Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • circonscription
  • circonscriptions régionales
  • citoyens
  • liste
  • parti
  • représentant
  • régionale
  • élection
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

Mercredi 24 janvier 2018

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 37.

I. Communication de M. Jean-Louis Bourlanges, vice-président, sur la réunion des Présidents de la COSAC organisée à Sofia, les 21 et 22 janvier 2018

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me suis rendu à Sofia pour la réunion des Présidents de la COSAC et j'ai pu constater que ce qu'on appelait la « petite COSAC » s'était élargie. Au cours de la réunion, la Présidence bulgare nous a présenté ses priorités pour les six mois à venir. Elles sont au nombre de quatre.

La première concerne la politique d'intégration des Balkans occidentaux. La Présidence a abordé cette question complexe et parfois même controversée avec délicatesse en estimant que le temps de la Présidence n'est pas celui de l'adhésion de ces pays à l'Union européenne, mais qu'il faut entreprendre dès maintenant des travaux préparatoires notamment en améliorant les infrastructures pour faciliter leur intégration le moment venu. La deuxième priorité concerne la sécurité et la stabilité et est essentiellement centrée sur les problèmes de l'asile. Cette priorité a donné lieu, lors du débat sur l'avenir de l'Union, à des discussions et prises de positions dont je dirai un mot tout à l'heure. La troisième priorité est celle de l'économie numérique : la Présidence bulgare veut poursuivre les initiatives prises sous présidence estonienne et favoriser l'adoption définitive d'un certain nombre de textes avant les élections européennes. La quatrième priorité est l'avenir de l'Europe et le désir a été rappelé de favoriser toutes les formes d'intégration et d'inclusion des jeunes.

De manière générale, chaque intervenant ne disposant que de deux minutes de temps de parole, les discussions ont davantage été un exposé des positions de chacun plutôt qu'un réel débat. Personnellement, j'ai signalé qu'il me semble que la grande attente de nos opinions publiques concerne les progrès à réaliser en matière d'asile et d'immigration. Puisqu'il faut desserrer le carcan du Règlement de Dublin qui fait peser une charge extrêmement importante sur les États de premier accueil, j'ai suggéré que l'aide à l'intégration, sous toutes ses formes, soit une priorité dans le futur cadre financier pluriannuel. Cela serait une grande dépense structurelle qui présenterait plusieurs avantages : favoriser ceux qui supportent le fardeau, engager une dépense qui ne paraîtrait pas absurde, notamment aux yeux de l'Allemagne, puisque celle-ci en bénéficierait, et envoyer enfin un message fort aux pays qui refusent d'appliquer les règles définies en matière de relocalisation et d'admission des migrants, en particulier la Pologne et la Hongrie, puisque ceux-ci ne recevraient pas d'argent dans ce cadre. C'est la proposition que j'ai formulée, de manière un peu moins directe que cela, à Sofia.

Nous avons ensuite abordé les questions relatives à l'avenir de l'Union européenne, notamment avec une intervention rigoureuse et ambitieuse du vice-président Timmermans. Nous nous sommes essentiellement concentrés sur deux problèmes : le problème de l'immigration et les travaux du groupe de travail sur la subsidiarité et la proportionnalité. Sur le premier point, il y a eu une tension assez forte entre la représentante de la Diète polonaise et le vice-président Timmermans qui a rappelé que le programme de relocalisation des migrants n'était pas un échec, même s'il n'avait pas atteint l'ensemble de ses objectifs et qu'il fallait faire preuve de solidarité dans la gestion de la question.

Le deuxième point concernait les travaux du groupe de travail sur la subsidiarité et la proportionnalité lancé par la Commission européenne et qui vise à offrir aux parlements nationaux l'occasion d'exprimer leurs frustrations, attentes et propositions dans la gestion des questions de subsidiarité. Je pense pour ma part que jusqu'à présent les parlements nationaux se sont mal saisis de cet outil en en détournant la finalité pour faire valoir leur opposition à un texte indépendamment de son respect du principe de subsidiarité.

La Commission européenne a créé un groupe de travail associant les parlements nationaux, le Parlement européen et le Comité des régions. Le Parlement européen boude cette instance et l'on peut distinguer plusieurs raisons non officielles à cela. La première est que ces questions de subsidiarité et de proportionnalité concernent essentiellement des activités de législateur, c'est-à-dire le Parlement européen pour l'Union européenne et les parlements nationaux pour les États membres. Il est compréhensible que le Parlement européen considère, quoique ne le disant pas explicitement, que le groupe de travail doive se limiter à des représentants parlementaires. Par ailleurs, les parlements nationaux sont des représentants des régions tout à fait légitimes avec lesquels le Parlement européen semble plus prêt à coopérer qu'avec le Comité des régions. Ces arguments n'ont pas été évoqués, mais tout cela était très implicite.

Pour ce qui nous concerne, il a été décidé que les représentants de la troïka parlementaire qui siégeront au sein du groupe de travail réuniraient des représentants des différentes commissions des Affaires européennes pour échanger avec eux sur les méthodes de travail de ce groupe.

Dans le débat qui a suivi, beaucoup d'intervenants ont fait valoir des griefs traditionnels quant à un trop fort interventionnisme de l'Union européenne sur des sujets techniques et une trop faible implication politique. Je me suis permis de faire une observation assez précise en rappelant que les compétences de l'Union européenne sont limitées par les traités et que l'on ne peut pas à la fois lui reprocher de ne pas faire de la « grande politique » en matière de politique étrangère ou d'harmonisation fiscale et lui refuser en même temps les procédures etou les compétences pour le faire. On ne peut pas lui reprocher ce qu'on ne lui donne pas les moyens de faire. J'ai conclu par la formule célèbre inspirée par Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, cher collègue, et voudrais vous interroger sur l'ambiance de la Conférence. Lors de la précédente réunion, il y avait certaines tensions avec la Pologne et la Hongrie. Les échanges étaient-ils cette fois plus apaisés ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il y a eu une tension très nette sur les questions d'immigration, mais le vice-président Timmermans a très clairement rappelé l'exigence des principes, c'est-à-dire qu'il a sanctionné l'illibéralisme de certains États membres, rappelant que l'Union européenne était une communauté de démocraties respectueuses des droits fondamentaux et insistant sur la nécessité d'aborder la question dans un esprit de solidarité, quelle que soit la réponse que l'on y apporte. Il a été assez ferme, sans agressivité, mais en proclamant cette affirmation de principe.

Le seul moment de tension s'est fait sur une autre question au moment où un représentant d'un État associé, probablement la Serbie, a fait une intervention assez ferme sur l'incongruité que représenterait à ses yeux l'intégration du Kosovo à l'Union européenne. C'est une question assez récurrente lorsque l'on parle des Balkans et comme disait Winston Churchill, « leur contribution à l'Histoire est nettement supérieure à leur taille ».

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous n'avons pas beaucoup avancé, par rapport à la dernière COSAC, sur cette taskforce subsidiarité. La Commission européenne n'a donc pas du tout accédé aux demandes qui avaient été formulées pour augmenter le nombre de parlementaires associés et allonger la durée des travaux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je pense que la Commission européenne n'a pas souhaité rouvrir la boîte de Pandore sur ces éléments. Je crois que la Commission a tort de vouloir faire de ce groupe de travail un groupe représentatif de tout le monde, car on se perd dans des recherches d'équilibre qui nuisent à l'avancée des travaux. Il aurait été préférable de faire de ce groupe de travail une simple boîte à idées, car il n'aura jamais la légitimité pour prendre des décisions sur ces sujets.

II. Présentation du rapport d'information portant observations sur le projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen (n° 539)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le projet de loi sur lequel j'ai instruit mon rapport vise à réformer les élections européennes en France, en vue du scrutin de 2019. C'est une élection décisive, qui interviendra quelques mois après le départ des Britanniques de l'Union européenne. La mandature 2019-2024 sera une mandature de refondation. Ce scrutin représente une échéance historique qui nous offre un certain nombre d'opportunités, et qui engage dans le même temps la responsabilité de nos familles politiques respectives, des médias et de la société civile.

Les élections européennes ont été trop longtemps considérées, à tort, comme une échéance électorale de second rang, ce qui a progressivement conduit les Français à s'en désintéresser – en témoignent les faibles taux d'abstention enregistrés depuis 2004. Mal comprises des électeurs, ces élections ont trop souvent attisé des débats strictement nationaux entre les différents partis politiques de notre pays, et ce, aux dépens d'enjeux européens pourtant cruciaux.

Notre approche de ce scrutin doit changer. Pour cela, nos familles politiques doivent saisir l'opportunité d'un retour à une circonscription nationale unique pour faire de ce scrutin un rendez-vous électoral majeur d'une part et pour européaniser ses enjeux d'autre part, en présentant des figures nationales aux compétences européennes reconnues et porteuses d'un projet européen mobilisateur. Il en va ici de notre responsabilité. Le rétablissement d'une circonscription nationale unique est une chance de donner à ce scrutin une meilleure lisibilité et de faciliter la compréhension de ses enjeux. À nous de la saisir pour confronter véritablement les différents projets européens que nous portons. Les circonscriptions régionales ont empêché jusque-là la tenue d'un véritable débat sur l'Europe. L'objectif initial, louable, de rapprocher le parlementaire européen des Français a échoué. Les circonscriptions étaient illisibles, n'avaient pas d'organisation logique. Une circonscription comme le grand Est comptait 5 régions, 18 départements et 9 millions d'habitants : il était difficile de sillonner de telles circonscriptions.

Les prochaines élections européennes engageront également la responsabilité des médias nationaux, singulièrement celle du service public audiovisuel, qui avait créé un précédent lors des élections de 2014, en choisissant de ne pas diffuser le débat qui avait opposé les candidats à la présidence de la Commission européenne. Ce précédent témoigne de la médiatisation déficiente des élections européennes dans notre pays. J'incite donc le service public audiovisuel à une meilleure couverture médiatique des élections européennes et des débats qu'elles entraînent, pour une meilleure information de l'ensemble des acteurs de la société civile. Les antennes régionales auraient également intérêt à se saisir en amont des consultations citoyennes, lancées au printemps 2018.

Justement, alors que l'Europe ne peut plus se construire à l'abri des peuples, j'estime que la réussite des consultations citoyennes initiées par le Gouvernement au printemps 2018 sera l'une des conditions de la réussite des élections européennes. La refonte du projet européen implique une exigence et une volonté démocratique plus fortes. Ces consultations citoyennes devront favoriser la pédagogie de l'Europe. Ce devoir de pédagogie nous engage en tant qu'élus, mais il engage aussi la responsabilité de l'ensemble des acteurs de la société civile européenne qui parsèment nos territoires : associations, enseignants, entrepreneurs, étudiants… La mobilisation des citoyens dans des forums décentralisés et les débats qui émailleront notre territoire et celui de tous les États membres qui voudront participer à ce vaste exercice de réflexion commune devront motiver les électeurs pour faire un choix clair en 2019.

Mais par-delà ces responsabilités, les élections européennes de 2019 doivent nous offrir de vraies opportunités politiques vis-à-vis de la future composition du Parlement européen. Comme vous le savez, à l'issue des négociations relatives au Brexit, les 73 députés britanniques du Parlement européen laisseront leurs sièges vacants. Alors que la question du devenir de ces sièges se pose, je défends la mise en oeuvre de listes transnationales au sein d'une circonscription européenne unique, à laquelle un certain nombre de sièges serait dédié.

Le projet de loi prévoit justement cette possibilité, qui offre une double opportunité. En premier lieu, c'est l'opportunité d'apporter une réponse politique au Brexit. Ensuite, c'est l'opportunité de représenter l'intérêt général européen. Le Parlement européen ne doit en effet pas être uniquement l'agrégat de 27 volontés nationales différentes, rôle que le Conseil joue déjà à certains égards, mais représenter l'opinion publique européenne, telle qu'elle se dégage de l'ensemble des électeurs par-delà les frontières nationales.

À cet égard, je me permets de saluer le large soutien aux listes transnationales enregistré hier lors du vote du rapport des députés européens Danuta Hübner et Pedro Silva Pereira en Commission des Affaires constitutionnelles (AFCO) du Parlement européen. Je me réjouis notamment que l'adhésion aux listes transnationales ait dépassé le clivage gauche-droite parmi nos représentants français au sein de la commission AFCO.

Enfin, la redistribution des sièges britanniques offrirait également l'opportunité de rééquilibrer la représentation actuelle des États membres au sein du Parlement européen, et notamment celle de la France, qui ne correspond pas à l'évolution démographique que notre pays a connue ces dernières années. À cet égard, la France peut légitimement réclamer l'obtention de sièges supplémentaires au Parlement européen. C'est un point que je défends dans mon rapport. Les députés européens membres de la commission des Affaires constitutionnelles se sont d'ailleurs prononcés hier en faveur d'une redistribution de 27 sièges dès 2019 entre les États membres, dont 5 supplémentaires pour la France. Voilà une nouvelle raison de nous réjouir de ce vote et de la dynamique positive qu'il insuffle en amont des élections européennes de 2019.

Toutes les conditions institutionnelles semblent donc réunies pour faire des élections européennes un rendez-vous électoral majeur. Il nous revient désormais de leur donner un souffle politique et de considérer ces élections sérieusement, pour reprendre de l'influence au sein du Parlement européen. Je vous remercie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avec ma collègue Constance Le Grip, nous défendrons une position différente, celle de circonscriptions régionales calées sur les nouvelles régions dessinées en 2015. Constance Le Grip a d'ailleurs déposé dès décembre dernier une proposition de loi en ce sens, cosignée par Guillaume Larrivé. Le scrutin sur la base de circonscriptions régionales est le plus pertinent et j'en veux pour preuve le fait que certains de nos voisins les plus proches, de grands pays européens, la Belgique, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Italie, voire l'Allemagne avec son scrutin mixte, élisent ainsi leurs représentants.

Vous nous dites que c'est une réponse à l'éloignement des citoyens, mais quel paradoxe ! Bien évidemment, plus une circonscription est grande, plus grand aussi est l'éloignement des citoyens par rapport au fait électoral… Or vous nous proposez la plus grande des circonscriptions possibles. Enfin, autre point qui montre toutes vos contradictions : vous demandez que les médias régionaux se mobilisent. Quoi de mieux pour cela que des représentants élus dans des circonscriptions régionales ?

Je veux aussi soulever d'autres points préoccupants, mais dont on ne parle pas. D'abord, la dépendance à l'égard de leur parti politique des représentants élus sur une liste nationale, constituée on le sait bien par le « fait du prince ». Avec une élection à l'échelle régionale, c'est le « fait régional » qui parle !

Un mode de scrutin à l'échelle nationale, c'est aussi la garantie d'une multiplication des listes, chaque parti voulant exister au moins médiatiquement. Et le risque, à la fin, c'est une moins bonne visibilité de la France, dont les représentants seront éparpillés dans plusieurs petits groupes. C'est aussi une moins bonne visibilité des députés européens, on l'a vu par le passé. Qui connaissait le 15e ou le 17e député européen de la liste nationale X ou Y ? Ils ne vont pas parcourir les territoires pour expliquer.

Alors que nous avons fait le choix de faire des régions les autorités gestionnaires des fonds européens, vous supprimez un lien évident entre l'action européenne de ces dernières et les représentants du Parlement européen. Enfin, rien ne démontre qu'une liste nationale est la parade à la baisse de la participation électorale.

Donc ne soyons pas naïfs : cette modification du mode de scrutin correspond avant tout à votre intérêt électoral du moment, les résultats des élections sénatoriales ayant mis en évidence la faiblesse de l'implantation locale de la République en Marche. Reconnaissez-le, simplement, d'autres que vous l'ont aussi fait avant vous !

Quant aux listes transnationales, leur parcours me semble compliqué. Si cette idée a été endossée par la Commission compétente du Parlement européen, il reste la plénière, et puis aussi le Conseil européen, à l'unanimité. Or M. Orban a d'ores et déjà annoncé qu'il mettrait son veto…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le groupe LREM soutient pleinement les propositions du rapporteur. Des élections nationales garantissent l'intérêt des médias, et rendront donc la politique européenne – si importante dans la vie de tous les jours – visible au Journal de 20 heures et en première partie de soirée ! Un député européen est là pour faire avancer l'Europe, pour dire la voix des Français dans l'Europe : il n'est pas là « simplement pour représenter la France ». Avec ce mode de scrutin, nous sommes en phase avec la volonté des Pères fondateurs.

Vous vous y opposez, mais c'est parce que les partis aujourd'hui en perte de vitesse se demandent comment continuer à exister demain et comment conserver leurs sièges au Parlement européen. Vous craignez une multiplication des listes, j'y vois moi le signe d'une vitalité démocratique retrouvée. La parole a été trop longtemps bridée, et les citoyens se sont éloignés. Chacun pourra débattre et exposer sa vision de l'Europe, au moment des élections, mais aussi avant, dans les conventions démocratiques. Avec une circonscription unique, les médias, les Français s'intéresseront de nouveau à l'Europe, car l'Europe, c'est l'avenir de la France !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mon groupe – et le parti dont il émane – soutiendra ce projet de passer des pseudo-circonscriptions régionales actuelles à une circonscription nationale. À dire vrai, aucun des deux systèmes n'est pleinement satisfaisant, et cela tient à la mauvaise organisation de l'Union et à sa mauvaise insertion dans notre paysage. Le système actuel a été dessiné avec des arrières pensées. J'ai connu les deux systèmes et j'ai de la mémoire. Le choix de la régionalisation, je l'ai poussé, avec M. Casanova. Nous avons été partiellement entendus par le RPR, à l'époque, car son président, Alain Juppé, ne voulait pas prendre la tête d'une liste nationale, et ce parti, dont on connaît les tendances jacobines, renâclait à une décentralisation complète du scrutin. Le résultat, ce fut ces huit circonscriptions, des cotes mal taillées : la mienne allait du Mont-Saint-Michel à la frontière belge !

Nos collègues de LR souhaitent maintenant un rapprochement avec nos treize régions, mais elles sont elles-mêmes très artificielles, dessinées dans des conditions politiciennes, je crois que tout le monde en conviendra. De plus, cela poserait certainement un problème de proportionnalité pour répartir nos 74 représentants, avec des régions de taille relativement petites, comme la Corse.

Mais je vais aussi doucher l'enthousiasme de mon collègue Anglade. Un mode de scrutin national ne rapprochera pas l'Europe des citoyens. Car cet éloignement a d'autres sources. D'abord le fait que, si le Parlement européen a beaucoup de pouvoirs dans l'Union, l'Union européenne a en elle-même peu de pouvoirs vraiment politiques : la concurrence, la monnaie, la politique agricole commune, etc... L'essentiel de ce qui fait le pouvoir politique reste au niveau national. Ensuite, le jeu politique européen, une démocratie de négociation et de compromis, est très différent du jeu politique national bipolarisé à caractère manichéen, tel qu'il s'exerçait jusqu'à présent ; les choses semblent avoir changé au printemps dernier ! Ce jeu européen fondé sur la négociation et le compromis, ni nos politiques, ni nos médias, ni nos citoyens n'y sont habitués, et donc ils sont en face de cette élection européenne comme « une poule devant un couteau » ! Une élection nationale – et je rejoins en cela M. Anglade – permettra au moins un choix clair, avec des listes perceptibles politiquement, c'est donc plutôt une amélioration.

Enfin, j'attire votre attention sur un point essentiel : acter des listes transnationales, c'est compliquer sérieusement l'éventualité que nos amis britanniques reviennent sur leur Brexit…

Or qui peut dire ce qui se passera dans quelques mois, si Mme May démissionne et qu'un autre référendum aboutit à un résultat inverse ?

Permalien
Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

Disons-nous les choses franchement, cet étrange découpage en huit circonscriptions procédait aussi de la volonté de minorer les sièges dont le FN allait bénéficier, compte tenu des sondages qui lui donnaient 12 % à 15 % des intentions de vote. Mais cette tactique s'est retournée contre ses auteurs en 2014. Ce mode de scrutin favorise la liste arrivée en tête, or ce fut la liste FN ! Le nombre de députés de ce parti au Parlement européen est finalement supérieur au nombre de voix obtenues. Mon intérêt propre serait donc de pousser au maintien du mode de scrutin actuel. Mais je suis partisan d'une liste nationale, parce que ces huit circonscriptions ne sont ni cohérentes ni d'une taille raisonnable, elles sont plus larges que certains des États membres. Pour ma campagne dans la circonscription Grand-Est, j'ai passé trois mois en camping-car !

J'approuve aussi la nouvelle répartition nationale, et l'augmentation du nombre de députés français, qui répare enfin une concession malheureuse faite par le Président Chirac. Par contre, l'instauration d'un vote préférentiel serait une véritable usine-à-gaz, avec des modalités de décompte extrêmement complexes.

Je serai beaucoup plus sévère sur les dispositions relatives aux médias durant la campagne électorale faites par le ministre de l'Intérieur, qui prend pour point de référence les groupes parlementaires des deux chambres nationales, sans y inclure les groupes représentés au Parlement européen. C'est antinomique avec votre volonté de tenir compte des débats européens, de mettre en valeur le Parlement européen, etc. ce qui est paradoxal, absurde, voire scandaleux !

Quant au désintérêt des citoyens, c'est d'abord le fait que le débat sur l'Europe n'a lieu qu'une fois tous les cinq ans, au moment des élections. J'en suis à mon sixième mandat, et les moments, entre deux élections, qui ont le plus marqué nos médias, c'est la teneur de beurre de cacao dans le chocolat, et les autorisations données aux chasseurs de chasser librement tel ou tel volatile à certaines périodes ! Admettez avec moi que c'est un peu mince. Mais c'est aussi, M. Bourlanges, parce que les fruits de l'Union européenne n'ont pas répondu aux promesses des fleurs.

Dernier point, les obligations déclaratives prévues dans le projet de loi existent déjà, et sont mises en oeuvre sur le site du Parlement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. le rapporteur, un de vos arguments en faveur des listes nationales, c'est la participation électorale plus élevée. Le tableau présenté le montre, mais montre aussi une certaine décorrélation. Une liste nationale permet d'afficher une unité, de porter plus loin la voix de la France. Mais cela étant dit, la question de la distance entre le député européen et le territoire n'est pas traitée. La question du partage des sièges britanniques soulève aussi des questions, lorsque l'on voit la divergence qui s'exprime entre la France et l'Italie, par exemple. Et je vois une certaine incohérence, voire une attitude un peu schizophrénique si vous me permettez l'expression, à vouloir augmenter le nombre des représentants français au Parlement européen, et, en même temps, à diminuer au niveau national, peut-être drastiquement même, le nombre des députés et des sénateurs !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour ma part, outre le retour en arrière que constitue le choix d'une circonscription nationale – comme Bernard Deflesselles l'a bien mis en évidence – je trouve pour le moins paradoxal de présenter d'un côté des listes transnationales pour rapprocher les élus européens de leurs électeurs et, de l'autre côté, d'éloigner de ces mêmes citoyens les représentants européens élus sur une base nationale. Le risque, ce sont des députés « hors-sol », alors qu'un vrai ancrage territorial apporte un plus dans l'exercice du mandat, j'ai pu le vérifier au cours de mes deux mandats. Certes, personne n'attend d'un député européen qu'il fasse le tour de tous les marchés de son eurocirconscription. Mais je peux vous assurer que l'ancrage territorial du député européen, sa connaissance des réalités économiques, sociales, environnementales, sont pleinement assumés par le Parlement européen avec les semaines mensuelles dédiées à la circonscription dans l'agenda des travaux du Parlement. Cet ancrage est réel et profond, et il est bien identifié par tous les corps intermédiaires de chaque circonscription, d'autant plus que les régions sont aujourd'hui autorités de gestion des fonds européens.

Quant à la question de la participation plus élevée, il n'est pas démontré qu'elle soit due à un scrutin organisé sur une base nationale. Lors des scrutins de 1979, 1984, ou 1989, c'est surtout le contexte historique et politique de l'époque qui l'explique, bien plus et bien mieux que le mode de scrutin.

Les élections européennes organisées avec le mode de scrutin régionalisé n'ont pas été exemptes de grands débats télévisés, et c'est surtout la frilosité du service public de l'audiovisuel qu'il faut blâmer, quand ce dernier a refusé de diffuser le débat entre les candidats en tête de liste les Spitzenkandidaten, dont la plupart parlaient français. Outre les médias nationaux, les antennes régionales, la presse quotidienne régionale se sont fait un honneur d'organiser de nombreux débats et émissions d'information lors des précédentes élections.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre discussion a bien mis en évidence les éléments relevant de la mécanique institutionnelle. Je voudrais pour ma part m'attacher à ce qui peut permettre aux citoyens, français et européens, de s'approprier le projet européen. Le rôle des médias est important, et à cet égard la différence, à l'avantage de l'Allemagne, dans la couverture médiatique donnée à l'adoption de la résolution commune entre notre Assemblée et le Bundestag lundi dernier est éclairante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette couverture aurait sans doute été plus importante en France si la mobilisation des députés LREM et celle du Gouvernement avaient été à la hauteur de l'événement !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

ARTE, dont nous avons auditionné récemment la Présidente, doit nous aider à présenter les enjeux du débat européen, tout comme les consultations citoyennes attendues en 2018. Finalement, quel que soit le mode de scrutin retenu, ce sont elles qui permettront aux citoyens français comme européens de s'approprier le projet européen et les encourager à venir voter.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je veux d'abord saluer l'audace du rapporteur, qui a fait des propositions en décalage avec le projet de loi. Mais il ne faut pas se voiler la face, inutile par exemple de s'appesantir sur les chiffres, le contexte change à chaque élection. Ce texte vise tout simplement à assurer le plus grand groupe possible à la République en marche au Parlement européen, car c'est bien la volonté du Président de la République. Et ce faisant, cette élection fera en sorte que deux forces s'affrontent, une force pro-européenne, celle que vous représentez, et une force anti-Europe dans sa forme actuelle, le Front National, en écrasant toutes les sensibilités intermédiaires.

Avec les circonscriptions régionales, les têtes de liste qui sont souvent des personnalités politiques de premier plan, avaient une partition propre. Avec une circonscription nationale, les choix seront faits à Paris par des apparatchiks, et les territoires et les outremers ne seront plus représentés à leur juste valeur. S'il n'y a pas de solution miracle, nous devons choisir entre le système actuel, en l'adaptant aux nouvelles régions, et votre proposition de listes nationales avec tous les inconvénients évoqués. Quant aux listes transnationales, nous avons déjà un système qui permet ce débat sur les enjeux européens, celui des Spitzenkandidaten, pourquoi inventer un système plus complexe, sans parler de l'impact sur un éventuel changement de position britannique !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le débat autour des élections européennes et de leur organisation dure depuis quarante ans. De nombreuses idées, plus ou moins brillantes, ont été avancées et parfois appliquées. Je pense en particulier à l'étonnant « tourniquet » qui voyait des élus démissionner à mi-mandat pour laisser la place aux suivants sur la liste. Pour moi, c'est une bonne chose que, dans une démocratie, les élus soient connus et reconnus de leurs électeurs. Or, force est de constater que ce n'est pas le cas pour les députés européens. Pour prendre un exemple personnel, je suis incapable de citer plus de trois ou quatre députés de ma circonscription du Grand Ouest. Dans ces conditions, je m'interroge sur la pertinence d'un système mixte où une cinquantaine de députés européens seraient élus dans autant de circonscriptions et vingt-neuf autres sur un scrutin de liste afin que l'ensemble des sensibilités soient représentées. Un tel système a-t-il été envisagé ? Enfin, j'attire votre attention sur l'un des inconvénients majeurs des listes nationales. Elles sont conduites par des têtes d'affiches nationales qui, à peine élues, démissionnent. Ce n'est évidemment pas satisfaisant.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis très heureux des échanges qui sont les nôtres. La pluralité des points de vue qui se sont exprimés est non seulement une bonne chose, mais également le signe que la classe politique française porte un grand intérêt à ces élections européennes. Ceci dit, je maintiens évidemment mon opposition aux circonscriptions régionales qui sont basées, comme je l'ai dit en introduction, sur des réalités qui ne correspondent à rien et ne respectent pas le principe de proportionnalité. Certes, Mme Le Grip, vous étiez élue en Île-de- France qui est la circonscription sans doute la plus cohérente de toutes et, à juste titre, vous pouviez penser avoir un ancrage territorial, mais pour les autres circonscriptions, ce n'est pas le cas. En outre, peut-on vraiment parler d'ancrage territorial quand un député européen représente 860 000 citoyens et que certains d'entre eux sont élus d'une région avec laquelle ils n'ont aucun lien ? Enfin, il appartient aux partis politiques de faire en sorte que, sur leur liste nationale, tous les territoires soient représentés.

S'agissant des polémiques politiciennes sur le faible ancrage de mon parti, je n'y souscris évidemment pas et je rappelle que, de mon point de vue, le retour aux circonscriptions régionales en 2004 a surtout permis aux partis politiques de l'époque de diluer le débat et éviter la confrontation nationale qui aurait mis en évidence leurs divisions sur l'Europe. La démission de grandes personnalités politiques – et pas seulement des grandes d'ailleurs – élues sur les listes européennes a toujours existé et existera toujours, quel que soit le mode d'élection.

M. Jean-Louis Bourlanges a évoqué le fait que les listes transnationales pourraient être un obstacle à l'éventuel retour du Royaume-Uni dans l'Union et Mme Marietta Karamanli le paradoxe de voir augmenter le nombre d'eurodéputés français, alors que le nombre total de députés européens diminuerait. Il faut ramener les choses à leur juste proportion. Il y aurait cinq eurodéputés français de plus seulement, afin de mettre leur nombre en cohérence avec celui des autres pays.

Je voudrais rappeler à M. Bruno Gollnisch que le Front National a remporté les dernières élections européennes avec un temps d'antenne limité et très inférieur à celui du Parti Socialiste. L'importance des clips électoraux est donc à relativiser fortement.

Enfin, M. Bernard Deflesselles a indiqué craindre un morcellement de la représentation de la France au Parlement européen. Je crois pour ma part en la force de la diversité. Je rappelle toutefois qu'il y a un seuil de 5 % nécessaire à toute liste pour avoir des députés européens.

Puis la Commission a autorisé la publication du présent rapport.

La séance est levée à 18 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bernard Deflesselles, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Benjamin Dirx, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Christophe Jerretie, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Ludovic Mendes, M. Thierry Michels, M. Didier Quentin, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - Mme Sophie Auconie, M. Alexandre Freschi, Mme Nicole Le Peih, M. Damien Pichereau

Assistait également à la réunion. - M. Bruno Gollnisch, parlementaire européen