La réunion

Source

La séance est ouverte à onze heures cinquante.

La commission auditionne M. Marc Sauvourel, réalisateur du film Je ne suis pas un singe – Le racisme dans le football (2019).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Sauvourel, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l'Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d'enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

- l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

- l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

- l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.

Nous avons souhaité vous auditionner pour connaître votre perception sur ces trois thématiques, et plus particulièrement sur les problématiques de racisme dans le sport, notamment dans le football, compte tenu de votre implication sur ce sujet ayant donné lieu à la réalisation du film documentaire Je ne suis pas un singe – Le racisme dans le football, avec votre collègue M. Olivier Dacourt, ancien footballeur professionnel.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement votre documentaire et le bilan que vous tirez de l'évolution du racisme dans le sport en France, par rapport à d'autres pays le cas échéant. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons certainement des questions complémentaires sur cette problématique et plus généralement sur les violences et les discriminations dans le sport.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. », après avoir activé votre micro.

(Marc Sauvourel prête serment).

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Comme vous l'avez indiqué, nous avons mené ce projet avec M. Olivier Dacourt, un ancien joueur de football, ex international français, qui a joué huit années en Italie, un pays gangréné par le racisme dans ses stades de football. En 2019, nous avons souhaité réaliser ce documentaire sur le racisme dans le football, après le signalement d'une insulte raciste dans un stade italien par le joueur français M. Blaise Matuidi, qui jouait alors à la Juventus de Turin.

J'ai discuté avec Olivier de son expérience professionnelle et j'ai trouvé curieux qu'il me dise ne pas avoir ressenti le racisme dans les stades italiens, malgré ses huit années passées en Italie. Je pense qu'Olivier a une force de caractère et une force mentale qui lui permettaient de se focaliser uniquement sur le match, mais ce n'est pas le cas de tous les joueurs. Tous les joueurs, et nous l'avons encore vu il y a deux mois avec le joueur brésilien du Real Madrid, Vinícius Junior, n'ont pas la capacité d'être absorbé de cette manière par la rencontre.

Cela donne lieu à des débordements : les supporters se servent de ces actes racistes pour déstabiliser les équipes. Bien souvent, ils s'abritent derrière le supporterisme pour soutenir qu'il ne s'agit que d'une manière d'affaiblir l'équipe adverse. De leur côté, les fédérations disent agir, mènent des campagnes contre les discriminations, qui bien souvent se résument à des banderoles « Non au racisme » déployées avant les matchs.

Certes, il existe bien un arsenal de sanctions et une évolution a vu le jour après notre documentaire. Pourtant, j'ai pu constater que les joueurs sont livrés à eux-mêmes vis-à-vis des insultes qu'ils peuvent recevoir. Bien que des soutiens officiels existent, aucune action n'est véritablement conduite pour les protéger. Par ailleurs, les préjugés racistes perdurent : même sans vouloir être consciemment racistes, nous le sommes souvent.

La deuxième partie du documentaire se penche d'ailleurs sur la représentation des entraîneurs noirs ou arabes en France. Si les joueurs de couleur composent à 50 % les effectifs, il n'y a que 5 % d'entraîneurs ou de dirigeants. Nous en concluons que les préjugés ont la vie dure. Il y a quelques années, Mediapart avait ainsi révélé une affaire de quotas de joueurs de couleur dans les centres de formation. À l'époque, les préjugés voulaient que les joueurs noirs soient athlétiques et puissants et les joueurs blancs intelligents. Les joueurs noirs auraient donc vocation à jouer en défense et les blancs au milieu de terrain, dans des postes de meneurs-organisateurs du jeu. Au sein de l'équipe championne du monde en 1998, on a souvent vanté la puissance de joueurs comme MM. Lilian Thuram et Marcel Dessailly et la vision du jeu de M. Didier Deschamps.

Naturellement, les hommes noirs peuvent passer leurs diplômes d'entraîneur comme les hommes blancs, mais les préjugés demeurent. Notre documentaire donne d'abord la parole aux joueurs, à des arbitres, à des entraîneurs et des dirigeants, pour exposer les actes discriminatoires et racistes dans le stade. Il s'agissait donc d'exposer des faits et de donner la parole à ceux qui les subissaient. Ensuite, une fois que l'on avait exposé ces éléments, il s'agissait de voir comment les fédérations et les acteurs agissaient, par exemple l'éventail des possibilités pour un arbitre d'intervenir quand un acte raciste survient dans un stade. Nous nous sommes également penchés sur les règlements mis en place par les fédérations pour lutter contre le racisme.

En résumé, nos premières conclusions indiquent que le joueur est livré à lui-même et que les sanctions, bien qu'elles existent, ne sont quasiment jamais appliquées derrière les discours de façade. Il n'existe pas de sanctions proportionnées face aux déstabilisations que subissent les joueurs. Cependant, depuis 2019, nous estimons que la situation a évolué positivement.

En revanche, la représentation des entraîneurs noirs ou arabes dans les effectifs au plus haut niveau ne s'est pas améliorée. À l'époque de notre documentaire, il y avait trois entraîneurs de couleur en Ligue 1 : MM. Patrick Vieira, Sabri Lamouchi et Antoine Kambouaré, qui est néo-calédonien. Ce dernier n'avait pas souhaité figurer dans le documentaire, mais MM. Patrick Vieira et Sabri Lamouchi nous avaient parlé. Ils faisaient le même constat d'un manque de représentation mais ils ignoraient les raisons véritables même s'ils s'accordent pour constater que les préjugés sont bien ancrés. Cette année, M. Patrick Vieira est le seul entraîneur de couleur en Ligue 1. Chez nos voisins européens, le constat est identique : dans le championnat anglais de première division, 55 % des joueurs sont noirs en 2023 mais on y croise seulement 5 % d'entraîneurs noirs. L'Espagne connaît aussi des problèmes de racisme dans les stades mais les sanctions ne sont pas prononcées.

La Fédération internationale de football, la FIFA, a mis en place en 2017, juste avant la coupe du monde en Russie, un protocole pour lutter contre les actes racistes : quand un problème de racisme survient dans un stade, l'arbitre interrompt la rencontre. Un message est ensuite transmis par le speaker pour demander au public de cesser les agissements racistes. Le troisième échelon concerne le retour au vestiaire des joueurs et l'arrêt définitif des rencontres. Il n'est arrivé qu'une seule fois que le protocole aille jusqu'au bout, à Paris. En l'espèce, l'arbitre lui-même s'était rendu auteur d'un acte raciste lors d'un match opposant le PSG au club turc Basaksehir Instambul, en Ligue des champions. L'arbitre roumain avait ainsi dit « negru » à M. Pierre Achille Webo, l'entraîneur adjoint camerounais du Basaksehir Istanbul. Il s'était défendu en disant qu'en roumain, on dit « negru » pour « noir ». Cet argument était plutôt léger. Les joueurs avaient décidé de ne pas reprendre la rencontre et l'arbitre avait été plus tard suspendu.

Cependant, ce protocole ne s'accomplit jamais jusqu'au bout. Les arbitres s'abritent derrière ce protocole et parfois se trompent d'attitude. Nous l'avions montré dans notre documentaire et la situation demeure. Comme je vous le disais plus tôt, le brésilien du Real Madrid, M. Vinícius Junior, a pris un carton rouge parce qu'il voulait arrêter de jouer après avoir été victime d'insultes racistes.

En résumé, notre documentaire visait à exposer les faits, ce qui nous a conduits à mettre en lumière le racisme qui s'exprimait dans les stades, mais aussi un autre, plus sournois, vis-à-vis des entraîneurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez déjà répondu à un certain nombre de questions que nous souhaitions vous poser, notamment sur l'évolution de la situation depuis 2019, année au cours de laquelle ce documentaire a été diffusé, et la prégnance du racisme qui reste dans le football. Mais pourquoi en est-il ainsi ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Les stades sont le reflet de la société. Lors de notre documentaire, nous avons interrogé le directeur de l'ONG anglaise Football against racism in Europe (Fare). Ayant étudié les raisons de la poussée du racisme dans les stades, ils ont établi une corrélation avec la montée des nationalismes dans les sociétés. Plus l'extrême-droite progresse dans la société, plus les nationalismes augmentent et plus les comportements extrêmes discriminatoires sont désinhibés dans les stades.

Des actes racistes ont eu lieu cette année dans les stades en Espagne, mais aussi à Lyon, lors du match entre Lyon et Marseille, à l'extérieur du stade, entre supporters. Si le racisme existera toujours, la manière dont on peut gérer le problème peut être modifiée. Mais le problème ne sera pas éradiqué. En Italie, un très grand nombre de débordements racistes ont eu lieu cette année, alors que l'extrême-droite est au pouvoir. Des débordements sont également intervenus en Espagne et en Angleterre. En France, les règlements de compte ont surtout lieu en dehors des stades.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Existe-t-il un organisme qui recense tous ces cas avérés de racisme ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Je ne crois pas. De notre côté, nous nous étions adressés aux joueurs. Le règlement indique que si un évènement raciste intervient dans un stade, l'arbitre doit le signaler dans son rapport. Malheureusement, bien souvent, les joueurs victimes de racisme ne veulent pas créer de polémique, en pensant à leur carrière et à leurs clubs. Ils finissent donc par minimiser ce qui leur arrive ou ce qui peut arriver à leurs collègues. Dans notre documentaire, nous avons interrogé le joueur camerounais, M. Samuel Eto'o, qui avait été pris à partie par le public de Saragosse lorsqu'il jouait pour le FC Barcelone. Ses coéquipiers, dont certains étaient noirs, lui disaient de ne pas quitter le terrain car son équipe allait perdre le match.

Nous avons également donné la parole à M. Samuel Umtiti, champion du monde avec l'équipe de France en 2018. Après la victoire des Bleus, il a subi un torrent de commentaires racistes, notamment anonymes, sur les réseaux sociaux, que les joueurs utilisent par ailleurs fréquemment. Parmi les commentaires, on pouvait lire que « ce n'est pas l'équipe de France qui a gagné la Coupe du monde, c'est l'équipe d'Afrique ». Quand on a rapporté cela au joueur, il ne voulait pas forcément revenir sur cet épisode. Il avait d'ailleurs hésité à nous accorder une interview, car selon ses propres termes « il ne voulait pas passer pour une victime ».

J'écoutais les propos de Mme Béatrice Barbusse, qui a été auditionnée avant moi. Il y a sans doute une éducation à mener en amont sur ce sujet, sur la manière dont on se comporte quand on éduque les enfants dans les fédérations sportives. Le sportif de haut niveau ne doit pas montrer de faiblesse et, pour certains, dire qu'il a été touché par une insulte ou une discrimination revient à accepter le statut de victime. Il arrive très souvent qu'un joueur soit victime de racisme sur le terrain mais qu'il ne le signale pas. L'arbitre dira alors qu'en l'absence de ce signalement, il n'a rien à indiquer dans son rapport.

Les joueurs doivent donc être conscients de la nécessité de rapporter de telles situations. Les joueurs doivent être convaincus que reconnaître que l'on a été victime de racisme et que cela les a touchés ne constitue pas une faiblesse. Certains le font, mais c'est souvent compliqué. Un joueur de basket du championnat de France a été touché par une insulte raciste et l'a signalé. Un jugement interviendra d'ailleurs au mois d'août. L'accusé est un septuagénaire, qui s'est excusé mais assume d'avoir insulté le joueur de basket, lequel a ensuite été victime d'une dépression.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Constate-t-on autant de problèmes dans d'autres sports ? Qu'en est-il au basket, au rugby ? On en entend moins parler.

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Mon documentaire s'est concentré sur le football, qui est le sport le plus médiatique. Les actes y sont donc plus visibles. Je suis moins connaisseur du rugby, mais j'ai suivi cette année le joueur de basket, M. Victor Wembanyama, pour réaliser un documentaire qui sortira dans quelques mois. J'ai donc assisté toute la saison à des matchs de basket et je n'y ai pas vu de tels comportements. Je n'ai vu aucun acte raciste à ces différentes occasions. Au football, c'est différent. Comment l'expliquer ? Je ne sais pas. Pardonnez-moi l'expression, mais le football rend peut-être « un peu con », même si c'est un sport que j'adore. J'ai l'impression qu'il y a moins de haine dans les autres sports, qui drainent moins d'argent et sont moins médiatisés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans votre documentaire, plusieurs éléments m'ont interpellé. Tout d'abord, je pense à la violence subie par les sportifs. On a le sentiment que pour certains, puisque le football est un sport « privilégié », les joueurs seraient moins légitimes pour s'exprimer.

Le président de la FIFA, que vous avez interviewé, renvoie la gestion du racisme aux clubs et aux fédérations. Vous différenciez en effet les actes racistes commis dans les enceintes sportives et le racisme régnant au sein des fédérations ou des clubs. Mais comment un club ou une fédération qui connaît lui-même du racisme en son sein peut-il gérer les problèmes de racisme ? Quelle est votre opinion ? Se sont-ils emparés de ce sujet désormais, au-delà des banderoles que vous avez évoquées ?

Le racisme est un délit puni par la loi. Lorsque des personnes tiennent des propos racistes lors des matchs, comment se fait-il que des plaintes ne soient pas déposées ou que des signalements systématiques ne soient pas effectués par les clubs ou les fédérations ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

La FIFA édicte les règles que les fédérations nationales doivent appliquer. Elle a mis en place ce fameux protocole en demandant aux fédérations de l'appliquer, mais les fédérations ne le font pas. Le président de la FIFA, M. Gianni Infantino, s'abrite derrière ce règlement en pointant la responsabilité des fédérations, mais je trouve qu'il s'agit là d'une manière assez étonnante de se décharger de sa propre responsabilité.

Lorsque nous avons tourné notre documentaire, les fédérations n'avaient pas vraiment pris conscience du problème. Nous avons interviewé le président de la FFF de l'époque, M. Noël Le Graët. Nous l'avons interrogé sur le faible nombre d'entraîneurs de couleur et il nous a répondu que c'était leur faute, car il n'y avait pas de racisme dans le racisme français. Il nous a dit qu'il avait appelé M. Sabri Lamouchi pour lui proposer un poste d'entraîneur, mais que celui-ci avait refusé. Il fait donc d'un cas personnel une généralité.

Ce type de minimisation des évènements empêche naturellement de prendre des mesures. Chaque acteur, à chaque niveau, n'assume pas ses responsabilités. C'est la raison pour laquelle la situation ne s'améliore pas. Une prise conscience doit donc intervenir, pour oser utiliser l'arsenal des sanctions. Les joueurs eux-mêmes n'aident pas en ne voulant pas passer pour des « victimes » et les arbitres ne veulent pas passer pour celui qui a interrompu un match attendu par tant de gens. Finalement, le système est sclérosé et on ne va pas jusqu'au dépôt de plainte.

Le seul déclenchement intervient quand un joueur de renom indique qu'il arrête le match et évoque le problème sur les réseaux sociaux. À ce moment-là, tout le monde indique le soutenir. Mais à part cela, que se passe-t-il ? Aujourd'hui, une personne qui se rend coupable d'actes racistes est pourtant passible d'un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Mais cela n'est jamais appliqué.

Désormais, il est possible de surveiller les stades grâce à la vidéo. Peut-être devrait-on décharger le joueur de la responsabilité de signaler les actes racistes, comme l'a fait le joueur Vinícius Junior en décidant de quitter le stade. Un tollé s'en est ensuivi et une loi portant son nom a même été votée au Brésil pour augmenter la durée d'interdiction de stade. Nous sommes là pour protéger le joueur, qui n'a pas à agir pour faire bouger les choses.

L'arbitre doit prendre conscience de la gravité de l'acte, ceux qui gèrent la vidéo doivent identifier les auteurs, qui doivent être expulsés des stades et poursuivis, sans forcément que le club ou la fédération soient impliqués, puisque cela ne marche pas. Il revient sans doute aux autorités d'effectuer leur travail une fois que les personnes coupables d'actes racistes sont identifiées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le football est effectivement marqué par le phénomène des ultras, ces groupes de supporters qui peuvent être très politisés. Les actes que vous avez relevés sont-ils isolés ou sont-ils le fait de groupes de supporters ultras ?

Ensuite, le joueur éprouve parfois des difficultés à se positionner en tant que victime. Mais les clubs sont des organisateurs de spectacle et, à ce titre, doivent garantir le respect de la loi. Avez-vous pu toucher du doigt cet élément dans le cadre de vos interviews ? Enfin, on peut relever le racisme dont les joueurs peuvent être victimes de la part des supporters, mais avez-vous aussi mis en avant le racisme dans l'aire de jeu entre les joueurs ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Des cas isolés existent, comme nous avons pu le constater dans le basket avec l'épisode que je vous ai précédemment exposé, mais l'on retrouve généralement des actes racistes en provenance des ultras regroupés dans certains virages dans les stades. Des groupes sont dissous, mais ils se reconstituent de manière différente. C'était le cas par exemple des Ultra Sur à Madrid. Nous avons pu l'observer lors de notre travail, qui a duré plusieurs années.

Le phénomène ultra fait partie du football, mais il ne faut pas non plus négliger l'effet de groupe, qui peut pousser certains à commettre des erreurs. Je ne pense pas qu'on puisse véritablement expurger le phénomène ultra, qui est en quelque sorte partie intégrante du football. Il faut surtout nouer un véritable dialogue. Dans certains clubs, des personnes sont chargées de la médiation avec les groupes de supporters. Peut-être faut-il généraliser cette pratique ? Si les clubs, qui sont effectivement censés garantir le respect de la loi, arrivent à dialoguer avec leurs supporters sur la question des discriminations, la situation pourra peut-être évoluer. Mais par définition, le groupe va absorber l'individu et le conduire à des actions répréhensibles. Pour prendre l'exemple récent de Valence en Espagne, je ne pense pas que 30 000 personnes racistes se soient réunies pour décider d'insulter un joueur et le traiter de « singe ». Certains peuvent être aspirés par ce phénomène, en considérant qu'il s'agit simplement de folklore et d'une manière de déstabiliser l'adversaire.

Au-delà, la question concerne aussi ce que nous voulons faire de nos stades. À l'époque des problèmes entre supporters du virage d'Auteuil et ceux du virage de Boulogne au Parc des Princes, le président du PSG de l'époque, M. Robin Leproux, a dissous certaines associations qui pouvaient poser problème. Aujourd'hui, il existe aussi une critique assez vive du Parc des Princes, qui serait devenu un Disneyland aseptisé, où la place vaut 500 euros.

Enfin, lors de notre documentaire, nous n'avons pas constaté de racisme entre les joueurs. Ceux-ci peuvent s'insulter, employer le trash talking, mais il n'y a pas véritablement d'insultes racistes. Il est certes arrivé que des joueurs se fassent insulter pour leur couleur de peau, mais en règle générale, des discussions interviennent et la situation rentre dans l'ordre. Aucun joueur n'a porté plainte contre un autre pour insultes racistes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez cité le mot « folklore ». Je me demande si pendant longtemps, la société dans son ensemble n'a pas considéré que l'insulte était un folklore, particulièrement dans le stade. Pour ma part, je suis outré d'y entendre le célèbre « Ho ! Hisse ! Enculé ! » dans les stades quand le gardien effectue un dégagement. Il ne s'agit pas d'un cri d'encouragement, mais d'une insulte.

Au basketball, quand on conteste une décision auprès de l'arbitre, on écope la plupart du temps d'une faute technique, qui, si elle est répétée, entraîne l'exclusion de la rencontre. L'attitude qui est dictée par les ligues nationales est donc extrêmement importante. Avez-vous interrogé les supporters qui profèrent des insultes racistes et homophobes dans les stades ? J'imagine que pour nombre d'entre eux, ils n'agiraient pas de la même manière à l'extérieur du stade. Enfin, je m'interroge sur les ravages de ces attitudes et comportements dans le sport amateur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite revenir également sur la question de supporters. Je suis un peu surpris des propos que vous avez tenus, quand vous dites qu'on ne peut pas lutter contre les groupes de supporters. Avez-vous enquêté parmi les supporters lors de la réalisation de votre documentaire ? Vous avez évoqué les épisodes de déstabilisation et avez évité de qualifier le racisme de « structurel ». Le racisme est-il institué comme une forme de déstabilisation institutionnelle lors des matchs ? Ne peut-on pas malgré tout mieux agir pour lutter contre les actes racistes ? Vous aviez parlé des caméras notamment.

Pour ma part, je ne souscris pas à une forme de fatalisme en la matière. Je fréquente les stades de football, mais je ne considère pas que l'ambiance consiste à laisser propager un certain nombre d'actes et de paroles racistes. Comment les clubs, les fédérations, la ligue peuvent-ils agir pour diminuer le nombre de ces actes ? Comment peut-on les sanctionner plus durement ?

Enfin, s'agissant des entraîneurs, disposez-vous d'une statistique concernant des entraîneurs diplômés qui n'auraient pas accès à des clubs professionnels en raison de leur couleur de peau ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Pour beaucoup de supporters, les insultes que vous avez mentionnées font effectivement partie du « folklore » footballistique. Pendant des années, les propos homophobes et discriminatoires ont été monnaie courante et faisaient rire tout un stade. J'ai vu tout un virage sauter à Marseille en traitant les Parisiens de « pédés », y compris des enfants et des femmes.

Si les clubs, qui doivent faire respecter la loi, dialoguaient avec les supporters, en rappelant notamment l'existence de sanctions, parfois lourdes, la situation pourrait peut-être s'améliorer. Mais je ne crois pas qu'il existe un racisme organisé. Certains le font par conviction, sans nécessairement déployer une organisation particulière. En revanche, certains assument leurs idées d'extrême-droite.

Dans le cadre de notre documentaire, nous avons organisé une rencontre entre M. Olivier Dacourt et un supporter ouvertement fasciste, qui arborait notamment un tatouage de Mussolini. Il était supporter du club de la Lazio de Rome, le grand rival de l'AS Rome, club dans lequel Olivier avait joué. Ce supporter se justifiait devant lui qu'il n'aimait pas les noirs et revendiquait ses insultes dans le stade. La situation était totalement absurde : quand l'interview s'est achevée, ce supporter a voulu prendre des photos avec Olivier et appeler en vidéo d'autres supporters de la Lazio. Ces supporters étaient contents de le voir. Cette situation était assez déstabilisante.

Je ne sais pas comment il est possible d'agir dans ce domaine. Je ne pense pas qu'il faille lutter contre les associations de supporters. Il doit y avoir de l'ambiance dans les stades et les supporters doivent avoir voix au chapitre. Mais on minimise l'insulte homophobe ou raciste, d'une part en raison de l'absence de sanctions et d'autre part de dialogue, ni d'éducation. Simultanément, il ne faut pas hésiter à écarter les meneurs tendancieux, que les clubs connaissent. Selon moi, le vrai danger est la rupture entre les clubs et leurs supporters.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite revenir sur la question du racisme au sein des clubs ou des fédérations. Vous avez rapidement mentionné « l'affaire des quotas ». Je suis frappée par l'omerta et le silence des joueurs, qui ne veulent pas briser leur carrière, ni l'écosystème qui les fait vivre. Pensez-vous que les expériences de racisme que subissent les joueurs sont sous-évaluées dans les clubs et les fédérations ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Oui. Dans cette salle, nous sommes tous blancs par exemple. Malheureusement, nous ne mesurons pas l'impact que peut avoir chez un joueur noir une insulte le qualifiant de « singe ». Dans les fédérations, les dirigeants sont comme nous, des blancs, et ne se rendent pas compte de l'impact destructeur d'une insulte raciste. Dans notre documentaire, nous avons voulu justement donner la parole à des joueurs qui subissaient de tels phénomènes.

En résumé, les fédérations minimisent les actes racistes et discriminatoires. À ce sujet, les insultes homophobes ont été tellement pratiquées dans les stades qu'il n'y a pas aujourd'hui de joueurs se déclarant ouvertement homosexuels. Un très bon documentaire, Faut qu'on parle, a justement été réalisé à ce sujet. Il donne la parole à des sportifs et sportives de haut niveau homosexuels qui s'expriment pour la première fois. Ils témoignent de la véritable difficulté à en parler au sein de leur pratique du sport de haut niveau. Quelqu'un révélant son homosexualité est ainsi en marge au sein d'un vestiaire, qui fonctionne beaucoup sur la « masculinité ». Dire que l'on est victime ou que l'on souffre d'une situation est perçu comme une faiblesse. Tout le système fait en sorte de ne jamais évoquer le problème.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite revenir sur les supporters. Nous partageons le constat d'actes répréhensibles, qu'il s'agisse d'actes racistes ou homophobes, mais les clubs et fédérations éprouvent des difficultés à aller au bout de la démarche. Les clubs ont besoin des associations de supporters et inversement. Un dialogue permanent est aujourd'hui engagé entre les deux entités. Ne peut-on pas imaginer que ce dialogue, parfois fructueux, puisse évoquer les actes délictuels ? Si les messages sont transmis et que l'on rappelle que la règle ne peut être transigée, je pense que l'on peut malgré tout améliorer la situation.

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Je partage votre avis. Le dialogue existe, même s'il peut être rompu. Il faut sensibiliser les meneurs, les « kapos », qui tiennent les mégaphones dans les stades sur ces questions. Cela pourrait même devenir une obligation. En cas de débordements, le club pourrait tenir responsables les organisateurs des animations.

Aux États-Unis, la Ligue de basket nationale (NBA) connaissait le même problème de la faible représentation des entraîneurs de couleur. Il y avait ainsi seulement sept entraîneurs noirs sur les trente franchises il y a encore trois ou quatre ans. Le nombre a été doublé depuis, pour atteindre le chiffre de quinze. D'une part, l'entraîneur noir, M. Tyronn Lue, a rencontré un grand succès avec le club de Cleveland. D'autre part, la NBA a mis en place un programme d'ateliers de coaching dans les clubs, pour montrer que le métier d'entraîneur était ouvert à tous. Si l'on faisait la même chose en France dans le football, cela permettrait à de jeunes joueurs d'être sensibilisés, d'avoir le sentiment d'être légitimes et d'augmenter la proportion d'entraîneurs issus de la diversité.

Enfin, je ne dispose pas de statistiques précises. Lorsque nous avions réalisé notre documentaire, il y avait cinq ou six candidats de couleur sur trente à passer le diplôme d'entraîneur. En revanche, je suis plus pessimiste en ce qui concerne les sanctions. Elles existent mais tout le monde se renvoie la balle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous connaissance, lorsque l'on intègre une association de supporters, de la signature d'un document pointant les droits et les devoirs et les sanctions passibles en cas d'insultes racistes et homophobes ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Un code de bonne conduite est notifié, mais il ne rappelle pas les sanctions. En outre, il n'est forcément lu par les supporters. Des messages ont été transmis lors de campagnes, mais ils n'ont pas eu d'effets dissuasifs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le devoir des clubs n'est-il pas de protéger les joueurs et donc de faire en sorte qu'il ne leur arrive rien ? Le joueur devrait être déchargé du dépôt de la plainte, qui devrait être confié au club ou à la fédération ?

Permalien
Marc Sauvourel, réalisateur

Le club doit effectivement protéger le joueur, mais en réalité, il n'est pas forcément soutenu comme il devrait l'être. Lorsque M. Vinícius Junior s'est plaint, le Real Madrid s'est contenté de publier un communiqué de soutien et de l'inviter en loge à assister un match à côté du président du club. Mais le club n'a pas déposé plainte jusqu'à présent. Le club n'a pas plus protégé le joueur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie. N'hésitez pas à nous transmettre des documents complémentaires ou une liste de noms de personnes que nous serions susceptibles d'auditionner. En tant que journaliste, vous devez avoir de nombreuses sources.

La séance s'achève à treize heures.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Céline Calvez, Mme Fabienne Colboc, M. Laurent Croizier, M. Hadrien Ghomi, M. Jérôme Guedj, M. Stéphane Mazars, Mme Sophie Mette, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi, M. Bertrand Sorre, M. Michaël Taverne.

Excusés. – Mme Soumya Bourouaha, M. Stéphane Lenormand