Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • avocat
  • indépendance
  • magistrat
  • obstacle

La réunion

Source

La séance est ouverte à 16 heures 10.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.

La Commission d'enquête entend M. Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux, de M. Philippe Klein, vice-président, et de M. Jérôme Dirou, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers.

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Nous auditionnons M. Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux (CNB), M. Philippe Klein, vice-président de cette commission, et M. Jérôme Dirou, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Messieurs, je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(MM. Xavier Autain, Philippe Klein et Jérôme Dirou prêtent successivement serment).

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Philippe Klein, vice-président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Je précise d'abord que les élus du Conseil national des barreaux représentent les 70 000 avocats du barreau de France.

L'indépendance des autorités judiciaires est un sujet extrêmement sensible pour les avocats et pour l'ensemble des citoyens. Votre convocation vise une commission d'enquête sur le pouvoir judiciaire alors que l'article de la Constitution ne parle que d'autorité judiciaire. Cela met en exergue la discussion que nous pouvons avoir quant au choix entre pouvoir et autorité judiciaire.

L'indépendance de l'autorité judiciaire est garantie par le Président de la République. Cependant, dès lors que l'un des rouages essentiels du fonctionnement judiciaire est constitué par la profession d'avocat, nous considérons qu'il pourrait y avoir dans la constitution française le droit, pour tout citoyen, d'avoir recours à un avocat : cela garantirait l'existence de l'autorité judiciaire et de son indépendance grâce à celle d'un contradicteur.

Avant de parler des obstacles à l'indépendance de l'autorité judiciaire, il faut que cette autorité existe. Nous avons la chance de disposer d'une autorité judiciaire, mais, pour qu'elle puisse être indépendante, il faut déjà qu'elle soit saisie.

Or, deux sources tendent à vider l'autorité judiciaire de son pouvoir de juger : la déjudiciarisation, où l'on se passe de l'autorité judiciaire, et les obstacles à sa saisine.

La déjudiciarisation est souvent un prétexte à la simplification ou à la réalisation d'économies. Dans une démocratie, elle retire sa nourriture à l'autorité judiciaire. Au titre de la déjudiciarisation, le cas le plus connu du public est celui des radars. Auparavant, lorsque vous étiez susceptible d'encourir une infraction pour un dépassement de vitesse, vous pouviez passer devant un juge. Aujourd'hui, vous êtes l'objet d'une sanction qui peut, ensuite, faire l'objet d'un recours judiciaire.

C'est également le cas des fermetures administratives : on n'interroge pas le juge pour savoir si l'infraction est constituée et mérite une peine ; on sanctionne préalablement, avant tout débat judiciaire.

Les délégations à d'autres entités administratives sont une autre forme de déjudiciarisation. Le recouvrement des pensions alimentaires et le droit d'en décider, par exemple, seront désormais, confiés aux directeurs des caisses d'allocations familiales.

Il y a par ailleurs deux sortes d'obstacles à la saisine : que ce soit en matière d'auto-saisine ou de saisine par les tiers.

La création d'organismes nationaux risque d'enlever des attributions aux organismes locaux du pouvoir judiciaire. La manière dont ces organismes sont utilisés, par exemple, le parquet national financier, est susceptible de leur retirer des compétences.

La saisine par les tiers rencontre quant à elle, deux obstacles : les obstacles préalables et les obstacles internes. Dans un système démocratique, les obstacles préalables sont les conditions qui empêchent la saisine directe du juge par le citoyen. Il ne faut pas que ces conditions préalables la rendent impossible.

La très récente réforme de la procédure civile impose comme condition préalable de passer par la médiation. Bien évidemment, avant de faire un procès, il faut tenter de concilier les parties, mais, si cela devient une condition obligatoire, puis que d'autres conditions s'y ajoutent, la liberté de pouvoir saisir un juge sans aucune condition préalable s'en trouverait entravée.

Pour être saisi librement, le juge doit aussi être accessible physiquement. Pour des raisons d'économie et de risque terroriste, nos tribunaux se sont fermés aux justiciables et même aux avocats. Dans des pans entiers de nos juridictions, les justiciables ne peuvent plus rencontrer ni un juge, ni un greffier et même leurs avocats sont privés de ce droit, car la lourdeur des démarches préalables revient à les éliminer de ces lieux de justice.

Enfin, le coût de la justice est un obstacle préalable : pour être accessible et rester indépendante, la justice doit être gratuite, c'est fondamental.

Le paiement de taxes pour recourir au juge comme le prévoit l'article 45 du récent projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) avec pour corollaire une intervention accrue des assureurs en protection juridique, risque de porter atteinte à la gratuité de la justice.

Les modes de saisine peuvent aussi constituer un obstacle préalable. On impose désormais de saisir la justice par voie dématérialisée alors que nombre de Français n'ont pas accès à internet ou ont des grandes difficultés à s'en servir. La tyrannie des cases, dans laquelle la manière de saisir le juge est formatée, est également susceptible de restreindre la saisine.

Enfin, la suppression de la publicité des débats constitue un obstacle interne. Aujourd'hui, on incite les parties et leurs conseils à ne pas plaider leur dossier, mais à aller déposer. Or, l'oralité c'est l'humanité et la justice. Il faut donc être attentif à ne pas supprimer l'oralité qui a comme pendant la publicité des débats. Le travail du greffier à l'audience évite qu'un magistrat se permette n'importe quoi.

Enfin un décret du 17 décembre 2019 applicable au 1er janvier 2020 prévoit que toutes les décisions rendues en première instance sont revêtues de l'exécution provisoire de plein droit. Cela signifie que le justiciable, dès la décision de première instance, a l'obligation d'exécuter ce qui a été décidé. À défaut il ne pourra pas exercer la voie de recours par l'appel. La partie à qui profite la condamnation peut ainsi demander au juge de dire que votre appel ne peut pas être examiné tant que vous n'avez pas payé. Alors que c'est évidemment dans les cas les plus désespérés que l'on rencontre les situations les plus terribles et on a pourtant retiré au juge sa capacité d'appréciation.

Je terminerai avec les irrecevabilités de forme, notamment dans le cadre des procédures d'appel. Aujourd'hui, il existe des irrecevabilités de pure forme pour des formalités sans lien avec la défense des parties ou le fond. Toutefois, si vous ne les respectez pas – et parfois elles entraînent un coût, une signification par huissier – c'est le justiciable qui paie l'erreur de l'avocat. Bien évidemment, il est assuré, mais fait-on des réformes pour limiter les procès ou pour en susciter de nouveaux ?

Tout ce dont je viens de vous parler est évitable et aménageable en augmentant les moyens octroyés à la justice.

J'en terminerai en vous disant que pour les avocats, il ne sert à rien de rendre la justice si elle n'est pas acceptée. L'avocat n'est pas seulement celui qui lance une action, qui plaide pour l'une des parties, c'est aussi celui explique la décision du juge. Il est donc un vecteur de paix sociale, indispensable à l'exercice de notre démocratie.

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Dans les affaires que vous avez eues à traiter, avez-vous connu des manquements à l'indépendance de la justice ?

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Oui. Je pense à un magistrat qui avait reçu un appel téléphonique de la part de ses hautes autorités l'invitant à prononcer une relaxe. C'est une forte tête et il a rendu une décision contraire à ce qui était attendu. Il arrivait à un moment de sa carrière où il devait changer de tribunal. C'était un bon président de correctionnelle, un ancien juge d'instruction : il s'est retrouvé juge de l'expropriation dans un tribunal de banlieue. Voilà ! Il a continué sa carrière, mais j'ai du mal à penser qu'il n'existe pas de lien. C'était avant la loi de 2013 et serait plus compliqué aujourd'hui, mais le pouvoir politique avait jugé utile de prendre contact avec ce président de correctionnelle en charge d'un très gros dossier pénal financier parce qu'il existait quelques amitiés à défendre. Quand je lui ai demandé ce qu'il comptait faire, il m'a dit : « Rien. J'ai rendu ma décision et j'en paierai les conséquences ». Il considérait que cette indépendance était indispensable.

L'indépendance est indispensable mais elle a comme corollaire la responsabilité. En l'état, l'indépendance est croissante mais la responsabilité des magistrats reste limitée. Elle peut être dénoncée, et nous avons tous en tête l'affaire Outreau pour laquelle il s'est agi de la responsabilité de l'ensemble des magistrats qui avaient entériné successivement des décisions, probablement parce que l'absence de moyens ne leur permettait pas d'accorder le temps nécessaire à un examen de fond et parce qu'il y avait aussi véritablement une confiance, comme dans toutes corporations, dans le bon travail de leurs collègues.

L'indépendance passe par une responsabilité et par des moyens qui n'ont rien de comparable avec ceux de la justice aujourd'hui. Je sais que les moyens sont en croissance et que le nombre de magistrats augmente chaque année mais il reste cependant encore assez proche de celui que nous observions en France en 1820.

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Philippe Klein, vice-président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Les sanctions administratives prises préalablement à une décision judiciaire constituent une dépendance totale. Les officiers de police judiciaire (OPJ) reçoivent des instructions. Ils ne font que les exécuter en relevant des infractions mais ils sont également ceux qui proposent à une autorité administrative, en général le préfet ou la DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), le quantum et l'existence même de la sanction. C'est là où l'on perd l'indépendance du juge. Tous les officiers de police judiciaire, dans leur rôle d'enquêteurs et d'autorité capable de relever des infractions, vont estimer que leur travail est excellent et que les résultats de leurs enquêtes méritent une sanction. La sanction administrative passe avant le débat judiciaire qui n'a pas lieu. La plupart du temps d'ailleurs, parce qu'il y a eu cette sanction administrative, les parquets, dans le cadre de l'opportunité des poursuites, classent le dossier. Ils pensent inutile de poursuivre d'un point de vue judiciaire. Nous sommes là dans un dysfonctionnement institutionnel.

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Jérôme Dirou, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers

Je suis ancien bâtonnier de Bordeaux et les avocats provinciaux n'ont pas les dossiers qui leur permettraient de s'exprimer sur l'indépendance à l'égard du pouvoir politique. En revanche, nous avons des exemples relatifs à l'indépendance vis-à-vis de la hiérarchie judiciaire.

Je pense à ce premier président qui a été le premier à motiver les arrêts de cour d'assises. Jusqu'à une loi très récente, les décisions de cour d'assises, les plus graves, n'étaient pas motivées. On pouvait être condamné à perpétuité sans savoir pourquoi ! Les motivations de ce président alourdissaient le travail du greffe et gênaient ses collègues qui ne motivaient pas leurs décisions. Quand ce président en fin d'année, est allé voir son président de cour pour discuter de son affectation celui-ci lui a annoncé, puisqu'il aimait motiver les arrêts et les décisions, qu'il quittait la cour d'assises pour rejoindre la chambre sociale. La mutation est ici un élément cynique d'atteinte à l'indépendance du magistrat en le dirigeant vers une chambre où la motivation des décisions, en raison des contrôles de la Cour de cassation, représente une corvée pour les magistrats.

L'indépendance est un sujet tabou et peu évoqué entre les magistrats et les avocats. Peut-être, dans quelques années, aurons-nous aussi beaucoup de confessions de magistrats comparables à celles du mouvement MeeToo. Dans l'immédiat, nous les connaissons peu et pouvons donc difficilement témoigner.

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Il y a l'indépendance vis-à-vis de l'extérieur et celle qu'intériorise le magistrat. Je mythifie peut-être le juge à l'anglosaxonne qui se sent très indépendant. Toutefois, il y a quelques années, j'ai eu un dossier dans lequel l'Autorité de la concurrence avait sollicité des perquisitions contre des entreprises qu'elle soupçonnait. On est venu me consulter, en tant que pénaliste, dans le cadre de la contestation de l'autorisation que le juge des libertés et de la détention (JLD) avait donnée. Ce JLD avait, en quelques heures, signé une ordonnance prérédigée de quarante-cinq pages qui laissait penser que l'examen pratiqué était assez sommaire, non pas parce qu'il n'avait pas travaillé, mais parce qu'il avait fait confiance, par principe, à l'Autorité de la concurrence. Il semblait s'être abstenu de faire preuve d'indépendance et de l'examen critique que cette indépendance sous-entendait. Les mesures qu'il avait ordonnées étaient exorbitantes et nous sommes allés en appel. La cour d'appel nous a écoutés poliment, et a entériné le dossier, sans se poser la question des droits fondamentaux qui avaient été violés. On sentait la difficulté de remettre en cause une autorité comme celle de l'Autorité de la concurrence et, plus généralement, celle de toutes les autorités indépendantes. Parfois le juge éprouve aussi des difficultés à remettre en cause la position du parquet.

De ce fait, on n'arrive pas à avoir cet imperium du juge à l'anglosaxonne qui sait dire « je vais simplement faire du droit et pas forcément ce que la puissance publique attend de moi ». À côté de l'indépendance extérieure bien encadrée par la loi de 2013 et par la circulaire de 2014, il y a donc la question de l'indépendance intériorisée du juge judiciaire.

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Votre profession a fait valoir que la caisse autonome de retraite des avocats était un élément de leur indépendance. Pourriez-vous nous en expliquer les raisons ?

Par ailleurs, en quoi, la montée en puissance des legaltech, de la prédictibilité et des assureurs pourrait être un obstacle à l'indépendance de l'autorité – ou du pouvoir – judiciaire ?

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Jérôme Dirou, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers

J'ai été auditionné ce matin par l'un de vos collègues député, kinésithérapeute de métier. Il disait que sa profession relevait d'une caisse générale et qu'elle n'avait pas besoin d'une caisse de retraite autonome pour être indépendante.

Lorsqu'un avocat est en difficulté dans le paiement de ses charges – ce qui est le cas dans un barreau comme le mien où un tiers des avocats gagnent moins de 2 000 euros net par mois, c'est-à-dire moins qu'une greffière dans un tribunal – il connaît des difficultés économiques mises en exergue par la loi sur la faillite civile des professions indépendantes. Il peut être déféré pour non-paiement de cotisations par l'Urssaf, qui est le premier déclencheur de procédures collectives contre les avocats.

Si votre parlement fait passer les cotisations de 14 à 28 %, un avocat qui paie aujourd'hui 1 400 euros sur 10 000 euros en paiera 2 800. Sur 120 euros gagnés, l'avocat en donne 20 à l'État pour la TVA et il a entre 50 et 60 euros de charges. Il gagne donc 40 euros. Si on augmentait de 14 points ses cotisations, il ne gagnerait plus que 30 euros.

Si le recouvrement des retraites des avocats était réalisé par l'Urssaf, le nombre des saisines doublerait car les organismes d'État sont aujourd'hui des acteurs extrêmement importants dans le déclenchement de procédures dont ils ont la maîtrise. Aujourd'hui, quand ces procédures sont recouvertes par notre caisse nationale des barreaux français, il y a une appréciation intuitu personae du débiteur avocat avec une saisine du bâtonnier, une intervention des ordres et un mécanisme protecteur. C'est une approche spécifique de la gestion de la difficulté de l'avocat que ne pourrait pas avoir l'Urssaf si elle devenait l'autorité chargée du recouvrement des sommes. Aujourd'hui, la Caisse nationale des barreaux français par son mécanisme, par ces commissions de secours, par ces aides, par sa manière d'appréhender les problèmes est beaucoup plus protectrice.

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Philippe Klein, vice-président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Si les charges d'un professionnel augmentent, il a deux solutions : disparaître, s'il ne peut plus les payer, ou les répercuter. Il opterait pour la seconde et cela aurait un impact sur le justiciable.

Bien que je préfère parler de justice prévisible que prédictive, encore faut-il que l'intelligence artificielle se nourrisse de décisions humaines. Si elle se nourrissait de décisions de robots, nous finirions par n'avoir, quel que soit le cas, qu'une seule décision.

Le lien entre l'assureur protection juridique et l'incidence de la justice prédictive est très important. Aujourd'hui, les citoyens qui n'ont pas les moyens de saisir la justice ont la possibilité de recourir à l'aide juridictionnelle. Elle est consentie à deux conditions : une condition de ressources et celle de ne pas avoir de contrat de protection juridique. Cela peut paraître bizarre et l'on pourrait considérer la première condition comme suffisante mais cela marque les prémices d'un nouveau système. Comme pour le système de santé, on s'achemine vers une obligation de protection juridique privée. Mais, contrairement au système étatique, l'assureur protection juridique a un contrat et il existe des conditions de mise en jeu de ce contrat. Demain, grâce à la justice prévisible il pourra, au regard des éléments apportés, apprécier s'il juge opportun de financer un procès et que le juge soit saisi.

Cela pose un problème fondamental. Il ne faut pas permettre que le système judiciaire tombe dans le secteur marchand. Cela conduirait à des conditions contractuelles qui empêcheraient la saisine du juge. Ce point est un élément essentiel de notre démocratie.

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Il est inscrit dans notre code de déontologie que l'avocat doit être libre et indépendant. J'ai tendance à ajouter compétent, car sans la compétence on ne peut garantir la liberté et l'indépendance.

Nous sommes libres et indépendants pour nos clients, pour être certains qu'aucun élément extérieur n'interfère dans la façon dont nous traitons leur dossier. Cela concerne les éléments apportés par le client, les éléments extérieurs, la crainte d'engager une procédure ou la peur du juge. Nous devons conseiller notre client avec toute l'indépendance, le recul et la liberté dont il a besoin. Nous devons être libres de dire : « il ne faut pas faire ce recours » ; cela nous arrive régulièrement. C'est pour cette raison que nous souhaitons que la liberté et l'indépendance de l'avocat figurent dans la Constitution comme c'est le cas dans les constitutions brésilienne, tunisienne et canadienne.

Il ne nous semble pas aberrant que cette indépendance se traduise aussi dans la retraite et dans la perpétuation d'un système qui fonctionne depuis 70 ans. Cette indépendance garantit que la seule chose qui compte pour un avocat, c'est l'intérêt de son client dans un système de droit.

Nous sommes des piliers de la démocratie. Cela nous oblige énormément et cette obligation a pour corollaire des protections qui ne sont pas liées aux individus mais à notre rôle.

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Maître Klein, en vous écoutant, j'ai l'impression de rajeunir d'une année et de revenir aux auditions que j'ai menées en tant que rapporteur de la loi du 23 mars 2019. Non content de me transporter dans le temps, vous m'avez déplacé dans l'espace, en me donnant l'impression de siéger au sein de la commission spéciale sur la réforme des retraites. Tel n'est pas le cas !

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

J'aurais été plus long devant la commission spéciale…

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Vous y auriez été confronté à une contradiction plus forte car les dernières rencontres entre le barreau, la chancellerie et le Premier ministre montrent des évolutions, notamment sur la question de l'autonomie de votre caisse de retraite, qui n'est plus remise en cause. Certains articles récents ont même montré que les avocats pouvaient y être gagnants.

J'en reviens à notre commission d'enquête. Maître Autain, vous avez raison, l'indépendance a aussi un lien direct avec la responsabilité, ainsi que, dans mon esprit, avec la confiance, notamment celle que nos concitoyens placent dans leur justice. Que devrait-on faire pour restaurer et renforcer cette confiance ?

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Il faut pouvoir accéder au juge. Or, aujourd'hui, malheureusement, les contraintes budgétaires font que les réponses sont tardives. Il y a quelques années, j'ai fait annuler une procédure considérable impliquant une grande entreprise française, car il y avait eu cinq ou six ans d'enquête préliminaire.

La confiance se nourrit de l'efficacité. Certes, on peut déjudiciariser, mais j'ai la faiblesse de penser que l'autorité du juge n'est pas celle d'un médiateur. Quand le juge décide, il est plus écouté qu'un médiateur qui dit « les enfants, mettez-vous d'accord ! ». De surcroît – et c'est une question d'accès au droit – le justiciable aura-t-il encore les moyens de saisir à nouveau son avocat pour aller devant le juge et y trouver la solution dont il avait besoin quand celle proposée par le médiateur ne lui convient pas ? Je ne le crois pas.

La déjudiciarisation à l'œuvre répond à des logiques budgétaires. Je peux comprendre cette nécessité mais on parle là d'une fonction régalienne. La confiance du justiciable ne sera pas rétablie par une privatisation.

Je partage parfaitement votre point de vue, monsieur le rapporteur, il faut de la confiance dans l'ensemble des membres du système, y compris dans les avocats – et nous ne sommes pas irréprochables – parce que nous ne sommes là que pour porter la voix des autres.

Nous devons donc tendre à être irréprochables dans un système irréprochable. Cela passe par des moyens, mais aussi par une plus grande proximité entre les magistrats et les avocats : l'opposition forcenée entre ces deux professionnels ne m'intéresse pas et entame la confiance.

Moins on parle de la justice, moins elle est dans le débat journalistique et mieux elle se porte. J'ai eu quelques dossiers médiatiques. Pourtant, vous ne m'avez pas beaucoup vu dans les médias. Je considère que ma parole est réservée aux magistrats et à mes clients. J'ai des dossiers où les données sont sorties tellement tôt que cela ne pouvait être le fait de cabinets d'avocats. La justice ne peut être rendue sereinement, en confiance et en indépendance, si les médias nourrissent ce jeu.

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Vous avez beaucoup parlé d'accès à la justice judiciaire. Il y a ausi une justice administrative mais aussi une justice composée de citoyens qui ne sont pas des juges professionnels. C'est le cas des tribunaux de commerce ou des tribunaux de prud'hommes. Sous l'unique prisme de l'indépendance, toutes les juridictions se valent-elles ou faites-vous des différences ? Si oui, lesquelles et comment pourrait-on les résorber ?

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Philippe Klein, vice-président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Ces juridictions ont les qualités de leurs défauts et inversement. Lorsque l'on est avocat et que l'on a un dossier qui peut ressortir, soit de la justice commerciale rendue par des personnes qui ne sont pas des magistrats professionnels, soit de magistrats professionnels, la question se pose. Si l'on considère que le dossier n'est pas très bon en droit, mais que la position de notre client est la bonne, nous saisissons le juge du tribunal de commerce. À l'inverse, si nous considérons que notre client est un voyou, mais qu'il a raison en droit, nous saisissons le juge judiciaire parce que nous considérons qu'il va mieux appliquer la règle de droit.

Chaque juridiction a une approche philosophiquement différente. Cela dit, je pense que l'échevinage ou une meilleure formation juridique des bénévoles serait souhaitable. Ils y consacrent beaucoup de temps, veulent bien remplir leur mission, mais n'ont pas les moyens de le faire.

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

L'échevinage me semble intéressant. Les décisions rendues, par exemple en départage aux prud'hommes, prennent en compte le pragmatisme des juges élus ou consulaires et le rappel du juge départiteur car on peut vouloir jouer les Salomon et faire dans l'équité mais il y a bien un moment où il faut faire du droit ! Or sans juges professionnels, c'est un peu plus compliqué. Tout dépend cependant des lieux et du tribunal.

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À travers vos exemples on comprend que certains juges agiraient en fonction de ce que la puissance publique attend d'eux et non pas forcément en fonction de ce que le droit attend d'eux. Cela révélerait-il un dysfonctionnement institutionnel, déontologique ou de l'autocensure ? Les règles de mobilité des magistrats sembleraient liées à ce dysfonctionnement. Pensez-vous qu'elles doivent être revues ?

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Pour les magistrats du siège, les règles de mobilité sont assez protectrices. Ils restent en poste plusieurs années, mais quand l'échéance arrive on peut les déplacer. On peut d'ailleurs parfois ainsi se priver de compétences.

Je pense qu'il y a beaucoup d'autocensure chez les magistrats. Mon sentiment personnel – je ne parle pas au nom du CNB – est que les juges se posent parfois des questions qu'ils n'ont pas à se poser. La jurisprudence prend de plus en plus de place en matière judiciaire, alors que nous sommes dans un pays de codes et non dans un pays de common law. Pourtant, de plus en plus, il faut fournir des quantités de jurisprudences pour expliquer des textes qui parfois sont extrêmement clairs. Ceci fait que l'on est de plus en plus sous l' imperium du juge qui s'assure de ne pas engager la puissance publique alors qu'il devrait, me semble-t-il, rendre une décision en droit.

Nous, avocats en justice civile, sommes fautifs, par exemple, si nos argumentations sont bancales. Le juge ne peut pas aller au-delà de ce qui lui est soumis. Je dirais que 90 %, voire 95 %, de la décision nous est imputable à nous, avocats. Cela plaide en faveur d'un travail étroit entre magistrats et avocats.

Une seule école pour les avocats et les magistrats pourrait être une solution. Dans certains pays, pour devenir magistrat du siège il faut avoir été avocat plusieurs années. C'était d'ailleurs le cas avant l'École nationale de la magistrature. Être un jour procureur – c'est-à-dire l'avocat de la République – et être le lendemain, comme aux États-Unis ou en Angleterre, avocat d'une des parties, ne me semble pas dénué de sens.

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Philippe Klein, vice-président de la commission communication du Conseil national des barreaux

La mobilité me fait penser à la collégialité parce que c'est un élément important pour assurer l'indépendance interne et contrebalancer les risques que vous évoquiez. On sait que la collégialité n'est pas toujours respectée mais celui qui prend la décision doit la faire lire par ses collègues et la justifier auprès d'eux. C'est une barrière importante. La collégialité est un rempart à la crainte de rendre des décisions qui pourraient déplaire à la puissance publique. Malheureusement pour des raisons budgétaires elle tend à disparaître.

La justice qui a les moyens est une bonne justice. En France, le budget de la justice est partagé avec celui de l'administration pénitentiaire. Cela pose de grandes difficultés. Il n'empêche que la collégialité doit impérativement être conservée pour être un des piliers de la garantie de l'indépendance interne.

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On vit dans un État de droit ; il n'y a pas de magistrat sans avocat et pas d'avocat sans magistrat. Il y a donc un vrai sujet dans le rapport entre les magistrats et les avocats qui influence le fonctionnement de la justice et certainement aussi son indépendance. Pourriez-vous nous dire quel est l'état de leur relation aujourd'hui ?

M. Autain, vous avez parlé de la médiatisation des affaires. Quel regard critique portez-vous sur ces tribunaux médiatiques de plus en plus prégnants à la télévision ou sur les réseaux sociaux, au mépris de la présomption d'innocence ? Quelle est l'influence de ces médiatisations sur l'indépendance de la justice ? Quelles solutions pourraient être apportées ?

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Les relations entre les avocats et les magistrats ne sont pas bonnes et ne vont pas en s'améliorant. Les deux parties sont en cause et personne ne peut s'exonérer de sa responsabilité.

À Paris, avant le déménagement dans le nouveau tribunal judiciaire, nous pouvions circuler assez librement et le contact entre les magistrats et les avocats se faisait. Aujourd'hui, le tribunal judiciaire ressemble à Fort Knox. Pour entrer, il y a des codes, des interphones et nous ne pouvons pas accéder à certains endroits. L'accès aux magistrats et les liens informels ne se font plus à cause de l'architecture. Il faut désormais faire des demandes formelles de rencontre et on constate que le juge d'instruction est parfois indisposé, peut-être parce que les avocats se comportent mal et demandent trop de choses. C'est compliqué et cela devient extrêmement conflictuel. Ce lien doit être amélioré. Il est vrai qu'en dépit de notre volonté d'être aimables et compréhensifs, le mouvement de contestation de la réforme des retraites que nous menons n'y participe pas. Cela est aussi lié aux moyens : un juge surchargé n'a pas de temps à accorder aux représentants du justiciable.

Le rôle du juge dans un monde socialement et économiquement tendu est pourtant fondamental. Les gens ont un sentiment d'injustice. Si l'institution n'est pas là pour les entendre, ils descendent dans la rue. Il faut donc un juge qui tranche, présent et disponible.

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Pour remédier au volume d'affaires, on numérise, on utilise la visioconférence, on regarde du côté de la justice prédictive. Les magistrats que nous avons entendus ne semblaient pas inquiets. Ce processus, où l'épaisseur humaine semble disparaître, vous semble-t-il dangereux pour l'indépendance de la justice ?

S'il y avait une mesure à prendre concernant les magistrats et pour une meilleure indépendance de la justice, laquelle prendriez-vous ?

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Jérôme Dirou, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers

Ma réponse ne va pas vous satisfaire mais il faudrait plus de magistrats. Si leur charge de travail était moins lourde, bien des choses s'amélioreraient toutes seules. La fonction cathartique est indispensable : il n'y a rien de pire qu'une décision de justice pour laquelle, après deux ans d'attente, la personne ne voit pas le juge et ne peut s'exprimer devant lui : pour elle, s'exprimer et être entendue est presque plus important que de gagner son procès.

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Philippe Klein, vice-président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Le critère essentiel, qui doit présider à toutes les décisions, quelles qu'elles soient, c'est l'humanité. Tant que le curseur de l'humanité demeure présent, vous prendrez la bonne décision. Dès qu'apparaît la déshumanisation de la justice, vous faites fausse route.

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Nous avons décidé d'accroître les médiations. Dans ma circonscription, je constate qu'il y a, finalement, peu d'encadrement de ces procédures. Cela me préoccupe car, dans beaucoup d'affaires, la justice n'a plus de regard. Il faut aller plus vite et les médiations sont en ce sens une bonne chose, mais la question de la justice et de la rapidité de son action reste centrale. Quelles dispositions faudrait-il prendre pour que la médiation se situe dans une sphère de droit et de justice et n'en soit plus un dispositif extérieur ? Quelquefois on retire l'affaire qui est pendante devant un tribunal parce qu'il a été décidé de réunir les deux parties et d'essayer de trouver un accord. On ne sait plus où l'on en est ; il y a là un vrai sujet de rationalisation.

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Jérôme Dirou, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers

Les principaux risques d'échec de la médiation sont l'absence de professionnalisation et l'éparpillement des médiateurs. En effet, un peu comme les experts judiciaires, ils exercent à titre individuel.

À Bordeaux, nous avons essayé de créer des juridictions de la médiation, et cela a heurté la ministre, Pour qu'elle soit efficace et utile, il faudrait que la médiation soit organisée comme des conseils de prud'hommes ou des tribunaux de commerce. Les médiateurs pourraient être regroupés dans une maison de la médiation avec un greffe qui accueillerait les personnes, s'occuperait du staff et donnerait à cette structure un processus de règlement des litiges dont la rigueur serait comparable à celle d'un processus judiciaire. Il y aurait un échange de pièces, des convocations des parties dans un lieu neutre et un engagement de produire une décision de règlement du litige sécurisée. Cela ne peut se faire que dans une structure regroupant des médiateurs et où les anciens pourraient former les plus jeunes, afin de permettre une homogénéisation des pratiques.

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Il existe des formations à la médiation très qualifiantes. Certaines sont suivies par les avocats et les magistrats. Je crois que cela représente 200 heures de formation. La professionnalisation des médiateurs est une vraie question car certaines formations sont proches du spiritisme…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Récemment, il y a eu un communiqué de l'association nationale des avocats pénalistes et, les militants de Bure, avec leurs avocats, ont été dans l'œil du cyclone médiatique et judiciaire.

Comment voyez-vous l'indépendance de la justice, au regard des différentes entraves telles que les perquisitions et les auditions d'avocats ?

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Xavier Autain, président de la commission communication du Conseil national des barreaux

Les perquisitions chez les avocats sont encadrées par un texte. Il permet la présence d'un avocat.

Nous rencontrons encore quelques problèmes relatifs aux écoutes téléphoniques puisque le texte, tel qu'il est interprété par la Cour de cassation, prévoit la désignation expresse de l'avocat pour les exclure. Dans l'affaire Sarkozy, notre confrère Herzog, bien qu'il soit l'avocat habituel de M. Sarkozy depuis des années, a quand même été écouté car il n'avait pas nominativement été désigné. Cela signifie que l'on part d'un principe d'écoute possible dès lors que la désignation n'est pas écrite. Nous avions beaucoup lutté contre ces écoutes dites à filets dérivants. Des éléments doivent justifier de placer un avocat sur écoute. À défaut, les cabinets d'avocats deviendraient – pour des magistrats mal intentionnés – des supermarchés de la preuve. Nos cabinets sont des citadelles qui contiennent les secrets que nos clients nous confient. Dès lors que nous ne participons pas à la commission des infractions poursuivies, il n'y a aucune raison d'aller dans nos cabinets. Nous sommes des justiciables comme les autres et il convient de sanctuariser les cabinets d'avocats.

La séance est levée à 17 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, Mme Émilie Guerel, M. Dimitri Houbron, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Olivier Marleix, M. Sébastien Nadot, M. Didier Paris, Mme Cécile Untermaier