Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du jeudi 15 décembre 2022 à 9h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Jeudi 15 décembre 2022

La séance est ouverte à 9 heures 04.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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La commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France auditionne M. Xavier Piechaczyk, président du directoire du réseau de transport d'électricité.

Monsieur Piechaczyk, nous vous remercions d'avoir répondu rapidement à notre sollicitation. Nous avons souhaité vous entendre sur les enjeux relatifs à la souveraineté et à l'indépendance énergétique et plus spécifiquement électrique de la France. Les gestionnaires de réseau jouent désormais un rôle essentiel en matière d'approvisionnement. Nous avons hier entendu votre prédécesseur tout en regrettant que, faute de temps, nous ne puissions pas interroger les premiers responsables de RTE dans sa configuration initiale.

La séparation des activités de production d'une part, et de transport et de distribution de l'électricité, d'autre part, relève d'une exigence des instances européennes. EDF a été ainsi conduit à filialiser ses activités de distribution, désormais gérées par Enedis, et ses activités de transport d'électricité, confiées à RTE. La gestion du réseau de transport fait intervenir, outre RTE, d'autres entités, comme l'État, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui a le statut d'autorité indépendante, et l'Agence européenne de coopération des régulateurs d'énergie (Acer). Les interconnexions dans le cadre du marché européen ont en effet été souhaitées et développées ces dernières années. Elles permettent d'organiser des flux qui se traduisent en importations ou en exportations.

La crise actuelle met en évidence l'intérêt d'une telle solidarité européenne. Les mécanismes tant pour le financement des investissements que pour le choix des tracés ou les conditions de négociation des achats et des ventes demeurent toutefois opaques pour la plupart des citoyens français comme européens. L'initiative chinoise de 2016 d'une nouvelle route de la soie appliquée à l'électricité peut par ailleurs laisser dubitatif quant à la préservation d'une souveraineté ou d'une indépendance électrique de l'Europe. Il convient de relever que les interconnexions garantissent un approvisionnement en électrons, mais ne donnent aucune assurance quant à leur provenance ou à leur source – charbon, gaz, hydraulique, autres énergies renouvelables, ou nucléaire.

RTE occupe une situation de monopole régulé. Un contrat de service public définit les priorités de l'État qui s'imposent aux gestionnaires de réseau. En 2017, la sécurité de l'approvisionnement et l'équilibre du système électrique étaient ainsi affirmés comme une priorité adjacente à celle de la transition énergétique. Le contrat conclu en 2022 évoque toujours la transition énergétique et consacre le principe de résilience. Ces termes traduisent-ils un changement d'orientation ?

L'approvisionnement est essentiel, mais l'équilibre du réseau ne se limite pas à cette seule question. Le développement des énergies renouvelables nécessite ainsi des investissements importants dans le réseau. Environ 30 milliards d'euros sont prévus d'ici 2035, notamment pour les raccordements et le stockage, auxquels s'ajoutent des interventions complexes pour leur mise en réseau. Les charges afférentes au réseau sont par ailleurs principalement couvertes par le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe). Or, selon le dernier rapport de la Cour des comptes consacré à RTE, les lois de 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et de 2018 pour un État au service d'une société de confiance ont opéré un transfert de charges que la Cour n'avait pas évalué.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Xavier Piechaczyk prête serment.)

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

L'indépendance de RTE est en effet une conséquence de l'ouverture des marchés voulue par le droit communautaire. RTE s'est détaché d'EDF au début des années 2000. RTE est délégataire du service public, et nous bénéficions à ce titre d'un contrat de concession dont le cahier des charges est approuvé par décret. Nous sommes un monopole régulé et indépendant, notamment vis-à-vis d'EDF.

Notre entreprise compte près de 10 000 salariés. Son chiffre d'affaires annuel s'élève à environ 5 milliards d'euros. En tant qu'opérateur de réseau, nous gérons des infrastructures et des actifs : plus de 100 000 km de ligne, 250 000 pylônes, 2700 postes électriques en exploitation, notamment avec Enedis. La transition énergétique et la modification du mix de production conduiront à des investissements majeurs dans ce domaine.

Nous sommes également chargés de l'exploitation du système électrique français, mais aussi européen. Toute l'Europe fonctionne à la même fréquence de 50 hertz. Ainsi, il nous revient d'intégrer toutes les formes de production et de consommation, et de développer les flexibilités dont nous aurons besoin à l'avenir.

Enfin, nous devons jouer un rôle d'éclaireur du débat public et des décisions publiques. Cette mission légale est prévue par l'article L141-8 du code de l'énergie.

Nous produisons des études prévisionnelles depuis le début des années 2000. Il s'agit d'études de sécurité d'approvisionnement. Cette notion repose pour l'électricité sur le critère des trois heures de défaillance des marchés, défini par les pouvoirs publics : il faut que les marchés équilibrent naturellement le système électrique, sauf, en probabilité, pendant trois heures par an.

Ces études sont publiées et ne sont jamais remises aux seuls pouvoirs publics. Elles visent à informer des prérequis et des conséquences d'un certain nombre de politiques publiques et de la transformation de notre environnement énergétique en matière de sécurité d'approvisionnement. Elles s'intéressent donc aux politiques d'évolution de la consommation et du mix électrique, et aux évolutions de fait de celui-ci. Nos rapports n'ont jamais un caractère prescriptif : ainsi, nous ne pouvons pas nous opposer à l'ouverture ou à la fermeture d'un moyen de production.

Les premiers bilans prévisionnels ont été réalisés par l'entreprise au début des années 2000, alors que la sécurité d'approvisionnement n'était pas menacée. C'est seulement un peu avant 2010 jusqu'en 2014 que la sécurité d'approvisionnement est devenue une question suscitant un intérêt croissant. En effet, à cette période, la pointe à dix-neuf heures augmente, atteignant son plus haut niveau à 102 GW en février 2012. Par ailleurs, la fermeture des moyens de production thermique – fioul et charbon – était annoncée, en application des normes européennes s'opposant à la prolongation de la durée de vie des tranches fioul et charbon. Enfin, au début des années 2000, la « mise sous cocon » des centrales à gaz commençait à se profiler du fait de tarifs d'électricité bas. Ce phénomène a donné lieu au mécanisme de capacité, conçu par RTE pour garantir une sécurité d'approvisionnement, sur lequel RTE a commencé à travailler en 2010 pour l'appliquer en 2016. Les bilans prévisionnels de RTE se concentraient donc à l'époque essentiellement sur la fermeture progressive des moyens thermiques utilisant le fioul et le charbon et sur le maintien ou le développement du gaz.

À partir de 2012, tous nos bilans prévisionnels évoquent la fermeture potentielle de Fessenheim, qui représentait un engagement de campagne du Président de la République nouvellement élu, ainsi que de la majorité qui siégeait dans cette Assemblée, et qui était corrélée à l'ouverture de l'EPR de Flamanville 3. Le bilan prévisionnel de 2019, toutefois, prend acte de la décorrélation entre la fermeture de Fessenheim et l'ouverture de l'EPR de Flamanville 3.

Une troisième phase s'ouvre en 2017. Nos bilans prévisionnels évoluent pour englober toutes les dimensions du mix électrique. La nécessité de présenter une étude approfondie sur les conséquences de la loi votée en 2015 et sanctionnée par une première programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en 2016, même si celle-ci ne contient pas toutes les orientations notamment en matière nucléaire, apparaît alors clairement pour l'ensemble des parties prenantes. Nombre de messages du bilan prévisionnel 2017 sont toujours d'actualité. Sur le court terme, soit jusqu'en 2022, cette étude détaille l'impossibilité de fermer conjointement les dernières centrales au charbon et les premiers réacteurs nucléaires. À moyen terme, à horizon 2025, elle estime que les pouvoirs publics devront choisir entre la réduction des émissions de CO2 du secteur électrique d'une part ou la fermeture des premiers réacteurs nucléaires pour atteindre l'objectif des 50 % fixé dans la loi de 2015. Enfin, à plus long terme, ce bilan prévisionnel exprime les conditions pour atteindre le scénario à 50 % de nucléaire à échéance 2035.

En outre, ce document chiffre des scénarios différenciés d'orientation du mix électrique et conclut que le moins coûteux est celui qui prolonge la durée de vie du plus grand nombre de centrales. La production nucléaire continuera d'être compétitive en France et en Europe malgré l'essor des renouvelables. Le bilan CO2 du secteur électrique est calculé dans chaque scénario. Nous montrons ainsi que les trajectoires de fermeture rapide des réacteurs nucléaires conduisent à une augmentation rapide des émissions par rapport au niveau de 2017 : ainsi, plus on ferme de réacteurs nucléaires rapidement, plus le bilan CO2 de la France se dégrade compte tenu de la dynamique des énergies renouvelables constatée en 2017 par rapport aux prévisions de 2012, voire, antérieures.

Enfin, le bilan prévisionnel 2017 est le premier document prospectif qui intègre la baisse de la disponibilité. Il émet dès cette date une alerte sur les marges du système électrique, en prévoyant des années sensibles – qui s'ouvrent désormais à nous.

Ce bilan aborde également les enjeux liés à la consommation, en se fondant sur des hypothèses très différentes de celles d'aujourd'hui. En 2017, la consommation française forme un plateau très légèrement descendant depuis sept ans. De plus, les perspectives de croissance économique sont en baisse, après plusieurs années d'espoirs de relance à la suite de la crise de 2008. Par ailleurs, la réglementation thermique des bâtiments est entrée en vigueur en 2012. Cette norme développe la maîtrise de la consommation afin de faire diminuer cette dernière. Cependant, celle incite à utiliser davantage de gaz que d'électricité dans les logements neufs. Or, le parc de logements est un paramètre important de la consommation d'électricité, notamment l'hiver. Plusieurs directives européennes sont en outre publiées, notamment sur l'écoconception. La politique publique de véhicules électriques est annoncée, bien que pas encore déployée. Il n'existe pas de politique hydrogène promue par le gouvernement. Enfin, le facteur 4, et non la neutralité carbone, qui vise à diviser par quatre nos émissions d'ici 2050, est encore plébiscité.

Or, nombre de ces paramètres ont évolué. La réglementation environnementale 2020 s'est substituée à la réglementation thermique 2012, tandis que la déclinaison de l'accord de Paris dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) remplace les perspectives du facteur 4. Les trajectoires de consommation en 2017 se situent dans une moyenne par rapport à celles défendues par les différentes institutions : elles sont inférieures à celles revendiquées par EDF, mais supérieures à celles étudiées par l'Agence de la transition écologique (Ademe).

La trajectoire de consommation de la France n'avait pas fait consensus lors de la publication de notre bilan. Aussi avons-nous lancé dès 2018 trois importants travaux prospectifs thématiques au sujet de la consommation. Ils ont été publiés entre 2019 et 2020. Le premier s'intéressait à la production et au développement de l'hydrogène en France ; le second au déploiement des véhicules électriques et à ses conséquences sur le système électrique ; enfin, le troisième était consacré aux bâtiments et au chauffage. Ces trois études se proposaient de documenter plus finement les trajectoires de consommation dans un nouveau contexte de neutralité carbone, en intégrant la déclinaison des accords de Paris.

Nous avons en même temps entamé une étude avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pour observer plus précisément les conditions strictes et cumulatives qui permettraient à un pays comme la France de piloter un système électrique avec une haute part – 70 à 80 % – d'énergies renouvelables dans son mix de production. Quatre enseignements en ont été tirés. D'abord, il faudra compenser la variabilité de la production par des moyens de flexibilité adaptés. Il sera également nécessaire de reconfigurer les réseaux de transport et de distribution compte tenu du changement de la morphologie de l'appareil de production. La stabilité du système et le maintien de la fréquence devront être assurés, en trouvant des substitutifs à la disparition de certaines machines tournantes qui assurent le maintien de la fréquence à 50 hertz. Des solutions sont en cours de développement, comme les dispositifs d'électronique de puissance et le grid forming. Enfin, la dernière condition repose sur l'évolution des réserves opérationnelles, utilisées par RTE pour gérer en temps réel les petits écarts d'équilibre entre l'offre et la demande. Ces derniers peuvent se traduire par de légères différences de fréquence. L'augmentation des réserves opérationnelles nous protègerait contre l'aléa de court terme des énergies renouvelables.

Ces trois études thématiques sur la consommation et le rapport sur le mix électrique ont été synthétisées dans le document « Futurs énergétiques 2050 » qui a ouvert une nouvelle phase. En effet, à l'échéance 2050 nous devrions atteindre l'objectif national de zéro carbone net et non zéro émission brute. Comme l'ensemble de nos bilans prévisionnels, cette étude est fondée sur la garantie de la sécurité d'approvisionnement électrique de la France. En outre, elle n'étudie que des mix électriques et des trajectoires qui garantissent la neutralité carbone de la France en 2050.

Ce rapport prospectif modélise le système énergétique et le système électrique français, mais aussi de dix-sept pays européens, pour simuler le fonctionnement du système électrique chaque heure pendant trente ans. Ces simulations sont croisées avec différents paramètres, notamment météorologiques, qui jouent tant sur la consommation que sur la production d'électricité.

Comme les autres, ces scénarios de consommation et de mix de production sont fondés sur une très longue concertation avec les parties prenantes. Les mix de production d'électricité représentent l'essentiel des avis constatés vers 2019-2020 dans la société française. Certains comportent une part importante de nouveau nucléaire tandis que d'autres tendent vers un mix 100 % renouvelable. De même, les scénarios de consommation sont assez contrastés. Nous avons cherché à intégrer le plus grand nombre de variantes possibles.

Nous avons pu établir les coûts complets et l'empreinte environnementale, y compris en CO2, du système électrique. Tous ces chemins sont possibles, mais difficiles à atteindre – certains plus que d'autres.

Enfin, toutes ces trajectoires garantissent la sécurité d'approvisionnement. En effet, l'une des missions légales de RTE est d'éclairer le débat et la décision publique. C'est ce qui a conduit le Président de la République à s'appuyer sur cette étude pour prendre des orientations qui devraient trouver leur traduction dans une future loi, sous contrôle de votre vote.

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Comment sont perçus vos travaux par le grand public ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Jusqu'à la moitié des années 2000, les bilans prévisionnels de RTE restaient assez confidentiels, notamment parce que la question de la sécurité d'approvisionnement n'était pas un enjeu de société.

Le bilan prévisionnel 2017 a marqué un virage. S'il n'a pas été un objet de communication auprès du grand public, il est devenu un rapport structurant. En effet, au-delà des conclusions qu'il a rendues, c'est sur la base de ce rapport que le Gouvernement de l'époque et l'Assemblée ont reporté l'objectif de 50 % de nucléaire de 2025 à 2035. Ce bilan prévisionnel a aussi contribué à la production d'une nouvelle PPE par le gouvernement.

J'ignore si « Futurs énergétiques 2050 » est réellement un objet grand public, en raison de la complexité du monde de l'électricité. Nous avons fourni un effort de pédagogie très important pour rendre ces études intelligibles, parce qu'il nous importait que le débat ait lieu. Il était important que la représentation nationale, les pouvoirs publics et les Français soient informés des enjeux de la transformation du mix électrique.

Par ailleurs, cette étude a été publiée à un moment où la question énergétique devenait particulièrement prégnante. En effet, les élections locales ou nationales, il y a vingt ans, n'accordaient pas réellement de place à la question de l'énergie. Le cumul des engagements de la France en matière d'énergies renouvelables et des difficultés que rencontre le parc nucléaire fait désormais de la question de l'énergie et de l'électricité un sujet grand public. La popularité de ce document et la manière dont il a structuré le débat découlent donc à la fois de la qualité de notre travail et de l'importance des questions énergétiques pour concevoir la société française de demain.

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Au-delà de cette attention croissante du grand public pour les sujets énergétiques et pour vos travaux, estimez-vous que le contenu de ces derniers – dans leur intégralité, soit outre la seule note de synthèse qui les précède – soit bien compris ? Je pense par exemple à la réception par le public de la faisabilité du scénario 100 % énergies renouvelables. Cherchez-vous à mesurer cette perception ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Nous n'avons pas fait de sondage pour vérifier que le grand public a compris les difficultés posées par les différents mix électriques à échéance 2050.

RTE cherche à publier les rapports les plus éclairants possibles. Toutefois, nous n'avons pas vocation à nous assurer de la compréhension de chaque Français des enjeux de l'ensemble de nos études. Ces bilans restent des études savantes, fondées sur la concertation, des principes de transparence et une approche hypothético-déductive scientifique.

Vous me demandez finalement si une publication de nature scientifique ou savante a vocation à être comprise dans son intégralité par le grand public. Probablement pas ; mais ses grandes leçons peuvent être facilement diffusées.

Les six mix électriques étudiés sont tous difficiles à mettre en œuvre, mais pour des raisons différentes. Les mix qui tendent vers 100 % d'énergies renouvelables reposent sur l'insertion de cet appareil de production dans le paysage français et dans les territoires français. Nous avons démontré que le problème n'était pas tant celui de l'artificialisation que de l'insertion dans les paysages, ce qui pose néanmoins la question de la compatibilité avec l'usage du foncier français, notamment pour l'agriculture.

Les mix tendant vers 100 % d'énergies renouvelables posent donc un défi à la fois d'acceptabilité et technique, puisqu'ils nécessiteraient le développement de moyens de flexibilité pour compenser la variabilité. D'autres scénarios, prévoyant du nouveau nucléaire, posent par ailleurs nombre de défis, comme la construction de quatorze tranches d'EPR et l'équipement de la France en 4 GW de petits réacteurs modulaires (SMR) à horizon 2050 ou encore la prolongation de 8 GW de tranches nucléaires de seconde génération au-delà de soixante ans. Je suppose que Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), se montrera plus prudent encore que moi sur ce dernier point si vous l'auditionnez.

Il ne nous revient pas de trancher entre ces différentes trajectoires. La manière d'atteindre la neutralité carbone et les moyens de produire une électricité décarbonée demain représente un choix de société, que nous pouvons seulement éclairer.

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Vous avez indiqué que vos rapports faisaient autorité dans le débat public, et qu'ils deviennent des objets politiques puisque le grand public y a directement accès. Ainsi, vos études ne sont plus seulement un outil de construction de la proposition politique ou technique, mais bien de justification du choix politique. Êtes-vous donc attentif à la mauvaise interprétation par certains acteurs de vos écrits ou à la communication parfois partielle qui en est présentée dans les médias ou dans le débat public ? Je pense notamment à l'enthousiasme d'une précédente ministre de l'énergie qui faisait valoir que RTE affirmait que le scénario 100 % énergies renouvelables ne posait pas de difficultés.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

L'expression des Français et des ministres est libre. Nous veillons à la meilleure communication et la meilleure pédagogie possibles. Il est par ailleurs heureux que nos travaux donnent lieu à des controverses, dès lors qu'elles sont scientifiques. J'ai toujours appelé à la tenue d'une controverse scientifique et publique dans le cas où certaines institutions ne seraient pas d'accord avec ce que nous produisions. Toutefois, une controverse scientifique demande beaucoup de travail, d'expertise et d'abnégation. Twitter n'en est certainement pas le lieu. De nombreuses personnes ont exprimé leur désaccord envers notre étude, mais je n'ai pas eu connaissance de contre-expertises d'une profondeur similaire à celle de nos travaux. Pour ma part, je suis satisfait de constater que notre étude « Futurs énergétiques 2050 » a largement dépolarisé, apaisé et documenté le débat.

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Suggérez-vous qu'avant cette étude, les décisions énergétiques et le débat énergétique n'étaient pas assez documentés ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

C'était la première fois que nous projetions la neutralité carbone en 2050. Nous sommes probablement le seul pays européen à avoir fourni un travail aussi profond et complet pour éclairer les futures politiques publiques françaises. Ces dernières restent proposées et structurées par l'Exécutif, puis votées par cette Assemblée.

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Je n'arrive pas totalement à suivre le raisonnement. Vous nous dites que ce n'est qu'à partir de 2017 que vous avez commencé à réfléchir à la trajectoire de neutralité carbone d'ici 2050. Or, cet objectif date formellement de la COP21. En outre, c'est aussi en 2015 qu'est adoptée la LTECV. Il est donc difficile d'imaginer que ces objectifs n'aient pas été préparés avant ce moment.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Ce n'est pas ce que j'ai dit. Les engagements de la France lors de la COP21 proposent de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés environ, ce qui correspond au scénario RCP 4.5 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et aux scénarios inférieurs, et qui conduisent à définir des trajectoires d'émissions carbone des différents pays. La France n'a pas négocié sa trajectoire de mix de production d'électricité au sein de la COP21. Pour signer l'accord de Paris, la France n'a donc pas eu besoin de se demander s'il fallait faire plus ou moins 10 % de nouveau nucléaire ou d'éolien offshore. Ce n'était pas le sujet de la COP.

En revanche, la LTECV prévoit dans l'un de ses titres des outils de pilotage des questions climatiques et des questions d'énergie. Elle crée ainsi la SNBC, qui a vocation à décliner les engagements de la France pris lors de la COP21, mais pas seulement. L'Union européenne défendait depuis longtemps des objectifs de baisse de ses émissions carbone, en faveur desquels la France avait voté.

Le bilan prévisionnel de 2017 a donc tiré les conclusions de ces nouvelles orientations de politique publique. RTE ne construit pas les orientations de politique publique sur la consommation : nous prenons acte des politiques publiques qui sont décidées et votées, et nous en tirons des trajectoires en nous appuyant sur la question de la sécurité d'approvisionnement.

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Vous nuancez vos propos et ceux de votre prédécesseur. Vous prétendez qu'aux alentours de 2019 des changements de conception des effets de la décarbonation ont affecté notre vision de la construction du réseau électrique. Or, vous venez de démontrer que la décarbonation est présente dans le débat public et dans les préoccupations des décideurs bien avant 2017. Ainsi, des études ou des choix politiques documentés en 2015 n'ont peut-être pas correctement pris en compte ce qui était déjà largement présent dans le débat public.

J'en viens donc à la période de 2015, pendant laquelle vous exerciez d'éminentes responsabilités de conseiller en charge de l'énergie auprès du Premier ministre jusqu'en 2014, et de conseiller de l'énergie du président de la République jusqu'en 2015. Comment sont construits les scénarios de la LTECV ? Comment est élaborée l'étude d'impact ? Pourquoi tous les éléments que vous démontrez comme scientifiques et qui sont largement documentés dans les rapports de RTE sont-ils absents de l'étude d'impact de la LTECV ? Cette dernière fixe notamment pour objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire à l'horizon 2025 et traduit comme priorité le remplacement d'une énergie décarbonée par les énergies renouvelables. Pourtant, la priorité aurait vraisemblablement dû être le remplacement des moyens de production carbonés par des énergies renouvelables non carbonées.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Vous me posez deux questions assez différentes.

La décarbonation du pays sous le régime du facteur 4 et la décarbonation du pays sous le régime de la neutralité carbone en 2050 sont très différentes. Le premier schéma visait à diviser les émissions de CO2 par quatre, et non à supprimer la totalité de nos émissions nettes. Dans cette trajectoire, la consommation d'énergies fossiles, à terme, demeure – et notamment de gaz, qui, encore récemment, était considéré comme une énergie de transition puisqu'il émet substantiellement moins que le fioul et le charbon lorsqu'il est utilisé pour produire de l'électricité.

Ainsi, si la question de la décarbonation existait dans le débat avant 2015, l'effort à y consacrer était très différent. L'accord de Paris, dont les conséquences sur la production d'électricité en France sont très importantes, n'a pas du tout le même impact sur la manière de former le mix et sur la consommation. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, depuis l'accord de Paris et sa déclinaison dans la SNBC française, les courbes d'électrification des usages sont à la hausse. L'effort à fournir pour compenser les derniers volumes d'utilisation des énergies fossiles est important.

Vous avez évoqué mon rôle de conseiller du Premier ministre Jean-Marc Ayrault de mai 2012 au 1er avril 2014. Le rôle d'un conseiller est de coordonner l'action de l'administration et de préparer les arbitrages soumis au Premier ministre. Vous m'avez demandé si des études préalables à la LTECV avaient été élaborées. Nous disposions de données, mais pas d'une étude de l'ampleur de « Futurs énergétiques 2050 ». Toutefois, même si cette dernière permettra de mieux structurer le débat et la décision publique de demain, nous ne devons pas nous plaindre que la France n'ait pas pris un certain nombre de virages. Les gouvernements français et les assemblées, quelles que soient leurs couleurs, ont voté des textes en fonction des données scientifiques qui étaient à leur disposition. Ainsi, les lois Grenelle I et II votées par ces assemblées sont des lois de transition écologique et énergétique qui n'ont pas reposé sur des études d'une telle ampleur. Des bilans prévisionnels étaient à disposition de l'administration française et du Parlement.

« Futurs énergétiques 2050 », il est vrai, marque une rupture : c'est la première fois que RTE présente une étude aussi complète et qui se projette à une telle échéance.

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La différence majeure entre les textes énergétiques parus avant et après 2015 est que les seconds fixent pour la première fois des limitations en volume et en proportion des moyens de production nucléaires. À ce titre, aucune des auditions que nous avons conduites ne m'a donné une réponse satisfaisante : d'où vient l'objectif des 50 % de part du nucléaire dans le mix électrique français ? Je peux comprendre la volonté de faire évoluer ce mix. Cependant, comment ce seuil a-t-il été construit ? Sur quelle documentation s'est-il appuyé ? Le premier effet concret sur le terrain de ces 50 % est d'avoir remplacé une énergie décarbonée par une autre énergie intermittente, et non d'avoir substitué des énergies fossiles par des énergies renouvelables.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Vous dites que c'est la première fois qu'une limite en volume et en proportion des moyens de production est inscrite dans la loi. L'article 187 de la LTECV fixe un plafond de capacité installée nucléaire à 63,2 GW. Les 50 % de production nucléaire à l'horizon 2025 figurent dans un article qui n'est pas normatif. Lors de son intervention au sein de votre commission hier, M. François Brottes a répondu à cette question. Cet objectif de 50 % à l'horizon 2050 correspondait à une ambition politique.

S'agissant de la construction et de la documentation de cet objectif, je pense que vous avez donc auditionné suffisamment de personnes qui ont assisté à la conclusion de cet engagement politique de campagne électorale. Quels sont les ressorts de la volonté de baisser la part du nucléaire de seconde génération dans le mix français ? En 2012, le contexte était marqué par Fukushima, véritable tremblement de terre dans le monde du nucléaire. À la suite de cet incident, le Japon a décidé de mettre son nucléaire à l'arrêt, tandis que les Allemands ont choisi de sortir du nucléaire. La France, quant à elle, a assumé de conserver son nucléaire. Je n'ai entendu aucune majorité de l'Assemblée nationale ni aucun exécutif en exercice réclamer la sortie du nucléaire.

En 2012, 2013 et 2014, par ailleurs, les consommations de la France sont à la baisse et au mieux stables pour les raisons que j'ai décrites dans mon propos liminaire. Le parc nucléaire, à l'époque, produit beaucoup, au point d'exporter de l'électricité. En 2012, la France exporte 42 TWh par an, 47 TWh en 2013 et 65 TWh en 2014. La consommation, en France, s'élève à 580 TWh. L'ambition de diversification du mix électrique ne se dessine pas au détriment du nucléaire et au profit des énergies renouvelables, contrairement à ce que l'on pense, mais au détriment du nucléaire de deuxième génération à date, et pour des raisons de résilience technologique.

Vous présidez une commission sur la souveraineté. Cette dernière s'organise autour de l'approvisionnement de combustibles. La priorité de la France est de cesser d'acheter du gaz et du pétrole à des pays qui ne sont pas nos alliés. S'agissant de la souveraineté technologique, nous devons maîtriser les technologies qui sont installées sur notre territoire grâce à nos propres ingénieurs. Se pose enfin la question de la résilience : sommes-nous capables de résister à des crises géopolitiques, comme la crise en Ukraine, mais aussi à des chocs techniques ?

Ainsi, nous cherchions à multiplier les sources de production d'électricité face à un nucléaire de seconde génération très dominant, qui, s'il était exposé à un défaut générique technique, placerait la France en situation de grande difficulté. C'est précisément ce qui est arrivé lors de la découverte de la corrosion sous contrainte. Depuis Fukushima, nous ne savions pas si nous pourrions prolonger les tranches nucléaires de seconde génération. Le grand carénage, qui désignait les travaux d'adaptation et de sûreté qui se sont ensuivis, a dû être réalisé. Enfin, la France souhaitait développer l'EPR.

Il ne s'agissait donc pas de porter un coup à la filière nucléaire, mais de diversifier nos sources d'approvisionnement en nous appuyant sur les renouvelables tout en multipliant nos stratégies nucléaires. Ces dernières ne s'appuient d'ailleurs pas uniquement sur l'EPR, mais aussi sur le développement du réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter), du réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle (Astrid), du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), ou encore du réacteur de recherche Jules Horowitz.

Tels étaient les paramètres pris en compte pour aborder la résilience à cette époque. Ils restent d'ailleurs d'actualité dans un contexte marqué par l'impact sur le gaz de la guerre en Ukraine et des difficultés liées à la corrosion sous contrainte.

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Ce raisonnement est intéressant, puisque le problème générique de la corrosion sous contrainte touche les réacteurs les plus récents de notre parc. Ce sont par conséquent les réacteurs les plus anciens, de seconde génération, qui nous permettent d'assurer la production nécessaire pour l'hiver. La question de l'ancienneté des réacteurs de seconde génération est relative du fait de leur diversité technologique.

Je crois identifier une contradiction entre votre propos liminaire et votre dernière réponse. Vous indiquez que la consommation française est stable entre 2012 et 2014. Néanmoins, vous avez expliqué que la pointe a augmenté entre 2013 et en 2014. Comment avez-vous pris ces éléments en compte pour adapter le réseau à cette époque ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

La consommation annuelle de la France s'élève à 470 TWh. Elle atteignait 480 TWh en 2012. Le covid et les désordres économiques ont pu expliquer une diminution de la consommation, mais les ordres de grandeur restent similaires. En outre, les efforts des Français sur la sobriété devraient amener le bilan à la baisse en fin d'année.

Par ailleurs, les pointes dépendent de la thermosensibilité, c'est-à-dire du chauffage et de l'isolation. La pointe n'augmente plus depuis 2012, et a tendance à baisser dans nos études prévisionnelles pour l'hiver 2022-2023 : elle pourrait atteindre, au plus, 95 GW.

Au-delà de ces études prospectives, RTE est chargé de gérer le système électrique. Nous veillons à l'équilibre entre l'offre et la demande, ce qui nous permet d'avoir une vision prospective du volume de moyens de production souhaitable en France dans les années qui viennent pour garantir la sécurité d'approvisionnement et respecter le critère des trois heures. Nous gérons le pilotage en temps réel pour passer la pointe et garantir que la France et ses importations couvrent la pointe.

Vous avez à raison rappelé que la corrosion sous contrainte touchait plutôt les paliers récents. Cependant, la question de la maîtrise des risques et de la résilience doit être posée de manière globale. Ce n'est pas parce qu'un défaut est apparu sur les tranches les plus récentes de la seconde génération que nous devons occulter la question de la résilience française. Une analyse de risque et des actions de maîtrise de ce risque sont nécessaires pour que la France soit capable d'encaisser des chocs techniques ou de mauvaises nouvelles techniques – et de se redresser le plus rapidement possible lorsque ces derniers surviennent. De ce point de vue, la notion de diversification technologique, au sein de la famille nucléaire, mais aussi entre le nucléaire et d'autres sources de production d'énergie, est fondamentale.

Cependant, notre principal problème de souveraineté et de résilience réside dans le fait que le pétrole et le gaz continuent à représenter 63 % de la consommation d'énergie finale française. Or, il s'agit d'une énergie que nous ne produisons pas et que nous achetons à des pays qui ne sont pas forcément nos alliés géostratégiques. La sortie de cette dépendance majoritaire doit être élevée au rang de priorité pour la France.

Nous avons démontré que l'électrification constituait une voie pour gagner en souveraineté parce que l'électricité est produite sur le territoire de l'Europe avec des technologies que nous maîtrisons. Cependant, au sein du monde de l'électricité, interrogeons-nous sur notre résilience : la diversification des énergies renouvelables est tout aussi importante, puisque toutes ne produisent pas la même quantité d'électricité au même moment.

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Vous indiquez que la sécurité d'approvisionnement devient une préoccupation à partir des années 2010. Pourquoi n'est-ce qu'en 2015 que la doctrine des bilans prévisionnels de RTE, puis la doctrine légale intègrent les interconnexions pour mesurer la sécurité d'approvisionnement ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

La sécurité d'approvisionnement a toujours représenté l'objet des bilans prévisionnels. S'agissant de l'électricité, cette question commence à se poser lors de la fermeture des moyens thermiques. La France a fermé plus de 12 GW de moyens thermiques en quelques années pour respecter les normes européennes et les seuils de pollution, et en considérant la nécessité de grands carénages et d'investissements. Hormis quelques turbines à combustion utilisées pour l'ultrapointe, et quelques tranches à charbon sur une centrale à Saint-Avold et à Cordemais, il ne reste plus de centrales au fioul et à charbon en France.

En outre, les opérateurs ont fermé ces moyens de production à raison, puisque la France avait déjà pris des engagements climatiques européens. Cependant, l'ensemble des énergies qu'elle devait déployer pour les remplacer a accumulé du retard à tous les étages. L'EPR aurait dû être mis en service en 2012 ; les énergies renouvelables terrestres et offshores, de même, ne sont pas déployées à hauteur des prévisions. La mise en service de la centrale de Landivisiau en Bretagne elle-même a pris du retard.

Au début des années 2010, nous savions déjà que le parc nucléaire français rencontrerait de plus longues périodes d'arrêt au début des années 2020. En effet, en raison de son vieillissement, il nécessiterait des visites décennales longues d'importants investissements.

La conjonction de ces facteurs conduit progressivement à se poser la question de la sécurité d'approvisionnement. Cependant, cette dernière n'est pas un problème entre 2012 et 2014, puisque nous exportions d'importantes quantités d'électricité nucléaire à cette période, 42 GW en 2012, 47 n 2013, 65 en 2014.

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Je reformule ma question. En 2015, le changement de doctrine dans les bilans prévisionnels de RTE sur le calcul de la sécurité d'approvisionnement est codifié. Avant 2015, la sécurité d'approvisionnement est calculée avant importations ; à partir de 2015, elle intègre les capacités d'interconnexions et d'approvisionnement. Pourquoi ce changement au moment où la question de la sécurité d'approvisionnement devient une préoccupation ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je ne sais pas d'où vous tenez cette information. Il me semblait que RTE intégrait depuis 2010 les soldes d'import et d'export dans ses études. Nos études sont fondées sur un modèle qui simule le système électrique et les échanges. Cependant, ces derniers ne sont pas simulés en solde importateur ou exportateur ; nous modélisons le système électrique chaque heure du jour et de la nuit pour toute la durée de la prospective. Par ailleurs, même si la France a été très longtemps exportatrice et qu'elle sera cette année importatrice en solde net, les échanges ne sont jamais à sens unique. Il ne suffit pas d'être exportateur en solde net positif pour garantir la sécurité d'approvisionnement des Français : il faut que la population ait de l'électricité à tout moment.

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Lorsque vous prépariez, au sein du cabinet du Premier ministre, la loi de 2015, j'imagine que vous avez échangé avec les administrations et avec RTE sur l'impact d'une telle trajectoire en matière de sécurité d'approvisionnement. Ces échanges ont-ils donné lieu à des alertes ou des réserves sur le risque que la trajectoire qui se dessinait pouvait faire courir sur la sécurité d'approvisionnement ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

J'ai quitté Matignon le 1er avril 2014. Je n'étais donc plus conseiller lorsque la loi a été déposée ou débattue à l'Assemblée. J'étais toutefois au courant de cet engagement politique.

Je suis ennuyé par votre question : je vous ai dit tout à l'heure que les 50 % de part du nucléaire à horizon 2025 correspondaient à une ambition politique et non à un objectif normatif. Ce seuil ne posait donc pas de problème de sécurité d'approvisionnement. Le seul objectif normatif qui figure dans la loi est le plafonnement de la capacité nucléaire à 63,2 GW, qui prévoyait donc que si EDF arrivait à mettre en service l'EPR, l'entreprise devrait fermer une tranche à due concurrence, à savoir Fessenheim.

Ce texte avait vocation à jouer le rôle d'une loi de pilotage et d'outils. Cette loi est très volumineuse et technique. Elle comporte plus de 200 articles. Elle prévoit la SNBC, l'adoption de la PPE et d'autres dispositifs dont la vocation est de garantir la sécurité d'approvisionnement en fonction de différents paramètres qui peuvent évoluer. Parmi ces derniers figurent la consommation, la capacité de la France à déployer les énergies renouvelables, ou encore l'éventuelle adoption d'une nouvelle SNBC accordant davantage de place aux bioénergies. Le monde d l'énergie est un système de vases communicants.

L'objectif de 50 % n'était d'ailleurs pas polémique. Les groupes politiques de droite et de gauche s'étaient assez largement accordés sur ce seuil. En revanche, la date à laquelle fixer son horizon – 2025, 2030 ou 2035 – avait fait l'objet de débats, puisqu'elle reposait sur des ambitions politiques.

En revanche, la loi comportait un volet normatif sur les outils de gouvernement très opérationnels qui permettraient de garantir la sécurité d'approvisionnement, notamment dans le cadre d'une PPE fondée sur nos études. Ainsi, lors de la présentation du bilan prévisionnel 2021 à la presse, j'ai indiqué que les études de RTE ne permettaient pas de fermer de nouvelles tranches nucléaires en 2026, à la fois pour des raisons d'émissions de CO2 et pour garantir la sécurité d'approvisionnement. Ces tranches n'ont donc pas vocation à être fermées.

Enfin, remarquez bien que les difficultés de sécurité d'approvisionnement que la France rencontre cet hiver ne sont dues en rien à des orientations de politiques publiques, qu'il s'agisse de la loi de 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (loi Nome), de la LTECV ou d'une PPE. Elles sont liées à l'indisponibilité du parc nucléaire. Entre 2000 et 2015, le parc nucléaire français produisait environ 400 TWh d'électricité par an. Entre 2016 et 2019, sa production atteignait 385 TWh par an. Ce total est passé à 330 TWh en 2020, année de la crise sanitaire. Cette année, le parc produira environ 280. La production a donc diminué de 25 %. Et pour un moyen de production hyper dominant, une diminution de 25 % est douloureuse.

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Vous avez expliqué que l'objectif de 50 % n'implique pas en lui-même une forme de remplacement du nucléaire par les énergies renouvelables, au regard des prévisions de consommation les plus raisonnables à l'époque. Il y a donc une forme de confusion entre la proportion en pourcentage et la réalité de la production effective.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

La LTECV liste un ensemble d'objectifs, mais la France n'a pas attendu cette loi pour décider de développer rapidement les énergies renouvelables. L'Union européenne elle-même avait pris des engagements en ce sens.

Ce texte affiche un certain nombre d'ambitions et de proportions. Les 50 % fixés concernent la production et ne dépendent donc pas de la consommation. Ce seuil laisse les décideurs politiques libres de gérer les proportions du mix électrique. Il vise à rééquilibrer les moyens de production d'électricité.

Cet objectif politique n'était donc pas normatif. Il n'impliquait pas automatiquement des fermetures, mais représentait un moyen d'encourager le déploiement des énergies renouvelables.

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J'ai sous les yeux un avis de l'ASN de 2013, qui mentionne de potentiels défauts génériques graves et qui précise : « l'ASN rappelle l'importance de disposer de marges suffisantes dans le système électrique pour faire face à la nécessité de suspendre simultanément le fonctionnement de plusieurs réacteurs qui présenteraient un défaut générique grave. »

Lorsque vous étiez conseiller au sein du cabinet du Premier ministre, les échanges que vous aviez avec EDF et RTE traduisaient-ils cette inquiétude ? Au contraire, le contexte énergétique de l'époque donnait-il le sentiment que cette alerte de l'ASN était très formelle ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Une alerte de l'ASN n'est jamais purement formelle. Nous devons surtout nous demander par rapport à quoi se situeraient ces marges. En tant que conseiller du Premier ministre puis de président de RTE, ma préoccupation a toujours concerné la sécurité d'approvisionnement. En l'espèce, le critère que nous devons respecter est celui des trois heures de défaillance des marchés. C'est ce que le droit impose. Aujourd'hui, nous ne le respectons pas – et de très loin.

J'ignore donc ce que signifie le terme de marges. C'est la sûreté nucléaire qui impose la disponibilité du parc, dont résulte la sécurité d'approvisionnement. Aujourd'hui des raisons de sécurité imposent l'arrêt des réacteurs touchés par la corrosion sous contrainte et l'adaptation de la sécurité d'approvisionnement.

Je n'ai pas le souvenir de cet avis de l'ASN. Cependant, les marges dépendent du niveau de service souhaité et du financement qu'est prête à y octroyer la collectivité nationale. Si un pays décidait d'avoir un nombre de réacteurs en stock pour disposer de marges suffisantes, cette mesure aurait un coût. Le critère des trois heures de défaillance optimise le coût complet du système électrique. La sûreté impose des conditions qui diminuent les marges de la sécurité d'approvisionnement. Par ailleurs, si l'avis de l'ASN concernait les marges opérationnelles pour exploiter chaque minute le système électrique, nous avons bien des réserves primaire, secondaire et tertiaire pour les réglages effectués par RTE. La sûreté s'est toujours imposée face à la sécurité d'approvisionnement.

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Je souhaitais savoir si vous aviez reçu des énergéticiens ou des dirigeants d'administrations qui se seraient inquiétés du risque de défaut générique évoqué par l'ASN.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je n'ai pas le souvenir d'un dirigeant qui aurait évoqué l'hypothèse d'un défaut générique. En revanche, cette hypothèse est présente à l'esprit de tous ceux qui travaillent dans le domaine de l'énergie et du nucléaire. C'est la raison pour laquelle la question de la diversification au sein de la famille nucléaire et entre les modes de production d'électricité est aussi importante. En outre, cette hypothèse peut affecter la sécurité d'approvisionnement. Chacun se demande dans quelle mesure nous pouvons être plus souverains.

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Vous mentionnez dans le rapport « Futurs énergétiques 2050 », et il me semble même auparavant, le critère permettant de mesurer la sécurité d'approvisionnement. Vous avez évoqué le critère des trois heures. Je cite le rapport « RTE a déjà eu l'occasion de mentionner que ce critère était fruste dans la mesure où il identifiait la probabilité de survenue d'une situation de déséquilibre, et non sa profondeur et donc sa gravité. » Jugez-vous que les outils qui existent sont suffisants pour que le pouvoir politique puisse librement déterminer du niveau de souveraineté énergétique du pays et donc d'anticiper une crise comme celle que nous vivons ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Non. Le critère des trois heures est fruste et il n'est pas suffisant. C'est la raison pour laquelle RTE mène des stress tests et ne se contente pas d'avoir une analyse probabiliste centrée sur les trois heures. Ces tests visent à mesurer la profondeur des défaillances possibles. Ces dernières peuvent être importantes, mais leur probabilité est très faible. Ce critère pourrait donc être amélioré, mais nous n'avons pas attendu la modification des textes européens et réglementaires français pour mener nous-mêmes des stress tests et pour éclairer le politique sur leurs résultats.

Nous échangeons déjà à ce sujet avec le ministère de l'énergie. Plus le mix se diversifiera, plus la France fera des énergies renouvelables variables. Nous avons en effet démontré dans le futur énergétique que, quelles que soient les décisions sur le nouveau nucléaire, nous aurons besoin d'une grande quantité d'énergies renouvelables à l'avenir. Or, ces dernières nécessiteront des stress tests complémentaires au critère des trois heures.

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À partir de 2017, et en particulier dans le bilan prévisionnel de 2019, vous identifiez les années sensibles. Vous avez expliqué que vos rapports sont publics et qu'ils sont transmis au gouvernement et aux ministres qui échangent avec vous sur les éléments les plus saillants.

À cette date, vous n'étiez pas encore à la tête de RTE, mais avez-vous connaissance d'échanges avec les membres du Gouvernement sur ces hivers sensibles qui font l'attention d'une vigilance croissante de la part de RTE ? Le cas échéant, quelles réponses le Gouvernement y a-t-il apportées ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je ne peux pas répondre à cette question, car même si je travaillais chez RTE entre 2015 et le septembre 2020 – date à laquelle j'en suis devenu président –, je ne traitais pas de ces questions.

À partir de 2020, des échanges ont eu lieu sur le manque de marges et sur la sensibilité attendue pour la période 2021-2025. En effet, nous avions connaissance des paramètres qui en seraient à l'origine, comme la fermeture des moyens thermiques, le retard de la France en matière d'énergies renouvelables ou encore le vieillissement du parc nucléaire et les difficultés éventuelles liées au grand carénage. Même si nous n'avions pas prévu le covid ni la corrosion sous contrainte, nous savions que ces années seraient difficiles.

Ainsi, la décision du Gouvernement d'utiliser la centrale de Saint-Avold est issue de nos bilans prévisionnels, dans lesquels nous rappelions, outre le fait que RTE considérait que l'option de fermeture de deux tranches nucléaires en 2020 ne pouvait pas être mise en œuvre, qu'il était souhaitable que la France maintienne deux centrales à charbon en service jusqu'en 2024, voire, 2026.

D'autres échanges ont eu lieu avec le Gouvernement. Nous l'avons aidé à émettre des propositions opérationnelles, récemment votées par votre Assemblée dans le cadre de la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, pour mobiliser des groupes électrogènes cet hiver et pour optimiser les offres d'effacement sur le mécanisme d'ajustement. De même, les modifications en cours d'examen sur le raccordement des énergies renouvelables et l'accélération de leur installation proviennent d'un travail commun entre RTE et Enedis.

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Nos récents interlocuteurs estimaient que la limitation de la puissance installée du nucléaire condamnait cette filière en France. Pourtant, dans aucun de vos scénarios, même les plus volontaristes, le plafond à 63,2 GW n'a d'impact sur les options énergétiques qui s'ouvrent au pays. Ainsi, le scénario N03 fixe la puissance installée à 27 GW en nouveau nucléaire et à 24 GW en nucléaire historique.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Ils n'ont pas d'impact, parce que nous avons simulé la fermeture du parc installé de deuxième génération, mis en service sur une période assez resserrée d'une vingtaine d'années. Même dans l'hypothèse d'un prolongement du parc à soixante ans – que l'ASN ne validerait pas –, l'essentiel du parc sera fermé en 2060.

Se pose donc la question du remplacement de cette production dans le respect de la neutralité carbone en 2050. Il pourrait s'agir d'EPR 2 ou de SMR. Le dialogue mené avec EDF, la société française d'énergie nucléaire (Sfen) et le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) a conclu que les quatorze tranches d'EPR mises en service en 2050 évoquées formaient un maximum industriel, même si d'autres réacteurs pourraient être construits ultérieurement. Ce maximum conduirait à une puissance installée d'EPR de 23 GW. En 2050, tous les réacteurs de deuxième génération n'auront pas encore fermé. Ils devraient représenter environ 16 GW. Quand bien même la France arriverait à construire des SMR et à prolonger certaines tranches à soixante ans, nous n'atteindrons pas le plafond des 63,2 GW.

Il ne s'agit donc pas d'un choix idéologique, mais du résultat d'une discussion avec la filière industrielle, dont les contributions écrites sont publiées sur le site de RTE.

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Au vu de vos échanges avec la filière sur la question du nucléaire et sur le maximum envisagé pour le nouveau nucléaire installé, comment qualifieriez-vous la crédibilité de cet objectif ? L'estimez-vous faible, forte ou moyenne ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Il est improbable que la France mette en service les deux premiers EPR de Penly avant 2035. Les deux paires suivantes, au mieux, pourraient être activées en 2040. Nous devrions donc construire huit EPR entre 2040 et 2050, soit une tranche par an ou presque. Cet objectif est très ambitieux. Si les dirigeants français choisissent cette trajectoire, je souhaite que nous puissions la tenir. Rien ne serait pire que de promettre de construire beaucoup d'EPR sans y parvenir, tout en restreignant nos efforts sur les renouvelables. Nous rencontrerions alors de nouveaux problèmes de sécurité d'approvisionnement en 2040 ou 2050. Tous les chemins proposés sont possibles et chacun garantit la sécurité d'approvisionnement. Il est en revanche indispensable qu'une fois la trajectoire choisie par les élus de la nation, nous nous y tenions.

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À l'extrême inversé du spectre, le scénario 100 % d'électricité renouvelable a fait l'objet d'une étude préalable conjointe entre RTE et l'AIE en 2021, qui liste les prérequis techniques et technologiques de cette trajectoire et qui conclut que la faisabilité scientifique n'est pas mise en cause, mais qu'elle implique un certain nombre de paris techniques industriels importants. Vous parlez aussi de flexibilité et d'investissement dans le réseau.

Selon les chiffres de production d'électricité par la filière en France du 8 décembre 2022 au 14 décembre 2022, issus de l'application RTE-éCO2mix, la production d'énergie d'électricité par le solaire est d'environ 0 %, de 2 % par source éolienne et de 1 % par les bioénergies. Pour rappel, la puissance installée de l'éolien s'élève à 13 % et à 10 % pour le photovoltaïque.

Quelles sont les conditions techniques et les implications d'une production électrique 100 % renouvelable ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Les scénarios qui tendent vers le « 100 % renouvelable » ont été étudiés avec le même intérêt et la même application que les autres, sans parti pris. Ils impliquent une multiplication considérable des installations de production – par vingt-deux pour le solaire et par quatre pour l'éolien terrestre par rapport à 2021, sans oublier l'éolien offshore qui n'avait à cette date pas encore été déployé. Le parc de Saint-Nazaire produit 0,5 GW. Nous devrions atteindre au minimum 45 GW, soit une multiplication par quatre-vingt-dix. Cependant, dans les années à venir, plusieurs parcs offshores auront été installés.

Nous avons démontré avec l'AIE que ces systèmes étaient pilotables techniquement, à condition de surmonter plusieurs freins technologiques encore en développement.

Ce scénario, surtout, implique une forte flexibilité. Les énergies renouvelables sont intermittentes, même si la variabilité du solaire est moindre que celle de l'éolien. Si le pays faisait le choix de se diriger vers un mix 100 % renouvelable, nous devrions nous interroger sur le type de flexibilité dont nous aurions besoin pour que ce système soit pilotable et que la sécurité d'approvisionnement soit garantie. Nous avons calculé les investissements qui seraient nécessaires à l'installation de dispositifs techniques. La gestion du réseau, en raison de la dispersion des installations renouvelables, et de la flexibilité, forme le poste le plus coûteux pour la collectivité.

Il existe cinq leviers de flexibilité. Le premier concerne la modulation de la consommation d'électricité. Il s'agit par exemple de l'option Tempo d'EDF ou d'Ecowatt, qui nous permettra de passer l'hiver sans coupure. Par ailleurs, les interconnexions représentent le moyen de flexibilité le moins coûteux en augmentant l'effet du foisonnement. Les trois derniers leviers sont des solutions de stockage, comme le stockage d'énergie par pompage turbinage (Step) – dont le potentiel de développement est assez limité en France, puisqu'il est peu probable que nous construisions de nouveaux barrages majeurs –, les batteries stationnaires, surtout liées à la technologie solaire, et l'hydrogène produit par électrolyse, stocké et réutilisé dans des centrales thermiques. Une soixantaine de centrales à gaz hydrogène vert serait nécessaire dans le cadre d'un scénario « 100 % renouvelable ». La France compte à ce jour une vingtaine de centrales à gaz, sachant que ces dernières ne fonctionnent pas à l'hydrogène.

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Comme le rapporteur, je souhaitais rappeler que notre commission d'enquête cible principalement la compréhension de la situation globale de l'énergie ces dernières années, afin que nous fassions les meilleurs choix pour le futur, en nous gardant d'identifier des responsabilités individuelles.

Monsieur Piechaczyk, vous avez indiqué que l'électricité représentait 25 % de notre mix énergétique global. Or, nous faisons peser sur les épaules des opérateurs de l'électricité l'intégralité du problème énergétique. La moitié des besoins énergétiques des Français ont trait à la chaleur. Or, vous avez peu de visibilité sur ce sujet en tant que président de RTE. N'avez-vous pas le sentiment que nous avancions à l'aveugle sur le sujet de la chaleur renouvelable ?

Un rapport de la Cour des comptes soulignait en 2018 la faiblesse de notre soutien aux énergies renouvelables thermiques, même s'il rappelait que le soutien aux énergies renouvelables électriques pourrait, à terme, coûter 40 milliards d'euros, ce qui avait suscité la création d'une commission d'enquête sous la mandature précédente dont j'étais rapporteure. À cette date, nous ignorions par ailleurs que les éoliennes rapporteraient 7,6 milliards à l'État.

De même, vous manquez de visibilité sur notre capacité à développer la sobriété énergétique. Vous avez mentionné les réglementations thermiques dans votre propos liminaire. Le secteur des bâtiments représente 700 TWh par an de consommation énergétique finale, soit plus de deux fois la production du parc nucléaire français. Une grande part de ce besoin énergétique est un besoin de chaleur. Est-il pertinent de remplacer l'intégralité des besoins énergétiques par des besoins électriques ? Au contraire, s'agissant du secteur des bâtiments, devrions-nous plutôt chercher des réponses du côté des énergies thermiques ?

Vous avez mentionné que les réglementations thermiques font partie de notre débat sur la souveraineté énergétique française. Dans son rapport sur la rénovation énergétique, le Haut Conseil du climat rappelle que lors de la crise pétrolière des années 1970, les pays avaient opté pour des choix variés. En France, il avait été décidé de lancer une production électrique très importante, en repoussant les règles de performance thermique des bâtiments à une date ultérieure. Dans le même temps, les autres pays européens ont établi des réglementations thermiques que nous n'avons adoptées qu'en 2012. Ainsi, le parc du bâtiment français est particulièrement énergivore et électrique. Or, le coût des énergies par mètre carré atteignait en 2020 5,8 euros pour le bois, 11,7 euros pour le gaz, 12,9 euros pour le fioul et 15,9 euros pour l'électricité. L'électricité est donc l'énergie la plus coûteuse pour assurer le chauffage des Français. N'aurions-nous pas intérêt à changer la perception du secteur des bâtiments, pour en faire un allié de la transition énergétique plutôt qu'un consommateur majeur ?

La réglementation thermique de 2012 imposait finalement le gaz comme solution. La réglementation environnementale RE2020, au contraire, marquait le passage à une réglementation très électrique. Pourtant, les gestionnaires de l'énergie à l'échelle des bâtiments estiment que les réglementations thermiques devraient montrer davantage de parcimonie et que la gestion énergétique à l'échelle du bâtiment représente une solution.

Vous avez mentionné les problématiques de stockage et de flexibilité. Là encore, avec ses 700 TWh d'énergie consommée, le secteur des bâtiments pourrait être un important pourvoyeur de flexibilité dans le réseau énergétique, puisqu'il est possible de stocker la chaleur. Les chauffe-eaux des Français en sont le meilleur exemple. Le secteur du bâtiment est donc un lieu de pilotage de la consommation énergétique des Français.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Vous indiquez que nous manquons de visibilité sur la consommation d'énergie totale. Nous en avons cependant. Nous avons repris dans la SNBC produite en 2019 l'objectif – relativement ambitieux, mais atteignable – d'un taux d'efficacité énergétique de la France de 40 % toutes énergies confondues d'ici 2050.

Nous avons étudié un scénario de sobriété en matière d'électricité qui va au-delà de cette efficacité. Vingt-six leviers devraient alors être activés pour modifier le mode de vie des Français, dans le domaine de l'habitat, du travail, de l'industrie, de la mobilité et de la consommation. Nous sommes donc capables de mener des simulations assez précises sur l'électricité.

La chaleur fait partie des énergies renouvelables non électriques dans la SNBC. Cette thématique n'est pas oubliée. Elle est en revanche moins documentée que la question électrique. En effet, les acteurs de l'électricité s'interrogent traditionnellement sur les choix économiques. Il serait souhaitable que des études très précises soient menées sur les bioénergies et la production de chaleur à partir de la biomasse, afin de savoir si la France dispose de suffisamment de foncier agricole pour produire des cultures intersaisonnières à vocation énergétique, si l'évolution de la forêt française sera en mesure d'assurer du bois de construction et de production de chaleur, ou encore si les dynamiques et rendements agricoles sont compatibles avec ces besoins. À ces questions s'ajoute, enfin, celle de la préservation des espaces naturels. Le gouvernement travaille sur ce bouclage pour les bioénergies dans le cadre de la préparation de la prochaine SNBC.

L'électricité est minoritaire dans les bâtiments. Elle a vocation à devenir majoritaire, ce qui ne devrait pas poser de problématiques particulières si les bâtiments sont bien isolés et si le dispositif s'appuie sur des pompes à chaleur. Au contraire, ce vecteur permettra à la France de réguler ses politiques publiques d'équipements de chauffage, dans le cas où nous ne serions pas en mesure de produire un certain volume de bioénergies.

Je ne suis pas s'accord avec l'idée que le bâtiment soit davantage perçu comme consommateur que comme acteur. Il m'est arrivé publiquement, y compris dans la presse, de critiquer le « retard à l'allumage » du tertiaire dans les mesures de sobriété et dans le relais du signal Ecowatt. Depuis, la situation a évolué. Les chiffres que nous avons publiés le 13 décembre montrent que la consommation diminue de 9 % par rapport à la moyenne des années 2014-2019 et de 8 % pour le paquet tertiaire et résidentiel. Dans le cadre d'un événement récent avec l'alliance des industriels qui proposent des solutions électriques et numériques (Ignes) et le groupement des entreprises de la filière électronumérique française (Gimelec), j'ai observé que les solutions techniques pour faire entrer le bâtiment dans la flexibilité sont commercialisées et faciles à adopter. Je suis très optimiste sur la mobilisation du monde du bâtiment sur les questions énergétiques, au-delà même du signal envoyé par le prix du gaz et de l'électricité.

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Je parlais plutôt du rôle du bâtiment comme prescripteur de la bonne énergie à installer.

Par ailleurs, vous avez évoqué la biomasse, mais je souhaitais plutôt que vous abordiez la géothermie, dont la production s'élève actuellement à 5 TWh. Le développement de cette filière pourrait permettre d'atteindre une production de 100 TWh. Intégrez-vous ce potentiel de développement dans vos scénarios ?

Le budget de la recherche est passé de 1,2 à 1,7 milliard dans les dernières années, dont un milliard reste toutefois consacré au nucléaire. Nous devrions dédier plus de moyens à la recherche sur les autres énergies afin de nous doter des outils de savoir qui nous manquent.

Vous expliquez que l'utilisation de l'électricité dans les bâtiments ne pose pas de problème si ces derniers sont correctement isolés. Or, nous installons des pompes à chaleur dans des bâtiments qui ne sont pas isolés, augmentant par conséquent leurs besoins énergétiques. Il faudrait donc commencer par l'isolation.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Il n'appartient pas au président de RTE de commenter les attributions de budget dans la politique de recherche et développement française.

Concernant la géothermie, le rapport « Futurs énergétiques 2050 » s'appuie sur les hypothèses de volume de bioénergie fournies par la SNBC dans sa deuxième version. Si la France n'était pas en mesure d'en faire autant sur les bioénergies, l'électricité devrait s'y substituer, ce qui nous oblige à être attentif à la performance électrique.

Concernant votre question sur l'isolation et la place de l'électricité dans le bâtiment, je vous invite à consulter le rapport « décarboner le chauffage dans le secteur du bâtiment à l'horizon 2035 » publié en 2020. Depuis de nombreuses mandatures, des gouvernements promeuvent des politiques d'isolation et de rénovation thermique, mais il est normal que ces mesures ne montrent pas d'effets immédiats.

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L'indisponibilité du parc nucléaire a commencé en réalité depuis 2015. En tant que directeur général adjoint chargé des réseaux et des clients de RTE depuis octobre 2015, quelles alertes avez-vous fait remonter, et auprès de qui, au sujet de la baisse régulière et continue de la disponibilité du parc nucléaire?

Je m'intéresse davantage aux prévisions de RTE qu'à celles que l'Ademe a tenté de réaliser, et qui paraissaient plus fantaisistes. Cependant, les différences entre les bilans prévisionnels de RTE de 2015, 2017 et 2021 sont assez stupéfiantes. Le rapport de 2017 titrait « consommation électrique : des perspectives orientées à la baisse » et trois de ses quatre scénarios étaient orientés à la baisse. Celui qui faisait l'hypothèse de la plus forte consommation évaluait cette dernière 480 TWh, soit une forme de stabilité, tandis que les autres se situaient autour de 395 TWh pour 2035. Votre bilan prévisionnel de 2021 donne à voir une consommation moyenne de 645 TWh. Comment le scénario peut-il évoluer à ce point ?

Il me semble que les perspectives ont été tordues pour coller à une volonté politique : puisqu'il ne fallait plus développer le nucléaire, mais plutôt les énergies renouvelables, les rapports donnaient de la crédibilité à ces politiques publiques. Or, le Président de la République a opéré un virage à 180 degrés lors du discours de Belfort, en décidant de relancer des réacteurs et non plus d'en fermer.

Vous avez répondu à la question de l'allongement de la durée de vie des centrales. Je doute tout de même que nous arrivions à faire face aux besoins d'électricité. Il me semble que nous devrions prolonger la durée de vie de nos centrales à soixante ans – les États-Unis ont bien prolongé les leurs à quatre-vingts ans. Le scénario tout EPR est-il celui que nous devrions suivre ? Ne faudrait-il pas plutôt revenir aux réacteurs à eau pressurisée comme le modèle de la Westinghouse Electric Company de troisième génération en parallèle du développement des EPR ?

Enfin, s'agissant de la crise que nous traversons et du prix de l'électricité dans notre pays, avez-vous été sollicité par le Gouvernement pour participer à l'élaboration d'un scénario ibérique, qui nous permettrait de sortir des prix de marché européen spot ? Le cas échéant, à quelle date ? Nous devrions alors calculer un prix de marché intérieur et un prix moyen de production intérieure après avoir fixé un prix maximum pour le gaz en France. Cela ne nous empêcherait pas de réaliser des interconnexions sur un autre prix de marché.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Chacun a constaté la baisse du nucléaire puisque les chiffres sont publics et connus des députés, des ministres et des pouvoirs publics et privés. La production nucléaire française figure chaque jour sur un registre, comme l'impose le fonctionnement des marchés. RTE en rend compte dans ses bilans prévisionnels. La baisse du nucléaire que j'ai décrite n'a pas été voulue par qui que ce soit.

S'agissant des cibles des alertes, et de leur origine, EDF est doté d'un conseil d'administration, qui est supposé suivre le productible du nucléaire et les performances de l'opérateur. RTE, dans ses bilans prévisionnels, a toujours rappelé que la baisse de production nucléaire pourrait poser des problèmes de marge. Entre le 1er novembre 2015 et le 31 août 2020, je n'avais pas la charge de ces sujets. Toutefois, j'avais bien conscience de la décrue du parc nucléaire. Aujourd'hui, chacun semble découvrir que le parc nucléaire souffre d'une baisse de performance. Pourtant, son vieillissement était une donnée connue de longue date.

Vous m'avez posé des questions sur la manière dont RTE a projeté des consommations d'un bilan prévisionnel à l'autre. Il n'y a jamais eu de virage brutal. Toutefois, RTE intègre les politiques publiques à date et les projette sur une période donnée pour estimer la consommation. Au lendemain de la crise de 2008, les bilans prévisionnels faisaient le pari d'une reprise forte, en raison de la conjoncture européenne qui tirait la consommation à la hausse. Entre 2012 et 2015, les bilans prévisionnels présentaient certaines trajectoires à la baisse, d'autres à la hausse, et une hypothèse médiane. Ce n'est qu'en 2017 que l'essentiel des trajectoires fait état d'une diminution, suivie toutefois d'un effet rebond.

Entre la fin des années 2010 et 2017, les différentes politiques de rénovation thermique des bâtiments qui ont été lancées ont influencé les projections de consommation. Par ailleurs, pendant longtemps, nous avons misé sur une forte reprise économique. Au fur et à mesure, nous avons constaté que la croissance économique était assez faible. Ainsi, en 2017, nous notions que les perspectives industrielles étaient stables en matière de consommation d'électricité. En revanche, nous avons considéré que l'électrification de la mobilité, peu présente dans les précédents bilans, entraînerait une augmentation de la consommation. Enfin, dans les « Futurs énergétiques 2050 », le principal changement vient du passage du facteur 4 à la neutralité carbone. Les hypothèses ont donc évolué, et elles expliquent les variations entre les courbes présentées.

Vous estimez qu'il aurait été demandé à RTE de présenter des tendances de consommation à la baisse pour légitimer l'objectif de 50 % de nucléaire. Deux raisons démontrent que ce n'est pas vrai. Tout d'abord, les 50 % concernent la production et non la consommation. Par ailleurs, je tiens à défendre l'entreprise que j'ai l'honneur de présider, et je ne voudrais pas laisser penser que nous travaillons sous la dictée de quiconque.

Dans le complément à « Futurs énergétiques 2050 » publié en février, nous avons montré que l'avantage de 10 milliards d'euros par an représenté par le développement du nouveau nucléaire existait dans un scénario « sobriété » et dans un scénario « réindustrialisation profonde » : que la France consomme 550 TWh d'électricité en 2050 – c'est à dire très peu –, 650 TWh – conformément à notre scénario médian – ou 750 TWh, cet avantage reste le même. L'avantage du nouveau nucléaire ne dépend donc pas de la trajectoire de consommation en France. Je constate également que de nombreux défenseurs du nucléaire projettent des consommations très hautes. Or, ces tendances ne sont pas nécessaires puisque le nouveau nucléaire se justifie même dans un schéma de sobriété, sur le plan économique.

Tous nos scénarios ne suivent pas un schéma tout EPR. Le scénario N03, ainsi, repose également sur les SMR Nuward, dont EDF a pris la tête en collaboration avec Areva TA, TechniAtome désormais, sachant qu'une capacité de 6 GW représente un nombre important de SMR. Nous nous sommes aussi appuyés sur l'hypothèse d'une prolongation de 8 GW de réacteurs au-delà soixante ans.

Aurions-nous dû nous appuyer sur l'hypothèse d'autres types de réacteurs ? Vous évoquez notamment l'Atmea, un projet de 1 000 MW défendu au début des années 2010 par Engie, Areva et Mitsubishi. Pour des raisons de souveraineté technologique, il me semble important que la France développe des réacteurs nucléaires qu'elle maîtrise elle-même. Il me paraît donc qu'il soit un peu tard pour imaginer remplacer dans vingt-huit ans des EPR par des réacteurs à 1000 MW dont nous ne disposerions ni du basic design ni a fortiori du detailed design. Le nucléaire 2050 s'appuiera sur le nucléaire déjà développé en France, EPR et Nuward, pour des raisons de souveraineté et d'indépendance technologiques.

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Le général de Gaulle s'était contenté de Westinghouse : il n'est peut-être pas nécessaire de placer la barre trop haut.

Pourriez-vous revenir sur le scénario ibérique ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Le gouvernement nous a bien commandé des études économiques sur la simulation d'un mécanisme ibérique appliqué à l'ensemble de l'Europe. En effet, s'il n'était adopté que par la France, il ne serait pas pertinent. Il s'agirait donc du seul moyen de rendre performant ce mécanisme de baisse des prix de l'électricité en passant par la baisse du prix du gaz qui rentre dans les centrales à gaz. Cette commande date du mois d'octobre.

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Le scénario ibérique consisterait à subventionner le prix du gaz en France, pour un total de 5 milliards pour une année entière, pour calculer un prix de production de l'électricité en France en conservant la règle du «  merit order  ». Le prix du gaz de production d'électricité en France est fortement affecté par le nucléaire à 50 euros le mégawatt, et un peu moins pour l'hydroélectricité. Nous serions donc sans doute très loin des 550 euros du prix de marché spot. Je comprends que le fait d'importer de l'électricité allemande soit source de difficultés. Cependant, si nous retrouvons cet été la totalité de notre capacité de production nucléaire, la question pourra se poser.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

L'électricité transite entre les pays. La définition du prix de l'électricité en France dépend la plupart du temps du coût marginal de production d'une centrale à gaz à l'étranger. La question n'est pas tant celle de faire baisser le coût marginal de production d'une centrale à gaz en France, mais celui de la centrale marginale qui détermine les prix en Europe et en France. L'idée était donc bien d'appliquer le mécanisme ibérique à l'ensemble des pays de l'Europe, puisque le plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité entraînerait une diminution du prix de la centrale marginale qui forme le prix sur les marchés spot. En outre, les prix à terme sont des moyennes des prix spot. L'application du mécanisme ibérique à la France seule n'aurait donc pas été pertinente.

Si la France subventionnait seule le gaz qui rentre dans ses centrales à gaz, cela lui coûterait beaucoup d'argent, tandis qu'elle continuerait à subir la formation des prix spots. Nous aurions dépensé de l'argent public pour rien. Dès lors qu'une centrale à gaz étrangère fixe le prix de l'électricité en France, c'est le prix de cette centrale qu'il faut faire baisser et non pas la centrale française, puisque ce n'est pratiquement jamais celle-ci qui détermine le prix. C'est ce que nous avons démontré.

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Le Gouvernement ne vous a donc pas demandé d'étudier un scénario ibérique pour la France ? Pour rappel, ce mécanisme consiste en une dérogation de Bruxelles pour calculer le prix de marché d'un pays en fonction de ses moyens de production propres.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Le Gouvernement nous a demandé d'étudier des effets du mécanisme ibérique. Nous avons montré que si la France seule l'adoptait, il entraînerait des désavantages pour notre pays. Nous l'avons donc simulé à échelle européenne, et conclu qu'il pourrait représenter une solution, à condition que l'ensemble des pays européens concernés l'appliquent, ce qui n'a pas été le cas.

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Vos différents scénarios indiquent qu'il est impossible d'atteindre la neutralité carbone en 2050 sans développer de manière significative les énergies renouvelables. Pouvez-vous me confirmer que tous les scénarios, y compris le plus nucléarisé, demandent de développer de manière significative les énergies renouvelables ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je vous le confirme.

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Par opposition, ils soulignent qu'il serait possible de se passer des nouveaux réacteurs nucléaires.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Tous nos scénarios garantissent la sécurité d'approvisionnement. Les scénarios « 100 % renouvelable » sont techniquement accessibles, même s'ils sont très difficiles à atteindre.

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Il me semblait important que notre commission d'enquête entende ces propos.

Nous avons interrogé votre prédécesseur, M. Brottes, sur les investissements nécessaires au scénario 100 % énergies renouvelables, notamment dans l'évolution des réseaux. Les investissements sur les réseaux ont-ils été suffisants ? Je pense notamment aux 30 milliards d'euros évoqués lors d'une précédente audition.

Pourriez-vous revenir sur le système de smart grids sur lequel travaille RTE, et notamment sur le projet Ringo qui viserait à répondre à l'intermittence de l'éolien et du photovoltaïque lors des pics de production sans avoir à construire de nouvelles lignes à haute tension ?

Les investissements intègrent-ils les questions liées aux effets du changement climatique sur le réseau ?

Il semblerait que des failles aient été constatées sur la cybersécurité. Il aurait été possible, avec une ligne de commande tapée dans un ordinateur dépourvu de mot de passe, de programmer une coupure électrique. RTE aurait mandaté un cabinet d'expertise en ce sens. Ces failles ont-elles été résolues ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Je suppose que vous faites référence à un incident qui s'est produit à Valenciennes, pour lequel quatre salariés de RTE sont sous le coup, à la fois, d'une enquête préliminaire diligentée par le parquet de Paris et d'une procédure disciplinaire. Il s'agit d'agents habilités et formés à rentrer dans des systèmes d'information sécurisés. L'information concerne des systèmes d'information critiques, qui dépendent de la loi de programmation militaire. Il n'est pas possible d'y rentrer sans mot de passe : ces salariés disposaient bien d'un droit d'accès à ces systèmes d'information sensible. Nous avons par conséquent déposé une plainte à leur encontre. Nous sommes un service public et stratégique pour l'État, et travaillons étroitement avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Si vous souhaitez des garanties sur la nature de nos protections, nous pourrons en parler à huis clos. Nous pourrions vous démontrer le travail réalisé avec les services spécialisés français qui traitent de la lutte contre le cyberterrorisme.

Les investissements sur le réseau public s'élèvent à 35 milliards d'euros d'ici 2035. À horizon 2050, ils devraient atteindre entre 50 et 90 milliards, en fonction des scénarios retenus. En effet, un scénario de mix de production reposant sur la construction d'un grand nombre d'EPR, qui représentent une source de production concentrée, entraînerait des besoins d'investissements moindres qu'une trajectoire fondée sur une forte proportion de renouvelables, nécessitant des raccordements importants. La nature des installations de production et surtout leur localisation jouent fortement dans les trajectoires d'investissements. En 2023, RTE investira 1,8 à 1,9 milliard. Le seuil de 2 milliards par an sera dépassé dans les années à venir, celui des 3 milliards par an vers 2030-2035 et celui des 4 milliards par an entre 2040 et 2050. La trajectoire est donc ascendante. Nous savions que la transition énergétique nécessiterait des investissements considérables, quelle que soit la trajectoire retenue.

S'agissant du changement climatique, « Futurs énergétiques 2050 » intègre des stress tests. Le scénario RCP8.5, qui repose sur un laisser-faire climatique qui générerait des « bulles » de chaud et de froid influençant tant la consommation que la résistance du matériel ou la localisation adéquate pour implanter de nouvelles tranches nucléaires utilisant des prises d'eau pour produire de l'électricité.

De plus, nous nous sommes dotés, en tant que gestionnaire d'actifs, d'un plan de gestion du changement climatique, dans lequel nous intégrons les évolutions telles que l'intensité des périodes de canicule, qui requièrent une adaptation de l'exploitation des lignes, les inondations, les épisodes cévenols, les tempêtes et les hypothèses de neige collante.

Le projet Ringo est un projet de ligne virtuelle, qui permettrait de stocker la production d'énergie renouvelable dès lors que la ligne qui permet de l'évacuer normalement est saturée. C'est une sorte de batterie qui stocke le surplus et le libère au besoin. Le bilan est positif, mais RTE n'a pas le droit d'être un acteur de stockage, car nous aurions une influence sur le marché de l'électricité, ce qui nous est interdit en tant que gestionnaire du réseau de transport et d'exploitant du système électrique. Cette expérience a été financée par le CRE, au titre de nombreux sujets de R&D sur lesquels nous travaillons. Si le bilan économique et technique de ce dispositif est positif, il pourrait faire l'objet d'investissements privés à l'avenir. Nous jouons ce rôle de défricheurs de solutions technologiques pour le stockage, mais également pour le contrôle-commande et d'autres domaines.

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Mme Meynier-Millefert a évoqué la thermosensibilité française. M. Jean-Bernard Lévy, ancien président-directeur général de EDF, indiquait hier que cette typicité était positive pour la souveraineté énergétique française. En tant que gestionnaire de réseau, n'y voyez-vous pas plutôt une fragilité lors des pics de froid et de grande consommation ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

La thermosensibilité française est un fait. Plus la courbe de charge d'une journée est pointue, plus nous devons dimensionner le système électrique à la pointe. Je ne vois pas en quoi il serait positif d'avoir des pointes très hautes qui imposent un dimensionnement de l'outil de production en conséquence. Le lissage est préférable.

En revanche, la thermosensibilité en tant que telle n'est ni positive ni négative. Ce qui compte est de pouvoir dimensionner le parc de production ou les outils de flexibilité qui permettent de la traiter au moindre coût pour les Français.

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Vous dites que tous vos scénarios et vos études sont scientifiques. Vous élaborez des mix à 70 %, 80 %, voire, 100 % d'énergies renouvelables, notamment dans un but de décarbonation à horizon 2050. Les études scientifiques prouvent bien que l'électricité bas carbone est issue de l'hydroélectricité et du nucléaire.

Comment un scénario 100 % énergies renouvelables peut-il viser le zéro net carbone ? Vous avez indiqué qu'il serait difficile de produire davantage d'hydroélectricité, alors qu'il s'agit de l'énergie qui émet le moins de carbone. Pourtant, vos études prévoient donc 5 GW d'hydroélectricité à horizon 2050, dont 3 GW en Step.

Remettez-vous en cause vos scénarios, puisque nous en arrivons en 2022 à perdre notre souveraineté énergétique ? Je m'inquiète qu'à l'horizon 2050 vos études nous condamnent à une perte de souveraineté encore plus importante. En effet, les conflits d'usage et les décisions politiques contredisent la réalisation de vos scénarios.

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Nos mix énergétiques tendant vers le 100 % renouvelable en 2050 s'appuient des énergies renouvelables qui n'émettent pas de carbone pour produire de l'électricité. Tous les moyens de production, dont d'électricité, même les plus performants, ont une empreinte carbone liée au matériau avec lequel ils sont construits. Cependant, le fonctionnement des énergies renouvelables, comme le nucléaire, n'émet pas de carbone.

Vous évoquez 5 GW d'hydroélectrique. La base d'hydraulique est de 22 GW dans « Futurs énergétiques 2050 » et 8 GW de Step.

S'agissant de votre dernière remarque, je ne vois pas dans quelle mesure la France a perdu sa souveraineté énergétique en 2022. Le pétrole et le gaz représentent 63 % de l'énergie que la France consomme, depuis très longtemps. Au regard du principe de souveraineté, la question de l'origine de ce pétrole et de ce gaz et celle de la sécurité de leur approvisionnement se posent. Par ailleurs, je ne crois pas que nous ayons perdu notre souveraineté électrique en 2022. Le système électrique français rencontre des difficultés du fait du manque de productible nucléaire, en raison de la corrosion sous contrainte. Ce problème est identifié, technique et réparable. EDF va réparer le parc nucléaire français. Jusqu'en 2025, probablement, nous connaîtrons des tensions sur le système électrique en raison de la prééminence du parc nucléaire. L'essentiel des douze tranches qui étaient les premières concernées par la corrosion a été traité. Je ne partage donc pas votre appréciation.

En revanche, cette tension est réelle, et nous devons réussir à passer l'hiver sans coupure. C'est la raison du lancement du plan de sobriété et de l'application Ecowatt. Par ailleurs, les interconnexions, jusque-là utilisées pour exporter du nucléaire, au bénéfice de notre balance du commerce extérieur, des comptes d'EDF et de la sécurité d'approvisionnement en Europe, sont utiles pour une fois aux importations d'électricité.

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Le problème de corrosion est effectivement un imprévu. Cependant, nous aurions pu anticiper les problématiques de maintenance de réseau.

Corrigez-vous vos scénarios à l'horizon 2035 ou 2050 avec les imprévus découverts aujourd'hui et qui n'avaient pas été pris en considération dans vos études préalables ?

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Xavier Piechaczyk, président du Directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE)

Nous ne simulons pas de défauts génériques sur l'ensemble ou la moitié des tranches françaises, car il s'agit d'un scénario presque catastrophe et très peu probable. Toutefois, dans nos scénarios, nous diminuons le volume d'électricité produit par le nucléaire français en moyenne avec le temps, car nous intégrons le vieillissement du parc nucléaire. Nous sommes presque certains que ce parc montrera des difficultés pour produire à nouveau 400 tWh par an dans les temps à venir. Cela n'empêche pas de se fixer ce volume comme objectif.

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Nous vous remercions pour cette audition, qui démontre que non seulement les travaux de notre commission d'enquête sont scrutés à l'extérieur, mais aussi que nous avons toujours de nombreuses questions à poser à nos auditionnés successifs.

La séance s'achève à 12 heures 25.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, M. Francis Dubois, M. Frédéric Falcon, Mme Julie Laernoes, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Raphaël Schellenberger.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.

Assistait également à la réunion. – M. Olivier Marleix.