Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 14 février 2024 à 16h45

La réunion

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La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Présidence M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 16 h 50.

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Chers collègues, nous accueillons M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères depuis le 11 janvier dernier.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous être rendu disponible. Nous aurions aimé vous recevoir plus tôt mais votre emploi du temps est extrêmement chargé. Vous avez aussi eu l'amabilité de me convier à un petit-déjeuner de travail au lendemain de votre visite à Kiev et à Berlin, ce qui témoigne de votre volonté de nouer une relation de confiance avec cette commission.

Vous arrivez à la tête de votre ministère dans une conjoncture internationale redoutable. Vous vous trouvez cet après-midi devant une commission inquiète et désireuse de contribuer, par la démocratie parlementaire, par une relation étroite avec le Gouvernement de la République, par un contrôle vigilant sans être tatillon, et par des délibérations budgétaires favorables, au maintien et au développement de l'outil dont vous avez aujourd'hui la responsabilité.

La situation géopolitique créée en Europe par l'agression de l'Ukraine par la Russie figure naturellement au premier rang de nos préoccupations.

Alors que les Ukrainiens semblent éprouver des difficultés à faire face aux nouveaux développements de la guerre, le Conseil européen a donné en décembre dernier l'impression d'une fuite en avant. Bien que globalement favorables à l'adhésion future de l'Ukraine à l'Union européenne (UE), nous estimons en effet que la décision d'ouvrir des négociations n'est pas assortie d'une réflexion stratégique globale sur la signification même d'un élargissement de l'UE, que ce soit à l'Ukraine, à la Moldavie, voire la Géorgie, et par ailleurs aux États des Balkans occidentaux qui frappent à la porte de l'Union depuis longtemps mais auxquels nous n'offrons aucune perspective claire et cohérente.

La priorité vis-à-vis de l'Ukraine nous semble résider plutôt dans l'aide militaire, la livraison de munitions et la mobilisation de tous les pays européens pour permettre aux Ukrainiens de surmonter la situation à laquelle ils sont actuellement confrontés. Nous serons très attentifs aux informations que vous pourrez nous apporter sur votre perception du contexte stratégique de l'Ukraine face à la Russie et sur la façon dont vous concevez une mobilisation accrue des États européens.

Bien d'autres éléments de l'actualité internationale nous préoccupent. Je pense aux perspectives de modification de la carte de la solidarité atlantique, avec le retour possible à la présidence des États-Unis de Donald Trump.

Ce dernier affiche, en effet, des prises de position extraordinairement inquiétantes, obligeant les États européens à développer une solidarité géopolitique à laquelle ils ne sont pas habitués, l'Europe étant essentiellement fondée sur la culture de la paix et de la raison. Nous sommes très désireux de savoir comment vous abordez cette question.

Le troisième sujet sur lequel nous souhaiterions vous entendre, sans aucun doute le plus urgent, concerne le conflit israélo-palestinien.

Notre commission est, comme l'ensemble de la communauté internationale, très inquiète de la situation dans la bande de Gaza et perplexe face à la manière dont Israël conduit ses opérations politico-militaires. Nous sommes par ailleurs profondément solidaires de l'État d'Israël et croyons au droit du peuple israélien à vivre en sécurité. Nous avons tous été terrifiés par les événements du 7 octobre 2023.

Le président de la République et vous-même vous êtes rendus récemment au Proche-Orient. Nous aimerions connaître votre analyse de ce dossier et la manière dont la France envisage une possible issue à cette crise, dont nous avons par ailleurs le sentiment angoissé que d'aucuns, dont le premier ministre israélien, sont soucieux de la faire durer.

Alors que la situation ne cesse de se dégrader et que s'amorce une offensive redoutable dans le Sud de la bande de Gaza, nous estimons que la communauté internationale doit réagir. Nous avons reçu hier le consul général de France à Jérusalem, qui nous a livré un témoignage extrêmement intéressant et émouvant, notamment sur les difficultés rencontrées par les fonctionnaires dans leur volonté de porter assistance à nos concitoyens présents sur place. Il nous a également fait part de son inquiétude quant à notre capacité à aider les populations locales à sortir de ce cauchemar.

Par-delà ces crises qui monopolisent l'attention médiatique, il y aurait encore bien d'autres sujets à aborder, par exemple la situation dans la région indopacifique et nos relations avec la Chine ou encore les défis liés au réchauffement climatique.

Dans ce contexte difficile, soyez assuré, monsieur le ministre, du soutien de cette commission, qui veillera à ce que vous bénéficiiez des moyens nécessaires à votre action.

Nous vous remercions des éclairages et perspectives que vous pourrez nous apporter sur les différents sujets que je viens d'évoquer brièvement.

Je terminerai mon propos en saisissant l'occasion de saluer l'arrivée parmi nous de deux anciens membres du Gouvernement, qui viennent de nous rejoindre : Mme Élisabeth Borne, présente cet après-midi, et M. Olivier Véran, présent lors de nos débats ce matin. C'est un honneur pour nous de les voir participer à nos travaux.

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Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

J'ai grand plaisir à venir évoquer devant vous l'action de mon ministère. Je souhaite en préambule souligner le travail effectué par mes prédécesseurs, notamment Mme Catherine Colonna, en lien avec la première ministre Élisabeth Borne, dont je salue la présence dans votre commission aujourd'hui. J'hérite d'un ministère transformé et renforcé, qui a su prendre le tournant d'un monde au bord de la rupture.

Face aux grandes crises que vous avez mentionnées, nos concitoyens attendent beaucoup de nous : ils veulent être protégés, défendus, vivre en paix ; ils veulent que leur pays continue à compter sur la scène internationale. Les actions et implications de la diplomatie française à l'échelle internationale ont des conséquences directes et indirectes dans leur quotidien, qu'il s'agisse du prix de l'énergie ou de la capacité à réagir face à d'éventuelles pandémies.

Mon ministère peut s'appuyer, pour remplir ses missions, sur une augmentation inédite de ses moyens, avec une hausse de ses effectifs et l'allocation de crédits supplémentaires visant notamment au renforcement des activités consulaires et des outils de communication. Je remercie très sincèrement le Parlement, et notamment cette commission pour votre soutien et votre engagement sur le sujet. Il s'agit d'un signal fort envoyé à nos agents comme à l'ensemble des Français. Soyez assurés que je veillerai à la bonne gestion de ces financements, dans le cadre des actions prioritaires entreprises face aux différentes situations que vous évoquiez.

L'état du monde impose une certaine gravité. Les crises se multiplient, se complexifient et tendent à s'inscrire dans la durée. Nos efforts diplomatiques se déploient aux quatre coins du globe, selon des modalités différentes en fonction des enjeux, mais avec l'objectif constant de former des coalitions, de trouver des solutions et de favoriser la désescalade. Telle est la mission que m'a assignée le président de la République en me confiant ces responsabilités.

Force est de constater que certains États misent sur l'instabilité et se saisissent de ces crises, voire les provoquent, de manière opportuniste et cynique. Face à cela, la diplomatie française agit avec détermination et sans aucune naïveté, pour que le monde conserve ses règles, ses repères et ses principes.

Ce ministère a également vocation à prendre à bras-le-corps les enjeux globaux, dont les négociations relatives au climat. Nous sommes ainsi tout à fait disposés à lancer avec vous des réflexions sur ces sujets.

Face à ces crises, la France agit, en combinant la dimension humanitaire, la recherche de stabilité et le développement, dans une logique alliant prévention, réaction et construction. Notre pays figure ainsi parmi les premiers bailleurs dans le domaine humanitaire, avec l'objectif que nos aides atteignent 1 milliard d'euros d'ici 2025. Nous portons notamment secours aux populations civiles à Gaza, avec 100 millions d'euros additionnels et plus de 1 000 tonnes de fret. Nous apportons également notre soutien aux Ukrainiens qui souffrent chaque jour des conséquences de l'agression russe, avec un apport de 300 millions d'euros d'aide civile, adressés aux organisations non gouvernementales (ONG), aux organisations internationales et aux opérateurs de la société civile. Nous avons également porté secours aux Arméniennes et aux Arméniens contraints de fuir leurs foyers.

En septembre 2023, le président de la République a rassemblé les forces politiques de la nation aux rencontres de Saint-Denis, auxquelles j'ai eu la chance de participer en tant que responsable de parti politique. Les questions internationales avaient alors occupé une place considérable dans les échanges. Des précisions avaient notamment été demandées sur la position de la France par rapport à l'Ukraine ou sur le renouvellement des partenariats avec les pays africains. Nous avions aussi débattu de l'ensemble des sujets internationaux avec Catherine Colonna, dans le but notamment de mieux inclure le Parlement dans nos discussions ; deux débats au titre de l'article 50-1 de la Constitution ont notamment été organisés. Nous voulons aller plus loin et nous serons ravis, si vous nous sollicitez, de poursuivre ces échanges.

Notre détermination à agir face aux différentes crises est totale. L'ensemble de notre réseau reste ainsi pleinement mobilisé sur la question ukrainienne, qui est l'une de mes priorités. Je salue en particulier les agents de notre poste diplomatique de Kiev, qui effectuent un travail remarquable dans un contexte extrêmement difficile. En défendant l'Ukraine, nous défendons aussi les intérêts et la stabilité du continent européen et de la France. L'année 2024 sera déterminante pour l'issue de cette guerre.

La Russie cherche à nous persuader que sa victoire est inéluctable et que l'Ukraine a déjà perdu. C'est faux. L'armée ukrainienne est en effet déjà parvenue à reprendre près de la moitié du territoire précédemment conquis par les troupes russes. Elle a en outre remporté des succès marquants, notamment en Crimée et près de la mer Noire, en sécurisant un corridor maritime crucial pour les exportations et l'équilibre alimentaire du monde. Enfin, depuis le début de l'hiver, l'armée russe s'épuise en offensives coûteuses en hommes et en matériels, pour des gains très limités. La Russie ment également lorsqu'elle évoque l'épuisement de notre volonté à soutenir l'Ukraine.

La France déploie beaucoup d'énergie dans ce domaine sur la scène européenne, même si nous ne soulignons sans doute pas suffisamment le soutien européen et notre capacité à obtenir des succès. Les 50 milliards d'euros alloués à l'Ukraine lors du dernier Conseil européen constituent un signal fort envoyé aux États-Unis, qui tardent à contribuer à cet effort.

En matière d'aide militaire, le président de la République a récemment fait des annonces majeures. Cela concerne l'envoi de missiles de croisière SCALP – système de croisière conventionnel autonome à longue portée – et de bombes guidées AASM – armement air-sol modulaire –, qui permettront à l'armée ukrainienne de défendre son territoire en frappant en profondeur. Nous devons également mobiliser la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne au bénéfice de l'Ukraine et continuer à miser sur le collectif européen pour apporter une aide militaire. Le chemin est encore long.

La communauté internationale doit en outre tout faire pour empêcher le contournement des sanctions prises contre la Russie, dont je suis persuadé qu'elles sont efficaces, même si elles restent perfectibles. Nous disposons de données en ce sens, que nous rendrons probablement publiques.

L'Europe agit, donc. Nous avons la volonté de continuer à soutenir l'Ukraine dans la durée.

Concernant la situation au Proche-Orient, il faut savoir que cent trente-quatre personnes, dont trois Français, sont toujours retenues en otage. La nation a rendu, la semaine dernière, un poignant hommage à nos concitoyens morts lors des attaques du 7 octobre 2023, dont le président de la République a rappelé qu'il s'agissait du pire massacre antisémite de notre siècle. Nous continuerons à refuser l'antisémitisme sous toutes ses formes.

Nous observons par ailleurs l'intensification des bombardements israéliens et l'avancée de l'armée vers Rafah, ville de 300 000 habitants en temps normal où sont actuellement massés 1,5 million de civils gazaouis. Les conditions de vie y sont déplorables. J'ai eu l'occasion de qualifier l'avancée des troupes israéliennes d'« injustifiable », terme qui montre l'ampleur de notre indignation.

Nous savons en outre que les foyers de crise se multiplient autour de Gaza et que les tensions restent vives au Sud du Liban, notamment.

Dans ce contexte, la France agit sans relâche ; nous passons des messages aux pays arabes, à Israël et au Liban. Notre diplomatie est entendue et son positionnement est compris par l'ensemble des parties. Sa voix compte parce qu'elle agit face à l'urgence du moment, parce qu'elle cherche des solutions pour l'avenir, visant à assurer la sécurité pour tous et à éradiquer le terrorisme. Nous estimons qu'un cessez-le-feu à Gaza est indispensable. Nous y travaillons avec l'ensemble de nos partenaires, en participant à tous les formats diplomatiques proposés, afin de contribuer à trouver une solution politique.

Nous sommes aussi mobilisés sur le plan humanitaire, je l'ai dit. Nous avons ainsi soigné des blessés sur le bâtiment de la marine nationale Dixmude et évacué des enfants vers la France, afin qu'ils soient pris en charge dans nos hôpitaux.

Nous poursuivons par ailleurs notre engagement en faveur de la paix et contre le terrorisme, en mobilisant nos partenaires pour sanctionner le Hamas. L'existence d'un État palestinien viable et reconnu dans ses frontières, avec une Autorité palestinienne revivifiée, est une condition de la paix. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec Mahmoud Abbas et d'exposer à Benyamin Netanyahou la position de la France sur ces questions. La plupart des dirigeants de la région convergent vers cette solution à deux États. La difficulté, aujourd'hui, est d'en convaincre le gouvernement israélien.

Je souhaite par ailleurs évoquer notre partenariat avec les pays africains. Le continent africain comptera de plus en plus dans les grands équilibres de notre monde. La France doit être au rendez-vous et s'affirmer comme un partenaire fiable et crédible. Elle dispose pour cela de nombreux atouts, parmi lesquels l'inventivité de ses entreprises, l'attractivité de ses universités et son excellence dans les domaines industriel, culturel et créatif. Nous intervenons en Afrique en appui des organisations régionales, afin de faciliter les sorties de crise.

Nous portons notamment des messages dans la région des Grands Lacs, auprès du Rwanda et de la République démocratique du Congo, afin de favoriser la désescalade et de trouver des solutions durables au conflit. Nous accueillerons par ailleurs à Paris, le 15 avril 2024, une conférence humanitaire pour le Soudan et les pays voisins, afin d'essayer de résoudre les crises humanitaires dramatiques qui sévissent dans cette zone.

Notre partenariat se renouvelle, en s'appuyant sur les liens qui unissent notre société aux sociétés africaines. Je pense notamment aux jeunes, aux artistes et aux entrepreneurs.

Nous avons par ailleurs des rendez-vous communs au Parlement, puisqu'il y aura une loi sur la restitution des biens culturels.

Nous voulons approfondir notre relation avec les pays africains, sur la base d'un partenariat respectueux, d'égal à égal, tourné vers l'avenir.

Notre diplomatie est également engagée pour la planète, puisque l'état du monde dépend de celui du climat et des ressources. Je m'attacherai donc à mener une politique étrangère climatique, dans le cadre notamment des deux conférences des parties (COP) à venir. L'action de la France restera déterminée, face à une communauté internationale qui ne s'inscrit pas nécessairement dans la bonne trajectoire. La diplomatie française déploiera tous ses efforts pour inciter ses partenaires à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, à décarboner leurs économies et à s'engager dans l'abandon des énergies fossiles. L'accord de Paris doit être mis en œuvre et nous veillerons avec une vigilance scrupuleuse à ce que les prochaines échéances, dont la 29ème conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29), portent leurs fruits.

Bien évidemment, la question des financements est centrale pour la transition écologique. Les flux Nord-Sud sont déjà de l'ordre de 1 000 milliards de dollars mais cela reste insuffisant. La France prendra toute sa part dans cette entreprise. Je rappelle que notre financement pour le climat a atteint, en 2022, un record de 7,6 milliards d'euros. Nous souhaitons contribuer à retisser le lien de la solidarité internationale dans ce domaine, comme en témoigne l'initiative du pacte de Paris pour les peuples et la planète prise par le président de la République en juin 2023, qui encourage à aller plus loin dans le multilatéralisme.

La diplomatie que je mènerai sera non seulement climatique mais aussi féministe. Elle s'attachera à défendre les droits des filles et des femmes, sans concession, dans le monde entier. Je condamne notamment dans les termes les plus forts les violences sexistes et sexuelles commises par le Hamas lors de l'attaque du 7 octobre dernier contre Israël. Le Hamas a utilisé le corps des femmes comme une cible de guerre : c'est un fait. Il me semble important de mettre l'accent sur cette dimension, souvent oubliée dans cette tragédie.

Défendre les droits des femmes à l'étranger consiste également à promouvoir leur pleine participation à la vie politique, sociale et économique de leur pays. Je pense notamment à l'Afghanistan, où les femmes sont effacées de la société, où leur existence est totalement niée. Nous n'aurons de ce fait aucun dialogue avec les Talibans. Sachez que j'annoncerai le 8 mars prochain de nouvelles mesures visant à renforcer notre action dans le cadre de la diplomatie féministe.

Je souhaite enfin mettre l'accent sur les partenariats noués au sein de la francophonie. Le sommet de la francophonie, qui se tiendra en France en octobre 2024, sera l'occasion de valoriser les partenariats que nous voulons construire, des partenariats fiables, ouverts, fondés sur des valeurs partagées et porteurs d'opportunités pour nos concitoyens.

Je tiens, sur tous ces sujets, à entretenir un dialogue constant avec les parlementaires. Je pense notamment que le travail mené avec cette commission pourra s'avérer fructueux. Je crois à la diplomatie, y compris parlementaire : tous les engagements que nous pourrons prendre seront donc discutés avec vous.

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Merci d'avoir tracé ce cadre. Bien des questions pressantes sont devant nous. Je pense à l'Ukraine – Quelle est notre stratégie pour soutenir ce pays ? Comment l'aide que nous lui apportons se compare-t-elle à celle de nos partenaires ? – mais aussi à l'Afrique, que j'ai eu tort de ne pas citer dans mon introduction, et notamment au Sénégal. En ce qui concerne le Proche-Orient, vous avez exposé des principes mais il faudra que nous précisions comment la solution à deux États pourrait prendre forme.

Nous écoutons maintenant les porte-parole des groupes.

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Monsieur le ministre, je vous adresse tout d'abord les félicitations de l'ensemble du groupe Renaissance. Vous êtes un homme d'expérience et de talent, qui saura porter fidèlement la voix de la France sur notre continent comme au sein du concert des nations, mais aussi être à l'écoute de notre commission.

Depuis votre prise de fonction, vous vous êtes rendu au Proche-Orient, à New York, à Varsovie, à Kiev, à Berlin, ainsi qu'en Inde aux côtés du président de la République. Vous avez ainsi pu appréhender la situation géopolitique internationale. Vous avez alerté sur la montée des nationalismes dans de nombreux États et souligné le risque de fragmentation, de « Brexit généralisé » que cela pouvait induire. Une telle « archipélisation » du monde serait assurément lourde de conséquences humaines, géopolitiques et militaires. Au cours de vos déplacements, vous avez systématiquement réaffirmé la voix singulière de notre pays, une voix qui n'est ni attentiste, ni atlantiste ; vous avez défendu la place d'une France forte dans une Europe puissante.

Quelles sont vos priorités pour les mois à venir ? Comment comptez-vous œuvrer à l'apaisement géopolitique de notre monde ?

Une semaine s'est par ailleurs écoulée depuis l'hommage rendu par le président de la République aux victimes françaises du Hamas. Je tiens à saluer l'action du Gouvernement et de votre administration en faveur de la libération des otages toujours aux mains de ce groupe terroriste, dans des conditions atroces. Quelles informations pouvez-vous nous communiquer à ce propos ? Pouvons-nous espérer les voir bientôt retrouver leurs proches ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Concernant nos trois compatriotes toujours otages au Proche-Orient, vous comprendrez qu'il ne me soit pas possible de vous répondre. Sachez que nous travaillons à leur libération avec Israël, le Qatar et d'autres pays de la région. Il y a eu des discussions, notamment à Paris : cela a été mentionné dans la presse. Les services du ministère, tout comme notre poste diplomatique en Israël, sont pleinement mobilisés sur ce sujet.

La question de la montée des nationalismes sera certainement débattue dans le cadre de la campagne pour les élections européennes puisque le Parlement européen est un organe clé, codécideur avec le Conseil européen sur de nombreux sujets. Aujourd'hui, les points de vue de ces deux instances sont assez convergents, la majorité au Parlement étant fortement pro-européenne. Mais si la situation venait à évoluer à l'issue des élections européennes, cela serait très préjudiciable et conduirait probablement à un blocage et à une absence de décision sur de nombreux dossiers.

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Vous avez aujourd'hui la charge de défendre la place et la parole françaises dans le concert des nations, en vous appuyant sur un corps diplomatique réputé mais malheureusement réformé.

En tant que parlementaire européen et président d'un groupe politique, vous avez œuvré en faveur de la condamnation du Maroc par une résolution européenne adoptée le 19 janvier 2023. Nos relations avec le Maroc se sont érodées, en raison notamment du non-respect par les autorités marocaines des accords de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, sujet brûlant sur notre sol. Vous avez pourtant fait savoir le 10 février 2024 que vous entendiez travailler personnellement au rapprochement entre la France et le Maroc. Quel mandat le président de la République vous a-t-il confié ? Comment allez-vous mener à bien cette mission ?

La France a par ailleurs joué un rôle de médiation entre Israël et le Liban en vue d'éviter l'embrasement de la région. Pourriez-vous nous donner quelques précisions quant à vos espérances de paix et détailler les dispositions contenues dans cet accord ? Ce dernier reprend-il la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies ? La situation des chrétiens du Sud-Liban sera-t-elle prise en considération ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Je ne reviendrai pas sur les débats et polémiques relatifs à la réforme du ministère. Des compromis ont été trouvés et le sujet est aujourd'hui bien cadré. J'assume cette réforme car je considère qu'il était nécessaire d'ouvrir notre corps diplomatique à d'autres profils, issus notamment du milieu associatif et du secteur privé.

La situation au Liban est sérieuse. La France a formulé des propositions afin d'éviter l'escalade et l'embrasement de la région. Certaines questions sont notamment en discussion entre les équipes de négociation au niveau technique ; elles remonteront probablement à l'échelon politique dans les prochains jours ou mois. Nous sommes présents au Liban et y avons des intérêts. Rappelez-vous 2006 et l'évacuation de dizaines de milliers de nos compatriotes du Liban vers la France, avec la mise en place de moyens lourds, coûteux et traumatiques pour tous : nous voulons éviter cela. J'ajoute que 700 casques bleus français participent à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Lors de ma visite sur place, j'ai mentionné nos intérêts non seulement auprès des responsables libanais mais aussi américains. Ce déplacement nous a permis de mettre nos propositions au centre des discussions avec l'ensemble de nos partenaires.

Au-delà du volet militaire, la situation politique libanaise est également problématique : il n'y a toujours pas de président de la République. J'ai réaffirmé l'urgence pour le Liban de remédier à cette situation, afin de pouvoir s'exprimer en propre et de ne pas laisser d'autres pays profiter de cette impasse institutionnelle pour parler en son nom. Il est essentiel de veiller à la protection de l'intégrité territoriale du Liban et de nos intérêts sur place mais aussi de permettre aux responsables libanais de porter la voix de leurs concitoyens. Je reviendrai devant vous dès que nos propositions auront été débattues et acceptées localement par les parties prenantes.

Le président de la République m'a chargé de renouer les liens avec le Maroc, ce qui sous-entend l'existence préalable de certaines incompréhensions. La volonté est là et je souhaite que nous travaillions à la construction d'un nouvel agenda politique. Nous pouvons, je pense, faire mieux et différemment : ce sera l'objet des discussions que j'entends mener avec les responsables marocains, de manière transparente. Il faut respecter l'ensemble des parties et notre lien avec le Maroc est essentiel. Je veux rebâtir, petit à petit, des relations de confiance entre nos deux pays et je pense pouvoir compter sur vous pour contribuer à cette entreprise. Il y va de l'intérêt de la France et du Maroc.

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Nous avons reçu hier à l'Assemblée nationale une délégation de soignants de l'association Palmed, qui revenaient de Gaza. Leurs témoignages sont effroyables et je voudrais les faire résonner ici. Le fait que des personnes ayant choisi ce métier pour prendre soin des autres en arrivent à tenir de tels propos en dit long sur l'horreur de la situation sur place.

Permettez-moi de vous rapporter tout d'abord les propos du docteur Chems-Eddine Bouchakour évoquant la mort de nouveau-nés quelques heures seulement après leur naissance : « Je me suis posé la question personnellement de savoir si mourir dans ce système n'était pas une chance en soi, parce qu'en réalité ceux qui ne meurent pas et auxquels on fait des pansements régulièrement finissent par mourir aussi, et dans la souffrance. On peut donc se demander s'ils n'ont pas eu de la chance que cela se termine. C'est ce que j'ai pu constater sur le terrain. »

Imane Maarifi, infirmière, a évoqué un médecin palestinien rentré en pleurant parce qu'il avait sauvé un bébé de 8 mois qui avait eu les deux bras arrachés et dont toute la famille avait été décimée. Ce soignant se demandait s'il avait vraiment sauvé la vie de cette petite fille, désormais seule au monde : « J'ai opéré parce qu'on était au bloc et qu'il fallait le faire mais, après, je me suis demandé si je n'aurais pas dû la laisser mourir ».

Ces soignants sont rentrés de Gaza voici une semaine. Entre-temps, le gouvernement d'extrême droite de Benyamin Netanyahou a franchi un nouveau seuil en décidant d'attaquer Rafah, où 1,5 million de personnes sont coincées, souvent abritées sous des tentes, manquant d'eau, de nourriture, de médicaments. La Knesset est par ailleurs en train d'examiner une loi visant à interdire notamment la chaîne Al-Jazira, ce qui laisserait les crimes de guerre se dérouler sans image ni son.

Le président de la République vient de demander à Benyamin Netanyahou la fin des opérations israéliennes. Mais il est trop tard pour ne faire que demander, alors qu'il est minuit moins une pour le peuple palestinien et pour la paix. Vous nous avez dit agir sans relâche : quelles actions avez-vous et allez-vous mettre en place pour concrétiser un cessez-le-feu immédiat ? Qu'avez-vous fait pour imposer le respect des mesures conservatoires de la Cour internationale de justice (CIJ), alors même que cette dernière, qui évoque un risque génocidaire, a de nouveau été saisie par l'Afrique du Sud ? J'espère que vous n'allez pas seulement nous expliquer qu'accuser Israël de génocide serait franchir un seuil moral mais nous faire part des actions concrètes que vous entendez conduire.

Ces dix dernières années, la France a par ailleurs livré pour plus de 200 millions d'euros d'armes à Israël. Ce commerce se poursuit-il ? Avez-vous la certitude qu'aucun composant militaire français n'est utilisé à Gaza pour commettre des crimes de guerre ? Quand allez-vous décréter l'embargo sur les armes ? De Gaulle l'a fait ; Emmanuel Macron doit le faire.

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Madame la présidente Panot vous pose là une question à laquelle il est sans doute difficile de répondre mais très importante. Nous attendons de connaître les actions que le Gouvernement entend mener pour que notre pays atténue les souffrances du peuple palestiniens et contribue à apporter une solution à ce terrible problème.

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Stéphane Séjourné, ministre

Mes indignations ne sont pas sélectives ; il n'y a pas de votre côté la morale et du nôtre l'immoralisme. Je vois comme vous les images et elles sont effectivement insoutenables.

Nous avons tout d'abord agi sur le plan humanitaire, avec 100 millions d'euros en 2023 et autant déjà en 2024. Nous avons en outre été très clairs sur la nécessité d'un cessez-le-feu. J'en veux pour preuve les propos du président de la République dans l'échange qu'il a eu cet après-midi avec le premier ministre israélien. Les souffrances des Palestiniens sont insupportables et des bombardements ou attaques sur Rafah injustifiables.

Nous redoublons d'efforts diplomatiques et sommes présents dans tous les formats de discussion. Je me rends ainsi à Munich à la fin de la semaine pour essayer de construire un compromis euro-arabe avec les pays arabes de la région. Nous espérons parvenir à installer un rapport de force dans la communauté internationale, afin de progresser vers un consensus autour d'une solution politique.

Mon intuition, partagée par les diplomaties de la région, est que les volets sécuritaire et politique ne pourront être résolus de façon distincte. Il faudra traiter les deux ensemble, ce qui implique d'apporter des garanties de sécurité pour tous, y compris pour les Israéliens, et de construire un programme de discussion pour un règlement politique de la question, avec l'objectif de parvenir à une solution à deux États. Nous nous attachons actuellement à élaborer le cadre permettant d'engager ces discussions. Votre formation politique est sensible à l'idée de rapport de force pour parvenir à des résultats : entendez que, comme dans la vie politique nationale, c'est aussi une construction au plan international et que nous ne sommes pas aux responsabilités en Israël.

Pour ce qui est des armes, je ne dispose pas ici de l'ensemble des informations et vous transmettrai ultérieurement par écrit des éléments chiffrés, en toute transparence. Les ventes d'armes à Israël sont très résiduelles et s'inscrivent dans le respect des engagements internationaux et européens ; je pense notamment au critère n° 2 de la position française et européenne sur les droits de l'Homme.

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Au nom du groupe Les Républicains, je vous souhaite une pleine réussite dans l'exercice de vos fonctions, monsieur le ministre.

La période est marquée par un très net regain des tensions internationales, avec la remise en cause des principes sur lesquels était fondé l'ordre international depuis 1945, le retour de la guerre sur le sol européen en Ukraine, le conflit au Proche-Orient et la situation complexe observée en Indopacifique, avec la confrontation entre la Chine et les États-Unis.

Pourriez-vous nous présenter plus concrètement vos priorités pour renforcer la place de la France et assurer la défense de ses intérêts sur la scène internationale ?

En cette année électorale américaine, je me dois par ailleurs d'évoquer les récentes déclarations de l'ancien président Donald Trump, actuellement en campagne, qui a très clairement remis en cause le principe de défense collective prévue par l'article 5 du traité instituant l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et qui reproche aux pays membres de ne pas tenir leurs engagements en matière de dépenses militaires. La France atteindra, fin 2024, l'objectif de 2 % de son produit intérieur brut (PIB) alloués à ces financements. Notez que seuls onze États sur trente et un respectaient cette règle en 2023.

Dans un entretien récent, vous appeliez de vos vœux la nécessité pour les Européens de bénéficier d'une « deuxième assurance vie », en addition de celle apportée par l'OTAN. Vous y insistiez notamment sur la nécessité de disposer de « budgets militaires qui nous permettent de faire face à la menace » et d'« organiser notre défense européenne de manière plus concertée », « afin de trouver des garanties de sécurité en Européens ». Pourtant, l'autonomie stratégique de l'Europe en matière de défense relève encore largement du mirage, de l'incantation : certains de nos partenaires semblent en effet privilégier le soutien américain, parfois au détriment d'armements ou de systèmes de défense européens.

Vous avez réuni ce lundi vos homologues allemand et polonais. De quelle manière allez-vous convaincre nos partenaires européens de s'engager plus fortement en faveur de l'autonomie stratégique que nous appelons de nos vœux ? Quelles initiatives allez-vous prendre dans ce domaine ?

À la suite des propos de Donald Trump, comment comptez-vous convaincre nos partenaires d'augmenter les budgets militaires et, ainsi, renforcer la sécurité de notre continent ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Les déclarations de Donald Trump inquiètent énormément l'ensemble de la communauté internationale. Nous avons le sentiment qu'il ne s'agit pas d'une simple provocation mais plutôt de l'exposé de son programme dans la perspective d'un second mandat. Or nous savons à la lumière de son premier mandat que, quand Donald Trump dit quelque chose, il le fait. Il s'agit pour lui de remettre en cause de manière déterminée le fondement même de l'alliance atlantique, dont il ne perçoit plus les bénéfices. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire pour cela que les États-Unis quittent l'OTAN : il suffirait que Donald Trump, une fois élu, rende par son discours la garantie de sécurité américaine conditionnelle et transactionnelle. L'article 5 serait caduc.

Il n'est bien évidemment pas question pour nous d'interférer dans la campagne électorale américaine. Le président de la République l'a dit : il traite avec les dirigeants que les peuples se donnent. Nous devons néanmoins nous interroger et nous préparer en Européens, notamment sur la question de la défense, d'où mes interactions avec mes homologues allemand et polonais dans le cadre du triangle de Weimar. Nos trois pays représentent 200 millions de personnes en Europe, ce qui constitue un poids considérable. Nous avons certes des sensibilités politiques différentes : la ministre des affaires étrangères allemande est issue des Verts et le ministre polonais de la droite conservatrice. Pour autant, je ne doute pas que nous parvenions à construire des convergences permettant d'aller vers des consensus européens. Tel est notre objectif politique, avec un calendrier concret, avec par exemple le Weimar de la jeunesse, mais aussi des sujets sur lesquels nous devons nous défendre : je pense notamment à la lutte contre la désinformation et aux attaques informatiques.

Soyons clairs : la Russie nous attaque quotidiennement, de manière massive, et les scénarios dont nous disposons nous inquiètent. Si demain tous les hôpitaux de la région parisienne étaient inopérants à cause d'une cyberattaque, la situation sanitaire et de sécurité collective serait très complexe. Ce sont de vraies attaques, qui pourraient probablement être qualifiées juridiquement comme telles.

Tous ces sujets doivent faire l'objet de concertations au niveau européen, afin d'instaurer une dynamique visant à renforcer le pilier européen de l'OTAN et la construction européenne collective en matière de défense. C'est le sens de l'histoire.

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Merci pour ce tour d'horizon, en particulier s'agissant des négociations internationales sur le climat.

Dans quelques jours, nous célébrerons le triste anniversaire des deux années de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Celle-ci a mis à mal le principe de l'intangibilité des frontières qui prévalait sur notre continent depuis plusieurs décennies. Nous n'avons pas attendu les propos de Donald Trump pour considérer que notre sécurité dépendait avant tout de nous. Le désengagement américain est en effet déjà ancien. Les Ukrainiens se battent pour nos libertés et nous devons bien évidemment être à leurs côtés. Je me réjouis donc de la décision du Conseil européen concernant les 50 milliards d'euros d'aide qui leur ont été apportés.

Nous devons poursuivre et renforcer nos efforts. Nous sommes, comme l'ont dit vos prédécesseurs, en économie de guerre et devons accélérer notre soutien aux forces ukrainiennes, à un moment où l'armée russe montre un certain épuisement.

Je souhaite évoquer par ailleurs le rôle déstabilisateur de l'Iran. Nous connaissons le soutien apporté par ce pays au Hamas et aux Houthis au Yémen, ainsi que le rôle du Hezbollah ; à ce sujet, nous avons évoqué hier avec le consul général à Jérusalem la place occupée par la France dans la proposition de désescalade. Sur le plan intérieur, le régime iranien broie sa population depuis la mort de Mahsa Amini, avec en moyenne trois exécutions par jour. Nous sommes nombreux à réclamer que la France, suivant l'exemple du Parlement européen, reconnaisse les gardiens de la révolution comme une organisation terroriste. Au-delà de son évidente dimension symbolique, cette décision constituerait un levier au service de l'action que nous pouvons mener contre l'Iran, au regard du caractère déstabilisateur de ce régime dans la région.

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Stéphane Séjourné, ministre

Un accord bilatéral est en discussion entre la France et l'Ukraine, dans lequel nous entendons décliner les décisions prises collectivement à Vilnius. Ce texte sera probablement signé prochainement par les présidents Zelensky et Macron. Nous vous transmettrons ultérieurement des données chiffrées, à la fois sur le volet militaire et sur les aides civiles allouées dans ce cadre. L'impasse budgétaire de l'Ukraine est estimée à 45 milliards d'euros : le besoin financier est considérable.

Nous accueillons de nombreux Iraniens menacés dans leur pays. C'est l'honneur de la France et nous avons condamné de façon constante ce qu'il se passe en Iran. La question du Hezbollah et celle du risque d'escalade au Liban peuvent être réglées par les propositions que nous avons formulées. La situation est sérieuse mais pas irréversible. La France s'implique dans la résolution du conflit et souhaite contribuer à éviter la survenue d'une nouvelle guerre au Liban. À ce stade, j'ai rencontré mon homologue iranien au siège de l'Organisation des Nations Unies (ONU), où j'ai pu évoquer avec lui un certain nombre de points, dont le sujet de nos compatriotes retenus à Téhéran. J'ai vu les réactions que cette rencontre a provoquées et je comprends les associations impliquées. Mais nous avons passé des messages forts sur ce sujet ; j'ai rencontré les familles concernées.

Nous veillons par ailleurs à ne pas participer à des opérations susceptibles d'engendrer une escalade. En mer Rouge par exemple, nous sécurisons la zone fréquentée par nos bateaux et nos frégates sont intervenues uniquement en défense, pour faire face à des attaques de drones, dont nous soupçonnons très fortement qu'elles aient un lien avec l'Iran. C'est ce que nous disent tous les États de la région. Il faut donc maintenir la pression. C'est aussi un point que j'ai évoqué avec mon homologue.

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Pourriez-vous nous informer au sujet du vote de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, à l'ordre du jour du prochain Conseil européen ? Cette directive dite « CS3D » a fait l'objet d'un processus patient et démocratique de trilogue entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil. Il serait vraiment dommageable que la majorité qualifiée nécessaire à son adoption ne soit pas atteinte en raison des calculs bien peu louables de certains États. Comment la France et sa diplomatie peuvent-elles aider la présidence belge à aller jusqu'au bout ?

Ma seconde question porte sur l'aide publique au développement. Nous sommes très attachés à ce que les engagements pris par le Gouvernement lors du débat de la loi d'orientation et de programmation pour le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales soient respectés. Je pense par exemple à l'installation de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, à laquelle la représentation nationale et les ONG doivent être associées, et au rapport annuel sur la politique de développement. Où en sont ces deux dossiers ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Pour ce qui est de la directive sur le devoir de vigilance, la France a soutenu l'accord en trilogue. En l'absence de majorité qualifiée, nous continuons à travailler. Il est très important pour nous de capitaliser sur les efforts entrepris, puisque notre pays s'est déjà doté d'une législation sur le devoir de vigilance des entreprises. Au moment où l'on parle d'européanisation d'un certain nombre de règles et de clauses miroirs avec les pays tiers, il est de notre intérêt que la réglementation française s'applique aussi dans l'ensemble des vingt-sept États membres. Au-delà de la question de fond, sur laquelle nous sommes d'accord, l'élargissement de cette législation à l'échelle de l'Europe évitera toute distorsion de concurrence entre les États membres. Des discussions doivent avoir lieu avec plusieurs États, dont l'Allemagne encore très réticente. Nous continuons donc de travailler au sein du Conseil européen pour faire aboutir ce dossier.

Concernant l'aide publique au développement, la France est le quatrième bailleur international, via notamment l'Agence française de développement (AFD), avec une contribution annuelle de 15 milliards d'euros. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est prêt à installer la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, qu'une proposition de loi récemment votée par vos soins lui rattache en vue d'améliorer le fonctionnement de cette instance. Nous aurons l'occasion d'y revenir mais je vous rassure : la volonté politique est bien là.

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Au-delà des augmentations budgétaires auxquelles vous avez fait allusion, je tiens à rappeler que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est malheureusement le dernier ministère régalien qui ne bénéficie pas d'une loi de programmation.

Je reviens à la « deuxième assurance vie » déjà évoquée. L'Union européenne achète encore 63 % de son équipement militaire aux États-Unis et la politique de sécurité et de défense commune reste peu ambitieuse. Si votre volonté politique est indéniable, votre position semble isolée. À quoi cette « deuxième assurance vie » pourrait-elle ressembler ?

Je salue les avancées proposées en matière de lutte contre la désinformation et l'allocation d'un fonds de soutien complémentaire en faveur de l'Ukraine, dont la résilience continue de nous impressionner. J'aimerais partager votre optimisme sur l'efficacité des sanctions infligées à la Russie mais j'ai le sentiment que l'économie et l'armée russes sont plus résistantes que nous ne l'avions imaginé. L'un des grands échecs révélés par ce conflit réside, selon moi, dans l'absence de soutien d'une majorité des pays du Sud à notre politique d'aide à l'Ukraine. La France s'est-elle sérieusement interrogée sur les raisons de cette situation ?

Une autre guerre est en cours dans la bande de Gaza. La ville de Rafah est désormais chaque nuit le théâtre d'assauts terribles contre les civils qui y sont réfugiés. Je crois qu'il faut vraiment que la France hausse le ton et demande avec force à M. Netanyahou de stopper cette folie vengeresse et meurtrière. J'ajoute que cette situation contribue à nous éloigner encore des pays du Sud et favorise la constitution de nouveaux axes entre l'Afrique, le Moyen-Orient et la Russie.

En Afrique, notre diplomatie a péché par méconnaissance et par orgueil. Alors que les jeux peuvent sembler faits, je nourris pour ma part l'espoir d'un renouveau. Je crois en effet que les pays africains ne rejettent pas la France mais une certaine idée de la France, celle qui soutient des régimes en fonction de ses intérêts et non de ses principes et celle qui coupe l'aide publique au développement au Sahel, au Mali et au Burkina Faso. La France va-t-elle rétablir cette aide, dont le retrait punit les peuples et contribue à renforcer les alliances stratégiques précédemment évoquées ?

Lors des questions au Gouvernement, vous m'avez indiqué que la France souhaitait que des élections se déroulent au Sénégal dans les plus brefs délais. À Dakar, certains protagonistes continuent toutefois à se prévaloir du soutien de la France concernant le nouveau calendrier électoral. Qu'en est-il ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Notre position sur le Sénégal est très claire : la France appelle les autorités à organiser des élections le plus rapidement possible, conformément à la Constitution du pays. Une aspiration de la jeunesse s'y est fait jour, à laquelle il importe de répondre. La France, si elle n'a bien évidemment pas l'intention de s'ingérer dans les affaires de ce pays souverain, souhaite exprimer son inquiétude. Personne ne peut revendiquer d'autre position française que celle que j'ai exprimée devant la représentation nationale.

Concernant la défense européenne, l'un des enjeux majeurs est de faire en sorte que l'Ukraine réussisse. Cela suppose d'être en mesure de produire rapidement des équipements, en Européens, et donc de disposer d'une industrie capable de passer en économie de guerre. C'est précisément l'objet du plan Breton, qui vise notamment à créer un fonds qui permettra d'acheter en Européens. L'idée d'acheter avec l'argent européen à l'industrie européenne progresse parmi les États européens ; la position polonaise a notamment changé avec l'alternance politique. Nous avons construit un consensus sur ce sujet. La deuxième étape consistera à acheter européen avec les budgets nationaux. Nous n'en sommes pas encore là : les budgets de la défense restent souverains et les États demeurent maîtres de leurs choix de matériels comme de leur niveau de dépenses. Enfin, nous travaillons avec nos partenaires, en particulier Allemands et Polonais, sur les futures opérations conjointes, notamment d'achat de matériels. Je laisserai le ministre des armées faire le point sur ce sujet.

Au Sahel, nous voulons faire davantage avec les pays qui le souhaitent et moins avec ceux qui nous rejettent. Nous continuons en revanche à aider les populations civiles, les associations et les ONG, y compris dans les pays dirigés par des juntes. Nous maintenons aussi la coopération culturelle.

L'idée s'est répandue, chez les Européens notamment, que le problème était lié à la France ; or la sortie de trois de ces régimes de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) montre que leur isolement est plus profond et sérieux. Je pense que nos collègues européens commencent à le percevoir.

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Je souhaite tout d'abord évoquer l'action de la France pour empêcher le gouvernement de Benyamin Netanyahou et l'armée israélienne de massacrer les Palestiniens de Gaza. Certes, la France s'exprime, condamne la violence aveugle dont fait preuve Israël et appelle enfin au cessez-le-feu mais il faut à présent des actes. Deux leviers existent pour faire revenir Israël à la raison : le soutien militaire des États-Unis et la dépendance d'Israël vis-à-vis du marché européen. La France peut agir sur ces deux leviers au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l'Union européenne.

L'ordonnance de la Cour internationale de justice des Nations Unies oblige les États à prévenir un potentiel génocide à Gaza, afin de ne pas en être complices. Avez-vous convoqué l'ambassadeur d'Israël pour lui indiquer que la France n'acceptait pas la brutalité de son gouvernement ? Avez-vous rappelé l'ambassadeur de France à Tel-Aviv pour consultation ? Allez-vous autoriser les appels au boycott des produits issus des colonies israéliennes, ainsi que le droit européen vous y oblige ? Allez-vous reconnaître l'État de Palestine ? Entendez-vous reconnaître et condamner la situation d'apartheid qui sévit sur place ? Pensez-vous saisir la Cour pénale internationale (CPI), afin qu'elle enquête sur les crimes commis le 7 octobre 2023, ainsi que sur le possible génocide en cours à Gaza, comme le propose une résolution que j'ai déposée ici, à l'Assemblée nationale ? À l'échelle européenne, avez-vous l'intention, du fait des violations des droits humains commises par l'État d'Israël, de proposer la suspension de l'accord d'association entre ce pays et l'Union européenne, conditionné au respect des droits humains par les deux parties ? Allez-vous déposer auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies une résolution exigeant un embargo sur les armes et munitions à destination d'Israël ? C'est ce que la justice néerlandaise a ordonné à La Haye, afin que les Pays-Bas se conforment à l'arrêt de la CIJ. Allez-vous demander des sanctions élargies contre les responsables israéliens de la guerre, au-delà des vingt-huit interdictions de territoire prononcées hier ? Envisagez-vous de demander le déploiement d'une force d'interposition des Nations Unies en Cisjordanie et à Gaza ?

Ne rien faire pour éviter ces massacres et ces déplacements forcés de populations nous rendrait complices de crime contre l'humanité. Pensez-vous solliciter une consolidation du financement de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire ? Allez-vous exiger la libération immédiate des otages du Hamas, afin que tous ces innocents puissent rejoindre leurs familles ? Quand allez-vous enfin agir pour la paix ? Pourquoi l'État d'Israël ne peut-il être empêché, alors que l'on a toujours présenté ce pays comme une démocratie et un allié ?

Le temps me manque mais j'aurais également pu évoquer les prisonniers politiques sahraouis au Maroc, dont les Nations Unies réclament la libération, la réforme constitutionnelle inquiétante au Togo, le départ du Burkina Faso, du Niger et du Mali de la CEDEAO ou encore la situation préoccupante au Sénégal.

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Stéphane Séjourné, ministre

Concernant l'accord entre Israël et l'Union européenne, il incombe à la Commission européenne de vérifier le respect des engagements pris. Nous passerons le message et je regarderai le mécanisme.

Ce sujet est distinct de celui de Gaza mais il ne vous aura pas échappé que nous sommes les seuls, au sein de l'Union européenne, à avoir pris des sanctions contre des colons israéliens dont les violences extrêmes exercées sur les Palestiniens en Cisjordanie sont inacceptables.

La décision de la CIJ correspond précisément à la position de la France, puisqu'elle invite au respect du droit et condamne les appels à la violence, sans toutefois insister sur la nécessité d'un cessez-le-feu, comme elle l'avait fait pour l'Ukraine. Nous appelons, nous, à un cessez-le-feu.

Quant à la CPI, elle enquête déjà et la France contribuera aux argumentaires. Elle n'a donc pas besoin d'être saisie.

Concernant le Conseil de sécurité des Nations Unies, sachez que la France a voté toutes les résolutions, continuera de le faire et en prépare de nouvelles.

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Le groupe LIOT vous souhaite un plein succès dans vos fonctions, monsieur le ministre.

En tant qu'élue de la première circonscription de Mayotte, je tiens à vous alerter sur la situation qui règne dans cette île, seule terre française habitée revendiquée par un pays étranger, les Comores. Cet État instrumentalise les flux migratoires pour déstabiliser notre territoire et asseoir ses revendications. Ce que l'OTAN qualifie de « menace hybride » provoque l'effondrement de Mayotte, avec des flux migratoires incontrôlés et dirigés par un pays voisin, qui alimentent la crise et la colère légitime des Mahorais. À Mayotte, plus de la moitié de la population est étrangère. Nos infrastructures implosent et le pacte républicain est rompu.

Le Gouvernement a enfin réagi, avec les annonces récentes du ministre Gérald Darmanin, auxquelles les autorités comoriennes ont immédiatement riposté par un communiqué réaffirmant leur contestation de la souveraineté française à Mayotte.

On sait maintenant que les Comoriens organisent la deuxième route migratoire : tous les jours, des migrants africains débarquent sur nos plages en provenance de la région des Grands Lacs, de Somalie, du Congo ; ils demandent asile et 700 d'entre eux occupent actuellement le stade de Cavani. Leur départ constitue une exigence importante du mouvement social qui paralyse l'île depuis vingt-trois jours.

Le Gouvernement s'est engagé à expulser les quelque 6 000 migrants africains en situation irrégulière à Mayotte qui n'ont pas obtenu l'asile. Mais la préfecture rencontre les plus grandes difficultés à obtenir des laissez-passer individuels pour les renvoyer chez eux. Vos diplomates vont-ils enfin aider Mayotte en négociant avec les pays africains pour accélérer ces expulsions ? Le Quai d'Orsay va-t-il enfin couper les aides financières et sanctionner les Comores, qui déstabilisent et revendiquent Mayotte ? Allez-vous enfin traiter ce pays hostile comme il le mérite et mobiliser l'ensemble de vos services pour protéger la stabilité et l'intégrité territoriale de la France, attaquées à Mayotte ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Nous rejetons le communiqué publié par les autorités comoriennes. Je réaffirme avec la plus grande force que Mayotte est et reste française, comme le Quai d'Orsay le fait inlassablement dans toutes les enceintes internationales.

La défense de Mayotte passe par une réduction de la pression migratoire. Vous connaissez les actions entreprises en ce sens par le ministre de l'intérieur. Des discussions diplomatiques, dont je vous tiendrai informés, vont s'engager. Nous devons défendre la souveraineté française à Mayotte comme dans la région : nos diplomates sont pleinement mobilisés et nous prendrons des initiatives en ce sens.

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Plusieurs de nos compatriotes, parmi lesquels Cécile Kohler, Jacques Paris et Louis Arnaud, sont détenus de manière arbitraire par le régime iranien. La France a fermement condamné ces détentions. Vous avez récemment reçu les proches de ces Français et réaffirmé la mobilisation totale de la France pour obtenir leur libération. Pouvons-nous espérer une issue positive à ce dossier complexe ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Je ne peux évidemment pas répondre à cette question mais c'est une priorité. J'ai d'ailleurs eu récemment l'occasion d'évoquer ce sujet avec mon homologue iranien à l'ONU. Moins j'en dis, mieux c'est ; mais soyez assuré que nous sommes tous mobilisés.

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Une crise humanitaire est en cours depuis deux décennies dans l'Est de la République démocratique du Congo. Elle est le fruit d'une déstabilisation grave émanant de groupes armés, scories des deux guerres intervenues dans cette région entre 1996 et 2003. Des hommes, des femmes, des enfants sont déplacés, exploités, violés, tués par des factions armées qui font régner la terreur. L'un de ces groupes aujourd'hui mis en cause, le M23, serait, selon des experts onusiens, soutenu par le Rwanda.

À la fin du mois d'octobre 2023, mes collègues Arnaud Le Gall et Carlos Martens Bilongo se sont rendus dans le Nord-Kivu pour constater le désastre et recueillir les témoignages des survivants. La France vient de signer la convention de Ljubljana-La Haye pour la coopération internationale en matière d'enquête et de poursuite du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et autres crimes internationaux, placée sous l'égide de la CPI. Que peut faire notre pays dans ce cadre ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Les combats ont repris et doivent s'arrêter. J'aurai prochainement des contacts avec mes homologues, afin d'évoquer cette question. Je vous informerai de la teneur de ces échanges. Notre position est claire : le Rwanda doit s'impliquer et faire pression sur le M23, afin de faire cesser les combats.

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Je vous félicite pour votre nomination, monsieur le ministre. L'actualité de ces derniers mois remet la diplomatie et les affaires étrangères au cœur de nos préoccupations et nous espérons que cette année sera marquée par un renforcement des liens entre le Quai d'Orsay et les parlementaires de cette commission.

Je souhaite souligner ici l'importance de notre audiovisuel extérieur. Le groupe France Médias Monde n'est pas forcément connu des citoyens français, car absent de la télévision numérique terrestre dans notre pays. Il est en revanche bien identifié par nos compatriotes installés à l'étranger, ainsi que par les millions de personnes qui écoutent et regardent dans leur langue maternelle ces médias qui traitent l'actualité partout dans le monde, dans le respect de nos valeurs. Ce groupe représente 7 % du budget de l'audiovisuel public français mais effectue un travail de plus en plus important en cette période de guerres et de crises.

Quel regard portez-vous sur ces médias ? Quels sont vos objectifs les concernant ?

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Stéphane Séjourné, ministre

C'est un modèle que nous chérissons, celui d'un journalisme indépendant, porteur d'une information fiable. C'est l'acide désoxyribonucléique (ADN) européen. À l'ère de la désinformation, nous ne pouvons que nous réjouir de l'exporter.

Cela nécessite toutefois d'y consacrer des moyens. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y contribue, par l'intermédiaire de financements alloués à quatre projets nouveaux, menés notamment par France Médias Monde : la création d'une rédaction arabophone à Beyrouth et d'une rédaction en langue turque exclusivement numérique, un décrochage de France 24 en Afrique et une plateforme panafricaine de contenus à destination des réseaux sociaux. Nous suivrons attentivement, avec vous, leur déploiement, qui est prévu d'ici à 2025.

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Nous aimerions avoir des précisions quant à l'accord gazier que l'Union européenne a conclu avec l'Azerbaïdjan. Un nettoyage ethnique est en cours au Haut-Karabakh : dès lors, une dénonciation est-elle à l'ordre du jour ? Le Gouvernement affirme que la France n'achète pas de gaz à ce pays : pourquoi, dans ce cas, soutenir l'Europe dans ce choix ? Cette position nous paraît hypocrite.

Lors des auditions conduites dans le cadre des travaux de la mission d'information sur les ressources naturelles stratégiques et les terres rares, dont je suis corapporteur, a été évoquée la possibilité d'une redirection substantielle des fonds de l'AFD vers des projets miniers dans les pays en développement, moyennant une exclusivité, au moins partielle, de l'exportation de minerais vers la France. Seriez-vous favorable à une telle proposition ? Cette solution présenterait l'avantage de participer au développement économique des pays cibles, tout en sécurisant notre approvisionnement en matériaux essentiels à notre industrie, dans le cadre des transitions écologique et numérique.

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Stéphane Séjourné, ministre

Je ne partage pas votre approche sur ce dernier point mais nous pourrons en débattre. Nous avons fixé des grands principes pour l'aide publique au développement en matière de biodiversité et d'accompagnement du changement climatique. J'y serai particulièrement attentif, notamment sur les aspects relatifs aux forages pétroliers ou gaziers mais aussi miniers.

En ce qui concerne, l'Arménie, nous essayons actuellement de construire une coalition européenne visant à apporter davantage de soutien aux Arméniennes et Arméniens victimes d'une guerre injuste et de déplacements de populations. Je pense que la situation évolue sur ce sujet en Europe. La prise de distance du premier ministre arménien Pachinian vis-à-vis de la Russie nous permet en effet d'entrevoir un soutien plus franc et massif de nos collègues européens.

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Hier, la France a annoncé des sanctions à l'encontre de vingt-huit colons israéliens qualifiés d'« extrémistes », ce qui laisse supposer qu'il existerait une colonisation acceptable. Je rappelle qu'en droit international, les colonies sont illégales. Le communiqué mentionne une multiplication des violences perpétrées par les colons envers la population palestinienne ces derniers mois. Qui sont les colons israéliens sanctionnés ? Quels actes ont-ils commis ? Comment la France se mobilise-t-elle contre l'extension de la colonisation illégale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ?

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Stéphane Séjourné, ministre

La France est, je le répète, le premier pays de l'Union européenne à prendre ce genre de sanctions. Le communiqué mentionne que les colonies sont illégales et peuvent empêcher la solution à deux États. Ces sanctions frappent des « colons israéliens extrémistes qui se sont rendus coupables de violences ».

Nous avons pris nos responsabilités et sommes capables à la fois de dénoncer le terrorisme palestinien et de nous adresser aux Israéliens lorsque les situations nous paraissent inacceptables.

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L'Élysée vient d'indiquer que lors de son dernier échange avec le premier ministre israélien, le président de la République avait demandé à Benyamin Netanyahou de mettre un terme à l'intervention de Tsahal dans la bande de Gaza. Cela reviendrait à laisser les terroristes du Hamas exercer leur mainmise sur Gaza et à continuer d'utiliser les Gazaouis comme boucliers humains. Ce serait faire de terroristes islamistes des partenaires fiables et des interlocuteurs privilégiés pour la paix et le futur du Proche-Orient, comme vous l'avez fait avec le Hezbollah libanais. Ce serait dénier à Israël le droit le plus légitime, celui de chaque citoyen et de chaque État à vivre en paix, sans menace de destruction à ses frontières.

Auriez-vous accepté que des États amis et alliés de la France intiment publiquement l'ordre à notre pays de cesser les frappes contre l'État islamique à Mossoul et Raqqa après les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan et de la promenade des Anglais, frappes dont je rappelle qu'elles ont tué plus de 17 000 personnes ?

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Stéphane Séjourné, ministre

La condamnation absolue des actes terroristes n'est pas contradictoire avec le fait de considérer comme insupportables les souffrances endurées par les populations civiles palestiniennes. Le communiqué du président de la République n'invalide pas notre volonté de lutter contre le terrorisme et d'aboutir à une situation à deux États, la sécurité étant garantie à chacun.

Pourquoi voulez-vous opposer les deux ? La conséquence diplomatique et politique du niveau de souffrance des Palestiniens est la demande d'arrêt des combats et de cessez-le-feu. Cela n'amoindrit aucunement notre volonté d'accompagner Israël dans la lutte contre le Hamas.

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Merci de votre action sur le devoir de vigilance.

Je souhaite rappeler à mes collègues l'importance de consulter les rapports annuels du ministère des armées sur les exportations d'armements et du ministère de l'économie sur les exportations des biens à double usage. Les travaux conduits par nos collègues Jacques Maire et Michèle Tabarot pendant la législature précédente avaient conclu à la nécessité de renforcer le contrôle parlementaire dans ce domaine. La loi de programmation militaire a d'ailleurs acté la création de la commission ad hoc qu'ils préconisaient.

D'après le rapport sur les exportations d'armements, la France aurait vendu à Israël en 2022 du matériel de guerre licence ML4 utilisé dans les missiles pour un montant de 15,3 millions d'euros. Nous attendons les chiffres pour 2023.

Nous connaissons tous les événements tragiques du 7 octobre 2023. L'ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024 demande à Israël de prévenir tout génocide. La France, en tant que signataire de la convention de 1948, doit arrêter les ventes d'armes susceptibles de contribuer à des actes génocidaires. Elle l'a fait en 2019 pour les exportations d'armes vers la Turquie. Serait-il légitime selon vous d'infléchir la politique de vente d'armes à Israël suite aux événements récents ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Je vous ferai la même réponse qu'à madame Panot. Ces ventes sont strictement encadrées par le droit international. Je vous ferai parvenir des données chiffrées, en toute transparence.

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J'ai de la compassion pour vous, monsieur le ministre : devoir gérer les affaires étrangères d'un État qui perd sa crédibilité sur la scène internationale n'est pas chose facile. Vous ne faites rien pour sauver l'UNRWA. Lors de notre déplacement à Rafah, cette agence de l'ONU nous a confirmé qu'elle ne pourrait pas tenir plus d'un mois dans cette situation. Par votre mollesse, vous privez un peuple entier d'un organe essentiel à son éducation et sa santé, sur le fondement d'accusations à la marge et sans preuve formulées par Israël. Vous considérez que malgré les conclusions de la CIJ faisant état d'un risque génocidaire, accuser Israël de génocide serait immoral. Vous n'annoncez par ailleurs ni embargo sur les armes, ni sanctions économiques contre Israël.

Comment réagirez-vous si la Chine envahit un jour Taïwan ou si la Russie décide de s'étendre davantage en Ukraine, en Géorgie ou dans un autre pays de l'Est ? Comment allez-vous garantir les droits des Arméniens face aux menaces de l'Azerbaïdjan si la France ne se prévaut du droit international que lorsque cela sert ses intérêts ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Nous n'avons pas suspendu les financements à destination de l'UNRWA ; nous avons même été félicités par les responsables de cette agence pour notre position d'équilibre. Les accusations portées par Israël sont graves et nous attendons les résultats de l'audit en cours, qui nous renseignera sur la situation passée et nous apportera des garanties pour l'avenir. Il était de toute façon prévu que la France n'effectue pas de versement à destination de l'UNRWA avant le deuxième trimestre 2024.

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Les Kurdes de Syrie ont été et sont toujours des alliés fidèles et indéfectibles de la France et d'autres pays occidentaux dans la lutte contre l'État islamique. Ils ont été le fer de lance de ce combat, dont nous ne serions sans doute pas sortis vainqueurs sans leur concours. Ils ont toujours sous leur garde plus de 12 000 prisonniers, qu'ils appellent « l'armée de Daech », répartis dans plusieurs prisons situées au Nord de la Syrie, au Rojava. La Turquie du président Erdoğan agresse continuellement cette région et les forces militaires kurdes, lui faisant courir un risque important de déstabilisation et de fuite de prisonniers ; c'est arrivé l'année dernière.

On peut redouter une résurgence de Daech. Nos alliés kurdes, qui nous ont apporté une aide précieuse dans la lutte contre l'État islamique au prix du sacrifice de milliers de jeunes vies, ont aujourd'hui besoin en retour d'un soutien concret des pays occidentaux qui formaient la coalition, dont la France. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Nous avons toujours soutenu les Kurdes et nous dénonçons toutes les attaques dirigées contre eux. Nous finançons par ailleurs des opérations dans le Nord-Est syrien notamment, à hauteur de plus de 20 millions d'euros. Le message est donc extrêmement clair du point de vue diplomatique et la France est financièrement au rendez-vous.

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Tous mes vœux vous accompagnent, monsieur le ministre : en hébreu, on dit « Mazal Tov », bonne chance.

Le 23 janvier 2024, vous avez reçu votre homologue iranien et souligné « le rôle positif et constructif de la République islamique d'Iran dans la préservation de la paix et de la stabilité dans la région ». Cette déclaration m'a profondément choqué. L'Iran massacre son peuple et persécute ses femmes. Il s'agit d'une dictature islamiste qui a trois marionnettes dans la région : les Houthis, le Hezbollah et le Hamas. Sur le point de disposer de l'arme nucléaire, l'Iran, c'est l'empire du mal, qui organise chaque année un concours de caricatures sur le thème de la Shoah.

Nous ignorons qui sont les vingt-huit Israéliens objets de sanctions. Israël est un État de droit : s'il y a des violences, elle les condamne et elle les punit. Les Américains ont donné quatre noms. Allez-vous aussi inscrire sur votre liste l'ancien ministre Rajoub, qui a déclaré vouloir un massacre similaire à celui du 7 octobre en Judée et en Samarie ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Je vous invite à lire mon compte rendu de l'entretien et pas celui publié par l'Iran. Ce que vous citez, c'est une note diplomatique qui a fuité, sans doute pour nous mettre en difficulté. Je n'ai jamais prononcé la phrase que vous rapportez, qui serait en totale contradiction avec la position constante et historique de la France sur ce dossier. Une telle phrase ne peut pas exister dans ma bouche. Évitons les fake news iraniennes.

Nous sommes par ailleurs en train d'étudier la possibilité juridique de publier les noms des personnes concernées par les sanctions qui ont été prises et annoncées.

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Plus de 28 000 Palestiniens ont à ce jour été tués par Israël. Avant-hier, 1,4 million d'entre eux ont connu une nuit d'horreur, bombardés sans relâche par l'armée israélienne. « J'ai moi-même aidé à extraire des balles de visages d'enfants », témoignait une infirmière de Palmed France de retour de Gaza.

Combien de morts faudra-t-il encore déplorer avant que la France agisse ? Pendant que des civils meurent à Rafah dans les conditions les plus atroces, certains pays comme l'Italie ou l'Espagne ont annoncé arrêter leurs exportations d'armes vers Israël. En France, depuis 2017, des armes ont été vendues à ce pays pour 111 millions d'euros, dont 15 millions d'euros en 2022. Si la France continue, malgré la décision de la CIJ, à vendre des armes à Israël, même de façon résiduelle, alors cela signifiera qu'elle a fait le choix de se rendre complice de ces crimes. Êtes-vous favorable à l'arrêt total des exportations d'armes vers Israël ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Nous sommes bien évidemment soucieux de respecter le droit international. Je redis que je vous indiquerai ce qu'il en est de nos ventes d'armes, en toute transparence, mais qu'elles sont résiduelles. Il convient toutefois d'être précis dans les termes : la CIJ ne dit pas ce que vous lui faites dire.

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Je souhaite attirer votre attention sur la situation de l'Europe du Sud-Est et notamment des Balkans occidentaux, auxquels Pierre-Henri Dumont et moi-même allons consacrer un rapport. Pensez-vous qu'il soit possible de mettre en place à l'échelle européenne des mécanismes de lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères, phénomènes qui sévissent dans les pays des Balkans et qui risquent de déstabiliser cette région de l'Europe, qui aspire à entrer dans l'Union européenne ?

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Stéphane Séjourné, ministre

Les Balkans occidentaux sont évidemment une région stratégique pour l'avenir de l'Europe et j'attends votre rapport avec impatience. L'influence russe y est certainement la plus pernicieuse à court terme. Nous partageons votre préoccupation en matière de lutte contre la désinformation. Le retour d'expérience des pays des Balkans pourrait nous intéresser, comme nous serions susceptibles de les aider sur le plan technologique, notamment informatique.

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Cette audition, monsieur le ministre, n'est qu'un lever de rideau. Nous allons continuer le débat. Vous vous êtes engagé à nous fournir quelques données chiffrées complémentaires. Nous serons attentifs à ce que vous respectiez cette promesse.

Nous allons par ailleurs nous attacher, dans les semaines et les mois à venir, à approfondir les différents dossiers que nous nous sommes contentés aujourd'hui de mettre en perspective.

Cette commission est attentive, désireuse d'obtenir des informations mais aussi anxieuse. Vous avez la lourde responsabilité de diriger la diplomatie française à un moment où l'ensemble de la communauté internationale est bouleversée jusque dans ses structures profondes. Vous allez devoir accompagner ce mouvement tectonique pour le compte de notre pays. Bonne chance !

La séance est levée à 18 h 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Forissier, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, M. Benjamin Haddad, M. Michel Herbillon, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, Mme Estelle Youssouffa

Excusés. - Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Thibaut François, Mme Stéphanie Galzy, M. David Habib, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - Mme Claire Guichard, M. Frédéric Mathieu