Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du lundi 12 février 2024 à 15h00

Résumé de la réunion

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Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-meR

Lundi 12 février 2024

La séance est ouverte à quinze heures dix.

Présidence de Mme Sophie Panonacle, vice-présidente

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Préparation et réponse du système de santé aux risques naturels majeurs en outre-mer » réunissant : l'Agence régionale de santé de la Guyane (ARS), M. Dimitri Grygowski, directeur général ; l'Agence régionale de santé de Mayotte (ARS), M. Olivier Brahic, directeur général ; le CHU de la Guadeloupe : M. Éric Guyader, directeur général et Dr Bruno Jarrige, chef de pôle et chef de service du RISSQ (service qualité, gestion des risques, vigilances) et le CHU de La Réunion, M. Richard Rouxel, directeur général adjoint et Dr Frédéric Nativel, chef de service du SAMU.

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Nous accueillons pour une table ronde consacrée à la préparation et à la réponse du système de santé face aux risques naturels majeurs et leurs conséquences sur les populations en outre-mer, les agences régionales de santé (ARS) de la Guyane et de Mayotte, ainsi que les centres hospitaliers universitaires (CHU) de la Guadeloupe et de La Réunion.

Avant de leur céder la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

MM. Dimitri Grygowski, Olivier Brahic, Éric Guyader, Bruno Jarrige, Richard Rouxel et Frédéric Nativel prêtent successivement serment.

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Dimitri Grygowski, directeur général de l'ARS de la Guyane

Mon propos liminaire sera bref dans la mesure où la Guyane est fort heureusement peu exposée aux catastrophes naturelles – le risque sismique est faible et le risque cyclonique inexistant.

Les risques sont liés à l'urbanisation dans des territoires qui n'ont pas été aménagés à cet effet. Il s'agit principalement de glissements de terrain et d'inondations. Je pense à une catastrophe survenue il y a une dizaine d'années sur la colline de Cabassou, qui a causé la mort de quatorze personnes et sur laquelle le retour d'expérience nous permet d'organiser un exercice du Samu en 2024.

Si les risques naturels sont limités, la Guyane n'en est pas moins exposée à des risques d'autre nature. Du fait du réchauffement climatique, elle a ainsi connu deux saisons sèches anormalement longues qui ont donné lieu à des crises hydriques dans les communes de l'intérieur, crises aggravées par le défaut d'entretien des canalisations imputable au manque de ressources des collectivités territoriales. Enfin, il faut citer le risque sanitaire lié à l'orpaillage illégal et à la diffusion de mercure dans l'eau qui en résulte.

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Olivier Brahic, directeur général de l'ARS de Mayotte

Mayotte est exposée aux risques sismique et cyclonique. Compte tenu de l'étendue de l'habitat informel sur l'île, le bilan victimaire d'un cyclone serait catastrophique. En outre, le système de santé, déjà très déficitaire, aurait le plus grand mal à faire face à un événement majeur, d'autant plus dans la période de crise actuelle.

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Éric Guyader, directeur général du CHU de la Guadeloupe

L'archipel guadeloupéen est habitué à la gestion des risques naturels majeurs, qu'ils soient cyclonique, sismique, volcanique ou de tsunami.

Pourtant, certaines évolutions se font sentir. Les derniers événements climatiques majeurs ont ainsi montré une aggravation du risque lié à l'eau potable. Il est difficile, après un cyclone ou une dépression tropicale, de distribuer de l'eau potable non seulement à l'ensemble de la population, mais également au sein du CHU de la Guadeloupe, ce qui crée d'importantes difficultés dans la prise en charge des patients. Cette fragilité, qui était moins identifiée par le passé, est très prégnante aujourd'hui.

Par ailleurs, le CHU s'installera au second semestre 2024 sur un nouveau site, qui a été spécifiquement conçu pour résister aux cyclones les plus forts comme aux séismes et pour garantir la continuité de l'activité.

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Richard Rouxel, directeur général adjoint du CHU de La Réunion

Le principal risque naturel à La Réunion est le risque cyclonique, du fait de sa récurrence et de son intensité croissante – aux dires des experts, les cyclones ne seront pas nécessairement plus nombreux, mais plus intenses. Le risque de mouvements de terrain et d'inondations est également important et pénalisant puisqu'il a pour conséquence d'interrompre l'accès aux soins. Le risque volcanique, d'intensité modérée, est bien connu et concerne des zones peu peuplées – il s'agit d'un volcan de type effusif, ce qui n'est pas le plus courant. Les feux de forêt sont un autre risque identifié, de même que les phénomènes de houle et, potentiellement, de tsunami.

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L'objectif de la commission d'enquête est non seulement d'identifier les risques et leurs évolutions induites par le changement climatique, mais aussi de s'assurer que nous sommes préparés à y faire face.

Comment assurez-vous le maillage des territoires, selon les spécificités de chacun d'entre eux ? Quelle est votre stratégie en matière de stockage de médicaments et de matériel ?

Avez-vous adapté la trajectoire d'évolution de vos moyens à l'aggravation de la situation liée au changement climatique ? Il est difficile d'assimiler l'orpaillage illégal à un risque naturel, mais lorsqu'il devient un risque systémique, on peut probablement le traiter d'une manière comparable. La Guyane subira sans doute également l'impact du changement climatique.

Vous travaillez dans des territoires dont le niveau de développement est supérieur à celui des pays qui les avoisinent. En cas d'événement majeur frappant l'un de ces pays, des demandes d'aide seraient sans doute formulées et on pourrait assister à des mouvements de population vers les territoires français. Comment concevez-vous la coopération ou l'assistance internationale dans ce cadre ?

Le retour d'expérience sur le cyclone Belal est, semble-t-il, assez favorable ; il l'est un peu moins sur Irma. Comment voyez-vous cela ?

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Frédéric Nativel, chef de service du Samu de La Réunion

Le maillage territorial à La Réunion comprend un Samu départemental, régional et zonal, quatre structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) positionnées aux quatre points cardinaux de l'île, quatre hôpitaux principaux et un tissu très développé de soins privés.

Le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) compte vingt-quatre casernes – une dans chaque commune – qui sont plutôt bien dotées en moyens et en personnels.

Nous avons également la chance de bénéficier d'un héliSmur depuis cinq ans, ainsi que du soutien de la gendarmerie ; au quotidien et en cas de crise, sa section aérienne apporte son aide pour projeter les équipes dans les endroits les plus reculés de l'île.

Les médicaments sont stockés en deux points stratégiques, au nord et au sud du département.

Le réseau routier est plutôt de bonne qualité, mais il peut connaître des coupures, notamment entre l'ouest et le nord – l'unique route, bien que très moderne, peut être inaccessible en raison de la houle ou de chutes de pierres. C'est la raison pour laquelle nous faisons souvent appel aux moyens héliportés, non seulement pour les patients, mais aussi pour la logistique.

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Richard Rouxel, directeur général adjoint du CHU de La Réunion

L'autonomie est une nécessité puisque La Réunion, comme Mayotte, est très éloignée de l'Hexagone comme des établissements de santé de la région qui pourraient prendre en charge les patients du CHU si celui-ci était hors d'usage.

Nous devons donc développer des stratégies quasi autarciques. Pour pallier notre isolement, nous avons ainsi une politique de surstockage, qui, couplée au recours fréquent au transport aérien, majore énormément le coût des produits pharmaceutiques.

L'isolement est vraiment une donnée importante. Nous aurons l'occasion d'évoquer les évacuations sanitaires, qui demandent entre vingt-quatre à quarante-huit heures si l'on additionne les temps de préparation et de vol. Autant dire que la perte de chances est majeure pour un patient en situation d'urgence vitale. Nous devons donc être capables de les prendre en charge sur l'île.

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Frédéric Nativel, chef de service du Samu de La Réunion

Afin de garantir notre efficacité, nous sommes dotés d'un poste sanitaire mobile (PSM) pédiatrique, d'un PSM2 et d'un PSM DOM, grâce auxquels nous pouvons nous projeter à Mayotte en cas de besoin.

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Olivier Brahic, directeur général de l'ARS de Mayotte

S'agissant du maillage à Mayotte, le site principal, à Mamoudzou, comporte l'essentiel du plateau technique avec le service des urgences, la chirurgie et la réanimation. S'y ajoutent quatre centres médicaux de référence qui forment la deuxième ligne – une sur Petite-Terre et trois sur Grande-Terre. Ils assurent principalement la maternité et les soins programmés – les urgences légères. Il ne s'agit absolument pas d'un service d'urgence, et c'est d'ailleurs là une des difficultés. En troisième ligne, se trouvent les dispensaires qui assurent des consultations de médecine générale de base.

Le Smur est situé à Mamoudzou. Depuis trois ans, nous pouvons compter sur un héliSmur, et c'est une vraie assurance de sécurité. Nous disposons aussi de PSM – ce sont des boîtes contenant du matériel médical qui permettent de prendre en charge des victimes sur le terrain.

S'agissant de la logistique et du matériel, à court terme, je ne suis pas inquiet parce que notre pharmacie à usage intérieur (PUI) dispose de six mois de stock de médicaments et d'oxygène. Nous devrions donc tenir.

La difficulté, je le répète, tient, en cas de cyclone, à l'absence totale de préparation de la population, contrairement à La Réunion et aux Antilles. Il n'y a aucune culture du risque sur le territoire.

Habituellement, un cyclone fait peu de blessés relevant de la traumatologie – cela a été le cas pour Irma, semble-t-il. Il en irait très différemment à Mayotte où le bilan victimaire pourrait être très lourd dans ce qu'on appelle les bangas, dans les bidonvilles, où les tôles qui s'envolent pourraient causer de très gros dégâts. En outre, les capacités de mise à l'abri sont largement insuffisantes : les centres de vie, qui sont identifiés dans chaque commune, pourraient accueillir 30 000 personnes alors que la population est estimée entre 300 000 et 400 000 habitants.

Une autre fragilité que nous avons constatée, et qui perdure en 2024, est, au-delà même de la question de l'attractivité, le problème du turnover des professionnels de santé. Ainsi, le centre hospitalier de Mayotte est perfusé par des renforts nationaux : à titre d'ordre de grandeur, ce sont, en 2023, 1 200 professionnels de santé qui ont été envoyés à Mayotte pour permettre au moins au centre hospitalier de tenir. Ce turnover a pour effet que, sur notre territoire, à la différence de ce qui se passe notamment à La Réunion, où le Samu et les services d'urgence sont aguerris face à ces situations, de nombreux professionnels de santé manquent totalement de cette culture et il est très difficile de les former à la prise en charge d'événements causant de nombreuses victimes.

Un autre point de fragilité est l'aéroport, dont la piste est très courte et très fragile, ce qui accroît le risque qu'elle ne soit plus praticable. Ce danger, associé aux faibles effectifs de nos équipes, fait de la coopération régionale un enjeu important. La Réunion est trop loin pour nous fournir la base logistique de repli dont nous avons besoin et il faudrait, pour organiser une noria, pouvoir atterrir à Madagascar. Bien que je ne sois pas spécialiste de ces questions, j'insiste sur le fait qu'il conviendrait de sécuriser le dispositif aéroportuaire à Mayotte.

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En sens inverse, considérez-vous que vous auriez la capacité d'absorber les besoins de soutien en cas de désordre massif dans la zone – touchant par exemple Madagascar – qui provoquerait des mouvements de population ? À en juger par ce que vous venez de nous dire, je suis plutôt circonspect quant à la réponse.

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Olivier Brahic, directeur général de l'ARS de Mayotte

L'entraide régionale jouerait, mais nos moyens sont très limités. En outre, l'Union des Comores aurait des difficultés à accepter l'aide française.

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Dimitri Grygowski, directeur général de l'ARS de la Guyane

En matière de ressources, le système de santé de la Guyane dispose d'un réseau plutôt bien installé et assez solide, avec trois établissements de santé (ES) couvrant le littoral à Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni, complétés par des centres et des dispensaires, ainsi que par trois hôpitaux de proximité, soit au total trois ES et dix-huit établissements déconcentrés pilotés par le centre hospitalier de Cayenne. C'est là un point plutôt positif.

Un premier facteur limitant est toutefois le fait que les vecteurs aériens soient très limités. Cette difficulté a été aggravée par le sinistre qu'a subi le transporteur local, Air Guyane, l'automne dernier.

Un deuxième facteur limitant, analogue à celui qu'a évoqué notre collègue de Mayotte, tient au fort turnover des personnels et à la faible attractivité du territoire, qui se traduisent notamment par une fragilité en termes de formations relatives aux crises.

Le troisième facteur limitant est l'expansion démographique du territoire, immense par comparaison avec les autres territoires ultramarins et où nous avons le sentiment que la mise à niveau de nos capacités de réponse et de gestion de crise est toujours un peu en retard.

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Éric Guyader, directeur général du CHU de la Guadeloupe

Quand on pose la question à un directeur d'hôpital, sa première réponse est de dire qu'il n'a pas assez de moyens.

Faire face à un événement climatique majeur suppose tout un travail de préparation, d'élaboration de plans blancs ou de plans cycloniques, et de formation des professionnels et des équipes. Du fait des nombreux événements majeurs subis par la Guadeloupe au cours des dix ou vingt dernières années, les équipes ont le niveau de formation requis et la capacité à faire face et à improviser.

Avec le nouveau CHU, la capacité en lits sera supérieure à celle dont nous disposons aujourd'hui et rendra à l'établissement son niveau capacitaire d'avant l'incendie de 2007. Les enseignements de la crise du covid se sont traduits par une augmentation significative du nombre de lits de soins critiques, ce qui est évidemment essentiel pour faire face à une crise majeure. Nous tenons donc compte des enseignements des précédentes crises.

Cependant, à la Guadeloupe comme dans d'autres territoires d'outre-mer, nos moyens s'inscrivent dans un contexte de grande fragilité économique. Pour nos établissements – je ne parle ici que de la Guadeloupe –, l'équilibre n'est possible que parce qu'ils sont sous perfusion de l'État et nous connaissons souvent des retards de paiement des fournisseurs et des problèmes d'approvisionnement. Dans un tel contexte, une crise ne peut qu'aggraver la fragilité d'un établissement et lui rendre encore plus difficile d'y faire face – mais, comme nous l'avons fait ces dernières années, nous le ferons tout de même.

À la fragilité de l'établissement s'ajoute celle des autres opérateurs. En effet, qu'il soit public ou privé, le tissu hospitalier de la Guadeloupe est limité. Ainsi, face à un événement majeur, la capacité d'autres établissements, notamment du centre hospitalier de Basse-Terre, qui est notre principal partenaire au niveau guadeloupéen, serait relativement modeste, sans parler de l'établissement de Saint-Martin, qui est isolé et aurait besoin du CHU de la Guadeloupe pour faire face.

Quant aux autres opérateurs, notamment ceux qui gèrent l'eau et les routes, ils sont eux-mêmes fragiles. Un événement majeur met ainsi en lumière non seulement la fragilité du système hospitalier, mais aussi celle de l'ensemble du système économique et social sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, nous ne disposons toujours pas d'un hélicoptère sanitaire, alors que notre territoire, qui est un archipel, en aurait tout particulièrement besoin. Le seul disponible est celui de la protection civile, que nous utilisons bien évidemment, mais qui est employé au maximum de ses capacités. Il serait souhaitable que cette situation évolue.

En matière de coopération, nous sommes, par définition, isolés par rapport à l'Hexagone et le premier niveau de solidarité se situe donc au niveau régional. La Martinique, la Guyane et la Guadeloupe sont donc solidaires, sous réserve toutefois de ne pas être touchées en même temps par le même événement climatique ou naturel.

Pour ce qui est des autres États caribéens, l'établissement est intervenu à plusieurs reprises, que ce soit au profit d'Haïti ou de Montserrat.

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Dr Bruno Jarrige

En effet, notre position géographique nous a fait intervenir à l'échelle internationale à l'occasion d'événements tels que le séisme qui a touché Haïti ou l'éruption qu'a connue Montserrat.

Comme l'a dit M. Guyader, la Martinique, la Guyane et la Guadeloupe sont très solidaires face aux phénomènes naturels, si du moins ces phénomènes ne sont pas simultanés. Ainsi, durant la crise du covid, lorsque les vagues de la pandémie n'étaient pas synchrones, comme c'était le cas pour la deuxième vague, nous avons largement pu nous entraider et nous envoyer des malades d'un territoire à l'autre. En revanche, lorsque le phénomène est simultané, les choses sont beaucoup plus difficiles.

Les moyens héliportés ne sont guère suffisants et nous dépendons beaucoup, en la matière, de la Martinique et de la Guyane pour les gros hélicoptères, notamment ceux des armées. C'est d'autant plus difficile que l'hôpital de Basse-Terre et celui de Saint-Martin ont une capacité limitée. Si donc un séisme se produit sur la Grande Terre, c'est-à-dire vers le CHU de la Guadeloupe, Basse-Terre et Saint-Martin auront beaucoup de mal à compenser. D'où l'importance de déménager vers notre futur CHU, qui sera beaucoup plus solide et, surtout, plus agile puisqu'il nous permettra de disposer d'une très importante capacité en soins critiques, à la différence de ce que nous avons vécu ces dernières années, avec une capacité très limitée et rapidement débordée en la matière, qui nous a obligés à transformer un self et un plateau de consultation en service de réanimation, en tirant très rapidement une alimentation en fluides médicaux. J'espère donc que le futur sera plus favorable à la gestion de ces crises.

La fragilité demeure cependant pour ce qui concerne l'eau et les routes, la question de l'accessibilité du futur CHU et de la disponibilité en eau en cas de crise naturelle n'est pas encore réglée, et toutes les difficultés dans ce domaine ne seront pas encore résolues au moment du déménagement.

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Travaillez-vous avec d'autres administrations ou avec des chercheurs sur les conséquences du changement climatique en termes d'évolution de vos besoins ? Vous nous dites que vous participez, avec des retours d'expérience, à la modification du plan Orsec, mais des travaux de prospective sont-ils engagés pour anticiper des événements qui, s'ils ne sont pas forcément plus fréquents, seront peut-être demain plus violents, ou des évolutions du trait de côte et des problèmes d'accès ?

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Éric Guyader, directeur général du CHU de la Guadeloupe

Le travail sur l'ouverture du nouveau CHU se fait en concertation avec la préfecture et avec l'ARS. Un comité de pilotage se réunit régulièrement et les questions soulevées à propos de l'eau ou des routes sont sur la table. À ce jour, nous ne disposons pas de toutes les réponses. Ainsi, bien qu'une réserve en eau soit prévue, l'opérateur chargé de la gestion de l'eau potable sur le territoire ne nous garantit pas totalement une disponibilité qu'il a du mal à assurer pour l'ensemble de la population. Le risque existe donc qu'il faille, après un événement climatique majeur, faire des choix entre l'alimentation en eau potable de la population et celle du CHU, ce qui induit des enjeux sur les plans humain, éthique et social. Nous travaillons aussi, avec l'ARS, à des solutions alternatives et étudions la possibilité de puiser directement dans des eaux de captage, mais c'est là un travail en cours et sur lequel nous avons besoin de progresser.

Pour ce qui est des routes, l'État n'est pas seul concerné, car les opérateurs territoriaux le sont aussi. Je le répète, les questions sont sur la table, mais nous n'avons pas encore les réponses.

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Ayant été membre de la commission d'enquête sur l'eau sous la précédente législature, je crois comprendre ce dont vous parlez.

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Ma question concernera la Guadeloupe.

Comment la dimension d'archipel est-elle prise en compte ? En effet, le CHU de la Guadeloupe est l'hôpital de référence non seulement pour La Désirade, Marie-Galante et les îles des Saintes, mais aussi pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Les hôpitaux de ces deux dernières îles se situent à 250 kilomètres de la Guadeloupe et leurs aéroports peuvent être inaccessibles en cas de cyclone ou de tremblement de terre. En outre, si mes informations sont exactes, un centre de régulation du Samu est installé en Guadeloupe mais il n'en existe pas dans ces deux dernières îles. Une procédure est-elle prévue pour y prépositionner des ressources médicales ?

De manière plus générale, quelles sont les difficultés liées à l'éloignement de différentes îles pour le CHU de la Guadeloupe ?

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Éric Guyader, directeur général du CHU de la Guadeloupe

Nous avons l'habitude de travailler avec les hôpitaux de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. J'ai d'ailleurs été saisi par la directrice de celui de Saint-Marin il y a deux jours pour une question relative à un transport de patient.

Mais le CHU de la Guadeloupe est un établissement relativement fragile du point de vue financier et il souffre, en outre, d'un manque d'attractivité pour le personnel médical, quelles que soient les spécialités. Certains de nos praticiens assurent régulièrement des consultations dans d'autres hôpitaux, notamment à Saint-Martin. Est-ce suffisant ? Je n'en suis pas convaincu. Faudrait-il aller plus loin ? Très certainement. Cela fait partie des axes sur lesquels nous devons progresser.

Vous avez également soulevé le problème du transport sanitaire. Disposer d'un hélicoptère ne serait pas du tout un gadget. Nous en avons vraiment besoin, bien entendu pour faire face à un événement majeur, mais aussi pour assurer de manière régulière les transferts de patients depuis Saint-Martin et Saint-Barthélemy. C'est plus que nécessaire.

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Bruno Jarrige

En effet, pour le Samu, une des difficultés en matière de soins critiques réside dans le manque de moyens de transport. Il est vraiment compliqué d'évacuer des patients de Saint-Martin, et encore plus de Saint-Barthélemy.

Le Samu a certes la possibilité d'anticiper en déployant des moyens en cas d'alerte cyclonique. Mais envoyer un PSM à Saint-Martin revient à déshabiller la Guadeloupe. Or la trajectoire des cyclones est parfois capricieuse et, en général, ils passent d'abord par la Guadeloupe avant d'atteindre Saint-Martin. Y envoyer des moyens est toujours possible, mais cela suppose de renforcer le nombre de PSM dont dispose le professeur Patrick Portecop, chef de service du Samu de la Guadeloupe.

Saint-Martin n'a pas de Samu et l'ensemble de la régulation des soins d'urgence est réalisée par celui de la Guadeloupe. Je ne sais pas ce que Patrick Portecop pense de la création éventuelle d'un Samu pour les îles au nord, mais la dispersion des moyens n'est pas forcément une bonne solution, notamment au vu de la pénurie de médecins. On peut aussi envisager de mieux équiper le Smur de Saint-Martin, en assurant une bonne coordination avec le Samu de la Guadeloupe.

Le problème principal réside dans les vecteurs aériens. Nous sommes très dépendants du secteur privé et, comme l'a dit le directeur général, nous manquons de gros hélicoptères. Lorsque nous avons besoin de ces derniers, nous dépendons de ceux qui sont basés en Martinique et en Guyane.

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Frédéric Nativel, chef de service du Samu de La Réunion

Pour répondre à la question du rapporteur sur l'anticipation de la recrudescence des phénomènes météorologiques dangereux, un travail sur un hub logistique associe le CHU de La Réunion et l'état-major de zone et de protection civile de l'océan Indien, sous l'égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il porte sur quatre fiches réflexes, qui récapitulent le rôle du directeur des secours médicaux (DSM) zonal ainsi que les plans relatifs aux points de rassemblement des évacués à Mayotte, à l'évacuation sanitaire de masse et à la projection des PSM.

En 2019, nous avons pu mesurer la difficulté d'acheminer à Mayotte les malles des PSM en raison du manque de vecteurs aériens. C'est une faiblesse partagée par toutes les îles.

Nous travaillons également avec nos collègues de Mayotte afin de pouvoir transférer la régulation de son Samu à La Réunion, grâce à des connexions qui seront mises en place dans les semaines qui viennent.

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L'un de vous a parlé du développement de la culture du risque. La journée « Tous résilients face aux risques » a été organisée en Guadeloupe – et sans doute dans d'autres territoires. Les CHU ont-ils été associés à cette journée destinée à mieux informer les populations ?

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Bruno Jarrige

Nous y sommes associés, de même que la faculté des Antilles. Des médecins participent aussi aux projets de recherches qui concernent les effets du réchauffement climatique, comme les sargasses.

La Guadeloupe subit elle aussi les conséquences de ce réchauffement. Les sécheresses y sont de plus en plus prononcées ce qui, conjugué au problème des fuites dans les canalisations d'eau, affecte son autonomie alimentaire.

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Olivier Brahic, directeur général de l'ARS de Mayotte

Je ne vous cache pas que je n'ai jamais entendu parler de ces journées à Mayotte, mais il est vrai que la résilience y fait partie du quotidien.

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Richard Rouxel, directeur général adjoint du CHU de La Réunion

Je n'en ai pas non plus entendu parler à La Réunion. Pour autant, nous travaillons très bien avec les autorités, en particulier l'ARS et la préfecture. Le CHU est pleinement reconnu comme opérateur d'importance vitale. L'essentiel n'est pas de flatter les ego, mais bien de développer une culture de résilience commune. Nous sommes tous extrêmement fragiles, même si nous sommes bien préparés. Nous effectuons des exercices et organisons des séminaires portant sur la gestion de situations sanitaires liées aux phénomènes climatiques.

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Dimitri Grygowski, directeur général de l'ARS de la Guyane

En Guyane, nous participons bien à cette journée consacrée à la résilience.

Le point le plus intéressant est constitué par le plan de formation destiné aux habitants de l'intérieur et à la population des fleuves. Ce plan pluriannuel a déjà permis de former 800 d'entre eux aux gestes de premier secours. Il nous paraît assez pertinent et bien ciblé.

Nous envisageons aussi d'organiser un conseil scientifique placé auprès de l'ARS, pour l'aider à décider mais également à apprécier de manière prospective les risques associés aux zoonoses émergentes ou les conséquences du réchauffement climatique sur le système de soins guyanais.

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Lorsqu'une infrastructure hospitalière est construite – comme le nouveau CHU de Pointe-à-Pitre – je suppose que les risques sismique et cyclonique sont pris en compte. Il ne faudrait pas que ces structures soient elles aussi mises à mal lors d'un événement majeur.

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Bruno Jarrige

Le projet de nouveau CHU de la Guadeloupe, qui a commencé en 2012, a été très influencé par le séisme de 2010 à Haïti. Le bâtiment bénéficie d'une très haute technologie antisismique, qui va au-delà des spécifications habituelles. Le projet anticipe également la survenue de cyclones de plus en plus puissants. Un travail de simulation a été réalisé pour permettre à ce CHU de résister à des cyclones d'une force encore inconnue. Nous aurons la chance en Guadeloupe d'avoir une structure particulièrement sécurisée.

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C'est rassurant. Qu'en est-il dans les autres territoires ?

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Richard Rouxel, directeur général adjoint du CHU de La Réunion

À La Réunion, il n'est pas prévu de construire de nouveaux bâtiments. Si les plus récents sont conformes aux dernières normes, on peut s'interroger sur la capacité de résistance des plus anciens.

La topographie peut aussi susciter des questions, notamment lorsque l'on voit un centre hospitalier adossé à une montagne. On peut imaginer que cette installation d'une importance essentielle pourra un jour être mise à mal par un phénomène naturel.

Nous disposons de l'une des treize plateformes de traitement mutualisé des appels au 15 et au 18 en France. Cela fonctionne merveilleusement bien et permet des synergies entre le Sdis et le Samu, en temps normal comme en période de crise.

Pourtant, les surfaces vitrées de ce magnifique bâtiment sont prévues pour résister à des vents allant jusqu'à 250 kilomètres par heure. Or, lors d'une présentation réalisée par Météo France à l'occasion d'un séminaire de préparation au risque cyclonique, il a été question de vents de plus de 300 kilomètres par heure. Les surfaces vitrées de la plateforme seraient alors probablement soufflées, même si elles répondent aux normes actuelles. Les dégâts pourraient donc être particulièrement importants, y compris sur des infrastructures qui abritent des zones stériles. Nous restons donc vulnérables, même si les structures bâtimentaires peuvent très bien résister.

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Olivier Brahic, directeur général de l'ARS de Mayotte

Même si nous n'en disposons pas à Mayotte, je ne peux que confirmer les avantages en cas de crise des plateformes de gestion mutualisée des appels au 15 et au 18. Cela permet d'apporter une réponse encore plus efficace.

En ce qui concerne la résistance des bâtiments, on me dit que les structures de l'hôpital de Mamoudzou sont capables de résister aux séismes. Je n'en ai pas la preuve technique absolue. Je sais que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a procédé en octobre dernier à l'étude d'un certain nombre de sites à Mayotte, mais je ne dispose pas encore des résultats. J'ai donc plus d'interrogations que de certitudes.

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Nous nous rapprocherons du BRGM pour avoir les conclusions de cette étude. Il est essentiel que l'hôpital soit préservé, afin de pouvoir faire face à une situation d'urgence.

Je vous remercie tous pour vos interventions éclairantes.

La réunion s'achève à seize heures cinq.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde d'opérateurs de réseaux, réunissant : Électricité de France (EDF), M. Jean-François Finck, directeur de cabinet d'EDF-SEI ; VEOLIA : M. Olivier Grunberg, directeur général délégué, secrétaire général de Veolia Eau France ; France Télévisions, Mme Sylvie Gengoul, directrice du pôle Outre-mer et M. Thierry Jacob, directeur des moyens et du développement du pôle outre-mer ; et ORANGE, M. Philippe Roquelaure, délégué régional Antilles, M. Daniel Ramsamy, délégué régional Mayotte-Réunion, M. Luc Bestory, directeur de la sécurité, de la privacy et de l'infogérance sur Antilles-Guyane et Mme Claire Chalvidant, directrice adjointe des affaires publiques.

La réunion commence à seize heures quarante.

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Nous recevons aujourd'hui les représentants d'EDF, Veolia, Orange et France Télévisions pour une table ronde consacrée aux opérateurs de réseaux en outre-mer, leur résilience face à la survenance d'une catastrophe naturelle et leurs capacités en matière d'information et d'assistance à l'égard des populations. Nous sommes là au cœur des préoccupations de la commission d'enquête.

Avant de leur céder la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

MM. Jean-François Finck, Olivier Grunberg, Luc Bestory, Philippe Roquelaure, Daniel Ramsamy et Thierry Jacob ainsi que Mmes Claire Chalvidant et Sylvie Gengoul prêtent serment.

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Jean-François Finck, directeur de cabinet d'EDF-SEI

La direction des systèmes énergétiques insulaires (SEI) d'EDF gère les territoires en outre-mer suivants : la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon et La Réunion, auxquels il faut ajouter la Corse et les îles du Ponant. Ces territoires ont en commun de ne pas être interconnectés à d'autres territoires du point de vue électrique.

EDF-SEI y assure quatre missions de service public : le transport d'électricité, la distribution d'électricité, la gestion du système électrique et l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité ainsi que la fourniture d'électricité, notamment l'application des tarifs réglementés de vente à l'ensemble des clients de ces territoires qu'ils soient particuliers, collectivités ou entreprises. EDF y accompagne la transition énergétique, chaque territoire ultramarin étant doté d'une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) spécifique. Nous gérons 1,2 million de clients et 40 000 kilomètres de réseau électrique, grâce à 3 000 salariés répartis sur l'ensemble des territoires.

La résilience des réseaux électriques face aux risques naturels est intégrée dans la gestion de ces derniers. Nous établissons des diagnostics techniques, intégrant des calculs de cumul des contraintes, que nous partageons avec les autorités organisatrices de la distribution d'électricité. Nous nous appuyons sur ces diagnostics et sur les retours d'expérience des événements significatifs survenus dans les territoires pour définir des programmes de maintenance préventifs et curatifs à hauteur de 300 millions d'euros par an pour la totalité des territoires. Les programmes pluriannuels d'investissement pour rendre notre réseau résilient sont présentés aux élus, qui sont propriétaires des réseaux électriques et nous faisons un point régulier avec eux.

S'agissant de la gestion de crise, EDF est partie prenante de l'organisation régionale instaurée par le préfet associant les services de l'État, les autorités d'état-major de zone et les élus régionaux. EDF participe à la cellule de crise de la préfecture. La gestion des derniers cyclones a montré l'efficacité de cette organisation.

EDF a également son organisation interne qui repose sur des renforts humains, matériels et logistiques. La force d'intervention rapide électricité (Fire), qui a été créée après la tempête de 1999, peut mobiliser vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, de nombreuses cohortes et du matériel en grande quantité. La Fire a montré son efficacité puisqu'elle a été la première à atterrir sur l'aéroport de La Réunion lors du cyclone Belal, en présence du ministre de l'intérieur, M. Darmanin.

Je vous livre un retour à chaud sur ce cyclone, caractérisé par une pluviométrie record et des vents à près de deux cents kilomètres par heure, qui a touché toutes les communes de l'île. Premier constat, la gestion de crise a été bien coordonnée par une préfecture omniprésente. EDF était en position de conseil auprès du préfet pour mettre en place son schéma de réalimentation électrique sur le territoire. Ainsi, nous avons pu réalimenter 90 % des clients touchés en moins de quarante-huit heures malgré l'alerte rouge qui interdit aux équipes d'EDF d'intervenir sur le terrain pour des raisons de sécurité. Les manœuvres à distance, grâce à l'automatisation du réseau électrique, ont permis de réalimenter la moitié des clients touchés par le cyclone sans faire courir de risques aux équipes.

Quant au cyclone Irma, survenu aux Antilles le 6 septembre 2017, nous avons plus de recul. Sur les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, 24 000 clients étaient concernés. Les vitesses de vent étaient supérieures à 350 kilomètres par heure et le cyclone était classé en catégorie cinq. Le délai de réalimentation d'urgence a été de cinq semaines ce qui, au vu des dégâts occasionnés – absence de moyens de circulation, chaos sur l'ensemble du territoire – est une performance, laquelle a été rendue possible grâce aux renforts de la Fire. Au total, 600 salariés ont été présents sur ces deux îles pendant plus d'un an, 380 tonnes de matériel ont été acheminées et 145 groupes électrogènes installés. Le coût complet de la sécurisation, du dépannage et de la reconstruction du réseau électrique sur les deux îles a été de 78 millions d'euros pour EDF.

Nous reconstruisons le réseau électrique avec le tissu industriel local et nos experts selon des critères de résilience face à des phénomènes météorologiques sévères voire exceptionnels. Le réseau a donc été en grande partie enterré et des ouvrages qui étaient dans des zones inondables, avec des houles très sévères, ont été rehaussés, notamment pour installer les postes de transformation en hauteur afin qu'ils ne soient plus submergés par de tels événements.

Je tiens à souligner la bonne collaboration avec les collectivités territoriales et les autres opérateurs qui étaient présents sur le territoire. Dans de telles situations, il est important en effet de pouvoir coordonner nos interventions avec les opérateurs de téléphonie et de l'eau ainsi que les responsables de la voirie pour mener à bien les chantiers qui se caractérisent par des contraintes logistiques importantes.

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Olivier Grunberg, directeur général délégué de Veolia, secrétaire général de Veolia Eau France

À La Réunion, notre implantation, qui date de plus de cinquante ans, s'appuie sur plusieurs filiales qui emploient 300 salariés pour desservir environ 500 000 Réunionnais pour l'eau potable et 300 000 pour l'assainissement. Nous avons soixante unités de production d'eau potable, dix grosses stations d'épuration et environ 3 000 kilomètres de réseau.

Jusqu'en 2018, nous avions une activité à Saint-Martin sur laquelle je pourrais revenir si vous le souhaitez pour évoquer l'ouragan Irma.

En préambule, je tiens à préciser que nous ne sommes pas propriétaires de nos réseaux, nous sommes gestionnaires au titre de délégations de service public. Nous avons donc un rôle de conseil et de prescripteur. Deuxième remarque, la réfection de réseaux d'eau est par essence un peu plus compliquée que celle d'autres réseaux ici représentés et demande du temps.

En ce qui concerne Belal, nous avons été confrontés à deux risques majeurs – le vent et les pluies – ainsi qu'à la difficulté d'accès aux ouvrages liée à la géographie de La Réunion. Quels premiers enseignements positifs avons-nous tirés ? Nous avons pu compter sur un personnel formé et préparé, sur une maintenance préventive ainsi que sur une organisation spécifique déployée dans l'île. Nous pouvons nous appuyer sur des plans de continuité d'activité ainsi que sur des cellules de crise à la fois régionales, nationales et du groupe.

Je m'arrête un bref instant sur l'impact du cyclone sur les différentes composantes d'un réseau. D'abord, les ouvrages, tant pour l'eau potable que pour les eaux usées, sont protégés et ont été bâtis en prenant en considération le risque cyclonique. Ensuite, les canalisations sont aussi construites dans des matériaux plus solides qu'en métropole afin de les protéger contre plusieurs risques. Il n'en demeure pas moins que le faible renouvellement du réseau – il est inférieur à 1 % à La Réunion comme en métropole – est problématique. C'est malheureusement une préoccupation récurrente qui a été mise en exergue par les assises de l'eau. S'agissant des captages, nous avons connu des obstructions liées à la mauvaise qualité de l'eau et parfois des ruptures de canalisations. Grâce aux interconnexions et à d'autres ressources, nous avons réussi à surmonter ces difficultés. Quant aux compteurs, ils ont moins souffert qu'avec Irma à Saint-Martin car les compteurs aériens sont moins nombreux.

Enfin, il faut souligner l'interdépendance complète entre les opérateurs. Nous sommes complètement dépendants des réseaux de télécommunications mais aussi électriques : impossible de traiter l'eau potable ou usée ni de la pousser dans les tuyaux sans électricité. La première étape est de rendre les installations accessibles en déblayant les routes – c'est le rôle des services de l'État et des collectivités ; la deuxième étape consiste à rétablir l'électricité et les télécommunications ; enfin, la troisième étape est l'intervention des autres opérateurs pour améliorer ou réparer ce qui doit l'être.

En ce qui concerne la stratégie de prévention, nous avons prépositionné des stocks de produits chimiques et d'équipements dans différents endroits de l'île afin de faciliter une intervention rapide sans complication logistique. Au moment du Covid, il y avait des problèmes d'approvisionnement en bouteille de chlore. Si nous n'en avions pas prépositionné dans l'île, nous n'aurions pas pu traiter l'eau, ce qui aurait provoqué des interruptions de service assez marquées.

Enfin, je tiens à souligner la qualité du travail avec les équipes de l'État et les collectivités locales. À La Réunion, la préfecture a organisé en novembre 2023 une journée Cyclonex au cours de laquelle tous les acteurs se sont retrouvés pour évoquer la prévention et la gestion du risque cyclonique.

Nous pouvons compter sur les volontaires de Veoliaforce, issue de notre fondation d'entreprise. Elle est certes moins importante que la Fire d'EDF, mais elle permet de mobiliser des ressources humaines en complément des personnels. Elle est intervenue plusieurs fois à Saint-Martin et en Guadeloupe.

Je pourrai développer ultérieurement nos recommandations d'amélioration à court, moyen et long termes, qui, loin d'être coperniciennes, permettraient néanmoins de renforcer la prévention et l'efficacité dans la gestion des crises.

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Claire Chalvidant, directrice adjointe des affaires publiques d'Orange

Orange est présent en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Saint-Pierre-et- Miquelon mais aussi à La Réunion et à Mayotte, en tant qu'opérateur mobile et fixe sur le très haut débit. Nous sommes un opérateur télécom parmi d'autres puisque nous ne sommes plus l'opérateur historique sur ces marchés.

Le retour d'expérience que je vous présente ne concerne donc qu'Orange. Nous avons choisi de vous présenter de quelle manière nous anticipons et préparons la résilience des réseaux grâce à la redondance ; et de quelle manière nous vivons notre présence dans les cellules de crise. Je suis accompagné de Luc Bestoury, directeur de la sécurité pour la zone Antilles-Guyane, Philippe Roquelaure, délégué régional Antilles et Daniel Ramsamy, délégué régional La Réunion-Mayotte, qui pourront vous raconter ce qu'ils ont vécu de l'intérieur, à l'occasion de Belal mais aussi d'Irma.

Cela a été dit, chaque territoire est soumis à des aléas différents. Les conséquences sur le réseau ne seront évidemment pas les mêmes selon qu'il s'agit d'un ouragan, d'un cyclone, ou d'une tempête, d'inondations, d'éruption volcanique ou de tsunami. Nous préparons donc nos réseaux différemment. Nous avons besoin des mêmes préalables que Veolia – l'accès à la voirie et le rétablissement de l'électricité – avant d'intervenir sur un site touché.

Si un site est touché par un défaut d'élagage par exemple, ce sont des pylônes, des équipements, des câbles arrachés qu'il faut remplacer, ce qui allonge d'autant nos interventions.

Notre politique globale d'anticipation des catastrophes naturelles repose sur un plan de crise et sur une redondance des réseaux – depuis les câbles sous-marins jusqu'à notre réseau structurant. C'est notre métier, notre compétence première d'assurer la connectivité pour les clients. Nous devons aussi anticiper la logistique, le volet ressources humaines, etc., autrement dit, nous préparer à chaque crise.

Nous sommes évidemment associés à tous les travaux préparatoires de la préfecture. Tous les acteurs sont réunis au sein du centre opérationnel départemental (COD). Lorsqu'un aléa survient – et c'est la raison pour laquelle lors de l'ouragan Irma nous avons réussi à rétablir le réseau en une journée –, nous formons une équipe de techniciens au sein de laquelle toutes les tâches sont déjà réparties – nous savons à l'avance qui fera l'interface avec les pouvoirs publics, quels techniciens interviendront sur le réseau. S'agissant de la logistique, il faut également anticiper, donc faire des stocks de câbles, des Airbox qui permettent aux clients privés de services fixes d'utiliser le wifi pour communiquer. Ensuite vient le jour J et on ne peut que saluer la collaboration avec les autres acteurs afin de rétablir les réseaux routier et électrique.

Je n'en dis pas plus pour avoir du temps pour répondre aux questions. Forts de l'expérience d'Irma et d'autres aléas climatiques que nous avons connus ces dernières années, nous avons réfléchi à quelques pistes d'amélioration. Mais, globalement, les départements et régions d'outre-mer (Drom) sont plutôt très bien organisés et équipés. Ce sont plutôt eux qui inspirent les plans de crise pour le reste du groupe Orange.

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Sylvie Gengoul, directrice du pôle outre-mer de France Télévisions

Le pôle outre-mer est une communauté de travail de 1 500 personnes réparties sur dix sites dont trois en outre-mer. Nous sommes implantés dans trois bassins géographiques – Pacifique, Indien et Atlantique – pour couvrir des territoires qui tirent leur richesse de leur histoire, de leurs valeurs, de leur diversité et de leur biodiversité.

Nous avons l'ambition de soutenir la vitalité de ces territoires et d'accompagner leur vulnérabilité. Assurément, nous avons notre place dans la prévention des risques qui nous menacent. D'abord, parce que notre nature de service public nous l'impose, mais aussi parce que c'est inscrit dans notre ADN éditorial.

Notre rôle est de contribuer à la dynamique des territoires et de répondre à leurs besoins parmi lesquels figure le fait de se préparer aux risques naturels. Nous sommes donc un acteur pertinent à plusieurs titres : la relation que nous entretenons avec le public facilite une forme de conversation ; elle est exigeante mais elle s'appuie sur une histoire solide et une certaine confiance que nous devons toutefois préserver. Ensuite, nous sommes le premier média de référence en matière d'information. Ce sont près de 40 % des habitants qui regardent les chaînes La Première, soit près de 852 000 téléspectateurs ; nos journaux du soir recueillent des audiences absolument spectaculaires – il représente 80,7 % de parts de marché en Guadeloupe et 74 % en Nouvelle-Calédonie. Ces belles audiences nous donnent aussi une très grande responsabilité. Enfin, La Première est une marque unique avec quatre supports – la radio, la télévision, le web et les réseaux sociaux –, capable de toucher un public assez large – c'est un atout précieux compte tenu de l'évolution des usages. L'effet de convergence des médias renforce l'effet d'alerte.

Notre action en matière d'alerte s'organise autour de deux axes : un premier axe préventif, destiné à développer une culture générale. Je cite quelques exemples : nous relayons les initiatives dans les écoles et les exercices ; nous diffusons des reportages d'explication pour mieux comprendre les phénomènes naturels ; nous publions des articles de fond, à l'instar de « ce qui pourrait attendre les Guyanais pour les cent prochaines années » ; nous participons aux journées Réplik en Martinique en présentant des reportages sur les risques de séisme et de tsunami ; nous proposons des documentaires sur les grands enjeux de demain tels que le déplacement de Miquelon face à la montée du niveau des mers ou sur des histoires passées – ces reconstitutions sont autant de témoignages pour les générations actuelles et futures ; nous proposons enfin des films d'impact qui visent à susciter la réflexion ou des programmes multisupports tels que « En première ligne », qui mettent en scène des hommes et des femmes de nos pays qui sont un peu comme des influenceurs ; sans oublier enfin les contenus destinés à améliorer la connaissance des environnements et de leur relation avec les hommes.

Le deuxième axe concerne l'accompagnement avant, pendant et après un évènement. Nous sommes soumis à l'obligation d'alerte des populations. La plupart de nos stations sont dotées d'un plan d'action qui prévoit à la fois l'organisation des moyens humains, logistiques, matériels mais aussi la partie éditoriale. Nos dispositifs sont très bien rodés et rigoureux. À chaque niveau d'alerte correspond un traitement éditorial. En amont, tous les médias sont mobilisés pour faire de la prévention. Pendant l'événement, la radio est le média privilégié – les dernières enquêtes sur les usages montrent qu'en outre-mer, les habitants préfèrent la radio pour l'information locale –, aux côtés du numérique. Après l'évènement, tous les médias sont de nouveau sollicités.

Pour illustrer le rôle de média d'accompagnement de la radio pendant l'événement – rôle d'écoute, de témoignage, de solidarité, de conseil –, lors du cyclone Belal, nous avons reçu plus de 6 000 appels par jour contre 200 habituellement.

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Notre objectif est, d'une part, de faire un état des lieux des risques naturels et des effets potentiels du réchauffement climatique et, d'autre part, d'évaluer notre capacité à y faire face et à permettre à la vie normale de reprendre son cours aussi vite que possible.

Nous avons pu tirer des enseignements, qui ne sont pas tous positifs, de la gestion d'Irma. En ce qui concerne Belal, le bilan semble plus favorable.

L'état des réseaux, leur accès et leur raccordement sont de qualité diverse en outre-mer. En Guadeloupe, il me semble que nous avons des raisons d'être inquiets en ce qui concerne la distribution d'eau. Quelles seraient les conséquences d'un désordre majeur, notamment sur la situation sanitaire ? De quels outils disposez-vous pour y répondre ?

Comment êtes-vous organisés pour intervenir en tous les points des territoires dont la géographie est complexe et pour porter assistance à tous les habitants ?

Vous participez à l'élaboration des plans Orsec– organisation de la réponse de sécurité civile – et Orsan – organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles. Comment anticipez-vous les évolutions futures – on prédit souvent que les désordres climatiques ne seront pas plus nombreux mais plus intenses –, notamment dans vos investissements ? Comment intégrez-vous les habitudes locales pour faire face aux aléas ?

J'ai bien noté que France Télévisions œuvrait à la prévention. Travaillez-vous ensemble pour parfaire l'information délivrée ?

Comment prépositionnez-vous les équipements pour pallier les éventuelles défaillances de réseaux ?

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Jean-François Finck, directeur de cabinet d'EDF-SEI

D'abord, nous appliquons un programme de maintenance pensé pour garantir la qualité de la fourniture au quotidien et la résilience du réseau. Les deux sont liés : quand le matériel est régulièrement remplacé, il résiste beaucoup mieux aux aléas climatiques – nous l'avons mesuré.

Nous suivons également une politique d'enfouissement des lignes électriques. Dans les territoires que j'ai cités, le taux d'enfouissement des lignes moyenne tension est le même qu'en métropole, soit environ 70 % ; pour les lignes basse tension, il est de près de 50 %. Cette solution n'est toutefois pas toujours possible ni souhaitable. En cas de glissement de terrain ou d'inondation, cela entrave les opérations de dépannage. Il faut trouver un équilibre technique et économique. Quand l'enfouissement n'est pas possible, notre stratégie consiste à automatiser le réseau électrique pour mener à distance les opérations nécessaires à la réalimentation. Nous avons obtenu de très bons résultats dans ce cadre : les alertes rouges déclenchées par les préfets durent de plus en plus longtemps, ce qui rend difficile l'accès aux ouvrages, donc les interventions sur le terrain. À La Réunion, l'automatisation nous a permis de réalimenter de nombreux clients.

Nous nous appuyons sur un diagnostic technique de plus en plus précis, grâce à des données auxquelles nous n'avions pas accès auparavant. Nous ciblons plus spécifiquement les opérations de maintenance, ce qui nous permet d'intervenir et d'investir sur les équipements les plus exposés, donc d'optimiser la résilience du réseau.

Comme en France hexagonale, nous avons installé des compteurs numériques ; 80 % de nos clients en sont équipés. C'est bien pour eux, mais pour nous aussi : la supervision du réseau basse tension améliore nettement notre schéma de réalimentation.

Enfin, nous avons développé dans chaque territoire la plateforme logistique Serval, afin de disposer de stocks cycloniques gréés pour une crise ; les volumes sont suffisamment importants pour assurer les premiers secours malgré des voies maritimes et aériennes bloquées. Les bases d'intervention sont stratégiquement réparties dans l'île pour ne pas être tributaires des accès routiers.

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Olivier Grunberg, directeur général délégué de Veolia, secrétaire général de Veolia Eau France

En matière de prévention, il est essentiel de former le personnel au passage d'un cyclone. Cela passe notamment par des opérations de maintenance préventive. En période de crise, des agents sont prépositionnés dans des usines de traitement stratégiques. J'ai évoqué l'arborescence de crise, qui prévoit une organisation locale, régionale et nationale. On active les plans de continuité de l'activité (PCA) en fonction du degré d'urgence.

À mesure de l'installation ou du renouvellement des ouvrages, nous les avons dotés de spécificités anticycloniques. Ils ne sont toutefois pas prévus pour des cyclones exceptionnels comme Irma, qui a provoqué des rafales de vent dépassant les 370 kilomètres par heure – j'ai vu des murs en béton renversés par le vent. Malheureusement, on ne peut pas totalement se prémunir d'un phénomène aussi atypique. Les ouvrages concernés sont construits dans des endroits protégés, loin du bord de mer pour éviter la submersion, et ne sont pas très hauts pour réduire la prise au vent.

J'ai déjà évoqué les matériaux spécifiques utilisés pour la construction des canalisations à La Réunion, afin de résister aux violents changements de pression. En cas de cyclone, ce sont souvent les pressions d'eau qui font éclater les canalisations. Les réseaux sont enterrés et disposés de façon à pouvoir isoler les portions où des fuites doivent être réparées.

Après nos collègues d'EDF, nous évoluons vers la télérelève des compteurs. C'est important pour maîtriser sa consommation, et, en l'occurrence, pour déterminer l'emplacement des fuites. Nous pouvons ainsi les localiser beaucoup plus rapidement : quarante-huit heures après le passage de Belal à La Réunion, la distribution d'eau était rétablie à 95 %.

Sous l'égide de la préfecture, le travail avec EDF, Orange et France Télévisions se passe très bien, en lien avec les collectivités locales. Le préfet organise des réunions régulières. Nous pourrions toutefois prévoir davantage d'exercices de crise en commun.

S'agissant du prépositionnement des équipements, j'ai déjà parlé des stocks stratégiques et des produits chimiques. Les unités mobiles de traitement, à partir de groupes électrogènes, permettraient d'améliorer encore la prévention. Elles concernent les hydrorocureurs, car l'assainissement est essentiel, et l'eau potable. Nous en avons près des hôpitaux, mais on pourrait en augmenter le nombre à partir des groupes électrogènes prépositionnés, en accord avec la préfecture. Peut-être faudrait-il également réfléchir à installer des mises en commun de groupes électrogènes pour démultiplier les équipements sans surstocker.

Ces recommandations, que je peux détailler, concernent le court et le moyen terme. Je peux également faire des propositions plus structurelles pour le long terme, mais elles sont plus difficiles à mettre en œuvre.

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Êtes-vous bien au fait de l'état du réseau dans tous les territoires ? Vous avez parlé de La Réunion ; votre intervention vaut-elle pour les autres ?

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Olivier Grunberg, directeur général délégué de Veolia, secrétaire général de Veolia Eau France

Pour le moment, en outre-mer, Veolia n'est installé qu'à La Réunion. Je parle donc de ce que je connais. À l'occasion d'Irma, j'ai su ce qu'il avait fallu faire à Saint-Martin. À La Réunion, le taux de rendement du réseau s'élève en moyenne à 65 % environ, avec des écarts-types importants ; en Guadeloupe, il était plutôt de 55 %, à cause d'un sous-investissement chronique et d'une organisation perfectible de la gouvernance de l'eau. Un syndicat unique a été créé depuis – j'ai vu cela de loin.

Je ne peux donc témoigner que de ce que font les équipes de Veolia à La Réunion, depuis près de quarante ans. Le territoire compte deux autres acteurs essentiels : Cise Réunion, filiale du groupe Saur, et la régie communautaire La Créole. En ce qui nous concerne, notre nouveau contrat prévoit d'augmenter de dix points le rendement du réseau en dix ans, ce qui n'est pas évident au regard de la géographie de l'île.

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Claire Chalvidant, directrice adjointe des affaires publiques d'Orange

Nonobstant le cyclone Irma, de catégorie 5, les réseaux d'Orange ont plutôt bien tenu, parce que nos investissements sont significatifs, que nous avons du personnel mobilisé, que nos réseaux sont bien dimensionnés et que nous en améliorons constamment la résilience.

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Luc Bestory, directeur de la sécurité, de la privacy et de l'infogérance de la zone Antilles-Guyane d'Orange

L'efficacité dépendra de la coordination entre les services de l'État, les collectivités et les opérateurs. Dans les Antilles et en Guyane, nous privilégions le recours au téléphone mobile en cas de crise, cyclonique par exemple.

Dans les deux îles, Guadeloupe et Martinique, nous avons positionné tout le matériel nécessaire pour assurer la reprise d'activité des infrastructures liées au mobile. Dans les sites stratégiques pour l'interconnexion, nous avons installé des groupes électrogènes capables de garantir la fourniture d'énergie nécessaire pendant trois à sept jours, en fonction de la consommation.

Nous organisons des exercices de crise pour préparer le personnel. Plus largement, les préfectures, qui sont actives, planifient des exercices grandeur nature préparant aussi bien la survenue d'un tsunami que celle d'un cyclone.

Le dispositif de gestion de crise comprend une carte du personnel permettant de savoir exactement où sont les techniciens afin de disposer de leurs compétences en fonction de la nature et de la portée de l'événement.

Nous prévoyons les situations extrêmes. Toutes nos cellules de crise sont équipées de téléphones satellitaires. En effet, la première étape consiste à réunir tous les responsables pour coordonner l'action. Nous avons engagé un travail avec EDF pour définir des objectifs communs, car nous avons besoin d'énergie et ils ont besoin de télécommunications. Suivant les directives du préfet, nous avons déterminé des secteurs communs d'intervention.

Le centre opérationnel départemental (COD) regroupe des représentants des opérateurs, des collectivités et des services de l'État. Il coordonne les opérations. Les crises que nous avons traversées ont montré son efficacité.

Nous avons évidemment prépositionné tous les équipements nécessaires, en particulier les câbles, pour rétablir le réseau home, le réseau internet, mais notre priorité reste le téléphone mobile, qui peut plus facilement et plus rapidement être remis en service après une catastrophe majeure. Hors des périodes de crise, nous instaurons une redondance du réseau mobile : si celui de la Guadeloupe est indisponible, nous pouvons assurer une partie de l'activité avec celui de la Martinique ou celui de la Guyane. Pour éviter l'isolement des territoires, nous avons installé deux ou trois câbles sous-marins par département, qui n'aboutissent pas tous au même endroit : si un chalutier arrache un câble – c'est déjà arrivé –, si un séisme ou un cyclone provoque des dégâts, nous pouvons rerouter le trafic.

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Thierry Jacob, directeur des moyens et du développement du pôle Outre-mer de France Télévisions

Nous sommes avant tout des fournisseurs de contenu, qu'il s'agisse de télévision, de radio, du web ou des réseaux sociaux. À ce titre, nous nous appuyons sur les opérateurs existants. Nous nous sommes attachés à créer des redondances, des routes multiples, dans chacun des neuf territoires où nous intervenons. Si un câble sous-marin vient à être coupé, comme cela arrive assez régulièrement, cela rend possible la diffusion de nos contenus aux téléspectateurs au moyen d'un autre câble sous-marin ou d'un accès par satellite.

D'autres supports nous permettent de créer des redondances : la modulation de fréquence (FM), la télévision numérique terrestre (TNT), les bouquets satellites, ou, plus récemment les box internet. Le web lui-même nous offre un moyen supplémentaire de diffuser nos contenus tout en répondant à de nouvelles pratiques.

Pour les mêmes raisons, nous évitons autant que possible de concentrer tous nos moyens de production audiovisuelle sur un seul site. Nous nous efforçons d'en maintenir au moins un second par territoire comme à Saint-Pierre de La Réunion dans le sud de l'île, à Basse-Terre en Guadeloupe ou encore à Miquelon à Saint-Pierre-et-Miquelon. Aux sites permanents s'ajoutent des régies mobiles de radio et des équipements encore plus légers. Grâce à toutes ces technologies nous sommes capables, même en situation extrême, de rendre aux populations l'essentiel du service en diffusant un journal d'informations.

Nos neuf sites principaux disposent de groupes électrogènes permettant de tenir de trois à cinq jours sans raccordement aux réseaux d'électricité. Nous nous sommes aussi équipés de téléphones satellite et avons constitué des réserves d'eau, notamment à Mayotte et en Guadeloupe.

Malgré l'humidité et les autres difficultés propres au climat des outre-mer, nous entretenons nos bâtiments pour qu'ils soient en bon état quand survient un risque naturel.

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J'aimerais soulever la question, fondamentale, de l'information pendant et après une crise. Lors du cyclone Belal, certaines informations n'avaient pas été diffusées assez rapidement. Comment vous organisez-vous pour que les publics reçoivent une information pertinente et mobilisatrice ?

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Philippe Roquelaure, délégué régional Antilles d'Orange

Nous avons tous beaucoup appris des retours d'expérience de l'ouragan Irma, qui constitue une sorte de point fixe pour nous organiser. Il est crucial que l'information qui remonte au centre opérationnel départemental (COD) soit vérifiée avant d'être diffusée à la population. La décision de diffuser une information ou de ne pas le faire revient au préfet, qui en évalue la fiabilité.

Les informations remontent à mesure que les diagnostics sont établis. Nous pouvons certes superviser nos réseaux depuis la métropole ou localement, connaître leur état et les gérer en temps réel, mais nous sommes confrontés à ce problème de remontée d'informations. Imaginons un instant que nous soyons à Saint-Martin au lendemain d'Irma : il n'y a plus rien sur l'île : ni téléphone, ni eau, ni électricité. Le SMS et la radio deviennent alors les moyens de communication privilégiés pour atteindre les gens qui ont encore un peu de réseau. Ceux-ci pourront à leur tour informer leurs voisins. Ce sont des points d'appui importants en cas de force majeure.

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Sylvie Gengoul, directrice du pôle outre-mer de France Télévisions

Nous avons trois sources d'information pendant la crise : le COD, la météo et les personnes qui témoignent de ce qui leur arrive.

Nous cherchons aussi à améliorer le niveau de connaissance de nos collaborateurs. Une réforme des rédactions est en cours, qui vise notamment à intégrer les nouvelles questions climatiques au cursus de formation.

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Olivier Grunberg, directeur général délégué de Veolia, secrétaire général de Veolia Eau France

Au plus fort de la crise, il nous appartient comme opérateurs de mettre des informations fiables à disposition. Mais nous ne pouvons le faire qu'en accord avec la préfecture et avec les collectivités locales délégantes, qui nous confient le service d'eau et d'assainissement.

À cet égard, je ferais trois suggestions. Premièrement, nous équiper de téléphones satellites, comme nous l'avions fait en prévision de Belal, constituerait une sorte de rustine permettant d'assurer la continuité de la communication. Deuxièmement, privilégier les cartes multiopérateurs réduirait le risque de se retrouver dans une zone blanche, situation qui devient inacceptable en temps de crise, quand chacun cherche à accéder à des informations qui le concernent. En termes d'organisation enfin, il pourrait s'avérer utile d'associer une entreprise comme Veolia au COD quand ce n'est pas le cas comme à La Réunion. Cette instance regroupe en effet tous les acteurs et sert à concentrer les informations.

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Il est vrai qu'avant Irma, les réseaux d'Électricité de France (EDF) et de France Télécom ou Orange étaient aériens. EDF a beaucoup investi pour enfouir ses réseaux, ce qui constitue une mesure de prévention contre de futurs événements. Je ne reviens pas sur le problème de l'eau : les canalisations sont déjà enterrées.

En ce qui concerne la communication, j'entends les représentants d'Orange qui disent avoir donné la priorité au réseau de téléphonie mobile, dont le rétablissement est plus rapide et l'usage plus pratique durant la crise. Envisagent-ils toutefois, dans le cadre de la reconstruction des réseaux filaires, d'enfouir les câbles de fibre optique, en vue de sécuriser les communications grand public à haut débit, en cas de survenue d'un nouveau phénomène ?

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Je me permets de compléter la question adressée par mon collègue aux représentants d'Orange. Ne convient-il pas de se préoccuper des câbles sous-marins, dont on sait qu'ils font l'objet de la convoitise des géants du numérique (Gafam) ?

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Philippe Roquelaure

Bien entendu le rétablissement des réseaux fixes constitue une priorité pour la reprise de la vie, économique notamment. Nous ne sommes pas des tenants dogmatiques de l'enfouissement partout et pour tout le monde ; la question se pose de façon différenciée selon les territoires. Dans le cas de Saint-Martin, après le passage du cyclone, entre 95 % et 98 % des poteaux étaient tombés par terre. L'idée de proposer d'abord des solutions provisoires le temps de rétablir le réseau fixe s'est donc imposée. Avec l'autorisation de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), nous nous sommes entendus avec les autres opérateurs pour installer une boucle locale radio. Cette solution a permis à tous les habitants de la partie française de Saint-Martin d'accéder à internet à partir du réseau mobile. De telles possibilités, qui ne dépendent pas du réseau fixe, se multiplient avec les avancées techniques : la 5G est déployée à Saint-Martin depuis novembre dernier.

À la demande de l'État, de la collectivité et de quelques opérateurs – auxquels Orange ne s'est pas associée –une structure chargée des ouvrages de génie civil a été créée. Force est de constater que l'enfouissement constitue maintenant une solution, certes perfectible, sur l'île et qu'il pourrait être intéressant de la généraliser.

En tout état de cause, depuis le passage d'Irma en 2017, le fonctionnement des réseaux est presque revenu à la normale et le déploiement de la fibre optique offre aux habitants de Saint-Martin un accès au très haut débit.

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Thierry Jacob, directeur des moyens et du développement du pôle Outre-mer de France Télévisions

Les départements et régions d'outre-mer (Drom) sont plutôt bien couverts en termes de haut débit. Ce n'est pas toujours le cas pour les territoires du Pacifique, malgré les câbles sous-marins. Une difficulté importante tient au fait que les autorités locales ne permettent pas que nous recourions aux services d'entreprises étrangères, comme Starlink, qui offrent un service performant pour un coût raisonnable. Cela limite considérablement nos possibilités de sécurisation et de redondance des réseaux. Même à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui jouxte le Canada, nous ne pouvons accéder à Starlink. Il serait donc intéressant, au moins en situation de crise, d'avoir accès à des services de ce type. Or les entreprises qui les proposent n'ont pas vraiment de concurrents dans cette partie-là du monde, en particulier dans des territoires isolés comme Wallis-et-Futuna ou la Polynésie française.

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Merci, mesdames et messieurs, pour ces précieuses informations.

La réunion s'achève à dix-sept heures cinquante.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la Banque des territoires : M. Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique, Mmes Giulia Carre, directrice des relations institutionnelles et Selda Gloanec, conseillère relations institutionnelles.

L'audition commence à dix-huit heures.

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Mes chers collègues, nous accueillons M. Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires, avec Mmes Giulia Carre, directrice des relations institutionnelles et Selda Gloanec, conseillère relations institutionnelles.

La Banque des territoires est présente dans les outre-mer au travers de trois directions régionales et d'antennes territoriales. Elle a conçu un plan d'adaptation des territoires du littoral et d'outre-mer au changement climatique pour aider les acteurs locaux à identifier les priorités d'action et à lancer les projets nécessaires à la protection du littoral et des populations, à la mutation de l'activité économique, à la préservation des ressources et à la gestion de crise à la suite d'une catastrophe naturelle.

Monsieur, mesdames, la mise en œuvre de ce plan intéresse tout particulièrement notre commission et nous sommes ravis de vous accueillir. Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire avant des échanges sous la forme de questions réponses.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Hervé Tonnaire prête serment.

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

La Banque des territoires a fait de la prévention et de l'adaptation au changement climatique l'un des axes majeurs de son projet stratégique pour la période 2024-2028 et elle y consacrera 1,2 milliard d'euros. Elle considère par ailleurs que les outre-mer font partie des territoires à enjeu particulier, au même titre que les territoires de la zone littorale, des zones rurales ou de la politique de la ville. Selon une expression désormais consacrée, nous devons, face au changement climatique, « éviter l'ingérable et gérer l'inévitable ».

La Banque des territoires est un partenaire qui se place en deuxième ligne : j'entends par là qu'elle accompagne les acteurs principaux, c'est-à-dire l'État et les collectivités, sans avoir vocation à décider ou à imposer ses choix – elle n'a pas de dimension régalienne. Elle met, dans une logique partenariale, ses ressources privilégiées à leur disposition. Sa gouvernance particulière l'oblige à jouer un rôle dans une grande politique publique telle que l'adaptation au changement climatique. Ses principaux leviers d'action sont : l'ingénierie de projet, le financement et un outil bancaire spécifique, la consignation.

Sur le premier point, nous avons la possibilité soit de mobiliser l'ingénierie propre des collaborateurs de la Banque des territoires, soit de cofinancer de l'ingénierie de projet, au service principalement des collectivités.

C'est sur le deuxième axe, à savoir le financement, qu'on nous attend le plus. La Banque des territoires est un établissement public : ce n'est pas une filiale, mais une marque qui reprend l'ensemble des métiers qui s'adressent aux territoires. Elle dispose d'abord de l'outil très puissant des fonds d'épargne, adaptés aux sujets du temps long comme le changement climatique. Les prêts sur fonds d'épargne notamment peuvent être mobilisés sur des durées très importantes. Nous allons d'ailleurs étendre à quatre-vingts ans la maturité des prêts fonciers pour des projets visant à préserver des terrains qu'il s'agit de « thésauriser », parce qu'ils peuvent apporter une plus-value, par exemple pour la protection du littoral. À côté de ces projets à très long terme, nous avons aussi des outils comme l'Aqua Prêt ou les nouveaux prêts de transition énergétique, sur lesquels je pourrai revenir si vous le souhaitez.

La Banque des territoires peut également faire des investissements en fonds propres pour accompagner des acteurs dans leur stratégie, par exemple pour des travaux de confortation. Elle intervient aussi au travers d'opérateurs, puisqu'elle est actionnaire de nombreuses sociétés d'économie mixte (SEM). Je suis par exemple l'administrateur de la Société d'équipement de la Nouvelle-Calédonie (Secal), dont le plan de développement a fait de l'accompagnement des collectivités à l'adaptation au changement climatique un axe central. Bref l'investissement peut se faire au travers de véhicules intermédiés comme une SEM ou par l'accompagnement des projets d'acteurs privés.

Notre troisième mode d'intervention, c'est la consignation. C'est un outil très puissant, qui permet de « prendre en compte » des montants qui seront utiles pour des actions de remédiation ou de résilience et, le cas échéant, de les mettre à disposition après un incident qui met en jeu des responsabilités.

Tel est le triptyque qui structure les interventions de la Banque des territoires. Le plus souvent, nous commençons par de l'ingénierie de projet, en aidant nos partenaires à définir leur programme. Le financement ne vient que dans un deuxième temps : une fois que le projet existe, nous regardons s'il y a une capacité de financement. Le plus souvent, en outre-mer, plusieurs types de financement coexistent, avec les fonds européens, les fonds d'État, mais aussi ceux d'autres acteurs comme l'Agence française de développement (AFD).

Je vais prendre un exemple pour illustrer l'importance de la consignation en matière environnementale, même s'il n'entre pas tout à fait dans le cadre de votre commission d'enquête puisqu'il ne s'agit pas d'un risque naturel, mais minier. En Nouvelle-Calédonie, 100 millions d'euros ont été consignés à la demande de la province Sud pour prévenir un éventuel incident sur un bassin de rétention de boues de l'usine de Prony Resources – autrefois Vale. Cet opérateur, qui est un peu fragile, n'avait pas la possibilité de recourir à des modes normaux d'assurance ou à des dispositifs susceptibles de rassurer la collectivité. La Caisse des dépôts a donc consigné 100 millions d'euros comme garantie de la protection environnementale, qui ne peuvent être libérés qu'à la demande de la collectivité.

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Si je comprends bien, la consignation permet à un opérateur qui est exposé à un risque environnemental de se prémunir contre un éventuel incident, même s'il n'en a pas les moyens ?

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J'aimerais moi aussi que vous reveniez sur la consignation : je suppose qu'elle n'est pas gratuite pour les communes ? A-t-elle vocation à compenser ou à remplacer une assurance qui ferait défaut ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

La consignation est un outil réglementaire. Elle est prévue par un texte de nature législative ou réglementaire. Elle ne coûte strictement rien à la collectivité et est même rémunérée par la Caisse des dépôts, à un taux faible. Elle consiste à bloquer une somme d'argent pour prévenir un risque – dans l'exemple que j'ai pris, celui qui est lié au bassin de rétention.

En l'espèce, le code de l'environnement de la province Sud propose une palette d'outils. L'opérateur minier peut notamment souscrire une assurance, qui couvre les frais en cas d'incident. Mais comme il n'a pas pu accéder à un dispositif assurantiel ou bancaire, nous avons été contactés en urgence pour trouver une solution.

L'opérateur a donc consigné des montants qui ont été déterminés par la collectivité, par arrêté. Nous sommes un tiers de confiance : nous garantissons que ces montants sont dans nos écritures, à la Caisse des dépôts, et qu'ils ne seront libérés qu'à la demande de la province Sud. Si l'acteur minier veut retirer de l'argent, il ne peut le faire qu'avec l'accord de la collectivité qui nous a demandé la consignation. La collectivité, quant à elle, peut demander qu'on libère à son profit tout ou partie des sommes s'il se produit un incident sur le bassin de rétention. C'est un outil de protection.

La consignation pourrait aussi être un outil s'il fallait par exemple préserver ou acquérir un terrain en zone littorale pour faire face à un risque majeur. C'est un moyen de thésauriser ou de protéger auprès d'un tiers de confiance des sommes qui pourraient être mobilisées quinze, trente, soixante, voire cent ans plus tard – ce que permet l'immanence qui caractérise notre établissement public. La consignation est notre métier de base depuis 1816 : notre nom était Caisse des dépôts et consignations !

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J'ai moins bien compris la possibilité de consigner une somme qui permettrait un jour d'acquérir un terrain alors même que ce terrain est immobilisé, mais c'est peut-être plus éloigné de notre sujet.

La Banque des territoires, vous l'avez dit, est un acteur financier qui aide les collectivités et leurs organismes à lutter contre le réchauffement climatique et à se prémunir contre ses effets. Vous avez évoqué votre action en matière d'ingénierie de projet, mais les collectivités ultramarines ont souvent des difficultés en matière d'ingénierie tout court : elles ont du mal à définir leurs projets et à les calibrer. C'est particulièrement difficile quand l'ingénierie n'est pas seulement technique, mais aussi foncière, notamment en Polynésie, où l'indivision successorale bloque un tiers du foncier.

Votre intervention, en matière d'ingénierie de projet, consiste-t-elle à payer les experts ou à apporter une expertise en vous appuyant sur d'autres structures ? Quel est votre mode d'intervention ? Et comment validez-vous les projets qui peuvent faire l'objet de ce soutien financier ?

L'idée est d'adapter l'existant à la réalité énergétique et au changement climatique, mais aussi de définir des trajectoires permettant d'anticiper les changements à venir. Comment, en tant que financeur, appréciez-vous les projets qui vous sont soumis ? Je vois bien que la consignation permet de mettre de l'argent de côté, à défaut d'autres assurances, pour réparer d'éventuels désordres qui ne pourraient pas être gérés sinon. Mais, dans les outre-mer, les structures ont elles-mêmes très fréquemment des problèmes de financement. Le cas échéant, la Banque des territoires peut-elle elle-même apporter ces financements ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

Dans une vie antérieure, j'ai été directeur général des services de la collectivité territoriale de Guyane et j'ai servi plusieurs fois outre-mer. Je connais donc les difficultés que vous décrivez, s'agissant de l'ingénierie.

Sur la question spécifique du changement climatique et de la résilience territoriale, nous avons bâti un plan d'action pour l'outre-mer avec les équipes du réseau de la Banque des territoires. Sur ce sujet nouveau, de nombreuses questions se posent, notamment celle-ci : comment monétariser certains terrains alors qu'il n'est pas possible de compenser leur coût avec des produits de sortie, comme c'est le cas dans une opération d'aménagement par exemple ? C'est à la Caisse des dépôts de trouver des réponses à ces questions nouvelles.

S'agissant de l'ingénierie de projet, nous avons essayé de nous concerter avec les autres acteurs concernés. Il y en a en effet beaucoup qui font de l'ingénierie, du cofinancement, de l'appui en ingénierie outre-mer. Outre la Banque des territoires interviennent l'AFD, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) – seulement dans les départements et région d'outre-mer (Drom), pas dans le Pacifique –, le ministère des outre-mer, qui peut aussi apporter un appui direct, ou encore le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et l'Agence de la transition écologique (Ademe).

À l'initiative de l'ANCT, nous avons établi un document unique recensant les dispositifs d'appui à l'ingénierie. Nous essayons d'être complémentaires, puisque les sommes mobilisables sont énormes : la Banque des territoires peut mobiliser près de 200 millions sur six ans pour tout ce qui concerne le changement climatique sur l'ensemble du territoire.

De façon très schématique, il en ressort que l'AFD s'occupe plutôt de l'appui structurel aux collectivités : quand un syndicat des eaux à Mayotte ou une collectivité territoriale en Guyane a des difficultés, c'est cette ingénierie structurelle qu'il convient de lui apporter. Pour les petites collectivités, il s'agit par exemple de les aider à passer des marchés ou d'intervenir sur la structuration de leur budget. L'ANCT et nous intervenons plutôt sur les sujets en relation avec notre doctrine.

Pour notre part donc, nous faisons plutôt de l'ingénierie préopérationnelle. Pour schématiser, nous n'allons pas financer par exemple des études prospectives sur l'avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon en 2050. En revanche, nous venons de signer une convention partenariale d'appui avec la commune de Miquelon, dont vous savez qu'elle envisage une translation intégrale, un déplacement du village, ce qui est quelque chose d'assez nouveau. Pour l'accompagner, avec l'État, nous allons mobiliser 1 million de crédits d'ingénierie sur trois ans, dont 664 000 euros dès cette année, pour cofinancer un chef de projet ainsi que des études d'accompagnement de la population et d'assistance à maîtrise d'ouvrage afin de structurer le projet.

Notre appui est adapté à la réalité des territoires et des collectivités : nous n'aidons pas de la même façon un conseil régional, une collectivité unique, un pays, le gouvernement de Polynésie, la commune de Koumac en Nouvelle-Calédonie, celle de Miquelon ou celle de Camopi en Guyane. Les besoins ne sont pas les mêmes, les capacités d'accompagnement non plus. Nous essayons de nous insérer dans le biotope de l'ingénierie – l'État a installé par exemple des cellules d'appui aux collectivités en Guyane et à Mayotte – et développons des types d'intervention très diversifiés. Pour donner quelques exemples, il peut s'agir du recensement des réflexions des acteurs des territoires, du cofinancement des chefferies de projet ou d'études sur la mise en place éventuelle d'un opérateur foncier.

Nos financements suivent bien sûr des règles, notamment en ce qui concerne les montants. En règle générale, la Banque des territoires et donc la Caisse des dépôts interviennent de façon indifférenciée sur l'ensemble des territoires. Pour l'outre-mer toutefois, en matière d'ingénierie de projet, nous pouvons intervenir de façon plus intensive : nous pouvons aller jusqu'à 80 % du financement, contre 50 % pour les autres territoires. Les acteurs et les financements sont en effet assez nombreux outre-mer et nous souhaitons éviter aux petites collectivités d'avoir à démarcher plusieurs acteurs pour assurer le cofinancement de leur projet.

Il ne s'agit pas d'un financement « one shot » : nous participons aux groupes de travail – comité de pilotage, comité de suivi, comité technique – avec la structure afin de travailler en amont aux livrables et au pilotage. Nous considérons que notre expérience avec d'autres collectivités, sur l'ensemble du territoire, nous en donne la légitimité. Dans une vie antérieure, j'ai travaillé chez Egis, une filiale de la Caisse des dépôts active dans l'ingénierie de projet et l'ingénierie lourde. J'y ai appris la nécessité d'avoir un bon pilotage, afin d'éviter des prestations faites un peu vite, par des ingénieurs juniors – même si ce sont des seniors qui signent à la fin. Nous devons être certains que l'étude commandée, la section de la chefferie de projet, la prestation cofinancée apporte une plus-value. Les montants que nous pouvons mobiliser sont importants, comme le montre l'exemple de Miquelon : le projet de déplacement est soutenu politiquement par le maire et ses concitoyens y adhèrent, mais il demeure extrêmement complexe. Nous intervenons donc même pour aider à structurer les financements, monter un rétroplanning, définir des jalons.

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Faisons un peu d'aménagement fiction. Prenons un terrain qui est susceptible de se dégrader du fait du changement climatique. Il risque de souffrir du vent, ou de la sécheresse, ou de se transformer en marais, en tout cas d'être à l'origine de désordres importants. La collectivité veut donc l'aménager. Le problème est qu'elle n'arrive pas à déterminer qui est le propriétaire. Pour avoir suivi avec Serge Letchimy la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale, je vois bien les conséquences que peuvent avoir ces sortes de situations lorsqu'il faut agir face au changement climatique. Bref, la collectivité se trouve face à un problème aux multiples aspects, avec cette difficulté juridique. À quelle étape allez-vous l'accompagner ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

Nous allons l'accompagner s'il y a une sollicitation. Je rappelle que nous sommes physiquement présents en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et à La Réunion. Nous pouvons bien sûr nous déplacer dans les autres territoires, à Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin ou Saint-Barthélemy. Si donc une collectivité nous sollicite, nos directions régionales vont identifier le type d'accompagnement le plus pertinent. Nous avons une expertise financière et nous pouvons mobiliser des capacités d'ingénierie préopérationnelle, éventuellement en articulation avec d'autres acteurs.

Une question émerge en ce moment lorsqu'il faut aider à remembrer ou restructurer un terrain – et ce au-delà des aspects juridiques, qui peuvent en effet être très complexes : terres coutumières, zone des cinquante pas géométriques, indivision… Cette question, c'est de savoir comment donner une valeur à du foncier qui doit être reconsidéré, et éventuellement sanctuarisé. Concrètement, dans ce que nous faisons pour accompagner le foncier outre-mer, nous sommes par exemple le premier sponsor d'Interco' outre-mer dans son travail sur les contrats d'objectifs et de performance. Nous n'intervenons pas directement, car nous n'en avons pas la légitimité : le foncier outre-mer a une dimension identitaire, totémique. Le foncier concrétise le lien à la terre dans pratiquement tous les territoires d'outre-mer. Les questions foncières sont donc d'abord politiques. C'est une fois que le projet politique est défini par les élus que nous apportons des réponses techniques et concrètes. Ce sont plutôt des projets qui suscitent l'accord des différents acteurs. La démarche d'Interco' outre-mer à cet égard est remarquable, puisqu'elle associe des acteurs comme les notaires, qui ne sont habituellement pas mobilisés alors qu'ils sont indispensables sur ce type de sujets.

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Je comprends bien tout cela, mais le processus est itératif : le projet de la collectivité passe par plusieurs phases de maturité, surtout si des questions techniques, juridiques ou financières se posent. N'intervenez-vous qu'une fois que le projet est bien ficelé, ou pouvez-vous le faire dès que la volonté de faire quelque chose s'exprime ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

Nous pouvons intervenir dès l'amont, comme c'est le cas à Miquelon, dont le projet est encore loin d'être finalisé. Notre plan d'adaptation au changement climatique en outre-mer prévoit que, dès lors qu'une collectivité manifeste la volonté de se saisir d'un sujet, nous puissions l'aider à la réflexion menée pour clarifier le projet, identifier les partenaires et définir les étapes. Nous pouvons également intervenir lorsque le projet est déjà avancé et qu'il y a un portage politique : nous aidons à solidifier le passage à l'acte. Nous pouvons enfin intervenir lors de la phase opérationnelle, par exemple lorsqu'il faut une étude pour identifier le meilleur montage – délégation de service public, société d'économie mixte ou tout autre outil de portage.

Nous intervenons donc à toutes les phases d'un projet, pourvu que nous ayons identifié un porteur politique, qui ne sera d'ailleurs pas nécessairement le maître d'ouvrage, et pourvu que ce que nous cofinançons s'inscrive dans nos objectifs. En matière de risques naturels majeurs, il peut s'agir de prévention – la province des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie, se lance dans des actions de prévention pour son littoral –, d'adaptation – toujours en Nouvelle-Calédonie, nous finançons une étude pour les syndicats de transport – ou de résilience territoriale – en Guadeloupe, nous allons financer avec l'Ademe des actions sur la résilience des filières du tourisme et de l'agriculture. Ces sujets étant nouveaux, nous nous montrons ouverts : nous essayons d'identifier des axes, de tester des choses, de nous inspirer de qui a déjà été fait pour les zones littorales, par exemple en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, de créer des passerelles et de fédérer des biotopes.

Que nous intervenions en amont, en cours de lancement ou même en pleine mise en œuvre, nous nous demandons si le projet peut être réalisé directement par la collectivité ou s'il doit être externalisé. Dans ce dernier cas, nous cherchons qui peut le faire et nous pouvons aller jusqu'à élaborer le plan à moyen terme d'une SEM s'il le faut.

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Votre appui peut donc aider à l'émergence d'acteurs, comme une entreprise publique locale ou un outil dédié ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

Oui. On peut dire, en caricaturant, que la Caisse des dépôts agit comme une SEM, puisque nous sommes un établissement public pouvant intervenir dans des activités concurrentielles. Cela fait partie de notre code génétique. En outre-mer, nous sommes présents dans vingt-cinq SEM, bientôt vingt-six. En Nouvelle-Calédonie, la Secal, dont j'ai déjà parlé, est une SEM très volontariste, traditionnellement impliquée dans l'aménagement et les infrastructures. Son directeur général considère qu'étant donné la taille de la Nouvelle-Calédonie, il n'est pas besoin de créer trente-six outils pour accompagner les collectivités dans la lutte, la prévention et l'adaptation au changement climatique. Cette SEM a donc mis en place une ingénierie opérationnelle, y compris en recrutant des collaborateurs spécialisés dans l'adaptation au changement climatique, afin de proposer aux collectivités du territoire – gouvernement, provinces et communes – les prestations d'un opérateur capable de faire le lien entre le politique, l'opérationnel et les autres acteurs, comme la Banque des territoires. Cette vision me paraît pertinente et nous l'accompagnons fortement.

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J'ai eu le plaisir de travailler avec vous au sein du Comité national du trait de côte. Vous parliez tout à l'heure de prêts à très long terme, jusqu'à quatre-vingts ans, dont les collectivités se félicitent aujourd'hui. Mais il est parfois besoin de prêts à très court terme, lorsque les stratégies d'adaptation des communes littorales nécessitent une action très rapide et que le soutien de l'État ne peut pas être apporté immédiatement. Avez-vous réfléchi à ce type de solutions d'urgence ?

Je voudrais également revenir sur le système de la consignation. Pourriez-vous nous donner un exemple de commune qui y aurait fait appel, dans le cadre de sa stratégie d'adaptation à un risque d'élévation du niveau de la mer, de submersion ou bien d'érosion ? Vous avez cité l'exemple incroyable du village de Miquelon – dont nous connaissons bien le maire, Franck Detcheverry – qui doit être presque intégralement relocalisé. C'est un projet d'une ampleur extraordinaire. La consignation pourrait-elle être pertinente pour une entreprise de ce type ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

La consignation ne peut être mise en œuvre que si un texte la prévoit : ce n'est pas une offre dont la Caisse des dépôts peut prendre l'initiative. Son domaine s'élargit de plus en plus, sous l'action du législateur.

Dans l'exemple de l'usine Prony Resources que j'évoquais, pour un risque donc industriel et non pas naturel, la survie de l'usine était en jeu puisqu'elle ne trouvait pas d'autre solution. Le code de l'environnement de la province Sud nous a donné cet outil qui est à la libre disposition de la collectivité, et aussi éventuellement de l'opérateur.

Nous pensons que la consignation pourrait être utile pour sécuriser des opérations de temps long qui puisent à plusieurs sources de financement, publiques ou mêmes privées – grandes structures associatives, financement participatif et autres. Le tiers de confiance offre une garantie qui a zéro coût pour la collectivité, la consignation étant en plus rémunérée par la Caisse des dépôts. Cela peut s'envisager dans les cas où les financements ne sont libérés qu'au fur et à mesure de l'avancement du projet, ou encore lorsque les opérateurs qui profitent d'un terrain doivent prévoir sa remise en ordre par la suite – on est alors dans l'ordre des consignes environnementales réparatrices. On peut penser que cet outil pourrait utilement prospérer.

S'agissant de nos financements, nous consentons des prêts sur fonds d'épargne qui sont considérés comme pertinents à partir d'une durée de quinze ans. Ils ne sont pas du tout adaptés au court terme. Nous avons également des financements dits « bancaires », à plus court terme, que nous proposons par exemple à des SEM ; mais il est délicat de les proposer aux collectivités dans la mesure où, ne s'agissant pas de produits d'épargne réglementée, les banques de la place pourraient s'en émouvoir. Nous ne sommes donc pas en mesure de répondre par le prêt aux besoins de financement à très court terme des communes. Le préfinancement du FCTVA (fonds de compensation pour la TVA), que nous avons proposé par le passé, n'est plus d'actualité. Quant au préfinancement, en outre-mer, des subventions que perçoivent les collectivités, c'est plutôt du ressort de l'AFD. Nous proposons aussi un prêt catastrophe naturelle, mais il est peu mobilisé.

Les taux de nos prêts sont encadrés et peuvent être amenés à évoluer. Le mode de financement des prêts sur fonds d'épargne de la Caisse des dépôts consiste à d'abord financer le taux du livret A, dû à l'épargnant, auquel vient s'ajouter une marge qui peut être presque négative, comme c'est parfois le cas pour le financement du logement très social, ou très modeste, comme dans le cas de notre prêt transformation énergétique, où elle est de 0,40 %, et dans le cas des prêts cohésion sociale et catastrophe naturelle, où elle est de 0,60 %. Mais ce type de prêt ne permet pas une réactivité immédiate : nous sommes plus à l'aise pour aider au financement de travaux lourds, dans un deuxième temps, après la situation d'urgence. Bref, pour répondre à votre question, Madame la présidente, nous n'avons pas d'outil adapté à la gestion de crise.

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Merci beaucoup. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

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Hervé Tonnaire, directeur délégué aux outre-mer, directeur régional Pacifique de la Banque des territoires

Je peux vous donner quelques précisions sur les Aqua Prêts et les prêts de transition énergétique.

Les Aqua Prêts marchent bien. Pour faire écho à ce que disait M. le rapporteur, un tel dispositif ne peut fonctionner que s'il est adossé à une gouvernance de l'eau efficace. C'est à La Réunion que cela fonctionne le mieux, où la démarche est exemplaire. En 2023, nous avons prêté 40 millions, ce qui n'est pas déraisonnable, aux établissements publics de coopération intercommunale de La Réunion. Nous avons également prêté 23 millions pour le grand projet de basculement des eaux de l'est vers l'ouest de l'île, et pour le projet complémentaire Meren, qui met en synergie les microrégions Est et Nord.

En Guyane, nous avons octroyé des prêts à la communauté d'agglomération du centre littoral, qui a la gouvernance et la volonté de faire nécessaires, dans le cadre du plan eau outre-mer, pour 29 millions.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons aidé au financement d'une retenue collinaire pour lutter contre les pénuries d'eau en prêtant 6 millions à la collectivité territoriale. La commune de Miquelon, qui a connu pour la première fois un problème d'eau, vient de nous solliciter pour un petit prêt. Et en Nouvelle-Calédonie, nous avons prêté 3,6 millions pour le barrage de Dumbéa.

Les prêts transition énergétique sont assez récents et nous n'avons pas encore beaucoup de recul sur l'outre-mer. Je peux cependant vous en donner quelques exemples. Nous avons octroyé un prêt au gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour la dépollution de la baie de Numbo. Nous avons également prêté 2,5 millions, sur le long terme, pour la réfection de la chambre interconsulaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, dans une perspective de performance énergétique : s'il ne s'agit pas d'une réponse à un risque naturel majeur et imminent, cela participe néanmoins de la lutte préventive contre l'effet de serre.

La Caisse des dépôts étant placée sous la protection spéciale du Parlement, je tenais à revenir sur le cas du barrage de la Vigie à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet indispensable barrage de retenue collinaire ne pouvait pas être financé par la collectivité, les aides dont elle disposait dans le cadre du contrat de développement n'y suffisant pas. Il a fallu que nous fassions un prêt sur cinquante ans, à un taux adapté, pour que la charge de l'emprunt devienne soutenable pour la collectivité et le projet viable. Sans cela, l'opération aurait été impossible. Cette ressource très particulière des fonds d'épargne doit donc être protégée.

Il faut certainement l'améliorer, et c'est pour cela que nous voulons pouvoir porter la durée du prêt à quatre-vingts ans, pour pouvoir intervenir pour du foncier stratégique de préservation, dans le cadre de la prévention des risques naturels. Il pourrait s'agir par exemple, en outre-mer, de conserver une bonne distance par rapport à la mer. Cette durée est rendue possible par l'utilisation que nous faisons des fonds d'épargne. Le cas du barrage de la Vigie me paraît exemplaire : pour les autres projets, on peut s'en sortir avec des prêts de vingt-cinq, trente-cinq ou même quarante ans, mais en l'espèce nous sommes allés au maximum de ce que nous pouvions faire. Mais nous ne faisons pas non plus n'importe quoi : l'amortissement économique du bien est considéré – et l'on ne refait pas une retenue collinaire tous les quatre matins.

C'est notre ingénierie financière spécifique qui seule a rendu possible ce prêt sur cinquante ans, avec des annuités supportables. Le projet n'avait pas d'autre solution de financement. On voit bien ici la force de cet outil que sont les fonds d'épargne.

L'audition s'achève à dix-huit heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du lundi 12 février 2024 à 15 heures

Présents - Mme Florence Goulet, M. Frantz Gumbs, Mme Sophie Panonacle, Mme Cécile Rilhac, M. Guillaume Vuilletet.

Excusé. - M. Mansour Kamardine.