Commission des affaires européennes

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 10h40

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Jeudi 9 juillet 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 10 h 39.

I. Examen du rapport d'information sur l'espace fiscal européen (Mme Frédérique Dumas et M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteurs), en présence de M. Daniel Gutmann, avocat associé, Professeur de droit fiscal à l'université Panthéon—Sorbonne

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Notre réunion d'aujourd'hui est consacrée à l'examen du rapport d'information sur l'espace fiscal européen qui est l'œuvre de Frédérique Dumas et Xavier Paluszkiewicz.

Nous sommes particulièrement heureux de pouvoir examiner votre travail en présence d'un expert reconnu de ces questions, M. Daniel Gutmann, qui est à la fois avocat fiscaliste, membre du Conseil des prélèvements obligatoires et professeur de droit fiscal à l'Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Nous serons particulièrement intéressés par ses commentaires sur ce rapport et, bien entendu, par ses réponses aux questions que nous ne manquerons pas de lui poser.

Je reviens au travail de nos rapporteurs. Permettez-moi de vous dire d'emblée que vous avez fait un très bon travail qui met en valeur les éléments de progrès intervenus ces dernières années – la fin du secret bancaire, la lutte contre l'évasion fiscale – mais aussi les failles qui demeurent – l'absence de régime définitif de TVA, l'incapacité de l'Union à se mettre d'accord sur des sujets comme l'harmonisation de la fiscalité des sociétés ou la taxation du numérique...

J'ai trouvé votre partie sur la diversité des régimes fiscaux nationaux particulièrement intéressante : cette hétérogénéité est évidemment un facteur de blocage dans la prise de décision à 27 sur les questions fiscales.

La question que je me pose est de savoir si la mise en place d'une fiscalité équitable à l'échelle de l'Union a plus de chances de voir le jour dans le contexte post-pandémique actuel alors que l'accélération de la transition numérique et la mise en œuvre du plan vert constituent des priorités pour l'Union.

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Nous avons la joie de vous présenter notre rapport d'information sur l'espace fiscal européen. La première réaction serait de prendre des raccourcis sur ce sujet en résumant la fiscalité au totem de la lutte contre une évasion fiscale insupportable pour les Européens. Il y a dans l'Union ce qu'on appelle pudiquement de l'optimisation fiscale, qui est largement de l'évasion fiscale, attaque insupportable contre notre pacte républicain, qui nous prive des moyens pour mettre en œuvre efficacement les politiques publiques attendues par tous.

En préambule, je voudrais expliquer la démarche que nous avons suivie. Sur un sujet aussi vaste que l'espace fiscal européen, qui peut facilement prêter à la polémique, nous n'avons souhaité ni dénoncer les pratiques de tel ou tel pays européen, ni nous lancer dans l'élaboration d'une Europe fiscale idéale. Il était important de nous préoccuper de la faisabilité de nos propositions. Nous avons souhaité établir un état des lieux le plus objectif possible de la fiscalité des différents pays européens et des harmonisations déjà mises en œuvre. Beaucoup de choses ont été faites, mais nous ne retenons que les dérives et les scandales couverts par la presse.

À partir de cet état de l'existant, nous avons cherché à comprendre la logique et la construction des systèmes fiscaux des autres pays, les contraintes auxquelles ils doivent s'adapter, ainsi que l'histoire ou les choix politiques dont ils sont le reflet. Ceci est d'autant plus important que les États membres ont des profils très divers et que les petites économies périphériques ont intérêt à attirer des investissements par le biais de la compétitivité fiscale. Certains pays sont de petites économies, si je puis dire, comme l'Estonie ou la Lettonie, d'autres des économies périphériques, comme l'Irlande ou Malte, qui ont des taux de fiscalité moindres. Ils ne financent pas des politiques publiques de la même ampleur que la France ou l'Allemagne.

Il nous était difficile de nous rendre dans toute l'Europe. Nous nous sommes donc concentrés sur les pays qui ont des positions souvent éloignées de celles de la France, et qui ont pu bloquer des projets importants. Je pense évidemment à l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) et à la fiscalité du numérique. Nous nous sommes rendus en Irlande, au Danemark et en Pologne, et avons interrogé par le biais de leurs ambassades à Paris le Luxembourg, les Pays-Bas, la Hongrie et la Suède. Nous avons également rencontré à plusieurs reprises Pascal Saint-Amans, le « monsieur fiscalité » de l'OCDE, pour inscrire nos réflexions sur la fiscalité européenne dans le cadre plus global des négociations sur l'adaptation de la fiscalité internationale aux enjeux de la numérisation de l'économie. Écouter ceux qui ne pensent pas comme nous et comprendre la légitimité de leurs positions nous paraît indispensable si l'on veut pouvoir avancer sur ces questions à la fois redoutablement complexes techniquement, aux enjeux cruciaux pour les budgets nationaux et parfois véritablement identitaires pour certains pays. Le besoin, pour chaque État membre, de pouvoir appliquer ses propres préférences sociales dans son système d'imposition est plus que légitime. Si nous avons quelques divergences, notamment sur l'adoption par notre Assemblée d'une taxe sur les services numériques, nous sommes d'accord sur l'essentiel pour ce qui est de la méthode que Frédérique Dumas présentera.

Je commencerai par rappeler qu'il est incontestable que l'Union européenne a souffert d'un « vice de fabrication » en matière fiscale, puisque les États souverains étaient très attachés à leur pouvoir d'imposition. Comme chacun sait, les questions fiscales obéissent à une procédure spéciale selon laquelle le Parlement européen n'est que consulté et les décisions du Conseil doivent être prises à l'unanimité. Pour beaucoup de nos interlocuteurs, la fiscalité est un attribut de souveraineté nationale, qui ne peut être exercé que par le parlement national. Il est important de souligner que, si la fiscalité relève de l'unanimité, c'est surtout parce que les traités n'attribuent à l'Union qu'une compétence résiduelle en la matière. L'article 113 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) fournit une base claire en matière de fiscalité indirecte pour harmoniser les législations « dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence ». Le traité ne comprend en revanche aucune disposition explicite en matière de fiscalité directe. Toutes les initiatives européennes ont été prises sur le fondement de l'article 115 du TFUE, qui permet au Conseil de prendre des directives pour rapprocher des législations « qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché intérieur », sans mention explicite de la fiscalité. Certains pays soulignent que l'absence de compétence explicite en matière de fiscalité directe est un choix des rédacteurs des traités et que, dans la mesure où l'Union n'agit que sur la base subsidiaire de l'article 115, il est normal que chaque pays puisse avoir un droit de véto.

L'Union n'a donc que des moyens limités pour harmoniser les législations fiscales. Il en découle un espace fiscal européen très fragmenté à tous les niveaux. Je vous renvoie à notre rapport écrit pour le détail des chiffres et ferai juste ressortir les grandes lignes.

Le niveau global est celui des prélèvements obligatoires, qui reflète des choix politiques structurants en matière d'intervention publique plus ou moins grande. Cela soulève une question presque philosophique : peut-on rapprocher les systèmes fiscaux sans rapprocher les systèmes sociaux ? Cela a aussi des conséquences très directes. Schématiquement, des pays qui ont des dépenses publiques moins élevées et un budget équilibré estiment qu'ils ont toute légitimité pour diminuer les impôts. Or, entre l'Irlande et la France, par exemple, le taux de prélèvements obligatoire varie du simple au double.

Le niveau suivant est celui de la structure d'ensemble des recettes fiscales, qui reflète des choix éminemment politiques découlant de l'arbitrage des électeurs : privilégier plutôt les impôts directs ou indirects, les impôts ou les cotisations sociales ; prélever plutôt sur les ménages ou les entreprises. Nous voyons bien en France la sensibilité de la question du financement de la protection sociale par des cotisations ou par des impôts. Il faut en outre bien garder à l'esprit qu'une réforme fiscale ne peut pas être examinée sans tenir compte de la cohérence du système fiscal dans son ensemble. C'est par exemple une question très sensible au Danemark, où l'attachement au système de protection sociale est très profond, mais où l'impôt sur le revenu des ménages est déjà très élevé. Je vous donne quelques exemples pour illustrer la grande diversité des systèmes fiscaux européens : les impôts sur la production et les importations représentent plus de 22 % du PIB en Suède contre 8 % en Irlande ; les impôts sur le revenu et le patrimoine (ménages et entreprises confondus) près de 29 % du PIB au Danemark mais un peu moins de 5 % en Roumanie.

Le troisième niveau d'analyse est celui des taux d'imposition, qui est réellement au cœur de la souveraineté fiscale.

Là encore, les différences sont majeures, y compris pour la TVA, dont les taux sont encadrés par une directive : le taux normal varie de 17 % au Luxembourg à 27 % en Hongrie, les taux réduits du plancher de 5 % à 18 % en Hongrie. En outre, pour des raisons historiques, certains pays peuvent continuer à appliquer des taux inférieurs à 5 %, voire nuls sur certains produits. C'est un sujet de grande crispation pour les pays de l'Est, qui n'ont pas bénéficié de cette dérogation lors de leur adhésion, nous avons pu le constater lors de notre déplacement en Pologne.

Enfin, même si l'impôt sur les sociétés ne représente en moyenne que 2,6 % du PIB dans la zone euro, loin derrière l'impôt sur le revenu, les impôts indirects et les cotisations sociales, c'est celui qui est au cœur des préoccupations pour des raisons de justice fiscale. Les comparaisons sont plus difficiles qu'en matière d'impôt sur le revenu car les règles d'assiette et les possibilités de transferts de bénéfices rendent les taux théoriques peu significatifs. Nos auditions nous ont par exemple permis de découvrir une spécificité des régimes estonien et letton que nous ignorions : c'est la distribution et non la réalisation des bénéfices qui déclenche l'imposition. Une société qui met en réserve l'ensemble de ses bénéfices et ne verse aucun dividende n'acquitte aucun impôt sur les bénéfices. Tous les outils construits par la Commission européenne ou l'OCDE, comme les taux implicites ou les taux d'imposition effectifs moyens, montrent toutefois de grandes disparités. En 2019, les taux légaux étaient particulièrement faibles dans certains pays d'Europe de l'Est : 9 % en Hongrie et 10 % en Bulgarie.

Face à ce paysage fragmenté, et bien que l'Union européenne doive se libérer du carcan de l'unanimité, il faut toutefois souligner que cette règle n'a pas empêché l'Union de légiférer en matière fiscale, principalement dans deux directions sous le mandat de la Commission Juncker : la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, d'une part, avec les directives « DAC » sur la coopération administrative et les deux directives « ATAD » pour lutter contre les pratiques fiscales abusives, dans la lignée du plan BEPS de l'OCDE, et la TVA d'autre part, notamment en matière de lutte contre la fraude et de TVA sur le commerce électronique.

Il n'en demeure pas moins que les initiatives les plus structurantes en matière fiscale, qui permettraient de réduire les coûts de conformité des entreprises et de sécuriser les recettes fiscales des États, sont bloquées au Conseil. La règle de l'unanimité, devenue un dogme, prive les États membres de moyens pour déployer une véritable politique fiscale, pourtant attendue des citoyens et des entreprises pour plus de justice fiscale. Vous trouverez dans notre rapport un condensé des principales dispositions de ces initiatives, les points de blocage identifiés, ainsi que, lorsque nous avions l'information, la position des différents pays. Ces projets particulièrement importants concernent l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, l'imposition de l'économie numérique, le régime définitif de TVA, les ressources propres du cadre financier pluriannuel et la fiscalité de l'énergie. De l'examen de ces différents dossiers, il nous semble ressortir que les blocages peuvent intervenir à quatre niveaux différents, et parfois se cumuler :

– premièrement, des difficultés techniques réelles, compte tenu de la coexistence de 27 systèmes différents, avec chacun sa propre complexité. C'est le cas, par exemple pour le régime définitif de TVA ou l'assiette de l'impôt sur les sociétés ;

– deuxièmement, un manque de confiance et de coopération administrative entre les autorités fiscales ou, plus globalement, entre États, notamment en matière de recouvrement. C'est particulièrement frappant pour la proposition de régime définitif de TVA : les États font modérément confiance aux autres pour collecter leur part de TVA à leur place ;

– troisièmement, les craintes sur les effets des réformes en discussion sur les recettes fiscales nationales ;

– enfin, pour certains pays ou certaines franges de la classe politique, la volonté, par principe, de préserver la souveraineté nationale en matière fiscale.

En guise de conclusion, il ne s'agit pas de dupliquer tous les régimes fiscaux sur celui de la France, qui, je tiens à la préciser, de surcroît dans ce contexte d'épidémie de COVID-19, est trop lourd pour les entreprises et les citoyens. Il s'agit d'éviter la concurrence fiscale exacerbée dont nous aurions tort de nier l'existence et que nous aurions tort d'exagérer. Cette concurrence peut avoir une vertu, celle d'obliger les États membres à améliorer la performance de leurs administrations publiques et à repenser leur périmètre.

Afin de converger vers une harmonisation fiscale européenne, une réflexion des États membres sur une articulation plus globale avec l'OCDE et les instruments à destination des Européens est nécessaire.

Ce rapport nous invite à nous demander plus largement s'il faut des règles communes sur la fiscalité et, si oui, lesquelles. Débat légitime sachant que l'impôt est là pour répondre à des besoins de financement. J'en retiens que la fiscalité est avant tout un moyen et non une finalité.

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Il est essentiel d'essayer de clarifier les enjeux de ces chantiers fiscaux très complexes. C'est bien parce que les projets sur la table du Conseil sont cruciaux qu'il nous semblait important de les restituer dans leur complexité et de faire entendre la légitimité de chaque pays à défendre la position qui est la sienne, et qui s'inscrit dans une histoire et un contexte politique particulier.

Cette légitimité, elle découle déjà de deux évidences qu'il n'est toutefois pas complètement inutile de rappeler quand on a tendance à mettre à l'index certains pays qui ne sont pas d'accord avec nous : premièrement, chacun des États à la table du Conseil doit mettre en œuvre le mandat que les électeurs lui ont confié et répondre devant son parlement national ; deuxièmement, chaque pays a un budget à boucler et est donc attentif à la préservation de ses recettes fiscales. Au sein de cette commission, nous avons beau avoir l'intérêt européen chevillé au corps, il faut tout de même avoir l'honnêteté de reconnaître que lorsque nous discutons de budget ou de fiscalité, nous ne nous désintéressons pas complètement des conséquences des discussions européennes sur le budget national ! Accepter que nos collègues d'autres pays fassent de même est donc la moindre des choses.

Notre rapport donne quelques exemples tirés de nos auditions pour montrer que les choix fiscaux de nos partenaires ont une cohérence politique ou répondent aux contraintes auxquelles ils sont soumis en termes géographiques, démographiques et économiques. Ce peut-être, en Hongrie, la volonté de favoriser l'émergence d'une classe moyenne qui avait un peu disparu ; en Pologne, une politique fiscale tournée vers la politique familiale et une lutte résolue contre la fraude, notamment à la TVA ; au Danemark le souci de préserver le modèle de protection sociale ; en Irlande, la création depuis les années 1960, à partir d'une fiscalité compétitive, d'un écosystème numérique qui génère des emplois qualifiés et bien rémunérés, ainsi que la conviction que la confiance des entrepreneurs repose sur la stabilité du régime fiscal ; aux Pays-Bas, les contraintes des « petites économies ouvertes », dont les entreprises sont fortement dépendantes des marchés internationaux.

C'est la première condition pour pouvoir se parler des sujets fiscaux : reconnaître que chaque pays a une légitimité et ne pas caricaturer les positions des chacun. Par exemple, le discours qui nous a été tenu par nos interlocuteurs en Pologne sur la fiscalité environnementale était beaucoup moins caricatural que l'image qui peut nous en être donnée habituellement. Ils n'avaient pas d'hostilité de principe, mais estimaient que le produit des échanges de quotas d'émission devait servir à financer la politique climatique, et non le budget général de l'Union, et qu'une taxe sur les plastiques recyclés devait constituer une ressource des États. Je note aussi que, selon les données de la Commission européenne, les taxes environnementales représentent déjà en Pologne une part des recettes fiscales supérieure à la moyenne européenne.

Ne pas caricaturer la position des autres pays, c'est aussi prendre en compte les efforts qu'ils ont déjà réalisés. Les régimes fiscaux luxembourgeois et néerlandais sont certes encore critiquables, mais on ne peut pas faire comme s'ils n'avaient pas transposé les directives ATAD et mis en œuvre les mesures du plan BEPS de l'OCDE. Laissons à ces réformes le temps de porter leurs fruits.

Partant de ces constats, comment continuer à progresser sur les dossiers fiscaux ? La première idée qui vient à l'esprit, puisque l'unanimité donne à chacun le pouvoir de bloquer les textes au Conseil, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, est de recourir davantage à la majorité qualifiée. Pierre Moscovici avait proposé une feuille de route pour une transition progressive vers la majorité qualifiée. Cette évolution est discutable : il nous semble que le chemin est semé d'embûches et qu'il y a d'autres moyens d'avancer. Une révision des traités à court terme pour permettre à l'Union de légiférer en matière fiscale selon la procédure ordinaire nous paraît peu réaliste. Même si tout peut être discuté dans une négociation globale, les « petits » pays et les pays de l'est nous semblent peu enclins à abandonner l'unanimité, car c'est ce qui les protège contre le « rouleau compresseur » franco-allemand. Les traités actuels prévoient des clauses passerelles qui permettent au Conseil, statuant à l'unanimité, d'adopter une décision l'autorisant à légiférer à la majorité qualifiée dans un domaine soumis à l'unanimité. Ces clauses passerelles pourraient permettre d'accélérer les discussions sur des textes techniques. Elles nous paraissent en revanche peu opérationnelles pour des réformes ayant de vrais enjeux politiques : si un pays est prêt à utiliser son véto pour s'opposer à un texte, on l'imagine mal voter une décision l'en privant…

La Commission dispose aussi de l'outil de l'article 116 du TFUE, qui permet d'adopter des directives suivant la procédure législative ordinaire pour éliminer les distorsions de concurrence dues à des disparités existantes entre les règles des États membres si la distorsion ne peut être supprimée en concertation avec les États membres. Bien que le Parlement européen ait souvent poussé à l'utilisation de cette arme, la Commission ne l'a utilisée jusqu'ici que comme arme dissuasive. Il nous semble que légiférer sur cette base susciterait des contestations juridiques et ouvrirait des conflits ouverts infinis entre la Commission et certains pays. Cela renvoie à une question plus large sur le recours à la majorité qualifiée en matière fiscale : jusqu'où une majorité, fut-elle qualifiée, peut-elle imposer à un État membre des décisions qui heurteraient de front ses intérêts ? La fiscalité n'est pas une matière comme les autres. Le consentement à l'impôt est un fondement de la démocratie et les recettes fiscales déterminent directement la capacité d'action des États. Si le recours à la majorité qualifiée était élargi, les États membres devraient faire preuve de discernement dans son utilisation. On voit bien dans le cadre des discussions sur le plan de relance que c'est un sujet très sensible, car cela touche à la souveraineté des États.

C'est pourquoi, il nous semble utile de trouver un chemin pour continuer à discuter en travaillant sur les quatre points de blocage que nous avons identifiés.

Il est impératif de renforcer la confiance entre administrations fiscales. De nombreux outils de coopération existent, mais les performances et les outils technologiques des administrations fiscales ne sont pas les mêmes. Il faut continuer à aider les États qui ont des retards à améliorer les performances de leur administration, notamment grâce au programme Fiscalis. Il faut aussi renforcer les échanges de bonnes pratiques entre administrations fiscales. La Pologne a par exemple acquis une expertise sur la lutte contre la fraude à la TVA qu'elle est très désireuse de partager. Nous avons pu constater lors de notre déplacement qu'elle était très fière de son système, mais si certains l'estiment trop bureaucratique.

Concernant la négociation des propositions de texte elles-mêmes, nous l'avons déjà dit, il est impératif de prendre le temps d'écouter et de comprendre nos partenaires. Si une impulsion franco-allemande peut être utile, il est désormais évident qu'elle n'est plus suffisante. Des groupes de pays se sont organisés pour peser, autour de la ligue hanséatique ou du groupe de Visegrad par exemple, ce serait une erreur de penser que l'on peut passer outre leurs demandes. Ces groupes s'étaient positionnés avant le confinement mais les lignes sont toujours valables. Dans certains États, ce sont les parlements nationaux qui sont les plus sourcilleux sur le respect de la souveraineté nationale en matière fiscale. Beaucoup de pays doivent passer devant leur Parlement. Les associer en amont pour qu'ils s'approprient les débats fiscaux pourrait être plus efficace que de les mettre dans une situation où ils ne peuvent que s'opposer à un projet déjà ficelé.

La base de la discussion doit être une évaluation transparente et rigoureuse des conséquences des propositions législatives sur les recettes fiscales de chacun des États membres. Il s'agit trop souvent d'un débat idéologique, dans la majorité comme dans l'opposition : on ne fait pas l'effort de démontrer pourquoi tel chemin est emprunté. Si ces conséquences sont importantes pour un État, il faut prévoir une transition suffisante et des compensations qui lui permettent de faire accepter la réforme à son parlement et à sa population. C'est du pragmatisme.

Une critique récurrente à l'encontre des propositions de la Commission est leur grande complexité. Certains pays seraient plus ouverts à des projets plus ciblés et pragmatiques, pour répondre à des problèmes concrets.

Il ne faut pas hésiter à s'appuyer sur la pression de l'opinion publique pour lutter contre les abus fiscaux et progresser en matière de fiscalité environnementale. Les Pays-Bas et le Luxembourg ont clairement mis en évidence une certaine efficacité du « name and shame » : les gouvernements de ces deux pays semblent désormais déterminés à se défaire de l'image de paradis fiscal qui nuit à leur réputation. C'est un point sur lequel ils ont beaucoup insisté lors de nos échanges.

Enfin, il nous semble qu'en matière d'impôt sur les sociétés, les réformes européennes gagneraient à s'inscrire dans le cadre plus global des travaux actuellement en cours à l'OCDE sur l'adaptation de la fiscalité internationale à la numérisation de l'économie – c'était le seul sujet de divergence entre nous. C'est une demande forte de plusieurs pays européens, qui estiment que les standards de la fiscalité internationale relèvent de l'OCDE et qu'il n'existe pas de spécificité européenne en la matière. Ils craignent en outre qu'une initiative européenne déconnectée des discussions mondiales se traduise par une perte de compétitivité. Les choses ont beaucoup évolué depuis la crise.

De fait, les négociations sur l'ACCIS et sur la fiscalité du numérique sont suspendues à l'issue des négociations à l'OCDE, qui ont été retardées à cause de la crise du coronavirus. La prochaine étape importante, qui devait avoir lieu en juillet, a été repoussée à octobre. Ce sera même plutôt en 2021. Je tiens à saluer le travail de Pascal Saint-Amans pour rapprocher les points de vue. Le travail technique se poursuit, y compris avec les Américains, mais, compte tenu du calendrier des élections américaines, l'objectif initial d'un accord global à la fin de l'année paraît désormais inatteignable. Si un accord est envisageable sur le deuxième pilier des négociations, visant à mettre en place une imposition effective minimale effective, un accord sur le premier pilier, qui vise à réattribuer une fraction des bénéfices et des droits d'imposition correspondants aux pays et aux juridictions dans lesquels les entreprises multinationales ont leurs marchés, ne pourrait intervenir, au mieux, avant l'été 2021.

Sur le deuxième pilier, particulièrement poussé par l'Allemagne et la France, il reste des obstacles politiques à lever, mais une proposition sera prête en octobre.

Sur le premier pilier, beaucoup de travail a déjà été accompli, mais des sujets difficiles à trancher restent sur la table et la position américaine est instable et imprévisible. Après avoir proposé un « régime de protection » (safe harbour) qui pourrait conduire à un régime optionnel pour les entreprises inacceptable pour tous les autres pays, les Américains tergiversent sur le champ des entreprises concernées. Ils s'opposent à un dispositif qui ne concernerait que les entreprises du numérique, mais soulèvent des difficultés dès que l'élargissement du champ concerne des entreprises américaines. Ils considèrent en outre que la gestion de la pandémie et le soutien à l'économie, qui portent sur des montants bien plus élevés que ce que pourrait rapporter la réforme en discussion, sont prioritaires à l'heure actuelle.

Les pays européens, même ceux qui s'étaient opposés à l'ACCIS et aux propositions de la Commission en matière de fiscalité du numérique, participent de manière active et constructive aux travaux de l'OCDE. Ils sont conscients du fait que le statu quo n'est guère tenable et qu'il existe une opportunité rare de moderniser la fiscalité des entreprises au niveau mondial. L'ouverture des États-Unis et de la Chine pourrait ne pas perdurer. Ils savent aussi que la multiplication d'initiatives nationales serait pire qu'une solution négociée au niveau international.

C'est pourquoi un pays comme le Danemark, qui souhaite arrêter la course à la baisse de l'imposition des sociétés, est prêt à accepter une solution au niveau de l'OCDE, alors qu'il serait un des pays à avoir le plus à perdre au premier pilier. Nos discussions avec Pascal Saint-Amans ont montré que le Danemark risquait effectivement de beaucoup y perdre : de très grandes entreprises danoises comme Novo Nordisk, spécialisée dans la production de médicaments contre le diabète, payent en effet beaucoup d'impôts au Danemark alors qu'elles réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires à l'étranger.

Les Américains viennent d'envoyer trois messages qu'il faut entendre. D'abord, ils ne participeront à aucune discussion internationale tant que certains pays disposeront de lois ou de projets de loi de taxation dans le domaine du numérique. Il faut rappeler, comme je l'ai fait dans le cadre du rapport, que nous parlons d'impôts sur les sociétés. La taxe française sur les entreprises du numérique porte, quant à elle, sur le chiffre d'affaire, ce qui ne résout absolument pas le problème de l'impôt des très grandes entreprises américaines. Elle est en outre reportée sur le contribuable. En effet, Facebook a reporté cette taxe sur les tarifs publicitaires et Amazon sur certaines commissions. En France, la taxe est donc payée par les usagers ou les opérateurs économiques. En outre, les entreprises françaises et européennes vertueuses s'acquittent à la fois de l'impôt et de la taxe. Ils paient donc plus d'impôts à eux seuls que tous les géants américains du numérique.

Ensuite, les Américains ont toujours conditionné l'accord à une clause de sauvegarde qui permette de limiter les effets du transfert de la base fiscale. Enfin, ils n'acceptent de maintenir leur participation à la discussion sur le taux minimum d'imposition qu'à la condition que leurs règles nationales antérieures sur le sujet soient sanctuarisées. Leur premier message concerne donc les Européens, le second les chinois et le troisième les pays en développement.

Pour résumer et conclure, je dirais que la construction d'un espace fiscal européen passe par une meilleure attention portée aux motivations de chacun et l'inscription de cet espace européen dans un contexte international. Cela passe par beaucoup de pragmatisme et un changement de logiciel, surtout pour la France qui a l'habitude de considérer que ce qui est bon pour elle est également bon pour les autres.

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Daniel Gutmann

J'ai trouvé ce rapport passionnant, extrêmement nuancé et j'en partage la plupart des orientations. C'est un rapport unique car je n'en ai pas trouvé un autre qui fasse un point aussi précis sur les angles d'approches nationaux en remontant aux sources des divergences européennes. Cela permet d'orienter la politique fiscale de façon raisonnable.

Le rapport a été fait avant la crise du COVID-19, mais, depuis lors, il me semble que la question des moyens d'action financiers que l'on veut donner à l'Europe devient centrale. En effet, l'Europe recourt à l'endettement pour financer ses actions : pourquoi ne recourrait-elle pas à l'impôt ? Cette question ne peut, selon moi, être ignorée et se pose de façon particulièrement aiguë à l'heure actuelle. Cela nous amène naturellement à la question des ressources propres et ce que vous avez dit par ailleurs sur ce sujet n'appelle de ma part aucun commentaire additionnel. Cette question est appelée à prendre une place considérable à mesure que l'on s'aperçoit que l'Europe sert de pompier pour les différents États membres.

Ensuite, vous avez insisté dans votre rapport sur l'idée, que je partage, que la fiscalité est un moyen et non une fin. Il faut donc savoir quels sont les objectifs de l'Europe que la fiscalité pourrait servir. Votre rapport montre que l'harmonisation complète des systèmes fiscaux n'est pas un objectif en soi, ne peut pas l'être et en toute hypothèse a peu de chances de prospérer pour des raisons que vous avez parfaitement décrites. On peut donc laisser cette idée de côté, même si on constate des propositions et des aspirations de certains acteurs économiques à une fiscalité totalement homogène au niveau européen. Cela simplifierait en effet la vie des entreprises que de pouvoir s'appuyer sur un jeu de règles unique, quels que soient les États membres. Compte tenu des contraintes que vous avez soulignées dans le rapport, la question ne se pose pas à court terme.

Ainsi, quels sont les objectifs qu'une fiscalité européenne peut servir ? Le premier d'entre eux est la réalisation effective d'un marché intérieur sans frontière, ce qui constitue un objectif spécifiquement européen. C'est pour cela qu'il existe l'article 113 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et que l'on dispose d'ores et déjà d'une harmonisation en ce qui concerne les transactions intracommunautaires, passant notamment par la TVA et les accises.

Au-delà des impôts qui frappent les transactions, est-il légitime de considérer que l'impôt sur les sociétés, en particulier, mérite une harmonisation plus poussée pour réaliser ce marché intérieur sans frontière ? Le droit positif montre qu'il existe certaines directives qui défiscalisent un certain nombre de flux transfrontaliers, notamment les dividendes, intérêts, redevances. Certaines directives permettent de garantir la neutralité des restructurations transfrontalières, notamment la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009, dite « directive fusions ».

Quand on fait cette analyse, on peut se dire que l'essentiel est fait. Je pense toutefois que l'on pourrait aller plus loin. En effet, lorsqu'on regarde plus précisément d'un point de vue technique ces directives, on s'aperçoit que l'exonération de retenue à la source qui est prévue sur certains flux reste soumise à des conditions assez contraignantes. La Commission européenne elle-même a suggéré à plusieurs reprises d'assouplir les conditions d'exonération de retenue à la source, en particulier dans le cadre de la directive 2003/49/CE du 3 juin 2003 dite « intérêts redevance ». Il s'agit d'un point d'amélioration que l'on pourrait souligner.

En outre, la double imposition continue d'exister en Europe. En effet, une même entreprise ou une même personne physique peut faire l'objet d'une double imposition sur le même revenu par plusieurs États européens. Une même succession peut également être imposée deux voire trois fois à l'intérieur de l'Union européenne alors qu'il s'agit exactement du même fait générateur d'impôt. Je pense que cela est assez problématique.

C'est la coexistence de systèmes nationaux qui fait que, chaque État se considérant comme compétent pour imposer un revenu ou une donation par exemple, cela touche tous les pays. Si, à titre d'exemple, un français reçoit une succession d'origine belge portant sur un immeuble présent en Espagne, cette personne va être imposée en France car l'héritier s'y trouve, en Belgique parce que le défunt s'y trouve et en Espagne parce que l'immeuble s'y trouve.

Or, aujourd'hui, il n'existe pas d'instrument juridique qui permette de lutter contre cela. La directive adoptée en 2017 relative aux mécanismes de règlement des différends en matière de double imposition permet d'éliminer la double imposition sur les bénéfices et les revenus et met en place une procédure de règlement des différends entre États mais elle ne touche pas toutes les situations de double imposition.

Il me semble qu'il pourrait être intéressant d'appuyer une démarche de généralisation des techniques d'élimination de la double imposition. La Commission européenne plaide pour cela depuis plusieurs années, notamment en matière successorale pour laquelle il n'existe que très peu de conventions bilatérales. Il en existe encore moins lorsqu'il s'agit de donations. En outre, ces conventions sont bilatérales : elles ne permettent donc pas de régler les cas de triple imposition susceptibles de survenir entre les différents États. Ce sont des réformes certes techniques mais qui poursuivent des objectifs qui méritent d'être pris en considération.

Un autre objectif est souvent assigné à l'Europe : garantir une forme de justice fiscale. Cet objectif recouvre en réalité deux idées très différentes : la justice dans le partage du fardeau entre les entreprises et entre les personnes physiques et la justice dans la répartition entre États. Toutes les discussions autour du numérique mélangent les deux dimensions. Lorsque certains acteurs se plaignent du fait que les géants du numérique ne sont pas imposés en France, il s'agit en réalité de se plaindre à la fois que ces entreprises ne supportent pas l'impôt alors que d'autres le supportent mais également que la France ne récupère pas l'impôt que ces entreprises devraient payer dans un monde idéal.

Se pose donc la question de savoir si l'Europe a un mot spécifique à dire sur ce sujet ou si l'OCDE ou un forum mondial doit régler ce problème. C'est une question politique mais, d'un point de vue pratique, si l'on mettait en place au niveau européen une méthode de répartition de la matière imposable entre les États qui n'a rien à voir avec ce qui est fait au niveau mondial, cela créerait des problèmes techniques absolument insurmontables.

En prenant l'exemple d'un groupe américain qui disposerait de plusieurs filiales et succursales en Europe, si on met en place l'ACCIS (c'est-à-dire une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés au niveau des groupes établis en Europe) et si on le partage entre les pays européens en se basant sur les critères imaginés par la Commission européenne, les États vont imposer une certaine part des bénéfices. Mais comme il s'agit d'un groupe américain, ses bénéfices sont mondiaux et il faut donc combiner cette répartition avec des conventions bilatérales conclues avec tous les États tiers. Or, ces conventions vont retenir des critères de répartition de la masse taxable complètement différents. Cela va donc créer des situations de double imposition sur lesquelles nous disposerons de peu de prise d'un point de vue technique. À la lumière de cela, la conclusion pourrait être de tout laisser à l'OCDE, ce qui pourrait être un autre écueil.

Pascal Saint-Amans a raison de dire que seule une concertation mondiale pourra résoudre cette problématique de la masse taxable. Ce qui m'inquiète, c'est que l'Europe ne parle pas d'une seule voix et qu'on assiste, avec la remontée de la problématique au niveau de l'OCDE, à une dissolution d'une Europe fiscale qui n'existe pas mais qui pourrait exister car les intérêts communs sont nombreux. Il est vrai que l'Europe ne peut pas agir seule sans mettre en péril sa compétitivité et se heurter à des difficultés techniques insurmontables, mais si elle est à la remorque de l'OCDE, elle risque de perdre son âme.

Enfin, toujours dans les objectifs qui doivent poursuivre l'Europe en matière fiscale, un dernier objectif pourrait être de renforcer l'idée d'une Europe puissance continentale, laquelle devrait se manifester tant dans les relations avec l'OCDE que dans celles avec les États tiers. Trois exemples me viennent à l'esprit.

Premier exemple : les conventions fiscales avec les États tiers ne sont pas respectées et ce, en toute connaissance de cause. Or, on ne peut pas faire grand-chose contre cette mauvaise volonté. La France, seule, ne peut contraindre un pays comme la Chine à respecter les conventions qu'elle a signées. C'est une vraie demande des entreprises que de voir l'Europe se doter d'une capacité de négociation dans cette situation.

Deuxième exemple. Imaginons une convention multilatérale qui, par exemple, permettrait à la France de taxer toute entreprise ayant des clients ou des consommateurs en France, y compris si elle n'y possède aucun actif ou établissement stable. Que se passerait-il si ces entreprises ne veulent pas payer ? Il faudrait un accord d'assistance en matière de recouvrement qui permettrait à l'autorité fiscale française de demander à l'autorité fiscale étrangère de collecter l'impôt dû et de le lui rétrocéder. De tels accords existent entre les États-membres de l'Union européenne ainsi qu'avec quelques États tiers. L'objectif de l'Europe devrait être de les multiplier autant que possible en y mettant tout son poids.

Dernier exemple : la portée de la liberté de circulation des capitaux. Cette liberté est protégée par les traités européens mais elle est la seule liberté de circulation qui s'applique dans les relations avec les États tiers. C'est ainsi que les résidents des États tiers peuvent demander à bénéficier en Europe du même traitement fiscal que des résidents de l'État qui accorde l'avantage fiscal. Cela peut créer des déséquilibres et être à l'origine d'effets d'aubaine pour l'investissement en provenance d'États tiers. La réciproque est vraie lorsque des résidents européens investissement dans des États tiers : dans l'État de départ, ils peuvent se prévaloir d'un traitement identique avec l'investissement qu'ils feraient chez eux ou dans un autre État européen. Cette question prend de plus en plus d'importance dans les contentieux fondés sur le non-respect par la France de la liberté de circulation des capitaux. La restitution d'impôt à des résidents d'États tiers est à l'origine de pertes budgétaires importantes pour l'État français.

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Je note que l'on revient souvent, dans les différentes thématiques que nous abordons, sur la nécessité de faire émerger une Europe puissance ou plutôt que l'Europe a une puissance qu'elle devrait mieux utiliser, sans se borner au soft power. Ce sera à n'en pas douter un vrai sujet pour la conférence sur l'avenir de l'Europe.

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Je remercie les rapporteurs pour leur excellent travail. Plusieurs grandes propositions sont sur la table en matière fiscale, parfois depuis plusieurs années, comme l'ACCIS. Or, les multiples scandales que nous avons récemment connus, impliquant des montages fiscaux dans des pays comme le Luxembourg ou les Pays-Bas, ont mis en lumière la concurrence fiscale qui existe au sein de l'Union européenne. De tels montages sont rendus possibles par un cadre fiscal qui est dépassé car fondé sur le principe de la résidence fiscale. Avec la mondialisation, le boom des entreprises multinationales et la révolution numérique, les chaînes de valeur sont aujourd'hui disséminées. Dans le prolongement du rapport du Parlement européen de 2015 sur les rescrits fiscaux, je m'interroge sur la mise en place d'un outil centralisé public permettant de connaître par État membre les exemptions, exonérations, déductions et crédits d'impôt qui affectent l'impôt sur les sociétés, ainsi que d'un système centralisé au niveau de l'Union qui permettrait à la Commission européenne de contrôler systématiquement les rescrits.

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Je remercie à mon tour les rapporteurs ainsi que M. Daniel Gutmann pour son intervention. La question de la fiscalité européenne est aujourd'hui au cœur du débat. Thierry Breton, commissaire chargé du Marché intérieur, a récemment indiqué que pour rembourser la dette du plan de relance, la Commission voudrait se voir doter de la capacité de lever directement l'impôt, pensant par exemple à la taxe carbone aux frontières ou à la taxe GAFA. Ces déclarations sont passées sous le radar médiatique mais elles méritent notre attention car elles annoncent un changement de paradigme. En effet, le consentement à l'impôt est au cœur de la citoyenneté et la fiscalité est un attribut essentiel de la souveraineté des États, comme l'a montré Norbert Elias. Or, en dépit de toutes les divergences idéologiques, tout le monde s'accorde sur le fait que l'Union n'est pas un État, tout au plus un objectif politique non identifié, pour reprendre la boutade de Jacques Delors. D'où ma question : cet OPNI peut-il lever l'impôt ?

L'Union européenne est un espace de compétition économique régi par les traités de libre-échange, qui tente de mettre un terme aux nombreux abus fiscaux en son sein. C'est ainsi, faut-il le rappeler, qu'Apple a pu bénéficier d'une réduction d'impôt à hauteur de 13 milliards d'euros grâce à un accord avec l'Irlande. De même, il y a une liste européenne des paradis fiscaux mais elle ne comprend aucun État-membre, faisant fi de paradis fiscaux comme les Pays-Bas. Enfin, le projet d'ACCIS, malgré une bonne volonté parfois naïve, n'empêche en rien les Etats-membres de mettre en place diverses niches fiscales pour attirer les entreprises.

Cette incapacité des Etats-membres à mettre fin aux abus a une cause bien connue : c'est la philosophie des traités et l'idée que la libre concurrence permet l'efficacité des marchés, reléguant l'harmonisation fiscale et sociale au second plan. Je me rappelle à ce propos une audition du professeur Catherine Prieto. Alors que d'habitude, je diabolise la libre concurrence, elle nous a expliqué qu'au contraire, le droit de la concurrence se voulait protecteur et un instrument de lutte contre les distorsions de concurrence. Mais alors, comment se fait-il qu'on ne puisse s'appuyer sur lui lutter contre les distorsions de concurrence en matière fiscale ou sociale ?

Au final, force est de reconnaître qu'aujourd'hui, l'harmonisation fiscale est une chimère car les institutions européennes reposent sur des présupposés libéraux d'inspiration hobbesienne : l'homme est un loup pour l'homme, loin de toute idée d'intérêt général.

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Je tiens, au nom du groupe MODEM, à vous féliciter pour ce rapport qui va en profondeur, et je remercie M. Gutmann pour son apport. Le rapport nous permet d'approfondir des problèmes liés à l'espace fiscal européen et, plus largement, les défis fiscaux posés par la numérisation de l'économie. À ce sujet, j'ai interrogé le commissaire Thierry Breton il y a quelques semaines lors de son audition en commission.

Comme vous l'avez justement souligné, ce sont les négociations à l'échelle internationale qui nous permettront de réaliser les avancés les plus significatives face à ces défis. Il faut, j'en suis convaincue, que les parlementaires continuent de contribuer à ces négociations. Il serait intéressant de mettre en place un suivi autour de la réunion du cadre inclusif qui aura lieu en octobre et éventuellement d'organiser une communication en commission afin de débattre des avancées réalisées.

Pour ce qui est de vos propositions, je vous rejoins sur le constat que vous dressez. Effectivement, espérer le passage progressif à la majorité qualifiée en matière fiscale ne semble pas être une stratégie viable. J'ai cependant deux questions sur vos « propositions pragmatiques » de la troisième partie du rapport, « quelle démarche pour lever les blocages ».

Vous proposez de concentrer les initiatives sur des réponses pragmatiques aux problèmes rencontrés par les États membres, ne craigniez-vous pas que cela nous conduise à ne pas résoudre la véritable source des problèmes, à traiter les symptômes et non la cause ?

Par ailleurs, vous évoquez la liste noire de l'Union en matière d'abus fiscal mais cette liste de par sa nature et son mode d'élaboration ne serait-elle pas une illustration de la difficile entente européenne sur ce qu'est une mauvaise pratique fiscale ?

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Nous sommes dans la continuité de nos discussions d'hier. J'ai de nombreuses questions que j'intégrerai à mes réflexions.

L'espace fiscal européen, pour moi, pourrait s'appeler « les espaces fiscaux », du fait de l'individualisation des espaces fiscaux dans chaque pays, que vous bien relevée. Vous avez fait ce que j'appellerais de l'archéologie fiscale, qu'on fait assez rarement, en remontant asses loin dans les approches nationales. Je n'ai pas l'habitude de ne faire que des compliments mais je pense que c'était le bon chemin et je vous en félicite. J'espère que nos collègues liront votre rapport.

Ma première question concerne l'utilité de la fiscalité. Je souhaiterais votre avis sur ce que l'on doit privilégier entre le travail, le capital et la consommation. Par ailleurs, doit-on privilégier les impôts directs ou indirects ? Ne doit-on pas privilégier un seul élément et un seul type de fiscalité ?

Ma deuxième question concerne le recouvrement, qu'on évoque rarement. Quand on ne recouvre pas l'impôt, il n'y a pas d'intérêt à le voter. Je me demande si votre rapport ne pourrait pas être complété par ce sujet. Ce n'est pas la peine de légiférer au niveau européen sans agir sur la boîte à outils du recouvrement. Allez-vous continuer sur cette logique ?

Je compare souvent les nations aux communes et l'État à l'Union européenne. En créant les EPCI, nous avions le choix entre fiscalité additionnelle et fiscalité directe unique. Je voulais savoir si vous êtes plutôt favorables à l'un ou à l'autre. Je pense qu'en Europe, nous ne pouvons pas faire les deux. La fiscalité ciblée, sur le plastique par exemple, a-t-elle un avenir ?

Enfin, nous avons évoqué l'emprunt pour le futur. Je pense sincèrement que nous sommes dans l'obligation de trouver des ressources pour l'Union. Il faut trouver l'imposition qui corresponde à l'utilisation de l'argent. Nous devons être dans la logique de la compétence en lien avec la fiscalité, ce qui mène à la responsabilité. Je crois que, dans les prochains travaux de l'Union européenne, nous devons regarder à quoi sert ce qu'on met dans le plan de relance et qui il faut taxer pour ce faire. Il s'agit de construire l'avenir de la fiscalité européenne.

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La question de la double imposition, que j'adresse plutôt à M. Gutmann, est assez cruciale pour l'Union européenne et surtout pour le citoyen. Si l'on pense aux 120 millions de citoyens qui vivent ou travaillent ailleurs que dans leur pays d'origine, mais qui gardent d'un point de vue patrimonial des attaches dans un autre pays, on peut considérer que c'est une entrave à la liberté de circulation.

Cela ne rentre pas exactement dans le champ de la lutte contre la discrimination dans les traités. Il y a tout de même une forme de discrimination par rapport à quelqu'un qui reste toute sa vie dans un même État membre. Merci pour les pistes que vous pourrez évoquer.

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Vous nous interrogiez notamment sur la pertinence de l'outil centralité et public en lien avec les rescrits fiscaux. Ma circonscription, la troisième de Meurthe-et-Moselle, jouxte les frontières belges et luxembourgeoises. Les rescrits y sont donc un vrai sujet. Ils ont posé des problèmes politiques en 2014 et ont même entraîné la démission de Jean-Claude Juncker, à l'époque Premier ministre luxembourgeois, remplacé par Xavier Bettel.

L'outil existe auprès des administrations fiscales, grâce à des actions résolues proposées par l'Union européenne, notamment en matière d'échanges d'informations. J'estime qu'il est bien dommage de ne pas rendre cet outil public ; il permettrait de comparer, d'évaluer, de flécher les entreprises vers les États membres. Le fait que ces informations ne soient pas publiques m'interroge particulièrement au regard du manque d'information. Lorsqu'on parle de fiscalité, la transparence me semble une évidence.

Dans la perspective des réformes fiscales initiées sur la fiscalité des entreprises, l'Union applique la logique du reporting pays par pays, introduit par le dispositif BEPS de l'OCDE. Il permet de connaître le montant de la richesse taxable des entreprises, en l'espèce le bénéfice, qui est l'assiette taxable de l'IS. Cet outil existe. La lutte contre la fraude fiscale est un sujet qui devrait être évoqué au sein du Parlement européen.

Concernant le système de vérification centralisée au niveau de l'Europe, il existe et doit probablement être amélioré. L'affaire qu'évoquait M. Chassaigne des rescrits luxembourgeois et belges de 2014 a posé des problèmes. Un rescrit est une prise de position du fisc sur un cas compliqué ou inhabituel. Il confère une sécurité juridique aux entreprises mais peut octroyer des avantages fiscaux pour attirer certaines sociétés holding par des taux d'imposition très faibles.

Pour autant, à la suite de l'affaire Luxleaks, la Commission a adopté le paquet de transparence fiscale, et plus spécifiquement l'extension de l'échange automatique aux rescrits. La directive DAC 3 du 8 décembre 2014 a imposé un échange automatique pour les rescrits accordés à des entreprises pour le traitement fiscal d'opérations transfrontalières. De fait, chaque administration doit transmettre ces informations aux services de contrôle fiscal.

M. Chassaigne disait qu'aucun pays européen ne figure sur la liste des paradis fiscaux. Tout le monde a signé les conventions, mais la question est de savoir si ces accords sont véritablement respectés.

Dans ce rapport, nous soulevons parfois plus de questions que nous n'apportons de réponses, car nous sommes dans une organisation à vingt-sept. Chacun a une approche différente. Voilà pour y répondre de la manière la plus précise possible.

Pour répondre aux sujets soulevés par M. Chassaigne, notamment sur le prélèvement de l'impôt, cela reste anecdotique mais il faut rappeler que l'Union européenne prélève l'impôt sur le revenu des fonctionnaires européens. Elle récolte aussi les droits de douane. Dans cette architecture, il est possible de prélever l'impôt ; il n'y a pas de raison de penser qu'elle ne serait pas en mesure de le faire. Quand il s'agit justement de prélever plusieurs milliards, l'Europe peut se structurer.

Nous évoquions hier la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom) et la difficulté de considérer les entreprises comme imposables dans le pays, la problématique est la même à l'échelle nationale comme à l'international.

André Chassaigne a parlé de chimère pour qualifier l'harmonisation fiscale. Certes, notre rapport soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de solutions. Nous devons avoir une réflexion globale et considérer les positions de nos voisins.

Je voudrais revenir sur la taxe GAFA telle que la France l'a instituée. Même si asseoir cette taxe sur le chiffre d'affaires n'est pas forcément pertinent, tel n'est pas le sujet, pas plus que son montant, 350 ou même 500 millions d'euros. Ce qui est important est le message politique qui est porté. En l'instituant, la France a relancé le débat au niveau européen, et montré le chemin puisque des pays comme le Royaume-Uni, l'Autriche ou la Pologne ont également créé une telle taxe. Les négociations sont en cours au niveau international, même si leur issue est fortement liée au résultat de l'élection présidentielle américaine.

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Notre rapport montre le chemin et ce chemin est le pragmatisme. Je pense qu'il n'est plus possible d'en rester au seul message politique. Si ce dernier n'est pas suivi d'effet, il y aura un véritable problème.

Contrairement à l'image que l'on s'en fait, les Pays-Bas sont ouverts à l'idée de réduire les possibilités d'optimisation fiscale agressive. Je rappelle qu'ils sont partis à la convention BEPS. Toutefois, parce que c'est un pays relativement peu peuplé, comme d'ailleurs l'Irlande ou la Hongrie, il ne peut se reposer sur une base taxable faite uniquement de consommateurs. Ces pays doivent attirer la base taxable par des avantages auxquels ils sont très attachés.

S'agissant du plan de relance, les discussions portent sur le lien avec les recommandations spécifiques par pays faites dans le cadre du semestre européen. C'est une exigence des quatre pays mais ce qu'on oublie souvent, c'est qu'eux aussi font l'objet de recommandations. La conditionnalité ne se limite pas, comme pouvait le penser André Chassaigne, à la seule austérité. Elle peut porter également sur l'État de droit ou, pour ce qui concerne les Pays-Bas par exemple, la dette privée. Pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, il faut souligner que dans les recommandations de la Commission figure également la lutte contre la planification fiscale agressive, les Pays-Bas, la Hongrie, le Luxembourg, l'Irlande, Malte ou Chypre étant explicitement visés. Dans les recommandations spécifiques aux Pays-Bas, il leur est demandé de corriger les particularités de leur système fiscal qui facilitent la planification fiscale agressive. Cela fait partie des réformes structurelles.

La question du droit de l'Union européenne à lever l'impôt fait l'objet de blocages très forts. Lever cet obstacle exige un travail technique afin de renforcer l'efficacité et la responsabilité des impositions, par exemple en fléchant les recettes vers certaines dépenses. En d'autres termes, il faut connecter les ressources propres aux objectifs poursuivis.

La taxe GAFA illustre ce que je disais s'agissant des réponses politiques qui n'ont pas d'efficacité technique, économique ou sociale parce que l'objectif poursuivi n'a rien à voir avec les moyens qui sont mis en œuvre. S'agissant de cette taxe en particulier, elle a été présentée, après la crise des Gilets Jaunes, comme un moyen de réduire les distorsions de concurrence en faisant payer des impôts en France à des entreprises qui n'en payaient pas, ni en France, ni ailleurs. Or, assise sur le chiffre d'affaires, elle frappe des entreprises américaines qui désormais paient des impôts non négligeables aux États-Unis mais également des entreprises françaises du numérique, comme Amadeus. Cette taxe étant répercutée sur les consommateurs et les Américains demandant son remboursement, il est à craindre qu'elle soit payée deux fois, par le consommateur et par le contribuable. Enfin, elle est devenue un instrument de chantage entre les mains des Américains qui vont utiliser ce prétexte pour imposer des droits de douane très supérieurs à son montant aux produits français et européens.

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S'agissant de l'ISI, qui fait toujours débat, on est à ma connaissance le seul État-membre à avoir une telle imposition. Quelles en sont les conséquences ?

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Daniel Gutmann

L'IFI, limitée à l'immobilier, a peu d'équivalents en Europe, mais les impôts sur les actifs immobiliers sont en revanche très fréquents. La spécificité française est plutôt le cumul des impositions sur l'assiette immobilière et une forte imposition du capital en France en comparaison des autres États-membres.

S'agissant de la double imposition, la jurisprudence de la Cour de Justice est très claire : rien dans les traités n'interdit à deux États-membres de taxer le même revenu. Il n'y a là aucune discrimination, laquelle n'existe que si un État-membre applique une règle différente selon les situations, interne ou transfrontalière. Le seul moyen pour résoudre le problème de la double imposition est procédural. La directive de 2017 est un premier pas mais il est très insuffisant.

La question de Mme Aude Bono-Vandorme portait sur le caractère public des rescrits et des déclarations pays par pays. Sur ce sujet, il y a beaucoup d'idées fausses et d'incompréhension. En premier lieu, je voudrais insister sur le fait que la Commission européenne a mis un terme, sur le fondement des règles en matière d'aide d'État, aux rescrits fantaisistes dont ont pu bénéficier nombre d'entreprises. Les travaux de l'OCDE, en particulier sur les prix de transfert, l'ont également aidée. Au final, il y a un décalage entre les coups de projecteur médiatique sur les rescrits fiscaux, qui sont des pratiques passées, et la réalité présente.

En deuxième lieu, il est vrai que les rescrits et les déclarations pays par pays ne sont pas publics. En 2016, la loi Sapin 2 imposait de rendre ces dernières publiques mais elle a été censurée sur ce point par le Conseil constitutionnel, qui y a vu une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. En effet, tant ces déclarations que les rescrits comportent des informations hautement confidentielles qui ne peuvent être mises à disposition du public et, donc, des concurrents des entreprises concernées. En outre, une telle publicité présente le risque que se développe un « name and shame » incontrôlé, comme on a pu le voir s'agissant des établissements bancaires dont les déclarations pays par pays sont d'ores et déjà publiques. Les ONG qui les ont analysées ont commis des erreurs factuelles majeures.

Le droit de la concurrence existe aussi d'une certaine manière en matière fiscale. Depuis le Code de conduite fiscalité des entreprises de 1997, on admet la concurrence mais pas la concurrence fiscale déloyale. Il y a pour cela deux outils, les aides d'État, qui peuvent mener à une procédure d'infraction, ce qui est du droit dur, et le Code de conduite, qui est du droit mou, mais néanmoins très efficace. Les États qui ne respectent pas les règles du Code de conduite doivent rendre des comptes auprès de leurs pairs. Ce Code donne les critères de transparence, d'évaluation des avantages. Il ne faudrait pas voir la concurrence fiscale que sous l'angle de l'évasion ou de la fraude, et à ce titre l'exemple de la TaSCom est éclairant, puisqu'elle conditionne la localisation des entreprises. En Europe à l'heure actuelle, la concurrence fiscale n'est pas sans frein.

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Les conventions fiscales sont là pour éliminer les possibilités de double imposition, elles reprennent les modèles établis par l'OCDE. En matière successorale, il y a beaucoup à faire, je peux en témoigner au regard de la situation géographique de ma circonscription, avec des personnes travaillant dans un pays, vivant dans un autre et héritant d'un bien issu d'un troisième.

Pour terminer, se pose évidemment la question de l'ISF, et de la pertinence de créer un ISF européen. Aujourd'hui, seule l'Espagne possède encore un tel impôt, et on ne mesure pas forcément les effets d'une telle mesure sur l'attractivité des territoires.

La commission a autorisé la publication du présent rapport.

La séance est levée à 12 h 36.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Aude Bono-Vandorme, M. André Chassaigne, Mme Yolaine de Courson, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Frédérique Dumas, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip