La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 5 avril 2023

Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,

La séance est ouverte à 15 heures.

I. Audition de Mme Laurence BOONE, Secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée de l'Europe, sur les résultats du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023

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Des sujets d'importance ont été discutés lors du dernier Conseil européen des 23 et 24 mars 2023, notamment la guerre en Ukraine et la réponse de l'Union européenne à l' Inflation Reduction Act (IRA). Vous êtes aujourd'hui parmi nous, madame la secrétaire d'État, pour nous présenter les résultats de ce Conseil.

Je voudrais tout d'abord saluer les positions adoptées et les actions engagées pour soutenir l'Ukraine, en particulier l'accord conclu pour lui fournir un million de munitions au cours des douze prochains mois et la demande faite à Moscou de rapatrier les enfants ukrainiens emmenés de force en Russie. Je rappelle que la Cour pénale internationale (CPI) a récemment émis un mandat d'arrêt contre le président russe pour ce crime de guerre et pour d'autres. À ce titre, la commission des affaires européennes a quant à elle adopté une résolution la semaine dernière, à l'unanimité. Cela prouve l'importance que cette question des enfants transférés revêt pour la représentation nationale.

Autre sujet qui a, lui aussi, fait l'objet d'un débat au sein de notre commission : la réponse européenne à l'IRA. Il s'agit d'une question de souveraineté et d'indépendance pour notre continent. L'Europe doit réussir à décarboner son industrie si elle veut figurer parmi les leaders des industries qui feront l'économie de demain. Je me félicite de la rapidité avec laquelle les Européens ont su apporter, en quelques mois seulement, une réponse à cette nouvelle loi américaine. Nous disposons désormais d'un arsenal important, même s'il est encore possible de progresser sur certains points, comme sur celui du fonds souverain. Cette Europe qui protège, que l'on défend depuis longtemps, est en train de progresser, sous l'impulsion de la France.

La question du nucléaire continue pour sa part à faire débat. Notre commission a, il y a peu, adopté la proposition de résolution européenne de notre collègue Henri Alfandari, relative à l'énergie nucléaire comme enjeu pour la décarbonation du mix énergétique européen. Le soutien apporté par dix États européens à la position de la France et la création de cette « alliance du nucléaire » prouve que notre pays est loin d'être isolé en la matière.

Enfin, même si ce sujet n'était pas à l'ordre du jour du Conseil européen, je profite de votre présence parmi nous pour évoquer la visite en Chine du Président de la République et de la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen. Il s'agit d'une visite importante, qui démontre l'unité européenne, alors que nous devons établir un partenariat équilibré avec la Chine, que ce soit sur les questions stratégiques ou sur les enjeux internationaux, la crise ukrainienne en particulier. Pékin peut – et doit – jouer un rôle clé pour résoudre ce conflit ; s'il y a un pays que la Russie peut écouter, c'est certainement la Chine.

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Laurence Boone, Secrétaire d'État chargée de l'Europe

Comme vous le savez, trois points principaux figuraient à l'ordre du jour du dernier Conseil européen : premièrement, notre soutien à l'Ukraine, alors que la Russie poursuit sa guerre d'agression ; deuxièmement, la réponse européenne à l'IRA et, plus largement, la compétitivité et la politique industrielle et économique ; troisièmement, la situation énergétique de l'hiver prochain et les questions de compétitivité qu'elle soulève. Les migrations ont également été abordées, puisque ce conseil assurait le suivi du Conseil extraordinaire des 9 et 10 février 2023, au cours duquel la question migratoire avait été débattue.

Le dernier Conseil européen a, lui aussi, été exceptionnel, puisqu'il s'est ouvert par un échange avec le secrétaire général des Nations unies, M. António Guterres. À cette occasion, la volonté de renforcer la coopération entre l'Union européenne et l'ONU a été réaffirmée ; la nécessité de trouver une réponse multilatérale à la violation flagrante des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies a également été soulignée. Cette coopération entre l'Union européenne et l'ONU permet, en outre, de mieux répondre aux enjeux de sécurité alimentaire que soulève la guerre en Ukraine, à ceux de protection de l'environnement, de lutte contre la pollution, de préservation des écosystèmes, de santé à l'échelle du monde et de financement de l'aide humanitaire.

Le Conseil européen a rappelé son soutien indéfectible à l'Ukraine. Les vingt-sept membres de l'Union européenne sont unis et déterminés à maintenir et à accroître la pression collective sur la Russie, en consolidant les mesures restrictives, mais aussi en veillant à leur application uniforme. L'Union a également confirmé sa volonté de travailler avec ses partenaires pour que soient mises en œuvre les mesures de plafonnement des prix du pétrole. Elle entend aussi lutter contre le contournement des sanctions dans et par les pays tiers.

Le Conseil européen a, par ailleurs, apporté son soutien à la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies pour une paix juste et durable, votée le 23 février. L'une et l'autre de ces deux instances internationales soutiennent le plan de paix présenté par le président Zelinsky.

Un accord a d'autre part été trouvé pour livrer d'urgence des munitions à l'Ukraine, comme l'avait demandé le président ukrainien au début du mois de février. Pour ce faire, trois volets ont été définis : l'utilisation des stocks de munitions et de missiles des pays membres ; le soutien accru de l'Union européenne pour que les capacités de production de ces pays soient renforcées ; un dispositif d'acquisition conjointe pour acheter, en priorité, des productions européennes.

La lutte contre l'impunité figurait également au menu de ce Conseil, notamment celle dont bénéficient les auteurs d'enlèvements et de déportations d'enfants ukrainiens vers la Russie. Permettez-moi, monsieur le Président, de saluer votre proposition de résolution européenne, adoptée à l'unanimité, le 29 mars, que vous avez déjà évoquée. Enfin, toujours concernant l'Ukraine, l'initiative céréalière de la mer Noire a également été saluée.

Le deuxième point à l'ordre du jour, les enjeux économiques et de compétitivité, prolonge l'agenda du sommet de Versailles. La dynamique qui doit conduire à une souveraineté stratégique – en accord avec les ambitions écologiques de l'UE – non seulement se confirme, mais s'amplifie. Les orientations prises par le Conseil européen et leurs concrétisations marquent un changement majeur dans la manière dont l'Union européenne appréhende les défis économiques et industriels. Trois mois seulement ont suffi pour que les Européens répondent à l' Inflation Reduction Act. Il s'agit d'un délai très court, même à l'échelle d'un pays.

Il convient de s'arrêter un instant pour préciser que ce changement d'approche et cette rapidité de réaction matérialisent l'idée, défendue par le Président de la République, selon laquelle l'Europe est un « espace puissance ». L'Union européenne est animée par une logique d'ensemble, par un projet cohérent et ambitieux, qui s'inscrit dans le temps long. Il ne s'agit pas seulement d'une convention internationale qui peut, demain, être défaite point par point. Ce passage d'un espace économique à un « espace puissance » exige des économies fortes. Ce sont elles qui font notre capacité d'influence, capacité qui, je le rappelle, est colossale : 440 millions de consommateurs et un PIB par habitant de 25 000 euros. L'Union européenne est la première économie mondiale ; cela doit lui permettre de peser sur les échanges internationaux et sur des questions essentielles comme celle du climat. Le 22 mars, vous avez consacré une table ronde à la réaction de l'Union européenne face à l'IRA ; toutes les voix des parlementaires sont les bienvenues pour renforcer notre position.

Un accord de principe a été trouvé sur les orientations – proposées par la Commission européenne – qui concernent l'industrie à zéro émission nette et les matières premières critiques. C'est la stratégie du made in Europe qui a été défendue, après avoir été dévoilée dans une note des autorités françaises, le 9 janvier 2023. Il s'agissait alors de présenter la vision industrielle ambitieuse de la France, qui avait été inscrite dans l'agenda du sommet de Versailles de mars 2022. Le propos est de fixer des objectifs à l'horizon 2030 et de favoriser l'implantation de capacités de production européennes qui répondent à nos besoins stratégiques, pour ce qui est, entre autres, des semi-conducteurs et des technologies nécessaires à la transition verte. Plus l'UE investira dans ces technologies, plus elle créera demain des jobs de qualité.

Les dépendances de l'Union européenne doivent aussi être réduites, notamment en matière d'énergie, pour conduire la transition écologique le plus rapidement et le plus efficacement possible. C'est pourquoi les propositions de la Commission quant aux aides d'État, grâce auxquelles l'Union européenne peut répondre aux distorsions de concurrence éventuelles, ou encore les règlements sectoriels sur l'industrie à zéro émission nette et les matières premières critiques constituent les fondements de notre compétitivité. Encore faut-il – et nous y serons attentifs – que les financements soient à la hauteur des ambitions affichées et que l'assouplissement réglementaire soit efficace, mais aussi lisible par nos entreprises. C'est dans ce cadre que va s'inscrire le plan « industrie verte » de Bruno Le Maire.

Nos capacités d'investissement public et privé vont également être renforcées, par exemple pour ce qui est de la recherche et développement et de la formation. Nous sommes en situation de quasi-plein emploi et nous devons former les personnes inemployées – ou qui désirent se reconvertir – afin qu'elles puissent travailler dans ces nouvelles technologies, vertes ou numériques, ou encore dans le domaine de la santé, c'est-à-dire dans tous ces secteurs d'activité promus par les plans stratégiques européens. Les chefs d'État et de gouvernement ont aussi, à cet égard, appuyé l'achèvement de l'union des marchés de capitaux (UMC) et de l'union bancaire, les financements ne pouvant pas être uniquement publics.

La question du fonds de souveraineté, que vous avez évoquée monsieur le président, a été reportée au prochain Conseil européen, qui se tiendra en juin. Les premiers documents, qui font état des besoins, ont été élaborés et les discussions relatives aux financements appropriés auront sans doute lieu au cours de la seconde partie de l'année.

En ce qui concerne le commerce international, les prochains accords doivent être négociés selon trois critères : l'environnement – climat, transition écologique, biodiversité – ; l'équilibre des relations ; les intérêts stratégiques de l'UE. À ces trois éléments s'ajoutent bien sûr les valeurs sociales, sur lesquelles il est hors de question de transiger. La France continuera à défendre ces conditions fondamentales, préalables à toute ouverture commerciale. Concrètement, cela signifie que les pays avec lesquels nous passons des accords commerciaux doivent respecter les accords de Paris et que cette condition doit être inscrite dans les termes de ces accords. De même, les produits qui entrent sur le territoire de l'Union doivent respecter les normes et standards européens qui s'imposent aux industriels et aux agriculteurs locaux.

Le Conseil européen a également endossé les conclusions relatives à la révision de la gouvernance économique, adoptée par le Conseil Écofin (affaires économiques et financières) du 14 mars 2023, ainsi que les recommandations du Conseil de l'Union européenne sur la politique économique de la zone euro. Nous attendons désormais que la Commission présente sa proposition législative, dans les prochaines semaines.

Comment parler de compétitivité sans évoquer la situation énergétique ? Là aussi, le Conseil européen a été décisif.

D'abord, il a souligné la nécessité, dans un premier temps, de prendre rapidement des mesures législatives pour accélérer la transition énergétique ; dans un second temps, de procéder au stockage et à des achats conjoints de gaz, grâce à une nouvelle plate-forme, en prévision du prochain hiver. Tous les membres de l'Union européenne et leurs fournisseurs d'énergie doivent recourir à cette nouvelle plate-forme qui, grâce aux achats conjoints, permettra aux petits acteurs de profiter de conditions avantageuses. Ce nouvel outil va, en outre, rendre possible la coordination des achats, cela pour éviter qu'ils se fassent tous en même temps et qu'ils contribuent à l'augmentation des prix.

Ensuite, il a adopté la réforme du marché de l'électricité, qui doit être achevée d'ici à la fin de 2023. Cela doit permettre de soutenir le pouvoir d'achat des ménages, de garantir la compétitivité des entreprises et de réduire notre dépendance aux hydrocarbures. Un point essentiel concerne la neutralité technologique, c'est-à-dire la liberté laissée aux États membres de définir souverainement leur propre bouquet énergétique. Pour la France et les pays qui partagent son approche, la prochaine bataille va consister à faire respecter cette liberté, qui est conforme aux traités de l'Union européenne. Nous allons nous battre pour que chaque texte assure le principe de neutralité technologique et reconnaisse le rôle que joue l'énergie nucléaire dans la décarbonation de nos économies. À ce propos, je vous remercie pour votre proposition de résolution européenne. Il est très important, en effet, que la France puisse continuer à défendre sa vision au niveau européen en s'appuyant sur ses parlementaires.

Enfin, s'agissant des migrations, le Conseil européen a permis de faire un point d'étape sur les opérations conduites par la Commission depuis le Conseil de février dernier. Cela concerne en particulier le travail mené avec les pays tiers et les pays d'origine, extérieurs à l'UE, pour éviter les drames qui se produisent trop souvent en Méditerranée. Pour ce qui est de la dimension intérieure de ces migrations, le Conseil a appelé les colégislateurs à poursuivre les négociations relatives au pacte sur la migration et l'asile, en cours au Parlement européen, pour que ce pacte soit adopté d'ici à la fin de la législature.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Les Européens tiennent bon face à l'agression russe en Ukraine et notre union est encore plus forte et plus soudée qu'auparavant. Nous réduisons notre dépendance aux hydrocarbures russes et nous accélérons la transition énergétique de notre continent. Chacun des pays de l'Union européenne renforce ses capacités militaires et le travail que nous menons ensemble nous permet d'apporter le soutien nécessaire à l'Ukraine, comme nous l'avons encore vu ce matin avec le chef d'état-major des armées allemand, qui était auditionné par la commission de la défense. Le Gouvernement a tout notre soutien dans son action résolue au service de l'intégration européenne et dans tout ce qui peut apporter à l'Ukraine agressée les moyens de se défendre.

J'ai eu l'honneur de vous accompagner récemment lors d'un déplacement en Moldavie et j'ai ressenti un profond désir d'Europe et, disons-le, un désir de France. Le peuple moldave fait face à la même menace que le peuple ukrainien et subit des campagnes de déstabilisation et de désinformation, orchestrées et financées par la Russie. La république de Moldavie a déposé sa candidature à l'adhésion à l'Union européenne le 3 mars 2022, candidature reconnue à l'unanimité des vingt-sept membres, le 23 juin. Le Conseil européen du 23 mars réaffirme, dans ses conclusions, l'appui de l'Union européenne à la Moldavie face à ces menaces et demande à la Commission d'identifier un train de mesures concrètes pour soutenir ce pays.

Madame la secrétaire d'État, quelle est selon vous la meilleure manière d'accompagner la Moldavie dans son processus d'adhésion à l'Union, compte tenu du retard pris par ce pays sur les prérequis communautaires ?

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Il y a deux semaines environ, le texte interdisant la vente de véhicules thermiques neufs d'ici à 2035 devait être voté au Conseil de l'Union européenne. Mais, à la dernière minute, ce vote a été repoussé sine die. L'annonce de cette interdiction avait pourtant été faite depuis plusieurs années, à grand renfort de campagnes de communication, le tout-électrique devant nous sauver du réchauffement climatique.

Le réel a repris ses droits et de nombreuses études ont mis en lumière les conséquences environnementales désastreuses de cette mesure, provoquées notamment par le recyclage très polluant des batteries. De plus, la fin du moteur thermique, programmée pour 2035, aurait accéléré le déclin des constructeurs du Vieux Continent face aux nouveaux géants chinois et entraîné un chômage de masse. Plusieurs pays de l'Union, comme l'Italie et la Pologne, ont exprimé leurs réticences à ce projet ; des solutions moins idéologiques pour faire face au réchauffement climatique existent en effet, comme le développement de moteurs hybrides à dérivation de puissance ou les carburants synthétiques non polluants.

Pouvez-vous nous expliquer ces atermoiements et nous indiquer les pistes envisagées ?

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Pour ce qui est des migrations, quelle est la position du Conseil européen et de la Commission vis-à-vis du Royaume-Uni ? On parle beaucoup des problèmes de flux entrants, mais on a également un problème de flux sortants, en particulier à Calais, dans ma circonscription. Cette question avait été mise de côté lors de la discussion des accords de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais elle n'a pas été abordée dans le cadre de l'accord sur les futures relations entre les deux partenaires. La position du Conseil est-elle de ne pas s'occuper de cette question et de laisser la France et le Royaume-Uni la régler en bilatéral ou sous le format dit de Calais ?

Concernant les demandes d'asile, une politique d'externalisation de ces demandes prend forme au sein de l'Union, sous l'impulsion du Danemark. Quelles sont les positions respectives du Conseil européen et de la France sur ce sujet ?

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Le compte rendu officiel des travaux du Conseil européen fait état des objectifs de compétitivité – que vous avez rappelés –, de résilience, de productivité, d'énergies abordables et de réduction des dépendances stratégiques. Il précise également que le Conseil a invité la Commission à faire avancer les travaux menés sur tous ces points.

Évoquer les dépendances, c'est aussi distinguer les partenaires et les concurrents économiques ou encore ceux que l'on appelle les rivaux systémiques. Il existe un accord global sur l'investissement, le Comprehensive Agreement on Investment (CAI), entre la Chine et l'Union européenne, qui a été rédigé en 2020, puis bloqué au Parlement européen. Est-ce que cet accord sera visé par les règles à venir en matière de dépendance stratégique, sachant qu'il est en cours de discussion ?

Des risques pour notre sécurité économique, mais aussi nationale, existent désormais, en raison de la fusion explicite des secteurs commercial et militaire par la Chine. La France et l'Allemagne entendent-elles faire prévaloir une renégociation plus fondamentale du projet d'accord, avant la fin des travaux demandés à la Commission, en prenant en compte la sécurité et la réciprocité ?

Il serait paradoxal que, d'une part, soit affirmée une préoccupation d'indépendance économique et que, d'autre part, des négociations entamées avant la prise en compte de ces enjeux soient menées sans en tenir compte à présent. Nous souhaiterions connaître votre analyse sur ces différents points.

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Le mercredi 29 mars 2023, notre commission a adopté une proposition de résolution européenne relative à l'énergie nucléaire pour la décarbonation du mix énergétique européen. Quelle place occupera cette énergie dans les futurs actes européens sur l'industrie verte ? Cette question a été abordée par le Président de la République, en marge du dernier Conseil européen. La France dispose-t-elle d'un soutien suffisant pour que le nucléaire soit durablement inscrit comme technologie stratégique à zéro émission nette ?

Autre point intéressant de ce Conseil européen : la référence à la Conférence des Nations unies sur l'eau et la reconnaissance, par ce même Conseil, de la nécessité de mener une action renforcée sur l'eau, au sein de l'Union européenne, comme au niveau mondial. Le Président de la République a récemment présenté un plan « eau », comme priorité de la planification écologique du Gouvernement. Il a également rappelé à cette occasion qu'il était nécessaire de renforcer les économies d'eau pour les centrales nucléaires. Or pour l'eau comme pour la plupart des autres questions environnementales, la France agit souvent en concertation avec ses partenaires européens. À l'occasion de ce Conseil européen, de nouvelles initiatives dans la gestion coordonnée de l'eau entre partenaires ont-elles été évoquées par les chefs d'État ou de gouvernement ?

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En ce qui concerne l'Ukraine, existe-t-il dans l'Union européenne une volonté de recherche de paix, alors que l'exemple des négociations sur les exportations de céréales, qui se sont déroulées en Turquie – sous la supervision des Nations unies, mais avec sans doute l'implication de l'Union européenne – a montré qu'il était possible d'aboutir ? L'Union ne pourrait-elle pas avoir d'autres perspectives que la seule victoire militaire ? Ne pourrait-on pas envisager des trêves localisées, autour des hôpitaux par exemple, des cessez-le-feu temporaires ou encore l'établissement de couloirs humanitaires ? Ne pourrait-on pas dessiner des perspectives de paix ou, au moins, imaginer des solutions provisoires ?

S'agissant de la politique de l'énergie, je ne m'associe pas, vous vous en doutez, au panégyrique que le Conseil européen fait du marché unique et de ses trente années de bienfaits. Il existe un contraste entre ce nouvel acte de foi du Conseil et la situation réelle que connaît chacune des filières industrielles françaises. Mais le plus inquiétant, à la lecture des conclusions de ce Conseil, est cette volonté d'approfondir la déréglementation et l'ouverture des marchés, quoi qu'il en coûte du point de vue social et environnemental. Ainsi, le Conseil appelle « à simplifier l'environnement réglementaire général et à réduire la charge administrative, y compris en accélérant les procédures d'autorisation ». Il explique que « les obligations de déclaration, notamment en ce qui concerne l'ensemble de la législation écologique […] devront être rationalisées ». Il appelle également à « réduire les obstacles aux activités commerciales transfrontières […], à « approfondir l'union des marchés des capitaux, [à] supprimer les derniers obstacles aux financements transfrontières ». Le logiciel ultralibéral est évident.

Cela m'amène à m'interroger à propos des objectifs zéro émission nette, alors que le Conseil semble obnubilé par l'approvisionnement gazier. Il est vrai que notre dépendance au gaz naturel en général, et pas seulement au gaz russe, est un point critique de la politique énergétique européenne. Nous pensons qu'il faut définir une stratégie européenne de sortie du gaz naturel, en cohérence avec nos objectifs de décarbonation, et non une stratégie de poursuite, que je qualifierais de schizophrénique, de l'approvisionnement en gaz naturel. Mais je comprends que les choix énergétiques – notamment l'abandon de la filière nucléaire – de plusieurs pays européens plongent certains d'entre eux dans des contradictions insurmontables pour stabiliser leur système électrique. C'est bien pourquoi la France doit peser de tout son poids pour revenir à la raison climatique et géopolitique plutôt que d'accompagner une telle fuite en avant dans la dépendance au gaz fossile.

Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, nous éclairer quant à la position réelle qui a été celle de la France sur ce sujet, lors du Conseil ?

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Vous avez dit que l'Union européenne, forte de ses 440 millions de consommateurs, ne doit plus seulement être un espace économique, mais devenir un « espace puissance ». La fébrilité des pays baltes – Estonie, Lettonie et Lituanie – et la volonté qu'ils affichent d'apprendre aux jeunes générations à se protéger militairement nous inquiètent. Qu'en pensez-vous ?

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Lors de la table ronde organisée par notre commission, il y a quelques jours, il est apparu que les mécanismes de subventions européennes pour répondre à l'IRA étaient très complexes. Comment l'Union européenne prévoit-elle de les simplifier afin de répondre rapidement et efficacement au choc que constitue l'IRA ?

Ma deuxième question concerne Erasmus, l'un des programmes les plus emblématiques de l'Union européenne depuis sa mise en place, en 1987. L'inflation qui sévit depuis plusieurs mois fragilise ce dispositif d'échanges d'étudiants et d'enseignants ; beaucoup de jeunes hésitent désormais à y prendre part. Y a-t-il des discussions, au niveau des instances européennes, pour revaloriser le montant des bourses Erasmus ?

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Laurence Boone, Secrétaire d'État

Commençons par la visite du Président de la République en Chine, où il n'était pas retourné depuis la crise du covid-19. Le président Macron est arrivé à Pékin ce matin ; il se rendra ensuite à Canton. Cette visite est l'occasion de relancer les relations franco-chinoises dans tous les domaines. Le président de la République est attaché au maintien d'un dialogue constant et exigeant avec la Chine.

Le contexte international rend plus que jamais nécessaires les discussions avec Pékin et le maintien de notre partenariat stratégique, notamment en matière de climat et, plus largement, d'écologie. Les thèmes principaux abordés au cours de cette visite seront l'Ukraine, la dette des pays émergents, la biodiversité, les échanges humains et la coopération dans le domaine économique. Une attention particulière sera également portée à la communauté française en Chine, qui a beaucoup souffert durant l'épidémie de covid-19. Enfin, ce déplacement revêt également une dimension européenne forte puisque la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, accompagne le Président de la République. Il est important de rappeler que, sur la scène internationale, l'Union européenne est une puissance d'équilibre.

Toujours à propos de la Chine, vous m'avez interrogée, madame Karamanli, sur le fameux CAI, l'accord d'investissement qui est en discussion. Le président Macron et l'Union européenne sont très clairs : tant que des députés européens seront sous sanctions, cet accord ne sera pas signé. Cette fermeté est essentielle si nous voulons être sur un pied d'égalité avec la Chine, pour coopérer avec elle lorsque c'est stratégique et pour pouvoir lui dire non, très fermement, lorsqu'elle ne satisfait pas aux règles internationales.

Comme l'a rappelé Mme Le Peih, l'Union européenne est un acteur qui compte, pas seulement parce qu'elle abrite 440 millions d'habitants, mais aussi parce qu'elle est technologiquement avancée. Alors que les relations sino-américaines se tendent de plus en plus, l'Union européenne doit pouvoir aligner politique étrangère, politique commerciale et politique industrielle, dans l'intérêt des Européens et de leurs emplois. C'est ce message que veut faire entendre le Président de la République.

Venons-en à la Moldavie, où je vous remercie de m'avoir accompagnée, madame Klinkert. Ce pays, mais aussi la Géorgie, l'Ukraine ou ceux des Balkans ont besoin de ces marques de sympathie. La diplomatie parlementaire y est indispensable. Je sais, monsieur le président, que vous faites également tout votre possible pour voyager dans ces pays et régions.

Comment les aider ? La première chose à faire est de renforcer leurs capacités administratives. Ces pays perdent souvent des gens qualifiés, qui ont tendance à partir à l'étranger, mais qui, lorsqu'ils reviennent, contribuent à l'intégration de leur pays dans l'Union européenne. La Commission européenne doit les aider davantage en matière de capital humain. La lutte contre la désinformation est également essentielle ; je remercie à cet égard le président d'Arte, qui va mettre gratuitement des programmes à disposition de ces pays, qui ont dû suspendre la diffusion de contenus russes. Enfin, je le répète, la diplomatie parlementaire est essentielle.

Monsieur Berteloot, la fin de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035 a été actée. Les pays qui s'en sont émus et que vous avez signalés l'ont parfaitement reconnu. Cette décision est le résultat des trilogues. Les décrets d'application font de la place au e-fuel et nous serons très vigilants à leur rédaction, aux termes employés. Il est important de maintenir cette date de 2035 pour nos industriels, qui ont accompli beaucoup d'efforts pour développer des véhicules électriques. Il ne faut pas réduire ces efforts à néant ni dévaloriser leurs investissements. Une clause de revoyure est par ailleurs prévue, en 2027, afin de pouvoir s'adapter aux évolutions de l'industrie et à celles des connaissances scientifiques.

Monsieur Dumont, s'agissant du Royaume-Uni et de la politique migratoire, il y a deux sujets. Le premier est bilatéral ; le second est européen. À l'issue du sommet franco-britannique, Londres a décidé de contribuer à hauteur de 500 millions d'euros au renforcement de nos capacités d'intervention et de surveillance, au cours des trois prochaines années. Nous restons maîtres chez nous en matière de mise en œuvre. Pour ce qui est de la route des passeurs, elle traverse plusieurs pays de l'Union européenne ; c'est avec eux que nous nous attaquons aux passeurs, qui font commerce de vies humaines et les mettent en danger, ce qui est inacceptable. S'agissant du volet extérieur, et comme l'a rappelé le Conseil européen, nous devons activer tous les leviers pour réduire la pression migratoire. Le premier est l'aide au développement : il faut soutenir l'économie des pays d'origine et aider ces personnes à trouver un emploi. Il y a aussi le levier du commerce et des visas. Toutes ces actions doivent être mises en place dans le plein respect des droits de l'homme. Quant à l'externalisation des demandes d'asile, c'est une position danoise, qui ne fait l'objet d'aucun consensus au sein du Conseil européen.

Madame Gérard, la neutralité énergétique est inscrite dans les traités de l'Union européenne. L'objectif commun des vingt-sept membres est la décarbonation ; parmi eux, une dizaine de pays compte sur le nucléaire pour l'atteindre. Nous serons très fermes à ce sujet et nous nous battrons pour chaque texte, comme l'a clairement signifié le Président de la République lors du Conseil européen.

La question de l'eau n'a quant à elle pas été abordée lors de ce même Conseil des chefs d'État et de gouvernement. Elle a en revanche été débattue au cours du Conseil « environnement » du 16 mars 2023, l'objectif étant d'améliorer, en commun, le traitement des eaux résiduaires et la gestion de l'eau.

Nous pouvons tous, monsieur le président Chassaigne, nous réjouir de l'accord signé sur les exportations de céréales. Je rappelle cependant que c'est la Russie qui mène une guerre hybride au reste du monde en se livrant à un chantage sur l'énergie, mais aussi sur les produits alimentaires, sur les céréales notamment. C'est pour contrer les effets de cette guerre, qui affecterait plus particulièrement les pays en développement, qu'il fallait aboutir à cet accord. Le Président de la République l'a dit : la paix se fera aux conditions de l'Ukraine, quand elle estimera que c'est le bon moment. Il faut rappeler qu'il y a un agresseur et un agressé et que c'est à celui-ci de décider des conditions de la paix.

Concernant l'économie et l'industrie, je vous rappelle qu'il n'y a jamais eu autant d'entreprises et d'emplois créés, en Europe et en France. La rationalisation des autorisations doit permettre de mener les diverses procédures en parallèle, plutôt que les unes après les autres. Quant à l'UMC, elle est très importante, car nous avons besoin de financements pour développer nos entreprises et donc, je le rappelle, pour créer des emplois.

Quant au gaz, la position de la France et de l'Union européenne est très claire : nous allons sortir des énergies fossiles d'ici à la fin de 2050. L'Union européenne a déjà diminué sa consommation de gaz de 20 % en 2022 et un accord a été signé pour la réduire davantage encore l'hiver prochain. L'objectif reste de sortir des énergies fossiles, donc du gaz.

Madame Le Peih, nous sommes en train de bâtir l'Europe de la défense, car le monde est moins pacifique qu'il ne l'a été. L'histoire récente nous a appris que nous devons être forts, en tant qu'Européens et en coordination avec l'Otan pour assurer la paix sur notre continent. Cela passe par la formation des hommes – c'est ce que nous faisons avec l'Ukraine –, par des troupes conjointes, comme il en existe plusieurs dans l'UE et par le développement d'une industrie capacitaire. Nous ne sommes pas belligérants, mais nous comprenons que les pays baltes ou la Finlande, qui a plus de 1 300 kilomètres de frontière avec la Russie, aspirent à renforcer leurs capacités de défense et de protection, dans le cadre de l'Otan. Nous pouvons d'ailleurs nous féliciter que la Finlande rejoigne l'Alliance atlantique.

Enfin, Monsieur Seitlinger, la réponse de l'Union européenne à l' Inflation Reduction Act se matérialise notamment par 400 milliards d'euros, disponibles sous forme de subventions et de crédits d'impôt, ces derniers étant plus simples à mettre en place dans chaque pays. Si l'architecture de cette réponse est définie au niveau européen, sa mise en œuvre est en revanche nationale. En France, c'est par conséquent le ministre de l'économie et des finances qui s'en chargera, notamment dans le cadre du plan « industrie verte », qui a été dévoilé le 3 avril.

Pour répondre à votre seconde question, il y a effectivement des discussions au sujet d'Erasmus, beaucoup de pays s'inquiétant des conséquences de l'inflation – sur le prix des logements notamment –, mais je ne peux pas vous en dire davantage. Je pourrai vous donner des informations complémentaires ultérieurement, si vous le souhaitez.

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Qu'en est-il de la fameuse dérogation accordée à l'Allemagne quant à l'interdiction de la vente de voitures thermiques neuves après 2035 ? Les Allemands auraient accepté cette interdiction dans la mesure où on permettrait de continuer à rouler avec des voitures à moteur thermique fonctionnant avec du carburant synthétique. En avez-vous eu connaissance ?

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Laurence Boone, Secrétaire d'État

Absolument, monsieur le Président Chassaigne. Il n'y a pas de remise en cause de l'accord trouvé dans les trilogues. Il y a eu des discussions, qui se retrouveront dans les mesures d'exécution de cet accord, sur lequel il n'est pas question de revenir. Nous serons très attentifs à la façon dont seront rédigés ces mesures, qui accordent une place à ce que l'on appelle les e-fuels. Il était très important, pour l'ensemble des constructeurs de véhicules de l'Union européenne, d'avoir une date butoir précise. Beaucoup parmi eux ont déjà énormément investi dans les véhicules électriques ; il n'était pas possible de revenir en arrière. Il y a une clause de revoyure en 2027 et nous serons, là aussi, très vigilants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mais il y a bien une dérogation, l'Allemagne ayant exigé une exemption concernant l'utilisation de carburants synthétiques après 2035 ?

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Laurence Boone, Secrétaire d'État

Les Allemands n'ont pas obtenu gain de cause. Il y aura effectivement des clauses d'adaptation dans les mesures d'exécution, mais ils n'ont pas eu de dérogation à l'interdiction de ventes de véhicules thermiques neufs après 2035. Et nous pouvons tous nous en féliciter.

La séance est levée à 15 heures 50.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierrick Berteloot, Mme Pascale Boyer, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Félicie Gérard, M. Benjamin Haddad, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, M. Denis Masséglia, Mme Lysiane Métayer, M. Frédéric Petit, M. Jean-Pierre Pont, M. Vincent Seitlinger

Excusés. - Mme Anne-Laure Blin, Mme Louise Morel, M. Charles Sitzenstuhl