Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du jeudi 15 décembre 2022 à 15h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Jeudi 15 décembre 2022

La séance est ouverte à 15 heures 05.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

La commission auditionne Mme Anne Lauvergeon, ancienne Présidente d'AREVA.

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Nous accueillons Mme Anne Lauvergeon, qui a présidé Areva de 2001 à 2011.

Permettez-moi tout d'abord, madame Lauvergeon, de vous remercier d'avoir répondu immédiatement à notre sollicitation afin d'éclairer la commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Votre audition a été précédée par celles d'administrateurs généraux du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) et des présidents d'EDF que vous avez côtoyés lorsque vous présidiez Areva. Nous avons également entendu le représentant de Framatome et nous recevrons prochainement celui d'Orano. Ces deux sociétés, issues de la division d'Areva, révèlent sa double activité dans le cycle du combustible et dans la construction de centrales.

Nous disposons d'un document public permettant d'apprécier à leur juste mesure les progrès enregistrés dans le domaine industriel lors de votre mandat chez Areva. Il s'agit de l'audition organisée par la commission des finances, le 14 juin 2011, à la veille du terme de votre mandat. Le bilan était positif : non seulement Areva occupait la place de numéro un mondial de la production d'énergie sans CO2 mais, en dix ans, cette société avait créé 30 000 emplois en France, versé 3,4 milliards d'euros à ses actionnaires et augmenté son chiffre d'affaires de 30 % ; son titre s'était apprécié de 75 % tandis que le CAC40 se dépréciait de 18 %. Vous remarquiez alors qu'Areva était devenue l'une des quatre entreprises qui incarnaient le mieux l'excellence industrielle, après Renault, EADS et PSA. Cette embellie a été contrariée par l'accident de Fukushima et la sortie du nucléaire décidée par l'Allemagne. Vous nous direz si d'autres éléments doivent également être pris en considération.

De votre audition organisée il y a plus de dix ans, nous pouvons par ailleurs retenir deux principes forts : une foi affirmée dans la transparence et une volonté de dédramatiser la relation entre le nucléaire et les renouvelables. Je ne m'attarderai pas plus longtemps dans mon propos introductif, qui vise simplement à nous ramener dix ans en arrière.

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, vous devez prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

(Mme Anne Lauvergeon prête serment.)

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Vous m'orientez directement sur le nucléaire, ce dont je vous remercie, mais je souhaiterais dire également quelques mots sur l'industrialisation des énergies renouvelables, qui est un échec de notre pays.

Aujourd'hui, l'électricité représente 24 % de la consommation d'énergie finale française et cette part ne fait qu'augmenter en raison de l'électrification continue de notre vie quotidienne. La dernière grande décision politique en date est de renoncer au moteur thermique des voitures d'ici à 2035 au niveau européen, ce qui supposera de disposer d'électricité en quantité encore plus importante.

La France a eu, dans le domaine du nucléaire, une politique continue pendant un très grand nombre de décennies. Le nucléaire français a commencé dans la lignée du programme Atoms For Peace, lancé par les Américains dans les années 1950, avec une première génération dont la technologie est issue du CEA. En 1973, un certain nombre de personnes dont il faut saluer la mémoire, et au premier chef André Giraud, sont parvenues à la conclusion que la première génération ne serait pas capable de produire des réacteurs de très grande puissance. Pour déployer de tels réacteurs, ils ont fait preuve d'une véritable clairvoyance technologique en décidant, non seulement d'acquérir la technologie américaine de Westinghouse – et de créer la société Framatome (Franco-américaine de constructions atomiques) –, mais également de l'améliorer et de se l'approprier. Dans le même temps, la Grande-Bretagne, beaucoup plus proche des États-Unis, a fait le choix inverse : elle est restée à la première génération et n'a pas développé une grande industrie du nucléaire.

Le premier choc pétrolier, causé par la décision de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) d'augmenter fortement les prix du pétrole, intervient très peu de temps après. La France décide alors, par l'entremise de son Premier ministre, Pierre Messmer, de déployer un grand plan nucléaire pour assurer une forme d'autonomie en matière de production d'électricité. Il est tout à fait remarquable que cette décision ait perduré jusqu'à la fin des années 1990, assurant un déploiement de capacité qui nous a permis de faire face aux besoins français et d'exporter une partie de notre production.

Le nucléaire n'a pas fait l'objet de concertation : il a été imposé, déclenchant en retour une forme de rejet et la naissance du mouvement antinucléaire, même si le consensus dans la population française était relativement bon. La montée du mouvement écologiste politique, avec la constitution de la majorité plurielle, a provoqué un premier accroc avec la fermeture du réacteur Superphénix, en 1997. Ce prototype de grande taille de réacteur à neutrons rapides, qui était très innovant, faisait suite à deux réacteurs, Phénix et Rapsodie. Le ministre de la recherche Hubert Curien avait transformé Superphénix en incinérateur à déchets à vie longue, les actinides. La décision de fermer le réacteur, prise sans débat à l'Assemblée nationale et sans véritable concertation, nous a privés d'un moyen de détruire un certain nombre d'actinides à vie longue. De plus, EDF a dû supporter l'intégralité des surcoûts liés à la fermeture alors que le réacteur était financé à 49 % par des partenaires étrangers.

À la fin des années 1990, nous étions à un tournant très significatif. Plusieurs points devaient être pris en compte. Le premier était relatif au renouvellement des compétences : tous ceux qui avaient été recrutés en grande quantité au moment du démarrage du nucléaire étaient désormais proches de la retraite ou déjà partis en retraite. Le deuxième concernait la fin de la construction du parc nucléaire d'EDF : Framatome et Cogema, à l'exception de quelques exportations, avaient construit toutes leurs usines dans la logique de servir EDF. Le troisième portait sur les usines, qui avaient un certain âge et dont certaines devaient faire face à une réévaluation des risques sismiques dans le sillon rhodanien par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Deux solutions étaient envisageables. La première, de nature financière, consistait à aller au bout de la logique de construction d'une industrie nucléaire destinée à servir d'arsenal à EDF. Il fallait utiliser ces usines le plus longtemps possible et faire beaucoup d'argent avant de les arrêter. La seconde consistait à reconstruire des compétences et des usines ou, dans certains cas, à faire évoluer ces dernières pour pouvoir faire face à un besoin beaucoup plus large.

Cela a été la grande dispute de 2000-2001. Historiquement, Cogema, chargée du cycle du combustible, et Framatome, spécialisée dans la construction et les services aux réacteurs, étaient des sœurs ennemies, à l'instar de ce qui s'est passé dans d'autres domaines industriels. Alors que j'étais administratrice de Framatome, j'ai compris que cette situation était absurde et qu'il fallait trouver une façon de travailler ensemble. Nommée par l'État français PDG de Cogema, qui était à l'époque la société la plus détestée de France, j'ai été confrontée au fait que Framatome, qui avait commencé à investir dans la connectique, voulait se faire coter en Bourse comme une valeur de la connectique avec une petite diversification dans le nucléaire. Nous avons développé un plan alternatif : faire le grand industriel du nucléaire français en réunissant Cogema, Framatome et CEA Industrie. Ce grand ensemble devait absolument devenir beaucoup plus international, les futures constructions de centrales pour EDF n'étant pas prévues avant vingt-cinq ou trente ans.

Nous étions alors dans une période très particulière, la cohabitation, le Président de la République étant Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin. L'État a beaucoup hésité, pendant près d'un an, avant d'autoriser la création d'Areva, intervenue en septembre 2001. La ministre de l'environnement, Dominique Voynet, ne s'y est pas opposée. L'État s'est engagé à ouvrir le capital d'Areva dans les trois ans pour financer les développements technologiques et humains dont nous avions besoin, estimés à 3 milliards d'euros. Alors que nous étions dans un contexte de lent déclin, le chiffre d'affaires a recommencé à augmenter à partir de 2004-2005. Nous gagnons notre pari en devenant numéro un aux États-Unis, alors que nous y étions quasi absents, nous nous déployons en Chine et au Japon. Nous devenons une société internationale investissant en France : ainsi, l'usine de Saint-Marcel, relevant jusque-là de l'arsenal EDF, devient une entreprise travaillant pour un certain nombre de pays.

La pratique a cependant été plus compliquée. Dès 2001, à peine en place, j'apprends par voie de conférence de presse d'un ministre qu'Areva doit reprendre le groupe Bull, en difficulté. Nous arriverons à faire que ce projet soit abandonné. Puis, en 2002, on veut nous obliger à reprendre Alstom, qui était en grande détresse financière. Nous résistons également. Le projet d'ouverture de capital, prévu en 2004, est reporté à 2006 au motif qu'on ne pouvait pas à la fois ouvrir le capital d'EDF et celui d'Areva. Le Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, m'écrit toutefois que l'État fera son devoir d'actionnaire en participant directement au financement d'Areva.

Nous avons donc continué d'investir de manière très significative : nous avons recruté plus de 40 000 collaborateurs, dont plus de 30 000 en France ; nous avons quadruplé l'effort de recherche et développement d'Areva, passant de 230 millions d'euros, soit 3 % du chiffre d'affaires en 2001, à 930 millions d'euros, soit 10 % du chiffre d'affaires en 2010. En outre, nous avons « libéré » les trois réacteurs nucléaires français occupés par Eurodif. Nous avons trouvé la bonne technologie, que nous avons partagée avec un certain nombre d'autres pays dans Urenco, et nous avons pu construire l'usine Georges Besse II, qui assure l'indépendance de la France dans l'enrichissement du combustible. Nous avons fait de même avec Comurhex II, dont l'Autorité de sûreté, et je ne peux pas lui donner tort, souhaitait que nous le revoyions complètement. Cet investissement, très lourd, a été assumé par Areva seule, sans soutien de l'État, alors que Comurhex I avait été financé par le budget français.

Nous sommes ainsi entrés dans un système où l'État était majoritaire mais ne finançait pas. Chaque année, on nous assurait que cela allait venir. Pendant la campagne électorale de 2007, Nicolas Sarkozy a annoncé devant les médias qu'Areva serait privatisée. Toutefois, sous sa présidence, il n'y aura non seulement pas de privatisation mais pas d'ouverture du capital. L'État nous a fait beaucoup de promesses mais ne nous a pas accordé de moyens financiers. Or nos concurrents mondiaux ont bénéficié du soutien de leur État de manière continue, qu'ils soient chinois, russes, américains, japonais ou coréens. Si donc nous avons réussi à devenir le numéro un, à remonter les compétences et un appareil industriel, c'est en nous endettant au fur et à mesure.

En outre, l'État a toujours été constant dans sa volonté de faire de nous une sorte de « Caisse des dépôts industrielle » : lorsqu'il y avait un problème, c'était chic de demander à Areva de le régler. Or nous ne pouvions à la fois gérer nos problèmes et régler ceux d'Alstom.

Autre sujet compliqué avec l'État, la création, en 2009, d'une commission gouvernementale pour tenter de recomposer le nucléaire français à la suite de la perte du contrat avec les Émirats arabes unis – contrat dont les dernières négociations avaient été menées au plus haut niveau de l'État français. Il est clair que, dans un monde concurrentiel, on ne peut pas gagner 100 % des contrats mais donner le sentiment que cet échec était la faute du nucléaire français a été une opération marketing extraordinairement déstabilisante.

In fine, ces multiples tentatives de recomposition de mécanos industriels ont été perturbatrices et chronophages, tant pour le management que pour les collaborateurs et surtout pour les clients d'Areva.

Alors que pendant la période 2001-2011, nous avons versé 3,4 milliards d'euros de dividendes à l'État, celui-ci, en échange, n'a pas financé l'ensemble des projets. La recapitalisation d'Areva était donc de plus en plus nécessaire.

C'est dans ce contexte qu'est intervenu l'accident de Fukushima, qui a rebattu les cartes du nucléaire. Il a provoqué un gel des nouvelles constructions pendant trois ou quatre ans et surtout l'effondrement des prix de l'uranium et de l'enrichissement, et des prix de vente d'un certain nombre de produits d'Areva. Pour faire une comparaison simple mais illustrative, le covid-19 a été pour Air France ce que Fukushima a été pour Areva, c'est-à-dire un événement inattendu qui modifie brutalement les conditions du marché sur le court terme. Mais alors que la décision de l'État de recapitaliser Air France à hauteur de 7 milliards d'euros a pris, en avril 2020, moins de sept semaines, en ce qui concerne Areva, cela a pris six ans : ce n'est qu'en 2017, soit quatorze ans après les engagements pris par l'État à l'égard d'Areva et six ans après Fukushima que l'État recapitalise Areva, en exigeant de couper en deux un modèle qui avait été copié dans le monde entier. Au passage, les grands concurrents mondiaux d'Areva ont été recapitalisés immédiatement, sauf Westinghouse, qui s'est placé en faillite et a été repris, après une intense bataille, par un des plus grands fonds mondiaux. Celui-ci est en train de le redévelopper très vite, comme le démontre le marché qu'ils viennent d'obtenir en Pologne pour la construction d'un nouveau réacteur.

Si, après cinquante ans de politique continue, les choses changent profondément, c'est qu'à partir de la fin des années 2000, le modèle allemand devient l'exemple à suivre. L'idée que les Allemands ont raison dans leur mix énergétique en favorisant le tout renouvelable et que le tout nucléaire est ringard imprègne peu à peu la sphère médiatique, intellectuelle et politique, Fukushima mettant un point d'orgue à ce mouvement. Or les énergies renouvelables sont intermittentes : comme on ne sait pas stocker l'électricité en grande quantité de manière économique, il faut des énergies de base, à savoir du gaz, du charbon ou du nucléaire. Les Allemands ont fait beaucoup de charbon mais celui-ci est de plus en plus difficile à utiliser en raison du changement climatique. Leur solution a donc été de se tourner vers le gaz russe, qui n'était pas cher. Ils ont mené une politique intelligente visant à faire de l'Allemagne le hub gazier russe de l'Europe, en boycottant d'ailleurs tous les projets de pipes qui ne passaient pas par l'Allemagne. La France a adhéré à cela, oubliant les fondamentaux de ce qui avait fait sa politique globale.

J'ajoute que nous n'avons pas été rationnels sur ce sujet : si nous abandonnions l'idée que le nucléaire était stratégique, il nous fallait alors considérer que les renouvelables étaient stratégiques et qu'il était nécessaire de s'intéresser à leur industrialisation. Areva a essayé de développer l'idée que le « sans CO2 » était l'avenir mais il était sans doute trop tôt, au début des années 2000, pour dire qu'il fallait arrêter d'opposer nucléaire et renouvelables et commencer à industrialiser ces dernières. Nous avons fait beaucoup de propositions au gouvernement français. Je me souviens de deux ministres des finances successifs : le premier m'avait expliqué que j'étais extrêmement décevante à défendre des renouvelables, tandis que le second m'avait dit qu'il fallait être sérieux et arrêter ces billevesées. En même temps, les subventions étaient réservées aux énergies renouvelables sans que celles-ci fassent l'objet d'une industrialisation. Je crois que nous avons perdu alors un peu de notre rationalité héritée de Pascal et de Descartes. Pouvons-nous rattraper ce retard ? Je pense que oui parce qu'il faut toujours être optimiste et que tout est toujours à construire.

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Vous avez souligné la nécessité de se projeter dans l'avenir avec le nucléaire. La question de l'évolution des technologies disponibles a été l'un de vos chantiers. Or, à l'époque où vous dirigiez Areva, le seul projet qui a été mené était Astrid, un réacteur de quatrième génération. Quel est le rôle d'Areva dans la prescription de ce choix ? Est-ce la conséquence d'un arbitrage du CEA ? Des travaux ont-ils été conduits sur d'autres types de technologies ? Pourquoi n'ont-ils pas été poussés aussi loin qu'Astrid ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Il y avait beaucoup d'autres projets, comme Atmea, un réacteur très prometteur de 1 000 mégawatts, arrêté dans les années 2011-2012. Il avait pour but de répondre à la demande des pays qui n'étaient pas intéressés par les très gros réacteurs, ces derniers étant privilégiés par EDF et par les électriciens allemands quand ils avaient encore l'autorisation de faire du nucléaire. Nous avons développé ce réacteur avec Mitsubishi Heavy Industries dans le but de faire du « Lego intelligent », en prenant le meilleur des deux pays. L'avantage pour Areva était de pouvoir construire au Japon tout en partageant les frais du développement.

Autre projet de développement : les petits réacteurs modulaires, dits SMR. Je pense depuis très longtemps qu'ils sont l'avenir du nucléaire, à côté des grands réacteurs de puissance. En effet, vous ne pouvez plus faire un acte sur un site nucléaire sans avoir l'autorisation préalable de l'autorité de sûreté du pays où vous travaillez, après lui avoir envoyé tous les détails. Or il s'avère que l'autorisation peut arriver au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années – cela a pris deux ans et demi pour le site d'Olkiluoto. Pendant ce temps-là, vous ne pouvez pas faire ce que vous devez faire et l'ordre des facteurs sur un chantier devient totalement désordonné : vous devez payer les entreprises à être présentes et à ne rien faire, d'où les surcoûts considérables que l'on a connus. C'est une situation absolument dramatique. À l'inverse, les petits réacteurs modulaires sont construits en usine et assemblés sur site. L'autorité de sûreté fait des vérifications en usine, ce qui diminue beaucoup le caractère aléatoire sur site. Or, là encore, la décision française a consisté à mettre ce projet en sommeil, en 2010-2011, tandis que les États-Unis et la Chine ont continué à développer cette technologie. Les SMR sont un sujet stratégique pour l'avenir de notre industrie nucléaire.

Enfin, Astrid, réacteur de quatrième génération, est un peu la revanche du CEA après l'arrêt de Superphénix, dont on reprend la technologie tout en revenant aux basiques. Un observateur étranger m'avait demandé pourquoi nous retravaillions avec le CEA, qui n'avait pas construit de réacteur depuis cinquante ou soixante ans. C'est une objection valable : je pense que les industriels n'ont pas été suffisamment associés au projet Astrid et que nous aurions pu mener cette recherche à un niveau international – nous en avions d'ailleurs discuté avec les Japonais et les Indiens.

Pour résumer ces dix ou onze dernières années, je dirais que nous nous sommes peu à peu amputés de divers moyens. Je considère qu'il faut faire un diagnostic de la situation, en regardant froidement les choses, afin de décider si l'on passe cette technologie par pertes et profits ou bien si l'on redémarre l'industrie nucléaire.

Je voudrais terminer par un sujet largement esquivé dans le débat alors qu'il est fondamental. Depuis dix ans, pour vendre un réacteur nucléaire, il faut le financer. Ainsi, les Russes financent l'intégralité de la construction du réacteur qu'ils installent en Hongrie, et ils se rembourseront au moment où la centrale produira ; il en va de même pour les Américains en Pologne. Tous les pays offrent désormais cette prestation. La France, qui finance ainsi les Rafale, doit se demander si elle est prête à le faire pour des réacteurs, sous peine d'être à chaque fois en dehors du coup. L'industrie nucléaire suppose d'avoir non seulement une offre à proposer mais aussi un système environné.

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Concernant le lancement de l'EPR (réacteur pressurisé européen) en France, nous avons bien compris votre critique sur le dimensionnement et sur l'inadéquation du modèle à la réalité du marché des centrales nucléaires dans le monde. Néanmoins, certaines personnes que nous avons auditionnées se sont étonnées de la décision de ne construire qu'un seul réacteur là où l'usage est plutôt d'en faire deux. Areva a-t-elle été, d'une façon ou d'une autre, associée à ce choix ? A-t-elle exprimé une réserve sur ce point ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Je ne critique absolument pas l'EPR, qui est un excellent réacteur pour de grandes puissances. Toutefois, nombreux sont les pays qui n'ont pas des réseaux électriques capables d'absorber une telle puissance ; dans leur cas, le réacteur de 1 000 mégawatts s'avère utile. Mais en France, en Europe occidentale et dans un certain nombre d'endroits, en Chine et ailleurs, cela est tout à fait faisable. Concernant la décision de ne construire qu'un seul EPR à Flamanville, nous n'y avons jamais été associés.

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Pourtant, vous êtes un fournisseur essentiel du chantier de construction de l'EPR de Flamanville. À aucun moment, vous n'avez eu cette discussion avec ceux qui passent la commande ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

À aucun moment. Toutes les décisions sont prises par EDF. Areva construit l'îlot nucléaire et quelques bâtiments autour mais pas l'ensemble du réacteur. Nous sommes certainement considérés comme le plus gros sous-traitant, mais un sous-traitant seulement. Nous ne sommes donc pas associés à la décision.

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Areva est un constructeur d'éléments essentiels de centrales nucléaires mais n'en est pas l'exploitant. Certains nous ont décrit une forme de compétition entre EDF et Areva pour la vente de réacteurs à l'étranger. Que vous inspire cette observation ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Je pense que l'émergence d'Areva a été compliquée pour EDF. Nous sommes passés de Cogema, entreprise la plus détestée des Français, à Areva, deuxième employeur de référence en France, numéro un aux États-Unis dans les services nucléaires, société la plus admirée dans le secteur de l'énergie dans le classement du magazine Fortune en 2007, etc. Je conçois que le succès d'un « petit sous-traitant » ait pu susciter de l'agacement. De plus, EDF n'était plus notre seul client, même si elle demeurait le premier en ce qui concerne le chiffre d'affaires. Un président d'EDF m'a d'ailleurs dit clairement que cela le contrariait de n'entendre parler que d'Areva quand il se rendait aux États-Unis. Cela étant, je ne pense pas que cela allait au-delà de l'agacement.

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A contrario, un président d'EDF qui a exercé son mandat concomitamment au vôtre nous a dit, lors de son audition, que l'absence d'EDF lors des négociations avec les Émirats arabes unis pour l'achat de réacteurs était peut-être une des raisons de l'échec de la vente.

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Cela s'est passé de manière assez claire. Dans la stratégie d'EDF, les Émirats arabes unis ne faisaient pas partie des pays prioritaires. Quand nous avons voulu construire une offre collective avec les grands énergéticiens français – Total, qui occupait une place importante dans ce pays et se posait beaucoup de questions sur son développement dans le nucléaire, et GDF-Suez, qui souhaitait être investisseur et opérateur du réacteur –, EDF n'a pas souhaité y aller. C'est un sujet très intéressant, qui montre que les stratégies doivent être globales.

Dans le même temps, Nicolas Sarkozy décide de construire un EPR en France. Le choix du futur exploitant donne lieu à une grosse bataille entre EDF et GDF-Suez, qui souhaite construire un Atmea. La balance penche plutôt en faveur de ce dernier car la construction d'un Atmea en France permettrait de le vendre plus facilement à l'étranger ; de plus, l'existence de deux exploitants nucléaires français permettrait de mieux exporter. Or, la décision a finalement été prise de prendre EDF. Dans la foulée, je suis convoquée aux Émirats arabes unis où l'on me fait remarquer que lorsque la France a le choix, elle prend EDF ; ils entendent donc en faire autant. Or EDF refuse. L'équipe de France, en l'occurrence, a manqué de coordination. Quant à l'offre coréenne qui a finalement emporté le marché, c'était un « package » contenant non seulement des réacteurs nucléaires mais aussi des armements ; elle s'est conclue par une perte d'au moins 10 milliards d'euros pour la Corée.

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EDF et Areva ont le même actionnaire : l'État français. Pourquoi l'État n'est-il pas coordonné sur des opérations de ce type ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

L'État a essayé de coordonner ce qu'il pouvait coordonner. Peut-être aurait-il fallu revoir la stratégie d'EDF, définie en conseil d'administration, concernant la liste des pays prioritaires. Cela n'a pas été fait et c'est regrettable. La dimension humaine a également joué : si les relations étaient très bonnes entre les patrons de Total, de GDF-Suez et d'Areva, c'était un peu plus compliqué avec les personnalités à la tête d'EDF.

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Vous avez tout de même vendu des EPR à l'étranger lorsque vous étiez à la tête d'Areva. Vous nous avez décrit le mécanisme de financement de ce type d'opérations, avec un portage financier par le constructeur.

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Un constructeur n'a pas la capacité financière d'assurer ce portage : c'est l'État du constructeur qui le fait.

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Dès lors, à l'époque où vous vendez des EPR à l'étranger, comment se construit la stratégie de financement avec l'État ? Il me semble que cela constitue une rupture dans le marché mondial de la construction de réacteurs.

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Je n'ai pas connu cela, car les choses ont commencé à changer autour de 2010, après la vente de nos réacteurs en Chine et en Finlande. Fin 2010, j'ai signé, devant le Premier ministre indien et le Président de la République française, un accord pour la vente de deux EPR en Inde, et c'est encore passé sans financement. Ce sont mes successeurs qui ont été confrontés à ce problème, ainsi qu'EDF, qui a récupéré 80 % de Framatome. Or la situation financière d'EDF ne lui permet pas de financer de tels projets.

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Quand vous avez vendu les centrales finlandaises et chinoises, on ne vous a pas demandé de financer leur construction ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Non. Du reste, nous en aurions été parfaitement incapables.

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Vous avez déclaré dans une interview, à propos de votre arrivée à la tête de la Cogema : « On me met là parce que c'est l'entreprise la plus détestée de France », et vous l'avez répété tout à l'heure. Pourquoi Cogema était-elle, selon vous, l'entreprise la plus détestée de France ? Et qu'est-ce que cela dit de l'ambiance du débat public sur les questions énergétiques ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

J'ai sans doute été mise à la tête de la Cogema parce que j'avais à la fois une expérience dans le public et dans le privé, que je suis agrégée de sciences physiques, que j'avais travaillé au CEA sur la sûreté nucléaire, puis comme administratrice de Framatome. Je connaissais un peu le sujet et cela a dû jouer.

Cogema était à l'époque le point de cristallisation des antinucléaires, en particulier son usine de La Hague, qui recycle les combustibles usagés. Certains pays mettent ces combustibles usés dans un coin en attendant d'en faire quelque chose ; la France, elle, a créé une usine de retraitement, qui suscite l'admiration de beaucoup de pays, et que beaucoup utilisent. Le principe consiste à dissoudre ces combustibles et à séparer le plutonium de l'uranium. On parvient à en recycler 96 %.

J'avais du mal à comprendre que les antinucléaires prennent pour cible une usine de recyclage. En même temps, c'était bien vu, puisque la fermeture de La Hague aurait immédiatement eu pour effet d'emboliser tout le système nucléaire français. Ces attaques étaient très sérieuses et c'est la première chose que j'ai eue à gérer quand je suis arrivée à la tête de Cogema. Il était beaucoup question d'un tuyau qui déversait des effluents dans la mer et nous étions accusés de provoquer des leucémies chez les enfants en bas âge. Vous imaginez bien que si c'était vrai, cela aurait condamné l'usine. Nous avons énormément travaillé sur la transparence ; nous avons installé des webcams, et les gens regardaient ce qui se passait dans l'usine, c'est-à-dire pas grand-chose. Mais il y avait dans la population un besoin de savoir. Nous avons même lancé une campagne avec le slogan : « Nous n'avons rien à vous cacher. » Nous avons procédé à des mesures, distribué des compteurs ; en un mot, nous avons changé nos pratiques, qui étaient un peu secrètes, afin de décrisper les choses, et je crois que nous y sommes arrivés.

Née de la fusion de la Cogema avec Framatome et CEA Industrie, Areva est devenue, en dix ans, une société très attractive et connue un peu partout dans le monde. Il est dommage qu'elle ait changé de nom…

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Entre 2001 et 2011, quel type d'échanges avez-vous eu avec les membres du Gouvernement, soit dans le cadre de l'État actionnaire, soit de manière plus informelle ? Quelles orientations vous ont-ils données, au sujet du nucléaire et des énergies renouvelables ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Mes interlocuteurs gouvernementaux ont été nombreux. Comme je vous le disais, on ne m'a jamais opposé de refus, mais on me disait toujours que ce serait pour plus tard. En 2001, nous étions dans une période de cohabitation : tout était aligné, on se disait que, quel que soit le vote des Français, on y arriverait.

Une question revenait sans cesse : fallait-il ouvrir le capital d'Areva ou financer l'entreprise budgétairement ? Elle n'a jamais été tranchée : on penchait d'un côté, puis de l'autre. On nous a beaucoup promis de nous financer budgétairement mais je n'ai jamais rien vu venir.

La deuxième chose très perturbante, c'est qu'on a eu tendance à vouloir transformer Areva en « Caisse des dépôts industrielle » – on nous a ainsi demandé régulièrement de racheter Alstom. Areva avait un fonds de démantèlement. Mes prédécesseurs, chez Cogema, avaient mis sous séquestre les masses financières nécessaires au démantèlement futur des installations ; nous étions la seule entreprise européenne à avoir totalement provisionné ces charges. Or cet argent, que nous avions investi en bon père de famille, on nous poussait à l'investir autrement. Il a été très difficile pour nous de garder notre cap. Je ne donnerai pas de noms, mais je me rappelle qu'on nous poussait à investir dans certains projets pour « faire bien ». J'expliquais que nous devions faire des investissements coûteux et de long terme pour assurer des niveaux de sûreté très élevés. On me répondait souvent : « Oui, bien sûr, on va le faire », ou : « Pas maintenant ». Et puis il y a eu Fukushima.

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Qui sont les ministres qui vous ont dit que ce n'était pas sérieux de parler des énergies renouvelables et que c'était décevant ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Je ne vous répondrai pas, parce que c'étaient des conversations privées, mais cela révèle un état d'esprit : on subventionnait les énergies renouvelables, parce qu'on était bien obligé de le faire et parce que c'était la tendance, mais on ne considérait pas que c'était un vrai projet industriel.

Pour vous donner un exemple, j'étais convaincue qu'il y avait des choses intéressantes à faire dans l'éolien offshore. Nous avions donc développé des relations avec l'entreprise danoise Bonus, qui était en plein développement, qui proposait de vraies technologies et qui n'étaient pas chère. Mais on ne nous a pas autorisés à l'acheter ; c'est Siemens qui l'a acquise et qui a pu développer son éolien. Plus tard, nous avons trouvé une très bonne start-up allemande, qui avait développé de l'éolien offshore très intelligent : c'est l'indien Suzlon qui nous l'a piquée et on nous a interdit de surenchérir. Il fallait industrialiser et on ne l'a pas fait. Aujourd'hui, on présente les renouvelables comme la clé de l'indépendance énergétique, mais tout est fabriqué en Chine, ce qui est un peu problématique.

Est-il trop tard ? C'est toujours la même chose : ce qu'il faut, c'est innover et avoir la technologie d'après. Dans l'éolien, la tendance est à la construction d'éoliennes de plus en plus grosses. Or, si l'on ne sait pas faire des éoliennes de 8 mégawatts, on ne saura pas en faire de 15 ou 18 mégawatts. Dans ce domaine, je pense que c'est un peu tard. Il reste l'éolien flottant et je suis très contente que, dans certains cas, ce soient des entreprises françaises, comme EolMed, qui fabriquent le flotteur. Cette dimension industrielle, dans le secteur de l'énergie, doit redevenir une préoccupation nationale.

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Vous dirigiez une grande entreprise industrielle française, vous connaissiez bien les membres du Gouvernement et les administrations, vous aviez leur confiance : quand vous leur parliez des énergies renouvelables, quels arguments de fond – industriels, économiques – vous étaient opposés ? Est-ce que, comme pour le nucléaire, on vous disait : « On verra plus tard » ? Ou bien vous opposait-on des arguments relatifs aux aspects techniques ou à la rentabilité de ces installations ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

On considérait, globalement, que ce n'était pas très sérieux, et que les choses sérieuses, c'était le nucléaire.

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Ce que vous dites en filigrane, c'est qu'à partir du début des années 2000, l'Europe, et surtout la France, n'a pas su développer de nouvelles solutions industrielles et que l'on paie ce retard très cher aujourd'hui.

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Oui. Il faut dire aussi que le dumping chinois, dans le domaine du solaire, a ruiné des projets qui étaient en train de se développer en France – comme l'usine Bosch à Vénissieux. L'Europe n'était pas armée pour faire face à ce dumping chinois ; celui-ci a d'ailleurs été tellement violent qu'il a même conduit certaines entreprises chinoises à la faillite. On cite toujours deux entreprises françaises : oui, il y a Photowatt, chez EDF, mais elle est toute petite ; et puis il y a en effet une entreprise alsacienne, mais elle fait du montage chinois. S'agissant de l'éolien, on fabrique quelques mâts et quelques pales, mais le cœur de la technologie n'est pas en France, et c'est bien dommage.

En 2010, la France avait cinq géants mondiaux dans le secteur de l'énergie : EDF, GDF-Suez, qui ne s'appelait pas encore Engie, Areva, Alstom Energie et Total. Les Allemands étaient très forts sur le plan industriel, mais nous, nous étions très forts sur le plan énergétique, et c'était au moins aussi important. Que sont devenues ces entreprises ? EDF est en grande difficulté ; Engie, ça va, mais sans plus ; Alstom Energie a été rachetée par General Electric ; Areva a été coupée en deux et n'est plus le numéro un mondial. Il reste Total, et le paradoxe, c'est qu'on passe son temps à la critiquer. Ces dix dernières années ont été dix lourdes années.

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Vous avez déclaré en 2012 que certaines nominations à la tête de géants de l'énergie française étaient des erreurs, reposant sur des conceptions « novatrices » de faire du nucléaire bas de gamme avec tout le monde. Selon vous, l'idée se serait imposée chez EDF que les EPR étaient « trop sûrs » et qu'il fallait revoir l'arbitrage entre sûreté et rentabilité. Pouvez-vous développer ce point ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

En 2009-2010, il y avait un vrai engouement pour le nucléaire. On peine à s'en souvenir, avec ce qui est arrivé après… Beaucoup de pays dans le monde voulaient faire du nucléaire sans en avoir jamais fait : c'est ce qu'on a appelé le « nouveau nucléaire ».

Le nucléaire, c'est un triangle : une autorité de sûreté ; une culture et des compétences ; des réacteurs qui doivent être les plus sûrs possible. Lorsqu'un pays se lance dans le nucléaire, son autorité de sûreté, qui est toute jeune, a besoin de se former et de se muscler. De même, les employés des centrales ont une culture du nucléaire forcément plus limitée. Or l'idée qui prévalait et qui me paraissait très étonnante était qu'il fallait fournir à ces nouveaux clients un nucléaire plus léger en sécurité, que c'était suffisant pour eux. Moins de béton, moins d'acier, moins de logiciels : c'est donc moins cher !

À l'époque, je me suis opposée à ce que l'on vende un réacteur à la Libye de Kadhafi. J'estime en effet que, moralement, on ne peut pas vendre du nucléaire à des pays moins sûrs que le nôtre. Je me souviens par exemple d'un échange au sujet des diesels de secours, que l'on voulait installer en haut des EPR, dans des bâtiments parasismiques, pour injecter de l'eau en cas de problème. C'est précisément ce qui a manqué à Fukushima : les diesels de secours étaient en sous-sol et ils n'ont pas pu fonctionner quand le tsunami est arrivé. Il y avait une tendance à considérer que le nucléaire était une technologie comme les autres. Or il ne faut pas banaliser le nucléaire ; il ne convient pas à tous les pays. On ne peut pas fournir du nucléaire à des pays qui ne sont pas gérés de manière rationnelle. Pour reprendre l'exemple de la Libye de Kadhafi, imaginez le cas du patron de l'autorité de sûreté qui aurait voulu arrêter le réacteur, aurait-il été mis en prison, voire exécuté ? On ne pouvait pas, en conscience, faire des choses de ce genre.

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Depuis 2004, vous êtes la présidente du conseil d'administration de l'École des mines de Nancy. Par ailleurs, au titre de vos fonctions passées, vous connaissez bien tout ce qui relève des compétences et de la formation. Lors de nos précédentes auditions, on a entendu que la loi de 2015 avait eu des effets en chaîne sur l'attractivité des filières du nucléaire. Partagez-vous cette analyse ? N'avez-vous pas le sentiment que le recul des compétences, à la fois en qualité et en volume, est plus ancien au sein de la filière nucléaire française ?

Ma deuxième question concerne la technologie du recyclage, qui divise les responsables du CEA que nous avons auditionnés. Certains estiment que le multi-reyclage en REP présente des limites indépassables, qui justifient de poursuivre le projet Astrid – Advanced sodium technological reactor for industrial demonstration – de fermeture totale du cycle du combustible. D'autres estiment que le multi-recyclage en REP, poussé à l'extrême, suffirait. Qu'en pensez-vous ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Sur la première question, les stop and go, dans le domaine du nucléaire, a eu de quoi désorienter les gens désireux de s'engager dans cette filière. Entre 2000 et 2010, Areva était le deuxième employeur de référence en France. L'entreprise était très bien vue, participait aux forums des grandes écoles, allait dans les universités et recrutait beaucoup en apprentissage, sans aucune difficulté. J'ajoute que, dans un monde qui était très masculin – ce qui est paradoxal, puisque les deux grandes découvreuses de la radioactivité ont été des femmes, Marie Curie et Irène Joliot-Curie –, nous sommes parvenus à féminiser les recrutements. Alors que les femmes représentaient 20 % des promotions d'ingénieurs, on en recrutait 30 à 35 %. On a vraiment fait bouger les choses. Puis le vent a tourné et les plans sociaux se sont multipliés.

La bonne nouvelle, c'est que l'attractivité du nucléaire est de retour. Je fais tous les ans une petite séance avec les ingénieurs-élèves du Corps des mines. Cette année, 50 % d'entre eux vont faire un stage dans le nucléaire et, parmi les 50 % restants, 25 % iront vers d'autres types d'énergie : au total, 75 % vont donc se consacrer à l'énergie, alors qu'on était tombé à 10 % en moyenne ces dernières années. Il y a un engouement pour l'énergie, parce qu'on en parle beaucoup, mais aussi parce que les jeunes prennent conscience de sa dimension géostratégique. Il ne faut surtout pas que les entreprises passent à côté de cet élan. Et il faut bien réfléchir à la manière de tout reconstruire.

En matière de recyclage, il y a plusieurs écoles. Je pense qu'il faut continuer la recherche et voir comment on peut faire du retraitement poussé, comme on disait autrefois. La Hague est un merveilleux objet. Je me rappellerai toujours ce ministre russe, à qui je faisais visiter l'usine un an après mon arrivée chez Cogema, et qui n'arrêtait pas de me demander où étaient les autres usines : il n'arrivait pas à croire que celle-ci suffisait à retraiter autant de combustibles.

J'ai toujours dit que nous étions des nains sur des épaules de géants. On a réussi à faire des choses extraordinaires sur le plan technologique en France : il faut en être fier. Tout est possible, mais il faut être innovant et audacieux, retrouver une ambition collective.

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Nous en venons aux questions des membres de la commission.

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Ma première question concerne l'EPR finlandais. Dans son rapport, Jean-Martin Folz indique qu'il a été vendu à prix fixe, alors que ses plans n'étaient pas arrêtés et que l'on commençait à peine le design détaillé. Confirmez-vous ces informations ? Et, si tel est le cas, comment l'expliquer ? Notre filière nucléaire a connu de belles réussites, mais cet EPR est plutôt un échec : pouvez-vous revenir sur ce dossier et sur son impact, jusqu'à aujourd'hui ?

Deuxièmement, pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur de ce que représentait l'uranium russe pour Areva ?

J'aimerais, enfin, revenir sur les difficultés qu'a rencontrées « l'équipe de France du nucléaire ». On peut entendre que l'arrivée d'Areva ait pu perturber EDF et susciter une pointe de jalousie chez certains de ses PDG, mais cette explication n'est-elle pas un peu courte ? Pourquoi l'État n'est-il pas intervenu pour siffler la fin du match ? Comment a-t-il pu laisser nos deux leaders mondiaux jouer l'un contre l'autre, et pas l'un avec l'autre ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

L'EPR finlandais OL3 a été vendu à prix fixe, parce que nous répondions à un appel d'offres international. Face à nous, il y avait General Electric et des Russes. C'est le client qui choisit le mode de fonctionnement, pas nous. C'était en 2003, Areva était née en 2001 et j'étais encore en train de découvrir Framatome. A posteriori, nous avons eu le sentiment que Framatome avait un peu sous-estimé l'ampleur du chantier et qu'en réalité, elle n'était pas prête. Si nous l'avions su, nous n'aurions pas concouru.

Sur la question du prix fixe, il y a certainement eu une déformation française. Avec EDF, dès qu'il y avait un change order, c'est-à-dire un changement dans la commande, il y avait automatiquement une négociation et une nouvelle facturation. Or les Finlandais ont refusé de discuter et c'est Areva et Siemens qui ont payé tous les surcoûts. Par ailleurs, l'autorité de sûreté finlandaise n'avait pas suivi la construction de réacteur depuis vingt-sept ans ; elle a donc recouru à des experts extérieurs, qui répondaient à nos propositions au bout de plusieurs mois, parfois un an. D'après les chiffres officiels, OL3 a coûté moins cher que Flamanville, et il est en marche.

Je suis incapable de vous dire quelle était la proportion d'uranium russe mais j'aurais tendance à dire que, de mon temps, il n'y en avait pas beaucoup. Il y avait l'uranium du désarmement : les accords russo-américains prévoyaient que l'uranium des armes serait désenrichi, dilué, et vendu et nous étions nous-mêmes négociants d'une partie de l'uranium russe. Areva cherchait à diversifier ses sources d'approvisionnement : au Canada, avec la nouvelle mine de Cigar Lake où nous étions minoritaires, mais aussi au Niger, où c'était très compliqué politiquement. Nous avons proposé une solution australienne au gouvernement français, qui a refusé – mais qui a accepté UraMin. À une époque où l'uranium n'était pas cher, c'est-à-dire jusqu'en 2005-2006, l'État français a refusé, au conseil d'administration, que nous développions nos sources d'approvisionnement.

Nous avions intérêt à constituer « l'équipe de France » la plus large possible. C'était formidable de disposer des moyens de Total et d'avoir deux opérateurs, avec EDF et Engie : cela nous permettait de travailler dans un très grand nombre de pays. Ce n'est pas nous qui avons fait obstacle à la constitution de cette équipe de France. Au-delà des problèmes de personnes, historiquement, il y avait un consensus au sein d'EDF, que partageaient ses sous-traitants et l'État : il fallait vendre de la technologie française. Or, au cours d'une réunion, on m'a demandé de donner les droits de propriété intellectuelle aux Chinois pour qu'ils aillent construire des réacteurs en dehors de Chine. Ce ne sont pas les Chinois qui me le demandaient, mais les Français ! Il n'en était pas question. J'estimais que tous les acteurs français devaient défendre la technologie française, alors qu'EDF était prête à faire des centrales sur technologie russe ou chinoise : voilà ce qui nous a opposés. Le domaine nucléaire doit garder sa spécificité.

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Areva était un fleuron de notre industrie nucléaire et son démantèlement, en 2017, a porté atteinte à notre souveraineté énergétique. Vous avez exposé les divergences de stratégie qui existaient entre Areva et EDF. Comment expliquez-vous que les dirigeants politiques de l'époque vous aient laissés en concurrence, alors même que l'État était actionnaire de vos deux sociétés ? Ce choix a créé une rivalité destructrice et affaibli la filière nucléaire française, notamment à l'export.

L'EPR finlandais d'Areva a symbolisé cet échec. Il devait coûter 3 milliards d'euros, en a coûté 8 et a été achevé avec douze ans de retard. Pourquoi la construction de l'EPR en Finlande n'a-t-elle pas été lancée en coopération avec EDF, qui s'engageait parallèlement dans la construction d'un EPR en France ? Ne pensez-vous pas qu'une coopération entre ces deux groupes et une mise en commun de leurs compétences auraient permis de pallier les difficultés qu'ont connues les deux chantiers ?

Pourquoi, lorsque vous étiez à la tête d'Areva, avez-vous décidé de limiter les projets de nouvelles centrales aux seuls EPR, en particulier à l'export, alors que la France disposait d'autres technologies ? La diversification de votre offre n'aurait-elle pas empêché la Russie, la Chine et les États-Unis d'inonder le marché du nucléaire dans le monde ?

Le scandale de l'achat par Areva d'UraMin, dont les actifs miniers étaient surévalués, a dégradé l'image et la situation financière du groupe. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons qui vous ont poussée, en tant que présidente, à acheter ces actifs miniers ? L'État était actionnaire : quelle était sa position et quelle part a-t-il pris dans cette décision ?

Vous nous avez dit, et cela m'a surpris, que vous aviez un peu endetté Areva, parce qu'il était prévu que l'État vous apporte son soutien financier. Quels engagements l'État avait-il pris ? Existait-il un accord financier écrit ? De quelles garanties disposiez-vous ?

Enfin, vous avez déclaré sur BFM TV, le 6 décembre dernier, qu'il était tout à fait possible de rouvrir Fessenheim. Cela vous semble-t-il vraiment réaliste ? Si tel est le cas, c'est rassurant pour la sécurité d'approvisionnement électrique de notre pays, qui a été particulièrement mise à mal par la décision d'Emmanuel Macron de fermer cette centrale.

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

En 2009-2010, il y a eu des arbitrages de l'État et ils ont toujours été en faveur d'EDF. Après l'épisode des Émirats arabes unis, le président d'EDF a été remplacé. Un nouveau président a été nommé en novembre 2009, c'est-à-dire très tard. Il a donné une longue interview dans Les Échos, où il expliquait que le modèle nucléaire français n'était pas le bon et que l'EPR n'était pas un bon réacteur. Or l'État avait décidé d'en construire un. Pendant toute la fin des négociations, en novembre et décembre, c'est l'État qui a négocié à notre place. Nous n'avions plus vraiment accès au client ; je ne peux donc pas vous dire ce qui s'est passé.

Vous dites que le réacteur OL3 a été un échec. Le projet devait coûter 3,4 milliards – et Flamanville, 3 milliards, ce qui est comparable. Mais il se trouve que le prix de l'acier et du béton a considérablement augmenté, et qu'un chantier qui s'éternise coûte cher. C'est Areva et Siemens qui ont payé. Il y avait eu des précédents. J'ai été administratrice de Total pendant quinze ans : je crois que le coût du chantier de Kachagan, au Kazakhstan, a été multiplié par sept. Je ne dis pas cela pour m'excuser. J'ai deux souvenirs professionnels épouvantables : celui-là et Fukushima.

Aurait-il fallu faire un EPR en France avant ? Oui, mais il n'y a pas eu de décision politique en ce sens. L'EPR, en France, a été décidé bien après. Le réacteur finlandais était le First of a Kind (FOAK), le premier du genre, mais EDF a considéré que c'était Flamanville, parce que nous, nous n'étions pas bons, si bien qu'il y a eu deux premiers du genre. Et les Chinois ont pris le meilleur des deux pour construire des EPR dans les meilleures conditions.

Si nous n'avons pas emmené EDF en Finlande, c'est parce que les Finlandais ne le voulaient pas. Nous l'avons proposé à plusieurs reprises mais ils ont refusé. Tout le monde n'aime pas EDF, ce qui peut d'ailleurs poser un problème pour Framatome, et il y avait des questions de concurrence européenne. L'ingénierie que nous avons en commun avec EDF, Sofinel, a quand même travaillé sur l'EPR finlandais. En Chine, EDF était actionnaire, mais ce sont les Chinois qui ont tout fait. Ce qui a fait la différence, en Chine, c'est le génie civil : comme les Chinois n'arrêtent pas de construire des ponts, des routes et des bâtiments, ils ont des technologies qui leur ont permis de faire en trois jours ce que nous avions mis six mois à faire à Flamanville.

Vous dites que nous n'avons pas diversifié notre offre, mais c'est inexact : alors qu'EDF ne jurait que par l'EPR, nous nous sommes battus pour l'étoffer et proposer une diversité de réacteurs avec Atmea, un réacteur de 1 000 mégawatts, et les SMR. J'ai proposé au président d'EDF de l'époque, Pierre Gadonneix, de participer à la construction de notre réacteur de 1 000 mégawatts et il a refusé, même quand je lui ai parlé de notre projet d'accord avec les Japonais. On ne peut pas être plus royaliste que le roi.

J'en viens à UraMin. En 2007, alors que nous connaissions un déficit de capacité en uranium, nous étions en train de négocier un contrat global avec les Chinois, qui voulaient à la fois des EPR, du combustible, un accès direct à l'uranium, qui leur faisait défaut, et une usine de retraitement. Avec le Président Chirac, nous avons convaincu les Chinois qu'on ne pouvait pas tout faire à la fois et qu'il faudrait séquencer l'opération. À défaut donc d'un, contrat global, la France s'engageait à la livraison des EPR et du combustible. Nous ne disposions pas, en revanche, des accès directs aux mines d'uranium disponibles. Quant à l'usine de retraitement, les Chinois ne savaient pas encore où l'installer, de telle sorte que cette phase ne pourrait intervenir que plus tard.

Nous avions, pour notre part, cherché à diversifier nos sources d'uranium afin de ne pas dépendre seulement du Niger et du Canada, notamment parce que la production de ce dernier pays diminuait. La mine de Cigar Lake, nouveau gisement de Cameco, étant restée inondée durant des années et les Russes ne vendant plus l'uranium du désarmement à bas prix, le prix de ce métal a explosé à partir de 2005-2006. Parallèlement à cette augmentation du prix, l'État répondait par la négative à tous les projets que nous lui proposions. L'uranium devenait alors très attractif – on a même découvert, à la chute de la banque Lehman Brothers, que cet établissement financier possédait des stocks d'uranium !

L'entité disponible la plus abordable pour nous était UraMin, qui possédait trois gisements dont nous payions la production au prix de 75 dollars la livre, ce qui était très inférieur au prix spot de l'époque et à toutes les anticipations. Le développement de ces gisements a pris un peu plus de temps que ne l'avait annoncé une étude canadienne et, juste avant l'accident de Fukushima, le prix spot était de 72 dollars la livre. Nous avions conclu alors des contrats, y compris avec EDF, à des prix très supérieurs.

Après Fukushima, le prix de l'uranium s'est effondré, passant à 10 ou 15 dollars la livre, et il n'était alors pas rentable de développer ces mines, ni celle d'Imouraren, que nous avions créée et dont mon successeur a arrêté l'exploitation. Cameco et tous les grands acteurs du secteur ont également arrêté l'exploitation des mines, comme le font, du reste, en pareille situation, les grands mineurs mondiaux – pour avoir été administratrice de Rio Tinto, je sais que lorsque le prix des matières premières baisse, on arrête tout, et on attend que la situation s'améliore.

Après dix ans de froid – nous avions connu auparavant le même froid pendant dix ou quinze ans à cause du désarmement russe –, les prix progressent à nouveau et l'uranium minier va redevenir rentable. Le procès qu'on nous a fait est intervenu à une période où un sondage de Paris-Match m'avait désignée comme ministre des finances potentiel préféré des Français dans un gouvernement idéal, droite gauche confondues : sans doute fallait-il alors se débarrasser de moi.

Quant aux engagements de l'État, j'ai en effet reçu des lettres de Premiers ministres, mais de telles lettres n'engagent que ceux qui restent, et on sait qu'un Premier ministre ne reste pas nécessairement très longtemps en fonction.

Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, à propos de laquelle j'ai réagi sur BFM, je m'étonne en effet qu'on redémarre une centrale à charbon qui produit à peine 600 mégawatts alors qu'on a arrêté, quelques années auparavant, deux réacteurs de 900 mégawatts qui avaient subi une mise à niveau de sûreté, avec l'installation d'un nouveau radier. Si on a le choix entre les deux, peut-être vaudrait-il mieux redémarrer Fessenheim. On m'objectera que de nombreuses pièces détachées de cette centrale ont déjà été enlevées, mais pourquoi ne pas les remettre en place ? La remise en fonction de la centrale supposerait certes une enquête publique, puisqu'elle a été arrêtée depuis plus de deux ans, et sans doute y faut-il aussi un décret, mais puisqu'une discussion est engagée au Parlement sur la simplification des procédures en matière de nucléaire, il ne semble pas aberrant, dans un contexte de changement climatique et de besoins énergétiques, de redémarrer deux réacteurs nucléaires arrêtés plutôt qu'une centrale à charbon, même si c'est peut-être un peu provocateur.

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Madame Lauvergeon, vous avez très bien exposé la stratégie du lobby nucléaire qui s'exprimait lors de la constitution d'Areva, avec deux visions : celle de la Cogema, focalisée sur ses activités historiques, et celle qui visait à orienter l'entreprise vers l'export et l'international. La logique industrielle en jeu dans la création d'Areva relevant d'une autorisation du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la ministre de l'environnement de l'époque, chargée uniquement de la sûreté et de la radioprotection, n'avait pas à donner son aval ou son avis. Le succès n'ayant pas été au rendez-vous, notamment sur le plan international, s'agissait-il d'une bonne stratégie ?

Quant à la perte du contrat d'Abou Dhabi, qui semblait imperdable, M. Henri Proglio, président d'honneur d'EDF, a eu, lors de son audition par notre commission d'enquête, des mots assez durs à votre égard. Mme Brégeon a également souligné un manque de cohésion au sein de « l'équipe de France du nucléaire », décrite aussi par plusieurs des personnes que nous avons auditionnées. Comment expliquez-vous les relations déplorables entre Areva et EDF, son principal client ? Comment cela a-t-il affecté la filière nucléaire française ? Cette dernière a-t-elle tiré des leçons de cet échec ?

Nous avons vu EDF et Areva se déchirer sous le regard médusé de la communauté internationale, puis nous avons vu le fiasco de l'EPR finlandais, puis enfin celui d'UraMin. Je me fonderai donc sur le slogan que vous avez adopté lors de votre arrivée à la tête d'Areva et selon lequel vous n'avez « rien à cacher » pour espérer que nous pourrons obtenir des éclaircissements sur différents points.

Après cette série de scandales, la France est-elle encore un partenaire crédible dans le domaine du nucléaire, ou son image et la réputation de son savoir-faire sont-elles durablement entachées dans le monde ?

Pour ce qui est de la dépendance énergétique, 90 % de l'uranium utilisé dans nos centrales provenant de zones sous influence russe ou chinoise, la création de nouveaux EPR et la guerre en Ukraine ne risquent-elles pas de faire fortement augmenter la demande, et donc le cours de l'uranium ? En évoquant les prix de ce dernier, vous avez indiqué que le rachat d'UraMin s'expliquait notamment par un souci de sécuriser l'approvisionnement, mais certaines études démontrent que nous disposions alors de trente ou quarante ans de stock d'uranium. Pourquoi donc cette précipitation ? Selon certaines des personnes que nous avons auditionnées, les stocks seraient de cent à cent vingt ans, mais ne peut-on pas craindre, compte tenu du développement du secteur et de l'évolution préoccupante des coûts, une dépendance préjudiciable à notre souveraineté ?

Votre stratégie de développement tournée vers l'extérieur n'a-t-elle pas augmenté notre dépendance envers des pays peu démocratiques et enclins à des pratiques douteuses ? Vous avez en effet rappelé qu'il n'était pas question pour vous – et vous aviez certainement raison – d'installer une centrale nucléaire dans la Libye de Kadhafi, pays qui ne possédait pas d'autorité de sûreté nucléaire et dont le directeur d'une telle institution, si elle avait existé, aurait pu être mis en prison ou exécuté s'il avait décidé d'arrêter une centrale. Areva a cependant été liée à des pays ou à des consortiums qui peuvent susciter des interrogations – a notamment été évoqué, à cet égard, un consortium saoudien dirigé par le demi-frère de Ben Laden. Il importe que vous puissiez éclairer la commission d'enquête sur ces points que nous découvrons.

Le manque d'investissement de l'État français dans notre nucléaire est fréquemment critiqué. La stratégie tournée vers l'international et l'export, avec les divers projets évoqués et qui représentent plusieurs milliards d'euros, a-t-elle été menée au détriment de l'investissement dans le nucléaire en France et de la sécurisation de cette filière ?

Pour ce qui concerne l'uranium brut, vous avez vanté les mérites de l'usine de retraitement de déchets de La Hague, que le monde, selon vous, nous envierait, en ajoutant que les écologistes devraient être spontanément favorables au recyclage. Ce dernier point est certes vrai, mais vous omettez de dire que le taux de retraitement de 96 % du combustible que vous avancez n'est pas conforme à la réalité, car les technologies actuelles permettent seulement un monocyclage et nous attendons depuis maintenant un certain temps des réacteurs d'une autre génération, capables d'absorber ces déchets nucléaires – qu'il faudrait peut-être, comme le préconise la Cour des comptes, requalifier précisément en tant que déchets

Par ailleurs, depuis 2010, plusieurs alertes ont fait état de la saturation du site de La Hague et souligné que nous n'avions construit aucune autre installation de ce type. De fait, si même nous décidions immédiatement de le faire, un tel équipement ne pourrait ouvrir, au plus tôt, qu'en 2034. Se pose donc la question de la sécurisation de la filière française du nucléaire en matière de déchets, car il se trouve actuellement sur notre sol des matériaux radioactifs en attente d'une technologie dont nous ignorons si nous parviendrons à la développer.

Enfin, ce serait, selon vous, le lancement non concerté et un peu brutal de la filière nucléaire française, sans assez de concertation et d'explications, qui aurait suscité le développement d'un mouvement antinucléaire et écologiste. Or, la filière nucléaire est, malgré les propos que vous avez tenus sur la transparence que vous auriez voulu instaurer lorsque vous avez pris la tête du consortium, marquée par une certaine culture d'opacité, que nous découvrons progressivement. Pensez-vous donc vraiment que c'est le manque de cette transparence qui a provoqué des mouvements antinucléaires dans notre pays et, plus largement, en Europe ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

La première de vos nombreuses questions concerne la ministre de l'environnement qui était en fonctions lors de la création d'Areva en 2001. De fait, même si la tutelle de ce domaine ne relevait pas de Dominique Voynet – ce qui n'est d'ailleurs pas tout à fait exact –, le Gouvernement était alors celui d'une majorité plurielle dans un contexte de cohabitation, et il fallait donc que toutes les étoiles soient alignées. Cela a été le cas et, même si tous n'avaient pas les mêmes idées, ce processus a commencé d'une manière consensuelle.

Pour ce qui est de savoir si la stratégie internationale ne va pas contre la base industrielle installée française, je rappelle que cette dernière avait pour objectif la construction du parc français : celui-ci une fois réalisé, elle pouvait soit disparaître ou s'amoindrir dans l'attente d'une deuxième phase de construction qui viendrait bien plus tard, soit s'internationaliser. La base industrielle française a donc profondément profité de l'internationalisation et les investissements que nous avons faits dans cette perspective ont été très majoritairement réalisés en France. Je pourrais en citer la liste : à part pour ce qui concerne l'uranium, dont notre pays ne dispose plus, nous avons investi en France dans le domaine industriel. Ainsi, sur les 40 000 personnes que nous avons embauchées, plus de 30 000 étaient françaises. Ce modèle, peut-être très atypique, a été volontaire.

Quant à « l'échec » du contrat d'Abou-Dhabi, je rappelle que, par définition, si un acteur international gagne certaines compétitions internationales, il en perd d'autres – c'est du reste ce qui est arrivé aussi à General Electric. En l'espèce, Areva ne serait pas en mesure de répondre à toute la demande mondiale. La concurrence est partout, et la campagne lancée en France pour voir dans ce dossier un grave échec français et pour en rechercher les responsables était irrationnelle – je l'ai, du reste, prise aussi comme un élément positif, car elle montrait qu'Areva était devenu un symbole important. De même qu'au football on ne gagne pas tous les matchs, malgré de fortes attentes, un industriel qui opère à l'échelle mondiale ne cesse de disputer des matchs avec des gens différents et à propos de sujets différents, et il ne les gagne pas tous.

Pour ce qui concerne l'uranium, nous avons beaucoup diversifié notre base et nous nous sommes développés en achetant UraMin mais, pour le reste, il s'est agi d'une croissance organique. Nous avons ainsi créé avec le Kazakhstan une nouvelle entreprise, qui fonctionne très bien et dont nous détenons 51 % – ce qui en fait la seule entreprise de ce pays dans laquelle un acteur étranger est majoritaire. Nous avons aussi fait un important effort d'exploration en Australie, en Afrique du Sud, en Mongolie et en Amérique du Sud, entre autres, développant partout du relationnel et des permis.

Selon vous, 90 % de l'uranium utilisé en France serait sous l'influence russe ou chinoise ? J'en reste baba car, à moins qu'il ne se soit produit quelque chose qui nous aurait échappé, la plus grande partie de notre uranium provient du Canada, du Niger et du Kazakhstan.

Par ailleurs, la France ne dispose pas de trente ou quarante ans de stock d'uranium ! Ce sont les Asiatiques qui stockent ce métal – Chinois et Japonais, et surtout ces derniers, qui en possédaient d'énormes stocks avant Fukushima, puis les ont vendus après l'arrêt des réacteurs, ce qui a du reste contribué, dans un effet cumulatif, à la baisse du prix.

Rassurez-vous cependant : il y a beaucoup d'uranium dans le monde. Bien sûr, celui qui est le plus facile à exploiter, le plus proche de la surface et le plus concentré, a déjà été pris, et celui qui reste est plus profondément situé et plus diffus, mais les technologies nécessaires pour l'exploiter existent – c'est, par exemple, ce qui se fait au Kazakhstan.

Par ailleurs, le prix de l'uranium a très peu d'incidence sur celui du kilowattheure, dont il représente que 5 %. Contrairement donc à ce qui se passe pour le prix du charbon ou du gaz, dont la part correspondant au combustible représente respectivement 80 % et 70 %, un doublement ou un triplement du prix de l'uranium sera pratiquement insensible dans le prix du kilowattheure. On trouve, je le répète, de l'uranium presque partout. Ainsi, dans les années 1970-1980, la France avait fait étudier la possibilité d'extraire l'uranium des océans : ce serait évidemment très cher, mais c'est faisable. Pas d'angoisse donc, quant au stock ni au prix.

Si, comme vous le rappelez à juste titre, on pratique aujourd'hui le mono-recyclage – c'est-à-dire que l'uranium n'est recyclé qu'une fois –, c'est parce que nous n'avons pas eu le temps de le recycler deux fois. L'usine de La Hague n'a, en effet, démarré qu'au milieu des années 1990 et Melox à l'orée des années 2000, de sorte que nous n'avons pas un recul suffisant pour recycler davantage de combustible.

Je renvoie à ceux qui gèrent aujourd'hui l'usine de La Hague la question de la saturation de ce site : après onze ans, je considère que je ne suis plus responsable de rien.

Quant à la transparence, j'y suis absolument favorable, en particulier là où se portent certains soupçons. Il faut expliquer et comprendre. Une grande leçon que j'ai apprise avant d'arriver à la Cogema, est qu'on ne choisit pas ses opposants et qu'il faut accepter de discuter avec tout le monde. Il faut également comprendre les passions et les peurs, et tenir compte des sentiments, car la rationalité n'est pas le seul ressort. Du dialogue naît toujours quelque chose et il faut absolument faire des efforts dans ce domaine.

J'ajoute qu'un réacteur nucléaire de 1 mégawatt de puissance consomme, en moyenne française, environ 20 tonnes de combustible par an, contre 9 000 tonnes pour une centrale électrique au charbon, sachant par ailleurs que, l'uranium étant un métal très lourd, il occupe un volume très faible. Les échelles sont radicalement différentes et l'uranium n'est pas un problème bloquant pour l'industrie nucléaire mondiale.

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Vous avez souligné à juste titre le rôle important des femmes dans l'émergence de la filière nucléaire, et je tiens à citer aussi, à ce titre, Lise Meitner, souvent oubliée.

Dans votre livre La Femme qui résiste, que j'ai lu avec grand plaisir voilà onze ans et qui a joué un grand rôle, vous avez notamment eu le courage d'identifier les responsabilités des personnes, ce qui n'est guère dans les habitudes françaises – de fait, dans les travaux de notre commission d'enquête, et sans que ce soit la faute du président ni du rapporteur, on a l'impression qu'il y a des gens qui ne sont jamais responsables de rien. Dans votre livre, en revanche, vous identifiez bien le processus de décision politique qui prévaut aux nominations dans le « Meccano industriel » – cette spécificité française qui veut que, pour le meilleur et peut-être pour le pire, nous ayons des élites en nombre réduit, dans un périmètre géographique réduit et dans des administrations également réduites. Pour le meilleur, ce système nous a permis de faire le programme nucléaire, mais peut-être déraille-t-il aussi parfois, et c'est l'objet de mes questions.

Le fait que vous ayez refusé à plusieurs reprises d'exercer des responsabilités politiques sous la présidence de Nicolas Sarkozy a-t-il gêné le développement d'Areva ou vous a-t-il gênée dans l'exercice de vos fonctions ? Y a-t-il eu un changement d'attitude de la part d'EDF à votre égard et, chose plus grave, envers Areva ? Cela a joué, d'après ce que j'ai compris à la lecture de votre livre, un rôle considérable.

La souveraineté énergétique recouvre également la production de matériel de production électrique. Vous avez été présidente d'Areva alors qu'Alstom connaissait, depuis 1999, de grandes difficultés. Vous avez, du reste, présenté Areva comme une « Caisse des dépôts industrielle ». On vous a ainsi demandé, en 2004 ou 2005, au moment du démantèlement organisé par Bruxelles, de reprendre les activités de transmission et de distribution d'Alstom. Le prix d'achat de ces activités par Areva était, si je ne me trompe, de l'ordre d'un milliard d'euros, et le prix de leur revente à Alstom et Schneider de 4 milliards d'euros, soit quatre fois plus. Je ne vous reproche pas d'avoir défendu les intérêts capitalistiques d'Areva, mais comment expliquez-vous qu'alors qu'Alstom rencontrait de très grandes difficultés, on lui ait fait vendre pour 900 millions d'euros une activité qui, de toute évidence, valait beaucoup plus – car vous conviendrez que vous n'avez pas quadruplé la valeur de cette activité en quelques années seulement ? Le scandale a été encore plus grand pour la filiale Power Conversion, pour laquelle l'effet de levier et de l'ordre d'un à vingt. A-t-on affaibli Alstom, entreprise française, sinon par votre faute, dans une transition où vous avez joué un rôle d'intermédiaire ?

Les offres concurrentes qui se présentaient à l'époque de la revente à Alstom, notamment celles du Japonais Toshiba et de l'Américain General Electric, ont-elles été utilisées pour gonfler le prix de vente, et donc spolier les intérêts de la France, ou du moins affaiblir encore Alstom, qui a dû racheter quatre fois plus cher ce qu'il avait précédemment vendu ? Cette situation a été très problématique pour la suite, car la difficulté principale d'Alstom a toujours été la trésorerie, qui a été considérablement affaiblie dans cette opération.

Quels ont été les rapports de force, notamment le rôle de Bouygues ? A-t-on fait entrer Bouygues dans Alstom pour des raisons politiques, alors que cette entreprise n'avait rien à y faire, et la situation de Bouygues pendant sept ans a-t-elle posé problème ? Ne s'agissait-il pas d'une cinquième colonne au sein d'Alstom ?

De la même manière, je comprends que vous pensiez qu'EDF était juge et partie, et qu'il ne fallait peut-être pas mettre Framatome dans EDF, mais comment expliquez-vous que les activités industrielles d'Areva, en particulier Framatome, n'aient pas été réunies avec Alstom pour constituer un champion tel que pouvait l'être la CGE. Celui qui occupait les fonctions de président de cette entreprise au début des années 90 a expliqué à plusieurs reprises qu'il n'avait jamais compris pourquoi on n'avait jamais consolidé les activités historiques d'Alstom CGE avec celles de Framatome, alors qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts d'exploitants. C'est incompréhensible pour moi aussi.

En outre, M. Bréchet, lors de son audition par la commission d'enquête, nous a indiqué que Framatome avait connu des problèmes de matériaux. Pouvez-vous confirmer ou infirmer qu'il y ait eu des problèmes de suivi de la qualité des produits de Framatome, dont une partie sous votre mandat ? Avez-vous suivi cette question où n'étiez-vous pas au courant de tout cela ?

Ma dernière question portera sur l'alliance avec Siemens. Le comportement de la puissance étatique allemande et de son bras armé industriel semble avoir un rôle dans l'affaiblissement de la France. Ainsi, Siemens a été condamné pour son comportement déloyal dans sa participation à l'EPR. Était-ce une erreur de faire entrer les Allemands dans ces projets nucléaires pour lesquels ils n'avaient visiblement pas d'appétence ni de compétence particulière ? Sont-ils venus comme observateurs ou comme saboteurs ? Enfin, ne pensez-vous pas, compte tenu de l'expérience que nous avons eue avec Siemens, que la volonté permanente de lier tous les grands projets industriels français avec les Allemands n'est peut-être pas une si bonne idée ?

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Merci de votre appréciation sur le livre que j'ai écrit en 2012. Aurais-je une responsabilité personnelle pour avoir refusé d'être ministre ? L'État pouvait me remplacer quand il le voulait : il lui suffisait de convoquer une assemblée générale. Il est vrai que mon refus d'installer un réacteur en Libye a pesé lourd, et je pense que la raison est plutôt là. La suite m'a cependant donné raison – deux ans plus tard, nous étions en guerre contre la Libye, et je ne vois pas bien comment tout cela se serait agencé.

Pour ce qui est de la vente de T&D – transmission et distribution –, nous avons refusé à deux reprises de fusionner avec Alstom, car nous n'avions pas la capacité financière pour faire face à la situation d'Alstom et cette opération nous aurait coulés. Nous avons donc seulement accepté de reprendre Alstom T&D, c'est-à-dire tout ce qui concernait les réseaux électriques et smart grid, domaine dans lequel de vraies synergies sont possibles avec nos métiers. Comme je le disais, l'installation d'un gros réacteur suppose une adaptation des réseaux électriques, et il est ainsi très important pour le nucléaire d'intégrer ces derniers. Inversement, il n'est pas absurde que les réseaux électriques disposent d'une base installée technologique très forte.

Nous avons donc accepté d'acheter T&D à une époque où cette branche était dans une situation proche de celle du nucléaire lors de la création d'Areva, en 2001, avec un chiffre d'affaires déclinant et une rentabilité très faible. L'achat a été conclu pour 923 millions d'euros, soit la valorisation de l'époque. En cinq ans, nous avons transformé T&D et en avons fait un groupe dont le chiffre d'affaires avait doublé, avec une profitabilité incroyablement améliorée. Le groupe se composait pour deux tiers de nucléaire et pour un tiers de T&D, à quoi nous espérions ajouter un jour, comme Raimu dans Marius, quelques tiers d'énergies renouvelables.

L'État, qui était notre actionnaire, nous a obligés à vendre T&D à Alstom et nous avons obtenu que cette vente se fasse dans des conditions commerciales normales. Nous avons d'abord résisté et les personnels ont beaucoup manifesté, car T&D ne voulait pas quitter Areva. Outre cette adhésion très forte, le fait de nous obliger à cette vente était une erreur stratégique sur le plan industriel, parce que ce tiers d'activité était très stable, alors que le nucléaire était toujours soumis au risque d'un Fukushima. T&D avait donc un rôle stabilisateur, à l'instar du renouvelable qui, au-delà de sa nature décarbonée, jouait lui aussi ce rôle face aux évolutions globales.

À la suite d'un appel d'offres international, nous avons eu des réponses de Toshiba et de General Electric, toutes deux meilleures que celle d'Alstom, mais c'est à ce dernier que l'État nous a demandé de vendre. Nous nous sommes donc exécutés, en revendant T&D beaucoup plus cher que nous ne l'avions acheté, mais nous n'avons pas gagné d'argent indûment, parce que l'objet s'était profondément amélioré. Je suis à votre disposition pour retrouver les chiffres précis car, si je me souviens du prix d'acquisition et du prix de vente, je ne sais plus exactement quel était chiffre d'affaires au moment de la vente.

Alstom ayant découvert qu'il n'avait pas les moyens d'acquérir l'ensemble de T&D, l'opération a été divisée en deux, Schneider acquérant la basse tension et Alstom la haute tension. L'un et l'autre ne peuvent que se féliciter de cette acquisition.

Le groupe Bouygues avait, selon moi, le dessein de constituer un ensemble Alstom-Areva dont il serait le premier actionnaire, mais il n'est visiblement pas allé jusqu'au bout de ce projet. Je n'en sais pas plus, et il faudrait l'interroger directement.

Pour ce qui est de savoir s'il y avait du sens à réunir Framatome et Alstom, je comparerais volontiers le modèle d'Areva à celui de Nespresso, qui combine des cafetières et du café : les cafetières sont les réacteurs, et le café le cycle du combustible. Il est évident que le café est très rentable et que les cafetières le sont moins, en particulier en démarrage de cycle. Ainsi, Framatome s'est mis à gagner de l'argent avec le client EDF à partir d'un certain nombre de réacteurs, après des débuts très difficiles. Nous savions, en lançant l'EPR, que les premiers réacteurs seraient nécessairement déficitaires. Il était donc intelligent d'associer cafetières et café.

Deuxième problème : lorsqu'un électricien achète un réacteur, il achète séparément une technologie de réacteur qui lui sera fournie par le fournisseur de son choix et une turbine, comme une compagnie d'aviation achète séparément un avion et des moteurs. Proposer l'avion et les moteurs ensemble n'est pas une bonne idée, certains clients préférant un autre moteur ou un autre avion. En associant Framatome et Alstom, on perd les clients qui préféreraient un autre prestataire qu'Alstom avec des réacteurs Framatome, ou inversement. Ainsi, les Russes achètent souvent des turbines d'Alstom, mais ne veulent pas des réacteurs de Framatome. À l'inverse, d'autres clients achètent des réacteurs de Framatome, mais veulent leur associer des turbines de leur pays. Associer les deux ne produit pas vraiment de synergies.

Je suis très heureuse que vous m'interrogiez sur nos rapports avec Siemens, qui illustrent des variations politiques et une situation que je comprends mal. Lorsque je suis entrée en qualité d'administratrice de Framatome en 1999, un travail commun était déjà engagé sur l'EPR, mais avec une volonté politique forte de la part de l'État français – dans une période de cohabitation, je le rappelle – de faire de Siemens un actionnaire de Framatome : au-delà de la conception d'un réacteur commun, il souhaitait une prise de participation de 33 % ou 32 %. À l'époque, tout le monde voulait Siemens et trouvait que les choses n'allaient pas assez vite.

D'autre part, nous étions en train de constituer Areva avec la Cogema, TechnicAtom et Framatome, ce dernier ayant pour actionnaire Siemens et restant, dans une certaine mesure, autonome. Tout se passait très bien avec cet actionnaire minoritaire, qui n'a fait aucune difficulté à la création d'Areva comme toit global et dont le président de l'époque, Heinrich von Pierer, se montrait très amical et me prodiguait des conseils. Nous avons lancé ensemble OL3, le troisième réacteur d'Olkiluoto, et avons commencé à souffrir de part et d'autre. La participation de Siemens dans Framatome était embarrassante, car chaque synergie ou chaque mesure d'économie nous imposait de négocier avec un actionnaire minoritaire, et les gens de Framatome en profitaient pour faire valoir leur différence et refuser diverses demandes. Assez rapidement, en 2005, Siemens nous a proposé de transformer sa participation « en bas » en une participation « en haut », nécessairement plus restreinte, et de réaliser dans le même mouvement l'augmentation de capital à laquelle nous aspirions : alors que les 30 % de participation du bas auraient dû être converties en 10 % à 15 %, cette participation serait portée à 25 %, ce qui représenterait l'augmentation de capital nous permettant de financer ce que nous avions à financer. Cette proposition, qui me semblait très appropriée, en particulier dans l'ambiance franco-allemande positive qui prévalait alors, s'est heurtée à un refus de l'État français, réitéré lorsque j'ai renouvelé la demande en 2006 et 2007.

Or, les clauses prévues par Framatome lors de l'entrée de Siemens au capital donnaient à cette dernière trois fenêtres de sortie : l'une d'entre elles était le refus français de sa proposition, refus formulé, du reste, en des termes assez désagréables, au motif que Siemens serait l'ennemi d'Alstom – que l'État voulait encore nous refiler. C'était d'autant plus dommage que nous proposions, à la demande d'un ministre des finances, un plan assez intelligent : Alstom ayant alors trois activités – l'énergie, le ferroviaire et les chantiers navals –, il se serait agi de constituer une coentreprise avec Siemens pour l'énergie, une autre pour le ferroviaire et de demander à l'État une solution pour les chantiers navals – solution qu'il a fini par trouver.

Face au refus de l'État, en 2007, Siemens a fait jouer la clause qui lui permettait de sortir, et cela d'autant plus volontiers que le nouveau président de l'entreprise, un Autrichien – donc pas très favorable au nucléaire – inaugurait une autre politique. La sortie de Siemens a contraint Areva à payer 2 milliards d'euros correspondant au montant de sa participation, dépense qui s'ajoutait à beaucoup d'autres. Nous avons cependant fait condamner Siemens en prouvant que cette entreprise, qui voulait encore faire du nucléaire, avait eu des contacts avec les Russes pour monter une coentreprise dans ce domaine, alors qu'elle n'avait pas droit de le faire puisqu'elle était encore engagée avec nous. Cette condamnation s'est traduite par une ristourne significative sur le prix de sortie. Auparavant, toutefois, je le répète, Siemens s'était très bien comportée.

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Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva

Il est important de nous pencher sur le passé pour voir les erreurs que nous avons pu commettre, mais il est également très important de voir comment nous pourrons retrouver le chemin de la réussite.

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C'est tout le sens des travaux que nous nous efforçons de conduire avec le rapporteur.

La commission auditionne ensuite M. Patrick Landais, Haut-Commissaire à l'énergie atomique.

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Monsieur Landais, vous exercez la fonction de haut-commissaire à l'énergie atomique depuis le 30 janvier 2019, succédant à Yves Bréchet, préalablement auditionné. Nous avons contextualisé le rôle bicéphale entre l'opérateur de recherche qu'est le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'expert indépendant qu'est le haut-commissaire.

Il sera intéressant de vous entendre sur la période ouverte en 2018 où un certain nombre de choix, notamment dans les stratégies de recherche, ont pu être opérés (arbitrage autour du projet Astrid, nécessité d'ouvrir d'autres études).

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Patrick Landais prête serment.)

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, compte tenu de la fonction que j'occupe et du parcours atypique qu'est le mien et il est utile que je le résume brièvement.

Je suis ingénieur et docteur en géosciences. J'ai débuté ma carrière dans l'industrie, puis je suis entré au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1987 pour diriger une unité de recherche avant de devenir directeur interrégional Grand Est. J'ai également travaillé dans deux établissements publics à caractère industriel et commercial avant de rejoindre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) en tant que directeur de la recherche et du développement, puis le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) comme directeur scientifique et de la production. En 2019, j'ai été nommé Haut-commissaire pour un mandat de quatre ans.

Outre les missions de haut-commissaire à l'énergie atomique que vous connaissez, le haut-commissaire peut également être chargé, à la demande d'un ministre, de diverses missions de conseil et d'expertise à destination du Gouvernement. Or depuis quatre ans, bien qu'ayant indiqué à plusieurs reprises ma disponibilité et mon souhait d'être pleinement associé aux actions de soutien au nucléaire initiées dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir (PIA) puis de France Relance, les ministères et entités impliquées ne m'ont jamais sollicité pour participer aux réflexions et évaluations ayant conduit aux différentes mesures mises en place.

Par ailleurs, conscient du sort réservé à de nombreux documents produits par mon prédécesseur, je n'ai pas souhaité m'autosaisir de réflexions susceptibles de mobiliser des experts scientifiques et techniques dont les compétences avaient vocation à trouver un meilleur emploi. Il est donc possible que je ne dispose pas toujours des éléments nécessaires à étayer votre réflexion.

Concernant la souveraineté énergétique, parmi les arguments cités par les Français pour supporter le développement de l'énergie nucléaire, 53 % citent la souveraineté énergétique devant la production robuste d'électricité, les coûts puis les faibles émissions de CO2. La notion de souveraineté peut être approchée sous différents angles : la base de la balance commerciale, les secteurs industriels clés localisés en France, l'absence de dépendance critique ou la capacité à contrôler les approvisionnements essentiels.

Pour la filière nucléaire, il serait possible de s'en tenir à une souveraineté technologique et à la maîtrise des cycles reposant sur les connaissances acquises et les compétences disponibles parmi plus de 200 000 personnes travaillant dans la filière. Au-delà, j'ai apprécié l'analyse récente publiée dans Les cahiers futuRIS (janvier 2022) : « L'existence de dépendances extérieures non pas tant pour les sources elles-mêmes que pour la construction des composants, des générateurs et du réseau » et « l'arrivée de techniques nouvelles entraîne des risques de perte d'autonomie stratégique et de captation de valeur par l'étranger, mais elle offre aussi des opportunités pour conquérir des positions internationales ».

La consommation primaire en France se répartit entre 40 % de nucléaire, 28 % de pétrole, 16 % de gaz et 14 % d'énergies renouvelables. Sur cette base, on pourrait considérer que le taux d'indépendance énergétique français est de l'ordre de 50 %, particulièrement si l'on considère que les 40 % de nucléaire sont produits au travers de chaudières nucléaires françaises. Ces 40 % seraient souverains. En considérant l'uranium naturel, totalement importé, on exclurait le nucléaire de la part énergétique souveraine. Nous importons 7 à 9 000 tonnes d'uranium naturel par an du Kazakhstan, premier producteur mondial, de l'Ouzbékistan, du Niger et de l'Australie pour un montant de 0,5 à 1 milliard d'euros par an. Pendant plusieurs décennies, la France a exploité des mines sur le sol national avec une production qui a culminé à 3 500 tonnes annuelles. Les dernières mines françaises ont fermé dans les années 2000.

La notion de souveraineté a donc de nombreuses adhérences aux composants, dont nous ne maîtrisons pas la production, mais qui sont essentiels au fonctionnement des usines, et à la ressource primaire désormais dépendante de pays dont la stabilité politique n'est pas acquise à long terme. Ce sujet et celui de l'indépendance semblent s'être réinvités sur la scène publique et médiatique en réponse aux crises sanitaires et géopolitiques récentes. Il est étonnant qu'il n'ait pas été au centre du débat public de façon plus permanente.

La situation actuelle de la France dans le domaine du nucléaire est absolument exceptionnelle. Elle est le seul pays au monde disposant de compétences dans l'exploitation et le traitement des ressources naturelles, de moyens industriels permettant de transformer et d'enrichir l'uranium, de compétences dans l'exploitation et la maintenance des réacteurs, et d'usines dédiées au recyclage et à la revalorisation d'une partie des matières. Poursuivre la valorisation de la matière est un objectif à se fixer puisque la filière a initié l'économie circulaire pour un certain nombre de domaines. La France dispose d'un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs permettant une comptabilité exacte, une prévision de la production, mais aussi la désignation d'une agence dédiée chargée de gérer toutes les catégories de déchets. Nous disposons d'une autorité de sûreté nucléaire (ASN) indépendante et respectée devant pouvoir adapter son action aux enjeux du nouveau nucléaire. Nous avons une filière organisée au sein d'un groupement d'industriels ainsi qu'une filière de recherche et de développement d'excellent niveau capable de soutenir la filière et de préparer les solutions futures s'il lui est donné la possibilité de se ressourcer pour mieux innover.

La France a une compétence dans le domaine nucléaire qui s'étend d'un bout à l'autre de la chaîne (de l'uranium naturel jusqu'au stockage final), et n'existe pas à ce point dans d'autres pays.

Pourtant, cette machine industrielle dotée d'atouts uniques ne peut afficher, a minima dans la situation actuelle, ni l'efficacité attendue ni la réactivité indispensable pour soutenir et accompagner la politique énergétique responsable et stabilisée de la France. Certes, la situation actuelle est le fruit de l'accumulation de crises particulièrement pénalisantes pour les industriels et l'équilibre de l'approvisionnement énergétique. Elle montre aussi la faiblesse de notre résilience face à des situations externes, voire internes, sur lesquelles la France a eu du mal à réagir. La raison en est probablement un certain manque d'anticipation.

Par conséquent, il a été légitime d'interroger l'exploitant sur l'organisation de sa maintenance prévisionnelle même si, depuis 2014, il a prévu un programme de grand carénage ayant vocation à maintenir dans le meilleur état de fonctionnement possible les réacteurs dont il a la charge. À mon sens, il faut rechercher plus en amont les vraies raisons d'une situation difficilement compréhensible au regard des atouts précédemment mentionnés. Un certain nombre de signaux forts et faibles ont été émis particulièrement au cours des dix dernières.

Premièrement, il s'agit du manque d'anticipation quant à la prise de conscience environnementale des sociétés et la perception grandissante de l'urgence climatique. La dernière décennie a été marquée par une sensibilité croissante des Français aux questions environnementales, particulièrement aux enjeux climatiques, avec une prise de conscience d'une responsabilité vis-à-vis des générations futures. Les récents baromètres placent souvent les enjeux environnementaux et climatiques devant les questions de prix ou de sécurité énergétique.

Dans cette période de profonde remise en question des priorités, la filière nucléaire bénéficie d'une sorte de rejet avec sursis, mais également d'acceptation avec réserves. Dans les derniers sondages, 80 % des Français souhaitent que le nucléaire fasse partie du prochain mix énergétique français et près de 60 % souhaitent que l'on en poursuive le développement avec la construction de nouvelles centrales nucléaires. Nous ne l'avons pas connu durant des années et cela nous place dans une situation de responsabilité.

Tchernobyl puis Fukushima ont immédiatement provoqué des modifications dans la vision de nos concitoyens sur la production d'énergie nucléaire. Nous devons accepter de regarder des halos symboliques différents du passé et plus en phase avec les préoccupations actuelles (environnement, confiance en la recherche, fierté d'une filière d'excellence et de ses emplois, confiance dans les institutions). L'un des aspects incontestables de l'énergie nucléaire est de permettre l'accès à une électricité à très faible impact climatique. Le manque d'anticipation de cette profonde, mais très fragile évolution de l'opinion publique a placé l'énergie nucléaire comme un recours contraint, non comme une opportunité d'avenir. Après le déploiement industriel des années 70 à 90, il aura fallu des années pour que les dirigeants français consentent à communiquer positivement sur le nucléaire sans utiliser de simples arguments défensifs.

De longue date, les questions énergétiques ont été abandonnées aux seuls partis et organisations environnementales qui les ont érigées en emblèmes de rupture, tant écologique qu'économique et sociétale. Il existe une forme de banalisation du discours environnemental dans les autres partis qui réinvestissent progressivement la thématique en modifiant la perception du nucléaire. Fort heureusement, les alertes du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), appelant à la plus grande vigilance, sont enfin associées à d'encore timides, mais réels appels pour inclure une part de nucléaire dans le mix énergétique futur.

Les élections présidentielles de 2022 ont également marqué un retour de l'énergie dans le débat, mais sans pour autant dépasser les stéréotypes du clivage entre nucléaire et renouvelables et sans atteindre ce que les Français attendaient, notamment sur l'approvisionnement national. Il n'est donc pas étonnant qu'après avoir longuement négligé les conséquences d'une industrialisation en dents de scie de la filière nucléaire et manqué d'un jugement de bon sens calé sur les travaux scientifiques et les analyses économiques concernant l'évolution de notre planète, les conséquences actuellement vécues illuminent la une de tous les journaux télévisés et convoquent l'expertise peu utile au détriment d'une information de fond.

Deuxièmement, une raison de fond aux difficultés que nous vivons est le manque criant de moyens adaptés à instaurer un débat apaisé et constructif sur les affaires énergétiques, particulièrement sur le nucléaire. Cela concerne évidemment la pertinence des outils actuels de débat public pour aborder des sujets complexes et sensibles comme l'énergie et le nucléaire. L'objectif n'est pas de forger un consensus peu utile, mais d'échanger sereinement sur un débat scientifique et technique reconnu dans un cadre adapté. Le retour d'expérience des débats publics sur le nucléaire montre que, la plupart du temps, la parole est préemptée par des porteurs de positions extrêmes excluant du débat les citoyens en mal d'information. J'ai ressenti cette difficulté à faire passer les messages et à obtenir une sérénité dans les échanges.

Il est urgent de faire en sorte que la commission nationale du débat public (CNDP) trouve des pistes nouvelles adaptées aux canaux de partage d'opinion pour extraire des débats des pistes enfin constructives. Ce fut le cas du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) en 2019. Il faut également donner plus de visibilité aux initiatives pouvant mobiliser les Français, comme la convention en vue de la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La CNDP a été saisie par Électricité réseau et distribution France (ERDF) et Réseau de transport d'électricité (RTE) sur la mise en œuvre d'un programme de six réacteurs et organise un débat public entre fin octobre 2022 et fin février 2023.

Les différents débats doivent bénéficier plus intensément de données d'entrée scientifiques et d'outils d'informations robustes et accessibles à nos concitoyens. Il faudra pour cela que la science s'attache à mieux prévenir, détecter, comprendre rapidement et fournir des solutions de mitigation et d'adaptation tout en conservant la capacité de mobilisation dont elle a fait preuve. Sans cela, les anathèmes ou la dictature des fake news s'opposeront encore plus radicalement à la culture et à la rationalité de la démarche scientifique. En tant qu'instrument de connaissance, la science a un rôle - secondaire, certes, mais - d'antidote à la peur.

Face à chaque nouveau défi, les compétences scientifiques et d'expertise sont essentielles pour aider à guider les décideurs. Il est primordial que les scientifiques se saisissent avec un certain opportunisme et soient saisis pour promouvoir une attention rénovée à l'égard des travaux scientifiques et d'expertise associés. Il est tout aussi indispensable que le politique éclaire et appuie davantage sa décision sur l'évaluation scientifique et technique. Ce sont des préalables à une meilleure instauration de l'indispensable débat public, mais également à une plus grande robustesse dans la construction de la décision publique.

Troisièmement, un cap cohérent avec la cinétique de développement des moyens de production d'énergie nucléaire et reposant sur une pérennisation des moyens de formation et de recherche et développement doit être fixé. Depuis sa création, le programme nucléaire français a évolué au gré de décisions prises au sommet de l'État. Au début des années 60, la commission pour la production d'électricité d'origine nucléaire (PEON) a préconisé le développement de l'énergie nucléaire pour pallier le manque de ressources énergétiques nationales. Ensuite, des chocs pétroliers et le souhait d'indépendance énergétique des pays occidentaux ont amené le gouvernement Messmer à décider d'un programme nucléaire. Le gouvernement Mitterrand a par la suite décidé de réduire le rythme des travaux et de ne mettre en service qu'une tranche par an. Les grands chantiers se sont poursuivis avec la construction d'une vingtaine de tranches jusqu'en 1994, puis de quatre tranches supplémentaires jusqu'en 1999. Au cours de cette période d'intense développement, des choix de concepts ont été faits, souvent au nom de la rentabilité économique, parfois au titre de la standardisation, mais pas sur la base de l'indépendance technologique et, de temps à autre, à la suite d'oppositions plutôt stériles entre industriels français sur des projets nationaux ou à l'export.

Les citoyens français n'ont eu d'autre choix que d'observer les choix de développement ou de ralentissement de l'électronucléaire français. Si leur soutien était fort à l'origine, l'apparition de mouvements militants antinucléaires au cours des années 70 a bouleversé l'opinion et engendré des manifestations contre les nouvelles centrales nucléaires. En réponse, les pouvoirs publics se sont cantonnés à la construction de paliers plus puissants pour limiter le nombre de nouvelles centrales et les concentrer sur un foncier existant. À partir de 2010, l'avènement du parti écologiste opposé au nucléaire a entraîné, par un jeu d'alliances politiciennes, la réduction de la part de cette énergie dans le mix énergétique français, puis la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim.

Ce bref historique montre que la décision politique s'accommode peu ou mal du temps de la science et de la technologie, notamment dans le domaine nucléaire. Le temps du nucléaire est long, en raison des questionnements scientifiques, des solutions technologiques à mettre en œuvre, et des règlementations liées à la sûreté et à la sécurité des installations. Ainsi, un cap robuste, réfléchi, scientifiquement et techniquement argumenté, doit être préparé avec une grande attention, notamment dans l'optique de la révision de la PPE en 2023.

Certes, les accidents de Tchernobyl et Fukushima ont constitué des points d'arrêt. Certes, le développement des énergies renouvelables (EnR) et technologies associées a pu donner au nucléaire un « coup de vieux », notamment pour la jeunesse européenne. Certes, les retards accumulés et les dépassements budgétaires considérables associés à la construction des premiers réacteurs à eau pressurisée (REP) n'ont pas été de nature à donner une image positive du nouveau développement de cette énergie. Certes, les nouvelles contraintes de sûreté ont conduit à des révisions de conception ou à des adaptations significatives. Certes, la compétition entre maîtrises d'œuvre n'a pas été de nature à constituer une force industrielle nationale capable d'harmoniser les compétences pour relancer la filière sur le sol français et gagner des marchés à l'étranger.

Ces éléments peuvent constituer des freins ponctuels à un développement continu du nucléaire, mais ne peuvent expliquer à eux seuls les errements ou certaines décisions aux pénibles conséquences, en particulier le ralentissement du développement initié dans les années 90. Outre son incohérence avec les temps longs, des conséquences notables ont été constatées en pertes de compétences et limitation des actions de formation initiale et continue : désaffection des étudiants pour les métiers du nucléaire ; recherche et développement souvent pilotés par des contingences politiciennes entraînant des évolutions chaotiques et des changements d'orientation pénalisants.

Les décisions qui accompagneront notamment la future PPE et la révision du contrat stratégique de la filière nucléaire devront veiller à éviter ces écueils porteurs de détriments significatifs. Elles devront dresser un cap logique, techniquement réalisable, compétitif et reposant sur les besoins industriels et les attentes sociétales. Elles devront favoriser une intégration plus importante des technologies accompagnant largement d'autres filières industrielles, comme les jumeaux numériques, l'intelligence artificielle ou la cyber-sécurité. La France devra être plus offensive sur le sujet.

Quatrièmement, concernant les éléments supports aux choix qui devraient être opérés par un État stratège et éclairé, le mix énergétique français devra prendre en considération les nouveaux besoins, nouveaux usages, nouvelles sensibilités et les conséquences des crises actuelles. Le mix énergétique doit être optimisé au regard des besoins futurs qui, s'ils sont satisfaits, rendront notre pays attractif pour les implantations industrielles et stable en matière d'approvisionnement énergétique.

Il ne s'agit aucunement d'opposer entre elles les technologies de production d'énergie. La souveraineté durable reposera sur une combinaison des différentes sources d'énergies décarbonées et intègrera leurs contributions respectives dans des réseaux disposant de moyens de stockage de l'énergie efficients. Il ne s'agit pas non plus, en matière de nucléaire, d'opérer des choix exclusifs. L'évolution du marché mondial montre une inévitable et sans doute profitable diversification des usages du nucléaire (production d'hydrogène vert, réseaux de chaleur, dessalement de l'eau de mer) qui conduit à la nécessaire coexistence de réacteurs de concept, de taille et de puissance différentes, adaptés aux besoins des utilisateurs. En marge de la rentabilité économique, la flexibilité et l'adaptabilité seront les maîtres-mots des prochaines générations de réacteurs.

Plus de quatre-vingts projets de réacteurs nucléaires de petite taille sont en développement, principalement en Amérique du Nord, en Europe et en Chine. Ils reprennent pour la plupart des technologies déjà développées dans les années 60 et 70, notamment en France et aux États-Unis. Ils visent de nouveaux marchés liés aux lieux de production industrielle isolés ou aux lieux de vie non connectés au réseau (nord du Canada, Scandinavie), mais aussi aux besoins nouveaux de décarbonation exprimés par de grands industriels. Dow Chemical et X-energy ont annoncé en août 2022 avoir signé une lettre d'intention qui aidera Dow Chemical à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de carbone grâce au développement d'un small modular reactor (SMR) en lien direct avec ses usines.

Il s'agit d'un changement de paradigme majeur : de grands industriels producteurs de quantités non négligeables de CO2 sont décidés à s'associer avec des concepteurs de réacteurs pour décarboner leur industrie et ainsi convaincre les marchés et les citoyens. Ces éléments doivent être pris en compte pour construire un nucléaire plus souverain et intégré dans la société.

L'urgence existe d'autant plus que si l'on souhaite intégrer une part du nucléaire significative dans le futur mix énergétique mondial, il faudra prendre en compte que le parc mondial, soit quelque 450 réacteurs produisant 10 % de l'énergie mondiale, vieillit plus vite qu'il n'est renouvelé.

Dans les économies avancées, Chine mise à part, le nucléaire perd inexorablement du terrain face aux autres énergies, gaz et gaz de schiste notamment. Avec l'arrêt programmé d'une part non négligeable de la capacité nucléaire internationale actuelle d'ici cinq à dix ans et le temps nécessaire au développement et à la mise en route de capacités nouvelles, un rebond de créativité, d'investissements et de modèles novateurs est nécessaire. Sans ce sursaut et l'urgence d'une mise en œuvre industrielle sur laquelle le Parlement devrait se mobiliser au plus vite, le nucléaire sera à nouveau remis en question pour son incapacité à participer à la mitigation des problèmes climatiques.

Sur le plan technique, la France a fait le choix de l'économie circulaire. Le recyclage, la réutilisation et la valorisation des matières font que 96 % du combustible usé peut être revalorisé dans d'autres applications. À ce stade, la France est le seul pays au monde à avoir opéré ce choix réellement industriel qui a bénéficié à d'autres pays européens et au Japon en particulier.

Outre les aspects technologiques associés au recyclage et à la fabrication des combustibles, mélanges d'oxyde de plutonium (MOX) en particulier, la difficulté pour équilibrer le système consiste à contrôler les flux de matière et à disposer de capacités d'entreposage temporaires pour le refroidissement – de 5 à 7 ans - des combustibles usés et déchargés, soit 1 000 tonnes par an et 100 tonnes de MOX usé, des colis vitrifiés, soit ce stade 5 000 m³ de colis conditionnés, en attente d'un stockage géologique et le plutonium, soit 80 à 100 tonnes, destiné à alimenter de futurs réacteurs. Si ces flux ne sont pas correctement ajustés et si nous ne disposons pas de capacités industrielles pour ce faire, un engorgement des capacités d'entreposage pourrait être constaté d'ici une dizaine d'années. Une piscine permettant l'entreposage du MOX devrait être opérationnelle en 2034 sur le site de La Hague, EDF ayant saisi la CNDP pour l'organisation de la concertation.

Le choix français sur l'aval du cycle se distingue de celui de la plupart des pays disposant de capacités de production d'énergie nucléaire. Certains ne disposent que de quelques réacteurs. Il serait économiquement impensable qu'ils se dotent de capacités propres de retraitement et de stockage. L'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et l'Italie ont fait appel à la France pour traiter leurs combustibles et conditionner les déchets générés. Seuls la France, la Russie et le Royaume-Uni possèdent actuellement des usines de retraitement à l'échelle industrielle. Les Etats-Unis, principalement pour des raisons de non-prolifération, n'ont pas fait le choix du retraitement. La Chine hésite et beaucoup d'autres pays ont fait le choix du stockage géologique direct, sans aucun retraitement, des combustibles usés.

Enfin, il faut prendre en compte l'évolution des concepts de réacteurs et la typologie des combustibles associés. La France, comme de nombreux autres pays, a fait le choix des REP et de l'oxyde d'uranium, standardisant ainsi la nature des combustibles usés et permettant le retraitement. Si d'autres types de combustibles de type tristructural isotrope (TRISO) destinés aux réacteurs à haute température devaient être utilisés, il serait très probablement nécessaire de disposer de processus adaptés et spécifiques à leur retraitement, leur éventuel recyclage puis au conditionnement des déchets ultimes.

Les questionnements sur la gestion du cycle ont évidemment été abordés dans le cadre des projets de réacteurs à neutrons rapides (RNR). Chacun peut avoir son opinion sur le sort réservé, en France, au projet de réacteur à neutrons rapides et sur les motivations ayant conduit à ce choix, mais force est de constater que le report du projet Astrid était peu justifié d'un point de vue scientifique et technique, insuffisamment expliqué sur le plan politique et économique, et peut-être décidé trop brutalement dans une période charnière pour les choix énergétiques français, notamment en matière de nucléaire. Cela n'a pas été de nature à donner aux Français une image cohérente de la politique nucléaire nationale à un moment où la construction de l'EPR accumulait des retards et où l'on percevait les prémices d'une prise de conscience mondiale quant à la nécessité de décarboner les productions énergétiques.

La situation me paraît néanmoins différente de celle de 1998 avec la fermeture de Superphénix qui était destiné à produire de l'électricité avant de devenir un laboratoire de recherche et de démonstration en 1994. À l'époque, la nécessité de décarboner l'énergie était absente des débats et des prix de l'énergie relativement bas ont conduit à arrêter les investissements. La ministre Voynet a ensuite revendiqué sa position antinucléaire devant une commission d'enquête présidée par Robert Galley, et le fait que les besoins énergétiques exprimés avaient été mal appréciés à cette époque et ne nécessitaient pas le déploiement de nouveaux moyens de production.

La France n'est le seul pays au monde soumis à de tels arrêts brutaux, comme en témoigne le sort réservé aux réacteurs à sels fondus arrêtés aux États-Unis après trois années de fonctionnement.

Pour revenir au concept des RNR, je considère qu'ils s'intègrent pleinement dans le choix de la filière nucléaire d'inscrire son cycle dans l'économie circulaire. Le retraitement des combustibles, l'enrichissement de l'uranium issu du retraitement, l'utilisation du MOX dans une vingtaine de réacteurs, l'optimisation des EPR conduisent à limiter la consommation d'uranium naturel d'environ 20 %. Le déploiement des RNR apportera une dimension supplémentaire à cette démarche vertueuse en valorisant les 320 000 tonnes d'uranium appauvri dont nous disposons actuellement. Il valorisera le plutonium stocké en contribuant à incinérer certains radionucléides pénalisants. Cela impose de disposer des moyens de gestion de l'amont et de l'aval du cycle. À ce stade, cela ne semble pas pleinement résolu et peut expliquer le décalage du déploiement des RNR en France. En effet, les combustibles MOX envisagés et produits avec succès pour les futurs RNR contiendraient environ 20 % de plutonium contre 1 % dans les oxydes d'uranium (UOx) usés et 6 à 7 % dans les MOX usés actuels. On change de paradigme et on ne peut aller vers la réalisation industrielle d'un RNR sans s'assurer de la maîtrise complète du cycle. Dans d'autres conditions, il eut sans doute été possible de traiter les choses différemment.

Enfin, on a souvent avancé que les réserves réduites d'uranium naturel seraient de nature à favoriser le fonctionnement de RNR consommant moins d'uranium naturel. Selon la croissance ou non de l'énergie nucléaire mondiale, les estimations sont de l'ordre de 100 à 250 ans de consommation d'uranium naturel. Cela ne concerne pas obligatoirement la capacité et l'amélioration des techniques d'exploration et d'exploitation de l'uranium dans le sous-sol. Au cours des dernières années, des pays comme le Kazakhstan et l'Ouzbékistan ont été capables de détecter des ressources jusqu'alors par complètement envisagées.

Mon inquiétude porte sur la localisation des ressources majeures actuelles. L'Ouzbékistan et le Kazakhstan fournissent probablement 70 % de l'uranium chinois. Si ces deux grands pays producteurs d'uranium sont les seuls à continuer l'exploration et l'exploitation d'uranium, il faudra se questionner sur l'approvisionnement français et européen. En effet, d'autres pays ont de très grandes réserves. Les plus grandes réserves mondiales sont en Australie. Encore faut-il avoir la certitude que l'Australie acceptera de rouvrir des mines pour des productions importantes d'uranium naturel. Les ressources sont effectivement limitées, mais elles peuvent être augmentées très significativement. Pour autant, la localisation des ressources, les modalités d'exploitation et l'attitude d'autres pays détenant des ressources importantes sont à observer avec une extrême attention pour l'avenir.

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Merci pour ce propos introductif.

Pour vous, quel est le rôle du haut-commissaire à l'énergie atomique ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Selon la loi, le haut-commissaire à l'énergie atomique a trois fonctions : être à la tête d'une chaîne de contrôle sur un certain nombre d'installations du nucléaire militaire, être conseiller scientifique auprès de l'administrateur général du CEA et, enfin, être mobilisé par le Gouvernement sur des questions d'intérêt et relevant du périmètre de ses actions.

Pour la fonction de conseiller auprès de l'administrateur général du CEA, il faut prendre en considération le périmètre scientifique du CEA. Le CEA conduit une telle diversité de recherches qu'il est devenu un établissement s'intéressant à un domaine beaucoup plus large que le nucléaire et l'énergie. De fait, le rôle du haut-commissaire a forcément évolué.

La fonction de haut-commissaire a été créée il y a plus de soixante-quinze ans et a peu évolué dans les textes. Avec l'évolution du système de recherche national et son écosystème, ainsi que l'évolution du paysage industriel nucléaire national, il semblerait utile de repenser le rôle du haut-commissaire et de le repositionner afin qu'il puisse conseiller scientifiquement l'ensemble de la filière et être présent dans les instances où sont discutées les orientations scientifiques et technologiques. Il pourrait apporter au gouvernement un regard scientifique sur la progression des recherches et les technologies à mettre en œuvre dans le domaine électronucléaire.

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En introduction, vous indiquiez n'avoir jamais été sollicité pour donner un quelconque avis depuis 2019.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Mon avis n'a pas été sollicité dans les domaines concernant la relance du nucléaire comme PIA ou France Relance.

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Alors qu'il existait un intérêt renouvelé pour le nucléaire, y compris national, avec un discours politique des responsables en place radicalement différent, l'administration chargée d'apporter une tierce expertise sur les questions nucléaires n'a donc jamais été sollicitée.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Pas sur les sujets que j'ai cités et je l'ai vivement regretté.

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Un débat important a été animé sur le PNGMDR. Avez-vous été sollicité dans ce cadre ? Si oui, pourquoi ? Sinon, qu'en pensez-vous ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Le haut-commissaire n'est généralement pas consulté sur le PNGMDR qui est entre les mains du ministère en charge et de l'ASN. En revanche, j'y ai travaillé dans d'anciennes fonctions et j'ai étudié avec grand intérêt son évolution. Le PNGMDR est mis à jour régulièrement. Il constitue une bible pour la filière et permet à chacun de connaître les volumes et la localisation des matières et déchets associés au cycle électronucléaire. Cela répond à une demande européenne et se révèle utile, notamment pour débattre du statut attribué à telle matière. Il est important de conserver le PNGMDR qui permet de communiquer des bilans au public, de les partager avec la filière et de se questionner.

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Lorsque vous avez été nommé, avez-vous échangé a minima avec le ministre en charge sur la façon dont la fonction est conçue, même si elle bénéficie d'une indépendance dans la production d'avis ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Les auditions qui précèdent la nomination se déroulent essentiellement avec les directeurs de cabinet des ministres concernés. Le candidat exprime son intérêt et les points qu'il imagine importants dans sa future fonction. Aucune feuille de route ne m'a été transmise. Je l'ai donc organisée.

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Puisque vous avez organisé votre feuille de route et que l'on ne vous sollicite pas, que faites-vous ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Ma charge de travail au sein du CEA est significative : lancement de programmes, organisation de la filière Experts du CEA, présidence du Conseil scientifique du CEA, animation de nombreuses réflexions scientifiques, thèses, etc. Mon cabinet est très restreint, mais nous avons fait en sorte de conduire des réflexions sur des sujets tels que le nucléaire et la société susceptibles d'apporter des éléments complémentaires fournis dans mon discours introductif.

Ma première fonction – le contrôle gouvernemental de l'intégrité des moyens de la politique de dissuasion – demande du temps et dispose d'une direction déléguée d'une dizaine de personnes.

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Devant cette commission, votre prédécesseur a regretté les suites données au projet Astrid. J'imagine que vous trouvez la décision légitime et correspondant à vos aspirations au regard de votre introduction et de votre acceptation du poste de haut-commissaire.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Le haut-commissaire n'a pas vocation à accepter les décisions de l'État. Il est nommé pour constituer une autorité indépendante apportant des éclairages qui sont les siens.

Sur le projet Astrid, la rupture a été relativement brutale et insuffisamment expliquée aux salariés du CEA. L'arrêt du projet aurait pu être politiquement mieux justifié. Je conçois que des recherches supplémentaires sur les combustibles soient nécessaires. Certains ont laissé entendre qu'il s'agissait d'un incinérateur, mais cela est plus complexe. Un combustible mixte doit être constitué pour être travaillé à très haute température, conduisant à des produits de fission gazeux en quantité. Ces sujets demandent du temps. Nous pourrions y revenir plus rapidement que prévu. Des RNR sont lancés aux États-Unis et en Chine. Il serait donc préférable que l'on fasse de même en Europe. La décision était légitimée par des choix politiques et industriels, mais relativement brutale. Pour autant, elle laisse une possibilité de retour et d'exploitation des RNR dans un futur qui ne doit pas être trop distant. La démarche est correcte si les recherches et la veille sont poursuivies dans l'intervalle et que l'on dispose des moyens pour affirmer la maîtrise totale du réacteur, des combustibles, du type de refroidissement et l'aval du cycle.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Je crois y avoir répondu.

Il y a eu une certaine brutalité et, à mon sens, un manque d'explication politique. La décision a sans doute été prise selon des critères techniques avérés. Je souhaite simplement que l'on n'attende pas trop pour que le dispositif puisse être industriellement remis en fonction.

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L'actuel administrateur général du CEA nous a indiqué qu'il avait du mal à comprendre sa construction bicéphale. Des démarches auraient été engagées pour aboutir à une nouvelle architecture. Le confirmez-vous ? Que pensez-vous du souhait de révision de l'architecture par l'administrateur général du CEA ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

De mon point de vue, l'architecture du CEA n'est pas bicéphale. Le haut-commissaire n'a aucun poids hiérarchique dans le fonctionnement du CEA et n'est d'ailleurs pas payé par ce dernier.

Il a été demandé à François Jacq et moi-même de formuler des propositions d'évolution pour la fonction de haut-commissaire. Nous l'avons fait il y a près d'un an et demi par un document cosigné et transmis aux tutelles. À elles d'en faire le meilleur usage.

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Pourquoi regrettez-vous de ne pas avoir de feuille de route si votre rôle est de conseiller et d'alerter ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Je ne suis pas haut-commissaire du CEA. Il faut distinguer la fonction de conseil auprès de l'administrateur général du CEA de ce qui relève d'une demande de l'État et ne concerne pas obligatoirement le CEA.

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Échangez-vous régulièrement avec l'administrateur général du CEA ? Avez-vous pu lui apporter des conseils en matière d'énergie nucléaire ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Nous avons des échanges réguliers et des discussions techniques d'intérêt. Encore une fois, compte tenu de la diversité de l'activité scientifique et technologique déployée au CEA, je ne me suis pas intéressé qu'à l'énergie nucléaire.

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Vous êtes pourtant haut-commissaire à l'énergie atomique.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Oui. Dès lors que vous conseillez scientifiquement l'administrateur général, vous réalisez des opérations n'entrant pas obligatoirement dans le cadre de l'énergie nucléaire. Certains programmes que j'ai promus peuvent être appliqués à l'énergie, mais sont d'un domaine beaucoup plus large.

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Depuis le début de votre audition, nous sentons une forme de malaise à l'égard de votre fonction, à l'égard de l'administrateur général ou à l'égard du Gouvernement. Si tel est le cas, sur quoi est-ce fondé ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Je suis peiné d'avoir laissé passer ce message. Je n'ai aucun problème avec l'administrateur général que je connais depuis fort longtemps et avec qui j'entretiens des relations amicales.

J'ai dit avoir regretté de ne pas être mobilisé sur des sujets qui m'auraient intéressé et qui auraient pu bénéficier de l'expertise et de l'avis indépendants du haut-commissaire. Je ne l'ai pas été. Je l'ai regretté et je le regrette encore.

Aujourd'hui est mon dernier jour de travail et il s'agit de la dernière fois où je m'exprimerai en tant que haut-commissaire. Tout scientifique a des regrets de ne pas pouvoir contribuer à une mission qu'on lui avait décrite comme passionnante. Beaucoup de choses m'ont toutefois énormément plu, notamment au CEA.

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Votre prédécesseur n'a pas toujours attendu d'être sollicité pour donner son avis, y compris sur des programmes importants. Avez-vous adopté une attitude différente ou avez-vous émis des avis sur des sujets sur lesquels vous n'aviez pas été sollicité ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Lorsque j'ai eu l'opportunité de rencontrer des membres des cabinets ou de directions générales, je leur ai transmis mon avis.

J'avais constaté qu'Yves Bréchet avait produit et transmis beaucoup de documents, mais il a eu la perception de ne pas avoir été réellement pris en considération. Ma position était donc la suivante : si l'on me demande de réaliser une analyse, je la ferai, car il s'agit de mon travail. Si l'on ne me demande rien, pourquoi devrais-je mobiliser des experts, qui ont par ailleurs beaucoup de travail, pour réaliser une analyse qui ne sera utilisée par personne ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Le haut-commissaire n'est pas comparable à l'ASN. Il n'est pas une autorité, mais un individu accompagné de collègues. Il a vocation à transmettre des avis en interne comme en externe. Pour les exploitants, les avis et recommandations de l'ASN doivent être suivis d'actions claires devant être soldées dans un temps donné. Le haut-commissaire conseille, mais ne prescrit pas.

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Pour autant, sur des sujets d'intérêt national comme de grands programmes de relance, si vous aviez eu quelque chose à dire, j'imagine que vous l'auriez formulé.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

J'ai fait un autre choix.

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Vous dites ne pas avoir été saisi par le Gouvernement sur le sujet des programmes liés au nucléaire. Sur le projet Astrid, vous a-t-on demandé un avis avant de l'arrêter ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Je n'étais alors pas haut-commissaire.

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Avez-vous été consulté sur le programme relatif aux SMR ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Non.

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Quid de l'optimisation de l'EPR dit « EPR 2 » ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Non plus.

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J'imagine qu'un travail a été mené entre RTE et l'État, notamment sur le fait que la filière ne serait pas à même de produire plus de six plus huit réacteurs en trente ans. Avez-vous été consulté ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Non.

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Avez-vous été consulté sur l'annonce du Gouvernement de mener ce projet de six plus huit réacteurs ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Non.

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Avez-vous été consulté sur le choix de Penly comme premier site ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Non plus.

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Sur le sujet que vous avez ouvert sur la question de l'impasse sur l'aval, vous n'avez pas expliqué ce que des réacteurs utilisant de l'uranium enrichi à 20 % donneraient comme produits.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Il s'agit de constructeurs américains. Lorsque je les ai interrogés sur leur gestion de l'aval du cycle, ils ont apporté une réponse globale, mais non argumentée scientifiquement. Le cœur de leurs préoccupations est de faire avancer leur concept, de le faire accepter par l'autorité de sûreté locale, de le réaliser avec des coûts acceptables et de l'implémenter le plus rapidement possible sur des sites industriels.

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Votre exposé m'inspire une comparaison avec le domaine spatial : des start-ups étrangères lancent des concepts et prennent une avance considérable alors que le centre national d'études spatiales (CNES) voit les limites de ses projets plutôt que les opportunités. En est-il de même avec la filière nucléaire française et européenne en raison des exigences de l'administration, du politique, à une filière exhaustive, des contingences, etc. ?

Que pensez-vous des réacteurs à très haute température ? Le modèle développé par la Chine pourrait-il considérablement améliorer la production d'hydrogène ? Cet enjeu n'est pas anecdotique vis-à-vis de la capacité à mener à bien une transition énergétique et une croissance verte. La crédibilité d'une filière hydrogène rentable pour remplacer tout ou partie du combustible fossile pourrait-elle en être améliorée ?

Selon vous, où en sont les Russes et les Chinois en matière de surgénération ?

Les autorités américaines ont annoncé une percée dans la fusion. Pensez-vous qu'il s'agisse d'un effet d'annonce ? Quel est l'impact vis-à-vis du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) ? Des responsables considèrent que le retard administratif du projet ITER entraîne un coût considérable alors que les résultats auraient pu être plus rapides.

Enfin, pouvez-vous donner un retour d'expérience sur le réacteur de recherche Jules Horowitz, son retard et ses implications sur la souveraineté française ?

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

S'agissant des SMR et de l'innovation, la France est légèrement en retard sur les Etats-Unis. Ce que fait la Chine est très particulier et très autonome. Il en existe actuellement environ 80 de différents types.

En 2022, en France, il a été décidé que 500 millions d'euros seraient apportés par l'État pour soutenir le projet NUWARD (pour nuclear forward ) d'un petit réacteur à eau pressurisée. Par ailleurs, 500 millions d'euros ont vocation à alimenter des projets portés par des start-ups et qui seraient différents du projet NUWARD. La qualité de l'ingénierie et de la recherche française doit être en mesure d'accélérer pour entrer à nouveau dans la compétition internationale. Je crains qu'il soit difficile de rattraper le retard, mais des discussions européennes pourraient amener des débouchés internationaux pour les réacteurs conçus en France.

Les réacteurs à très haute température sont utiles pour la production d'hydrogène, peuvent être utiles pour de la chaleur et peuvent être dimensionnés intelligemment. Pour autant, ils font intervenir des masses importantes de graphite. Or, il s'agit de la seule masse de déchet pour laquelle nous ne trouvons pas de solution adaptée et proportionnée à sa dangerosité. La relance de ce type de projet sans s'être soucié en amont de la gestion du graphite au démantèlement me gêne. Il existe toutefois un réel intérêt dans l'application in fine.

La nature des réacteurs qui seront construits dans le monde sera liée aux besoins de la société, d'une part, et aux besoins des industriels, d'autre part. Les besoins des industriels sont particuliers (puissance, température, manœuvrabilité des outils de production d'énergie). Il existera donc une diversité des concepts mis en œuvre industriellement. Les besoins dicteront le choix du type de réacteur.

Sur la fusion, le système américain est de taille beaucoup plus restreinte que le projet ITER et n'est pas basé sur le même principe. Les progrès dans le domaine des lasers autorisent désormais ces réflexions et leur usage dans des applications nucléaires particulières. Il existe sans doute une ouverture, mais je crois que les Etats-Unis font très bien leur publicité.

S'agissant de l'urgence climatique, la France a produit légèrement plus de 70 % d'électricité avec une énergie décarbonée. A posteriori, elle avait anticipé l'urgence climatique, pas seulement les conséquences d'un choc pétrolier qui était le point de départ.

Enfin, le projet de réacteur de recherche Jules Horowitz a débuté dans les années 90, peut-être trop tôt par rapport aux technologies à mettre en œuvre. Sa construction était très complexe et des évolutions du management de l'ingénierie relativement comparables à celles de la construction de l'EPR sont intervenues, en lien avec la perte de compétences en France depuis les années 2000. Ce réacteur est un outil indispensable pour le futur. Le projet a été repris en main en 2019 et j'espère que nous disposerons de ce réacteur expérimental extrêmement important pour continuer à progresser.

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Estimez-vous que la France est sur le point de relancer sa filière nucléaire grâce à la remise en route des fondamentaux ayant contribué au succès du programme nucléaire historique français ? Je crains qu'il s'agisse uniquement d'annonces venant du sommet de l'État.

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Patrick Landais, haut-commissaire à l'énergie atomique

Je ne partage pas complètement votre inquiétude. La France est l'unique pays au monde disposant d'une filière allant de l'extraction de l'uranium au stockage des déchets. Certains éléments de cette construction, dans les développements et les solutions apportées, peuvent être relativement récents. Pour exemple, l'ANDRA déposera une demande d'autorisation de construction pour le projet Cigéo d'ici début 2023. Sur ce sujet particulier et important, la France est un leader. Dans d'autres pays, ce sujet n'a pas été abordé suffisamment en amont ou se trouve bloqué. Sur l'aval, les contraintes administratives sont fortes, mais sans doute nécessaires. Le travail avec l'ASN est permanent, mais long. Pour Cigéo, l'instruction par l'ASN durera probablement cinq ans, temps nécessaire pour s'assurer du niveau des concepts techniques et des soutiens scientifiques.

Je ne dirai pas que nous sommes à la traîne. Je crois surtout qu'une constance politique dans les orientations est nécessaire. Si l'on change de direction au milieu d'un temps long, il est plus difficile pour la filière de s'organiser. Des directives fortes et stabilisées donneraient aux concitoyens une vision raisonnable de ce que sera l'énergie nucléaire en France.

Si l'on redéveloppe le nucléaire à la hauteur de l'annonce formulée à Belfort par le Président de la République, près de 30 000 personnes seraient nécessaires dans la décennie à venir. Des compétences sont à reconstruire. Il faudra donc attirer des jeunes et redynamiser les formations, ce qui est complexe. Encore une fois, la recherche et la formation sont importantes et doivent bénéficier d'une pérennité d'action qui n'a peut-être pas été complètement conservée les dernières années.

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La séance s'achève à 18 heures 56.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Antoine Armand, Mme Maud Bregeon, M. Francis Dubois, Mme Julie Laernoes, M. Alexandre Loubet, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.