Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures trente.

La commission procède à l'audition de M. Jonathan Delisle, président des transports Delisle, et de M. Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey.

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Nous reprenons nos travaux cet après-midi en accueillant deux entreprises bien connues dans le domaine de la logistique en France : l'entreprise Delisle, représentée par son président M. Jonathan Delisle, et l'entreprise Mauffrey, représentée par son directeur général M. Aurélien Baehl. Messieurs, nous vous remercions de vous être mobilisés pour venir répondre à notre commission d'enquête dédiée au fret ferroviaire et qui explore deux angles particuliers.

Le premier consiste à comprendre les raisons du déclin du fret ferroviaire en France depuis le début des années 2000 en examinant le rôle de la libéralisation à partir de 2005-2006. Nous cherchons également à anticiper les opportunités de rebond pour ce mode de transport, combiné avec d'autres modes, car chacun sait que nous ne créerons probablement pas des installations terminales embranchées dans toutes les usines de France.

Le deuxième angle de notre enquête consiste à essayer de comprendre la décision prise par le gouvernement français de retenir une solution de discontinuité pour essayer de protéger les activités de Fret SNCF, en tout cas l'activité de fret ferroviaire public, d'une condamnation qui pourrait avoir lieu dans une période de dix-huit à vingt-quatre mois à la suite de la décision de la Commission européenne prise le 18 janvier de cette année. Cette solution bouleverse quelque peu le fret ferroviaire, notamment les clients les plus captifs, c'est-à-dire ceux qui utilisent le wagon isolé sur lequel Fret SNCF est encore très présente alors qu'elle ne représente plus que 48 % de l'activité totale de fret ferroviaire dans notre pays.

Bien que les groupes que vous représentez soient souvent considérés comme des groupes routiers, nous savons que vous vous posez de nombreuses questions sur la décarbonation des transports et que, depuis de nombreuses années, vous avez recours à d'autres modes de transport pour votre logistique, y compris le fluvial et le ferroviaire. Nous souhaitons donc vous entendre sur le regard que vous portez sur le mode de transport ferré en France aujourd'hui et les changements survenus lors des années écoulées. Plus précisément, nous aimerions connaître votre appréciation de sa pertinence économique, écologique et technologique par rapport aux marchandises que vous transportez pour vos clients.

Nous aimerions également vous entendre sur les échos que vous avez pu avoir de la situation actuelle et des derniers mois de Fret SNCF et du fret ferroviaire. Après le redressement noté en 2021-2022, qui était plutôt significatif au regard d'une tendance à la baisse presque constante depuis le début des années 2000, certains interlocuteurs, en particulier ceux du transport combiné, ont exprimé leurs inquiétudes, notamment au sujet du coût de l'énergie. Ils ont indiqué que le fret ne se portait pas bien ces derniers mois. Vous pourrez également nous fournir des éclaircissements sur la manière dont le monde des logisticiens, où parfois la solution du fret ferroviaire était perçue comme complexe et un peu poétique pour certaines marchandises, considère aujourd'hui cette solution modale. Certains interlocuteurs récents, y compris des chargeurs, semblent la considérer désormais avec un regard quelque peu différent.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

M. Jonathan Delisle et M. Aurélien Baehl prêtent serment.

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

Je vous remercie d'avoir invité le groupe Mauffrey et je présente les excuses de MM. Dominique Mauffrey et Fabrice Grandgirard, qui ne peuvent pas être présents aujourd'hui.

Le groupe Mauffrey est une société familiale fondée en 1964 et basée dans les Vosges, ayant son siège à Saint-Nabor. Nous sommes actifs dans le transport, la logistique et la manutention, principalement au service de clients industriels. Nous employons environ 4 500 personnes en France. En ce qui concerne le transport, 90 % de nos prestations se font par la route, tandis que les 10 % restants se partagent entre le transport fluvial et ferroviaire. Bien que cette part puisse sembler modeste, nous sommes passés de 0 % à 10 % depuis 2018, ce qui traduit la volonté du groupe de se développer dans ce secteur.

Nous avons en outre toujours attaché une grande importance aux aspects extra-financiers. En 2012, nous avons mis à la route le premier tracteur au gaz en France ; en 2017, nous avons créé une fondation d'entreprise et, en 2022, nous avons inauguré notre campus de formation, la Mauffrey Academy. Cette dernière vise à former 300 professionnels du transport chaque année dans un contexte de pénurie sur le marché de l'emploi. De plus, nous visons une réduction d'environ 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.

Certaines interventions lors de vos auditions précédentes opposaient de manière assez nette le rail et la route, alors que nous sommes convaincus qu'ils sont complémentaires, et non en concurrence directe. Notre ambition, en nous appuyant sur notre expérience dans le transport routier, correspond à devenir un acteur légitime dans le domaine ferroviaire. De plus, cette expérience doit nous servir à proposer des prestations complètes autour du train, c'est-à-dire comprenant également le pré-acheminement en camion et le post-acheminement en camion, le tout en parfaite coordination avec le train. Nous souhaitons également proposer des prestations de report modal inversé en cas d'urgence, c'est-à-dire lorsque le train est immobilisé ou qu'il ne part pas. Cette solution permet d'éviter toute rupture dans les chaînes logistiques de nos clients. Ce problème est souvent associé au transport ferroviaire, comme l'ont mentionné certains chargeurs lors de précédentes auditions.

Une autre opposition faite entre les deux modes est liée aux émissions de gaz à effet de serre : le train émet beaucoup moins de gaz à effet de serre par tonne transportée que la route. Or la stratégie nationale bas-carbone vise une réduction d'environ 30 % des émissions du secteur du transport d'ici à 2030 et une neutralité carbone d'ici à 2050. Si ces ambitions se concrétisent, le transport routier et le transport ferroviaire seront sur un pied à égalité en termes d'émissions de gaz à effet de serre dans dix, vingt ou vingt-cinq ans. Par conséquent, la situation actuelle connaîtra une transformation radicale. Au sujet de l'argent public investi dans la décarbonation, nous posons la question du curseur entre le rail et la route. Actuellement, la route et le rail représentent respectivement 87 % et 9 % du transport de marchandises en France. La route offre donc un réel potentiel de réduction des émissions et nous nous interrogeons sur la répartition des investissements publics entre le ferroviaire et la route, surtout compte tenu des écarts parfois importants dans les montants alloués. La route a encore un long chemin à parcourir alors que le rail est déjà très vertueux. Actuellement, les transporteurs sont cependant confrontés à un mur d'investissement, car les coûts nécessaires pour mettre des camions plus propres à la route sont faramineux.

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Jonathan Delisle, président des transports Delisle

Je vous remercie également d'avoir invité le groupe Delisle. Nous sommes une société familiale fondée en 1977 et située à La Ferté-Gaucher, en Seine-et-Marne, à l'extrême est de la région Île-de-France. Nous sommes aujourd'hui implantés sur vingt-cinq sites en France et nous comptons environ 1 500 salariés, dont 1 100 conducteurs routiers. Notre expérience dans le rail est relativement récente : nous avons lancé notre premier conteneur-citerne il y a quatre ans à la demande d'un de nos clients. Il y a quinze ou vingt ans, nous n'étions pas nécessairement convaincus du développement futur du rail, mais notre perspective s'est aujourd'hui totalement inversée. Nous parlons bien sûr de transition énergétique et le transport combiné rail-route constitue l'une des solutions pour décarboner les transports. Outre les avantages en matière de transition énergétique, nous considérons également les questions de sécurité, car un train, comparé à un camion sur la route, représente moins de danger pour les usagers. De plus, la déformation des chaussées représente un coût non négligeable, sachant que le bitume est fabriqué à base pétrole. Nous considérons enfin les problèmes d'embouteillages.

J'aimerais également ajouter l'aspect social, car nous faisons face aujourd'hui à une pénurie de conducteurs, bien que nous en souffrions en moindre mesure pour le moment en raison d'une activité quelque peu ralentie. Cependant, l'activité reprendra d'ici un an et la pénurie sera de nouveau à l'ordre du jour, car aucune amélioration n'est attendue avant la fin de la décennie. De plus, nous faisons face à un effet sociétal : les salariés, y compris les conducteurs routiers, aspirent à plus de temps libre et à une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour un conducteur routier longue distance qui passe quatre à cinq nuits par semaine dans son camion, le transport combiné présente des avantages. En plaçant les camions sur le train, ou du moins les remorques sur le train, un seul conducteur transborde au chargement et récupère en sortie, ce qui diminue très fortement le nombre de découches. Ces éléments peuvent donc rendre plus attractif le métier de conducteur routier.

Nous tentons de développer ce mode de transport et nos clients nous poussent en ce sens, car ils sont également contraints de décarboner leur chaîne logistique. Malheureusement, il existe encore des points négatifs, notamment en ce qui concerne la fiabilité, les temps de transport et les interruptions possibles du train. Par exemple, en cas de tempêtes ou d'évènements sociaux, le trafic des lignes peut être perturbé – mais ces problèmes ne sont pas insurmontables de mon point de vue. Le dernier problème concerne la saturation des gares multimodales. Par exemple, nous travaillons avec les gares de Valenton et de Noisy-le-Sec et celles-ci sont complètement saturées, sans oublier la congestion du trafic routier qui achemine vers ces gares.

Je pense qu'une stratégie devrait considérer l'implantation de gares multimodales en grande périphérie des agglomérations. Par exemple, nous sommes à 80 kilomètres de Paris et avons acquis une friche industrielle de près de 10 hectares à La Ferté-Gaucher. Nous avons un embranchement ferroviaire au pied de l'usine et une ancienne voie ferrée reliait autrefois Paris à La Ferté-Gaucher, mais malheureusement, le tronçon entre Coulommiers et La Ferté-Gaucher a été suspendu il y a vingt ans. La mairie, quelques acteurs locaux et le groupe Delisle militent pour qu'une étude soit menée pour la réhabilitation de cette ligne, qui pourrait avoir du sens à la fois pour les voyageurs, en répondant à la demande locale, et potentiellement pour le fret ferroviaire, ce qui optimiserait la ligne et rendrait son exploitation ainsi que son entretien plus rentables. Cependant, nous faisons face à un obstacle politique, car un membre du Gouvernement, ancien maire de Coulommiers, s'oppose fortement au retour du rail entre Coulommiers et La Ferté-Gaucher. Nous sommes un peu bloqués, ce qui est dommage car nous entendons en même temps les annonces favorables au sujet du développement du fret ferroviaire du Gouvernement, du Président de la République, de la Première ministre et du ministre des transports. Cependant, au niveau local, nous faisons face à des refus, notamment de la part des communautés communes et de la région Île-de-France, qui n'a même pas envisagé l'idée de réaliser une nouvelle étude. Elle se fonde sur une étude datant de 2011, époque à laquelle nous n'avions pas les mêmes enjeux de transition énergétique. Les petites lignes permettraient pourtant de décongestionner les gares de la région parisienne qui sont saturées et, par conséquent, d'améliorer les flux.

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Vos deux groupes sont de nouveaux entrants dans le domaine du ferroviaire. Quel est le processus d'entrée dans ce secteur singulier ? Outre les avantages cités, le monde ferroviaire est caractérisé par sa complexité et ne représente pas toujours le premier choix des logisticiens. Nous aimerions entendre votre retour d'expérience sur votre décision de vous engager dans le ferroviaire et ses conséquences. Comment a-t-elle été accueillie en interne, tant au niveau des équipes que de l'encadrement ? Et comment accompagne-t-on un tel changement ?

De plus, quel est le coût d'entrée humain dans un tel domaine ? Ce processus demande en effet de former des équipes à des modes de transport significativement différents, ce qui est également applicable au transport fluvial

Par ailleurs, au sujet de la décarbonation de la route et des perspectives d'électrification, en particulier pour les camions, vous avez évoqué un mur d'investissement. Pensez-vous que le coût de l'électrification pourrait être si lourd qu'il pourrait jouer un rôle de stimulus pour l'utilisation du transport ferroviaire ?

Je ne rejoins pas tout à fait ce qui a été dit sur les moyens publics alloués à chaque mode. Bien que votre remarque soit vraie pour l'infrastructure ferroviaire vis-à-vis des plateformes potentielles de rechargement des poids lourds, la recherche et les moyens publics alloués à la décarbonation de la route, y compris pour les véhicules individuels, sont considérables.

De nombreux interlocuteurs nous ont dit que l'activité était en décélération, ce qui se répercute sur la demande de mobilité de marchandises et met le fret ferroviaire en difficulté. Pourriez-vous analyser ces éléments au vu de votre expérience ? Pourriez-vous également partager vos expériences sur l'utilisation de la voie d'eau et aborder la manière de la combiner avec le ferroviaire ?

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

J'ai travaillé un peu plus de dix ans dans le ferroviaire et je n'ai pas été totalement étonné en arrivant dans le domaine routier. Certains obstacles auxquels est confronté le domaine ferroviaire sont des micro-obstacles. Par exemple, il y a quelques années, dans la région lyonnaise, nous avons tenté de transférer un flux de la route vers le rail, mais nous avons abandonné cette idée car nous ne parvenions pas à obtenir l'ouverture de la gare aux horaires adéquats.

Il existe des questions plus structurelles liées à des aspects économiques. Lorsque nous proposons une offre 100 % routière et que nous réalisons son pendant par le transport ferroviaire, le coût est systématiquement plus élevé. Face à un client qui raisonne malgré tout avec des intérêts économiques, la question du coût est rapidement abordée. Certains grands groupes sont prêts à consentir des efforts financiers, motivés par le désir de contribuer à un changement, notamment sur le plan environnemental, mais les petites sociétés, très attentives à l'aspect économique, font face à cet enjeu important qui, aujourd'hui, n'évolue pas dans le bon sens.

Le coût d'entrée humain est quant à lui assez faible en raison de l'organisation de nos entreprises. Lorsque nous avons recours au ferroviaire, nous sous-traitons la prestation à une entreprise ferroviaire certifiée pour le réseau national. Par conséquent, le coût humain est supporté par cette dernière.

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Pouvez-vous nous fournir le nom des entreprises ferroviaires avec lesquelles vous travaillez aujourd'hui ?

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

Elles sont peu nombreuses sur le marché et nous échangeons beaucoup avec des acteurs importants tels que DB France et Eurorail, mais bien moins avec Fret SNCF. Le coût humain d'entrée, je l'ai dit, est assez faible pour nous, car nous ne le supportons pas en interne. Bien sûr, nous devons être capables de gérer une prestation globale, mais nous n'avons pas la technicité du ferroviaire au sein de nos entreprises.

Par ailleurs, lorsque nous parlons de décarbonation sur la route, nous pensons naturellement à l'électrique, mais il existe d'autres options, telles que les biocarburants, peut-être l'hydrogène à l'avenir, les carburants de synthèse, etc. Actuellement, l'électrique est la solution la plus coûteuse et il nous serait difficile de remplacer 100 % de notre parc par des camions électriques. Je pense donc que ce coût pourrait constituer une incitation à se tourner vers le rail. Notre approche cherche plutôt à trouver un mix énergétique permettant de réduire le coût de la transition. Nous souhaitons donc intégrer dans nos parcs des moyens moins onéreux que l'électrique.

Enfin, je pense que le fret ferroviaire se gère sur le long terme. Si vous formez des conducteurs aujourd'hui, ils seront opérationnels dans un an et demi et, pour obtenir des sillons propres, réguliers et exploitables, il faut s'y prendre deux à trois ans à l'avance. L'impact de la conjoncture économique actuelle sur le ferroviaire est donc moins important que sur les activités routières, qui connaissent des baisses presque parallèles à la chute de l'activité économique. Nous avons en outre maintenu une filiale dédiée exclusivement au fluvial. Ce mode est comparable au ferroviaire par beaucoup d'aspects, notamment la nature des investissements, la réflexion sur le temps long ou la possibilité de sous-traiter la technicité. En revanche, le marché est bien plus morcelé en termes de fournisseurs, car il est possible de recourir à beaucoup de petites sociétés.

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Jonathan Delisle, président des transports Delisle

Concernant l'intérêt économique du transport ferroviaire, nous avions précédemment réalisé une étude lorsque notre client nous l'avait proposé et nous avions identifié un léger surcoût, qui était toutefois supportable et que le client avait accepté. Toutefois, les nouvelles normes routières et les obligations futures de passage à l'électrique ou à l'hydrogène nous confrontent à des investissements beaucoup plus importants. Dans ce contexte, le transport ferroviaire pourrait devenir plus intéressant.

Actuellement, nous avons également opté pour les biocarburants en attendant que l'électricité se démocratise, que les batteries offrent une plus grande autonomie, que la fiabilité des camions s'améliore et, surtout, que le coût d'acquisition de ceux-ci diminue. Nous avons tendance à freiner sur ce sujet, d'autant plus que nous n'avons pas une visibilité claire sur l'hydrogène. D'ailleurs, même les constructeurs de poids lourds ne savent pas encore quelle voie privilégier.

Par ailleurs, nous sommes conscients que l'activité économique fonctionne par cycle et nous nous trouvons actuellement dans une période creuse. Je ne peux cependant pas vraiment parler de l'impact spécifique sur le fret ferroviaire, car nous en faisons relativement peu. J'imagine qu'il est quelque peu impacté indirectement, mais nous savons que l'activité repartira l'année prochaine ou en 2025 ou plus tard. Cette considération conjoncturelle ne remet donc pas en question les stratégies.

Enfin, nous n'avons pas reçu de demande concernant le transport fluvial jusqu'à présent et nous ne sommes pas nécessairement positionnés vis-à-vis de celui-ci dans nos flux. La majorité de nos clients proviennent du secteur agroalimentaire et, dans ce domaine, les livraisons s'effectuent principalement vers des usines fonctionnant en trois-huit avec des chaînes sans discontinuité. Le rail n'est donc pas toujours leur premier choix en raison de la réactivité et de la flexibilité moindres qu'il présente par rapport à la route. Les clients ne veulent pas prendre le risque qu'un conteneur soit bloqué en plein milieu de la France, ce qui pourrait entraîner des ruptures de chaîne de production. Dans d'autres secteurs, le transport fluvial est tout à fait viable, car ces problèmes de flexibilité sont moins prégnants.

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Nous avons saisi que vos stratégies de décarbonation reposaient sur deux piliers, à savoir un mix énergétique plus durable et une approche plus multimodale qu'auparavant. Par ailleurs, monsieur Baehl, nous ne trouvions pas forcément, il y a vingt ou trente ans, des profils avec dix ans d'expérience dans le ferroviaire au poste de directeur général de ce genre de groupe.

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La remarque majeure d'un certain nombre de nos interlocuteurs est que notre pays est passé à côté de l'instauration d'une écotaxe en 2013-2014. Une forme d'appel de plus en plus forte se fait jour en la matière afin de contribuer à rétablir de l'équité.

Compte tenu de ce que vous avez indiqué vous-même en matière de climat et de responsabilité sociale et écologique des entreprises, pensez-vous que le débat sur l'instauration d'une écotaxe puisse atterrir dans de meilleures conditions qu'il y a une dizaine d'années ? Le cas échéant, à quelles conditions ? Vous évoquiez tout à l'heure le curseur d'investissement à la fois dans les infrastructures ferrées et dans ce qu'il faudrait peut-être pour les infrastructures routières. Existe-t-il un espace de concertation, voire de négociation ?

Par ailleurs, vous avez mis l'accent sur les nouvelles attentes des salariés du secteur routier en matière de conditions de travail. Ne pensez-vous pas que cela pourrait consolider une trajectoire de long terme en faveur d'un recours plus mixte, offrant un environnement de travail plus confortable pour les travailleurs de cette filière routière particulièrement importante ?

Enfin, indépendamment de l'étude que vous souhaiteriez engager sur la réouverture des petites lignes ferroviaires, pensez-vous que, dans votre approche de tel ou tel tronçon à rouvrir, les activités de votre bassin d'emploi pourraient ouvrir des opportunités allant au-delà de votre propre entreprise ? Des voix d'industriels de vos bassins d'emploi s'expriment-elles sur l'opportunité de rouvrir des lignes ?

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Jonathan Delisle, président des transports Delisle

Dans notre région, les quelques industries présentes ont malheureusement fermé. En revanche, nous collaborons beaucoup avec les industriels de l'agroalimentaire qui sont implantés essentiellement dans la Marne, dans la région Grand Est et dans la région des Hauts-de-France. Un de nos clients avait réalisé une étude mettant en valeur les économies annuelles en millions de tonnes de CO2 que la réouverture de la ligne entre La Ferté-Gaucher et Coulommiers pourrait permettre de réaliser seulement pour les flux qui nous sont confiés. Nous avons d'ailleurs transmis ces données au cabinet du ministre des transports pour appuyer notre demande. Si l'on multiplie ces économies par le nombre de clients et de flux provenant de la zone nord-est, qui passent nécessairement par La Ferté-Gaucher pour rejoindre Paris en train, nous atteignons un nombre significatif de camions et de millions, voire davantage, de tonnes de CO2 économisées.

Nous sommes d'autant plus convaincus qu'une telle décision pourrait attirer de nouvelles industries et entreprises dans notre territoire. Nous sommes conscients que le foncier devient de plus en plus rare et cher et, étant situés dans un milieu rural, le retour du train, tant pour le transport de voyageurs que de fret, pourrait contribuer à redynamiser le territoire. Les acteurs locaux sont donc intéressés par la réouverture de cette ligne.

Par ailleurs, je pense que la tendance relative aux aspirations des salariés va s'accentuer avec le temps. Nous devons donc nous y préparer, étant donné que nous ne bénéficions pas forcément du télétravail ou de la flexibilité des horaires. Permettre aux conducteurs de rentrer chez eux plus régulièrement peut passer par le combiné ou par une réorganisation des transports sur la route, ce qui nécessiterait des investissements supplémentaires, tels que la mise en place de relais entre les camions. En combinant la transition énergétique et cette évolution sociétale, nous pourrions atteindre deux objectifs en même temps.

Enfin, je n'étais pas forcément opposé à l'écotaxe en 2013, car je pensais que nous disposions d'une fenêtre pour répercuter ce surcoût à nos clients. De plus, elle nous aurait fait gagner en compétitivité par rapport à nos concurrents étrangers. À présent, nous voyons que les portiques n'ont pas été démontés et nous nous doutions bien que le sujet reviendrait tôt ou tard. Désormais, les régions reprennent la main, avec l'Alsace qui s'est lancée et la région Grand Est qui aborde le sujet. Il semble qu'il existe également une volonté au niveau européen et nous serons contraints de répercuter cette mesure, car nous fonctionnons avec une marge très réduite dans notre métier. Nos clients répercuteront ensuite ces surcoûts aux consommateurs, mais nous pourrions obtenir un avantage concurrentiel par rapport à nos voisins européens, qui devront payer cette taxe lorsqu'ils viendront sur notre territoire.

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

Je partage à 95 % l'opinion qui vient d'être exprimée sur l'écotaxe. L'activité de transport routier ne peut pas être délocalisée : il est impossible de déplacer nos activités de transport en Thaïlande si les taxes augmentent en France. Par conséquent, si une écotaxe est rétablie, nous devrons suivre le mouvement. Cependant, elle se répercutera sur nos coûts, puis dans nos prix et, enfin dans les prix payés par les consommateurs. Je reste par ailleurs convaincu qu'il existe un écart de coûts entre le transport ferroviaire et le transport routier, mais cette taxe le comblerait, certes à la hausse pour le consommateur. Ne serait-il pas préférable de trouver des solutions visant à réduire les coûts du transport ferroviaire plutôt que d'augmenter ceux du transport routier ? Je comprends que la question est complexe, mais l'écotaxe engendrera inévitablement un effet inflationniste.

En ce qui concerne les attentes des salariés, il est indéniable qu'un seul conducteur de train peut faire rouler l'équivalent de vingt camions, réduisant ainsi la demande en main-d'œuvre et les contraintes qui y sont liées. Cependant, le train n'est pas adapté à tous les types de flux et, même si nous le souhaitions, il serait impossible de transférer la majorité des flux de la route au rail. Par exemple, le train n'est pas une option pour livrer deux palettes à un magasin situé en centre-ville. Le camion reste nécessaire et utile et, en tant que transporteurs, nous devons trouver des moyens d'attirer de nouveaux conducteurs, en particulier les jeunes, vers une profession exigeante caractérisée par des conditions parfois difficiles. Nous devons également parvenir à féminiser la profession.

Au sujet des bassins d'emploi, je rappelle que les transporteurs routiers ont déjà beaucoup à faire pour maintenir leurs activités actuelles et ils n'ont pas vocation à devenir des porteurs de projets locaux autour du ferroviaire. Cette responsabilité incombe davantage aux entreprises ferroviaires et aux élus locaux.

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Il est particulièrement intéressant d'obtenir le point de vue des clients du service de fret. Cette commission d'enquête vise à comprendre si l'ouverture à la concurrence est à l'origine des difficultés de Fret SNCF et vous avez évoqué vos échanges avec certains de ses concurrents. Pourquoi ne vous tournez-vous pas plutôt vers la filiale Fret SNCF ?

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

Je vais vous répondre en tant que professionnel de la route et aussi en tant qu'ancien salarié du secteur ferroviaire, parce que j'ai travaillé à la SNCF et chez DB France. Je connais donc, en France, le public comme le privé.

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

Cela relève en l'occurrence du secteur privé, comme la SNCF a des filiales privées en Allemagne. Cette filiale emploie 1 000 personnes et ce n'est pas un mastodonte allemand. J'y ai constaté une énergie et une orientation client dont je peine à imaginer qu'elles soient à l'origine des déboires du fret ferroviaire. On s'y bat pour chaque train et les employés travaillent à des heures indues pour faire rouler ces trains. J'ai donc du mal à imaginer que cet investissement des salariés soit une source de la diminution de l'attrait du transport ferroviaire.

En revanche, les défis persistants du transport ferroviaire, tels que la qualité des sillons, sont des problèmes structurels non résolus depuis longtemps. Ils demeurent dans un contexte d'évolution, où la demande croissante de transport routier et les attentes accrues des consommateurs en matière de réactivité et de ponctualité amplifient l'écart entre ce que propose actuellement le ferroviaire et les attentes du public. Au-delà du contexte économique, cet élément explique les difficultés croissantes du transport ferroviaire.

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Il est important de souligner que ce différentiel est particulièrement sensible pour des distances inférieures à 500 kilomètres. Au-delà de cette distance, le transport ferroviaire est structurellement moins coûteux que la route, sauf dans quelques cas particuliers – cette dynamique dépend également des tonnages transportés et du nombre de camions nécessaires.

Par ailleurs, en vertu de la législation française actuelle, les régions qui souhaitent bénéficier d'une fraction du réseau national non concédée par délégation de l'État et pour une période de huit ans doivent avoir fait une demande à cet effet. Actuellement, seules trois régions françaises – Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie – ont formulé une telle demande. De plus, seule la région Grand Est a activé ce mécanisme. La collectivité européenne d'Alsace, qui fait partie de la région Grand Est en termes juridiques, a obtenu ce droit en raison de la réception de fractions du réseau routier national. En dehors du périmètre du Grand Est, aucune autre région française n'a activé de mécanisme similaire.

Je crois en outre que l'opposition à la réouverture de la ligne ferroviaire que vous évoquez montre tout l'enjeu de l'accompagnement social des projets. Je comprends que les positions locales vis-à-vis de votre projet sont influencées par la crainte du bruit associé à l'arrivée de trains de fret dans des zones urbanisées, à laquelle s'ajoutent les questions d'acceptabilité sociale. Certains s'en font donc le relais, tout en étant des avocats chaleureux du fret ferroviaire.

Monsieur Delisle, j'ai trouvé réconfortant que vous ayez mentionné la situation de la Ferté-Gaucher comme enclavée en raison de problèmes de liaison ferroviaire. Autrefois, on qualifiait un territoire d'enclavé lorsqu'il était mal desservi par la route ; aujourd'hui, utiliser ce terme pour évoquer un déficit de desserte ferroviaire laisse entrevoir une évolution positive, même si la route demeurera le moyen de transport prédominant pour les marchandises pendant de nombreuses années.

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En Suisse, les trains transportent des camions à travers le pays. Pourquoi nous ne serions pas capables de mettre en place un tel système pour permettre aux camions de traverser la France ?

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Aurélien Baehl, directeur général du groupe Mauffrey

Sans être spécialiste de la Suisse, je crois qu'il y existe une obligation de passer par le train qui s'applique à ceux qui font du transit dans le pays. Je pense que ce choix politique est rendu possible par la taille du pays et par sa géographie. En effet, les points d'entrée ferroviaires quadrillent le pays et l'organisation ferroviaire y est plus simple qu'en France. La capacité à traverser notre pays en train existe pour les camions, mais elle n'est pas obligatoire et reste minoritaire.

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J'ai réagi lors d'une audition précédente contre la fatalité de la géographie. Au XIXe siècle, on ne pouvait pas considérer que la Suisse, du fait de son relief, était propice au train. Le choix politique a cependant réussi à en faire un grand pays du ferroviaire.

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Jonathan Delisle, président des transports Delisle

La Suisse est un pays assez central, ce qui fait de lui un pays de transit, et dans ce contexte, le rail prend tout son sens. La France est plus tentaculaire et il n'est pas possible d'y raisonner exclusivement ou presque en termes ferroviaires.

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Je vous remercie de nous avoir fourni ce regard de nouveaux entrants dans le secteur, bien que vous soyez aussi de très grands professionnels de la logistique.

La commission procède à l'audition de M. Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris.

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Mes chers collègues, nous terminons cette journée par l'audition de M. Marc Véron, qui a exercé les fonctions de directeur général délégué fret à la SNCF de mai 2003 à 2006.

Cette commission d'enquête, je le rappelle, s'efforce de déterminer les raisons du déclin de la part modale du fret ferroviaire depuis le début des années 2000 et la place qu'a pu y tenir – ou non – la libéralisation du secteur. Il peut y avoir des débats à ce sujet mais toujours est-il qu'à une exception près, lors d'une table ronde, personne ne nous a fait part d'un lien entre ce déclin et le mouvement de libéralisation. En revanche, de nombreux acteurs ont lié le fait que la libéralisation n'a pas produit d'effets positifs à l'insuffisance des politiques publiques d'accompagnement des activités les moins rentables, et ce depuis de nombreuses années.

Notre commission porte une attention particulière au plan de discontinuité appliqué par le Gouvernement à la suite de la décision prise par la Commission européenne, le 18 janvier, d'ouvrir une enquête approfondie à l'encontre de Fret SNCF au sujet d'aides publiques considérées comme indues. La Commission met en avant le fait que les comptes de Fret SNCF ont été rééquilibrés pendant plus d'une décennie par les aides du groupe public ferroviaire, par la reprise de la dette de l'entreprise et par sa recapitalisation au moment du nouveau pacte ferroviaire.

Monsieur Véron, nous avons déjà beaucoup parlé de vous dans le cadre de nos travaux puisque vous avez conduit le premier plan de transformation de la branche du fret, qui est resté associé à votre nom. Nous aimerions vous entendre sur les enjeux de la modernisation de cette branche, ainsi que sur les difficultés auxquelles se sont heurtées, à l'époque où vous exerciez vos fonctions, les actions menées pour renforcer son autonomie ou, du moins, lui affecter des moyens dédiés. Pourriez-vous également nous dire de quelle manière vous envisagiez l'ouverture du fret ferroviaire à la concurrence ? Vous étiez en effet en responsabilité avant que celle-ci ne soit effective et au tout début de la période où elle le devenait. Par ailleurs, nous souhaiterions connaître votre analyse du cadre européen de l'époque et ses effets jusqu'à aujourd'hui.

Nous savons que la stratégie que vous avez conduite s'est heurtée assez vite – après votre départ – à la crise économique de 2008-2009 et à de fortes résistances internes à la réorganisation de l'activité.

Vous avez par la suite œuvré au sein des cabinets de Christian Blanc et de Jean-Louis Borloo, vous consacrant notamment aux projets de développement de la région capitale. Nous aimerions vous entendre sur les insuffisances de la stratégie de décarbonation des mobilités dans le cadre des projets passés et actuels en ce domaine.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Marc Véron prête serment.)

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

La régression du fret ferroviaire en France remonte, à mon sens, non aux années 2000 mais à 1980, date à laquelle le fret représentait 25 % de l'ensemble du trafic de marchandises, contre près de 10 % aujourd'hui. Le report modal s'est fait du transport ferroviaire vers la route.

Ce que vous appelez le plan Véron est le plan que M. Louis Gallois et moi-même avons présenté à la Commission européenne, en la personne de Mme Loyola de Palacio. Il consistait à demander à la Commission d'accorder sa bénédiction à une aide publique provenant de fonds extérieurs à la SNCF, puis de fonds propres de cette dernière, pour un montant total de 1,5 milliard d'euros.

Nous disposions à l'époque de près de deux mille locomotives d'une très grande variété de modèles et d'une moyenne d'âge de trente ans. Cela rendait la maintenance très difficile puisqu'il fallait puiser dans un stock considérable de pièces de rechange. L'efficacité des interventions était très limitée dans le temps. Il convenait donc de faire fondre le parc mais aussi de le renouveler par l'achat de machines. La dotation en capital demandée avait essentiellement pour objet de financer Alstom afin d'engager la rénovation du parc, qui a été enclenchée à un bon rythme.

La Commission a posé plusieurs questions et a reçu des réponses qui, pour la plupart, ont porté sur des points secondaires. Pour que le fret fonctionne, deux conditions doivent impérativement être remplies, quel que soit le contexte. Premièrement, il faut maîtriser les coûts pour être compétitif, non pas par rapport aux systèmes ferroviaires de nos voisins, mais par rapport à la route, qui est le principal concurrent. Les transporteurs routiers, qui sont de toutes les nationalités européennes, franchissent les frontières allègrement sans avoir à supporter d'autre coût que celui lié à la contrainte d'approvisionnement en essence dans les pays voisins de la France, où celle-ci est moins chère. On n'a vu, à l'époque, que l'aspect de la réduction des coûts. Il faut dire que les frais de structure étaient exorbitants et que les coûts indirects atteignaient un niveau exagéré.

Un autre facteur primordial de compétitivité est la polyvalence des tâches. Un routier exécute une palette de tâches, depuis le chargement jusqu'à la livraison, y compris la facturation au client. À la SNCF, en revanche, toutes les tâches étaient décomposées. Le conducteur ne faisait que conduire. S'il fallait accrocher ou décrocher un wagon, il appelait un collègue spécialisé dans cette fonction. Il en allait de même, par exemple, pour manier l'aiguille afin d'orienter le train sur la bonne voie.

La deuxième condition à remplir pour que le fret fonctionne est la qualité de service. Si l'on n'a pas un réseau dédié – comme celui qui est affecté au TGV, par exemple –, cela ne peut pas marcher. Or les voies sont empruntées indistinctement par des convois de fret et des trains de transport régional de voyageurs. De cinq heures à vingt-deux heures, cette compétition se règle très simplement : si le convoi de fret n'est pas prêt à cinq heures, il est renvoyé à la nuit suivante. C'est totalement inadmissible pour un donneur d'ordre, alors que l'industrie française fonctionne à flux tendus, avec le niveau de stocks le plus bas possible.

Les trains de grande charge, qui convoient, par exemple, des produits de carrière ou, plus rarement à présent, des produits sidérurgiques, constituent une exception, car il est difficile de transporter ces matériaux par la route.

Autrefois, la SNCF transportait des produits réfrigérés, tels que le lait ou le yaourt, ce que l'on a peine à croire aujourd'hui. L'appauvrissement du trafic s'est considérablement accéléré du fait de l'absence de qualité, laquelle s'explique principalement par l'absence de réseau dédié.

Lorsque nous avons déposé le plan devant la Commission européenne, j'avais à l'esprit la filialisation du fret ; j'ai quitté mes fonctions parce que je ne l'ai pas obtenue. Mme de Palacio souhaitait la même chose. Nous y avons renoncé parce que la présidence de la SNCF considérait que c'était un facteur d'explosion sociale susceptible de paralyser le trafic. Nous avons alors fictivement recréé une entité supposée indépendante de la SNCF. J'ai été nommé directeur général délégué, ce qui ne veut rien dire. Soit on est directeur général d'une filiale et responsable d'un compte d'exploitation et d'un haut de bilan, soit on est l'un des nombreux directeurs d'une entreprise qui intervient dans des champs multiples. N'étant pas parvenu à obtenir la filialisation, j'ai cru possible d'atteindre ce résultat au moyen d'une alliance avec un partenaire de la SNCF qui enregistrait de bonnes performances économiques : la société britannique EWS – English Welsh Scottish Railway. Le président et moi-même sommes allés plaider cette cause auprès du ministre de l'économie. En effet, quel qu'ait pu être son discours politique, M. Gallois était pleinement conscient de la réalité des choses. Le ministre a accueilli ce projet de fusion avec un sourire condescendant.

Il n'y a pas de solution aux difficultés du fret à l'intérieur des frontières nationales. Par ailleurs, l'idée actuelle consistant, si j'ai bien compris, à séparer le fret en deux activités – les trains complets et les wagons à l'unité – ne marchera pas.

Le seul bricolage auquel on pouvait se livrer était d'établir une certaine péréquation entre les deux secteurs. Dans son rapport, qui avait été transmis à M. Barnier, M. Barrot insistait à plusieurs reprises sur le fait que la seule activité compétitive du fret est l'exploitation des trains complets d'un bout à l'autre. Il est impensable qu'une entreprise spécialisée dans le tri des wagons isolés puisse être compétitive.

La solution est européenne, car l'adversaire, c'est la route. On prend parfois pour référence le réseau ferroviaire américain, lequel a près de 40 % de parts de marché. Cela s'explique par deux raisons. D'abord, pour les longues distances, les voyageurs prennent l'avion, ce qui libère les voies pour le fret et lui permet de respecter une ponctualité métronomique. Les trains font parfois 2 kilomètres de long et sont chargés sur deux niveaux : leur rentabilité est donc sans commune mesure avec celle d'un train en Europe. Ce sont deux mondes incomparables. Le fret américain est organisé à l'échelle d'un continent. Il faut faire la même chose à l'échelle de l'Europe. Cela suppose une gigantesque réorganisation du réseau ferroviaire européen afin que le trafic puisse avoir lieu d'un bout à l'autre du continent, d'est en ouest et du nord au sud, sans encombrement et sans rivalité avec le trafic de voyageurs.

J'accepte la dénomination de « plan Véron », mais à la condition que l'on rappelle que tout ce qui s'est passé après sa présentation à la Commission européenne constitue la négation pure et simple des mesures qu'il proposait. À partir de là, on ne doit pas trop s'étonner d'avoir abouti au résultat que l'on sait.

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Pourriez-vous apporter des précisions sur les échanges que vous avez eus avec le Gouvernement et le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) dans le cadre de la préparation du dossier avant sa présentation devant la Commission européenne ? Ces échanges ont-ils été réguliers ? Le Gouvernement avait-il déjà répercuté les interrogations de la Commission et mis sur la table la question des aides publiques ? Je rappelle, à ce propos, que Mme de Palacio était commissaire européenne aux transports et à l'énergie, et non à la concurrence.

Par ailleurs, à quel stade de préparation était parvenu le projet de filialisation ? S'agissait-il d'un souhait de votre part, que vous aviez évoqué avec les cadres dirigeants du groupe public ferroviaire, ou y avait-il une véritable volonté en la matière, dont le plan précité avait constitué la traduction ?

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

Nous avons eu des réunions fréquentes avec le ministère des transports et la Commission européenne jusqu'à ce que le plan soit déposé devant cette dernière, à l'automne 2004. Mme de Palacio était convaincue qu'il fallait filialiser le fret. Si elle n'a pas poussé plus loin sa demande, c'est parce qu'elle sentait que la direction générale de la SNCF était réticente à le faire, pour des raisons sociales que nous avons expliquées. Je comprends très bien son attitude, même si elle allait à l'encontre des souhaits de la Commission européenne.

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On nous a dit à plusieurs reprises que de premières alertes avaient été émises en 2004-2005, soit à une période qui n'est pas visée par l'enquête approfondie de la Commission. Plusieurs de nos interlocuteurs ont présenté votre plan comme une façon de donner des assurances à la Commission. Or il est intéressant de noter que vous avez présenté ces assurances non pas auprès de la commissaire à la concurrence mais auprès de la commissaire aux transports. On ne peut donc pas véritablement parler de continuité entre cette époque et aujourd'hui.

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

L'orientation politique de Mme de Palacio ne laissait planer aucun doute sur ce qu'elle souhaitait profondément. La demande qui a été déposée en 2004 ne portait que sur les aides publiques, même si nous expliquions comment nous entendions régler un certain nombre de problèmes liés à la concurrence et à la compétitivité du fret. M. Barrot avait exposé clairement, dans le document qu'il avait signé, les principes concurrentiels que devait respecter le fret de la SNCF.

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Le plan que vous avez soumis à la Commission européenne proposait des mesures de réduction de l'activité, que certains ont qualifiées de mesures d'attrition, à terme, pour la branche fret de la SNCF. Je relève, dans l'accord conclu entre la France et la Commission européenne, une réduction du nombre de trains-kilomètres et la remise à disposition de sillons à la concurrence, une diminution du nombre de locomotives, de wagons ainsi que des volumes de trafic de fret. Il était également prévu de supprimer, à partir de 2004, mille deux cents emplois par an pendant trois ans. Toutefois, l'accord ne précise pas les mesures de réduction de la production industrielle et des moyens matériels. Pourriez-vous indiquer les mesures que la France proposait à la Commission européenne pour garantir la réussite du plan de restructuration ?

Par ailleurs, ce plan a été élaboré à partir d'une étude réalisée par un tiers, que la SNCF, le Gouvernement et la Commission ont jugé fondée. Qui était à l'origine de cette étude prospective ?

Pourriez-vous expliciter les raisons pour lesquelles le plan présenté n'a pas été appliqué ?

Comment avez-vous vécu a posteriori l'échec sur lequel a débouché ce plan pour l'activité fret de la SNCF ?

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

C'est une vaste question, dont je ne possède pas tous les éléments de réponse car je n'ai pas conservé les documents à même d'expliciter cette situation. Le ministre des transports de la période précédente cherchait un effet volume, qui consistait à chasser tous les trafics possibles pour maximiser le chiffre d'affaires ; et il s'est produit ce qui devait se produire : à partir du moment où l'activité sur un marché n'est pas bénéficiaire, accroître les volumes ne fait qu'augmenter les pertes. Quand je suis arrivé, le chiffre d'affaires était un peu inférieur à 2 milliards d'euros et les pertes s'élevaient à 450 millions : voilà la sanction de l'effet volume.

Nous nous sommes demandé quels étaient les trafics pour lesquels l'activité était bénéficiaire ou en passe de l'être au prix de quelques mesures d'ajustement et nous avons abandonné ceux pour lesquels aucune perspective de rentabilité n'existait, donc le volume total s'est contracté.

Nous avons réduit fortement le nombre de locomotives : deux mille locomotives pour faire 2 milliards de chiffre d'affaires, ce ratio extravagant ne s'expliquait que par le vieillissement du parc ; nous avons détruit environ huit cents locomotives au fur et à mesure qu'arrivaient les nouvelles unités produites par Alstom. Quant aux wagons, la plupart des quarante mille que nous possédions étaient stationnés dans des gares de triage et ne produisaient rien : là encore, nous en avons éliminé beaucoup. Lors d'une année de grande sécheresse, le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), M. Jean-Michel Lemétayer, cherchait des moyens de transporter du foin dans une zone du pays particulièrement touchée et nous a lancé un appel au secours, auquel nous avons répondu en mobilisant tous les wagons disponibles.

L'objectif de notre politique d'attrition du volume était l'amélioration du résultat d'exploitation – nous sommes parvenus à le faire progresser de 200 millions d'euros. Pour atteindre l'équilibre quand les pertes s'élèvent à 450 millions, plus de trois ans sont nécessaires. Un redressement d'une telle ampleur n'a rien d'automatique. J'ignore ce qu'il s'est passé après mon départ, mais l'effet d'un certain nombre de mesures s'est fait attendre ou n'est intervenu que plus tard. Il me semble que le parc des locomotives a été complètement renouvelé et que l'outil informatique de suivi des trafics et d'information du client a été déployé.

Néanmoins, la filialisation du fret n'a pas été opérée. Comme il n'existait pas de bilan d'une société filialisée du fret, la vente des terrains exploités par le fret n'a pas profité à celui-ci. Un bilan de 1,5 milliard d'euros paraît important, mais celui-ci était en grande partie consommé par des investissements productifs – machines, wagons. Les terrains avaient une grande valeur grâce à leur emplacement, mais c'est la SNCF qui bénéficiait de leur vente et non le fret. Comme ces biens étaient exploités par le fret, il aurait fallu passer par l'obtention d'une autorisation de capitalisation délivrée par les instances européennes, alors que la simple cession évitait ce type de désagrément. Il y avait là une incohérence. Au total, l'absence de bilan consolidé s'est révélée hautement préjudiciable.

Il n'est pas étonnant que tout n'ait pas pu être accompli en trois ou quatre ans : il faut du temps pour produire les machines et les wagons, ils n'apparaissent pas comme par magie. En outre, l'absence de filialisation nous pénalisait : les cessions et les achats n'étant pas intégrés dans un bilan, il nous fallait constamment réclamer des aides, dont l'octroi dépendait de Bruxelles.

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Pour taquiner M. le rapporteur, je relève que vous démontrez que si la filialisation était intervenue plus tôt, Fret SNCF aurait récupéré le produit des ventes des terrains.

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Vous êtes en effet plusieurs à considérer que Fret SNCF aurait pu couvrir son bilan négatif en récupérant le produit des ventes de terrains, lequel était estimé, nous a-t-on dit, à 300 millions d'euros par an.

Vous avez suivi une logique industrielle, poursuivie après vous, qui considérait que les wagons isolés, intrinsèquement non rentables, devaient progressivement disparaître de la chaîne industrielle de Fret SNCF au profit des trafics d'un point à un autre effectués par des trains entiers. Certains affirment qu'une politique industrielle du fret aurait dû porter une attention bien plus grande au maintien de l'exploitation des wagons isolés, en tant que composante du processus industriel visant à réunir les conditions d'une massification artificielle de toutes les ressources présentes dans le territoire national ; ils pensent que la logique industrielle a été poussée à un tel point qu'elle a alimenté un déclin, dont la conséquence fut le gâchis du travail et du capital de Fret SNCF, donc une perte de valeur.

Que pensez-vous de cette lecture critique de la politique menée ? Comment appréciez-vous le fait que seul un objectif de trafic capacitaire soit assigné à la nouvelle entité qui doit naître du plan de discontinuité ?

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

Comme, dans la période précédente, le mot d'ordre était d'assurer tous les types de trafic, l'option du wagon isolé fut largement explorée. Je n'ai jamais nourri d'opposition de principe au wagon isolé, mais la comptabilité analytique – du moins, celle que l'absence de filialisation nous permettait de réaliser – montrait que les opérations de wagon isolé étaient extrêmement lourdes – peut-être le sont-elles encore, je l'ignore. Alors qu'un même individu effectue toutes les opérations dans le camionnage, plusieurs personnes sont nécessaires pour le wagon isolé – quelqu'un est chargé de l'aiguillage, quelqu'un d'autre accroche et décroche les wagons, etc. S'il n'y a pas d'organisation du travail ni de contenu de poste spécifique, il n'est pas possible de supprimer cette pesanteur et de développer le wagon isolé. Pour illustrer mon propos, je voudrais rappeler que les étapes d'un chauffeur étaient calculées pour qu'il puisse rentrer chez lui le soir : sur un parcours de plusieurs centaines de kilomètres, le trafic s'arrêtait au bout de 150 kilomètres pour que le chauffeur puisse dormir chez lui – de temps en temps, il prenait même un taxi.

Comme vous le voyez, ma défense de la filialisation du fret n'avait rien de théorique : nous devions faire face à une réalité proprement incroyable. Pour que le wagon isolé soit rentable, il faut concevoir une tout autre organisation industrielle que celle qui existait à ce moment-là. Comme nous ne pouvions pas faire évoluer les rôles des agents, nous avons supprimé des wagons isolés. Au moment de mon départ, nous avons cessé d'utiliser la gare de triage d'Achères, autrefois très importante : c'est évidemment fâcheux, comme la fermeture de la gare de triage de Somain, dont s'est plaint l'un de vos collègues. Dans l'industrie, on ne peut pas tout avoir, il faut choisir : ou bien les modes traditionnels d'exploitation sont conservés et l'activité est appelée à s'éteindre, ou bien des remèdes sont appliqués et l'activité peut, dans certains cas, se poursuivre. La SNCF a fait un choix : ce n'est pas celui pour lequel j'aurais opté, et il ne faut pas s'étonner que l'on se pose en 2023 les mêmes questions qu'à cette époque-là.

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Votre franc-parler est légendaire : il est salutaire de vous entendre et de constater que vous ne dérogez pas à votre réputation.

J'ai connu la SNCF de l'intérieur : à cette époque, je me faisais les remarques que vous venez d'exposer devant nous. Plutôt que de pleurer sur le lait renversé, il faut regarder l'avenir : je crois à un transport des marchandises par fer. J'habite la vallée du Rhône où je vois l'autoroute A7 engorgée de camions : face à cette situation insupportable du point de vue écologique et économique, il faut parvenir à reporter le transport de marchandises vers d'autres modes, notamment le fret ferroviaire.

Je partage tout à fait vos propos selon lesquels un chargeur arbitrant entre la route et le fer se pose la question du dernier kilomètre : sur ce segment, le chauffeur du camion effectuera, en plus du transport, le déchargement des marchandises et la facturation, tâches que ne réalisera pas le conducteur du train. Cette situation perdure, donc comment fait-on pour surmonter ce handicap ?

Vous avez affirmé qu'il n'y avait pas de réseau dédié ; lorsque l'on veut désengorger les entrées des villes, on aménage des voies dédiées aux transports collectifs, notamment les bus. Comment disposer d'un réseau dédié au train ? Vers quoi nous acheminons-nous si un tel réseau n'est pas construit ?

N'en déplaise à mon collègue Hubert Wulfranc, les statuts sociaux – créés sans doute pour de bonnes raisons, car j'ai connu de nombreux cheminots qui dormaient souvent loin de chez eux, qui se levaient tôt et rentraient tard – ne sont pas toujours compatibles avec la conduite d'un train d'un point à un autre : que l'on songe à l'exemple que vous avez donné du conducteur rentrant chez lui en taxi. Avec le plan de discontinuité et les investissements importants consentis par l'État, le fret ferroviaire pourra-t-il s'affranchir de ces handicaps et tendre vers ce qu'il doit être et que nous appelons de nos vœux, à savoir un moyen de transport massifié, écologique et plébiscité par les chargeurs pour la qualité de son service, notamment la ponctualité ?

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

Deux voies ferroviaires peuvent être empruntées pour aller de Lyon à Marseille : l'une sur la rive gauche et l'autre sur la rive droite du Rhône. Les TGV passant sur la rive gauche, l'autre voie aurait pu être totalement dédiée au fret ferroviaire, mais non, nous avons trouvé le moyen de l'occuper par du trafic régional. Pour mener une politique publique avec détermination, il faut prendre des décisions cohérentes avec l'objectif et faire des choix. On ne peut pas avoir du report modal sans s'en donner les moyens : sans réseau dédié, il n'y a pas de qualité de service.

J'ai circulé plusieurs nuits avec les conducteurs de fret pour observer leur travail, qui est incroyablement complexe : faire passer un train en provenance de Lille ou de Rouen sur la ceinture parisienne pour le placer sur l'axe méditerranéen n'est pas simple ; il faut faire un sans-faute et profiter de l'absence de trafic de voyageurs : tout est minuté et doit être fini à cinq heures. Un réseau dédié permet de rattraper un éventuel retard sur le sillon attribué à un train.

Réfléchissons au développement d'une voie réservée au fret sur la rive droite du Rhône : cette décision serait emblématique de ce que pourrait être un réseau dédié au fret, lequel est indispensable à la qualité du service. Sans cette dernière, les chargeurs ne se tourneront pas vers le ferroviaire pour le transport de leurs marchandises.

Sous la présidence de M. François Hollande, nous avons cherché les difficultés en installant des portiques sur les routes principales pour taxer les camions de marchandises alors qu'un système de vignette est beaucoup plus efficace : en Suisse, on ne peut circuler que si une vignette est placée sur le pare-brise de la voiture. Pourquoi ce système ne pourrait-il pas être imposé aux camions de toutes les nationalités circulant sur le réseau routier français ? Dans le fret ferroviaire, il y a une obligation de payer les sillons à la structure gérant le réseau, alors que les camions circulent avec une liberté totale : ce déséquilibre pénalise le mode ferroviaire. Il faut analyser ces conditions objectives afin de rééquilibrer la balance.

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Il y a en réalité trois voies entre Lyon et Marseille : l'une est dédiée aux TGV, une autre est empruntée par les trains du transport express régional (TER) et la voie de la rive droite est celle du fret ; néanmoins, dans la pratique, beaucoup de trains de fret passent sur la voie de la rive gauche et sur celle traversant Valence, à cause de travaux presque permanents.

Un certain nombre de contraintes sont inadaptées au transport de longue durée, au premier rang desquelles l'absence de polyvalence des conducteurs et leur statut. Y a-t-il des perspectives d'évolution en la matière ? Les réformes engagées obligeront-elles les conducteurs à assurer d'autres services que le simple transport et à avoir des journées un peu plus longues ?

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

Je puis répondre à votre question car je ne travaille plus dans l'entreprise. Que des réformes aboutissent aux évolutions que vous décrivez est en tout cas hautement souhaitable.

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Vous avez dressé une liste d'éléments indispensables à la réussite du fret : tout d'abord, la présence d'un réseau dédié – nous partons de loin sur ce point, si bien que des investissements considérables sont nécessaires ; ensuite, le développement de la compétitivité du ferroviaire par rapport à la route, lequel passe par le rétablissement d'une équité intermodale ; enfin, élément central, le respect d'un équilibre entre les trains entiers et les wagons isolés. L'opérateur qui prendra la suite de Fret SNCF dans le cadre du plan de discontinuité et qui ne se focalisera que sur le trafic capacitaire pourra-t-il, même soutenu par les pouvoirs publics, être viable dans les conditions économiques actuelles, marquées notamment par le fait qu'il devra donner vingt-trois flux de trains entiers à la concurrence ?

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Marc Véron, ancien directeur général délégué fret de la SNCF, ancien président du directoire de la société du Grand Paris

On ne peut pas séparer les wagons isolés des trains entiers en espérant que les premiers deviennent un jour bénéficiaires : cela n'arrivera pas, c'est une vue de l'esprit. Je ne comprends pas ce projet. Atteindre la rentabilité des trains complets transportant des marchandises d'un point à l'autre est déjà complexe et exige notamment d'alléger les coûts d'exploitation, mais une activité de wagon isolé indépendante est vouée à l'échec.

La séance s'achève à dix-sept heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Mireille Clapot, Mme Sylvie Ferrer, M. David Valence, M. Hubert Wulfranc