La réunion

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Mardi 11 juillet 2023

La séance est ouverte à treize heures trente-cinq.

(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)

La commission d'enquête examine le rapport de la commission.

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Après six mois de travaux, nous allons clore notre commission d'enquête relative aux révélations des Uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences. Cette dernière réunion sera consacrée à l'examen du projet de rapport de notre rapporteure, Mme Danielle Simonnet, et au vote sur son adoption. Notre commission avait deux objets : d'une part, identifier les actions de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France ainsi que le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement de l'ubérisation en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics.

Pour ce faire, nous avons entendu cent vingt personnes au cours de soixante-sept auditions réalisées dans le cadre de trente et une réunions, qui ont duré, au total, plus de quatre-vingt-cinq heures. Je tiens à remercier tous les membres de cette commission, à commencer par Mme la rapporteure, ainsi que les administrateurs de l'Assemblée nationale.

Nous entendrons d'abord Mme la rapporteure exposer les grandes lignes de son rapport et ses conclusions, puis les orateurs des groupes et, le cas échéant, les commissaires qui souhaiteraient s'exprimer. Mme la rapporteure pourra ensuite apporter les réponses et les précisions qu'elle jugera nécessaires avant que nous passions au vote.

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Je remercie vivement les administrateurs de l'Assemblée nationale pour leur précieux travail. Notre commission d'enquête a été particulièrement dense, puisque, comme le président vous l'a rappelé, en six mois, nous avons auditionné cent vingt personnes au cours de soixante-sept auditions, qui ont duré, au total, plus de quatre-vingt-cinq heures. Nous avons également étudié vingt-huit questionnaires, épluché cinq cent vingt-cinq documents fournis par le lanceur d'alerte, Mark MacGann, transmis assez tardivement après la plupart des auditions, ainsi que trente-sept documents transmis par Uber et plus de quarante-trois notes et mails internes des ministères.

Un an a passé depuis les révélations faites par un consortium international de journalistes – du Monde et de Radio France pour notre pays –, qui avait enquêté à partir des 124 000 documents internes à Uber transmis par M. Mark MacGann, ancien lobbyiste de l'entreprise. La commission d'enquête parlementaire s'était fixé pour mission d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France, ainsi que le rôle des décideurs publics de l'époque et d'étudier les conséquences sociales, économiques et environnementales du modèle Uber en France et la réalité des rapports des pouvoirs publics avec celui-ci.

Faut-il ou non adopter ce rapport, et faut-il le publier ? Nos avis diffèrent. Le rôle d'une rapporteure est d'assumer ce qu'elle estime avoir été révélé par les auditions. Néanmoins, vous savez comme moi que le rapport s'ouvrira sur l'avant-propos du président, ce qui permettra d'offrir deux versions au lecteur. Face à une question démocratique autant que sociale et économique, nous avons un devoir de transparence. La non-adoption du rapport, qui entraînerait sa non-publication, porterait préjudice au nécessaire lien de confiance entre parlementaires et citoyens en renforçant l'opacité de cette affaire.

Comment Uber, une multinationale américaine qui a érigé l'illégalité en principe de fonctionnement, a-t-elle pu bénéficier d'un soutien direct et opaque d'un ministre contre l'avis même de son Gouvernement ? Pourquoi, alors même que le Gouvernement avait pleinement connaissance, à partir de 2017, de toutes les irrégularités des plateformes, y a-t-il eu des manquements de l'État à faire respecter l'État de droit ? Pis, comment le Gouvernement a-t-il pu collaborer à ce point avec la logique des plateformes ?

Le rapport confirme toute la stratégie de lobbying agressif d'Uber. Nous avons pu mettre au jour une véritable stratégie de l'illégalité, totalement assumée, comme en témoigne le schéma de la pyramid of shit – la « pyramide de merde », si vous me permettez cette grossièreté que je ne fais que citer –, représentant toutes les illégalités à affronter. Quelles formes prennent-elles ? Non-respect de toutes les règles du transport de personne à titre onéreux ; optimisation voire évasion fiscale ; recours à de faux statuts de travailleur indépendant des chauffeurs et, partant, travail dissimulé et non-paiement des cotisations sociales ; volonté de se soustraire aux opérations de contrôle de la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ou de l'OCLTI, l'office central de lutte contre le travail illégal, grâce au logiciel « Casper », qui permet, en activant un bouton dit « kill switch », de restreindre l'accès aux données informatiques de la plateforme. Malgré cela, Uber a trouvé des alliés au plus haut niveau de l'État, à commencer par l'ancien ministre de l'économie, devenu Président de la République, M. Emmanuel Macron.

Le rapport comprend des documents accablants, déjà publiés pour certains par les journalistes, d'autres transmis par M. Mark MacGann, démontrant que le ministre de l'économie de l'époque a été un soutien précieux et disponible pour les plateformes, entretenant de nombreux échanges directs ou indirects par le biais de membres de son cabinet, notamment M. Lacresse, qu'un deal a bien été conclu et qu'un arrêté préfectoral a été modifié. Nous avons auditionné tous les ministres de l'époque et les dirigeants d'Uber, qui ont nié ces faits. Je pense qu'il est tout à fait probable que MM. Cazeneuve, Valls et Vidalies n'étaient pas au courant de l'organisation du « deal » entre M. Emmanuel Macron et les dirigeants d'Uber.

Essayons de nous refaire le film. Uber tente de mettre le plus de VTC possible sur le marché afin de s'approprier le monopole des taxis. Bien que sachant que son application est dans l'illégalité, l'entreprise développe UberPop, une plateforme permettant de mettre en relation avec des clients des gens dont le transport de personnes n'était pas le métier et qui devenaient chauffeurs pour compléter leurs revenus. Cette application fait naître une colère parmi les taxis, qui se mobilisent très fortement.

À ce moment-là, même si Uber perd son procès UberPop, il continue à en développer la pratique, en attendant la décision à propos du recours, qui n'est pas suspensif. Vous trouverez, page 82 du rapport et suivantes, tous les échanges qui ont eu lieu entre les dirigeants d'Uber et des membres du cabinet d'Emmanuel Macron, mais aussi entre les dirigeants d'Uber eux-mêmes. Ces messages permettent de prendre conscience que la stratégie d'Uber n'est pas tant de faire changer la « loi Thévenoud », tout juste adoptée et qui n'est pas en sa faveur, mais dont il fait l'hypothèse qu'elle ne sera sans doute pas appliquée, que d'aller vers une réglementation allégée des VTC. Alors qu'il faut 250 heures pour former un chauffeur de VTC, Uber a besoin de rabattre ces exigences pour en mobiliser un grand nombre très rapidement.

Sa stratégie apparaît très clairement à la page 83 du rapport : par le biais du député Luc Belot, Uber propose des amendements au projet de loi pour la croissance, en parallèle du développement d'une communication puissante pour faire accepter l'idée qu'une licence VTC light serait une solution favorable à l'emploi et à la mobilité. Le deal entre les équipes d'Uber et le cabinet d'Emmanuel Macron est le suivant : Uber accepte de fermer l'application UberPop en échange d'une réglementation allégée sur la formation des chauffeurs VTC.

Les échanges entre les dirigeants montrent clairement qu'ils sont très contents que l'arrêté soit en préparation. M. Travis Kalanick envoie le 3 juillet 2015 un SMS à Emmanuel Macron demandant s'ils peuvent faire confiance à M. Cazeneuve. Réponse : « Nous avons eu une réunion hier avec le Premier ministre. Cazeneuve va calmer les taxis et je vais réunir tout le monde la semaine prochaine pour préparer la réforme et corriger la loi. Cazeneuve a accepté le “ deal ”. » Je pense que M. Cazeneuve n'a pas forcément conscience de la réalité du deal existant. Par la suite, avant la publication de l'arrêté, Uber se rend compte que le nombre de sessions annuelles d'examen est limité, ce qui le pousse à relancer son lobbying. À l'arrivée, l'arrêté fait passer la durée de la formation de 250 à 7 heures, ce qui permet de recruter des chauffeurs de VTC en une seule journée et très facilement, puisque le taux de réussite est de plus de 80 % à l'examen.

Un autre fait a été révélé par les Uber files concernant les arrêtés de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Les taxis marseillais se sont très fortement mobilisés contre la prolifération des VTC et l'application Uber X, qui proposait une sorte de covoiturage. La colère des taxis est telle que le préfet, M. Laurent Nuñez, décide de prendre un arrêté pour exiger l'application de la loi. Bien qu'un tel arrêté n'ait aucun sens juridiquement, il permettait de calmer les taxis en leur annonçant des opérations de contrôle dans les gares, à l'aéroport et au centre-ville ciblant cette application illégale, qui était le summum de la concurrence déloyale. Uber envoie un message relatif à cet arrêté à Emmanuel Macron, qui répond : « Je vais regarder cela personnellement. Faites-moi passer tous les éléments factuels et nous décidons d'ici ce soir. Restons calmes et à ce stade je vous fais confiance. » L'arrêté va être retiré et un nouvel arrêté sera signé.

Deux explications sont possibles : selon M. Nuñez et M. Cazeneuve, cet arrêté souffrait d'un biais juridique, ce qui l'exposait à être contesté par Uber devant les tribunaux ; selon les chauffeurs de taxi et M. MacGann, les deux arrêtés, aussi inutiles l'un que l'autre, avaient une fonction politique. Les dirigeants d'Uber, furieux du premier, ont essayé d'interpeller M. Emmanuel Macron et les membres du cabinet de M. Cazeneuve afin de le faire modifier. Aux pages 91, 92 et 93 du rapport sont publiés des échanges inédits qui montrent à quel point Uber a été entendu sur ce point par les pouvoirs publics. Alexandre Quintard Kaigre conclut ainsi : « On devrait obtenir un nouvel arrêté qui exclut tout lien avec Uber et qui devrait ne pas nous mentionner. […] Je viens de raccrocher avec Plic et Plouc. » L'enquête ne permettra pas de découvrir l'identité de ces deux personnages… Nous disposons des éléments témoignant qu'une plateforme a pu faire modifier, en toute illégalité, un arrêté préfectoral. Nous avons aussi en notre possession les messages des dirigeants d'Uber qui sont ravis du deuxième arrêté, alors que les taxis s'étaient sentis trahis.

S'agissant des contreparties obtenues en échange de la facilitation du développement d'Uber, des questions demeurent. Aucune étude fiable des pouvoirs publics n'a pu démontrer qu'elle avait créé des emplois. En revanche, des études d'économistes universitaires et de sociologues montrent que la majorité des chauffeurs Uber n'étaient pas sans emploi mais qu'ils étaient victimes de discriminations raciales ou de mauvaises conditions de travail et qu'ils ont aspiré à changer de métier, en se fiant à la promesse de devenir leur propre patron, tout en ayant de bons revenus. Ils ont très vite déchanté, étant donné la dégradation très rapide des conditions de travail imposées par Uber.

Par ailleurs, nous savons que la logique oligarchique qui a permis à Uber, par le biais de M. Travis Kalanick, d'entrer en contact avec M. Emmanuel Macron a usé de l'entremise de Google. Nous avons également découvert avec les Uber files tout un écosystème où l'on croise aussi bien LVMH que Xavier Niel. Ces grands dirigeants ont joué un rôle d'investisseurs auprès d'Uber et, surtout, de facilitateurs pour lui permettre d'atteindre les décideurs publics. Il était fort utile pour un candidat à la présidentielle de montrer de la loyauté à l'égard de ce milieu, afin de bénéficier de son soutien par la suite.

Nous n'avons cependant pas les messages où les dirigeants d'Uber s'engagent à participer au financement de la campagne. Les éléments dont nous disposons montrent que les financements sont restés dans le cadre de la légalité pour ce qui est de leur montant. Qu'on ne me fasse donc pas dire autre chose que ce que j'écris ! Ces messages ne laissent toutefois pas de susciter quelques interrogations quant aux contreparties. On y voit les dirigeants se demander si M. Emmanuel Macron va continuer à défendre Uber, s'ils peuvent être sûrs de lui… Le lien est clair entre le soutien d'une logique et l'accès à des financements, alors que normalement, d'après la loi, les acteurs impliqués dans les actions de lobbying ne devraient pas participer à des financements de campagne.

La commission d'enquête s'est aussi penchée sur la situation actuelle. En 2017, le Gouvernement a connaissance de toutes les pratiques illégales du modèle de l'ubérisation. Nous avons d'ailleurs une note du ministère du travail de 2019 qui montre l'étendue du développement de l'ubérisation, dans les transports, mais aussi dans les domaines du BTP, de l'aide à la personne, de la culture et des guides-conférenciers. C'est le même rapport de pleine subordination entre une hiérarchie et un travailleur faussement indépendant qui n'a pas la maîtrise de son tarif et qui est soumis au contrôle d'une direction. Aucune consigne n'a été donnée pour faire respecter l'État de droit, alors même que toutes les décisions de justice mettent Uber à l'amende, en considérant qu'un lien de subordination existe et que le travailleur des plateformes est bel et bien un salarié. Or, qu'il s'agisse de la DGT, la direction générale du travail, de la DGFIP, la direction générale des finances publiques, ou de la DGCCRF, il n'y a pas de consigne politique pour cibler particulièrement les pratiques illégales des plateformes vis-à-vis du code du travail, des cotisations sociales, de la question fiscale ou des données personnelles. Cette impuissance des autorités publiques à faire respecter l'État de droit interroge, d'autant que le pseudo-gain en termes d'emploi n'a jamais été évalué.

Pis, le Gouvernement a cherché à protéger les plateformes de la requalification des chauffeurs en salariés. Au moment qui nous intéresse, le nouveau PDG d'Uber, M. Dara Khosrowshahi, a lancé sa stratégie du « better deal » : sous couvert d'ouvrir le dialogue social et de nouveaux droits sociaux, il s'agit avant tout d'empêcher la requalification des chauffeurs en salariés. Première étape : la « loi Pénicaud » et la LOM, ou loi d'orientation des mobilités, où sont introduites des chartes accordant de nouveaux droits et précisant que la requalification en salariés n'est pas possible. Elles sont retoquées [SM1]par le Conseil constitutionnel.

Surgit alors toute la stratégie autour de ARPE, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi. Uber est d'abord passé par un cabinet de conseil, A.T. Kearney, qui lui a soumis une note dans laquelle est proposée la création d'un observatoire, qui pourrait être animé par M. Bruno Mettling. Sous la responsabilité du Premier ministre Édouard Philippe, une mission est commandée à M. Jean-Yves Frouin afin d'étudier toutes les possibilités pour réguler les rapports entre les plateformes et les travailleurs, à l'exception de l'hypothèse de la requalification des chauffeurs en salariés. Le « rapport Frouin » comprendra une contribution qui a été sous-traitée au cabinet Topics et rédigée par Bruno Mettling. Il conclura que, si toutes les hypothèses étaient intéressantes, la meilleure aurait été de requalifier le travail des chauffeurs en salariat, ce qui n'était pas possible dans la mesure où elle avait été évacuée d'office par les décideurs publics. Le rapport est alors jeté à la poubelle par la ministre du travail, Élisabeth Borne, qui lance une task force sur la question, à la tête de laquelle elle nomme M. Bruno Mettling, à l'origine financé par Uber et qui sera finalement nommé président de l'ARPE. Cette autorité aura des taux de participation aux élections très faibles, entre 1,8 et 3,9 % pour les chauffeurs et les livreurs et conduira à des accords, notamment sur les prix minimaux des courses, en-deçà du prix du marché.

La suite, vous la connaissez mieux : c'est l'implication du Gouvernement contre la directive qui crée une présomption légale de salariat pour les travailleurs des plateformes, en discussion à la Commission européenne et sur laquelle aucun débat n'a été proposé à l'Assemblée nationale. Uber a déposé beaucoup d'amendements à cette directive, dont beaucoup ont été repris. Que ce soit lors de l'audition du SGAE, le secrétariat général des affaires européennes, ou de M. Schmit, commissaire européen, on voit que la France a tenté de la torpiller.

Le rapport que je vous propose se conclut par quarante-sept propositions pour mieux encadrer les activités de lobbying, renforcer le processus démocratique d'élaboration des normes et construire des alternatives à l'ubérisation, qui instaure une concurrence déloyale en se servant du statut d'autoentrepreneur pour échapper aux obligations du code du travail, notamment de protection sociale. C'est un sujet très important, sur lequel toute la transparence doit être faite.

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La commission d'enquête visait un double objectif : comprendre le fonctionnement des plateformes afin de l'améliorer ; analyser les faits révélés par les Uber files. Sur ce dernier point, nous avons été surpris car, alors même que nous étions ouverts aux potentielles révélations, aucun fait nouveau n'est apparu. Toutes les personnes auditionnées parlaient sous serment : aucune n'a fait de révélation ; personne n'a contredit les informations déjà contenues dans les Uber files. Lorsque vous sous-entendez dans votre propos introductif que certains ont menti sous serment, permettez-nous de ne pas être d'accord avec vous.

D'autre part, dès les premières lignes de votre synthèse, à la page 9, j'ai été frappée par votre tonalité militante. Vous l'avez répété à de nombreuses reprises : vous souhaitiez instaurer une présomption réfragable de salariat pour les travailleurs des plateformes. Aussi avez-vous mené, selon nous, les auditions en adoptant ce filtre, au service de votre obsession afin de valoriser votre idéologie. La rédaction est très militante, parfois outrancière, avec des mots très forts : « imposer », « mépris », « violer » ou « évasion ». Nous ne retrouvons pas là l'essence même du travail parlementaire. La teneur du rapport sur la commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères est bien différente, par exemple.

Ces auditions démontrent que, non seulement il n'y a pas de révélations, mais que des gouvernements successifs ont essayé de répondre à une demande des utilisateurs et proposé une création d'emplois – nous revendiquons de vouloir créer des emplois, et nous l'avons largement démontré. De même, elles n'ont pas révélé un quelconque conflit d'intérêts ni une quelconque contrepartie. Vous le sous-entendez en avançant : « Voilà ce que l'on peut comprendre. » Mais il n'y a pas à « pouvoir comprendre » ! Les faits sont les faits, nous n'avons pas à interpréter un récit. Ce n'est pas un roman mais une commission d'enquête. Depuis 2017, le Gouvernement, entendant les critiques et les doutes, a créé les conditions d'un dialogue social au sein des professions des plateformes.

Néanmoins, certaines ont des méthodes de travail qui laissent songeurs. Sans aucun doute, nous serions d'accord pour aller plus loin et trouver comment définir une meilleure protection sociale pour ces travailleurs et mieux lutter contre l'optimisation fiscale, différente de la fraude. Nous ne partageons pas pour autant le militantisme de votre rapport. Vous écrivez que : « Des entreprises ont pu, grâce à des moyens financiers colossaux et en toute connaissance de cause, braver la loi votée par les représentants du peuple pour implanter un modèle capitalistique d'externalisation de l'emploi destructeur du salariat et des droits des travailleurs, avec l'unique intention de réaliser un maximum de profit dans cette entreprise de sape des acquis sociaux de la solidarité nationale et des réglementations sectorielles. Elles ont trouvé des relais chez des personnalités politiques acquises à leur cause. » Cela reste à prouver ! Des gens les ont écoutées, comme on se doit d'écouter tout le monde. Ce que vous oubliez de dire et que nous voulons rappeler, c'est que nous sommes dans un État de droit, doté d'une justice qui fonctionne et qui, jusqu'à présent, n'a rien démontré de la culpabilité des uns ni des autres. On peut certainement améliorer le système mais nous refusons de laisser planer un doute sur des intentions.

Même si nous ne faisons absolument pas nôtres le ton de votre rapport ni votre objectif d'établir une présomption réfragable de salariat pour les travailleurs des plateformes, nous considérons qu'il faut que ce rapport soit lu. Aussi nous abstiendrons-nous pour exprimer le fait que nous sommes ouverts à sa publication, sans être d'accord avec son contenu.

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La rédaction d'un rapport reflète toujours le style du rapporteur, même si les services de l'Assemblée y contribuent aussi. Le plus important est le fond : il ne s'agit pas de nous substituer à la justice, mais de voir si l'État fonctionne comme il le doit. Je suis toujours triste de lire que des amendements ont été dictés à un député – ici, on cite Luc Belot – qui les défend sans trop savoir de quoi ils traitent ni ce qui les sous-tend. Ce n'est pas sain pour la démocratie et cela révèle que le fonctionnement de l'État n'est pas conforme à l'État de droit, qui consiste à défendre avant toute chose l'intérêt public. Le rapport est, à cet égard, très précieux.

En deuxième lieu, malgré les nombreuses règles qui, comme le soulignait Mme Genetet, encadrent désormais davantage l'activité des lobbys, ces derniers sont toujours très présents depuis les faits que nous évoquons, qui remontent à sept ans. Quels que soient ces lobbys, c'est un vrai problème pour la démocratie, et je n'ai pas de solution miracle. De fait, l'agressivité est aussi de leur côté – il n'est qu'à voir l'insistance très répétitive – pour dire le moins – avec laquelle ils se présentent. Ainsi, même s'il n'y a pas de nouvelles révélations dans le dossier des Uber files, hormis certains messages dont nous n'avions initialement pas connaissance, c'est là un sujet très important.

En troisième lieu, cette affaire souligne l'importance des études d'impact qui doivent être réalisées pour informer les décisions, en particulier dans le domaine économique. En l'espèce, il n'y a rien. Les opinions politiques peuvent certes diverger à ce sujet – on peut considérer que l'action économique doit être guidée par la liberté et que chacun peut faire ce qu'il veut, ou vouloir organiser les choses pour protéger l'emploi et les personnes qui travaillent –, mais nous devrions tous pouvoir convenir que la philosophie ou l'idéologie ne doivent pas l'emporter sur les études d'impact et que certains sujets doivent être vraiment creusés, en particulier sur des questions aussi sensibles, où se mêlent droit de la concurrence et droit du travail, avec des salariés de fait travaillant sans contrat de travail tandis que, par ailleurs, les licences de taxi coûtent très cher. Les pouvoirs publics doivent pouvoir organiser ces activités.

Le groupe Socialistes et apparentés votera donc pour la publication du rapport, auquel il est important de donner des suites.

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La question des lobbys se pose depuis que le Parlement existe, car nous sommes constamment sollicités par des représentants d'intérêts, qu'il s'agisse d'associations, de syndicats – de salariés ou agricoles – ou d'organisations et fédérations professionnelles. À moins d'être tous malhonnêtes, nous devons évidemment assumer le fait que nous les écoutons– et cela fait du reste partie de notre travail de parlementaires. C'est, ensuite, en fonction de nos convictions ou des valeurs que nous voulons défendre que nous reprenons ou non leurs arguments à notre compte. Nous pouvons le faire en toute transparence, et c'est ce que je fais moi-même : je publie mon agenda et je ne vois aucun inconvénient à dire qui je rencontre. C'est un choix à la discrétion de chacun.

En revanche, il ne me semble pas être du niveau de nos débats de faire en termes indifférenciés le procès de tous ceux que nous rencontrons et qui contribuent à éclairer le travail parlementaire. À cet égard, madame la rapporteure, vos propos laissent penser que vous avez sans doute beaucoup reçu le lobby des taxis, très actif dans notre pays et qui l'a été particulièrement contre le lancement d'Uber. Votre proposition 29 reprend ainsi l'une des propositions de ce syndicat et je ne doute pas que vous aurez l'honnêteté intellectuelle de dire que vous l'avez reçu et écouté, que cela figure à votre agenda et que sa proposition est à l'origine de la vôtre, ce qui, actuellement, n'apparaît pas.

Par ailleurs, je m'étonne de la liste de vos propositions. Je souhaiterais, par exemple, que l'on m'explique le rapport que peut avoir avec cette commission d'enquête sur les prétendues révélations des Uber files la première d'entre elles, qui vise à instaurer dans la Constitution un droit de révocation populaire des élus. Du reste, vous mettez en cause à ce propos des membres du Gouvernement qui, par définition puisqu'ils étaient nommés, n'étaient pas élus.

Enfin il faut être lucide sur le fait que ce rapport n'aura aucune portée, car il n'y avait rien à démontrer ni rien à cacher, en tout cas pas ce que vous auriez voulu. En revanche, comme l'illustre notamment l'audition consacrée à Deliveroo à laquelle j'ai participé, certaines questions méritent en effet que nous nous y attachions. Ainsi, nous devrions sans doute examiner dans une démarche transpartisane la question des droits sociaux des travailleurs des plateformes, comme nous l'avons d'ailleurs fait durant la précédente législature.

Pour ce qui est cependant des Uber files, votre rapport ne fera que démontrer avec évidence votre mauvaise foi et le fait que vous ne vous soyez fondée que sur des on-dit, des rumeurs. Toutes les déclarations faites sous serment par d'anciens Premiers ministres ou d'anciens ministres démontrent qu'il n'y avait pas de « deal ». À moins donc que vous ne remettiez en question toutes les auditions qui ont eu lieu et ne dénonciez, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale[SM2], les déclarations faites sous serment par d'anciens Premiers ministres de la République française, vous aurez surtout réussi à démontrer qu'il n'avait rien à démontrer.

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Dès avant la création de notre commission d'enquête, le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) a déjà travaillé sur ces questions, notamment sur le lobbying. M. Sylvain Waserman, alors vice-président de l'Assemblée nationale, a ainsi commis un rapport émettant des propositions pour un lobbying plus responsable et transparent. Quant aux conséquences économiques et socio-environnementales du développement des plateformes, elles font l'objet d'un rapport de Mme Maud Gatel, députée de Paris.

Après avoir participé à de nombreuses auditions menées par cette commission d'enquête, dans l'espoir de faire des propositions concrètes et fondées sur trois piliers – économique, social et environnemental – pour rendre plus durable ce secteur d'activité, je suis un peu déçu de constater, à la lecture du rapport, la quasi-absence de toute proposition de cette nature.

Pour ce qui est du lobbying, notre groupe est favorable à un renforcement du contrôle de la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, et au respect des obligations des représentants d'intérêts issus de la « loi Sapin 2 », avec une meilleure formation au respect des règles de déontologie pour tous les acteurs impliqués.

Quant aux conséquences socioéconomiques, nous aurions souhaité des propositions plus nombreuses. La directive européenne en cours de discussion au niveau du Parlement européen a pour vocation d'assurer une meilleure protection sociale. Nous avons la chance d'avoir en France une institution comme l'ARPE, outil essentiel du dialogue social. Malgré des premières élections qui n'étaient peut-être pas représentatives, il faut laisser à cet outil une chance de renforcer son fonctionnement et de développer un programme de travail sur différentes thématiques.

Il faut aussi renforcer les moyens humains et techniques de l'État pour le contrôle des différentes plateformes. Sans doute faudra-t-il aussi, élargir le champ et dresser un bilan du statut de microentreprise en examinant les formes de concurrence que ce statut peut produire et en renforçant les statuts des personnes qui choisissent cette forme de travail.

À propos des conséquences économiques, nous joindrons au rapport une note qui formulera diverses propositions avec, pour ce qui concerne l'ARPE, un calendrier de négociations sur les thématiques de la prévention, de la sécurité, de la santé, de la médecine du travail, du droit à la formation et de la rémunération. Nous souhaitons également renforcer les droits des livreurs indépendants en encourageant le recours à des dispositifs de portage salarial. Voilà le type de propositions que nous aurions souhaité voir figurer dans ce rapport.

Dans une perspective durable, il faudrait peut-être travailler à la création d'un label relatif à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) qui inciterait ces plateformes à adopter une gestion plus soutenable des ressources humaines.

Il faudra, enfin, réaliser une évaluation socioéconomique complète du statut d'autoentrepreneur.

Si nous pouvons, comme plusieurs de nos collègues qui se sont déjà exprimés, souscrire à certains constats du rapport sur l'activité de plateformes, ce n'est souvent pas le cas pour les solutions proposées – d'abord parce qu'elles sont peu nombreuses, puis parce que, comme l'a souligné Mme Bergé en évoquant la première d'entre elles, la lecture de ce rapport évoque celle d'un programme de La France insoumise. Il est dommage de ne pas avoir utilisé cette commission d'enquête pour formuler des propositions plus constructives dans ce domaine.

Notre groupe s'oriente donc vers un vote d'abstention, afin de permettre la publication du rapport tout en exprimant le fait que nous ne souscrivons pas du tout aux solutions proposées et aurions souhaité en voir proposer d'autres.

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Comme vous l'avez rappelé dans votre introduction, madame la rapporteure, le rapport est un ensemble dont l'avant-propos éclairera les divergences d'appréciation, et peut-être de compréhension, dont font l'objet les déclarations entendues dans le cadre des auditions.

Je salue la densité du travail et la tonalité engagée de la rédaction, même si, précisément, cette dernière a parfois pu desservir la densité. Ayant cherché à lire ce rapport avec un œil neuf, j'ai parfois été gêné par une volonté démonstrative trop affichée. On y trouve même certains éléments relevant de la psychologie comme, page 97, l'évocation d'une « fascination en miroir » entre deux acteurs du projet – qui, du reste, n'ont pas été auditionnés, attitude que je ne suis pas certain que les auditions sous serment auxquelles a procédé la commission d'enquête aient permis d'établir de façon certaine. L'excès peut parfois desservir la volonté de démonstration.

Comme l'ont relevé tous mes collègues, certaines propositions du rapport, qui n'ont pas de lien direct avec le sujet de la commission d'enquête, ont le parfum d'une tentative d'infusion de VIe République. Il vous appartiendra, si c'est votre souhait, de les soumettre au débat dans l'hémicycle. En revanche, le fait de les présenter comme paraissant découler des conclusions et des auditions de la commission d'enquête me paraît être un dévoiement de la fonction de ce rapport.

Cependant, le groupe Horizons et apparentés n'aura pas d'objection à l'approbation et à la publication de ce rapport, et adoptera une position d'abstention semblable à celle que d'autres groupes ont déjà fait connaître.

Enfin, comme l'a souligné l'orateur du groupe Dem, il convient de nous interroger sur le statut d'autoentrepreneur, qui marque une évolution importante pour créer une alternative entre la présomption de salariat, vers laquelle ce rapport semble nous conduire, et les autres statuts possibles.

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Bien que nous soyons évidemment opposés à certaines recommandations du rapport et à certaines de ses prises de parti – c'est l'exercice qui le veut –, nous n'en serons pas moins favorables à sa publication.

En réponse à certaines accusations de partialité, voire de militantisme, formulées par madame la rapporteure, je rappelle que cet exercice existe dans d'autres commissions et qu'il est déjà arrivé que certains groupes considèrent que le rapporteur a interprété certains propos, voire tiré des conséquences de choses qui n'existaient pas – nous l'avons vu récemment dans le cadre d'une commission qui avait trait au financement des partis et qui rejoint certaines positions de la nôtre[SM3].

Pour le reste, il faut distinguer entre les conséquences de l'ubérisation et les actions de lobbying d'Uber.

Sur le premier point, il est bien évident que ce rapport, compte tenu des auditions réalisées et des questions posées tant par la rapporteure que par le président, qui a conduit les débats, peut nourrir une vraie réflexion sur cette voie médiane entre le salariat et le travail indépendant que veulent créer certaines plateformes, dont Uber, ainsi que sur le droit syndical et la sécurité au travail dans cette nouvelle forme de droit du travail. Un débat s'impose sur ces questions, et le rapport y contribuera.

Le rapport revêt également un aspect plus polémique, lié à la question de savoir quelles actions de lobbying ont été menées. Comme Mme Bergé, je considère que le lobbying est tout à fait permis et qu'il permet souvent à un parlementaire d'avancer dans la réflexion et la compréhension d'un sujet. Nous savons tous qu'Uber avait – et ce n'est pas un reproche – les moyens d'un lobbying gigantesque pour obtenir des parts de marché à l'échelle française, et plus largement encore. C'est l'essence même du lobbying que de s'efforcer de défendre ses intérêts. La question – qui se posera à chacun et sur laquelle chacun trouvera matière à interprétation lorsque le rapport sera publié – est de savoir si ce lobbying a donné lieu à un renvoi d'ascenseur, puisque tel est le filigrane de vos travaux, madame la rapporteure. Ce débat n'étant possible que si le rapport est publié, nous souscrivons à sa publication.

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Il est évident que nous recevons tous la visite de lobbys mais, en l'espèce, une ligne a été franchie : Uber s'efforce de jouer sur les lois pour parvenir à ses fins, et j'ai bien cru voir, à un certain moment, une sorte de chantage. Or les lobbys qui viennent me voir n'exercent pas de chantage et, s'ils le faisaient, je leur montrerais la porte. Il s'agit donc ici d'une manière particulièrement agressive de pratiquer le lobbying. C'est choquant, et ce n'est pas ainsi que j'envisage cette activité. Ces gens ne sont pas des gentlemen.

Du reste, ces lobbys adhèrent certainement à une vision plutôt nord-américaine qu'européenne de la société, remettant par exemple en cause le financement de notre sécurité sociale par des cotisations sociales, qui fait partie de notre histoire et de notre façon de faire société. On voit bien là une distinction entre deux formes de société, avec des pratiques qui me choquent.

Je ne suivrai évidemment pas toutes les recommandations du rapport, dont certaines sont en effet militantes. Cependant, certaines autres, qui visent à assurer plus de transparence et à encadrer les lobbys, sont bienvenues, car la société dans laquelle nous vivons est de plus en plus une société de la défiance, et la loi est généralement en retard sur la réalité : il y a des trous dans la raquette. L'idée d'une loi qui cadre mieux le lobbying me semble donc tout à fait salutaire, ne serait-ce que pour dire à nos concitoyens que les choses ne se font pas dans leur dos, dans l'opacité et avec une volonté de les assujettir. Je voterai donc, à titre personnel, pour la publication du rapport.

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Madame la rapporteure, je salue votre travail et votre exposé. Les accusations de filtre idéologique me font toujours sourire : que sommes-nous, tous et toutes autant que nous sommes, sinon le produit d'une histoire politique et d'une vision du monde, quels que soient nos cheminements, parfois sinueux pour certains – à moins que l'on ne souhaite voir l'Assemblée nationale devenir un lieu complètement dépolitisé, et nous des « startuppers » de la politique ? Cette accusation, toujours surprenante, n'est pas à la hauteur de nos débats. Quant aux mots employés, c'est le fond qui est plus important.

Ce rapport soulève un problème démocratique majeur. Lorsque vous dites, madame Bergé, que vous ne voyez pas le lien avec la proposition – à laquelle, du reste, je ne souscris pas – visant à la révocation des élus, la question posée est pourtant bien celle de la démocratie, de notre rapport à l'intérêt général, aux lobbys et de la soumission à certains intérêts particuliers. Nous devons certes, madame Genetet, écouter tout le monde, mais tout le monde n'a pas le numéro de portable du ministre de l'économie et des finances ni accès, avec la même force de frappe financière, aux décideurs publics.

Enfin, une vraie réflexion s'impose sur le fait que toutes les influences ne se valent pas. Je distingue quant à moi, l'influence de corps constitués comme les syndicats, les ONG et les organisations et intérêts professionnels, et celles qui visent à mettre à mal notre modèle social et notre modèle environnemental, qui font notre fierté. Uber dissuade de prendre les transports collectifs et utilise une flotte de véhicules particulièrement polluants, avec 90 % de diesel en 2017 en France – c'est le député écologiste qui parle. En termes de climat, l'influence d'Uber n'est pas celle que peuvent avoir d'autres organisations : nous nous trouvons en cet instant dans une salle où l'on suffoque de chaleur, mais on y suffoquera plus encore demain en raison de la réalité climatique. En termes de modèle social non plus, considérer les êtres humains, non comme des salariés qui ont des droits, mais comme des ressources à consommer et à jeter, sans garanties, sans droits ni protections, et sans aucun bénéfice pour la société, n'est pas une bonne influence.

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Presque tout ayant été dit, je me contenterai d'exprimer un ressenti paradoxal. Le travail réalisé est très dense et le rapport, très instructif, se lit comme un roman – c'est d'ailleurs, comme vous vous en souvenez, parce que ce travail est éclairant que j'étais favorable à la poursuite des auditions.

Certaines propositions sont intéressantes et utiles, notamment sur le plan déontologique, mais je partage l'étonnement de nombre de nos collègues face à des propositions très éloignées du sujet, dont celle qui vise à permettre la révocation des élus – d'autant plus qu'il y est question de ministres : je ne vois guère ce que la révocation des députés et des sénateurs pourrait y faire. La présomption de salariat me semble également très éloignée de la question fondamentale qui nous réunissait.

Cependant, par respect pour le travail des parlementaires, ainsi que pour la liberté de ton et la transparence de nos débats, je ne suis pas opposé à la publication de ce rapport et je m'abstiendrai donc.

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Je remercie la rapporteure pour son travail très complet. On sait que l'action du lobbying, notamment celui d'Uber, a été très importante et a pesé sur la rédaction de certaines lois, en corrigeant même certaines, au détriment à la fois des usagers et des salariés. Le département dont je suis élu est un gros fournisseur de salariés pour Uber. La relation unissant ces travailleurs sous statut d'autoentrepreneur et la société qui les commande et qui joue comme bon lui semble avec leur rémunération et leur temps de travail n'est aucunement équilibrée, grâce précisément à la loi imaginée par cette entreprise.

Comme d'autres collègues, je ne souscris pas à toutes les propositions et préconisations du rapport, notamment celle qui porte sur la révocation des élus. Toutefois, la question n'est pas de savoir si nous approuvons les préconisations du rapport, mais sa publication. Ce rapport est précieux pour faire évoluer notre démocratie et la mettre un peu plus à l'abri du lobbying, quelques jours après que la Cour des comptes a confirmé, sur un sujet certes différent, mais pas très éloigné, le poids des cabinets privés dans l'élaboration des politiques publiques.

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Nous en venons aux interventions des autres députés.[SM4]

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Il faut en effet voter ce rapport. La première des choses qui m'ont étonnée après avoir assisté à de nombreuses auditions est le fait qu'on ne respecte pas la loi dans un État de droit. Il faudra nous interroger pour voir comment faire, à l'avenir, pour que les lois françaises soient respectées.

Nous devrons également avoir une réflexion transpartisane pour que les plateformes respectent les personnes et ne soient pas un vecteur d'immigration, comme cela a été le cas. Il a en effet été révélé que certains comptes ouverts sur ces plateformes étaient sous-loués, ce qui permet toutes les dérives. Il faudra y réfléchir, et c'est l'une des raisons pour lesquelles il est très utile de voter ce rapport.

Je rappelle la phrase qui nous a tous interrogés : « La police financière est dans nos bureaux de Paris. Ils veulent des renseignements sur nos chauffeurs partenaires. Il semble qu'ils appliquent une décision de justice. Uber BV serait la cible. J'ai informé le directeur de cabinet de [M. Macron] qu'il ne nous semble pas que le “ deal ” puisse tenir encore très longtemps. »

Il faut donc publier ce rapport. S'il n'y a pas de preuves, cela sera indiqué. Et s'il y en a…

Enfin, nous ne sommes pas d'accord avec un grand nombre des recommandations du rapport. En revanche, la présomption de salariat mériterait une réflexion commune que nous devrions mener non seulement au sein de nos groupes, mais entre groupes.

En outre, j'ai trouvé ce rapport bien rédigé et facile à lire, même si certains peuvent le trouver excessif.

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Madame Bergé, la question démocratique est en effet au cœur des Uber files, affaire qui témoigne d'un sentiment d'irresponsabilité et d'impunité des élus bien ancré dans la culture politique de la Ve République. L'obligation de rendre des comptes et le droit de révoquer les élus, y compris les ministres, qui ne sont pas forcément élus, pèserait sur l'ensemble de l'environnement politique et sur des élus qui n'écoutent qu'une infime minorité de la population, à savoir les dirigeants des grandes multinationales, comme c'est le cas pour Uber.

La présomption de salariat est au cœur de la question, car la « plateformisation » de l'emploi, le capitalisme de plateformes, a pour logique de ne plus avoir à assumer un contrat de travail ni des cotisations sociales, et de se limiter à mettre en relation, sur la base d'un contrat commercial, des gens en situation d'autoentrepreneur.

Le contrat de travail n'étant pas défini dans le code du travail, qui existe pourtant depuis 1910, il est intéressant de nous appuyer sur la jurisprudence. À cet égard, l'audition du président de la Cour de cassation était très importante, car elle rappelait cette évidence que ce n'est pas le travailleur qui choisit s'il est indépendant ou salarié, mais les faits : est-il, ou non, dans un rapport de subordination ? De fait, toutes les décisions de justice, que ce soit au niveau administratif, aux prud'hommes ou au pénal et jusqu'à la Cour de cassation, concluent sur le fond que les travailleurs des plateformes sont dans un rapport de subordination et que leur situation devrait donc faire l'objet d'une requalification salariale. La loi, avec ses décisions de justice, nous le dicte. Notre État de droit respectera-t-il ces exigences ? Non.

Aujourd'hui, les plateformes imposent un état de fait à l'État de droit et il est donc très important que le débat se poursuive. En tant que républicaine, très attachée à l'État de droit, je considère qu'il est du rôle de ce dernier de mettre fin à ces manquements et de respecter enfin la présomption de salariat dans un rapport de subordination. À propos de Mediflash, par exemple, plateforme qui met en relation des travailleurs sous statut d'autoentrepreneur, Mme Borne, qui était alors ministre du travail, et M. Véran, alors ministre de la santé, ont rédigé un excellent courrier dénonçant cette mise en relation qui mettait dans une situation hallucinante des EHPAD ayant recours par ce biais à des aides-soignantes qui auraient dû être sous la responsabilité des infirmiers et sous statut salarié.

On voit bien que, par ailleurs, les plateformes piétinent la réglementation sectorielle. Le rapport révèle aussi à quel point Bpifrance a financé ces plateformes, en contradiction même avec des décisions prises par des gouvernements successifs. La présomption de salariat est donc une question centrale du point de vue de l'État de droit.

Quant au portage salarial, il s'agit d'une excellente proposition pour un travailleur ayant un véritable statut d'indépendant, dans lequel il contrôle ses tarifs : dans une coopérative, il aura les mêmes droits qu'un salarié, tout en restant, fiscalement, un travailleur indépendant. Le portage salarial n'est cependant pas applicable à des plateformes qui s'exonèrent illégalement de leurs obligations. De fait, leur permettre ce mécanisme reviendrait à leur dire qu'elles peuvent continuer à abuser du statut de faux indépendants, situation qui devrait conduire à une fermeture immédiate si l'État de droit savait se faire respecter. Il faut toujours nous référer à l'État de droit.

J'espère que nous pourrons poursuivre la réflexion pour aboutir à des propositions de loi transpartisanes, notamment pour qu'il existe enfin une autorité délivrant des agréments qui permettent de vérifier que les plateformes respectent leurs obligations.

J'espère aussi que nous aurons un vrai débat à l'Assemblée nationale, au titre de l'article 50-1 de la Constitution, sur la directive relative à la présomption de salariat actuellement débattue à l'échelle européenne. L'intérêt suscité par cette commission d'enquête montre bien que ce débat devrait être partagé et suivi d'un vote démocratique.

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Sans formuler de commentaires sur le fond du rapport, je constate que l'interprétation de certaines auditions sous-entend que trois personnes au moins – un ancien Premier ministre, un préfet de police et le lanceur d'alerte lui-même – se seraient parjurées et auraient menti sous serment, ce qui relève du pénal. Je suppose que Mme la rapporteure en tirera les conclusions qui s'imposent dans la semaine qui vient.

La commission adopte le rapport et autorise sa publication.

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Je rappelle que le contenu du rapport d'une commission d'enquête doit rester confidentiel jusqu'au jour de sa publication. Après le dépôt du rapport s'ouvrira un délai de cinq jours francs au cours desquels nous sommes soumis au secret. Ce n'est qu'à l'issue de ce délai que le rapport pourra être publié et que nous pourrons faire état de son contenu. Il s'agit là d'une obligation prévue par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par notre règlement.

Je me permets de vous donner lecture du dernier alinéa de l'article 6 de l'ordonnance de 1958 : « Sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l'article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »

Le rapport sera publié le 18 juillet.

Par ailleurs, je vous rappelle que des contributions, individuelles ou de groupe, peuvent être transmises, qui figureront en annexe du rapport. Ces contributions doivent être adressées au secrétariat de la commission d'enquête jusqu'au jeudi 13 juillet à 17 heures.

Je vous demanderai, enfin, de bien vouloir remettre à l'administration les exemplaires du projet de rapport qui vous ont été distribués.

La séance s'achève à quatorze heures quarante.

[SM1]partiellement pour la LOM

[SM2]sans doute une référence à l'article 6 de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires eut été préférable

[SM3]Je ne comprends pas

Le rapport rejoint certaines positions de notre groupe ?

[SM4]Peut-être peut-on enlever ce passage ; Mme Bergé et Mme Genetet, se sont toutes deux exprimées par le groupe RE

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aurore Bergé, M. Sébastien Delogu, Mme Alma Dufour, Mme Anne Genetet, M. Benjamin Haddad, M. Alexis Izard, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, Mme Marie Lebec, Mme Brigitte Liso, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Benjamin Lucas, M. Paul Molac, Mme Louise Morel, M. Stéphane Peu, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, M. Philippe Pradal, Mme Valérie Rabault, Mme Béatrice Roullaud, M. Philippe Schreck, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Sarah Tanzilli, Mme Cécile Untermaier, M. Frédéric Zgainski