Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission auditionne M. Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi (CDCS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et M. Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien, sur la situation au Soudan.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président

La séance est ouverte à 14 h 40

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Mes chers collègues, notre réunion de cet après-midi intervient à un horaire quelque peu inhabituel mais elle se justifie par la situation plus que préoccupante que subit actuellement le Soudan, ainsi que par la nécessité pour notre commission de contrôler l'action récemment entreprise par le Gouvernement pour préserver nos intérêts et nos ressortissants sur place.

Afin de nous éclairer sur ce que l'on peut qualifier de guerre civile en cours à Khartoum, au Darfour et dans le reste du pays, ainsi que sur les mesures engagées et le rôle que notre pays entend prendre dans les initiatives pour un retour au calme et à la paix civile, j'ai demandé à deux responsables clés du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur ce dossier de venir devant nous aujourd'hui.

Monsieur Stéphane Romatet, vous êtes directeur du centre de crise et de soutien (CDCS). Vous avez été aux premières loges des opérations d'évacuation de nos ressortissants et de notre personnel diplomatique mais aussi de nombreux civils et diplomates d'autres pays. Vous pourrez nous expliquer comment vos services et le ministère des armées ont planifié ces interventions délicates qui ont été un réel succès.

Monsieur Christophe Bigot, vous êtes le directeur de l'Afrique et de l'océan indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. À ce titre, vous êtes un observateur privilégié de tout ce qui advient dans cette région de l'Afrique, que vous analysez pour le compte des plus hautes autorités de l'État, en étroite collaboration avec les ambassadeurs en poste dans chaque pays de la zone. Votre vision nous sera particulièrement utile pour apprécier les origines de la crise, ainsi que la manière dont notre diplomatie peut participer à une issue.

Monsieur Jean-Christophe Belliard, notre ambassadeur actuel en Côte d'Ivoire, qui connaît bien le continent africain, me rappelle régulièrement combien l'Afrique de l'Est, peut-être plus encore que l'Afrique de l'Ouest, doit être un sujet de préoccupation. Je suis donc ravi que cette audition soit l'occasion de nous éclairer sur ce sujet.

Situé dans le Nord de l'Afrique, en bordure de la mer rouge, entre l'Égypte et l'Érythrée, le Soudan est traversé de part en part par le Nil et constitue le troisième plus grand pays du continent, en superficie, après l'Algérie et la République démocratique du Congo.

Depuis l'indépendance de 1956, l'histoire du pays a été fortement marquée par les tensions centrifuges entre le Nord et le Sud, lequel est devenu indépendant sous le nom de Soudan du Sud, en juillet 2011.

Cette sécession du Sud, région disposant de plus de 80 % des réserves en hydrocarbures du Soudan originel, a indéniablement déstabilisé l'assise du régime du général Omar el-Bechir, parvenu au pouvoir en 1989 par un coup d'État. Ce dernier a dû en effet prendre des mesures d'austérité en 2018, qui ont provoqué une forte inflation et ont conduit la population à se soulever. Il a été destitué et remplacé par un conseil militaire de transition, composé aussi de civils, le 11 avril 2019.

À l'automne 2021 ont débuté des affrontements entre les militaires et le gouvernement civil. Le général Abdel Fattah Abdelrahman Burhan, chef des forces armées soudanaises (FAS), a fini par prendre le pouvoir avec, à ses côtés, le général Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, qui dispose pour sa part de l'appui de forces paramilitaires, les forces de soutien rapide (FSR). Depuis le 15 avril dernier, ce binôme a volé en éclat puisque les FSR et les FAS s'affrontent pour le contrôle des sites gouvernementaux dans plusieurs villes, notamment à Khartoum.

Le 22 avril, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a annoncé la fermeture de notre ambassade sur place, où étaient réfugiés les personnels et leurs familles, tandis que l'ambassadrice était bloquée à la résidence de France. Sur décision des autorités françaises, l'opération Sagittaire, impliquant notamment des moyens de l'armée de l'air et la frégate Lorraine, a permis d'exfiltrer du pays plus de 1 000 personnes, dont des personnels de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et des diplomates étrangers, ainsi qu'environ 216 ressortissants et leurs ayants-droit.

Cette tâche était complexe et il convient de saluer l'implication de nos diplomates et personnels militaires, dont l'un a été blessé.

Aujourd'hui, malgré l'annonce de plusieurs cessez-le-feu malheureusement sans effet notable, la guerre civile se prolonge. Ses conséquences sont vertigineuses : selon l'ONU, les combats auraient déplacé plus de 330 000 personnes à l'intérieur du pays, tandis que 100 000 autres au moins auraient fui vers les États frontaliers, notamment l'Égypte, l'Érythrée, l'Éthiopie, le Tchad et la République centrafricaine, au risque d'étendre les tensions déstabilisatrices dans une région déjà fragile. Le nombre de victimes, à ce stade inchiffrable, s'annonce d'ores et déjà considérable – sans doute plusieurs milliers de morts.

Il apparaît donc urgent d'œuvrer à la recherche d'une solution négociée. En l'espèce, la France, qui n'a pas exercé de tutelle coloniale sur ce pays, dispose de relais auprès des belligérants, qui créditent notre pays d'avoir organisé à Paris une conférence internationale d'appui à la transition, en mai 2021. Nous avons donc un rôle à jouer et cette commission sera aussi heureuse de vous entendre sur ce point.

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Dans l'histoire des crises auxquelles le CDCS a été confronté, celle-là restera probablement située à un très haut niveau d'intensité. En effet, nous avons dû intervenir et protéger des Français dans un environnement particulièrement hostile, en répondant à l'appel de nos partenaires pour prendre la responsabilité d'une véritable opération d'évacuation de nos compatriotes mais aussi de la plupart des communautés étrangères qui se trouvaient à Khartoum.

Samedi 15 avril, des tirs à l'arme lourde ont débuté dans la capitale. Depuis des années, le Soudan était agité par des convulsions et des événements politiques : aussi, chacun savait que des événements dramatiques s'y préparaient, bien que nous ignorions quand et à quelle intensité ils surviendraient.

Vous en avez rappelé les principaux jalons : la chute du régime islamiste de Bechir en 2018, suivie d'une transition démocratique à partir de 2019, et qui s'est achevée en 2021 par l'alliance improbable entre deux chefs de guerre : Burhan, ancien chef d'état-major et chef de l'État, et Hemetti, chef de guerre à la tête d'une milice redoutable et fortement armée ; en un mot, le vice appuyé sur le bras du crime. Nous savions que cette alliance allait éclater et que des troubles s'ensuivraient pour le contrôle du pouvoir et de la capitale.

Pour la première fois, malgré tous les troubles qu'a connus ce pays, ces affrontements de grande ampleur, à l'arme lourde et avec le déploiement de moyens aériens, se sont déroulés au cœur même de la capitale afin de prendre contrôle des centres névralgiques du pouvoir.

Très vite, la situation a dégénéré. Le Nil blanc et le Nil bleu, qui se rejoignent à Khartoum, séparent la ville en trois parties. Or, les ponts sur le Nil Blanc sont désormais coupés, rendant impossible toute communication entre le Nord de la ville – où se situe la résidence de l'ambassadrice française – et le Sud – où sont installés l'ambassade, l'école française, le centre culturel et l'aéroport. Dès le premier jour, nous avons été informés de premières scènes de pillages contre des villas cossues, certaines d'entre elles habitées par des occidentaux. Nous avons donc très rapidement craint un enclenchement d'événements risquant de mettre en danger notre communauté et avons par conséquent décidé d'ouvrir la cellule de crise.

Dès le lundi 17 avril, nous avons planifié une opération d'extraction de nos compatriotes. Nous avions alors trois priorités. La première consistait à localiser la communauté française. Au regard des chiffres dont nous disposions, celle-ci était peu nombreuse mais en raison d'un faible taux d'enregistrement auprès du consulat, nous avons rapidement constaté – comme c'est le cas à chaque crise – qu'aux 250 personnes recensées s'ajoutaient de nombreux Français présents sur le territoire, ainsi que leurs ayants-droit (conjoints ou enfants, notamment).

Très rapidement, nos partenaires européens, notamment suédois, allemands et italiens, ont contacté le CDCS afin que nous prenions en charge leurs propres ressortissants dans le cadre de nos opérations, à la fois par solidarité et par devoir. Nous avons procédé, grâce à nos contacts avec nos homologues, à un décompte de ces communautés dites protégées : le nombre de personnes que nous devions évacuer a ainsi plus que triplé.

De même, les Britanniques et les Américains nous ont immédiatement fait savoir qu'ils n'évacueraient que leurs diplomates, et non leurs communautés, pas même le personnel local des ambassades.

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

C'est une doctrine, que nous avons constatée à plusieurs reprises. Les Britanniques, notamment, estiment ne pas avoir de responsabilités particulières vis-à-vis de leur communauté. Ils y ont finalement été contraints sous l'empire des circonstances : constatant le départ de toutes les communautés étrangères, ils ont envoyé quelques avions pour évacuer leurs ressortissants.

Alors que l'insécurité devenait croissante et les approvisionnements difficiles, notre deuxième priorité était de regrouper nos communautés dans l'ambassade et la résidence de France, en profitant des quelques accalmies et cessez-le-feu.

L'extraction, enfin, formait le troisième temps de notre réponse à la crise. Nous avons travaillé dans ce cadre avec le ministère des armées à des plans d'évacuation. Le président de la République a rapidement validé un schéma d'évacuation militaire et l'opération Sagittaire a été engagée avec le ministère des armées, à partir de la base de Djibouti et avec le concours de la marine nationale.

Trois types d'opérations ont été menées. La première consistait à sécuriser une plateforme aéroportuaire située à une vingtaine de kilomètres au Nord de Khartoum, l'aéroport principal de Khartoum, localisé en zone rebelle, étant inaccessible. Un premier vol militaire a atterri sur cette plateforme le 22 avril. Les forces spéciales françaises se sont déployées sur cet aéroport pour engager des extractions. Dix rotations de vols militaires, opérés depuis Djibouti avec des moyens aériens français, ont permis d'évacuer quasiment 500 ressortissants de toutes nationalités.

De surcroît, de nombreux membres du personnel des Nations Unies et d'associations humanitaires étaient bloqués à Port-Soudan. Les autorités françaises ont donc décidé d'envoyer la frégate Lorraine, qui a permis à 500 passagers de traverser la mer rouge et d'arriver à Djedda.

Enfin, la France a décidé de mettre en sécurité le personnel des Nations Unies et le personnel humanitaire opérant dans le Darfour, notamment dans la ville d'El Fasher, en les évacuant vers le Tchad.

Au total, 1 098 ressortissants ont été évacués, dont 216 Français, de nombreux ayants-droit – qui sont souvent des Soudanais ayant un lien de famille avec des Français ou disposant d'un titre de séjour en France – et des ressortissants issus d'une soixantaine de pays.

Si nous n'avons qu'un seul blessé à déplorer, cet épisode aurait pu être dramatique. Nous pouvons en tirer quelques conclusions.

D'abord, il revient au crédit de nos forces armées d'avoir su conduire une opération aussi complexe, dans un contexte de sécurité particulièrement dégradé. Cette opération nous a valu un succès d'image tout à fait considérable auprès de nos partenaires. En effet, les Européens ont pris conscience que notre pays était probablement le seul de notre continent à pouvoir mener des opérations de cette envergure. La prise en charge de nombreux personnels des Nations Unies nous a également valu une forte estime.

En outre, dans l'histoire des crises auquel a fait face le CDCS, cette opération a marqué une collaboration exemplaire entre les services des armées et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Enfin, la France a la fierté de disposer de capacités militaires qui lui permettent de mener ce type d'opérations : la base de Djibouti, notamment, est un atout considérable pour notre pays.

Il me faut insister, en dernier lieu, sur l'urgence humanitaire. Le Soudan, verrou de l'Afrique de l'Est, subit depuis plusieurs décennies une crise dramatique à cet égard. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été déplacées, entraînant un risque pour les pays voisins, notamment le Tchad. Nous avons donc établi un plan humanitaire, également mis en œuvre par le CDCS, doté de 27 millions d'euros prioritairement affectés à l'appui aux déplacés et réfugiés soudanais à l'extérieur du pays. Dans un deuxième temps, nous espérons pouvoir intervenir en territoire soudanais, ce que le conflit ne nous permet pas encore.

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Reste-t-il des populations en situation de détresse qui n'auraient pas encore été évacuées et auprès desquelles il n'est plus possible d'intervenir ?

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Oui. Nous avons procédé à un recensement aussi exhaustif que possible, en contactant tous nos compatriotes. Quelques Français – pour la majorité des Franco-soudanais – ont été contraints de rester sur place, généralement pour des raisons familiales. C'était cependant un choix de leur part.

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Ces civils sont-ils fortement menacés par la violence du conflit ou l'affrontement reste-t-il cantonné aux forces militaires ?

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Le conflit entre les FSR et les FAS peut bien entendu entraîner des dommages collatéraux. En effet, la seule tactique des deux belligérants est le jusqu'au-boutisme : aucun n'a droit à la défaite, sous peine d'être anéanti. Au nom de cette réalité, toutes les exactions, quelles que soient leurs conséquences sur les civils, sont envisageables. Nous avons aussi constaté des scènes de pillage dans les premières journées de la crise. Cependant, aujourd'hui, l'ensemble du dispositif français ayant été rapatrié, notre accès à l'information est limité.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Le Soudan était dans une situation de grande fragilité depuis la révolution de 2018 et l'arrivée d'une coalition aussi improbable que fragile entre le général Burhan, d'anciens supplétifs darfouris – qui, du temps du général Bechir, combattaient dans le Darfour – et les partis traditionnels de la capitale de Khartoum. Lorsque le premier ministre qui était à la tête de cette coalition, Abdallah Hadmok, a été contraint de se retirer, elle est devenue purement militaire et dirigée par un diptyque instable : les différences de culture ne sont en effet pas négligeables entre une armée et des supplétifs, et entre des Darfouris et une armée à l'ADN essentiellement nilotique. Par ailleurs, le Soudan était plongé dans une grave crise économique et devait faire face à d'autres éléments rebelles, au Kordofan ou encore dans l'Est.

On ne peut donc dire que cette crise n'aurait pu être anticipée. Était-elle évitable ? Je ne le crois pas. La France, les Nations Unies, l'Union africaine et les États-Unis ont redoublé d'efforts pour trouver une voie pour le Soudan, dont les contours ont commencé à se préciser en décembre dernier. C'est d'ailleurs peut-être parce que nous nous approchions d'une solution, qui supposait des compromis – que l'armée se réforme et qu'elle intègre les supplétifs –, que le conflit a éclaté. Les combats se poursuivent, car chacun – tant le président et chef de l'armée que son ancien vice-président et chef des supplétifs – pense encore pouvoir gagner.

Les conséquences sont très graves. Il y aurait 700 000 déplacés au Tchad, au Soudan du Sud, en Égypte et en Éthiopie, et 150 000 réfugiés. Quant au nombre de victimes, il est très difficile de l'évaluer. Les chiffres dont nous disposons comptabilisent les victimes civiles mais ils reposent sur les informations des hôpitaux. Or, ces derniers ne fonctionnent plus, puisqu'il n'y a plus d'électricité, de fioul, ni de médicaments à Khartoum.

Les efforts que nous menons sont de plusieurs natures. Avant la crise, nous avions l'espoir qu'une démocratie soudanaise puisse se construire sur les ruines de la dictature islamiste de Bechir. C'est ce qui a motivé la conférence organisée par le président de la République en 2021. Chaque acteur – notamment l'Allemagne, les États-Unis et les organisations internationales – a pris des engagements pour faire de la révolution soudanaise une réussite : la France avait ainsi annoncé l'annulation de 5 milliards de dollars de dette.

Depuis lors, nous avons développé des liens étroits avec la société civile soudanaise, qui nous en sait gré, mais aussi avec le général Burhan et avec le général Hemetti. Je les ai personnellement rencontrés en décembre 2022 avec mon homologue allemand, et notre ambassadrice Raja Rabia était également en contact avec eux. C'est d'ailleurs grâce à ces relations que nous avons obtenu les facilités nécessaires pour passer d'une zone à l'autre lors de l'opération d'évacuation. Outre le rôle joué par notre ambassadrice, le président de la République a appelé le général Burhan pour s'assurer du bon déroulement de l'opération, tandis que la ministre de l'Europe et des affaires étrangères a échangé avec le général Hemetti.

Ces liens restent actifs. La ministre est en contact avec les ministres égyptiens, émiriens, saoudiens et américains, ainsi qu'avec le secrétaire général des Nations Unies, dans le cadre de deux principaux exercices : une discussion s'est d'abord tenue dans le cadre du G7, puis sous l'égide du président de la commission de l'Union africaine, pour rechercher une solution.

Des pourparlers indirects sont en cours à Djedda, pour obtenir a minima un cessez-le-feu d'une durée provisoire, probablement, de trois semaines. Il permettrait d'ouvrir des corridors humanitaires pour réalimenter Khartoum et le Darfour, où se concentrent les combats. Par la suite, nous devrons trouver une solution de plus long terme mais elle ne pourrait consister en un retour ex ante à ces accommodements qui n'ont que trop démontré leur instabilité. Elle s'appuiera sans doute sur une plus forte implication des civils : il faut en effet noter que dans le schéma précédent, les forces qui tenaient la rue n'avaient pas été intégrées au processus politique.

La communauté internationale devra travailler en intégrant l'Égypte et les Émirats arabes unis, qui ont des intérêts et des partenaires au Soudan, mais aussi l'Arabie saoudite, qui joue un rôle de puissance d'équilibre dans cet exercice. Les Américains, et surtout les Africains, devront aussi y participer : rien ne serait pire que de donner l'impression que l'on règle cette crise sans prendre en compte les intérêts de ces pays qui, en tant que voisins du Soudan, subissent les conséquences de cette crise et qui ont également une connaissance très fine de ce qui s'y passe. Je pense par exemple à Salva Kiir, le président du Sud-Soudan, ou au président de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad). Toutefois, pour l'heure, notre priorité reste l'aide humanitaire.

Notre ambassade est aujourd'hui délocalisée à Paris. Après une période de décompression qui a suivi leur évacuation, les agents diplomatiques nous ont dit être prêts à reprendre leur travail et à poursuivre les contacts à distance. Si la crise perdure et qu'il s'avère impossible que l'ambassade revienne à Khartoum, nous devrons sans doute l'installer à proximité du Soudan, probablement à Addis-Abeba. L'enjeu sera de rester à la fois en lien avec les civils, les supplétifs et les militaires. Si nous ne constatons aucune avancée, rien ne nous interdit de penser à des mesures plus coercitives, notamment à des sanctions : la question reste ouverte.

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Les orateurs des groupes vont à présent vous poser les questions que ce sujet leur inspire.

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En déclenchant l'opération d'évacuation Sagittaire, la France a prouvé qu'elle est encore, et plus que jamais, une puissance diplomatique de premier plan, capable de se tenir aux côtés de nos compatriotes et des ressortissants étrangers dans les situations les plus difficiles.

Afin d'évacuer les Français du Soudan, plusieurs rotations aériennes particulièrement complexes ont été déployées entre Khartoum et notre base militaire à Djibouti. Outre de nombreux Français, notre pays a également pris en charge les ressortissants européens et de pays tiers ne disposant pas de la même capacité d'intervention pour ce type d'opérations délicates et très techniques, voire ne souhaitant pas intervenir.

Je souhaite saluer le courage et le sang-froid de nos soldats – un militaire français a d'ailleurs été sérieusement blessé durant les manœuvres – et, plus largement, toutes les personnes qui ont contribué à cette évacuation. Je remercie également Raja Rabia, ambassadrice de France au Soudan, et Dana Purcarescu, ambassadrice de France à Djibouti.

Une telle évacuation est particulièrement difficile à vivre pour nos compatriotes qui doivent, du jour au lendemain, tout laisser derrière eux. L'intervention de la France ne se limite pas aux seules évacuations : en effet, c'est toute une chaîne de solidarité qui se met en place pour veiller au bon accueil et à la prise en charge de nos concitoyens sur le territoire national. L'association France Horizon, notamment, a déployé un formidable travail d'accompagnement à l'initiative et en partenariat avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Pouvez-vous nous présenter le processus d'accompagnement dont bénéficient nos ressortissants de retour sur le territoire national ? Comment acheminer l'aide humanitaire du CDCS dans le chaos qui règne au Soudan ? Pour finir, vive la France !

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Le rôle de l'État ne se résume pas, en effet, à la seule évacuation des ressortissants. Une fois arrivés à Djibouti, nous avons affrété un avion pour les rapatrier en France, où un dispositif d'accueil – notamment soutenu par France Horizon, qui permet de trouver des solutions d'hébergement – a été établi en mobilisant toutes les administrations concernées et coordonné par le cabinet de la première ministre. La préfecture de Bobigny a ainsi pris en charge l'accompagnement administratif, afin de résoudre les problèmes de logement, de scolarité ou ceux liés aux conditions de séjour.

L'accompagnement comporte aussi un volet psychologique : les cellules d'urgence médicopsychologiques ont été mises à disposition de nos compatriotes. Ce travail a été effectué dans les premières semaines suivant le retour des ressortissants, le 3 mai dernier. Nous devons nous attendre à ce qu'il s'inscrive dans la durée car toute perspective de retour à Khartoum dans les mois à avenir paraît hors d'atteinte.

S'agissant de l'aide humanitaire, notre présence sur le terrain est aujourd'hui impossible. Nous agissons donc au travers d'organisations non gouvernementales (ONG) dans les États frontaliers, notamment au Tchad, au Soudan du Sud et en République centrafricaine. Dès que les corridors humanitaires auront pu être établis, nous délivrerons l'aide humanitaire en priorité à Khartoum.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Les actions du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) complètent aussi l'action des ONG, dont certaines nous ont indiqué pouvoir poursuivre une activité depuis Gedaref . Par ailleurs, plusieurs agences des Nations Unies ont maintenu leur présence à Port-Soudan, où un deuxième vol de la direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (Echo) est prévu ce jour. Il sera suivi par un troisième. Se posera ensuite la question de l'acheminement des vivres et des médicaments depuis Port-Soudan.

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Le Rassemblement national condamne la guerre civile qui sévit au Soudan depuis le 15 avril, au nom du droit des peuples à la liberté et à la prospérité. Dans ce cadre, notre groupe s'interroge sur le rôle que pourrait jouer la France en faveur de la paix, à l'heure où notre pays subit une atmosphère de défiance généralisée sur le continent africain.

Cette guerre au Soudan est à l'image de l'histoire d'un pays dont le peuple, comme tant d'autres en Afrique, est victime d'un État défaillant. Il est donc regrettable de voir se dérouler sous nos yeux un conflit entre deux factions militaires qui prend en otage – au sens propre – le peuple soudanais, alors qu'un État de droit suffisamment fort sur ses bases aurait permis de le juguler. Ainsi, au Darfour par exemple, on nous rapporte que des snipers tirent sur toutes les personnes qui sortent de chez elles. À Khartoum, les habitants vivent barricadés chez eux, sans eau ni électricité.

En tant que présidente du groupe d'amitié entre la France et la République centrafricaine, je suis ce conflit avec attention. Selon l'ONU, 200 000 réfugiés ont déjà fui vers les pays voisins. Soulignons également l'attitude ambiguë de certains pays limitrophes qui n'hésitent pas à s'ingérer dans le conflit, comme l'Égypte et l'Éthiopie, en rivalité pour le contrôle de la région autour de la mer rouge, et qui ne se cachent pas de soutenir l'une et l'autre faction.

La France, puissance d'équilibre, ne doit pas prendre parti entre les FAS commandés par Burhan et les FSR pilotés par Hemetti, ce dernier s'affichant comme un opposant aux islamistes. Le droit des peuples est la boussole du Rassemblement national : c'est au nom de ce droit à la paix que nous dénonçons la politique actuelle menée par le chef de l'État, qui revient à renoncer à notre rôle de puissance d'équilibre en Afrique, uniquement pour satisfaire des raisons idéologiques au moment où la voix de la France aurait tant besoin d'être portée.

Pour quelles raisons les administrations ont-elles sous-estimé la présence d'ayants-droit ? Cette situation est-elle habituelle ?

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Notre travail est d'approcher la communauté française le plus précisément possible dans les pays où sont susceptibles de se déclencher des crises. Cependant, nous constatons chaque fois – et cela a notamment été le cas en Ukraine – des difficultés à prendre en compte de nombreux ayants-droit. En effet, l'enregistrement ne leur est pas ouvert. Nous ne sommes pas toujours informés des liens de famille entretenus par nos compatriotes avec d'autres ressortissants. Il s'agissait, en l'occurrence, de conjoints soudanais de Français et de Soudanais ou de ressortissants d'Érythrée ou d'autres pays voisins de passage au Soudan disposant d'un titre de séjour en France, parfois en vertu du droit d'asile.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Je suis surpris par vos propos, madame la députée. En effet, dans un pays avec lequel nous n'avons pas de relations historiques – autres que dans le domaine de l'archéologie –, nous avons réussi à jouer un rôle décisif, dans un premier temps en apportant tout notre soutien, y compris matériel, à la réalisation de l'espoir démocratique, et d'autre part dans cette phase aiguë. Sans notre capacité à dialoguer avec Burhan, Hemetti ou les pays frontaliers, nous n'aurions sans doute pas pu mener à bien notre mission d'évacuation. Pour la suite, chacun s'attelle à définir les conditions d'un cessez-le-feu.

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Depuis le 15 avril, les violents affrontements qui ont éclaté entre l'armée régulière soudanaise et les paramilitaires des FSR sont d'une gravité sans commune mesure. En un mois, l'ONU dénombre plus de 750 morts, 6 000 blessés et 700 000 déplacés. Dans cette guerre des généraux qui a anéanti l'espoir d'une transition démocratique, les populations demeurent les premières victimes. L'aide humanitaire peine à leur parvenir. L'ONG Médecins Sans Frontières évoque l'évacuation périlleuse de blessés et de personnels soignants, la fermeture de 70 % des hôpitaux de Khartoum et des réapprovisionnements incertains. L'ONU, par la voix de son secrétaire général, a condamné le pillage à grande échelle des organisations humanitaires et des programmes d'aide alimentaire.

Cependant, les condamnations demeurent bien insuffisantes au vu de l'ampleur du désastre humanitaire. Les rares cessez-le-feu se succèdent et se ressemblent. Le conflit ne cesse de s'envenimer, laissant craindre une « somalisation » du Soudan.

Or, quels acteurs régionaux et internationaux peuvent représenter un tiers crédible afin de mettre fin à cette escalade de la violence ?

L'Union européenne ? Elle a fait de la lutte contre les flux migratoires son cheval de bataille au détriment de la protection des peuples et a affaibli sa position en devenant sujette au chantage du régime de Bechir quant au contrôle de ses frontières.

L'Égypte ? Si elle apporte un soutien à Khartoum, c'est pour servir ses intérêts hydrauliques vis-à-vis de l'Éthiopie.

Les Émirats arabes unis ? Ils lorgnent les côtes soudanaises de la mer rouge.

Les pays proches de la région du Sahel, qui craignent de nouvelles déstabilisations ?

Quant à la France, quel rôle peut-elle jouer désormais ? Il y a urgence à agir. L'espoir d'un renouveau démocratique, réclamé par les populations avant l'éviction du régime el-Bechir, s'éteint progressivement dans l'indifférence de la communauté internationale.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Les États ont bien entendu des intérêts au Soudan. L'enjeu est de les concilier et de trouver une solution, à la fois dans l'immédiat – avec un cessez-le-feu permettant d'établir des corridors humanitaires – mais aussi à plus long terme. Depuis 2019, beaucoup de bonnes fées se sont penchées sur le Soudan, et beaucoup d'entre elles avaient intérêt réellement à parvenir à un compromis. Certes, certaines avaient des intérêts économiques ou migratoires, tandis que d'autres avaient en tête la gestion du Nil : nul ne le conteste.

La France n'a pas d'intérêts directs au Soudan. Nous n'avions que deux entreprises françaises au Soudan spécialisées, l'une, dans les produits contre la malnutrition, l'autre, dans la production de gomme arabique – soit une présence économique limitée. Notre intérêt est la stabilité de l'Afrique, de cette région et plus particulièrement de l'Égypte et du Tchad, pays avec lesquels nous entretenons des relations étroites. Au-delà, il était de notre devoir de soutenir un régime qui présentait des qualités incontestables, après la dictature islamiste de Bechir. Nous devons désormais trouver un nouveau chemin, en lien avec d'autres partenaires. Nul n'a intérêt à ce que la guerre perdure au Soudan.

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Le succès de l'opération Sagittaire a montré, une fois encore, combien le réseau que forment la diplomatie française et ses partenaires, y compris en Afrique, est précieux pour faire face aux situations de crise.

Vous avez évoqué la situation d'Érythréens titulaires du droit d'asile en France. Ont-ils obtenu leur titre de séjour en France depuis l'Érythrée ? Des Soudanais titulaires du droit d'asile ont-ils été évacués ?

La France s'est-elle impliquée dans une négociation de cessation temporaire des combats afin de limiter le risque d'attaque pendant l'évacuation de ses ressortissants ?

Monsieur Bigot, en tant que député de Calais, je ne suis pas d'accord avec vous sur l'absence totale d'intérêts directs de la France au Soudan. En effet, la majorité des personnes qui errent et meurent dans le Calaisis sont des Soudanais. En tant que maire, il m'est arrivé de me rendre sur des scènes de meurtres entre des Soudanais et d'autres ressortissants. Nous avons donc un intérêt direct à la stabilité de cette région.

Enfin, quelles évolutions de la situation envisagez-vous à court et à moyen terme ?

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Cette crise est en effet avant tout révélatrice de l'intérêt de disposer d'un réseau diplomatique universel. Beaucoup des pays dont nous avons évacué les ressortissants ne disposaient pas d'une ambassade à Khartoum. Or, il s'agit d'un atout fondamental pour notre pays.

Nous avons dû tenir compte du profil de ceux que nous avons évacués : si certains Soudanais avaient un lien indissociable avec des Français, nous devions assurer le contrôle migratoire des personnes prises en charge. C'est la raison pour laquelle le dispositif que nous avons établi à Djibouti a associé deux agents de la direction de l'immigration du ministère de l'intérieur, chargés de procéder au contrôle de la population soudanaise disposant d'un titre de séjour et des quelques réfugiés, notamment érythréens, titulaires du droit d'asile.

Nous n'avons pas pris en compte un certain nombre de ressortissants non français, sous récépissé de demande d'asile, en considérant qu'ils ne relevaient pas de notre responsabilité et qui s'étaient manifestés tardivement, alors que l'opération était achevée.

Par ailleurs, nous avons profité des relations que nous avions avec les deux parties au conflit par le biais de notre ambassadrice pour les informer des mouvements que nous opérions dans la phase d'extraction, qui a duré quarante-huit heures. Ce contact en temps réel avec les belligérants a garanti la sécurisation des convois et la suspension de tout acte d'hostilité à leur encontre. Seul le premier convoi a été ciblé par une faction.

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Avez-vous rencontré des difficultés dans ces échanges ? La France a-t-elle été traitée comme un interlocuteur légitime ?

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

L'ensemble de nos contacts étaient fluides et professionnels : si nous ne partageons pas les mêmes valeurs, Burhan comme Hemetti avaient conscience qu'ils n'avaient aucun intérêt à mettre en danger la vie de la communauté étrangère. Cependant, nous pouvions craindre que les instructions de ces généraux ne soient pas totalement respectées.

Il faut aussi rappeler l'action de nos partenaires. Les Américains, en particulier, avaient des moyens de pression importants sur les deux belligérants pour faire respecter le cessez-le-feu, lequel a assuré des conditions plus propices à l'évacuation.

J'ai évoqué l'absence d'intérêts économiques de la France sur place mais, en effet, la stabilité de l'Afrique est bien évidemment importante pour limiter les mouvements migratoires, qui peuvent aussi provenir d'autres pays de la région.

Il est très difficile d'envisager l'évolution du conflit, qui pourrait se transformer en scénario épouvantable, sur le modèle libyen, syrien ou yéménite, en mettant en jeu l'affrontement d'influences étrangères et d'intérêts économiques, auxquels s'ajouteraient des phénomènes tribaux et rebelles et la dissémination des armes. Pour l'heure, nous voulons croire qu'il est possible de ne pas en arriver là. Mais on peut imaginer que Burhan, qui dispose d'armes lourdes – l'armée soudanaise, depuis l'époque de Bechir, a été équipée par la Russie – et d'un corps plus discipliné, parvienne à l'emporter. Dans ce cas, on observerait une forme de retour dans le passé : le Darfour, tenu par Hemetti, se constituerait en zone rebelle permanente. À l'inverse, si Hemetti parvenait à tenir Khartoum durablement, les islamistes et les autres provinces risqueraient de s'autonomiser.

Il faut donc trouver un accord entre les deux belligérants. Mais cet accord ne sera rendu durable que par l'émergence d'une force civile plus viable, solide et large que celle qui a existé entre 2019 et 2021.

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C'est en effet l'honneur de la France que de prendre en charge ses ressortissants malgré les difficultés liées à l'enregistrement auprès des consulats, auxquelles il nous faudra sans doute réfléchir. La singularité de cette position la rend encore plus remarquable.

Vous avez rappelé l'effroyable bilan d'un mois de conflit : le bilan officiel fait état de 676 morts, dont 18 humanitaires blessés, de plusieurs centaines de milliers de Soudanais déplacés, dont près de 200 000 à l'étranger, et de 4 millions d'habitants privés d'eau, d'électricité, de médicaments et de nourriture à Khartoum. On parle également de suspicions de violences sexuelles, d'exécutions et de disparitions. Cette situation est une véritable tragédie, alors même que le Soudan est l'un des pays les plus pauvres du monde.

L'ONU a chiffré les besoins financiers à 2,6 milliards de dollars pour la seule aide humanitaire, à destination de 25 millions de personnes, et à 470 millions de dollars pour les réfugiés. Quelle pourrait être la contribution française à ce montant ?

Vous avez évoqué des contacts au plus haut niveau de la part du Gouvernement à la suite de la déclaration de Djedda, qui ne mentionne pas de cessez-le-feu. Quelles en sont les perspectives ? Peut-on imaginer des sanctions au niveau national ou européen ?

La présence de mercenaires venus du Mali, du Tchad et du Niger, mais aussi celle du groupe Wagner, en soutien aux FSR, a été évoquée. Cette présence est-elle attestée ?

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

La présence de Wagner au Soudan, notamment en vue de protéger des intérêts miniers, est étayée. Il ne faut pas oublier que Wagner et son réseau ont été en contact et ont soutenu autant les FSR que l'armée soudanaise, dont la Russie est le principal fournisseur d'armes – même si chacun a pu noter que Hemetti s'est rendu à Moscou et qu'il a des intérêts personnels et privés avec la Russie.

Le groupe Wagner est également fortement présent en Centrafrique. La Russie cherche de longue date – sans y être parvenue jusque-là – à prendre pied à Port-Soudan. Si rien ne montre pour l'heure qu'il s'agisse d'un enjeu du conflit, il faut toutefois le prendre en compte.

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

L'appel d'urgence lancé par le bureau de l'ONU chargé de la coordination de l'aide humanitaire mentionne en effet les chiffres que vous évoquez. Nous avons proposé une première réponse d'urgence à hauteur de 27 millions d'euros, pour financer le HCR pour ses actions de mise à l'abri des réfugiés au Tchad et au Sud Soudan, ainsi que des ONG comme Solidarités International, Première Urgence Internationale et Action contre la faim.

Lorsque les corridors humanitaires seront opérationnels, nous devrons probablement prendre une initiative pour envoyer de l'aide humanitaire au cœur du Soudan. Nous avons fait savoir à Echo que nous souhaitions charger du fret humanitaire sur les vols opérés par cette agence dès que la route entre Port-Soudan et le reste du pays sera rétablie. Les conditions ne le permettent malheureusement pas encore.

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J'ai regretté que l'actualité accorde peu de place à l'opération Sagittaire et au rôle de la France dans la gestion de cette crise, qui devrait pourtant faire l'objet de notre fierté.

Comment sommes-nous arrivés à cette crise et quel rôle la France peut-elle désormais jouer ? D'un côté, on observe que l'Arabie saoudite tient une place importante dans la région, tout en reprenant ses relations avec l'Iran et en conservant ses liens avec la Chine ; de l'autre, les États-Unis engagent des pourparlers en faveur d'un cessez-le-feu. L'Union africaine participe-t-elle à ces négociations ? Qu'attendent les pays voisins – et notamment le Tchad – de la France ?

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Avant le déclenchement de la crise, nous avions le sentiment de nous rapprocher d'une solution, qui supposait des concessions de la part de l'armée et des supplétifs. Or, ni Burhan, ni Hemetti n'y étaient prêts, pour des raisons qui dépassent la simple rivalité personnelle.

L'effort de la communauté internationale a été important, tant sur le plan financier que sur le plan diplomatique. Je ne crois pas que nous ayons été pris en défaut. On peut toutefois regretter que les Soudanais, au-delà des Forces de la liberté et du changement (FFC) – la coalition des partis traditionnels de Khartoum –, n'aient pas suffisamment été inclus dans le jeu politique. Cela aurait peut-être permis d'éviter le coup d'État de 2021, qui a annoncé la suite des événements.

Le rôle que nous jouons est important, au regard de notre position au Conseil de sécurité de l'ONU et de notre faculté d'entraînement au sein de l'Union européenne, qui s'exerce en synergie avec l'Allemagne notamment. Notre présence reconnue dans la région, en particulier à Djibouti ou au Tchad, conforte aussi l'action que nous devons y mener.

Nous ne participons pas directement aux discussions qui ont lieu à Djedda, où l'Arabie saoudite et les États-Unis tiennent le rôle principal, mais dès que cela sera possible, nous pourrons contribuer à la mise en place d'un mécanisme de vérification du cessez-le-feu, à la sécurisation des corridors ou à la légitimation d'un accord. Enfin, au-delà de l'accord entre les deux généraux, il faudra réfléchir au soutien civil et démocratique. Nous avons fait nos preuves avec la conférence organisée à Paris, qui réunissait civils et militaires, et qui a été un succès.

L'Égypte comme le Tchad ont une place particulière au Soudan : l'Égypte en a été la puissance protectrice – ou colonisatrice – pendant plusieurs décennies. Elle entretient des intérêts de voisinage et historiques importants avec ce pays et des relations de proximité avec le général Burhan, les forces soudanaises et les services de renseignements soudanais, ainsi que des liens économiques. En parallèle, une partie des tribus tchadiennes et soudanaises ont des liens familiaux. Au-delà de l'aide humanitaire que nous devons apporter à ces pays pour faire face à l'afflux de réfugiés soudanais, nous devons rester vigilants quant à de possibles transferts d'armements.

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Nous en venons à présent aux questions posées à titre individuel.

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L'opération Sagittaire est un succès à mettre au crédit d'un réseau diplomatique universel, qui repose sur une connaissance fine des différents pays et des liens de confiance, mais aussi sur une volonté politique et des moyens, dont nous sommes en partie comptables puisque nous en votons les budgets. La logistique imparable, la réactivité et le discernement de vos services doivent être salués.

Qui arme les belligérants de ce conflit ? Au-delà du groupe Wagner, ce conflit a-t-il donné lieu à des manipulations de l'opinion ou à des tentatives d'ingérences, notamment sur les réseaux sociaux ?

J'ai une pensée pour les victimes d'atteintes aux droits humains, et en particulier aux femmes, qui subissaient, avant même le déclenchement du conflit, des violences sexuelles.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Le Soudan dispose d'usines d'armement sur son territoire. Par ailleurs, l'armée soudanaise est traditionnellement approvisionnée par la Russie, qui est le premier pourvoyeur d'armes sur l'ensemble du continent.

Les FSR s'approvisionnent également en Russie et même sur le marché mondial car elles disposent de ressources importantes, notamment grâce à leur contrôle du secteur minier. Certains pays de la région jouent également un rôle de plateforme pour s'approvisionner en armes.

En revanche, l'armée régulière soudanaise est la seule à disposer d'armements lourds : c'est d'ailleurs par ces moyens qu'elle compte l'emporter.

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Le Quai d'Orsay, qui était à l'origine de l'opération d'évacuation avec le ministère des armées, n'a fait aucun commentaire sur l'attaque du premier convoi d'évacuation. A-t-elle donné lieu à une réponse armée des soldats français ? Était-elle le fait d'un élément isolé ?

Le 14 mai, les forces armées soudanaises ont ouvert le feu sur une église, blessant gravement plusieurs personnes et révélant une possible dimension religieuse de ce conflit territorial et politique.

Une contrepartie à l'évacuation des ressortissants d'autres pays était-elle prévue ? La France est en contact avec les deux partis : est-il attendu qu'elle joue un rôle de médiateur ?

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

La première opération d'extraction s'est heurtée à une résistance armée – sans que nous sachions de quelle faction elle émanait – sur un des ponts en cours de franchissement. C'est dans ces circonstances qu'un soldat français a été blessé assez sérieusement. Il a été immédiatement pris en charge par un dispositif médical. À ma connaissance, ses jours ne sont plus en danger.

L'armée française n'a pas engagé le feu, afin de garder maîtrise de la situation. Si cette opération a pu être menée à bien sans aucun dommage pour nos compatriotes, nous le devons en effet au sang-froid et au professionnalisme de nos forces armées.

La contrepartie de l'extraction de ressortissants étrangers est liée au mécanisme de protection civile de l'Union européenne, qui nous permet, lorsque nous conduisons des opérations multinationales, d'obtenir une prise en charge financière du coût de ces évacuations. Ce mécanisme a été activé dans le cadre de l'opération Sagittaire, dont les coûts – notamment d'affrètement d'avions – seront pris en charge à hauteur de 75 % par le budget de la protection civile de l'Union européenne.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Le Soudan est très majoritairement musulman. Cependant, les enjeux sont davantage d'ordre tribal, les affrontements opposant les tribus nilotiques aux les tribus périphériques du Kordofan, de l'Est du Soudan et du Darfour. Par ailleurs, l'héritage islamiste de Bechir reste présent dans l'armée, dans l'administration ou encore dans les services de renseignement : ce conflit pourrait être l'occasion de sa résurgence.

La médiation a pour l'heure été assurée par l'Arabie saoudite, puissance d'équilibre entre l'Égypte et les Émirats arabes unis. Elle exerce ce rôle dans les pourparlers qui se tiennent à Djedda. L'Union africaine, l'Union européenne et la France seront disposées à venir appuyer cet accord pour le légitimer et le financer, afin qu'il associe pleinement les voisins du Soudan.

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La situation humanitaire et politique du Soudan est désastreuse : le 9 mai, l'ONU avançait les chiffres de 700 000 déplacés dans le pays depuis le 15 avril et de 117 000 réfugiés dans d'autres pays, dont 50 % au Nord de l'Égypte. De son côté, le HCR précisait que 800 000 Soudanais pourraient fuir vers les pays voisins et que 580 000 personnes risquent de devenir réfugiées.

Si les chiffres continuent à croître, l'Égypte sera prochainement confrontée à une forte pression migratoire, avec plus de 400 000 migrants qui ne feront qu'y transiter, au vu de la politique égyptienne en matière migratoire. Le ministre des affaires étrangères indiquait, le 27 mars, accueillir 9 millions d'étrangers et de migrants.

Avez-vous une estimation du nombre de réfugiés qui pourraient arriver en Europe et en France ? Pensez-vous que les richesses en matières premières du Soudan soient l'un des motifs du conflit ? Aurait-il été possible de déclencher les opérations d'évacuation plus tôt ? Relèvent-elles d'une simple décision du Gouvernement ou quelles en sont les conditions de déclenchement ?

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Depuis la révision de 2008, l'article 35 de la Constitution dispose que le Gouvernement, lorsqu'il décide de faire intervenir les forces armées à l'étranger à la demande du chef de l'Etat, a un délai de trois jours pour en informer le Parlement ; lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, il soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement.

Ce sujet avait fait l'objet de délibérations au sein du comité chargé de préparer cette révision, présidé par M. Édouard Balladur et dont j'étais membre : nous avions tenu à ne limiter en rien la capacité d'intervention rapide des autorités françaises, sans toutefois laisser se prolonger indéfiniment des mesures qui n'associeraient pas pleinement l'Assemblée nationale et le Sénat à la décision.

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Christophe Bigot, directeur de la direction de l'Afrique et de l'océan indien

Le Soudan possède des ressources minières, qui permettent notamment d'acheter des armes, et agricoles : au Sud de Khartoum, une immense région fertile suscite en effet les convoitises des pays voisins pour assurer la sécurité alimentaire de l'ensemble de la région.

Avant la crise, 3 à 4 millions de réfugiés soudanais se trouvaient en Égypte. Le prix de cette crise sera en effet très élevé pour ce pays. Actuellement, il y aurait 40 000 réfugiés en Éthiopie, 50 000 au Tchad, 50 000 à 60 000 en Égypte et 40 000 au Soudan du Sud. Mais tous ces chiffres sont des estimations.

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Stéphane Romatet, directeur du centre de crise et de suivi du ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Nous savions que des événements finiraient par se déclencher, même si nous en ignorions l'ampleur et le moment précis. Nous avions donc mené un travail préparatoire à la gestion de crise avec l'ambassade. Ainsi, nous avions constitué des stocks de vivres, d'eau et de gasoil, qui ont permis à la communauté regroupée de tenir plusieurs jours dans les locaux, dont la capacité d'accueil était très réduite.

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Nous avons écouté avec attention vos analyses et nous vous remercions. Nous devons féliciter vos services les forces armées, ainsi que le personnel diplomatique. Nous avons une pensée particulière pour l'ambassadrice, qui a dû faire face à une profonde incertitude sur la survie de l'ensemble de la communauté française et des personnels de l'ambassade. Comme lors des tremblements de terre en Turquie, le CDCS a pleinement joué son rôle, dans des conditions non moins dramatiques mais plus difficiles encore en matière de prise de décisions.

La séance est levée à 16 h 30

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Mireille Clapot, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Maud Gatel, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Ersilia Soudais

Excusés. - M. Moetai Brotherson, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Bruno Fuchs, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, Mme Laurence Vichnievsky, M. Christopher Weissberg, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa