La réunion

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Mercredi 8 mars 2023

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

La commission auditionne Mme Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône.

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Nous auditionnons, à huis clos, Mme Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône, à qui je souhaite la bienvenue.

Madame la préfète de police, nous vous entendons en tant qu'autorité chargée d'animer et de piloter le groupe d'évaluation départemental (GED). Cette structure pluridisciplinaire a vocation, au niveau territorial, à décloisonner les informations entre les différents services chargés de la gestion et du suivi des personnes radicalisées, en milieu ouvert comme en détention. Nous souhaitons que vous nous présentiez cet outil souvent méconnu – sa vocation, la manière dont il fonctionne, les différents services qu'il réunit – et que vous précisiez les spécificités du GED des Bouches-du-Rhône, compte tenu de l'importance de ce département et de ses caractéristiques propres, au regard des profils des détenus qui s'y trouvent.

Nous voudrions aussi savoir comment le cas de Franck Elong Abé a été traité au sein du GED. Son profil présentait-il des spécificités, « sortait-il du lot » compte tenu de sa dangerosité ? Quelles étaient les analyses des différents services participant au GED à son égard ?

De manière plus prospective, identifiez-vous des voies d'amélioration du dispositif, qu'il s'agisse de la composition du GED, de son organisation ou de son fonctionnement ? Je pense notamment aux relations – ou, plutôt, à l'absence actuelle de relations – avec l'autorité judiciaire, en particulier les magistrats chargés de l'application des peines.

Notre rapporteur vous a adressé une liste de questions pour préparer cette audition. Nous vous remercions de bien vouloir transmettre ultérieurement à la commission vos éléments de réponse écrits, ainsi que toute autre information que vous jugerez utile de porter à sa connaissance.

Madame la préfète de police, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Frédérique Camilleri prête serment.)

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

Je suis heureuse de pouvoir contribuer aux travaux de votre commission. Les GED ont été créés par une instruction conjointe des ministres de l'Intérieur et de la Justice du 25 juin 2014 et leur fonctionnement a été précisé par note du ministre de l'Intérieur le 1er juillet 2015. Le 14 décembre 2018, faisant le constat qu'il subsistait des disparités entre départements, le ministre de l'Intérieur a rédigé une nouvelle instruction, toujours en vigueur, précisant la composition, la périodicité, les missions et le fonctionnement général des GED.

Cette circulaire confie au GED trois missions. La première consiste à organiser le décloisonnement des services et de l'information qu'ils peuvent échanger sur des individus radicalisés au niveau départemental et à favoriser les échanges avec l'échelon central le cas échéant. Sa deuxième mission vise à s'assurer que chaque individu signalé pour une radicalisation potentiellement violente fait bien l'objet d'une évaluation opérationnelle puis, en fonction de cette évaluation, d'un suivi effectif – j'insiste sur ce terme – dans la durée. Enfin, sa troisième mission est de décider de l'inscription, de la suppression ou de la clôture des cas signalés dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Le GED s'assure que tout signalement fait l'objet d'une évaluation, quelle que soit sa source, par exemple via la plateforme téléphonique nationale que chaque citoyen peut appeler pour signaler un cas, le réseau des référents radicalisation mis en place dans différentes institutions, ou le travail d'initiative des services eux-mêmes. Sauf exception, tout cas porté à la connaissance des services fait l'objet d'une évaluation en moins de quatre mois. À l'issue de cette évaluation, le GED doit décider de la suite à donner au signalement : soit son abandon pur et simple, notamment à la suite d'une dénonciation calomnieuse ou de la mauvaise appréciation d'une situation, soit sa prise en compte – c'est le terme consacré – par un service et son inscription au FSPRT. Dans ce dernier cas, le GED doit désigner le service chargé du suivi et, éventuellement, un service cotraitant. Si deux services sont chargés du suivi, l'un d'eux est toujours désigné chef de file.

Dans la durée, le GED vérifie que le suivi est bien effectué et que les informations recueillies sont mises à jour et partagées selon le rythme prévu par les circulaires. Chaque cas est ainsi examiné plusieurs fois, après l'évaluation puis de façon régulière au cours de la vie du signalement. Il peut alors être décidé de maintenir le suivi, d'adapter son niveau, de le transférer à un autre service ou à la cellule de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF) – le suivi devient alors social et l'individu concerné « sort du radar » du GED – ou de le clôturer.

Le GED est également chargé d'éviter toute rupture du suivi d'un individu radicalisé. En cas de changement de département, il vérifie que le cas est transféré dans celui où l'individu résidera. Il s'assure que tout individu incarcéré est bien suivi au moment de sa libération par un service travaillant en milieu ouvert, ou à l'inverse que les informations recueillies en milieu ouvert sont bien transmises à l'administration pénitentiaire en cas d'incarcération. L'objectif final, si vous me permettez l'expression, est d'éviter tout « trou dans la raquette » dans l'évaluation et le suivi de ces signalements. L'enjeu est d'effectuer les bons choix : choisir de suivre un cas ou non, choisir le bon service, ne pas surcharger inutilement les services de renseignement et de suivi. L'objectif n'est pas « d'ouvrir le parapluie » à chaque signalement. Il faut savoir décider de clôturer un signalement ou d'arrêter un suivi pour se concentrer sur ce qui relève réellement de la radicalisation – potentiellement violente. Il importe aussi de garantir les libertés publiques. J'y tiens beaucoup, dans la mesure où il existe des dénonciations calomnieuses, dans le cadre de séparations conjugales par exemple. Là encore, il faut assumer d'arrêter le suivi et de retirer du FSPRT des informations qui n'ont pas à y figurer.

Dans les Bouches-du-Rhône, le GED se réunit en présence des représentants des trois parquets compétents – Marseille, Aix-en-Provence et Tarascon –, de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), du service central du renseignement territorial (SCRT), de la police judiciaire, de la police aux frontières – très utile pour le suivi administratif des personnes radicalisées de nationalité étrangère –, du groupement de gendarmerie départemental, de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP) – émanation territoriale du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) –, de la direction du service pénitentiaire d'insertion et de probation et, au besoin, de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Le bureau de la radicalisation de la préfecture de police en assure le secrétariat et j'en assume personnellement la présidence, sauf exception, auquel cas elle revient à mon directeur de cabinet, qui est sous-préfet.

Même si les circulaires préconisent plutôt une réunion tous les quinze jours, dans notre département cette instance se réunit toutes les semaines, car le volume de cas que nous traitons nécessite un suivi très régulier. Au cours de chaque réunion, nous examinons aussi bien des signalements nouveaux que des individus suivis au long cours. Certains peuvent ainsi être examinés en GED plusieurs fois dans l'année.

Les réunions permettent de passer en revue vingt à trente cas par semaine. C'est très lourd, et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas toujours un souvenir précis ou exact de tous les échanges que nous avons pu avoir. À titre d'exemple, en janvier et février 2023, nous avons examiné respectivement 109 et 61 dossiers.

Entre chaque séance, les services membres du GED ainsi que mes services effectuent un travail de fond pour rédiger les notes d'actualisation des informations, les mettre en commun, et pour présenter au GED, dont l'ordre du jour est connu quelques jours à l'avance, une situation complète. Ce n'est donc pas en GED que tout le travail d'analyse et de mise en commun des informations est effectué ; celui-ci est une instance de compte rendu du travail effectué et de décision.

J'en viens aux grands principes de fonctionnement de notre GED. Les décisions sont collégiales, même si j'assume ma responsabilité en tant que présidente de cette instance. La parole est nécessairement libre. La confiance et la transparence sont totales. Les désaccords, exceptionnels, portent rarement sur le fond mais plutôt sur le calendrier des décisions à prendre ou sur le service à désigner pour le suivi. À l'issue des réunions, le compte rendu des décisions est diffusé, s'impose à tous et engage tout le monde. Les fiches du FSPRT des individus concernés sont mises à jour.

Mon cabinet, qui assure le secrétariat, s'assure du respect des circulaires, du bon échange des informations, des mises à jour et du suivi effectif des décisions, de la rédaction des comptes rendus et de leur diffusion. Il fait aussi la relation avec d'autres services de l'État, le cas échéant. Lorsqu'un étranger est en situation irrégulière, par exemple, nous essayons de le faire reconduire à la frontière en transmettant les informations à la préfecture du département. En cas de suspicion d'abus de prestations sociales, nous pouvons transmettre des informations à la caisse d'allocations familiales. Nous nous assurons aussi que les cas sont transférés à la préfecture concernée lorsqu'un individu quitte le département.

Le GED est l'une des instances administratives les plus sensibles, qui suscite le maximum de mon attention, de ma concentration et de mon temps – au moins une heure et demie par semaine. La part importante de cas présentant des troubles du comportement – environ 30 % relèvent de la psychiatrie – pose une difficulté car leur appréciation peut s'avérer complexe.

Pour en avoir connu d'autres, mon appréciation générale est que le GED des Bouches-du-Rhône fonctionne bien et que ses principes cardinaux sont bien appliqués. Je me sens sécurisée, dans ma prise de décision, par le professionnalisme et la connaissance du sujet qu'ont mes interlocuteurs. La présence des parquets, avec qui la coopération est constructive et les échanges fluides, est un atout indéniable, tout comme celle de la CIRP, gros « contributeur » en termes d'analyse puisque près de 30 % des cas concernent des personnes sous main de justice ou détenues. Depuis ma prise de fonction, la coopération avec la CIRP est parfaite.

Nous sommes particulièrement attentifs à la date exacte de libération des détenus, pour assurer leur suivi dès leur libération. Avec les crédits de réduction de peine, cette date peut fluctuer. C'est un point important de vigilance.

J'en viens à Franck Elong Abé. Son cas a été examiné par le GED à sept reprises depuis son arrivée à la maison centrale d'Arles, fin 2019. Je suis arrivée à la préfecture de police en décembre 2020. Sous ma présidence, le cas de Franck Elong Abé a été examiné trois fois en 2021 – en février, avril et décembre – et deux fois en 2022, à des dates postérieures à l'assassinat qu'il a commis. Nous avons ensuite organisé le transfert de son dossier vers Paris, puisqu'il a été transféré à la Santé.

Tout au long de cette période, M. Elong Abé a fait l'objet d'un suivi rapproché, conforme aux préconisations, dans les Bouches-du-Rhône. Comme pour tous les détenus, c'est la CIRP qui exposait son cas, fournissait des informations relatives à son comportement et proposait une décision au GED. À chaque réunion, celui-ci devait décider s'il poursuivait son suivi, s'il maintenait sa mention au FSPRT et s'il le gardait dans son radar en vue de sa sortie. La dernière fois que nous avons examiné son cas avant l'assassinat, il était à environ deux ans de sa sortie.

Depuis le début de l'examen du cas de Franck Elong Abé, en 2019, le GED a systématiquement décidé de maintenir son suivi, son inscription au FSPRT et la fiche S qui y était associée. Je n'ai pas de souvenir précis de chacune de nos discussions mais je peux affirmer que j'avais toutes les informations utiles pour prendre des décisions. Je connaissais les circonstances qui l'avaient amené à être condamné pour terrorisme. Sa radicalisation ne faisait aucun doute. Elle était claire et manifeste pour tous les membres du GED – ce n'est pas toujours le cas. Il n'y avait pas de débat non plus quant à la nécessité de maintenir un suivi étroit, y compris à sa sortie de prison. Je savais aussi qu'il souffrait de troubles psychiatriques, à tout le moins de troubles du comportement ; son dossier indiquait clairement qu'il avait fait un séjour à l'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA). Je disposais d'éléments concernant son comportement en détention, lesquels faisaient état d'un individu plutôt isolé et solitaire.

Du point de vue du GED, ce cas ne nourrissait pas de dilemme quant aux décisions à prendre : il fallait continuer à le suivre, en détention et à sa sortie de prison. C'est la décision qui a été prise de façon constante depuis son arrivée dans les Bouches-du-Rhône et même avant. Le suivre signifiait continuer à s'intéresser à l'évolution de son comportement et à ne jamais le perdre de vue, notamment après sa sortie.

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Je vous remercie pour ces explications. Je vais vous dire d'emblée ce qui me frappe. Certains services de renseignement avaient connaissance du fait que Franck Elong Abé relevait du haut du spectre des terroristes islamistes (TIS) – il s'agissait bien d'un terroriste islamiste et non d'un détenu radicalisé en prison. Le fait qu'il était connu pour être dans le haut du spectre du FSPRT a-t-il été porté à votre connaissance ? Le renseignement pénitentiaire, service chef de file dans le cas d'espèce, vous a-t-il informée qu'il avait combattu en zone de guerre en Afghanistan, avant d'être arrêté par les autorités américaines, remis aux autorités françaises puis incarcéré ?

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

Je disposais d'éléments à ce sujet. Je savais les circonstances dans lesquelles il avait été arrêté. Je savais qu'il avait combattu en Afghanistan et qu'il avait été condamné pour terrorisme islamiste. Tous les détenus présentant ce profil sont évidemment considérés comme le haut du spectre et nous les suivons d'encore plus près que les autres. J'avais donc connaissance des éléments que vous avez évoqués.

Lorsque la CIRP expose un cas en réunion, tous les services disposant d'informations sur ce cas interviennent librement. Il arrive très régulièrement que les autres membres du GED enrichissent les présentations faites par le service chef de file en fournissant des éléments complémentaires. Je ne me rappelle pas exactement la façon dont les choses se sont passées mais les éléments évoqués ont été fournis par la CIRP ou la DGSI. Le travail est collégial et chacun apporte sa pierre à l'édifice. Franck Elong Abé était traité comme un individu du haut du spectre, par essence puisqu'il était condamné pour terrorisme islamiste.

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J'entends que tous les terroristes sont dans le haut du spectre du FSPRT mais, dans le cas présent, on parle de la portion la plus haute puisque sur 500 terroristes islamistes en France, M. Elong Abé fait partie des 10 % les plus dangereux.

Vous avez indiqué que la nécessité d'un suivi étroit avait été évoquée dans vos réunions, avec l'obsession de sa sortie. Ce suivi étroit concernait-il aussi le milieu carcéral ? L'extrême dangerosité de cet individu paraissant aujourd'hui évidente, considérez-vous qu'il était normal de le placer en détention ordinaire et de lui confier un emploi au service général ?

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

Je me permets de revenir sur la notion de « haut du spectre », qui ne correspond pas à une qualification opérationnelle dans le cadre des travaux du GED. Les individus que nous considérons comme potentiellement radicalisés, avec un caractère violent, sont inscrits au FSPRT. Parmi eux, les détenus islamistes sont évidemment suivis de près.

Le parcours carcéral relève du suivi étroit que j'évoquais. C'est la raison pour laquelle les cas des détenus sont évoqués en GED, y compris pour ceux qui sont libérables à très longue échéance. Nous ne sommes pas strictement focalisés sur la sortie, même si un nombre croissant de détenus radicalisés et condamnés pour terrorisme sont en train de sortir de détention. C'est une problématique de plus en plus importante dans les GED, car c'est maintenant que nous devons décider du meilleur dispositif de suivi au moment de la sortie et qu'il m'appartient, en tant que préfète de police, de prendre ces décisions.

Je vous confirme que le suivi de M. Elong Abé en milieu carcéral était l'une de nos préoccupations. Je n'ai pas d'appréciation à porter quant à ce que l'administration pénitentiaire a décidé de lui accorder en détention car ce n'est pas le rôle du GED. Je ne me souviens pas d'avoir débattu de son statut au sein de la détention. Il est certain, en revanche, qu'aucun d'entre nous n'a jamais eu la moindre connaissance d'un acte préparatoire à l'agression de M. Colonna. À aucun moment de tels éléments n'ont été évoqués dans le cadre du GED, qui nous auraient conduits à considérer qu'un risque de passage à l'acte en détention existait, notamment contre M. Colonna. Je suis très claire et affirmative car, dans le cas contraire, je m'en serais parfaitement souvenue.

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Je rappelle la demande que je vous ai adressée concernant la transmission de tous les comptes rendus du GED relatifs à Franck Elong Abé, pour la parfaite information de notre commission.

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

Les comptes rendus du GED font apparaître les décisions prises par cette instance. Vous n'y trouverez donc pas l'ensemble des éléments relatifs à ce cas. Les informations concernant le comportement d'un individu et son suivi figurent dans les notes des services chargés de son suivi. S'agissant des détenus, ces notes appartiennent à la CIRP. En tout état de cause, vous aurez les éléments du GED.

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Quelles seraient vos préconisations pour améliorer le fonctionnement du GED, au regard de votre expérience et de ce qui s'est passé à la maison centrale d'Arles ?

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

Les cas psychiatriques et les individus qui présentent des troubles du comportement sont problématiques. Nous sommes confrontés à des décisions à prendre, avec des conséquences importantes concernant des personnes dont nous ne comprenons pas toujours la rationalité. La DGSI et le ministère de l'Intérieur élaborent des outils qui nous permettent de développer une approche plus médicale de ces cas. Nous sommes en train de recruter, dans les Bouches-du-Rhône comme dans d'autres départements, un médecin psychiatre qui pourrait nous éclairer en GED sur certains cas et nous donner une appréciation plus fine de la dangerosité des individus que nous suivons et du risque de passage à l'acte. Certains peuvent être très stables lorsqu'ils prennent des traitements, et totalement instables quand ils n'en prennent pas.

Les rares fois où je me suis sentie démunie en exerçant cette mission concernaient des personnes présentant manifestement des troubles psychiatriques, que ces troubles aient été attestés médicalement ou pas. Les préfets se trouvent dans l'impossibilité légale d'enjoindre à un individu de se soigner ou même de consulter un médecin pour pouvoir disposer d'une évaluation médicale de son état. Des discussions ont été ouvertes sur ce sujet il y a quelques années mais elles n'ont pas prospéré. C'est sans doute très difficile à mettre en œuvre car dans ce contexte de psychiatrie, il est indispensable que les patients coopèrent.

S'agissant de son fonctionnement, le GED tel qu'il existe dans les Bouches-du-Rhône, et certainement ailleurs aussi, répond aux besoins et aux missions prévues dans les circulaires : il prend des décisions, il se réunit régulièrement, il fonctionne. Les informations sont partagées de façon très fluide. L'autorité judiciaire joue parfaitement le jeu. Pour avoir traité ces sujets depuis 2014, j'ai constaté une vraie évolution dans ce domaine.

Le point sur lequel j'insisterais est notre difficulté à apprécier certains cas lorsque nous sommes face à des individus dont le comportement est troublé, relevant de la psychiatrie, et pour lesquels nous ne disposons pas des outils légaux qui nous permettraient d'intervenir. C'est très frustrant.

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J'entends que le GED n'a pas à apprécier l'action de l'administration pénitentiaire. Cela étant, pour des acteurs politiques enquêtant sur un assassinat, vous comprenez qu'il existe une contradiction entre le fait d'affirmer qu'il faut maintenir un suivi étroit et celui de ne pas s'interroger sur les raisons d'une détention ordinaire ou d'un emploi au service général, s'agissant d'une personne qui était apparemment connue, notamment par la DGSI, comme étant d'une extrême dangerosité.

Vous dites ne pas avoir eu connaissance de certaines évolutions dans le parcours carcéral de l'individu s'agissant de sa gestion pénitentiaire. Le rapport de l'Inspection générale de la justice a mis en évidence le grave problème de l'absence d'affectation en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), à cinq reprises. Les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) ont relevé que lorsqu'il se trouvait en détention ordinaire, Franck Elong Abé avait affirmé de manière réitérée vouloir mourir par l'islam – propos qui pouvait indiquer l'imminence d'un passage à l'acte. La qualité de cette analyse n'est pas contestable. Le GED était-il informé des conclusions des CPU dangerosité rendues à différents moments de sa détention : en 2019 à Condé-sur-Sarthe mais, surtout, en février et novembre 2020, mai 2021 et janvier 2022 à Arles ?

Quatre TIS étaient détenus à Arles à l'époque, pour 26 TIS, de mémoire, sur le ressort de la direction interrégionale. Nous sommes donc, s'agissant des TIS, sur la loi des petits nombres, même si vous devez également gérer les individus radicalisés. Aviez-vous communication, par la CIRP, des éléments d'observation remontant du renseignement pénitentiaire et du logiciel Genesis des agents de la pénitentiaire concernant M. Elong Abé, par exemple que celui-ci se laissait pousser la barbe, signe avant-coureur d'une possible radicalisation ? On sait aussi qu'il y a eu quatre incidents importants. Un incident avec sanction disciplinaire après une attaque contre un détenu ou un membre du personnel, comme en août 2021, est de nature à empêcher son affectation à un emploi au service général – même si nous avons entendu que de tels actes étaient statistiquement moins nombreux qu'auparavant. D'autres acteurs, comme l'Inspection générale de la justice, pensent comme nous. Étiez-vous au courant de ces incidents et de ces sanctions disciplinaires ?

Aviez-vous connaissance des éléments d'observation relatifs à cet individu classé détenu particulièrement signalé (DPS), comme Yvan Colonna d'ailleurs ? L'instruction ministérielle est très claire concernant la surveillance accrue de ces individus.

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

En GED, la CIRP fait une présentation générale du cas. Elle nous donne les informations qu'elle détient, sans que je puisse dire d'où elles viennent : d'un logiciel – dont je découvre l'existence – ou de sa participation, de près ou de loin, aux CPU.

Sans en avoir de souvenir précis, je dirais que le fait que ce détenu se soit laissé pousser la barbe a sans doute été signalé en GED. C'est le type d'information que l'on partage, que les individus soient détenus ou non d'ailleurs. Il me semble que le fait qu'il ait exprimé la volonté de mourir en héros avait aussi été remonté. En revanche, je ne me souviens pas que la question du placement en QER ait fait l'objet du moindre débat en GED ou que la CIRP ait fait mention, dans le cadre du GED, de l'existence d'un tel débat interne à l'administration pénitentiaire. Lorsqu'un détenu est placé en QER ou en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), nous le savons car la CIRP partage ces informations en GED. En l'occurrence, une telle décision n'ayant pas été prise concernant Franck Elong Abé, il n'y a pas eu de discussion en GED, ce sujet ne relevant de toute façon pas de la compétence de cette instance. Pour répondre directement à votre question, ce n'est pas en GED que nous avons le compte rendu exact des CPU, mais nous avons une vision globale de l'évolution du comportement du détenu.

Il apparaît tout de même que le comportement de Franck Elong Abé s'était plutôt amélioré depuis qu'il était arrivé à la maison centrale d'Arles. Tel était mon sentiment. Si des incidents ont pu survenir, je n'en ai pas le souvenir exact mais cela n'aurait sans doute pas changé notre décision, qui portait sur le maintien ou non de son suivi. Or nous avons choisi de maintenir son suivi puisque nous avions conscience qu'il était encore radicalisé, parfois imprévisible et agressif. Ces éléments étaient connus et justifiaient le maintien de son suivi.

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Le cas de Smaïn Aït Ali Belkacem vous évoque-t-il quelque chose ? Son profil a-t-il été géré par le GED ?

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

Je connais ce nom mais je n'ai pas sous la main les éléments qui me permettraient de vous indiquer la teneur des échanges du GED à son sujet. Je pourrai vous les transmettre dans le cadre des informations complémentaires que je dois envoyer à la commission.

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Monsieur le rapporteur, pourrez-vous demander les analyses concernant Smaïn Aït Ali Belkacem ?

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Pour quel type de profils la DRSD peut-elle être chef de file ?

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Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône

La DRSD ne participe à un GED que lorsqu'il est question du suivi d'un individu qui la concerne. Elle est en effet chargée du suivi des militaires potentiellement radicalisés, hormis ceux de la gendarmerie nationale. Ces cas sont marginaux.

La séance se termine à quinze heures vingt.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, Mme Ségolène Amiot, M. Pierre Dharréville, M. Mohamed Laqhila, M. Laurent Marcangeli.