait pu aller bien plus loin s'il n'y avait pas le Nicaragua. Il y a une assez bonne entente entre les pays, sauf du côté du Nicaragua qui est dans le déni de la maladie avec un Président qui n'a pris strictement aucune décision concernant ce virus, et qui par conséquent menace les pays voisins. Mais il y a quand même des sommets centre-américains et on voit même Daniel Ortega discuter avec ses voisins. Au moins, en Amérique centrale, il y a cette capacité à discuter, même s'ils ne sont pas du tout sur la même longueur d'onde et qu'il y a des tensions dans la région. Ces tensions ont été pointées par plusieurs rapports internationaux parce qu'il y a des problèmes aux frontières un peu partout.

Une autre question que pose cette crise est intéressante à observer : dans quelle mesure aiguise-t-elle des tensions, parfois préexistantes, comme le long de la frontière entre le Venezuela et la Colombie ? Il faut rappeler que la maladie a frappé l'Amérique latine à un moment où elle traversait deux crises migratoires majeures : les Vénézuéliens qui quittaient leur pays et les Centres-Américains qui, par caravanes entières, se dirigeaient vers les États-Unis. Évidemment, au milieu de tout cela, la covid-19 n'a pas arrangé les choses.

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Damien Larrouqué, chercheur à l'Institut des affaires publiques de l'Université du Chili

Pour compléter ce que disait Olivier Dabène sur la Chine, j'ajoute, qu'au-delà des échanges commerciaux, il y a eu aussi une diplomatie assez agressive au cours des dernières années. Un des derniers pays à reconnaître Taïwan en Amérique latine est le Paraguay. Le repositionnement diplomatique de la Chine après la crise de covid-19 reste encore à étayer.

Mais il est vrai que la Chine a pris place en Amérique latine. On peut dire, qu'au XIXe siècle, l'Europe, et notamment l'empire britannique, constituait une puissance hégémonique dans la région. Ensuite, les États-Unis au XXe siècle. Aujourd'hui, c'est clairement l'Asie et la Chine. D'ailleurs, un grand sommet devait se tenir en octobre à Santiago avec l'objectif de resserrer les liens entre les pays de la région et l'ASEAN.

Concernant l'OPS, c'est effectivement une vielle organisation qui est dans l'orbite de l'Organisation des États américains (OEA). On a souvent considéré l'OEA comme un satellite des États-Unis, comme un « ministère des colonies » américain. C'est quand même à relativiser. Sous la présidence d'Obama par exemple, et ces dix dernières années, les États-Unis – au sein de ces organisations qui siègent à Washington – ont souvent eu des positions très conciliantes. L'ancien ambassadeur de France auprès de l'OEA, Pierre-Henri Guignard, faisait état de cette relation assez ouverte, finalement conciliante, des États-Unis vis-à-vis de ces organisations régionales siégeant sur leur territoire.

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Et concernant la situation des masques dans les pays d'Amérique latine que vous connaissez ? Y a-t-il eu des injonctions contradictoires ? Est-ce qu'il y a eu des problèmes de stock ?

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Damien Larrouqué, chercheur à l'Institut des affaires publiques de l'Université du Chili

Sur les réserves de masques, j'ai l'impression que le débat n'a pas été aussi vif qu'en Europe, notamment en France. On parle de re-primarisation et de désindustrialisation de l'Amérique latine, mais il y a quand même une capacité d'adaptation, et beaucoup d'entreprises se sont mises à répondre très rapidement aux exigences gouvernementales. Les gens ont aussi très rapidement commencé à fabriquer leurs propres masques. Et aujourd'hui, par exemple ici à Santiago, il n'est pas compliqué d'avoir des masques. De même pour les tests, pour le Chili du moins. Ce n'est pas ce point qui a été problématique, mais la saturation des systèmes de santé, qui est un problème dans le monde entier.

Certains États ont été moins touchés que d'autres. Il faut tenir compte de la configuration démographique de la population. Certains pays sont très jeunes : le Paraguay, c'est 6 millions d'habitants, avec la moitié de la population qui a moins de trente ans. Ce sont des pays qui, potentiellement, peuvent être moins affectés. On a, au contraire, des pays vieillissants, comme le Chili ou l'Uruguay, qui sont plus vulnérables. L'Uruguay a tout de suite pris des mesures drastiques et ce pays s'en sort bien, notamment parce que c'est un des rares pays de la région à ne pas avoir démantelé son système de santé. C'est un système de santé qui est universaliste, avec l'Institut Pasteur qui joue un rôle important.

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

En ce qui concerne les professionnels de santé, nous avons des chiffres contestés. Au Brésil, les chiffres officiels disent que, le 14 mai, nous avions 150 000 professionnels de santé soupçonnés d'avoir la covid-19, dont 31 000 cas confirmés et 150 morts. D'après le gouvernement fédéral, plus de la moitié seraient des infirmiers ou des auxiliaires et 13 % seraient des médecins. Mais ces chiffres sont contestés, par exemple par le Conseil national des infirmiers au Brésil, qui dit compter trois fois ce nombre de morts. Aujourd'hui, au Brésil, on aurait officiellement 157 infirmiers décédés, ce qui dépasse les chiffres des États-Unis par exemple (148 infirmiers), et même du Royaume-Uni, où la crise est déjà dans une autre phase, avec 67 infirmiers décédés. On ne peut pas nier que les professionnels de santé sont très touchés dans toute la région, et surtout au Brésil.

Cela a un lien avec le niveau de protection des personnels de santé, qui est très différent entre le secteur privé et le secteur public. Nous avons des niveaux excellents dans le secteur privé, par exemple au Brésil mais dans d'autres pays également, mais nous avons un manque d'équipements chronique dans le système public, y compris durant la pandémie. Il y a même une lutte entre les États fédérés pour les ventilateurs et les masques. Et on a un boycott, par le gouvernement fédéral, des gouvernements locaux, sur l'achat de ces produits. Cela fait partie de cette « guerre » dont j'ai parlé, et ce n'est pas moi qui utilise cette expression, mais le Président lui-même qui a déclaré la « guerre » aux gouverneurs. Parce que le Président Bolsonaro croit que ce n'est qu'une « petite grippe », qui est un prétexte pour dépenser de l'argent public. D'ailleurs, c'est un discours très contradictoire parce que parfois il avance des éléments qui soutiennent le constat de la gravité de la crise, mais on ne peut pas s'attendre à un discours cohérent, parce que lorsqu'on parle de l'extrême-droite, l'incohérence est un élément important. La propagande est l'essence de son ascension politique, et en matière de fake news, il sait très bien manipuler les informations.

Aucun doute, donc, sur le fait que les professionnels de santé sont très touchés, mais nous n'avons pas de données fiables, les données officielles étant contestées un peu partout en Amérique latine.

Je vous recommande le travail de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, qui a créé un service spécialement dédié au suivi de la crise de la covid-19, et qui a même émis une résolution sur les droits à la santé dans la région, une résolution sur la pandémie en Amérique avec plusieurs recommandations pour les États. Nous avons déjà plusieurs pétitions et demandes qui proviennent de tous les pays de la région pour pointer la responsabilité des gouvernements et les défaillances dans la réponse à la pandémie.

J'aimerais dire aujourd'hui que le Mercosur est vraiment un « souvenir ». On a essayé de créer le PROSUR, qui est surtout une entité déclaratoire, qui révèle soi-disant cette convergence politique entre des pays qui sont plus conservateurs, mais qui n'a pas d'action sur les politiques publiques.

Ce dont nous aurions besoin maintenant, c'est de ce que faisait l'Institut sud-américain de gouvernement en santé de l'UNASUR, qui avait son siège à Rio de Janeiro. L'UNASUR créait des enceintes pour permettre des échanges entre techniciens et gouvernements et a essayé de lancer des initiatives de vigilance sanitaire en Amérique du Sud. Nous en sommes aujourd'hui très loin, je n'ai aucun espoir par rapport au Mercosur.

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Avez-vous une idée de la propagation de la pandémie dans notre département de Guyane ? Evidemment, il y a la proximité géographique du Brésil, avec 500 kilomètres de frontières, et la situation y semble être très préoccupante. Alors est-ce que le risque vient essentiellement du Brésil ou accessoirement du Suriname ?

Est-ce que l'on a constaté une différence dans la propagation de la pandémie dans les régions de haute altitude, je pense à la cordillère des Andes ? Ou est-ce que la propagation reste uniforme en plaine ou dans des territoires de grande altitude ?

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

Le Brésil est perçu comme une bombe à retardement par les voisins. Il a vraiment un rôle dans la propagation du virus vers la Guyane.

J'ai oublié de dire qu'un des programmes de santé publique les plus controversés au Brésil a été fait en partenariat avec l'OPS. Ce programme, appelé « Plus de médecins », est un programme qui a engagé des médecins cubains pour travailler au Brésil dans les régions où les médecins brésiliens ne veulent pas travailler, comme les régions rurales ou proches de l'Amazonie. Ce programme a « radicalisé » les professionnels de santé, surtout les médecins et le Conseil national des médecins, qui soutiennent jusqu'à maintenant, et c'est très surprenant, le gouvernement Bolsonaro. En dépit du fait que ce Président de la République ait représenté la plus grande menace pour la santé publique au Brésil. Le Président a même incité la population à « envahir » les hôpitaux publics pour constater que ce n'était qu'une « petite grippe » et que les hôpitaux étaient vides. Tout cela dans le cadre d'une lutte électorale avec les gouverneurs, en particulier de Rio de Janeiro et São Paulo.

L'OPS a un rôle très important, et elle est mêlée à la structure de l'État. Il existe un bureau de l'OPS au sein du ministère de la santé brésilien, comme c'est le cas dans les autres pays. Elle participe à plusieurs politiques publiques de santé. C'est pour cela qu'il est difficile de mesurer l'ampleur de son importance sur le continent. Au sujet de la réponse à la crise sanitaire du virus Zika, l'OMS a déclaré une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) en 2016, l'année des Jeux olympiques et paralympiques. Là aussi, l'OPS a joué un rôle essentiel dans la réponse brésilienne. C'est une vieille institution qui est souvent discrète, mais joue un rôle très important dans le partage des savoirs, des protocoles, des financements. Et on se demande actuellement ce qui va se passer avec l'OPS si les États-Unis quittent vraiment l'OMS, et si le Brésil fait le choix de cette immense irresponsabilité en pleine pandémie.

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Et est-ce que c'est bien l'OPS qui a fait des commandes de tests et de masques pour l'Amérique latine ?

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

Oui, tout à fait.

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L'ensemble des commandes, ou une partie des commandes publiques ?

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

Une partie seulement.

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On va essayer de se documenter un peu, parce que je trouve que c'est intéressant de voir qu'une organisation régionale a pu passer un certain nombre de commandes publiques au nom de l'ensemble des pays qui la composent.

Deuxième question : l'OPS est-elle connue et appréciée des citoyens latino-américains ? Est-ce une institution lointaine ou une institution qu'ils connaissent et dans laquelle ils se retrouvent ?

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Deisy Ventura, professeure en éthique de la santé mondiale à l'Université de São Paulo

Je crois que le degré de connaissance du rôle de l'OPS est mince. Je pense même que les Brésiliens ne sont pas au courant de l'importance de leur système universel de santé. Il existe déjà depuis trois décennies, mais il y a des critiques permanentes à son encontre. Ses défaillances sont beaucoup dénoncées et de nombreux Brésiliens ne se rendent plus compte de ce que signifie ne pas avoir accès à un système universel et gratuit de santé. D'une certaine façon, c'est un aspect positif de la pandémie : de nombreux Brésiliens prennent maintenant conscience de l'importance du système de santé, et surtout de l'importance des investissements publics dans notre système de santé.

Je dirais même que l'OPS a une mauvaise notoriété au Brésil, justement à cause du programme « Plus de médecins », mais je ne saurais pas m'exprimer pour l'ensemble de l'Amérique latine. En revanche, les gouvernements et les professionnels de la santé publique sont parfaitement au courant du rôle de l'OPS. Mais au niveau du grand public, la méconnaissance du rôle des organisations internationales se conjugue à une campagne du secteur privé en faveur des politiques d'austérité et contre les investissements dans la santé. Nous avons eu un ministre de la santé au début de la crise, Luiz Henrique Mandetta, qui a été renvoyé par le Président, qui était jaloux de son prestige auprès des gouvernements locaux. C'était quelqu'un qui suivait l'agenda des lobbies privés de la santé, et qui pourtant, lorsque la crise a commencé, a reconnu l'importance du système universel de santé.

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Est-ce que l'un de vous trois peut répondre à la question de Didier Quentin sur le comparatif entre plaine et montagne ? Est-ce que nous avons plus ou moins de cas dans la cordillère des Andes qu'en plaine ?

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Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI

Il y a une façon simple de botter en touche, si je peux me permettre, c'est qu'il y a une grande inégalité entre les populations de plaine et de montagne. Le virus frappe beaucoup plus les populations les plus pauvres. Et en Amérique latine, plus nous montons en altitude, plus les populations sont pauvres. La composition ethnique des populations rentre également en considération. Parce que plus nous montons en altitude, plus nous avons affaire à des populations indiennes. Et comme l'a dit Deisy Ventura tout à l'heure, il y a de très grandes inégalités raciales concernant les victimes de la covid-19.

Pour répondre à l'autre question de Didier Quentin, il y a justement un rapport de l'OPS qui recensent les zones de tension. La frontière entre la Guyane française et le Brésil est mentionnée au même titre que la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, ou entre Haïti et la République Dominicaine, ou encore les frontières extérieures du Brésil avec le Pérou et la Colombie. Il s'agit d'un ensemble de zones de tension, qui sont susceptibles de provoquer des incidents, parce que ce sont des zones dans lesquelles nous voyons se développer à très grande vitesse la covid-19. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour nous, et comme l'a dit Deisy Ventura, le Brésil est au centre de tout cela et inquiète beaucoup les pays limitrophes.

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Il me reste à vous remercier de ce moment que nous avons passé ensemble pour évoquer un continent que nous aimons. Je pense que nous allons avoir, Français et Européens, une responsabilité particulière vis-à-vis de l'Amérique latine. Olivier Dabène, vous avez dit tout à l'heure que l'Amérique latine allait revenir quinze ans en arrière avec la crise économique et sociale qui s'annonce. Il va falloir que l'Europe noue des relations et des partenariats et regarde de ce côté-là du globe, dans les semaines, les mois et les années qui viennent. Exprimer une forme de solidarité retrouvée est absolument nécessaire. Dans tous les cas, cela sera à notre agenda.

La séance est levée à 17 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Frédérique Dumas, M. Michel Fanget, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Brigitte Liso, M. Denis Masséglia, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Marielle de Sarnez, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas

Excusé. - M. Jean-Luc Reitzer