Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 15 novembre 2023 à 13h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • artificielle
  • asile
  • immigration
  • intelligence
  • migratoire
  • technologie

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 15 novembre 2023

Présidence de Mme Marietta Karamanli, Vice-présidente de la Commission,

La séance est ouverte à 13 heures 30.

I. Nomination d'un rapporteur d'information

Sur proposition du Mme la Vice-présidente, la Commission a nommé :

- M. Pierre-Henri Dumont (LR), rapporteur d'information sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (n°1855).

II. Intelligence artificielle : communication de Mme Constance LE GRIP et présentation d'un projet d'avis politique

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J'ai l'honneur de présenter un projet d'avis politique sur le projet de règlement européen établissant des règles harmonisées en matière d'intelligence artificielle. La présentation de ce projet d'avis politique est précédée par une communication.

Si les origines de l'intelligence artificielle remontent aux années 1950, ce n'est que ces dernières années que son usage et son évocation même dans les débats publics, politiques, journalistiques, scientifiques, ont pris une telle ampleur. Les potentialités des usages et des bouleversements que les technologies d'intelligence artificielle introduisent dans la société, et dans tous les domaines de notre vie, en font la principale et la plus forte innovation de cette quatrième révolution industrielle que nous vivons.

Il convient de s'entendre sur ce qu'est une intelligence artificielle. Il n'y a pas encore à ce stade, une définition reconnue, même si les travaux de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) sont sur le point d'aboutir à une définition commune. Mais dans le langage courant, l'intelligence artificielle se définit comme un ensemble d'algorithme basé sur des techniques d'apprentissage, dont les instructions à exécuter sont générées par la machine qui apprend ainsi à partir des données qui lui sont fournies par l'être humain.

Nous sommes donc clairement dans le sujet très sensible du travail de l'être humain avec des machines apprenantes et de la capacité du pouvoir que ces machines ont pour répliquer les comportements humains et pourquoi pas un jour les devancer, voire même les inventer. Se pose la nécessité de savoir si l'on va vers une régulation, une gouvernance de ces technologies d'intelligence artificielles, ou pas ; et c'est une question qui se pose au niveau mondial.

Il y a depuis 2020, à l'initiative du Canada et de la France, une instance de coopération internationale, que l'on appelle le partenariat mondial pour l'intelligence artificielle qui vise à organiser la coopération internationale pour une gouvernance mondiale de l'intelligence artificielle reposant sur le développement responsable de l'intelligence artificielle et son utilisation centrée sur l'humain. Le prochain sommet de ce partenariat global sur l'intelligence artificielle se réunira à New Dehli, en Inde, du 12 au 14 décembre prochains. Plus près de nous, s'est tenue récemment, les 1er et 2 novembre derniers, au Royaume-Uni, la première édition du sommet pour la sécurité de l'intelligence artificielle, à l'initiative des Britanniques. La France y était représentée par Bruno Le Maire, dont le portefeuille ministériel inclut la souveraineté industrielle et numérique, et le ministre Jean-Noël Barrot. C'est d'ailleurs la France qui organisera, au cours de l'année 2024, la deuxième édition de ce sommet pour la sécurité de l'intelligence artificielle à Paris.

L'idée générale de ce sommet est de considérer les technologies d'intelligence artificielle comme des vecteurs de progrès qui comportent néanmoins des risques considérables, d'où l'idée d'une gouvernance de ces technologies et de leurs usages.

Avant la tenue de ce sommet au Royaume-Uni, les dirigeants du G7 réunis au Japon ont lancé le processus d'Hiroshima, qui vise à mettre en place des principes directeurs et un code de bonne conduite pour les développeurs de ces technologies.

Ce préambule vise à éclairer la commission sur le contexte géopolitique dans lequel s'insère le sujet de la gouvernance et de la régulation des technologies d'intelligence artificielle. J'en arrive donc au projet de règlement qui a été proposé en avril 2021 par la Commission européenne, qui vise à doter l'Union européenne d'un cadre juridique harmonisé pour l'intelligence artificielle. Nous verrons pour quelle raison la Commission a proposé un règlement plutôt qu'une directive.

La base juridique est l'article 114 du traité, qui vise à permettre un meilleur fonctionnement du marché intérieur en luttant contre la fragmentation juridique, source d'insécurité et d'iniquité, ce qu'une démarche d'autorégulation ne suffirait pas à garantir. La Commission européenne, faisant le choix de l'efficacité et du pragmatisme, a proposé un règlement plutôt qu'une directive.

Ce projet de règlement assez ambitieux vise à créer une intelligence artificielle centrée sur l'humain, durable, éthique et digne de confiance.

L'approche du commissaire Thierry Breton est basée à la fois sur la confiance dans le progrès, dans la capacité de l'Union européenne à préserver sa souveraineté, mais aussi sur la prise en compte des risques et des menaces, une réalité qui s'invite dans les débats politiques et juridiques.

L'approche de la Commission européenne a donc été basée sur les risques, comme l'avait fait le Parlement européen dans une résolution votée en 2020 à la suite de la publication du Livre blanc sur l'intelligence artificielle par la Commission européenne.

La proposition distingue trois types de risques : le risque inacceptable, entraînant l'interdiction, le risque élevé et le risque limité ou faible.

Le risque inacceptable désigne une série d'usages pour lesquels les technologies d'intelligence artificielle présentent une menace manifeste pour la sécurité ou pour les droits des personnes. Sont par exemple concernés les systèmes manipulant les comportements humains, comme des systèmes de reconnaissance des émotions, ou produisant une notation sociale.

Le risque élevé vise les technologies traitant d'infrastructures critiques, d'éducation, de formation professionnelle, de sécurité des produits, présentant des risques d'interférences avec les droits fondamentaux des personnes, ou encore traitant de sujets relevant des migrations, de l'asile ou des contrôles aux frontières.

Enfin, le risque limité ou faible concerne, par exemple, les jeux vidéo ou les systèmes anti spam.

En fonction de l'appartenance à l'une de ces catégories, des contraintes et des obligations de publication, de déclarations ou de contrôle en amont sont déclinées de façon proportionnée. La liste des intelligences artificielle interdites peut être trouvée en annexe du projet. La finalisation de ces listes fait l'objet d'intenses tractations à l'heure actuelle dans le cadre du trilogue.

Les systèmes d'intelligence artificielle à risque élevé sont encadrés par un ensemble d'obligations tenant compte des mésusages possibles. Dans cette catégorie se trouvent des usages liés à la sécurité. L'utilisation des technologies d'intelligence artificielle à des fins militaires ou de défense nationale est interdite dans le texte actuel, ce que je soutiens. Cela ne signifie pas qu'il faille s'interdire de créer un espace pour des usages à des fins de sécurité, par exemple pour les forces de police et de gendarmerie, mais de façon encadrée, ce que prévoit le texte avec un contrôle des autorités judiciaires.

C'est un sujet sensible qui fait l'objet d'intenses discussions entre représentants du Parlement européen et représentants du Conseil. Nous verrons comment les choses évoluent, compte tenu de l'accélération des travaux du trilogue.

Autre sujet important à mes yeux, celui de la protection des données personnelles. L'Union européenne bénéficie du règlement général sur la protection des données, cadre très protecteur et crucial pour notre souveraineté. Les acteurs auditionnés ont souligné que la bonne articulation entre le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) et le futur règlement européen est essentielle.

Une fois évoquée la démarche de prise en compte des risques et des garanties, nous en venons à ce qui me semble être au cœur de ce que veut porter l'Union européenne, attachée à sa souveraineté industrielle et numérique : le soutien à l'innovation et à la compétitivité. L'intelligence artificielle est un formidable levier d'innovation, de progrès et de mieux-être pour nos économies, nos concitoyens, nos systèmes de santé ou nos entreprises. Il est crucial que l'UE s'inscrive avec optimisme et persévérance dans cette logique de soutien à l'innovation. Nous devons bien voir les opportunités et les progrès qu'offre l'intelligence artificielle dans un contexte de très grande concurrence internationale, quand nous savons que des progrès auront lieu aux États-Unis, en Inde ou ailleurs.

Nous devons donc opter résolument pour le choix de la régulation, et nous sommes le premier ensemble démocratique au monde à le faire, mais sans placer des contraintes inutiles pour nos entreprises européennes et sans créer une situation de concurrence déloyale à leur égard. Nous devons donc toujours avoir présent à l'esprit cette idée de soutien à l'innovation et à la recherche. Par exemple, la régulation des très grands systèmes d'intelligence artificielle, ou modèles de fondation, doit se faire avec l'idée de ne pas empêcher l'émergence et la consolidation d'un système économique et industriel porteur pour nos entreprises.

C'est la raison pour laquelle la distinction entre les entreprises du numérique selon leur taille pour l'attribution d'un certain nombre d'obligations me semble être une démarche importante pour renforcer le portage de nos capacités de recherche, d'innovation et de développement.

Le règlement prévoit également un système de gouvernance à deux niveaux, nationale et européenne. Le projet de règlement prévoit ainsi d'attribuer à des autorités nationales les compétences de contrôle des obligations imposées aux opérateurs. Mais il prévoit également un système de supervision sous la forme d'un bureau européen de l'intelligence artificielle.

Nous pouvons également mentionner le sujet des intelligences artificielles génératives, avec les menaces et craintes qu'elles font naître pour le secteur de la création et de la culture. Le Parlement européen, à travers sa commission Culture, s'y est penché et le débat qui s'est ouvert n'est pas encore totalement clos et satisfaisant. La compatibilité entre le futur règlement européen sur l'intelligence artificielle et la directive d'auteur reste en débat.

Pour conclure, il me semble qu'il y a une volonté de toutes les parties prenantes aux négociations d'arriver à un accord. Il y a une conscience partagée de l'urgence à pouvoir être le premier espace démocratique au monde à réguler l'intelligence artificielle et à mettre en place un système de gouvernance qui pourrait inspirer le reste du monde. Nos travaux européens sont regardés avec beaucoup d'attention, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il y a donc une obligation de résultat et les négociations se font dans un esprit de compromis où chacun parvient à faire prévaloir ses lignes rouges.

Nous risquons donc d'avoir une bonne nouvelle d'ici à la fin de l'année avec un texte équilibré, qui convienne à tout le monde et qui puisse porter la souveraineté industrielle et numérique européenne de manière éclairante.

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Je souhaiterais d'abord me féliciter de l'action résolue de l'Union en faveur de l'innovation, qui se traduit notamment par le programme Horizon Europe, et qui soutient la recherche et l'innovation sur notre continent, dont l'intelligence artificielle sur laquelle nous devons affirmer une approche européenne. Nous connaissons bien l'engagement du Président de la République et du commissaire Thierry Breton sur ce sujet.

L'intelligence artificielle renvoie nécessairement à une question de compétitivité et à la nécessité de fixer un cadre clair pour nos entreprises. Sans régulation, il n'y a pas de sécurité juridique pourtant nécessaire au développement de nos start-ups. C'est pourquoi la démarche de la Commission européenne, fondée sur les risques sans entraver le développement technologique, et prenant en compte la concurrence internationale d'autres acteurs comme les États-Unis ou la Chine nous apparaît fort adéquate.

Ces règles sont aussi une condition de la confiance envers ces nouveaux outils émergents. C'est un impératif démocratique d'une Europe qui protège. Je profite d'ailleurs de cette intervention pour saluer l'initiative de la métropole de Montpellier, qui a ouvert ce week-end la première convention citoyenne permettant à nos concitoyens de se saisir de cet enjeu.

Compétitivité, confiance, régulation. Je crois que cet avis politique exprime bien ce triptyque équilibré, et c'est pourquoi le groupe Renaissance votera en faveur de son adoption.

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L'intelligence artificielle est un sujet stratégique pour les décennies à venir, d'autant plus important qu'aujourd'hui, la France et l'Union européenne sont en retard par rapport à la Chine et aux États-Unis.

L' Artificial Intelligence Act que notre groupe a voté au Parlement européen en juin dernier est un progrès. Mais pour répondre à ce défi, la France et l'Union européenne doivent arrêter d'être obsédés par la réglementation et s'orienter vers l'investissement. Pendant que nous philosophons sur l'intelligence artificielle, sur son encadrement et sa réglementation, les Américains et les chinois, peu soucieux de ces sujets, nous distancent de plus en plus. Si nous prenons trop de retard, nous prenons le risque d'être obligés d'utiliser leurs intelligences artificielles, plus performantes et ne respectant pas notre cadre. C'est le risque de perdre sur les deux tableaux.

Or l'intelligence artificielle relève du domaine stratégique de par la collecte des données personnelles et par la puissance de calcul. Il est donc important que ces données restent sur le sol français afin d'asseoir notre souveraineté. Pour ce faire, la France peut agir sur plusieurs leviers. Il peut s'agir notamment d'augmenter le financement de la recherche et développement, de favoriser l'investissement dans la recherche privée sur ce sujet, de mieux former les générations futures, et de rémunérer à leur juste valeur les chercheurs et les professeurs.

J'aimerais insister sur ces deux derniers points. Un rapport sur l'intelligence artificielle a été fait à l'Office parlementaire et d'évaluation des choix technologiques et scientifiques (OPECTS) il y a cinq ans. À cette occasion, le responsable de formation de l'intelligence artificielle à l'École normale supérieure (ENS) Ulm s'était vu auditionné et posé la question suivante : où sont les élèves que vous avez formés sur l'intelligence artificielle ? Il y a eu un blanc de vingt à trente secondes. Ce professeur n'a trouvé aucun élève issu de notre formation qui est resté sur le territoire. Nous sommes donc capables en France de former de très grands esprits sur ces nouvelles technologies. Mais il faut réussir à ramener ces talents, qui ont été formés grâce à nos impôts.

Nous pouvons relever deux raisons à ce phénomène. D'une part, les États-Unis font des ponts d'or à nos ingénieurs avec des salaires équivalents voire supérieurs à ceux des traders de la finance. Nos compatriotes sont tellement nombreux dans la Silicon Valley, que l'on parle là-bas de « french mafia ». D'autre part, cette technologie, dans un marché libre mondial, répond à une logique de « the winner takes it all » ou, a minima, « the winner takes the most ». La Chine a par exemple réussi à développer son moteur de recherche performant en interdisant Google sur son territoire. Il y a peut-être un juste milieu à trouver dans les mesures à adopter mais, si l'on ne fait rien, on risque de perdre tout cela.

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Le développement exponentiel de l'intelligence artificielle appelle l'adoption d'une réglementation par la puissance publique, et ce au niveau national comme aux niveaux européen et international, avec l'objectif de garantir un cadre de développement éthique, le respect des droits et des libertés et la protection des données qu'elles soient individuelles, économiques ou d'intérêt stratégique. Néanmoins, votre avis comporte selon nous quelques zones d'inquiétude et des manques. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé un certain nombre d'amendements.

La première zone d'inquiétude porte sur votre paragraphe 28 et les impératifs de sécurité justifiant l'utilisation de l'intelligence artificielle à des fins de police. Cette utilisation présente selon nous deux inconvénients. Premièrement, elle tend à instaurer une société de surveillance généralisée. Deuxièmement, elle est loin d'être efficace. Sur le premier point, je vous renvoie aux études des principales associations compétentes sur le sujet. L'avis de la Commission national informatique et libertés (CNIL) de juillet 2022 soulignait ainsi que des risques importants pour les libertés individuelles et collectives existent du simple fait de la multiplication actuelle et anticipée des dispositifs de vidéo augmentée qui pourraient aboutir à un sentiment de surveillance généralisée. Je vous renvoie également à l'avis du Défenseur des droits de mai 2020, ou encore à l'alerte envoyée par le Haut-commissariat de l'ONU en 2021 qui avait appelé à un moratoire sur les technologies biométriques et les systèmes de surveillance opérés par intelligence artificielle. L'actualité dramatique au Proche-Orient illustre les limites des systèmes de surveillance reposant exclusivement sur l'intelligence artificielle et devrait sonner pour chacun d'entre nous comme un avertissement sur les mirages du solutionnisme technologique.

La deuxième zone d'inquiétude de votre avis porte sur le paragraphe 30 et la demande d'un cadre souple pour les entreprises européennes. Il ne s'agit aucunement de nier l'intérêt stratégique de ne pas laisser l'intelligence artificielle façonnée uniquement par la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis, mais votre paragraphe répond à cet enjeu de la mauvaise manière et inverse la priorité. La priorité est d'avoir un cadre éthique et protecteur pour les droits et les libertés, pas d'avoir un cadre réglementaire au rabais.

Enfin, il existe un manque dans votre avis, celui de la question des travailleurs, de la collecte, de la conservation et de l'utilisation de leurs données. En effet, dans un nombre croissant de contextes, les travailleurs du clic interagissent avec des technologies, des applications, des logiciels, des dispositifs de traçage, des médias sociaux ou des dispositifs embarqués qui peuvent les mettre en danger et posent des questions relatives au droit du travail. Or, à l'heure actuelle, la RGPD ne contient qu'un seul article consacré à l'emploi, l'article 88 relatif au traitement des données à caractère personnel. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé un amendement pour prendre en compte ce sujet.

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Nous ne pouvons que saluer la volonté de réglementer l'intelligence artificielle au niveau européen ainsi que le fait que l'Union européenne soit la première entité politique au niveau mondial qui souhaite réglementer l'intelligence artificielle.

Aujourd'hui, nous utilisons beaucoup de services qui proviennent des États-Unis, pour certains de Chine. Par conséquent, même si un cadre européen était adopté pour réguler l'intelligence artificielle, cette réglementation n'aurait aucune prise sur ces services venant d'États tiers. Dans ces conditions, comment faire pour que cette réglementation européenne ait une réelle utilité concrète pour nos concitoyens, étant donné cette importance d'acteurs extérieurs à l'Union européenne ?

Ma deuxième question concerne la mise en œuvre de cette réglementation. La crainte de certains acteurs numériques est celle d'une surcharge administrative pour les entreprises concernées par le développement de l'intelligence artificielle suite à l'adoption de cette réglementation, ce qui pourrait pousser certaines sociétés leurs services liés à l'intelligence artificielle dans des États tiers de façon à ne pas être entravé par les règles européennes. Par conséquent, des emplois pourraient être perdus en Europe au profit des États-Unis ou de la Chine.

Bien que cette réglementation pose des questions, le groupe Les Républicains votera en faveur de cet avis politique.

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Merci chère Constance pour ce projet d'avis politique sur l'intelligence artificielle. Je tiens à attirer votre attention sur l'importance de réguler le développement de l'intelligence artificielle au sein de l'Union européenne. L'avènement de cette technologie révolutionnaire soulève des défis éthiques et juridiques considérables. Il nécessite une approche coordonnée car il soulève des préoccupations légitimes en termes de sécurité, de protection des données personnelles et de manipulation de l'information.

Chers collègues, sachez que les mots que je viens de prononcer ont été produits par le logiciel ChatGPT. Il y a encore un an, qui aurait pu prédire qu'un robot serait capable de rédiger un tel texte ? Aujourd'hui, l'intelligence artificielle prend une place croissante dans nos vies quotidiennes, façonne nos interactions sociales, a un impact sur l'emploi. Elle suscite des craintes et des inquiétudes sérieuses en matière de respect de la vie privée, de non-discrimination, de respect de la création artistique. Ma question est donc la suivante : comment trouver un équilibre viable entre la protection des droits d'auteurs et la protection des données personnelles ?

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Je salue votre travail qui me semble essentiel. Je souhaitais soulever un point de rédaction. À l'alinéa 34 du projet de résolution, il est fait mention de « bac à sable ». Ce terme me semble à la fois peu précis et sans portée juridique. Le temps m'a manqué pour déposer un amendement, mais il me semble que nous pourrions trouver une formulation plus appropriée.

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Merci Mme la Présidente. Je tiens à remercier sincèrement tous mes collègues qui se sont exprimés, ce qui montre tout l'intérêt que notre Commission porte à ce sujet essentiel. Au Parlement européen, les Commissions « Libertés civiles, justice et affaires intérieures » (LIBE), « Marché intérieur et protection des consommateurs » (IMCO) se sont penchées ces derniers mois sur le projet d'acte européen. Il me semblait nécessaire que notre Commission contribue à son tour à cette réflexion collective. Si j'en juge par la qualité et la diversité de vos interventions, nous tenons tout à fait notre rang et c'est heureux.

Je souhaite remercier Mme Laurence Cristol non seulement pour le soutien qu'elle apporte à ce projet d'avis politique mais aussi pour le discours qu'elle tient sur la nécessité vitale pour l'Union européenne de soutenir l'innovation et la recherche. Vous l'avez souligné, le défi qui est le nôtre est de trouver un équilibre entre le nécessaire soutien à l'innovation et la garantie de notre sécurité commune. La ligne de crête sur laquelle nous nous trouvons est étroite, mais il me semble que cet équilibre essentiel est pour l'heure garanti par le projet d'acte européen.

M. Alexandre Sabatou, il est important que notre Commission s'empare de ce sujet stratégique au moment où nous pouvons encore faire passer des messages auprès de nos collègues de l'exécutif et du Parlement européen. Il me semble que tenter d'introduire des règles de bonne gouvernance, qui garantiront le respect de nos valeurs dans l'usage de cette nouvelle technologie, ne porte pas préjudice à l'innovation. Certes, d'autres régions du monde n'ont que faire de la gouvernance ou de la protection des données personnelles. Mais l'Union européenne, et c'est d'ailleurs l'esprit du RGPD, peut en tirer un avantage compétitif.

Quant aux montants des investissements européens en matière de numérique et plus spécifiquement d'intelligence artificielle, ils sont tout à fait conséquents. Evidemment, il est toujours possible de faire mieux, et il serait heureux que de nouvelles ressources propres y soient consacrées. Encore faut-il pour cela soutenir et encourager une approche européenne concertée.

M. Manuel Bompard, je note avec satisfaction que vous soutenez les efforts de régulation de l'Union européenne, qui nous permettront de faire prévaloir nos valeurs fondamentales et notre espace de droit. Je pense avoir suffisamment relayé dans cet avis politique les inquiétudes soulevées par l'intelligence artificielle. Cependant, j'ai également voulu porter un message optimiste et favorable à l'innovation et au progrès. Je souhaite que dans certains domaines régaliens, l'usage de l'intelligence artificielle à des fins répressives s'effectue sous le contrôle des autorités judiciaires, en privilégiant une approche pragmatique. Nous y reviendrons sans doute lors de l'examen des amendements.

Je remercie M. Vincent Seitlinger pour ses commentaires élogieux. Je jure ne pas avoir eu recours à l'intelligence artificielle dans la rédaction de ce rapport. Je partage votre souhait de garantir que nos efforts de régulation ne se traduisent pas par des contraintes excessives. Ce serait contre-productif. C'est pour cette raison que la démarche par risques proposée par M. Thierry Breton est pertinente. Lorsque le risque est faible, les obligations sont réduites. Vous avez eu raison de le souligner, la confiance est essentielle dans ce domaine. S'agissant des données abritées par les Etats tiers, le RGPD s'applique aujourd'hui. Concernant l'utilisation de l'intelligence artificielle, les entreprises qui opèrent sur le territoire européen devraient à terme en respecter la réglementation, quelle que soit leur nationalité. On le voit aujourd'hui sur le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), l'application des règles est un combat. Mais il vaut la peine d'être mené.

Mme la Présidente, je vous remercie d'avoir réservé un accueil favorable sur le principe à ce projet d'avis politique. Je suis consciente d'avoir été dans l'obligation de traiter de nombreux enjeux sans pouvoir toujours approfondir, mais je vous renvoie aux travaux de grande qualité des parlementaires européens si vous souhaitez creuser certains points. Vous l'avez dit, la question de la définition est cruciale. Nous sommes sur le point d'aboutir à une définition dans le cadre des travaux de l'OCDE, définition qui pourrait être intégrée au corpus européen.

Par ailleurs, je crois que nous n'en avons pas encore parlé mais, dans l'avis politique, j'ai souhaité introduire l'idée d'une clause de revoyure, une espèce de bordage dans le temps car je suis consciente qu'il existe un risque que face à l'avancée des IA, les régulations finissent par accumuler du retard. Nous devrons pouvoir nous assurer que nous sommes capables de faire prévaloir les choix politiques que nous avons faits. Il faudra certainement remettre l'ouvrage sur le métier. Vous avez pointé, Mme la Présidente, la question des droits humains, la Charte des droits fondamentaux et notre corpus juridique en général. Vous avez raison, c'est absolument essentiel et cela fait de l'espace européen un espace démocratique distinct de nombre d'autres régions. Il faut trouver un équilibre en adéquation avec cette question.

Mme Brigitte Klinkert, vous avez parlé de l'impact des IA génératives sur le respect des droits d'auteur. Cette question est bien présente à l'esprit des députés européens et a été discutée en commission culture et des dispositifs sont introduits à cet effet. À ce stade, nous avons rencontré des juristes qui travaillent sur la propriété intellectuelle dans les comités mis en place par le ministre Bruno Le Maire et Mme la Première ministre, et ils nous assurent que le texte européen, s'il aboutit dans sa forme actuelle, sera parfaitement compatible avec le respect de la directive sur le droit d'auteur. Là aussi une clause de revoyure serait souhaitable car les enjeux économiques et en termes d'emplois pour le secteur culturel sont lourds.

Concernant la question de M. Charles Sitzenstuhl, l'expression « bac à sable » est une traduction de « sandbox ». Comme l'indique le texte du projet de règlement, les sandboxes sont un espace de dérogation possible à la régulation. C'est un règlement qui prévoit dans son corpus de dispositions les dérogations possibles à titre temporaire pour les états qui le souhaiteraient pour soutenir l'innovation et la recherche. C'est un dispositif d'expérimentation auquel notre exécutif est très attaché tout comme d'autres États européens en accord avec les autorités nationales de contrôle. Nous pouvons peut-être remplacer « sandboxes » par dispositifs d'expérimentation.

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Merci chère collègue pour ces suggestions d'améliorations textuelles. Je propose que nous passions maintenant aux amendements de M. Bompard pour la France Insoumise.

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Pour gagner du temps, je peux présenter les trois amendements ensemble. Le premier je l'ai présenté dans mon propos introductif : il concerne la suppression de l'alinéa 28 qui dit « rappelle les impératifs de sécurité justifiant l'utilisation de l'IA à des fins de police de manière encadrée sous contrôle des autorités judiciaires. ». Je vous ai dit mes inquiétudes sur le sujet. Il me semble que malgré les précautions affichées par la rapporteure qu'il serait plus prudent à ce stade de ne pas noter cette mention au regard des mises en garde qui ont déjà été faites par le Haut-commissariat de l'ONU et la Défenseur des droits sur le sujet.

Le deuxième amendement propose de remplacer l'idée d'un cadre souple par celle d'un soutien. Je me retrouvais dans votre réponse à notre collègue du Rassemblement national ; la réglementation ne doit pas être considérée comme un objectif en contradiction avec l'utilisation des intelligences artificielles. Le terme « cadre souple » donne le sentiment qu'il faut réduire le cadre de régulation et le degré de respect des libertés pour favoriser le développement des IA. Or je ne crois pas que ce soit nécessaire.

Le troisième amendement enfin traite de l'impact du développement des IA sur le droit du travail et la protection des droits des travailleurs. L'article 88 du RGPD est le seul qui traite des questions liées à l'emploi. Or, le développement des IA dans le cadre du travail fait peser de multiples risques pour les droits des travailleurs, comme leur droit à la déconnexion. Cet enjeu n'est pas suffisamment pris en compte à l'heure actuelle, ce pour quoi je vous propose d'introduire dans votre avis, après l'alinéa 36, une phrase demandant à la Commission européenne de réviser l'article 88 du RGPD pour l'adopter au développement des technologies d'intelligence artificielle.

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Avant de vous passer la parole madame Le Grip, je voudrais réagir aux amendements qui ont été déposés. Concernant la proposition de supprimer l'alinéa 28, serait-il envisageable de le rendre plus précis ? En mentionnant par exemple clairement que l'IA utilisée à des fins de sécurité doit l'être dans des conditions respectant les droits de l'homme et la démocratie. Je vous laisse en juger. Pour le deuxième amendement peut-on définir ce qu'est le cadre souple pour éviter les interprétations contradictoires ?

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Sur le premier amendement de M. Bompard, je pense que le texte aura dans sa version finale une rédaction qui conviendra à la fois au Parlement européen et aux États membres. Les situations permettant cet usage seront précisées de manière à dissiper toute incompréhension juridique ou crainte déraisonnable. Concernant par exemple l'identification biométrique à distance en temps réel, son usage sera très strictement encadré sous le contrôle judiciaire. Des motifs seront requis comme la recherche de victime potentielle, la prévention d'une menace pour la vie ou la sécurité physique ou encore une infraction pénale grave susceptible d'être sous le coup d'un arrêt européen. Je pense que les garanties sont suffisantes. Je peux vous dire que le Parlement européen qui faisait face à la réticence des États membres à cette idée à l'origine a réussi à les convaincre en adoptant une rédaction qui encadre strictement l'usage de ces technologies. La liste des IA interdites, car jugées dangereuses ou inacceptables, a aussi été allongée. Je pense que ces éléments devraient nous rassurer sur cette négociation et j'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Sur le deuxième amendement, je voulais insérer l'idée que les sandboxes sont des cadres expérimentaux. Les risques, quant à eux, sont répartis sur 3 niveaux et ont des obligations très proportionnées, ciblées et adaptées. Le seuil de la taille des acteurs est aussi pris en compte. C'est en raison de ces adaptations pragmatiques que je parle de cadre souple. Nous pouvons peut-être ajouter un sous-amendement dans l'alinéa 30 précisant que cette action s'opère dans le cadre du respect de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En revanche, je ne suis pas favorable au second amendement de M. Bompard en l'état.

Enfin, pour le dernier amendement concernant la révision du RGPD, j'entends les craintes de certains métiers et travailleurs mais je trouve que c'est hors sujet dans ce projet d'avis politique de demander à la Commission européenne de réviser le RGPD ; ce pour quoi je fais une demande de retrait.

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Avant de passer aux votes des amendements, il y a deux demandes de parole : M. Sabatou et Mme Tanguy.

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Je note que l'on aurait été nombreux à vouloir déposer des amendements sur ce texte, mais nous n'avons reçu le projet d'avis politique il y a seulement vingt-quatre heures.

Je souhaitais rebondir sur la réponse de Madame la rapporteure à ma question. Tout ne passe pas par le financement public. La réponse n'est pas forcément d'augmenter les ressources propres de l'Union européenne. Par exemple, aux États-Unis, les avancées ne sont pas permises par les fonds publics, mais par des investissements privés. Il s'agirait donc plutôt en réalité de faire de la place à des acteurs privés et de les soutenir pour répondre à cet enjeu stratégique qu'est l'IA.

Concernant les amendements, et pour rester cohérent avec notre intervention, nous ne voulons pas entraver la recherche et le développement des IA. Nous serons donc globalement contre.

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Je souhaitais intervenir sur l'importance du soutien à l'innovation et à la recherche et développement que vous avez mentionné dans le rapport. Vous dites que ce soutien est un levier important de progrès et de bien être pour la société, notamment en matière de médecine et d'environnement. Outre les dispositifs expérimentaux que vous avez mentionnés, quel cadre le commissaire Thierry Breton entend-il mettre en place pour renforcer le leadership de l'Europe afin d'asseoir la souveraineté du continent en matière d'IA ? Je vous pose la question parce que vous avez aussi évoqué le contexte fortement concurrentiel au plan international.

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Par-delà le fait d'avoir une législation européenne proportionnée, adaptée, mais néanmoins ambitieuse dans les valeurs qu'elle porte et les dispositifs qu'elle met en place, il est important que nous continuions à exercer notre rôle et à tenir notre rang dans toutes les grandes instances de discussion et de mise en place de modalités de coopération internationale, à savoir l'OCDE et le partenariat mondial sur l'intelligence artificielle. Nous aurons en France en 2024 la deuxième édition du sommet mondial pour la sécurité des intelligences artificielles. Le dernier salon Vivatech a particulièrement mis en avant les petites, moyennes et grandes entreprises françaises, les chercheurs, les talents et les compétences que nous avons en matière d'IA. Il est vrai que certains de ces talents sont reconnus à l'étranger, mais beaucoup œuvrent à mettre en place, en France, les instruments pour gagner des marchés. Il y a une complémentarité entre une approche de régulation et des investissements couplés d'un fort volontarisme politique tel qu'il est incarné et par Emmanuel Macron et par Thierry Breton.

L'amendement n° 1 de M. Manuel Bompard est rejeté.

Le sous-amendement de Madame Marietta Karamanli à l'amendement n°2 de M. Manuel Bompard est adopté.

L'amendement n° 2 de M. Manuel Bompard ainsi modifié est adopté.

L'amendement n° 3 de M. Manuel Bompard est rejeté.

Le projet d'avis politique ainsi modifié est adopté.

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Pour votre information, l'avis politique adopté sera adressé à la Commission européenne ainsi qu'au Parlement européen. Il sera mis en ligne en parallèle.

III. Projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (n° 1855) : examen du rapport d'information portant observations (M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur)

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D'ici quelques semaines notre Assemblée débutera l'examen du projet de loi dit « Immigration », déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat il y a presque un an. Ce texte vient ainsi s'ajouter à la longue liste de textes législatifs adoptés depuis des années en matière de droits des étrangers : il s'agit du 29ème projet de loi sur l'immigration déposé depuis 1980 et de la 58ème loi en la matière depuis 1945. Si notre droit national nécessite assurément d'être réformé, la succession de ces textes, dont aucun n'est parvenu à provoquer un infléchissement de la dynamique migratoire, démontre que les mesures entreprises ont été insuffisantes.

Le constat est en effet clair : la France et l'Europe connaissent une hausse durable des flux migratoires.

Depuis la crise de 2015, les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union européenne n'ont jamais été aussi élevés. Ils ont plus que doublé depuis 2020, passant de 125 000 entrées illégales enregistrées en 2020 par Frontex à plus de 300 000 en 2022. La dynamique constatée sur l'année 2023 n'est guère meilleure : Frontex a décompté 280 000 franchissements irréguliers entre le 1er janvier et la fin du mois de septembre, ce qui laisse présager d'un nouveau record.

Hélas, le projet de loi qui nous est présenté ne comporte aucune mesure à même d'infléchir cette dynamique. Les dispositions proposées en matière d'éloignement ne constituent que des ajustements à la marge du cadre juridique existant. Elles ne permettront pas d'améliorer le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et autres mesures d'éloignement, qui ne cesse de se dégrader. Il y a d'ailleurs un paradoxe : en multipliant le nombre de personnes qui pourront être destinataires d'une OQTF sans pour autant y adjoindre de mesures qui permettent d'en augmenter l'application, le risque d'une nouvelle dégradation du taux d'exécution de ces OQTF est élevé. Je rappelle que ce taux est un indicateur de performance dans les programmes d'action et de performance budgétaires, toute comme dans les analyses du gouvernement et du ministère de l'Intérieur sur le sujet. Pour mémoire, à peine 10 % des mesures prononcées sont effectivement exécutées. Ce taux atteint tout juste 20 % au niveau européen, avec des disparités extrêmement importantes entre les Etats. Certains pays dépassent ainsi la barre des 50 %.

Pire encore, le projet de loi prévoit d'autoriser la régularisation de certains travailleurs sans papiers en créant une prime à la fraude à la législation du séjour des étrangers et au Code du travail. En encourageant les étrangers en situation irrégulière et les employeurs à se maintenir dans l'illégalité, il y a une incohérence avec la volonté affichée par le gouvernement de limiter les flux illégaux et de les transformer en flux légaux, en particulier en flux de travail.

En tant que rapporteur pour observations de la commission des affaires européennes, je souhaiterais attirer plus particulièrement votre attention sur le contexte européen dans lequel s'inscrit ce projet de loi. Trois éléments me semblent particulièrement importants :

Le premier est l'articulation des mesures nationales proposées avec le cadre tracé par l'Union européenne. Cela constitue en effet un enjeu majeur de l'efficacité de la politique migratoire. L'immigration est une compétence partagée de l'Union européenne et des États membres qui fait l'objet d'une législation communautaire foisonnante. À cet égard, la présentation du projet de loi intervient alors même que les négociations sur le Pacte sur l'Asile et la migration, qui réformera de manière substantielle les règles migratoires européennes, sont en cours d'achèvement.

L'adoption du Pacte est susceptible de nécessiter une profonde adaptation des dispositifs nationaux d'instruction des demandes d'asile et des moyens de contrôle des frontières. Ainsi, il est regrettable que soit présenté au Parlement un énième projet de loi sur l'immigration sans que soient évoqués les effets de l'adoption prochaine du Pacte, qui aura des conséquences majeures pour notre politique migratoire. Nous prenons le risque de devoir discuter d'un nouveau projet de loi une fois le pacte adopté, dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

Le deuxième point que je souhaite aborder concerne les contraintes imposées par le droit de l'Union européenne. Les défaillances de la politique migratoire européenne sont susceptibles d'avoir des conséquences non négligeables sur chacun des États membres comme l'a montré la crise de 2015. De plus, les dispositions du projet de loi entrent dans le champ d'application de plusieurs directives européennes qui s'imposent au législateur.

C'est pourquoi, dans le contexte d'une forte reprise des flux migratoires, il est indispensable que les autorités françaises utilisent pleinement les marges de manœuvre accordées par le droit de l'Union européenne. Dans ce domaine, plus encore que dans les autres, il convient de lutter contre la surtransposition des directives, en n'introduisant pas des normes plus contraignantes que celles exigées par le droit dérivé de l'Union européenne.

En outre, plusieurs jurisprudences de la Cour de Justice de l'Union européenne sont récemment venues fragiliser le dispositif français mis en place pour contrôler nos frontières intérieures. Il conviendra d'être particulièrement attentif aux conséquences de ces décisions sur l'efficacité de la maîtrise des flux migratoires sur notre sol.

Bien souvent, les jurisprudences des cours européennes font également obstacle à l'exécution des éloignements. Ainsi, tous les efforts déployés par le Gouvernement dans ce projet de loi pour réduire les protections accordées aux étrangers troublant l'ordre public n'auront sans doute qu'un effet limité. En effet, nos juridictions devront examiner la conformité de la mesure d'éloignement au regard des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme, en particulier concernant le respect de la vie privée et familiale. La portée d'un projet de loi visant à faciliter l'application des mesures d'éloignement sera donc extrêmement réduite sans une nouvelle articulation entre le droit national et le droit européen dans ce domaine, par exemple en réformant la Constitution afin de faire prévaloir le droit français sur le droit international en matière migratoire.

Enfin, l'Union européenne ne doit pas constituer qu'un espace de contraintes : elle est aussi porteuse d'opportunités à condition de se saisir pleinement des outils qui sont offerts par le projet européen. On peut par exemple penser aux vols affrétés par Frontex pour faciliter les expulsions, que la France n'utilise pas assez. Face au phénomène migratoire, qui est mondial et complexe, l'Europe peut constituer l'échelon approprié pour maîtriser les frontières extérieures du continent et mener un dialogue coordonné avec les pays tiers.

C'est pourquoi, la France et l'ensemble des États membres doivent pleinement utiliser les outils d'incitation à l'égard des pays tiers. La mise en œuvre du dispositif permettant de conditionner la délivrance des visas à la bonne coopération en matière de réadmission pourrait être effectuée de façon beaucoup plus ferme et systématique. La conditionnalité de l'accès aux financements de l'Union européenne par les pays tiers à l'ensemble à des objectifs migratoires apparaît également indispensable.

L'Europe s'est fixé, à travers les traités, l'objectif de bâtir un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». La réussite de ce projet nécessite de s'appuyer sur des États forts disposant de la maîtrise de leurs frontières. La souveraineté européenne ne se construira pas sans États souverains.

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Je ne peux que regretter la célérité dans la législation sur un sujet aussi grave. Avec les dispositions européennes prévues par pacte asile et immigration européenne, que vous souhaitez imposer à notre pays, vous prenez les mêmes risques et les mêmes responsabilités que tous ceux qui, au fil des siècles, ont développé de manière chaotique la présence européenne et française en Asie, au Moyen et Proche Orient, et en Afrique.

Rappelons-nous la manière inconsidérée dont se sont déroulées depuis plus de 60 ans toutes les indépendances des pays qui sont aujourd'hui concernés par l'immigration. Nous en payons aujourd'hui le prix fort par une immigration légale et illégale massive. L'immigration légale, sur fond de laxisme de beaucoup d'États Membres européens et du blocage d'autres, est surtout le fait du raz-de-marée de 2015-2016 voulu par la chancelière Merkel. L'immigration légale est aussi le fait de la multiplication des filières ouvertes en Europe, comme le confirme d'ailleurs encore aujourd'hui le pacte asile et immigration.

Il s'agit aussi d'une immigration illégale dans des conditions parfois dramatiques entretenue par des réseaux mafieux structurés et par les dispositifs Dublin qui sont assez inopérants. Aujourd'hui, à vouloir régler le problème du droit des étrangers dans l'émotion et la précipitation, vous allez aggraver les choses comme vos prédécesseurs. Ce n'est guère que la 118e loi française sur l'immigration depuis 1945. C'est bien là la preuve d'une erreur majeure de stratégie.

Comme nous le proposons depuis 40 ans, il faut nous aligner sur des pays qui maîtrisent leur immigration avec des critères d'accueil stricts et renforcer le contrôle aux frontières de l'Union européenne, mais aussi aux frontières des États membres. Le climat terroriste nous l'impose d'ailleurs actuellement. En sus des multiples mesures sécuritaires et administratives que nous proposons depuis longtemps, nous pensons qu'il faut développer les partenariats culturels pour pouvoir contrôler la filière étudiante. Il nous faut développer des partenariats économiques et écologiques en réponse à la migration climatique. Nous solliciterons évidemment au maximum nos ambassades et consulats.

Bien plus, la rigueur absolue est de mise face à une menace islamiste infiltrée depuis 20 ans et qui brouille gravement les données, tout en nous donnant hélas raison dans nos analyses posées il y a bien longtemps. Nous nous sommes opposés au Parlement européen au Pacte Asile et Immigration et nous serons très attentifs à la loi à venir. Ma question est simple : comment comptez-vous intégrer les leçons de l'histoire dans les stratégies à venir ?

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Le projet de loi traite d'une question sensible, économique et sociale qui fait souvent l'objet d'une instrumentalisation idéologique. Je partage votre position selon laquelle le projet de loi n'évoque pas assez l'articulation avec le droit européen. Toutefois, je ne partage pas toutes les analysées proposées par le rapport.

Comme le rapporteur, je considère que la situation migratoire actuelle en France et dans les autres États membres est mauvaise. En effet, on dénombrait 330 000 arrivées irrégulières en Europe en 2022, soit une augmentation de 100 000 arrivées. De plus, seulement 16 % des décisions de retour dans les États membres sont suivies de demande de réadmission dans les pays tiers dans lesquels ils devraient retourner.

Mon analyse diverge de celle du rapporteur pour trois raisons. Premièrement, cette crise migratoire se prolonge depuis l'annonce de la fin du règlement de Dublin par la présidence de la Commission, et le Pacte sur la migration et l'asile censé le remplacer a tardé à voir le jour. Cette crise empêche également l'Europe d'examiner sereinement les sujets d'élargissement qui ont pourtant une portée stratégique et pourrait même remettre en cause les règles de la liberté de circulation au sein de l'Union. Enfin, cette crise conduit les États membres à traiter séparément les questions migratoires. À partir de ce constat, il aurait été utile d'évoquer dans le rapport la situation des demandes d'asile et d'accueil des personnes de nationalité ukrainienne.

Il faut également insister sur l'annonce par l'Allemagne d'une loi assouplissant les conditions d'entrée des étrangers sur le territoire allemand. En effet, il ne sera à terme plus nécessaire de parler la langue ou de présenter un contrat de travail pour s'installer dans le pays.

L'Espagne, l'Italie, la Bulgarie ou encore la Roumanie ont besoin du soutien du reste de l'Europe pour contenir les flux migratoires irréguliers alimentés par le trafic des êtres humains. Ces États d'entrée sont donc la source des mouvements internes à l'Union. Ainsi, ce qui se passe dans nos frontières à des effets dans notre pays.

Aujourd'hui, la solidarité entre les États membres est faible et l'effort d'accueil mal réparti entre eux. De plus, les procédures nationales sont longues et complexes, pouvant parfois créer des étrangers en situation irrégulière tandis que les pays tiers refusent d'accueillir leurs ressortissants. Faute d'orientation commune, les Européens laissent s'accumuler des situations problématiques au regard des droits fondamentaux. La majorité des États s'accorde à formuler une réponse visant l'augmentation des retours de migrants plutôt que la recherche d'une solution globale, ce que le groupe socialiste regrette. Votre proposition appelle à un regain de souveraineté alors qu'il nous faut un grand débat européen sur le sujet, puisque ce dernier ne peut être traité efficacement qu'à l'échelle européenne.

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Il nous semble que la teneur générale de ce projet de rapport d'information reste très politique et dépasse donc le cadre d'un rapport d'information. Les rapports d'information de cette commission, et notamment ceux portant sur des projets de loi, ont pour objectif de remettre les dispositions nationales dans leur contexte européen. Toutefois, ils ne doivent pas se transformer avis politiques ou en tribunes, même si les opinions politiques sont parfaitement légitimes. Ainsi, le groupe Renaissance considère que ce projet de rapport d'information a une tonalité politique qui va au-delà de ce que l'on peut attendre d'un rapport d'information de la commission des affaires européennes.

L'ancien article 3, désormais article 4 bis du projet de loi est particulièrement ciblé par le rapport à la page 19. Cependant, nous n'avons pas pris un risque inutile de provoquer un appel d'air par l'adoption mesures en faveur de l'immigration légale. Nous tenons donc à rappeler que cet article a été travaillé substantiellement et voté par la majorité sénatoriale.

Le projet de rapport doit être rendu plus cohérent et plus clair, tout en faisant un point plus précis sur l'avancement des négociations européennes sur le pacte asile et migration.

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La responsabilité à laquelle nous sommes confrontés en tant que parlementaires français est de savoir si nous voulons dire la vérité sur les sujets migratoires. Pour cela, il faut remettre en question l'idée selon laquelle la France serait confrontée à une vague migratoire importante. Cela est faux actuellement du point de vue des chiffres, mais aussi au regard de la posture de la France qui a suspendu les accords de Schengen et réintroduit les contrôles aux frontières dans le contexte post-attentat de 2015.

La deuxième question à se poser porte sur la nécessité de dégrader considérablement le droit des étrangers : est-ce une stratégie efficace et pertinente pour résoudre la question des migrations ? Notre groupe ne le croit pas. On peut prendre l'exemple de la suppression de l'aide médicale d'État (AME), récemment décidée par le Sénat, alors que ce dispositif favorise la qualité de l'accueil de ces personnes. Un autre exemple est celui de l'augmentation de la durée de rétention au sein des centres de rétention administrative (CRA), établissements pour lesquels la France a été condamnée à de nombreuses reprises par des instances européennes pour des motifs liés au respect des droits humains.

Le dernier élément à propos duquel nous devons nous interroger est le suivant : sommes d'accord, en tant que peuple français en partie issue de l'immigration, pour nous situer en rupture avec l'héritage de la convention de Genève de 1951 ? Voulons nous tourner le dos à la mise sous protection des personnes via le statut d'asile, compte tenu de la tradition de la France et de la composition de son peuple.

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Le grand mérite de ce rapport est de rappeler pourquoi notre politique migratoire est fortement dépendante de celle de nos voisins européens. Le 7 novembre 2023, le chancelier allemand a annoncé un durcissement de la politique migratoire, s'appuyant sur un large consensus des partis de gauche et de droite. On peut donc s'attendre à un phénomène de report, certaines personnes préférant migrer vers la France plutôt que vers l'Allemagne, dont le discours politique est désormais plus ferme. D'où la nécessité d'une Europe forte pour coordonner les politiques de délivrance de visas et éviter que des pays tiers ne profitent de politiques migratoires divergentes.

Nous saluons en particulier votre cinquième recommandation, qui vise à conditionner l'ensemble des relations extérieures de l'Union européenne avec les pays tiers à des objectifs de coopération en matière migratoire. Il n'est en effet pas concevable que nous continuions à coopérer avec des pays qui ne remplissent pas eux-mêmes leurs engagements en matière migratoire.

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Le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration apporte des évolutions bienvenues. Il permettra de mieux intégrer les étrangers par la langue et le travail. Il renforcera aussi l'arsenal législatif en matière d'éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l'ordre public. Le groupe Horizons et apparentés soutient ce projet de loi.

Il reste qu'il serait déraisonnable et incomplet de penser la question migratoire à l'aune des seules frontières françaises, alors que nous faisons partie d'un espace économique commun avec nos partenaires européens, favorisant la liberté de circulation des personnes.

Comme vous le rappelez à juste titre dans votre rapport, il est nécessaire de remettre en perspective le contexte plus large des politiques de migration et d'asile au niveau européen. Le groupe Horizons et apparentés se félicite donc de l'avancée des débats au Parlement européen et au Conseil sur les différents projets de textes du nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile. Ceux-ci prévoient notamment la mise en place de procédures d'asile et de filtrage aux frontières extérieures de l'Union. Ils doivent aussi permettre de mieux répartir l'effort d'accueil et de traitement des demandes – qui pèse encore excessivement sur les pays de premier accueil – en facilitant notamment les relocalisations et en renforçant les mécanismes de solidarité en temps de crise.

Plusieurs vérités ont été énoncées lors de cette réunion. La première est que nous avons en France un stock de demandes d'asile dont la gestion devrait être améliorée. La seconde est que nous devons nous préparer aux flux qui seront, bientôt, causés par les migrations liées au changement climatique. La future loi devra répondre à ces enjeux.

Vous proposez dans votre rapport des évolutions dans la droite ligne du nouvel article 4 bis, qui vous donnera donc probablement satisfaction. Vous regrettez par ailleurs que le nouveau Pacte européen sur la migration et l'asile n'ait pas été pris en compte plus en amont dans l'élaboration du projet de loi, pour anticiper ses conséquences sur la politique migratoire française. Or, vous indiquez dans le même chapitre que ces conséquences sont difficiles à anticiper. Plus fondamentalement, la politique migratoire est une compétence partagée entre l'Union et ses États membres. Il ne faudrait donc pas que notre agenda législatif dépende des discussions interinstitutionnelles européennes. Dès lors, n'est-il pas légitime de travailler dès à présent sur les « migrations de masse » – pour reprendre les mots de votre groupe – pour réformer en profondeur notre politique d'accueil et d'intégration, quitte à adapter à la marge ces nouveaux dispositifs au droit européen adopté ultérieurement ? Cela serait même en parfait accord avec la flexibilité que vous réclamez vis-à-vis des règles européennes.

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Je répondrai tout d'abord à Joëlle Mélin. Je relève que le Rassemblement National entend promouvoir les migrations étudiantes en France, ce qui augmentera les flux puisqu'il s'agit là de la première source de délivrance de titres de séjour. La première source d'immigration illégale dans notre pays provient en effet de l'immigration légale : elle procède par exemple de la délivrance de visas pour les touristes qui se maintiennent sur le territoire national à l'expiration de leur visa touristique, ou du maintien illégal d'étudiants sur le territoire national à l'issue de leurs études.

Dès lors, la question est plutôt de savoir à quel type d'étudiants ces visas devraient être accordés. Je suis favorable à la conclusion de partenariats avec des filières d'excellence des pays francophones, pour des raisons stratégiques et d'influence. Le Secrétaire général de la présidence du Cameroun m'indiquait récemment que Saint-Cyr n'offrait que trois places par an aux étudiants camerounais, alors que la Russie et la Chine finançaient de nombreuses formations militaires rubis sur l'ongle. Ainsi, la démarche devrait être proactive : les établissements français d'élite pourraient rechercher de très bons profils dans les pays francophones, et un système pourrait être mis en place afin de les accompagner dans leur parcours en France. Le système serait « gagnant-gagnant » : les liens noués avec la France par les futurs médecins, officiers ou ingénieurs seraient de nature à contribuer au développement des entreprises françaises à l'étranger, en consolidant la croissance des pays d'origine. Pour parler franchement, lorsque l'on évoque l'immigration étudiante, il faut être précis et reconnaître que son utilité serait limitée pour les pays d'origine et pour la France si elle se dirigeait vers des études de sociologie ou des gender studies.

Une autre question évoquée par notre collègue du Rassemblement National a trait au Pacte européen sur la migration et l'asile. Ce Pacte vise à introduire une procédure de filtrage – dite de screening – aux frontières extérieures de l'Union. Les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui s'expliquent par la très faible exécution des mesures d'éloignement des demandeurs d'asile déboutés. La procédure de demande d'asile aux frontières de l'Union est donc un moyen efficace pour limiter la future clandestinité des déboutés de demandes d'asile au sein des pays européens. Le Pacte européen sur la migration et l'asile contribuera donc au contrôle de l'immigration, afin que celle-ci soit choisie et non plus subie.

Une logique purement nationale ou étatique ne pourrait pas fonctionner. Force est de constater que l'immigration illégale atteint des niveaux inédits au Royaume-Uni depuis sa sortie de l'Union européenne. Ceci est la preuve qu'un meilleur contrôle de l'immigration passe d'abord par un resserrement des règles au niveau européen, même si des ajustements politiques au niveau national restent bienvenus, la politique migratoire étant une compétence partagée. La gestion des flux et les contrôles aux frontières ne peuvent se faire uniquement aux frontières nationales, au risque d'entraîner la disparition de l'espace européen partagé.

Marietta Karamanli, vous avez évoqué les quatre millions de demandeurs d'asile de nationalité ukrainienne. Leur accueil est un excellent exemple de coopération européenne, mais procède d'un mécanisme de protection temporaire, dispositif plus souple offrant une protection aux personnes déplacées issues de pays en guerre.

La longueur des procédures nuit à l'exécution des mesures d'éloignement. L'examen de la demande d'asile d'un étranger peut prendre environ deux ans, entre l'examen de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le manque d'avocats spécialisés, et les difficultés pour trouver des traducteurs, en sont autant de raisons. Au cours de ce délai, les demandeurs ont pu développer une vie privée familiale, ce qui rend inopérante l'éventuelle décision de renvoi. Notre politique migratoire est donc marquée par une forme d'impuissance, en dépit des textes votés par les représentants du peuple et des décisions des juges. Si les mesures du projet de loi devraient conduire à accroître le nombre d'obligations de quitter le territoire français (OQTF), elles ne seraient pas efficaces si les obstacles à l'exécution de ces mesures n'étaient pas levés.

J'en viens aux remarques de Constance Le Grip. J'assume la nature politique de ce rapport, qui n'en reste pas moins étayé par des chiffres objectifs des instances européennes et de la direction générale des étrangers en France (DGEF). Si nous ne faisons pas de politique à l'Assemblée nationale, nous n'en ferons nulle part ! Sur un sujet qui divise la société, il est sain que plusieurs points de vue puissent s'exprimer au sein de notre Assemblée.

Vous appelez par ailleurs à la cohérence au sujet de l'article 4 bis. Je note que vos collègues sénateurs du parti présidentiel ont voté l'ensemble du projet de loi modifié par le Sénat. J'espère donc que, conformément au principe de cohérence auquel vous êtes attachée, les députés du groupe Renaissance ne supprimeront aucune des dispositions lors de l'examen en commission des Lois.

Enfin, un rapport d'information de la commission des Affaires européennes relatif à l'Union européenne face au défi migratoire, confié à Benjamin Haddad et Gabriel Amard, abordera la question du Pacte européen sur la migration et l'asile.

Notre collègue Élisa Martin défend les positions de La France Insoumise, ce qui est parfaitement cohérent. Le texte adopté au Sénat prévoit la suppression de l'Aide médicale d'État (AME), qui serait transformée en une aide médicale d'urgence destinée à sauver la vie des personnes gravement menacées tout en mettant fin aux dérives constatées. Il existe en effet un tourisme médical dont profitent des étrangers en situation régulière ou irrégulière, conduisant à la prise en charge par l'AME de certaines prothèses ou de rhinoplasties et gastroplasties. L'objectif est de préserver et sauver des vies. Le contribuable français ne doit pas pour autant assumer une charge indue et contraire à la logique assurantielle de la Sécurité sociale. Un étranger, d'autant plus clandestin, ne peut pas avoir davantage de droits qu'un Français.

Sur la question des centres de rétention administrative (CRA), le droit français devrait éviter toute surtransposition.

Avec ce projet de texte, nous sommes en train d'inscrire dans la loi une jurisprudence du juge administratif français relative à l'interdiction des mineurs de moins de seize ans dans les CRA, alors que rien n'est prévu sur ce sujet dans la directive « Retour ». Si on interdit les mineurs de moins de seize ans dans un CRA, cette mesure concernera indifféremment les mineurs isolés et les mineurs avec une famille : ainsi, la famille d'un mineur de moins de seize ans ne pourra pas être renvoyée, puisque la quasi-totalité des expulsions se fait à partir d'un CRA. Cette disposition pose ainsi une question quant à l'effectivité de la mesure d'éloignement.

Je suis d'accord avec Vincent Seitlinger qui souligne que notre politique migratoire est dépendante de nos voisins européens. Il s'agit par exemple des flux rebonds : 14 % des premières demandes d'asile viennent de personnes qui ont déjà demandé l'asile ailleurs en Europe. Il y a ainsi une question d'harmonisation entre États membres qui se pose, notamment sur l'alignement de l'allocation pour demandeur d'asile en fonction du niveau de vie des différents pays.

Pour répondre à la question des contraintes mises sur le laissez-passer consulaire, il faut effectivement ce document pour renvoyer un étranger dont on ne peut pas déterminer la nationalité. Il faut mettre des contraintes sur les États de départ pour les inciter à délivrer les laissez-passer consulaires, en utilisant comme levier la délivrance de visas ou l'aide publique au développement. Je crois que l'Agence française de développement (AFD) n'est pas assez politique, que les ambassadeurs devraient pouvoir flécher les investissements en direct.

La question que vous évoquez M. Alfandari porte sur le type d'immigration que nous souhaitons. Comment passer d'une immigration familiale, subie et sous-qualifiée, à une immigration de travail, choisie et surqualifiée ? Aujourd'hui, ceux qui viennent en France ne viennent pas avec un titre de travail, mais le plus souvent avec un titre de séjour familial. 40 % des immigrés en France ont le niveau du brevet des collèges, et occupent un emploi sous-qualifié. Dans les pays de l'OCDE, l'immigration économique est de 30 à 40 %, là où nous sommes à 15 % en France. L'immigration crée donc assez peu de valeur ajoutée, ce qui fait une différence majeure avec les autres pays de l'OCDE.

La question n'est pas seulement de faire venir des immigrés sur le territoire national : il faut pouvoir les accueillir dignement. À quel niveau ne réussissons-nous pas l'intégration en France ? C'est l'œuf ou la poule : faut-il définir les moyens par rapport au nombre de personnes entrées sur le territoire, ou définir le nombre de personnes à accueillir en fonction des moyens disponibles ? Nous en débattrons en commission des Lois et en séance.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport portant observations sur le projet de loi en vue de sa publication.

La séance est levée à 15 h 55.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Henri Alfandari, M. Manuel Bompard, Mme Pascale Boyer, M. Stéphane Buchou, Mme Annick Cousin, Mme Laurence Cristol, M. Pierre-Henri Dumont, M. Benjamin Haddad, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Joëlle Mélin, M. Alexandre Sabatou, M. Vincent Seitlinger, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Liliana Tanguy

Excusés. – M. David Amiel, Mme Nicole Le Peih, Mme Estelle Youssouffa

Assistaient également à la réunion. – M. Fabien Di Filippo, Mme Rachel Keke, Mme Élisa Martin