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La commission entend M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

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Nous entendons ce matin M. Pierre Moscovici sur le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques, que vient de publier la Cour des comptes.

Ce rapport permet d'enrichir notre réflexion dans la perspective des débats de cet automne relatifs aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale. Des fiches thématiques de revue des dépenses, publiées très prochainement par la Cour, devraient venir compléter notre information. Nous aurons l'occasion d'entendre à nouveau la Cour des comptes sur ce point.

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Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Je souhaite saluer l'ensemble des artisans du traditionnel – quoiqu'il le soit un peu moins cette année – rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques : Mme Carine Camby, présidente de la première chambre, et ses équipes, notamment M. Emmanuel Giannesini, conseiller maître et contre-rapporteur, M. Stéphane Guéné, conseiller maître en service extraordinaire, rapporteur général, M. Olivier Vazeille, conseiller référendaire, Mme Claire Falzone et M. Emmanuel Jessua, conseillers référendaires en service extraordinaire, et M. Nicolas Thervet, auditeur.

Cette année, le rapport porte des messages importants sur l'état toujours très dégradé de nos finances publiques et sur la nécessité d'adopter une trajectoire de redressement, alors que le contexte économique a fortement évolué depuis l'année dernière.

La croissance ralentit et, même si la France semble avoir échappé à la récession, contrairement à l'Allemagne, le dynamisme exceptionnel des rentrées fiscales, qui nous a bien aidés en 2021 et en 2022, ne se répétera pas une troisième année consécutive. Du côté des dépenses, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt augmentent la charge de la dette, qui mobilise une part croissante de nos ressources.

Je l'ai dit et je le redirai, si nous voulons préserver notre souveraineté budgétaire, restaurer nos marges de manœuvre pour financer la transition écologique, et pouvoir investir dans des domaines clés, il est indispensable d'assainir nos finances publiques.

Le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques (RSPFP) comporte quatre chapitres : les résultats 2022 ; l'exercice 2023 ; la trajectoire pluriannuelle 2023-2027, et le quatrième, plus novateur, une contribution transversale et méthodologique à l'exercice de revues de dépenses.

Le RSPFP de cette année est l'occasion de constater que le déficit demeure très élevé en 2022. Nous devons acter définitivement la fin, depuis longtemps annoncée, du « quoi qu'il en coûte ». L'année 2022 devait en marquer la sortie, mais la crise de l'énergie, la guerre en Ukraine et la hausse de l'inflation ont empêché le retour à la normale des dépenses publiques. L'inflation a atteint des niveaux que nous n'avions plus connus depuis les chocs pétroliers.

Le Gouvernement a choisi de protéger les ménages et les entreprises grâce à des dispositifs comme le bouclier tarifaire et les primes à la pompe. Ces choix ont permis de sauvegarder le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises, mais ils ont entretenu une dynamique de dépense. Ils ont ainsi fortement pesé sur notre déficit, qui est resté élevé à 4,7 points de PIB.

Si je qualifie ce déficit d'élevé, c'est parce que, paradoxalement, nos finances publiques ont bénéficié en 2022 de facteurs conjoncturels favorables. D'abord, les mesures de soutien liées à la crise sanitaire et les dépenses de relance ont diminué de 50 milliards d'euros – c'était attendu, mais c'est considérable. Toutefois, les dépenses liées à la crise énergétique ont pris le relais.

D'autre part, comme en 2021, le dynamisme spontané des recettes publiques a été exceptionnel, au point que malgré la poursuite des baisses d'impôts – 50 milliards depuis 2017 –, le taux de prélèvements obligatoires a atteint en 2022 son plus haut historique à 45,4 %.

Dès lors, pourquoi le déficit est-il toujours si élevé ? Parce que celui-ci reste, pour sa plus grande partie, de nature structurelle – à hauteur de 4 points de PIB – et ne se résorbera donc pas du seul fait du redressement de l'économie. Nous sommes très loin des objectifs, obsolètes, de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022.

Conséquence du déficit élevé, la dette publique, à 111,8 points de PIB, reste très supérieure à son niveau de 2019, à hauteur de 14,2 points de PIB supplémentaires, passant de 2 375 milliards en 2019 à 2 950 en 2022, soit une augmentation de 575 milliards en trois ans.

J'en viens maintenant à l'année 2023. Celle-ci aurait dû être la première année d'une trajectoire de redressement, mais d'après les prévisions du Gouvernement, on peut craindre que ce soit une année blanche ou de transition.

Si nous avons eu la chance de bénéficier d'un hiver doux, sans rupture d'approvisionnement sur le gaz et alors que les prix de l'énergie ont fortement diminué en début d'année, 2023 demeure marquée par de nombreuses incertitudes, tant du point de vue géopolitique que financier. Dans ce contexte, et selon le programme de stabilité, notre croissance atteindrait seulement 1 % en 2023, et l'inflation resterait proche de 5 %. La prévision de croissance est un peu plus élevée que celles des organismes de prévision et des institutions internationales.

S'agissant des recettes publiques, elles devraient marquer cette année un net ralentissement en termes réels : le Gouvernement prévoit qu'elles pourraient croître de 4,3 %, mais ce serait sensiblement moins que la valeur du PIB, qui augmenterait, elle, de 6,5 %. Ce décalage explique que le taux de prélèvements obligatoires devrait baisser pour s'établir à 44,3 %.

La dépense publique progresserait moins vite que l'inflation, du fait du repli des dépenses de soutien face à la crise sanitaire et de relance, et ce malgré des mesures de soutien liées à l'énergie toujours importantes.

Le déficit passerait à nouveau à 4,9 points de PIB – une bonne surprise n'est pas exclue. Le déficit structurel demeurerait inchangé à 4 points de PIB et la dette atteindrait 109,6 points de PIB, soit un repli de plus de deux points dont on se réjouirait davantage s'il n'était exclusivement dû à l'effet de l'inflation sur le dénominateur. Les efforts en matière de désendettement sont nuls.

En conclusion, 2023 sera une année blanche en matière de redressement des finances publiques.

J'en viens maintenant à la trajectoire 2023-2027 tracée par le programme de stabilité que j'ai déjà évoqué devant vous en tant que président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Notre message est simple : ramener le déficit à moins de 3 % – j'ajouterai significativement en dessous de 3 % – du PIB en 2027 est un objectif atteignable mais au prix d'un effort très substantiel sur la dépense publique, d'autant que le scénario macroéconomique qui sous-tend cet objectif est optimiste, donc à la merci d'une déception.

La crise sanitaire puis la crise énergétique ont propulsé notre dette publique à des niveaux historiques. La période qui s'ouvre à partir de 2023 doit donc impérativement être mise à profit pour retrouver des marges de manœuvre et redresser nos finances publiques. C'est le point de départ.

La Première ministre a annoncé la semaine dernière, aux assises des finances publiques, que le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour 2023-2027 sera redéposé sur le bureau des assemblées en septembre. C'est une bonne chose. C'est absolument impératif, non seulement au regard de nos engagements européens, mais aussi pour ancrer, expliciter et étayer notre stratégie de finances publiques.

Le projet de loi devra apporter des réponses claires à trois enjeux majeurs : le premier est le risque de divergence française au sein de la zone euro. La trajectoire proposée dans le programme de stabilité est moins ambitieuse que celle de nos principaux partenaires européens. Sous réserve que tous les pays concernés respectent les engagements qu'ils viennent d'afficher, cette trajectoire accentue notre divergence au sein de la zone euro, alors que toute la gouvernance est fondée sur l'impératif d'une convergence, gage de solidité et de durée.

Le deuxième enjeu concerne le réalisme des prévisions macroéconomiques utilisées pour construire la trajectoire de retour sous les 3 %. J'ai déjà eu l'occasion de le dire comme président du HCFP, les hypothèses macroéconomiques du Gouvernement sont trop optimistes, notamment s'agissant de la croissance potentielle, et conduisent donc à sous-évaluer l'effort pour atteindre les objectifs.

Le troisième enjeu porte sur la maîtrise des dépenses. Compte tenu du niveau de nos prélèvements obligatoires, la réduction du déficit reposera à titre principal sur un effort substantiel en dépense. Les ordres de grandeur sont connus : avec une croissance de la dépense publique en volume limitée à 0,4 % par an hors charges d'intérêt, c'est en fait entre 10 et 12 milliards d'euros d'économies qu'il faut effectuer chaque année, et ce, alors que de nouvelles dépenses ont été annoncées. La crédibilité et le succès de cet objectif exigent que le PLPFP soit ambitieux – la France ne peut pas se contenter de revenir tout juste sous les 3 % en 2027 –, réaliste – les hypothèses doivent l'être pour que les objectifs puissent être atteints – et précis sur les réformes qui permettront de réaliser ces économies.

J'en viens au quatrième point : la revue des dépenses, à laquelle s'est engagé le Gouvernement, et que la Cour propose d'axer sur la qualité et les résultats.

Cette revue est à mes yeux indispensable. Elle peut être un instrument puissant au service des objectifs de la programmation pluriannuelle si elle est menée avec détermination et dans la durée ; si elle porte sur un périmètre large ; et si elle implique et responsabilise tous les niveaux d'administration publique.

L'exercice des revues de dépenses n'est en rien une nouveauté pour nos voisins. En France, il n'a jamais existé. Quatre tentatives se sont succédé depuis le début des années 2000 : les audits de modernisation de l'État en 2005, la révision générale des politiques publiques en 2007, la modernisation de l'action publique en 2012, et, en 2017, le plan Action publique 2022. Ces démarches étaient pour l'essentiel limitées aux dépenses de fonctionnement courant de l'État et n'ont par conséquent abouti qu'à des résultats modestes. En atteste la dynamique de notre dépense publique.

La nouvelle génération de revues de dépenses doit en tirer les leçons et être conçue, dès l'origine, comme un exercice beaucoup plus ambitieux. Elle est l'occasion d'instaurer une gouvernance des finances publiques saine et efficace, en associant toutes les administrations publiques – l'État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales –, et en portant l'effort sur toutes les dépenses, qu'elles soient de fonctionnement ou d'investissement et pour tous les secteurs. Toutes les dépenses doivent ainsi être soumises aux exigences similaires de qualité et de soutenabilité.

Nous avons placé la qualité de la dépense publique au cœur de notre contribution à cette revue des dépenses et nous avons identifié des pistes d'amélioration.

Ma conviction est que la réduction brutale et uniforme des dépenses publiques n'est pas une solution – j'ai dit maintes fois que l'austérité était la pire des options et le rabot la pire des procédures. Seule la recherche de qualité et d'efficience doit être la clef de la maîtrise de la dépense.

Pourquoi soulever cette question de la qualité de la dépense pour mieux la maîtriser ? Je fais comme beaucoup le constat d'un paradoxe français de la dépense. La France a fait le choix, jamais démenti depuis cinquante ans malgré des hauts et des bas, d'une part importante de socialisation. Ce choix peut s'avérer payant si la satisfaction à l'égard des services publics est élevée. Or celle-ci ne cesse de fléchir alors que la dépense publique a augmenté de 28 % en volume et par habitant depuis 2000. Les contribuables sont en droit de se tourner vers les décideurs publics pour leur demander : « Que faites-vous de notre argent ? ». Le recul de la France dans le classement Pisa – Programme international pour le suivi des acquis des élèves – et l'incapacité de la politique du logement à satisfaire la demande en matière de construction et de logement social incitent à rechercher comment dépenser mieux.

Nous avons donc réfléchi à la qualité de la dépense à trois étapes clefs du processus de décision : la conception, le déploiement et l'évaluation.

En premier lieu, au stade de la conception, il est nécessaire de mieux étayer la valeur ajoutée et l'utilité des dépenses, par le biais notamment d'un ciblage plus pertinent ; de leur assigner des objectifs plus clairs, mieux hiérarchisés ; et de veiller à ce qu'elles soient cohérentes et non redondantes par rapport aux dispositifs existants. Tout cela semble de bon sens mais je vous renvoie au rapport pour constater, nombreux exemples à l'appui, que ce n'est pas toujours le cas, loin s'en faut. Il convient également de veiller plus rigoureusement à la cohérence des initiatives entre les différents niveaux d'administration, en associant plus en amont et plus étroitement les parties prenantes. Par ailleurs, la « compatibilité climatique », c'est-à-dire la cohérence avec nos engagements en faveur de la transition écologique, doit être vérifiée dès la conception de la dépense.

Ces critères sont déjà pour partie l'objet des études d'impact, obligatoires depuis 2009. Mais outre que celles-ci ne s'appliquent pas à la totalité des textes, elles n'ont ni enrayé la dynamique des dépenses publiques, ni sensiblement contribué à leur qualité depuis treize ans.

C'est donc une véritable montée en gamme des études d'impact et des évaluations préalables qui est proposée, grâce notamment à une idée disruptive que je défends : la contre-expertise indépendante systématique des études d'impact par un organisme du monde académique. Je sais que cette idée se heurtera à des objections, notamment dans notre culture budgétaire très orientée vers le monde public et l'exécutif. C'est l'occasion pour moi de glisser dans cette parenthèse que cette culture doit évoluer, changer et s'ouvrir. Nous devons avoir moins peur du débat et de la contre-expertise.

En second lieu, s'agissant du déploiement des dépenses, les crises récentes ont montré que l'administration est capable de dépenser rapidement lorsque cela est nécessaire, en s'appuyant sur plusieurs outils de simplification issus de la révolution digitale.

Néanmoins, comment trouver un bon équilibre entre rapidité et contrôle du paiement à bon droit et lutte contre la fraude ? Les enjeux se chiffrent en milliards d'euros. La Cour estime que la revue de dépenses doit intégrer ces deux dimensions et conduire à élever aux meilleurs standards les dispositifs de contrôle.

Nous observons qu'une fois les crédits votés, les systèmes de répartition des moyens entre services, territoires ou opérateurs – entre universités, entre tribunaux, entre collectivités territoriales – constituent un enjeu majeur. Ce sont ces systèmes, avec leurs critères, qui déterminent en pratique qui bénéficie de combien, bien plus que le vote d'enveloppes globales.

Or, ces systèmes font montre d'une grande inertie ; ils privilégient les dotations historiques sans corrélation avec les coûts auxquels font face leurs bénéficiaires ni avec les réalités locales ; ils génèrent insatisfaction et inégalités territoriales ; ils ne prennent pas suffisamment en considération la démographie. Là encore, les revues de dépenses sont une opportunité de moderniser ces systèmes en les rendant plus transparents et davantage orientés vers la qualité des services et les gains d'efficience.

Par ailleurs, la Cour observe que le volet dédié à la performance de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), est très lacunaire et daté. C'est, je le crains, l'administration qui conçoit ses propres indicateurs de performance à destination des corps de contrôle sous le regard indifférent des commanditaires politiques et du grand public. Nous proposons une vaste ouverture, un grand coup d'air. Il est nécessaire de franchir une étape audacieuse et d'ouvrir largement les données publiques, y compris budgétaires, pour que la société civile produise ses propres mesures de l'efficacité et de l'efficience des dispositifs publics.

Enfin, en bout de chaîne, l'évaluation est indispensable pour mesurer la performance et surtout pour susciter une boucle d'amélioration en continu.

Les dispositifs de dépense devraient être limités dans le temps, comporter systématiquement une clause d'évaluation et leur prolongation devrait être liée à une analyse de leurs résultats.

Nous proposons que l'évaluation des dispositifs publics change véritablement d'échelle et sorte du microcosme public. Cela suppose des programmes pluriannuels respectés et des travaux davantage confiés à des structures du monde académique.

Cette grille d'analyse de la qualité proposée par la Cour permet de constater certains progrès accomplis depuis une quinzaine d'années mais aussi de nombreuses voies d'amélioration, qui exigent parfois de rompre avec des pratiques très ancrées de la dépense publique en France.

Si elle porte sur l'ensemble des dépenses, sans exclusion a priori, si elle responsabilise toutes les administrations, si elle s'inscrit dans la durée et si elle est soutenue par une volonté politique forte, la revue de dépenses pourra être un levier pour améliorer la qualité de la dépense publique et sa soutenabilité. C'est à ces conditions que nous réaliserons enfin une vraie revue des dépenses publiques.

Les assises des finances publiques sont un bon début, elles ne peuvent pas être une fin. Le processus engagé doit être l'occasion d'ouvrir le débat sur les finances publiques, de procéder à des revues sérieuses, et d'aller bien au-delà de la stricte analyse budgétaire des politiques publiques. C'est la seule manière d'aboutir à une maîtrise des dépenses qui ne soit pas mécanique, donc frustrante.

À défaut, nous produirons à nouveau un exercice utile sur le plan financier, mais qui ne traitera pas les problèmes à la racine, qui ne permettra pas d'améliorer les politiques publiques, ni la satisfaction à l'égard des services publics. Les économies réalisées peuvent être le résultat d'une revue des dépenses publiques – il s'agit de dépenser mieux à moindre coût –, mais l'exercice a une portée bien plus grande qu'une simple visée budgétaire.

Il est temps de passer à l'action. C'est pourquoi la Cour est, plus que jamais, à la disposition du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et des citoyens, pour mettre à profit sa connaissance des politiques publiques. Elle a cherché à le faire dans neuf domaines d'action prioritaires : les dépenses fiscales, les aides aux entreprises en temps de crise, la transition écologique, l'éducation, les forces de sécurité intérieure, les relations financières avec les collectivités, la formation professionnelle, le logement et les soins de ville.

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Selon la Cour, le niveau atteint par l'activité économique en 2022 demeure inférieur de près de 3 % au niveau attendu pour 2022 dans le projet de loi de finances pour 2020 et, par rapport à son niveau d'avant crise, la France fait moins bien que la zone euro : – + 0,9 % contre + 2,3 %. Comment expliquez-vous cette contre-performance ?

Vous insistez sur la dégradation du solde public. Puisque les dépenses seraient stables en volume, les recettes sont manifestement le principal paramètre de cette dégradation. Avant même d'aborder les modifications de la législation, la Cour souligne que la progression des cotisations sociales, soit 6,7 %, « a été freinée par l'impact croissant des allègements généraux ». Ainsi que l'indique ensuite votre rapport, « les mesures nouvelles ont entraîné une diminution des prélèvements obligatoires de 53,9 milliards d'euros en 2022 par rapport à 2017 » et « cette baisse nette, importante, résulte notamment de la baisse du taux normal de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % – soit une perte de 11,1 milliards – de la baisse des impôts de production – 11,3 milliards ». En comparaison avec 2021, ces choix auraient « contribué à détériorer le déficit structurel de 0,3 point de PIB ». Avez-vous pu estimer la perte structurelle due aux mesures discrétionnaires annoncées ou déjà engagées d'ici à 2027 ?

Par ailleurs, le Gouvernement a revu à la baisse son estimation du produit de la très modeste contribution sur les rentes inframarginales des producteurs d'électricité qui avait été instaurée en loi de finances pour 2023. Ainsi, comme il était possible de s'en douter, elle ne rapporterait finalement que 3,1 milliards d'euros et non, comme on l'annonçait à l'automne dernier, 9,7 milliards. Ne craignez-vous pas que d'autres recettes aient connu une prévision artificiellement gonflée ?

Votre rapport rappelle l'impératif de ramener le déficit à moins de 3 % du PIB en 2027, tout en indiquant que cet objectif n'est atteignable qu'au prix « d'un effort substantiel sur la dépense publique », à savoir une évolution de la dépense publique en volume limitée à 0,4 % par an, ce que la France n'a jamais connu depuis plusieurs décennies. Dans le même temps, la Cour souligne que l'activité économique faiblit à nouveau en 2023, que l'inflation ne recule que faiblement et que les incertitudes sur la croissance demeurent fortes. N'êtes-vous pas inquiet de l'effet récessif que pourrait induire une contraction durable des dépenses publiques, ce qui aurait alors un effet négatif sur le taux d'endettement ?

Plutôt que du côté des dépenses publiques, ne faudrait-il pas chercher du côté des dépenses fiscales pour réduire l'endettement public ? Je pense notamment au crédit d'impôt recherche, aux allègements de cotisations et contributions sociales et plus généralement aux aides aux entreprises non conditionnées. Je note d'ailleurs que, dans votre rapport, la dépense publique est considérée en incluant les crédits d'impôts enregistrés en dépense en comptabilité nationale.

Enfin, nous avons auditionné hier les auteurs du rapport sur les incidences économiques de l'action pour le climat, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Celui-ci a expliqué que 66 milliards d'euros d'investissements supplémentaires par an d'ici à 2030 étaient nécessaires pour espérer une bifurcation écologique. D'après lui, le « quoi qu'il en coûte » n'est pas derrière nous en matière écologique, mais devant nous – c'est une idée que je défends aussi. Il a donné plusieurs pistes : un redéploiement des dépenses brunes, une meilleure ingénierie financière, une hausse des dépenses d'investissement et deux suggestions plus iconoclastes sur lesquelles je voulais recueillir votre avis. Considérant que l'inaction coûte plus cher que l'action, la première idée est une hausse de l'endettement public de 5 à 6 points de PIB d'ici à 2030, multiplié par deux d'ici à 2040, l'endettement étant la conséquence d'investissements dans la transition écologique. La seconde est la hausse temporaire des prélèvements obligatoires pour les hyper riches, qui rapporterait 150 milliards d'euros en trente ans, à raison de 5 milliards par an. Il s'agit d'une perspective un peu différente de celle qui nous a été présentée par le ministre Bruno Le Maire. Elle apporte une réponse à la question que le Gouvernement a laissée de côté : comment chiffrer et financer les investissements que tout le monde estime nécessaires en faveur de la transition écologique ?

Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

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Les crises successives ont contraint l'État à déployer plusieurs dispositifs de soutien coûteux pour nos finances qui ont néanmoins été particulièrement efficaces pour protéger le pouvoir d'achat des Français et soutenir notre économie.

Cette politique, qui s'appuie également sur une stratégie de baisses d'impôts massives, de l'ordre de 50 milliards d'euros depuis 2018, s'est traduite par de nombreuses créations d'entreprises et d'emplois entraînant mécaniquement un dynamisme exceptionnel des recettes publiques. Les dépenses publiques de l'État atteignent un niveau historiquement élevé en 2022, dépassant le seuil des 1 500 milliards d'euros, phénomène qui se poursuivra en 2023, même si elles progresseront moins vite que l'inflation pour atteindre 56 % du PIB. Face à ce constat, le Gouvernement a d'ores et déjà annoncé, à l'occasion des assises des finances publiques, des économies à hauteur de 10 milliards d'euros qui constituent une première étape. Il a, par ailleurs, fait adopter des réformes essentielles pour le redressement de nos finances publiques et de l'activité – la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage.

Je voudrais m'attarder sur le rôle de financeur et d'assureur en dernier ressort que joue l'État au bénéfice des autres administrations publiques, avec pour conséquence de concentrer sur lui le déficit et la dette publique. Si j'en crois votre rapport, il est désormais nécessaire que tous les acteurs publics s'engagent dans des exercices de revue de dépenses et de gestion de leurs dettes en évaluant l'efficacité et la qualité des dépenses publiques. Or près de 80 % des communes comptent moins de 2 000 habitants et ne disposent pas des moyens de le faire. Pensez-vous que l'harmonisation des différents agrégats – État, collectivités territoriales – devient indispensable afin de modifier les règles d'évolution et d'évaluation des dépenses publiques ? Êtes-vous favorable à un pacte financier entre l'État et les collectivités territoriales ? Si oui, quels pourraient en être les contours ?

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Je vous remercie pour ce rapport annuel qui montre, hélas, que les finances publiques restent dégradées : près de 3 000 milliards de dette, un taux de prélèvement obligatoire de 45,4 % du PIB en 2022, et des perspectives peu réjouissantes pour 2023.

La Commission européenne a fait jouer la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance qui permet de suspendre l'application des règles budgétaires dans des circonstances exceptionnelles. Dans ces conditions, vous semble-t-il envisageable qu'elle sanctionne la France pour l'état de son budget ?

S'agissant de la revue des dépenses, votre rapport propose une méthodologie. La démarche n'est pas nouvelle puisque la RGPP (révision générale des politiques publiques) puis la Map (modernisation de l'action publique), s'y sont essayées, sans grand succès. La RGPP a conduit, à l'époque, à fermer des services et supprimer des postes de fonctionnaires sur le terrain, sans pour autant simplifier le millefeuille administratif. La Cour des comptes pourrait-elle faire des propositions pour simplifier le millefeuille administratif et faire en sorte que les éventuels doublons ne soient supprimés qu'au cas par cas ?

Dans le cadre du Printemps de l'évaluation, Kévin Mauvieux a présenté un rapport relatif au coût pour nos finances publiques des obligations assimilables du Trésor indexées sur l'inflation (OATi). La charge d'indexation du capital des OATi se serait élevée à 15,5 milliards en 2022. Le rapport propose de mettre fin aux OATi en période inflationniste. Qu'en pensez-vous ?

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Nous débattons de l'utilité de la dette mais, il y a à peine quelques mois, vous affirmiez que jamais, de son histoire, la France n'avait engrangé autant de recettes fiscales, grâce notamment à la hausse de la TVA. Et pourtant, nous n'avons pas l'impression que la situation se soit améliorée, en particulier dans les secteurs stratégiques que sont la santé et l'éducation. Où va tout cet argent que la France récolte ? Confirmez-vous que le coût annuel pour les finances publiques de l'ensemble des dispositifs d'allégements généraux de cotisations sociales approche des 60 milliards d'euros ? Ce sont autant de recettes en moins. Et l'État a choisi de compenser les pertes par les recettes de la TVA qu'il aurait pourtant été plus utile d'affecter au budget de l'État pour qu'elles financent des politiques publiques. Au lieu de cela, le déficit s'aggrave encore davantage.

Partagez-vous l'avis du FMI (Fonds monétaire international) qui considère que l'augmentation générale des prix a été davantage causée par une hausse des bénéfices des entreprises plutôt que par celui du coût réel des matières premières ?

Quant à la lutte contre la fraude sociale, prévoyez-vous de contrôler les nouveaux dispositifs, comme l'instauration de quinze à vingt heures d'activité obligatoire d'insertion pour les bénéficiaires du RSA ? Pour ne citer que cet exemple, Roubaix compte 10 000 allocataires du RSA et les agents n'ont pas les moyens de s'assurer que toutes les conditions d'attribution sont remplies. Par conséquent, soit l'on choisit de radier, soit l'on accepte qu'il y ait de la triche. Parfois, les dispositifs de contrôle coûtent plus d'argent qu'ils n'en rapportent.

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Je remercie le Premier président de la Cour des comptes pour les informations qu'il nous a transmises et qui confirment le statut de mauvais élève de notre pays dans la zone euro. Audition après audition, nous prenons conscience de l'écart grandissant entre la générosité de notre modèle social d'un côté et notre capacité à produire de la richesse pour le financer, de l'autre. D'autre part, le caractère irréaliste de la trajectoire prévue par le Gouvernement est désormais avéré. Elle relève davantage de la méthode Coué que d'une vision lucide. La croissance est surévaluée et l'inflation sous-estimée, sans parler du taux de chômage, sans doute mal apprécié, lui aussi. Il est temps de tirer la sonnette d'alarme pour éviter une dynamique irréversible de paupérisation du pays dans les prochaines décennies.

Comment serait-il possible d'atteindre les objectifs, que vous dites réalistes, et que vous fixez pour revenir sous la barre des 3 % de déficit en 2027, lorsque les diverses lois de programmation, pour l'intérieur, la justice ou la défense, renvoient l'essentiel des augmentations budgétaires après 2027 ? Où en est l'effet boule de neige de la dette et de sa charge ? À quelle vitesse augmente-t-elle et quand sera-t-elle le premier poste budgétaire de l'État, devant l'éducation nationale ? Quant aux retraites, selon les nouvelles prévisions du Cor (Conseil d'orientation des retraites) et compte tenu de la sous-évaluation du taux de chômage par le Gouvernement, même le décalage à 64 ans ne suffira pas à financer notre modèle par répartition, qui se retrouve condamné. Faut-il commencer à réfléchir à un autre dispositif pour assurer des pensions décentes à ceux qui auront travaillé toute leur vie, sans grever complètement le budget de l'État ni augmenter encore davantage la charge fiscale des entreprises et des ménages ?

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Monsieur le Premier président, je partage votre constat : dans le contexte de nécessaire maîtrise de la dépense publique, nous nous devons d'adopter une loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027. J'espère que les débats qui se tiendront fin septembre nous permettront d'aboutir en responsabilité à l'adoption d'un tel texte. Permettez-moi, en attendant, de vous interroger au sujet du financement de la transition écologique et de la revue des dépenses publiques.

Dans votre rapport, vous affirmez que l'objectif inédit de maîtrise de la dépense publique sera d'autant plus difficile à respecter qu'il faudra, en parallèle, garantir le financement d'investissements écologiques. Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz, que nous auditionnions hier, chiffrent ces besoins de financement jusqu'à 34 milliards d'investissements publics supplémentaires par an, à l'horizon 2030, pour atteindre les objectifs environnementaux. Qu'en pense la Cour des comptes ? Comment concilier la maîtrise de la dépense publique et le financement de la transition écologique ?

S'agissant de la revue des dépenses, nous sommes d'accord pour que son périmètre soit le plus large possible afin d'obtenir des résultats satisfaisants. Vous affirmez notamment que de nombreux pays ont prévu des revues de dépenses et leur accordent une place centrale dans la gouvernance de leurs finances publiques. Quels sont ces pays ? Pourriez-vous nous décrire les bonnes pratiques que vous avez pu y identifier et dont nous pourrions nous inspirer ?

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La présentation de votre rapport, Monsieur le Premier président, laisse apparaître que, depuis 2000, toutes les dépenses publiques n'augmentent pas, bien au contraire. Des postes budgétaires ont été réduits. Ainsi, les dépenses de services généraux ont été diminuées à hauteur de deux points de PIB, ce qui est considérable. La digitalisation, mais aussi une certaine embolie dans les services publics administratifs, l'expliquent. La lenteur avec laquelle sont délivrés les cartes nationales d'identité ainsi que les passeports en sont une conséquence. Les dépenses consacrées à l'enseignement ont également diminué depuis 2000, à hauteur de 0,4 % du PIB. Les dépenses d'investissement ont subi le même sort, dans les mêmes proportions. L'augmentation des dépenses publiques s'explique par la hausse des dépenses de protection sociale, pour moitié la maladie, pour l'autre les retraites. Elles sont liées au vieillissement de la population. L'augmentation la plus étonnante est celle des dépenses économiques, à hauteur de 2,4 % du PIB. D'ailleurs, vous brocardez les 2 100 dispositifs de dépenses économiques actuellement prévus, allant jusqu'à évoquer un éparpillement de ces aides, mal pilotées et mal dirigées. Vous citez le cas du fonds France Relance État-régions qui devait décaisser, dès 2022, 250 millions d'euros mais qui n'a été mis en œuvre qu'à hauteur de 23 %.

Comment mieux coordonner la distribution de ces aides économiques ? Nous recherchons tous la voie du rétablissement de nos finances publiques, qui passera par la baisse des dépenses publiques inutiles. Ces dépenses économiques, qui font de la France le champion européen des aides aux entreprises, mériteraient d'être mieux pilotées. Comment le faire dans le contexte de la décentralisation et de la compétence économique déléguée aux régions ?

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Cette présentation a le mérite d'être claire, notamment s'agissant des dernières réformes injustes et brutales censées soulager nos finances publiques. Vous affirmez que, pour ramener le déficit budgétaire à 3 % d'ici à 2027, le Gouvernement doit à la fois préserver les recettes et consentir un effort important pour limiter les dépenses publiques. Le rapport de la Cour des comptes indique que les dépenses structurelles engagées, comme la réforme des retraites ou celle de l'assurance chômage, ou programmées comme celles du RSA ou de Pôle emploi, n'auraient qu'un impact marginal sur l'exercice. Voilà pourtant des mois que le Gouvernement martèle que, sans la réforme des retraites, le système s'écroulerait ! Nous comprenons donc que cette réforme injuste ne changera rien à l'état de nos finances publiques mais dégradera beaucoup trop la vie de nos compatriotes les plus vulnérables.

D'autre part, dans un contexte budgétaire tendu, alors que l'objectif est de préserver les recettes, estimez-vous raisonnable de décider de nouvelles baisses d'impôt en faveur des entreprises et notamment de supprimer la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), qui inquiète tant les collectivités ? Quel regard portez-vous sur la perte de ressources quand, au même moment, le Gouvernement refuse de faire contribuer les profiteurs de ce contexte, par exemple en taxant les surprofits ? Le rapport indique également qu'il faudra garantir le financement d'investissements écologiques dans un contexte de baisse substantielle de la dépense publique. C'est ici que notre analyse rejoint la vôtre : la transition écologique et solidaire, c'est souhaitable et nécessaire, mais ne pensez-vous pas que la règle des 3 % risque de contraindre fortement les capacités d'investissement public ? Comment, dès lors, assurer le financement urgent de l'adaptation et de la prévention ?

Enfin, vous souhaitez donner un sens écologique à la revue des dépenses publiques, ce que nous saluons. Je ferai cependant une remarque. Vous dénoncez les précédentes revues, en rappelant que leurs effets auront été marginaux sur les finances publiques alors que, dans le même temps, l'insatisfaction à l'encontre des services publics a augmenté. J'en déduis que ces revues, outre le fait qu'elles ont participé au démantèlement de nos services publics, dont celui du corps diplomatique, n'ont pas eu de conséquence majeure pour la dépense publique.

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Votre rapport témoigne de l'effort considérable consenti entre 2017 et 2019 pour améliorer le niveau des prélèvements obligatoires et du déficit public, avant la survenue de la crise sanitaire. Il met également en évidence l'écart grandissant entre notre pays et nos partenaires européens, qui est historique mais continue à s'accentuer après le choc de 2019, alors que le besoin de financement de la transition écologique est criant. Une conclusion s'impose : il faut revoir en profondeur l'affectation des dépenses publiques.

Vous faites plusieurs propositions qui rejoignent les objectifs de la Lolf (loi organique relative aux lois de finances). Il ressort en tout cas des échanges que j'ai pu avoir avec ses rédacteurs qu'ils partageaient vos intentions : renforcer le contrôle, la transparence, les données disponibles etc. Malheureusement, avec le recul, nous constatons que nous leur avons réservé un sort discutable.

Comment se fait-il que l'Assemblée nationale, en particulier la commission des finances, reste incapable, depuis vingt ans, de traiter efficacement ces sujets ? Nous sommes la dernière ligne de contrôle budgétaire. Toutes les questions que vous soulevez nous ramènent à notre propre responsabilité. Bien sûr, le Gouvernement pourrait intervenir mais c'est ici que le contrôle doit être réalisé. Or malgré les efforts de tous les groupes, l'utilité des dépenses publiques n'est pas suffisamment mesurée.

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Je partage votre proposition relative à la revue des dépenses. Il faut, en effet, en élargir le périmètre. Je n'ai pas de solution miracle pour en assurer l'efficacité. Peut-être devrions-nous passer par une convention citoyenne. Il est évident, en tout état de cause, que nous nous heurtons depuis des années aux limites de l'exercice. Ne devrions-nous pas nous poser la question des choix à opérer ? Ne conviendrait-il pas, d'autre part, de distinguer ce qui relève de la sécurité sociale de ce qui tient aux autres politiques budgétaires ?

Par rapport aux autres pays, à quel niveau se situent les écarts de dépense publique les plus frappants ?

La Cour des comptes s'est-elle saisie du sujet de la comptabilité écologique, menée par l'Ordre des experts comptables et des chercheurs d'AgroParis Tech ?

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Il y a certes un décrochage, monsieur Holroyd, mais nous ne sommes pas en récession, contrairement à l'Allemagne. Nous avons déjà rencontré cette situation, lors de la crise des subprimes. Le niveau des dépenses publiques avait permis de soutenir l'activité économique en France, contrairement à nos voisins. L'un explique peut-être l'autre.

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Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Je commencerai par répondre à vos questions, monsieur le président. S'agissant de la contre-performance, c'est une question de spécialisation de l'économie pour chaque pays. La France fait presque aussi bien que l'Italie (+1 %), mieux que l'Allemagne (+0,6 %) ou l'Espagne (-1,3 %) mais moins bien que les Pays-Bas, la Belgique ou l'Autriche. Cette érosion s'explique par des pertes de parts de marché des exportations plus importantes, en particulier dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique, particulièrement touchés par la crise sanitaire. En France, la demande intérieure a soutenu le PIB de 2022, à hauteur de 3,3 points au total, sur quatre ans. C'est l'un des effets du « Quoi qu'il en coûte ». Remarquons tout de même que, s'agissant des dépenses publiques, les niveaux sont comparables dans tous les pays de l'Union européenne. Les finances publiques n'étaient pas toutes dans le même état initialement. La demande extérieure a fait baisser le PIB de 2,1 points durant la même période. Les pays qui ont obtenu de meilleurs résultats que la France sont les exportateurs nets. Votre dernière réflexion mérite d'être approfondie. Les dépenses publiques peuvent bien évidemment être perçues comme un amortisseur social et l'État comme l'assureur en dernier ressort, mais il ne faut pas oublier un facteur, celui de la spécialisation. Le niveau de la croissance allemande s'explique en partie par son modèle de production, qui a pu faire sa gloire dans le passé mais qui souffre plus que le nôtre dans la situation que nous traversons. La demande est un critère important mais il ne doit pas occulter celui de l'offre, que nous devrions étudier de très près. Pour redistribuer et dépenser, il faut produire.

Vous regrettez la dégradation du service public. Le solde public ne s'est pas dégradé, il s'est amélioré, passant de moins 6,5 % à moins 4,7 %. Ce niveau est encore trop élevé et les résultats auraient pu être meilleurs car les recettes ont été exceptionnellement dynamiques en 2022. Le déficit est le résultat de la différence entre les recettes et les dépenses mais, en l'espèce, la dynamique de la dépense a pesé sur le déficit et non l'anémie des recettes. La baisse des prélèvements obligatoires a amputé les recettes de 9,4 milliards en 2022 et de 5,2 milliards supplémentaires en 2023, ce qui contribuerait à détériorer le solde structurel de 0,5 % de PIB en 2023 par rapport à 2021. Il est plus difficile d'évaluer les effets des mesures discrétionnaires jusqu'en 2027 car nous n'avons pas les documents nécessaires. Lorsque viendra le moment d'examiner la loi de programmation, nous devrons en disposer pour mesurer le chemin des dépenses publiques. J'en profite pour rappeler plusieurs recommandations. Les hausses d'impôt ne pourraient qu'être ponctuelles et ciblées, ce qui signifie qu'il ne faut pas en attendre un rendement. Elles peuvent se justifier par des raisons politiques ou sociales, par exemple pour financer un mécanisme de transition énergétique. Je ne suis pas opposé à l'utilisation de l'impôt mais je crains que nous n'ayons atteint le niveau maximal des prélèvements obligatoires et que les Français ne consentent plus à une nouvelle hausse. D'autre part, de nouvelles baisses d'impôt doivent être compensées par la réduction des dépenses. Nous n'avons plus les moyens d'accorder des baisses d'impôt sèches. Cela fait un an que je le dis. Une baisse d'impôt non compensée, dans un contexte où la croissance est faible mais les dépenses élevées, se traduirait par un surcroît de déficit.

Les recettes attendues de la contribution sur les rentes inframarginales et de la contribution au service public de l'énergie, qui permet de subventionner les fournisseurs d'électricité renouvelable, sont très sensibles à l'évolution des prix de l'électricité sur les marchés. Ces derniers ont été divisés par trois depuis le pic de l'été 2022, les recettes attendues ont été revues à la baisse. Suite à ces évolutions, il ne ressort pas de notre analyse que la prévision de recette du Gouvernement soit trop optimiste. Au contraire, il est apparu en 2021 et 2022 qu'elle était trop prudente, ce qui a conduit la Cour des comptes à prévoir, dans son programme de travail pour la fin de l'année, une enquête sur les modalités de prévision de recettes de l'État. Ne voyez pas de jugement moral dans l'emploi de l'adjectif « prudente ». Je vous le dis très simplement, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, mais depuis trois ans que j'occupe ce poste, le HCFP a anticipé le dépassement des objectifs de recettes.

Concernant le déficit et la dépense, s'il suffisait de maintenir ou d'augmenter le niveau des dépenses publiques pour soutenir la croissance, notre croissance serait supérieure à celle des autres pays européens. Il ne s'agit pas de baisser le niveau des dépenses. La Cour des comptes n'est pas une institution qui proposerait une austérité brutale, bête et méchante. Il s'agit, plus simplement, de la faire progresser moins vite qu'à l'accoutumée. De surcroît, nous proposons une nouvelle méthode pour réaliser une revue des dépenses, afin de réaliser des économies intelligentes, plutôt qu'un rabot aveugle, ce qui éviterait de peser sur le potentiel de croissance.

Enfin, il est impératif de réduire le déficit pour garantir la soutenabilité de la dette publique. La charge de la dette s'est établie à 53 milliards d'euros en 2022 alors que la hausse des taux n'avait pas encore produit ses effets. Espérons qu'elle ne devienne pas le premier budget de l'État avant longtemps et ne supplante jamais celui de l'éducation nationale ! En 2027, nous devrions dépasser les 70 milliards d'euros, soit le triple par rapport à 2021, compte tenu de l'inflation et de la hausse des taux. Je ne sais pas, pour tout vous dire, comment l'on finance une politique de croissance dans ces conditions.

Vous me demandiez, monsieur le président, si la solution ne se trouvait pas du côté des dépenses fiscales : oui et non. Oui parce que les dépenses fiscales sont des dépenses. Non parce que cela ne suffirait pas. Nous présenterons une note à ce sujet la semaine prochaine.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé à propos du rapport remis par M. Pisani Ferry et Mme Mahfouz qui a le mérite d'aborder le sujet dans sa globalité et de donner des chiffres qui sont assez peu discutés – une soixantaine de milliards d'euros de dépenses publiques annuelles, à partager entre le public et le privé. À mon avis, il faudrait débattre de cette question sans tabou. Je sais que le ministre des finances n'a pas choisi cette voie. La dépense en faveur de la transition écologique est nécessaire. Nous ne pourrons en faire l'économie. En revanche, nous pouvons nous demander comment la financer. La Cour des comptes considère que s'il faut augmenter une partie de la dette à cette fin, il faut la réduire ailleurs, pour ne pas nous endetter encore davantage. Ce n'est pas en dérogeant à la règle des 3 % que nous tiendrons le potentiel de croissance. Si nous continuons à aggraver la dette, le potentiel d'investissement sera très réduit. Le jour où la dette publique atteindra 75 milliards d'euros, les pouvoirs publics souffriront ! Lorsque j'étais ministre des finances, en 2013 et 2014, la situation était difficile. Avec 5 % de déficit, 0 % de croissance, sans parler des contraintes européennes, nous ne pouvions engager aucune dépense ! Si vous n'atteignez pas vos objectifs de désendettement, vous ne financerez pas la transition écologique. Pour y parvenir, il faudra prendre le temps de tout mettre à plat et de mener un travail en profondeur. Je suis donc bien évidemment favorable à un débat démocratique. Je ne peux pas préconiser l'ouverture pour les revues de dépenses et ne pas vouloir engager une réflexion sur les recettes. Cela ne signifie pas que j'adhère à cette proposition mais l'évacuer d'un revers de la main ne serait pas une bonne idée.

Pour ce qui est du financement des collectivités locales, nous publierons le fascicule 1 du rapport sur la situation des finances publiques locales la semaine prochaine. La question des agrégats est légitime, y compris dans le cadre de la revue des dépenses publiques. À ce propos, la RGPP et la Map ne sont pas des revues de dépenses, telle que la pratiquent plusieurs de nos partenaires, en particulier l'Allemagne, la Suède ou le Canada. Une revue de dépenses suppose de tout mettre à plat, démocratiquement : les données de toutes les administrations, de toutes les politiques publiques doivent être mises à disposition pour que l'on puisse identifier ce qui ne marche pas et améliorer le fonctionnement afin de le rendre plus performant, plus efficace, plus juste et dégager des économies. Ce n'est pas un exercice budgétaire. La finalité ne l'est pas, même si le résultat l'est. Si on ne le fait pas, on n'atteindra pas nos objectifs budgétaires, ou seulement partiellement. Je ne suis pas pour une logique budgétaire a priori mais pour un bilan a posteriori d'une économie qui résulte d'une amélioration des politiques publiques. C'est la leçon que nous tirons de notre propre exercice thématique – non pas des chiffres, car ce n'est pas notre rôle. Je ne suis pas partisan du gouvernement des juges ni des experts. Il appartient au Gouvernement de faire des choix budgétaires. Vous voulez proposer : c'est à vous de voter. Pour notre part, nous pouvons aider à la décision.

S'agissant des OATi, nous avions demandé que l'Agence des participations de l'État (APE) revoie sa doctrine. C'est vrai, elles représentent une part importante de la dette mais je fais confiance à l'Agence France Trésor (AFT) pour la gérer du mieux possible. Je ne suis pas certain que l'AFT puisse se passer des OATi qui permettent de répondre aux besoins de la Caisse des dépôts, laquelle est en partie chargée de gérer l'épargne réglementée des Français et doit rassurer les investisseurs. Il faut préserver l'équilibre.

Pour ce qui est des aides économiques, je vous apporterai la même réponse que pour les collectivités locales : nous y reviendrons la semaine prochaine.

Nous rédigerons également une analyse du budget vert.

Monsieur Holroyd, je ne suis plus un homme politique mais le Premier président de la Cour des comptes, ce qui m'impose d'être impartial et indépendant. Je me garde bien de tenir la main du Gouvernement. C'est à vous de savoir pourquoi vous n'êtes pas satisfaits.

Je crois très profondément que le Parlement peut faire plus. Peut-être est-ce une question de moyens et de capacité d'analyse indépendante. Certes, nous ne sommes pas dans un système parlementaire. J'ai moi-même été député et membre de la commission des finances et je sais que vos bureaux sont plus petits que ceux de vos homologues à Washington et que vos équipes sont plus réduites, même quand vous exercez des fonctions particulières. Chaque sénateur américain s'appuie sur cinquante personnes. Votre commission dispose de moyens, mais ils sont plus modestes. Or c'est bien de cela qu'il s'agit : être à même de pousser dans leurs retranchements l'administration et l'expertise de la grande citadelle de Bercy – que je suis fier d'avoir dirigée –, sans pour autant la défier.

Je voudrais souligner – car peut-être ne le mesurez-vous pas suffisamment – que la Cour des comptes, depuis la réforme de 2008, et le HCFP se tiennent à égale distance du Parlement et du Gouvernement. Je ne cesse de dire que notre capacité d'expertise est à votre service. Nous sommes objectivement vos alliés parce que ne faisons pas de politique. En revanche, l'expertise qui découle de nos travaux est une aide dont vous pouvez vous saisir afin de mieux argumenter avec le Gouvernement.

Si je me bats avec autant d'acharnement pour renforcer les moyens du HCFP, c'est précisément pour disposer, comme nos partenaires étrangers, de l'indépendance suffisante pour pouvoir discuter avec le Gouvernement et mettre en cause ses chiffres. Il manque au pays la culture de partage et d'équilibre des pouvoirs, ainsi que de dialogue avec l'exécutif. J'étais déjà arrivé à cette conclusion lorsque j'étais ministre de l'économie et des finances. C'est la raison pour laquelle j'ai créé le HCFP. Je regrette de ne pas lui avoir donné suffisamment de moyens. Mon administration ne le souhaitait pas vraiment à l'époque, mais c'est fondamental.

Monsieur Holroyd, vous travaillez sur la révision des règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance. À la suite de notre rencontre à ce sujet, je vais vous écrire un courrier pour préciser mes convictions. Si nous renforçons les autorités et l'expertise indépendantes ainsi que la capacité collective du Parlement, de la Cour et du HCFP à faire valoir des chiffres et des faits, le débat public s'en portera mieux. C'est également l'une des conditions pour réussir la revue des dépenses publiques.

Je crois à cet exercice, que nous n'avons encore jamais réalisé en France. Le faire sera beaucoup plus intelligent que je ne sais quelle démarche strictement budgétaire. Cela nous permettra d'obtenir de meilleurs résultats en matière de finances publiques, et surtout de qualité des dépenses et du service public – ce qui satisfera le citoyen usager, pour lequel nous travaillons tous.

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Je ne peux qu'approuver vos propos sur la nécessité pour la commission des finances d'être indépendante par rapport à l'exécutif et d'avoir des moyens suffisants, afin d'exercer un réel contrôle. Cela étant, nous avons la chance de disposer d'administrateurs d'une qualité absolument remarquable. Je tiens à leur rendre hommage à l'occasion de la fin de cette session ordinaire.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du jeudi 29 juin 2023 à 11 heures

Présents. - M. Karim Ben Cheikh, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Éric Coquerel, M. Dominique Da Silva, M. Fabien Di Filippo, M. Luc Geismar, M. David Guiraud, M. Alexandre Holroyd, Mme Patricia Lemoine, M. Denis Masséglia, M. Benoit Mournet, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, M. Emeric Salmon

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Jean-René Cazeneuve, M. Joël Giraud, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, Mme Mathilde Paris, Mme Christine Pires Beaune, M. Charles Sitzenstuhl