Séance en hémicycle du lundi 26 février 2024 à 18h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • IPS
  • apprentissage
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La séance

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La séance est ouverte à dix-huit heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L'école publique face aux politiques de tri social ».

Ce débat, organisé à la demande du groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES, se tient dans la salle Lamartine afin que des personnalités extérieures, que je salue, puissent être auditionnées.

La conférence des présidents a décidé d'organiser le débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées puis, après une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une séquence de questions-réponses.

La parole est à Mme Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs d'enseignement général de collège, affilié à la Fédération syndicale unitaire).

Debut de section - Permalien
Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU

Il y aurait beaucoup à dire sur la situation de l'école publique face aux politiques de tri social. Ces dernières occupent le devant de la scène depuis l'annonce du choc des savoirs et de la création des groupes de niveau au collège ; mais bien avant cela, elles étaient à l'œuvre dans le premier degré. Deux points me semblent essentiels pour les élèves de maternelle et d'élémentaire.

Le premier point concerne le resserrement de l'enseignement sur les apprentissages dits fondamentaux, en cours depuis sept ans : on fait plus de français et plus de mathématiques, alors même que la France est le pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – qui y consacrait déjà le plus d'heures. Depuis 2017, dans les classes de CP et de CE1, on procède à des évaluations mettant en avant les compétences dites bas niveau : en lecture, elles sont ainsi centrées sur le décodage et le déchiffrage, le sens et la compréhension étant laissés de côté. On favorise donc, en classe, des exercices susceptibles d'être utiles pour ces évaluations. Pourtant, comprendre le sens, y compris implicite, d'un texte en travaillant sur le lexique est ce qui permet d'appréhender le monde et d'agir sur lui.

Quand on renvoie l'acquisition d'une partie des savoirs émancipateurs à la famille, on creuse les inégalités ; en effet, seules les familles des milieux favorisés, à fort capital culturel, parviennent à l'assurer. Or les évaluations, qui seront d'ailleurs généralisées à tous les niveaux de l'école primaire, tendent à réduire les apprentissages à ce qui sera évalué. Il faudrait au contraire se focaliser sur ce que les élèves sont en train d'apprendre pour mettre, comme le recommande la recherche en éducation, l'évaluation au service des apprentissages ; il faudrait analyser les productions et les difficultés des élèves pour leur permettre de progresser.

Les programmes scolaires de CP et CE1 seront revus pour la rentrée 2024 ; ceux des autres niveaux suivront. Le ministère a explicitement demandé au Conseil supérieur des programmes (CSP) de s'appuyer sur les guides et circulaires pédagogiques produits depuis 2017 par le Conseil scientifique de l'éducation nationale (CSEN) – qui travaille avec une partie des chercheurs, mais pas avec tous. Cette incessante remise en cause des programmes déstabilise le travail des professeurs des écoles, contraints de s'adapter dans l'urgence. Le temps accordé aux apprentissages est comprimé, comme si tous les élèves apprenaient au même rythme, alors que c'est faux : chaque enfant apprend – y compris à marcher ou à parler – à son propre rythme, et les cycles à l'école primaire devraient permettre de prendre le temps nécessaire pour chacun. Cette politique a pour conséquence de laisser certains élèves au bord de la route et de favoriser ceux qui réussissent le mieux. C'est ce que nous craignons, sachant que les manuels de français et de mathématiques, qui seront labellisés par le ministère sur la base d'un référentiel du CSEN, risquent d'être axés sur certains fondamentaux seulement.

Le deuxième point est relatif au traitement actuel de la difficulté scolaire. Gabriel Attal, dans le cadre de la politique du choc des savoirs, a remis sur la table la question du redoublement. Plutôt que de faire de la remédiation et de la prévention, on externalise la difficulté en sortant l'élève de la classe et en lui faisant porter la responsabilité de son échec. Le ministère va imposer le passage en classe supérieure sous conditions, assorti de stages de réussite et d'un accompagnement personnalisé ; en cas de difficultés, on proposera le redoublement. Mais quid des élèves qui n'atteignent pas le niveau requis au terme du stage de réussite ?

Les prises en charge hors de la classe n'ont pas éradiqué la grande difficulté scolaire : on pratique des stages de remise à niveau depuis 2008 ; s'ils fonctionnaient, les résultats seraient différents. La recherche a montré l'absence d'effet positif durable tant du redoublement, mesure socialement inégalitaire, que du traitement de la difficulté scolaire en dehors de la classe. C'est bien dans la classe qu'on doit favoriser la prévention et la remédiation grâce à des moyens spécifiques : une politique de mixité sociale, une réduction des effectifs par classe – profitons de la baisse démographique pour y arriver ! – et un renforcement de la formation des enseignants. Il faut consolider les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et prévoir des postes surnuméraires afin d'avoir plus de maîtres que de classes. Enfin, il est essentiel de respecter la liberté pédagogique et de faire confiance aux enseignants.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à Mme Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU (Syndicat national des enseignements de second degré, affilié à la FSU).

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Après le primaire, passons au secondaire ! Je suis heureuse de revenir dans cette salle pour débattre du tri social des élèves – une question d'actualité. On en a beaucoup parlé depuis le mois de janvier, mais la question n'est pas nouvelle : cela fait bien plus de vingt-huit jours que l'école y est confrontée. J'aborderai deux sujets : les réformes des collèges et des lycées depuis plusieurs années et le problème de l'école privée.

Depuis quelques années, les collèges et les lycées sont le théâtre d'une remise en cause du beau projet de l'école publique. L'école gratuite, laïque et obligatoire ne trie pas les élèves ; elle a pour ambition de les faire réussir toutes et tous, et de participer à la construction de leur liberté de conscience. Or les groupes de niveau, mesure phare du choc des savoirs, représentent bien une forme de tri social : on nous annonce, en effet, qu'on va répartir les collégiens selon leurs résultats, en regroupant les élèves les plus faibles, les élèves handicapés et les élèves allophones. Pour nous, enseignants, c'est inacceptable.

N'oublions pas ce qui s'est passé, de ce point de vue, au lycée : les réformes menées par Jean-Michel Blanquer ont fragilisé l'école publique, renforçant le tri social. Les données statistiques montrent en effet que la réforme des spécialités a aggravé les inégalités de genre comme les inégalités sociales. Ainsi, les filles, qui choisissaient déjà rarement les filières scientifiques, s'engagent encore moins souvent dans ces matières. Les élèves de catégories socioprofessionnelles favorisées ont parfaitement su tirer profit de la nouvelle architecture du lycée et du baccalauréat, faisant les bons choix, tandis que les élèves de milieux défavorisés n'ont pas forcément eu les codes nécessaires. La réforme Blanquer a donc instauré une sorte de lycée d'initiés, exacerbant le tri social.

Parcoursup incarne la dernière étape de ce tri : la plateforme a aggravé la ségrégation sociale et scolaire en légitimant l'enseignement privé dans sa capacité à offrir aux élèves des parcours d'études supérieures – les formations du privé y sont mises au même niveau que celles du public. Le privé s'est par ailleurs largement engouffré dans les failles de Parcoursup en matière d'accompagnement des élèves, pour favoriser toujours les mêmes parmi eux. C'est ainsi que le tri social, qui existait déjà, s'est trouvé amplifié du collège au supérieur, en passant par le lycée.

Il m'est difficile de ne pas m'arrêter quelques instants sur la question de l'école privée. Deux chiffres permettent de saisir l'effet que celle-ci exerce sur notre modèle scolaire : sur les 200 collèges à l'IPS (indice de position sociale des élèves) le plus haut, 75 % sont privés ; sur les 200 collèges à l'IPS le plus faible, 98 % sont publics. Les collèges privés détruisent la mixité sociale dans le public. Pourtant, le privé sous contrat bénéficie de financements publics à hauteur de près de 9 milliards d'euros dans le budget pour 2024 – une hérésie quand on sait qu'il ne joue pas le jeu et mine la cohésion sociale. On demande beaucoup à l'école publique sans lui en donner les moyens ; on demande bien peu à l'école privée sans la contrôler suffisamment et en la laissant libre d'organiser le tri social.

Le dualisme scolaire dont participent tant les réformes prévues dans le cadre du choc des savoirs que la réforme du lycée et Parcoursup, qui favorisent l'enseignement privé, ne représente pas seulement une menace pour notre école publique : quand les élèves et leurs familles se rendent compte que celle-ci ne tient pas ses promesses, c'est toute notre démocratie qui est en péril.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à Mme Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves).

Debut de section - Permalien
Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE

La politique de tri social illustre la tendance de l'école à reproduire, voire à aggraver les inégalités. Ce tri s'effectue aujourd'hui sur la base des résultats scolaires, car la reproduction des inégalités entretient un parallélisme entre les notes et le milieu social des élèves. Les disparités sont profondes : en se basant sur l'IPS, un indicateur utile malgré ses limites, on constate que, s'il existe quelques établissements à l'IPS élevé dans le secteur public, c'est le privé qui en concentre le plus grand nombre, alors que tous les établissements à l'IPS très faible sont publics.

Se posent ensuite les questions des différences entre quartiers d'une même ville, ou entre le centre-ville et la périphérie, et celle du rôle des politiques d'urbanisme dans le maintien de ce tri social, en particulier pour les écoles primaires et les collèges, qui sont sectorisés. Comment passer outre ces politiques ? Plus tard arrivent des inégalités entre ville et campagne d'une part, entre France hexagonale et Drom (départements et régions d'outre-mer) d'autre part. Sur la poursuite d'études, notamment dans le supérieur, et sur l'orientation en voie professionnelle ou en voie générale, il existe de grandes disparités entre les villes, les campagnes, les banlieues, les Drom. Tout ceci est le résultat de choix politiques, comme celui de la concentration des populations paupérisées dans certains quartiers ou celui du refus de certaines villes de construire des logements à loyer modéré.

Quelles expériences ont été menées pour outrepasser ce déterminisme ? Dans le 18e arrondissement de Paris, notamment, des secteurs multicollèges ont été créés, au prix de beaucoup de courage politique, de moyens et de pédagogie. C'est quelque chose qui pourrait être généralisé, à l'école primaire, au collège et au lycée, où on aurait donc d'autres mécanismes d'affectation que les notes. Cela permettrait d'égaliser entre lycées le niveau social des élèves.

Malheureusement, dans certains cas, de telles mesures ne suffisent pas. À Toulouse, par exemple, la seule solution a consisté à fermer les collèges-ghettos pour réaffecter les élèves en centre-ville. Cette solution a pour inconvénient de priver des quartiers de collège, ce qui pose un problème social.

L'une des solutions serait de rendre l'école publique attractive, de lui donner des moyens et un cadre. Or on a vu que les ascenseurs d'un établissement privé étaient abondamment subventionnés quand des écoles et des lycées publics tombent en ruine. Les citoyens doivent pouvoir choisir le public. Malheureusement, dans certains territoires, dans certaines spécialités, pour certaines filières, comme les études d'art ou les écoles de commerce, les élèves sont triés en fonction des revenus, puisque les établissements sont payants et, pour certains, ne rentrent pas dans le système des bourses.

Est-ce une question de moyens ou une question de courage ? Un peu des deux. La FCPE demande tout d'abord des enseignants devant tous les élèves dans tous les quartiers. Là aussi, il y a des inégalités, avec des départements où les remplacements sont plus faciles à organiser que dans d'autres, avec des quartiers, voire des écoles, où les moyens de pression sont plus importants pour en obtenir. Elle demande que les Rased soient redéployés en nombre. Elle demande aussi des effectifs réduits dans les écoles où se trouvent les populations plus fragiles, car on sait que c'est la condition pour que ces élèves puissent progresser et s'intégrer.

En conclusion, je dirai que la politique de passivité du passé, avec l'acceptation du contournement de la carte scolaire, les dérogations signées par les maires, les plans d'urbanisme peu compatibles avec la mixité sociale, a fait place aujourd'hui à une politique volontariste de tri social où l'on assume de mettre d'un côté les élites et de l'autre la masse de la population.

Debut de section - Permalien
Annabelle Allouch, maîtresse de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne

Je suis sociologue de l'éducation et la sociologie a déjà été mentionnée à plusieurs reprises par les intervenantes. Je vais me concentrer sur ce qui est au cœur de mes recherches : l'accès à l'enseignement supérieur. C'est ce qu'on appelle parfois, dans un langage un peu technocratique, le continuum de bac - 3 à bac + 3, c'est-à-dire le passage entre la fin du secondaire, le lycée, et l'enseignement supérieur. Ce niveau est marqué par des inégalités qualifiées de persistantes et résistantes, car, malgré soixante ans de massification scolaire, on fait toujours le même constat en matière de sociologie de l'éducation, celui d'une démocratisation ségrégative.

Cette expression signifie que, s'il y a désormais près de 3 millions d'étudiants dans l'enseignement supérieur, ce nombre élevé ne s'accompagne pas d'une égalité d'accès à toutes les filières ou à tous les établissements. Les élèves issus de milieux populaires sont ainsi surreprésentés dans certains types de formations, notamment les filières courtes comme les BTS (brevets de technicien supérieur), et sous-représentés dans les grandes écoles ou en master à l'université. Cette dernière tendance tend parfois à s'accélérer avec la mise en concurrence des établissements.

Ce phénomène est aggravé par deux éléments. Le premier est la crise actuelle du marché du logement, notamment social, qui amplifie des formes de ségrégation scolaire. Je vais vous donner un exemple assez spectaculaire des effets de la ségrégation urbaine sur la ségrégation scolaire. En 2019, le sociologue Marco Oberti a montré qu'habiter dans la capitale ne suffisait plus à augmenter ses chances d'intégrer Sciences Po Paris après le baccalauréat : il faut vivre dans le 5e, le 6e, le 7e ou le 16e arrondissement.

Par ailleurs, il a été indiqué à quel point la libéralisation de la carte scolaire en 2007 et le financement croissant de l'enseignement privé secondaire et supérieur ont amplifié ces phénomènes de ségrégation.

La sociologie de l'éducation commence à discerner de façon probante les effets de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) de 2018, parfois appelée loi Parcoursup. Le premier de ces effets est la polarisation des publics sur certains types d'établissements. Les établissements les plus prestigieux ou les plus riches attirent de plus en plus les classes moyennes et supérieures et sont de mieux en mieux dotés. À l'inverse, ceux qui sont symboliquement les moins cotés attirent toujours plus des publics de plus en plus défavorisés.

À cette polarisation des établissements et des publics, notamment en Île-de-France, s'ajoutent des inégalités sociales et scolaires extrêmement fortes, au désavantage notamment des élèves des filières professionnelles. Les enfants issus de milieux populaires, surreprésentés dans ces filières, sont les plus démunis face à la plateforme Parcoursup et au travail d'orientation à fournir. Pour parler d'une situation antérieure à la réforme Blanquer du lycée, dès la première année de fonctionnement de Parcoursup, en 2018, ils ont attendu un premier résultat positif quatre fois plus longtemps qu'un élève d'une filière générale.

Néanmoins, l'activité de tri social et scolaire comporte beaucoup d'ambivalence et il convient de noter qu'elle est consubstantielle au système éducatif. En effet, l'apprentissage s'accompagne traditionnellement d'une activité d'évaluation qui structure les pratiques des professionnels et parfois, malheureusement, les représentations des familles. Dans tous les cas et pour ne parler que de Parcoursup, il me semble que la multiplication des politiques de tri social et l'amplification des inégalités entraînent un risque démocratique quant à la participation politique des familles et des jeunes, déjà très abstentionnistes, aux élections, notamment européennes et régionales. Ce risque est d'autant plus important que, si la croyance dans le mérite se maintient globalement dans la population, avec l'idée qu'on est rétribué de ses efforts, notamment en termes de salaire, il y a un dévissage de la croyance selon laquelle les institutions, dont l'école, pourront répondre à cette demande de reconnaissance sociale.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en venons aux questions. La parole est à Mme Elsa Faucillon.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nos invitées l'ont dit : la France est particulièrement performante pour faire réussir les élèves des classes sociales supérieures. En revanche, on voit combien les inégalités sociales et les inégalités scolaires sont intimement liées et combien elles ont tendance à s'accentuer alors même que l'école publique devrait être un pilier de notre pays.

Depuis quelques années, les dispositifs destinés à opérer ce tri social se multiplient. Je pense à la réforme des lycées professionnels, à la réforme du bac, à la sélection au moyen de Parcoursup, mais aussi par l'instauration de groupes de niveau en mathématiques et en français. Selon nous, cet ensemble de mesures a pour objectif d'introduire des logiques de concurrence, de performance et de spécialisation dans les formations, en réponse aux nécessités du capital.

Parallèlement, sous prétexte d'un contrôle budgétaire dit renforcé, les politiques publiques désinvestissent massivement dans l'éducation publique, ce qui provoque une dégradation des conditions de travail des personnels et des conditions d'enseignement. Le 22 février, le Gouvernement a annoncé 10 milliards de coupes dans les dépenses de l'État pour 2024. Ces économies concernent notamment l'éducation nationale, mais la ministre a assuré que les personnels, les recrutements et les réformes engagées ne seraient pas touchés et que ces annonces concerneraient pour l'essentiel la réserve de précaution. Je note toutefois qu'en 2022, ces fonds, initialement bloqués, ont été consommés dans leur quasi-intégralité dans l'année.

On a donc une double tendance, avec la mise en place de politiques de tri social et la précarisation de l'éducation nationale. Selon vous, organise-t-on un système éducatif à deux vitesses ? Par ailleurs, parvenez-vous à obtenir les chiffres par département des cartes scolaires, des dotations horaires globales (DHG) et des moyens alloués à l'école privée ? Pour ma part, dans mon département, je n'y arrive pas.

Debut de section - Permalien
Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU

À propos du système à deux vitesses, la question de la carte scolaire est très importante en ce moment. Si on veut favoriser les apprentissages dans les classes, avec des élèves qui réussissent, qui apprennent à l'intérieur de la classe, il faut des personnels, il faut des remplaçants et il faut surtout des effectifs allégés partout. Or, dans certains départements, les CP ou CE1 à douze élèves n'existent plus – on est plutôt à quinze ou seize. Et augmenter les effectifs empêche de faire du bon travail auprès des élèves en difficulté. Nous avons d'ailleurs demandé, dans un e-mail dont vous avez peut-être été destinataire, un collectif budgétaire pour annuler 650 suppressions de postes. En effet, c'est la catastrophe dans tous les départements concernés, et les élus se mobilisent. Je n'ai jamais vu autant de conseils départementaux de l'éducation nationale (CDEN) boycottés par des élus. Il est vraiment important de défendre la carte scolaire.

Par ailleurs, je vous confirme qu'il est difficile de trouver les chiffres par départements sur l'école privée : nous ne les avons pas non plus.

Debut de section - Permalien
Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE

La FCPE relève des différences entre le public et le privé en ce qui concerne les fermetures de classes. Dans le public, énormément de classes sont fermées ; il y a une saignée, en particulier en milieu rural. Pour le moment, on n'observe pas de telles fermetures dans le privé.

D'autre part, on parle souvent d'équité entre le public et le privé, en affirmant qu'il faut accorder des moyens pour le privé de la même façon que pour le public, en particulier en enseignants ; c'est d'ailleurs inscrit dans la loi. Toutefois, on ne tient pas compte des différences de public. Ainsi, l'école publique accueille la majeure partie des élèves allophones et des élèves en situation de handicap. Il est compliqué de faire cours avec les mêmes moyens quand le public n'est pas le même. L'école privée se facilite la tâche, si je puis dire, en triant ses élèves et en excluant ceux qui sont en difficulté, parfois même à quelques jours des examens, pour préserver son taux de réussite. On ne peut pas parler d'équité quand le jeu n'est pas le même.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

On ne peut parler du sujet qui nous réunit cet après-midi sans parler d'orientation. Vous l'avez d'ailleurs fait. De trop nombreux jeunes se freinent encore dans leurs ambitions, particulièrement ceux qui sont issus de milieux modestes. D'autres, issus de milieux plus favorisés, renoncent par exemple aux études professionnelles. Il me semble nécessaire de renforcer l'information non seulement des élèves, mais aussi des parents.

Vous avez parlé de représentations. L'école doit permettre aux élèves de découvrir d'autres horizons, leur montrer qu'il leur est possible d'atteindre leurs objectifs. Elle doit mieux les accompagner. Selon vous, comment répondre au mieux à ces besoins ?

En outre, il est urgent, indéniablement, de revaloriser la profession d'enseignant et de mieux accompagner les professeurs. Dans la situation actuelle, il ne leur est pas forcément possible d'exercer leur métier dans de bonnes conditions, alors que c'est fondamental pour l'épanouissement et la réussite des élèves. Nous devons donc donner davantage de moyens et de reconnaissance aux enseignants, dans un contexte où, rappelons-le, ce métier n'attire plus.

Je suis convaincue que, si l'accent n'est pas mis sur l'orientation et l'accompagnement des élèves, ainsi que sur la revalorisation des enseignants, la création de groupes de niveau au collège n'aura pas de grands effets sur l'apprentissage des élèves. Pourtant, le rôle de l'école est bien de garantir l'égalité des chances ; elle doit contribuer à effacer les inégalités sociales.

Ma question porte plus précisément sur l'apprentissage de la lecture, qui est un moyen, dès le plus jeune âge, de réduire ces inégalités. La maîtrise de la lecture est essentielle, car elle garantit le bon apprentissage des autres matières. Or, nous le savons, un enfant qui vit dans un milieu moins favorisé arrive à l'école avec un bagage lexical beaucoup moins important. En janvier dernier, nos collègues Annie Genevard et Fabrice Le Vigoureux ont remis à ce sujet un rapport riche en propositions. Pensez-vous que certaines solutions pourraient être appliquées rapidement ? Dans les pays scandinaves, l'apprentissage de la lecture se fait vers l'âge de 7 ans, soit un an plus tard qu'en France, ce qui permet aux enfants de disposer d'un bagage plus complet et de réduire les écarts en matière de lecture. Que pensez-vous de cette solution ?

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Effectivement, les élèves ne sont pas suffisamment accompagnés pour leur orientation. La réforme du lycée prévoyait cinquante-quatre heures pour aider et accompagner les élèves sur ces questions. Or ces cinquante-quatre heures n'ont pas été financées – et ne le sont d'ailleurs toujours pas – dans les dotations des établissements. Ces cinquante-quatre heures existent sur le papier, non dans la réalité : les élèves ne bénéficient donc pas de cet accompagnement. Encore une fois, il y a les annonces et il y a la réalité.

Debut de section - Permalien
Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU

J'ai évoqué brièvement l'apprentissage de la lecture dans mon propos introductif. Oui, il est essentiel de savoir lire, mais il faut s'entendre sur ce que cela signifie : savoir lire, ce n'est pas seulement décoder, c'est aussi comprendre. C'est pourquoi la lecture se travaille dès la maternelle, par le langage.

Vous avez raison, tous les enfants n'apprennent pas à lire au même âge ; il faut le temps pour apprendre à lire. Certains élèves savent lire un mois après leur arrivée en CP, tandis que d'autres ont besoin de trois mois. Il faut effectivement prendre le temps d'enseigner la lecture. Il ne faut donc pas mettre en cause les cycles d'apprentissage, notamment celui de l'apprentissage de la lecture, qui dure jusqu'en CE1. Or, avec les évaluations nationales, on met la pression sur les élèves et sur les enseignants pour l'apprentissage de la lecture.

J'y insiste : lire, c'est vraiment comprendre. Quand un élève saisit le sens de ce qu'il lit, quand il comprend l'implicite, il peut comprendre un texte scientifique, un texte historique ou un problème de mathématiques. C'est alors beaucoup plus simple pour lui. C'est aussi ce qui manque aux élèves les plus en difficulté, à ceux qui n'ont pas acquis cette culture à la maison. Ceux qui ont acquis cette culture à la maison pourront toujours s'en sortir, grâce à la littérature enfantine ou à des ouvrages qui leur permettront d'apprendre à lire.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite parler moi aussi d'orientation – non pas de Parcoursup, mais de l'affectation dans les collèges et les lycées. Lorsque vous avez évoqué les secteurs multicollèges, madame Morvan-Dubois, vous avez dit, me semble-t-il, une chose inexacte. A priori, dans les mécanismes d'affectation au collège puis au lycée, les notes n'entrent quasiment pas en ligne de compte ; ce qui entre en ligne de compte, c'est le district, autrement dit le lieu d'habitation, et le fait d'être boursier. L'affectation se faisant en fonction d'un nombre de points, un élève boursier a beaucoup plus de chances d'obtenir une affectation donnée qu'un élève non boursier. Pouvez-vous me confirmer que tel est bien le cas, madame Vénétitay ou madame David, vous qui êtes enseignantes et représentantes syndicales ?

Ma seconde question s'adresse à vous, madame Allouch, en votre qualité d'universitaire. Lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale, Pap Ndiaye avait mené une réflexion sur la mixité sociale et scolaire. Que pensez-vous de la mesure qui consisterait à proratiser les moyens alloués aux écoles privées en fonction des publics qu'elles accueillent ? On retiendrait à la fois des critères sociaux et des critères scolaires.

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Le fait d'être boursier donne effectivement plus de chances d'être affecté dans un collège ou un lycée déterminé – étant entendu que le barème peut varier selon les académies. L'idée est de favoriser une forme de mixité sociale et scolaire. Néanmoins, le système présente des imperfections : il arrive que l'on contourne l'affectation dans tel ou tel lycée de secteur en jouant sur la carte des formations. En tout cas, je confirme : le principe est bien celui que vous avez énoncé, madame Rilhac, et ce que vous avez dit est plutôt vérifié.

J'aurais beaucoup à dire sur les effets que pourrait avoir, tant sur le public que sur le privé, la mesure que vous évoquez. Néanmoins, je vais laisser Mme Allouch répondre sur ce point.

Debut de section - Permalien
Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE

Je me permets de prendre la parole, puisque vous estimez, madame Rilhac, que j'ai commis une erreur. Les notes sont prises en compte pour l'affectation dans les cursus spécifiques, qui sont un moyen de contournement très efficace. Or il existe de nombreux cursus spécifiques, y compris au niveau du collège. En outre, dès lors qu'il y a un choix à faire entre plusieurs lycées, les notes sont bien évidemment un des critères retenus.

Debut de section - Permalien
Annabelle Allouch, maîtresse de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne

Le dispositif qui consisterait à obliger les établissements privés à accueillir des boursiers pour assurer la mixité sociale n'a jamais été mis en œuvre. Selon moi, il ne pourrait être efficace qu'à la condition d'assurer le maintien d'une mixité dans le public et d'attribuer des moyens suffisants à celui-ci pour éviter le passage des élèves dans le privé. Les deux doivent aller de pair. Cela vaut notamment pour les académies où l'offre du privé est très développée dans le secondaire – non seulement l'académie de Paris, mais aussi certaines académies rurales comme celle d'Amiens, que je connais bien. En tout cas, pour assurer la mixité sociale dans le secondaire – ce qui aurait évidemment des conséquences pour l'accès à l'enseignement supérieur –, il faut réguler le privé, ainsi que le relèvent tous les rapports de l'Inspection générale de l'éducation nationale.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les politiques actuelles accroissent le tri social – j'y reviendrai dans une question que je poserai au Gouvernement –, sachant que le tri scolaire produit du tri social depuis très longtemps, hélas, dans notre pays. J'aimerais connaître votre avis d'universitaire ou de représentante du personnel sur la manière d'améliorer les dispositifs existants.

Ma première question s'adresse à Sophie Vénétitay. Bien qu'elle soit en œuvre depuis plusieurs années, l'éducation prioritaire, on le voit bien, n'a pas atteint ses objectifs, parce qu'elle n'arrive pas à contrecarrer les mécanismes et les effets de la ségrégation urbaine. On m'a signalé en outre un effet de stigmatisation des écoles qui bénéficient de l'éducation prioritaire, ce qui a une conséquence assez simple : une désertion des classes favorisées, soit qu'elles trouvent les moyens de contourner la carte scolaire – le phénomène est très ancien –, soit qu'elles choisissent le privé, ce qui est de plus en plus fréquent. Comment résoudre ce problème ? Comment éviter l'échec de l'éducation prioritaire ? À mon avis, il faut mettre autour de la table non seulement l'ensemble des acteurs scolaires, notamment ceux de l'éducation prioritaire, mais aussi ceux de la politique de la ville.

Ma seconde question s'adresse à Annabelle Allouch. Je défends l'idée d'abandonner la sélection pour l'accès en licence générale, autrement dit d'abandonner la logique de Parcoursup. Il y a évidemment un préalable : il faut d'abord augmenter les moyens pour qu'il y ait suffisamment de maîtres de conférences et de locaux pour accueillir tous les étudiants. Néanmoins, lorsque je prône l'abandon de Parcoursup, on me demande souvent comment l'on ferait pour affecter les étudiants. À cet égard, je défends l'idée d'une sectorisation de l'accès à l'enseignement supérieur, mesure qui fera l'objet d'une proposition de loi que je déposerai prochainement. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet. Il s'agirait d'éviter la répétition des mêmes problèmes, à savoir le cantonnement des étudiants, notamment ceux de Seine-Saint-Denis, à des universités qui seraient ghettoïsées.

En matière d'éducation prioritaire comme en matière d'affectation des étudiants, si l'on devait procéder de façon complètement différente, comme pourrait-on faire ?

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Effectivement, l'éducation prioritaire ne va pas bien. Revenons sur son évolution au cours des dernières années. Lorsqu'on a établi la carte du REP – réseau d'éducation prioritaire – et du REP+ – réseau d'éducation prioritaire renforcé –, on a certes privilégié une logique de réseau, mais on a surtout fait passer une logique de moyens avant une logique de besoins. À ce moment-là, nous avons pu participer à des discussions dans les académies et au niveau national. Or, lorsque nous avons mis en avant les besoins de certains établissements en nous fondant sur des indicateurs statistiques, lorsque nous avons fait valoir que tel ou tel collège pourrait relever de l'éducation prioritaire compte tenu de son IPS et de son taux de boursiers, on nous a opposé que le nombre d'établissements REP était fermé, verrouillé, et que, dès lors, l'établissement considéré ne pourrait pas être retenu. Autrement dit, l'éducation prioritaire a été fortement resserrée.

Qui plus est, si l'on analyse les DHG attribuées au cours des cinq ou six dernières années aux établissements relevant de l'éducation prioritaire, on constate que certains d'entre eux, notamment des établissements REP, ont perdu des moyens. De ce fait, il arrive qu'il y ait vingt-huit ou vingt-neuf élèves par classe dans des collèges REP. Dans ce cas, il ne s'agit plus vraiment d'éducation prioritaire. D'ailleurs, cela renforce la concurrence déloyale des établissements privés, qui communiquent sur le fait qu'ils peuvent accueillir les enfants dans de meilleures conditions.

Il faudrait reprendre complètement le dossier en établissant une véritable carte de l'éducation prioritaire, fondée sur des indicateurs partagés et transparents, et intégrant les lycées – lesquels ont été retirés de l'éducation prioritaire. Il conviendrait de partir des besoins, le nombre des établissements ne devant pas être verrouillé par la limitation des moyens.

Debut de section - Permalien
Annabelle Allouch, maîtresse de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne

Oui, un retour à la sectorisation est possible, à condition qu'elle soit décidée finement au niveau de chaque discipline. Il existe une demande des universitaires en ce sens, notamment en Île-de-France, pour assurer plus de mixité sociale dans des universités comme Nanterre ou Paris VIII.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je poserai deux questions. La première s'adresse plutôt à la sociologue et la seconde aux syndicats, mais vous pourrez y répondre comme vous voudrez.

Il me paraît important de revenir sur les groupes de niveau qui seront instaurés à la rentrée prochaine en mathématiques et en français dans les classes de sixième et de cinquième. Les inégalités sociales à l'école sont réelles. Comme le montre la dernière étude Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), les résultats des élèves français sont fortement corrélés à leur niveau social. Pourquoi donc créer des groupes de niveau, si ce n'est pour mener une politique de tri social ? Nous nous y opposons fermement et je crois que les intervenantes partagent notre opinion. Il faut absolument remédier au déterminisme social dans les résultats des élèves, mais comment faire ? Ma première question est donc la suivante : que peut-on proposer pour faire réussir nos élèves, quel que soit leur milieu social ?

Je suis persuadée qu'une politique ambitieuse de réduction du nombre d'enfants par classe permettrait aux élèves d'apprendre dans de meilleures conditions, avec des enseignants plus à même de travailler sur les difficultés individuelles de ceux qui en ont besoin. La baisse démographique devrait nous servir à retrouver des classes à taille humaine, mais le Gouvernement a fait le choix de mener une politique de suppressions de postes annuelles depuis 2017. De ce fait, les classes continuent à être surchargées, ce qui a pour conséquence de dégrader l'apprentissage des élèves et les conditions de travail des enseignants. Ma seconde question est donc celle-ci : quelles mesures peuvent être prises pour réduire les inégalités sociales dans les établissements scolaires ?

Je rappelle que la moyenne nationale est une moyenne fictive et qu'il faut regarder ce que les enseignants et les élèves vivent au quotidien. Pour vous donner un exemple, en Seine-Saint-Denis, elle est de 31 élèves par classe en moyenne section de maternelle.

Debut de section - Permalien
Annabelle Allouch, maîtresse de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne

Merci pour cette question ambitieuse. L'apport de la sociologie de l'éducation concernant les groupes de niveau est clair : la totalité des enquêtes réalisées en France et dans les pays européens, notamment en Grande-Bretagne, indiquent que les groupes de niveau ne font qu'amplifier les inégalités. De mon point de vue de sociologue, les réformes actuelles sont surprenantes et soulignent malheureusement le faible impact que nous avons en tant qu'universitaires. C'est en partie la raison pour laquelle je suis contente d'être ici. La condition indispensable pour que les groupes de niveau fonctionnent est l'existence d'espaces d'échange entre les enseignants en vue de permettre à ceux-ci de faire évoluer les élèves d'un groupe à l'autre. Cette condition n'est jamais remplie à l'école publique, quel que soit le système éducatif. En Angleterre, il est de notoriété publique que les groupes de niveau ne fonctionnent pas et qu'ils n'ont pas d'autre effet que celui de renforcer les inégalités ou d'effectuer un tri social qui peut être politiquement désirable aux yeux de certains.

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

La recherche a montré que les groupes de niveau n'étaient pas efficaces. Actuellement, les professeurs, les chefs d'établissement et les inspecteurs sont contre. Il ne doit plus rester que Gabriel Attal pour les défendre. Quant à la ministre de l'éducation nationale, je ne sais pas si elle vous répondra, puisqu'elle laisse nos questions sans réponse depuis plusieurs jours – en revanche, on a assisté à une véritable cascade sémantique sur le sujet. Quoi qu'il en soit, pour lutter contre les inégalités et faire réussir tous les élèves, même les plus défavorisés, l'impératif est de les faire travailler en conservant l'hétérogénéité des niveaux, avec des effectifs plus réduits.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis du département du Cher, qui est à la fois rural et urbain – rurbain, donc. On entend monter la petite musique de la division entre le rural et l'urbain au sujet des suppressions de poste. Certains de mes collègues parlementaires proposent de supprimer les dédoublements en grande section, en CP et en CE1 pour recréer des postes en milieu rural et sauver ainsi les classes rurales. C'est un sujet qui mérite d'être pris en compte, sans quoi nous risquons de diviser encore davantage nos concitoyens. Quel est votre avis sur le sujet, sachant que les 650 postes de ce dispositif équivalent à 30 ou 35 millions d'euros, c'est-à-dire à l'épaisseur du trait dans le budget de l'État ?

Un deuxième sujet que nous n'avons pas encore évoqué est celui de l'uniforme. Si j'en parle, c'est parce qu'une classe doit fermer dans une école de ma circonscription qui lance l'expérimentation : elle compte 315 élèves, ce qui fait à peu près 60 000 euros d'uniformes ; avec cette somme, le poste est sauvé. Je me permets ce raccourci qui a le mérite d'être clair. Que pensez-vous de l'uniforme et croyez-vous qu'il réglera la question du tri social ?

Ma troisième question porte sur les cités éducatives. On a parlé tout à l'heure des REP et des REP+. Ne pensez-vous pas que la généralisation des cités éducatives soit de nature à permettre d'améliorer les performances de tous les élèves ?

Enfin, ma quatrième question est plus anecdotique. À la suite des polémiques de janvier, comme tout le monde, je suis allé voir ce qu'était le collège et lycée Stanislas. J'ai vu que sa devise était : « Français sans peur, chrétien sans reproche. » J'ai très peur d'une telle devise, et je me demande si la dernière phrase n'est pas : « Sus à Jérusalem ! »

Debut de section - Permalien
Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU

Au sujet de la carte scolaire, on ne peut pas opposer urbain et rural, car le rural présente des conditions particulières que l'on ne retrouve pas en milieu urbain. On pourrait parler des écoles de montagne ; je sais que les maires de montagne sont très mobilisés sur la question. S'il y a parfois des effectifs très allégés en milieu rural, c'est parce qu'il n'y a pas d'école à moins de 20 ou 30 kilomètres ; pour attirer les parents dans ces communes, il faut bien évidemment y maintenir les écoles. Je ne sais pas si la discussion lancée par Élisabeth Borne avec les maires au sujet d'un moratoire de trois ans pour la préparation de la carte scolaire a abouti. Il me semble qu'il n'en est pas ressorti grand-chose, mais ce dialogue est nécessaire.

Au sujet de l'uniforme, ma réponse sera courte et elle ne vous surprendra pas : il ne sert à rien. On le sait, ce n'est pas la peine de faire des enquêtes et des études sur le sujet. Cette mesure n'aura pas d'effet sur les inégalités sociales et elle fait dépenser inutilement un argent dont nous aurions bien besoin pour mettre des enseignants dans les classes, recruter des remplaçants et faire réussir les élèves. Cela, les enseignants le disent, et les parents le diront peut-être.

Debut de section - Permalien
Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE

Concernant le choix cornélien entre rural et urbain, les parents préféreraient effectivement que les 2 milliards d'euros qui seront consacrés aux uniformes servent à financer l'enseignement.

Pour ce qui est des cités éducatives, l'expérimentation nous paraît à même de permettre réellement à la communauté de dialoguer autour de l'éducation et de l'école. Dans le 18e arrondissement de Paris, on a vu que le dispositif permettait réellement de remobiliser des parents éloignés de l'école.

Je ne ferai pas de commentaire sur Stanislas, mais la FCPE est très attachée à la laïcité.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes questions s'adressent principalement à Mmes les représentantes des parents d'élèves et des organisations syndicales. Je tiens à saluer votre présence et à exprimer mon plaisir de vous voir de nouveau à l'Assemblée, mesdames les représentantes des syndicats, malgré l'accueil scandaleux qui vous a été fait en septembre dernier dans cette même salle, et j'exprime le souhait qu'une page se tourne en matière de mépris. Il est malheureusement permis d'en douter au vu des dernières annonces de coupes budgétaires, sur fond de choc des savoirs, qui ont été reçues très largement comme une nouvelle marque de mépris, aussi bien par les enseignants, à l'instar de ceux qui se mobilisaient devant le rectorat de Paris en début d'après-midi, que du côté des parents, à commencer par les mamans des quartiers que j'ai reçues cet après-midi avec ma collègue Rachel Kéké.

Vous avez dit tout le mal que vous pensiez du choc des savoirs. Je partage avec vous l'impression que les groupes de niveau et l'instauration d'une sélection à tous les étages aboutissent à un enseignement au rabais et à un renoncement à l'élévation générale du niveau des élèves, c'est-à-dire à une école du tri. Cela étant dit, d'un point de vue concret, comment vous représentez-vous l'instauration des groupes de niveau et des redoublements, dont on sait qu'elle mènera de fait à une augmentation des effectifs des classes, au vu des dernières annonces budgétaires ? Pour ceux qui n'auraient pas suivi, je rappelle que le PLF pour 2024 comptait environ 2 200 suppressions de postes, dans la continuité des 10 000 postes supprimés depuis 2017. Or 2 137 postes d'enseignants supplémentaires ont été annoncés il y a deux mois par Gabriel Attal, dans un retournement de veste par rapport au budget adopté à coups de 49.3. Après quoi la nouvelle ministre, Mme Belloubet, a annoncé 700 millions de coupes – dont elle prétend qu'ils n'ont rien à voir avec des suppressions de postes. De quelles informations concrètes disposez-vous concernant la ventilation de ces coupes ? Et surtout, comment vous représentez-vous la mise en place des groupes de niveau et des redoublements dans un contexte de baisse des effectifs enseignants ?

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Concernant les moyens alloués aux groupes de niveau, le ministre Gabriel Attal avait annoncé 2 500 emplois supplémentaires, obtenus grâce au redéploiement d'un dispositif existant et à la création de 830 emplois. Au comité social d'administration ministériel du mois de décembre dernier, il avait annoncé que ces 830 emplois seraient créés sur les réserves de trésorerie du ministère. Alors, forcément, quand on entend dire que les 700 millions de coupes seront faits sur ces mêmes réserves, on se demande ce qui va se passer. Pour l'instant, quand on interroge le ministère à ce sujet, on n'obtient pas de réponse claire. Quand j'ai joint le cabinet vendredi dernier, on m'a dit : « Pas du tout, ces emplois seront financés en fin d'année. » On ne sait donc pas comment seront financés les 830 emplois qui doivent être créés pour les groupes de niveau.

Concernant la mise en place concrète des groupes de niveau, il est extrêmement difficile de déterminer comment elle se fera dans les établissements. On parle de créer deux ou trois groupes mais, même quand on arrive à obtenir les heures nécessaires pour cela, on se rend compte qu'il n'y a pas suffisamment de professeurs pour les assurer. J'ai entendu à plusieurs reprises la ministre dire : « Les postes, nous les aurons. » Mais aurons-nous du monde pour pourvoir ces postes ? La question reste posée.

Il y a donc un problème de fond, mais aussi des problèmes de mise en œuvre qui font que nous allons dans le mur avec les groupes de niveau.

Debut de section - Permalien
Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE

La vision des parents est que les élèves seront entassés dans les groupes de niveau et que les limites d'effectifs, qui étaient plus ou moins respectées jusqu'à présent, vont exploser. Nous craignons aussi que d'autres dispositifs, comme les Rased, ne disparaissent au motif qu'il y a besoin de moyens ailleurs. Nous exprimons enfin notre grande inquiétude concernant les dédoublements en sciences et en langues, qui ne pourront plus avoir lieu du fait d'un emploi du temps impossible à tenir et du manque de moyens nécessaires au recrutement des enseignants.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous venez de répondre en partie à la question que je me posais concernant les effets de la création des groupes de niveau sur le reste des enseignements. Les retours qui me parviennent de ma circonscription m'inquiètent : ils indiquent, comme vous, que ces redéploiements porteraient préjudice aux autres enseignements.

Ma deuxième question est peut-être légèrement provocatrice : avez-vous compris ce que signifie le « réarmement » de l'école et, d'après la manière dont il vous a été expliqué, comment l'envisagez-vous ? J'ai le sentiment qu'une telle méthode risque d'abord d'accentuer le tri social à l'école, par l'intermédiaire du choc des savoirs, des groupes de niveau et de tout ce qui a été annoncé. En outre, il me paraît quelque peu problématique de promouvoir une école de la mise au pas, qui s'appuie avant tout sur son autorité.

Je voudrais donc vous interroger sur cet aspect des dispositifs prévus : comment voyez-vous les choses ? Je me demande si cet empêchement éducatif, tel que je préfère le nommer, ne vient pas alimenter la crise de sens qui se fait jour parmi les enseignantes et les enseignants. J'aimerais votre avis sur la manière dont toutes ces annonces sont accueillies parmi la profession : n'ont-elles pas aussi un effet sur l'envie et la mobilisation des enseignants et sur notre capacité à en recruter de nouveaux ?

Debut de section - Permalien
Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU

Je voudrais d'abord dire que lorsqu'un ministre passe son temps à dire aux enseignants ce qu'ils doivent faire dans leur classe – je rappelle qu'à la rentrée dernière, on nous a dit combien de dictées nous devions faire par jour, quels textes nous devions lire et quelle devait être leur longueur –, cela pèse sur le métier. De telles injonctions sont très pesantes et les nombreuses démissions ou demandes de rupture conventionnelle témoignent de la perte de sens du métier, qui est bien réelle. Nous avons besoin que l'on nous fasse confiance et nous voulons pouvoir continuer à exercer notre liberté pédagogique.

Pour les enseignants, ce retour proclamé à l'autorité est insupportable : ils ont déjà de l'autorité dans leurs classes ! Si le climat scolaire est si peu apaisé, c'est aussi parce qu'il y a trop d'élèves dans chaque classe. Cela a été dit : quand une classe de moyenne section de maternelle compte trente élèves – cela arrive –, il est impossible de s'occuper de tous.

Le retour à l'ordre et à l'autorité n'est donc pas très bien vécu par les enseignants : on entend râler dans les salles des maîtres ! Et ce phénomène va faire boule de neige dans les années à venir, parce que certains vont laisser tomber.

Enfin, s'agissant du redoublement, on dit désormais qu'on ne laissera plus les élèves qui n'ont pas le niveau passer dans la classe supérieure. Mais qu'en fera-t-on ? On ne peut pas laisser les élèves redoubler sans créer des dispositifs adaptés à l'intérieur des classes ; et sans moyens, ce n'est pas possible. Il faut faire de la prévention plutôt que d'empêcher les élèves d'aller plus loin tout en leur faisant faire des stages de remise à niveau l'été, ce qui les prive, eux qui sont issus des milieux populaires, de vacances et de séjours hors de chez eux, qui leur seraient pourtant beaucoup plus profitables.

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

S'agissant des groupes de niveau, on assiste en effet à des redéploiements d'heures qui conduisent finalement à la suppression de dispositifs qui fonctionnent pour les élèves en difficulté. On voit toute l'absurdité de la mesure : on est en train de supprimer des dédoublements et des heures de soutien, dont on sait qu'ils fonctionnent, pour un dispositif dont tout montre qu'il ne fonctionnera pas.

L'autorité, ensuite, ne se décrète pas depuis la rue de Grenelle : elle se construit au quotidien dans les classes. Sinon, ça ne marche pas – et j'en sais quelque chose du haut de mon mètre cinquante-huit, car il se trouve que dans mes classes, ça marche !

Enfin, il faudra surveiller de très près le déploiement du service national universel (SNU) ; pour ce qui nous concerne, nous l'observons avec beaucoup d'inquiétude.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais d'abord vous interroger sur l'IPS, un outil au service de la mixité que l'on sous-exploite. Comment pourrions-nous mieux l'utiliser pour favoriser la mixité dans les écoles privées, mais aussi et surtout dans les écoles publiques ?

Ensuite, je trouve que l'uniforme est un outil de tri social. Ceux qui en sont les promoteurs s'attachent à minimiser son impact, en expliquant qu'il ne concernera que quatre-vingt-dix classes à titre expérimental et que ce n'est donc pas grand-chose. Ce matin, Nicole Belloubet disait que son objectif est de pacifier les classes et de lutter contre le harcèlement.

Mais à mon sens, l'uniforme est un cache-misère, et ce de deux manières, car s'il cache la misère bien réelle de certains enfants, il suffit d'avoir enseigné une heure pour savoir que la misère ne se niche pas que dans la tenue vestimentaire :il cache aussi la misère de l'éducation nationale dans son ensemble ! C'est bien pratique, un uniforme, nous dit-on : ça va calmer les élèves et mettre fin au harcèlement scolaire. Mais à l'adolescence, on trouve mille façons de harceler un camarade, et la tenue vestimentaire n'en est qu'une parmi d'autres.

Si l'uniforme m'inquiète, c'est aussi parce que l'adolescence est l'âge auquel on s'affirme, notamment par sa tenue vestimentaire ; c'est le moment où l'on essaie d'acquérir une position dans la société, et particulièrement dans le microcosme qu'est le collège. Vouloir uniformiser la société, c'est aussi charger l'école de créer de bons petits soldats qui seront tous habillés de la même manière – avant, peut-être, de tous penser de la même manière. Cela m'inquiète, contrairement à la ministre ; et vous, qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

L'IPS est en effet un outil très intéressant, d'abord pour dresser un constat sur ce qui se passe dans le public comme dans le privé. Il me semble que cet indice pourrait nous permettre de travailler sur la sectorisation et la carte scolaire, en cherchant à brasser davantage les élèves en fonction de leur origine sociale.

S'agissant de l'uniforme, beaucoup de choses ont été dites ; aujourd'hui, l'école n'en a pas besoin. Le récit que l'on entend sur le manque d'autorité à l'école est faux : l'autorité se construit au quotidien dans les classes, et elle est rendue possible quand l'enseignant est mis dans de bonnes conditions, et non à la faveur d'un bout de tissu ou grâce aux rodomontades de la rue de Grenelle.

Debut de section - Permalien
Ghislaine Morvan-Dubois, administratrice nationale de la FCPE

Je voudrais compléter ce qui a été dit à propos de l'IPS. C'est un outil essentiel, dont la publication a provoqué un choc parmi les parents et dans l'ensemble de la population. Il ne faudrait pas qu'un IPS bas devienne un repoussoir, comme l'est l'étiquette REP+ dont nous parlions tout à l'heure. La FCPE demande aussi que l'IPS moyen à partir duquel sont calculés les écarts-types soit réévalué pour être plus représentatif. En effet, l'IPS utilisé actuellement est celui qui a été défini dans la littérature il y a déjà une quinzaine d'années ; il est déterminé à partir du métier des parents, qui sert de variable de substitution. Or l'IPS d'un élève dont les parents sont enseignants, par exemple, ne reflète malheureusement plus la même réalité qu'il y a quelques années.

Debut de section - Permalien
Annabelle Allouch, maîtresse de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne

En complément de ce qui vient d'être dit et auquel je souscris pleinement, l'IPS est un outil essentiel pour les chercheurs ; des équipes de chercheurs ont déjà commencé à l'utiliser pour mieux comprendre les formes que prennent le contournement de la carte scolaire et la manière dont on choisit en quelque sorte son école, notamment dans certains quartiers – je pense en particulier à la petite couronne de Paris. C'est un outil très fin qui peut être utile, à condition qu'il soit régulièrement mis à jour, conformément à ce qui a été dit.

Suspension et reprise de la séance

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, mesdames, pour votre participation à nos travaux. Avant de passer à la seconde partie du débat, je suspends la séance pour cinq minutes, le temps d'accueillir Mme la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, Nicole Belloubet.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à dix-neuf heures dix.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Merci, mesdames et messieurs les députés, de m'accueillir pour ce qui est ma première intervention devant vous depuis que j'ai été nommée ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, et je remercie le groupe GDR – NUPES d'avoir organisé ce débat.

C'est en effet un sujet majeur que vous avez choisi de traiter et, à rebours de l'idée de « tri social » – une expression que l'on trouve dans l'intitulé même du débat –, ma préoccupation, en tant que ministre de l'éducation, est d'assurer au maximum la mixité sociale et la mixité scolaire, et de tout faire pour qu'elles puissent progresser de concert. L'ensemble du système que j'appelle de mes vœux doit donc contribuer à la réduction des inégalités scolaires, qui sont bien entendu corrélées aux inégalités sociales. En effet, je pense que l'école est fondamentalement le produit de la solidarité républicaine, et je m'inscris ici dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2017, mue par l'ambition de contribuer à la réduction de ces inégalités scolaires et sociales.

Je me réfère en premier lieu au code de l'éducation lui-même et à son article L. 111-1, qui est à mon sens celui qui exprime le mieux notre objectif. Il précise en effet que le service public de l'éducation veille « à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement », et que « l'acquisition d'une culture générale et d'une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. » Je crois vraiment que ces mots sont la boussole que nous partageons.

Pourtant, force est de constater que notre école ne satisfait pas pleinement la réalisation de cet objectif, en tout cas pas autant que nous pourrions le désirer. Cela a sans doute été mentionné lors de la table ronde qui a précédé notre échange, et de nombreux indicateurs viennent à l'appui de ce constat : la France se trouve être l'un des pays de l'OCDE où les déterminismes sociaux affectent de manière non négligeable la réussite scolaire des élèves.

L'étude du Pisa 2022 montre ainsi qu'en France, en mathématiques, l'écart moyen entre les élèves issus de milieux socio-économiques favorisés et ceux issus de milieux défavorisés est supérieur de 20 points à celui que l'on observe dans l'ensemble de l'OCDE, où il s'élève à 93 points. Un tel indicateur est très révélateur.

France Stratégie montre par ailleurs que les enfants des familles favorisées – c'est peut-être un truisme, mais il faut le rappeler – redoublent moins et mettent plus rarement fin à leur scolarité de manière précoce que ceux des familles défavorisées. Six ans après leur entrée au collège, 24 % des enfants de milieu modeste ont arrêté leur scolarité, avec ou sans diplôme, contre 8 % de ceux issus d'un milieu favorisé. Et cinq ans après leur entrée au collège, plus de 80 % de ces derniers sont inscrits dans une seconde générale et technologique, contre 35,6 % des élèves issus d'un milieu défavorisé.

Le même constat peut être dressé pour ce qui concerne les choix d'orientation des élèves vers le lycée général et technologique : si 55,1 % des élèves de REP+ s'y destinent, le taux atteint 67,2 % hors REP et monte même jusqu'à 76,2 % parmi les élèves issus de collèges privés. Là encore, l'écart est très important. Enfin je mentionnerai un dernier chiffre particulièrement parlant : seuls 17,7 % des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles ont des parents ouvriers et employés, contre 53 % dont les parents sont cadres.

Notre système scolaire n'a pas permis de réduire ces écarts, qui reflètent les inégalités socio-économiques. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Face à ce constat, et parce que nous croyons fermement que la mixité sociale favorise la réussite de l'ensemble des élèves et qu'elle est au cœur de la promesse républicaine, le Gouvernement et la majorité mènent des politiques ambitieuses spécifiquement destinées à réduire les inégalités.

Je pense tout d'abord au dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les REP et les REP+, qui sera parachevé à la rentrée 2024 par son extension aux classes de grande section de maternelle. Les dernières évaluations de la mesure témoignent de son effet positif, tant pour la qualité de l'apprentissage que pour celle de l'enseignement par les professeurs, dont la formation a été renforcée. Partout ailleurs, le plafonnement à vingt-quatre élèves par classe des effectifs en CP et CE1 a eu les mêmes résultats – car les difficultés sociales et scolaires ne concernent pas les seuls REP et REP+, même si elles y sont singulièrement concentrées.

Une autre mesure de lutte contre les inégalités scolaires concerne l'allocation des moyens en emplois aux académies, laquelle tient systématiquement compte des IPS. Nous sommes également déterminés à favoriser la mixité sociale, d'une part en ouvrant plus largement les établissements installés en centre-ville à tous les élèves, d'autre part en renforçant l'attractivité des établissements moins favorisés, par l'enrichissement de leur offre de formation. Cette méthode d'allocation des moyens, fondée sur la prise en compte des taux d'encadrement, de l'évolution des effectifs et de l'IPS académique, favorise les académies dont les IPS moyens sont les plus bas.

Par ailleurs, le Gouvernement a présenté en mai 2023 un plan « mixité » afin de tirer les conséquences du constat d'une trop grande concentration, dans certains établissements, notamment privés, d'élèves issus de milieux socialement homogènes. Il visait à mieux articuler entre eux les dispositifs d'égalité des chances, à renforcer l'attractivité des établissements défavorisés en y développant une offre de formation élargie, ou encore à optimiser les procédures d'affectation des élèves. Un protocole a été signé dans ce cadre avec le secrétariat général de l'enseignement catholique pour impliquer pleinement l'enseignement privé sous contrat. Nous disposerons des premiers éléments d'évaluation à la rentrée 2024. Ils seront bien entendu étudiés avec la plus grande attention.

Enfin, le « choc des savoirs », qui a déjà fait l'objet de discussions,…

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

…s'inscrit lui aussi dans cet objectif de mixité sociale au sein des établissements. C'est en réponse au constat d'une fragilité persistante du niveau des collégiens dans les matières fondamentales, qui n'ont pas pleinement bénéficié des mesures engagées depuis 2017, que Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation nationale, a annoncé, le 5 décembre dernier, l'engagement de cette démarche. J'insiste sur son caractère global : il s'agit de remettre en marche l'ascenseur scolaire et de donner les moyens nécessaires pour répondre aux difficultés des plus fragiles tout en permettant à ceux qui sont le plus à l'aise de s'épanouir pleinement au collège. Ce plan s'appuie sur les conclusions de la mission « Exigence des savoirs » et de la consultation des personnels enseignants.

Ce choc des savoirs prévoit en particulier une mesure forte, à savoir l'instauration d'un travail en groupe dans les classes de sixième et de cinquième, en français et en mathématiques. Disons-le clairement : il ne s'agit nullement de mettre un terme au collège unique mais de permettre aux élèves de mieux acquérir les compétences qui leur manquent dans ces deux matières fondamentales. Le groupe classe, par nature hétérogène, perdurera. C'est essentiel pour combiner les apports de la mixité scolaire et des pédagogies différenciées pour les élèves. Ce principe ne sera pas remis en cause. L'objectif de la démarche est bien de proposer l'accompagnement le plus adapté possible aux besoins de chaque élève dans les matières fondamentales. C'est dans cet esprit que nous prévoyons des groupes à effectifs réduits, qui nous semblent être le cadre le plus à même de faire progresser les élèves qui éprouvent des difficultés à acquérir telles ou telles compétences.

Bien évidemment, ces dispositifs s'appliqueront en fonction des réalités du terrain. Les chefs d'établissement représentent l'atout majeur sur lequel nous devons nous appuyer et seront accompagnés par les inspecteurs, lesquels seront pleinement mobilisés pour déployer ces mesures et apporter l'expertise nécessaire à la réussite de cette réforme.

Au-delà du choc des savoirs, l'ensemble de notre action s'inscrit dans le sens d'un meilleur accompagnement de tous les élèves, à rebours de toute idée de sélection. Elle intègre ainsi, comme l'a annoncé le Président de la République, la généralisation à la rentrée 2024 du dispositif d'accueil des élèves de REP et REP+ dans leur établissement de huit heures à dix-huit heures, même quand ils n'ont pas cours.

Enfin, n'oublions pas l'importance de l'orientation des élèves et de l'accompagnement qu'elle peut nécessiter. Afin de lutter contre les déterminismes, notamment géographiques, qui contribuent au maintien des inégalités scolaires liées aux inégalités socio-économiques, il est essentiel de mener une politique qui favorise la mobilité des élèves et abaisse les barrières qui assignent à résidence. La création de places en internat et le zéro reste à charge en la matière sont à cet égard des mesures très importantes.

Les échanges se poursuivent avec les syndicats, les enseignants, les inspecteurs, les principaux et les représentants de parents d'élèves pour appliquer au mieux notre politique. Vous pouvez compter sur mon entière mobilisation pour lutter contre les inégalités.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en venons aux questions, dont la durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. Frédéric Maillot.

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Le tri social, c'est l'art de faire des choix. En l'espèce, ceux qui sont opérés montrent que ce gouvernement n'est toujours pas disposé, pas plus aujourd'hui qu'hier, à nommer un ministre qui aime l'école publique. Le fantôme d'Amélie Oudéa-Castéra semble encore planer au-dessus de ce ministère.

Vous avez décidé de faire des économies sur le dos de l'école publique, qui s'est ainsi vu retirer 592 millions d'euros alors que l'école privée ne sera amputée que de 100 millions. En deux mots, vous faites une nouvelle fois des économies sur le dos de nos enfants, en particulier des plus fragiles.

Depuis mon élection, je n'ai jamais manqué une occasion de me tenir aux côtés des enseignants ou des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) chaque fois qu'ils se sont mis en grève pour réclamer plus de moyens. Comment justifiez-vous la réduction de près de 390 millions d'euros de l'enveloppe budgétaire qui couvre leur rémunération ? Une coupe aussi drastique montre bien que le Gouvernement a décidé de rester sourd à la colère légitime de ces professionnels.

La ségrégation sociale flagrante que nous évoquons depuis le début de nos échanges se perpétue, comme en témoigne une école orpheline de ma circonscription de l'île de La Réunion, l'école primaire Primat. Je n'ai eu de cesse de réclamer aux quatre ministres qui se sont succédé à votre poste au cours des deux dernières années qu'elle rejoigne les réseaux d'éducation prioritaire car elle en remplit toutes les conditions. Je vous demande de redécouper la carte scolaire ou de prendre un décret pour classer l'établissement en REP+.

Enfin, Nicolas Sansu nous a appris tout à l'heure que la devise du collège Stanislas était « Français sans peur, chrétien sans reproche ». Est-elle bien conforme à notre devise républicaine ?

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Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

S'il est un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec vous, c'est lorsque vous prétendez que je n'aime pas l'école publique. Je suis au contraire un pur produit de cette école. Ma famille a fait ses classes, depuis des générations, à l'école publique. Ce sujet me passionne et je ferai tout pour que l'école publique mène les élèves à l'excellence et réduise les inégalités.

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Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

S'agissant de la participation à l'effort collectif demandé aux différents ministères, celui de l'éducation nationale devra rendre 683 millions d'euros. J'ai eu l'occasion d'indiquer que nous pourrons, pour ce faire, restituer des crédits mis en réserve, c'est-à-dire des crédits qui étaient gelés, ce qui n'aura donc pas de conséquence pour le financement des mesures annoncées. Aucun poste ne sera supprimé et les emplois prévus pour mener les réformes en cours seront bien créés.

Pour ce qui est des AESH, nous souhaitons revaloriser leur fonction. Les organisations syndicales que j'ai rencontrées ont unanimement reconnu que l'école inclusive mérite toute notre attention car elle fait face à de graves difficultés. J'en suis parfaitement consciente. Je travaillerai avec les ministères concernés à la définition d'une politique cohérente en la matière.

Quant à la carte scolaire de La Réunion, je ne connais pas suffisamment la situation de l'école que vous mentionnez pour vous répondre immédiatement, mais nous allons nous y pencher. Je sais combien le sujet de la carte scolaire est sensible, mais soyez assurés que nous veillons à tenir compte des spécificités de chaque département. Je crois savoir que l'île de La Réunion perdra 473 élèves à la rentrée 2024 par rapport à la rentrée 2023 mais que, compte tenu du dédoublement des classes en REP, nous prévoyons d'y affecter trente-huit équivalents temps plein supplémentaires.

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S'il est un objectif qui doit tous nous rassembler au-delà des postures politiciennes, c'est bien celui de la poursuite de la lutte contre les inégalités de destin, priorité des politiques éducatives de la majorité présidentielle depuis 2017. La lutte contre le tri social fait partie de mes combats personnels depuis toujours. À ce titre, je salue la fermeté que vous avez manifestée il y a encore quelques instants pour le refuser ainsi que votre respect de l'école publique. Nous soutiendrons ces orientations.

Refuser le tri social, c'est favoriser la mixité, le mélange, le brassage, et lutter contre la concentration dans certains établissements d'élèves issus de milieux socialement homogènes, qu'ils viennent des familles les plus privilégiées ou au contraire de celles qui rencontrent les plus grandes difficultés. L'examen des IPS des écoles montre que ce phénomène persiste. D'après les données de l'OCDE, la France est un des pays au sein duquel les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves.

Or la mixité est un facteur de réussite. Les études internationales montrent qu'elle a des effets positifs sur les résultats scolaires. Elle est en outre gage de cohésion sociale dès le plus jeune âge, car elle permet aux élèves de mieux se connaître en partageant des moments communs. Nos politiques publiques éducatives ont pour ambition de donner à chacun des élèves et à leurs familles la possibilité de faire des choix éclairés afin de suivre des études conformes à leur motivation, leurs compétences, leurs aspirations, et même leurs rêves. Elles ne trient pas : en donnant les clés de compréhension des exigences scolaires, elles permettent une véritable émancipation afin que les lieux de naissance, les origines sociales ou les héritages culturels n'affectent pas la réussite sociale et scolaire de nos enfants.

Pour honorer la promesse d'égalité des chances de l'école de la République, il faut en finir avec les ghettos scolaires et l'assignation à résidence sociale. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour renforcer la mixité sociale et scolaire dans nos écoles ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Les inégalités persistent et nous devons, nouveaux Sisyphe, toujours remettre l'ouvrage sur le métier et élaborer des politiques nouvelles afin de les combattre. Plusieurs dispositifs ont été déployés depuis 2017, parmi lesquels le plan « mixité » et le dédoublement des classes. Le plan « mixité », dont les premiers éléments d'évaluation nous serons bientôt communiqués, vise à diversifier la composition sociale des collèges. À cette fin, nous avons ajusté les secteurs de recrutement des élèves et, par le biais de processus complexes que je ne détaillerai pas ici, cherché à les délimiter de façon équilibrée afin d'augmenter la mixité sociale des établissements. Il nous faut continuer à travailler en ce sens.

Nous avons également créé des formations contingentées – classes à horaires aménagés, sections internationales, sections sportives – qui instituent un critère de mixité sociale fort dans les établissements. Dans l'académie de Toulouse, au sein de laquelle j'ai longtemps travaillé, nous avions ainsi implanté des classes très attractives dans un établissement situé en zone d'éducation prioritaire (ZEP). Cette expérience avait été couronnée de succès.

Une autre mesure importante – et attendue – consiste à impliquer davantage le secteur privé sous contrat dans les efforts en faveur de la mixité sociale, dans le respect du libre choix des familles.

Afin que les élèves issus de milieux moins favorisés intègrent plus facilement de bons établissements, nous avons fait en sorte, depuis la rentrée 2023, que les académies accentuent l'accueil et l'accompagnement des élèves boursiers dans les collèges et lycées favorisés. Nous souhaitons poursuivre dans cette voie.

Enfin, la modification du logiciel Affelnet (affectation des élèves par le net), engagée en 2021, a permis de résorber significativement la véritable ségrégation sociale qui avait cours dans les lycées de la capitale.

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En conclusion de votre propos liminaire, vous avez dressé un constat d'échec quant à la réduction de la fracture scolaire. Vous attribuez nos médiocres performances à un défaut de mixité sociale, estimant qu'il faut ouvrir les établissements de centre-ville à davantage de mixité et rendre plus attractifs les collèges situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Vous avez également annoncé un plan « mixité » destiné à empêcher l'entre-soi dans le privé.

Nous estimons, pour notre part, que le fait d'imputer les médiocres performances de l'école à un défaut de mixité sociale est historiquement et sociologiquement inexact et revient à confondre les effets et les causes. Surtout, cette thèse masque mal le fond du problème, à savoir l'effondrement qualitatif et moral de notre système éducatif.

Il a toujours existé des écoles de quartier, des écoles de village, de centre-ville, de banlieue ; ces établissements étaient socialement homogènes car ils étaient le reflet de la composition de leur quartier et la mixité n'y existait pas plus qu'aujourd'hui. Cette situation ne posait toutefois pas de difficulté, parce que les familles avaient l'assurance que les élèves recevaient partout le même enseignement. La véritable mixité consiste à appliquer le même niveau d'exigence au fils de paysan du Cantal, à la fille du mineur de Bruay ou au fils du notaire de Strasbourg : elle offre à chaque élève, dans chaque école publique, le même niveau de qualité de transmission des savoirs.

C'est l'accumulation, depuis des décennies, de réformes ineptes – menées d'ailleurs aussi bien sous la gauche que sous la droite – qui a détruit la qualité de l'enseignement public. Comment pouvez-vous faire semblant d'ignorer que la perte de l'équivalent de deux années d'enseignement du français entre 1975 et aujourd'hui explique au moins en partie pourquoi 50 % des élèves entrant en sixième ne lisent pas de manière fluide ? Et que dire du niveau en histoire, quand la moitié des 16-24 ans ignorent que 1789 marque le début de la Révolution française !

Vous avez voulu Bourdieu, Meirieu, Haby et le collège unique ; vous avez 11 % d'illettrés à l'âge de 17 ans. Bravo ! En retirant 691 millions d'euros d'un trait de plume à l'enseignement scolaire, vous montrez d'ailleurs où sont vos véritables priorités.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Je crains que vous n'ayez fait un contresens. Je n'ai jamais imputé les performances de notre système scolaire au manque de la mixité sociale – jamais ! C'est vous qui l'inventez.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Je constate simplement, d'une part, que notre système scolaire n'affiche pas les performances attendues et que devons, pour y remédier, assurer l'apprentissage des savoirs fondamentaux avec plus de solidité que nous ne l'avons fait jusqu'à présent ; et, d'autre part, que les inégalités scolaires restent très corrélées aux inégalités sociales. Je distingue bien ces deux éléments. Je m'étonne que vous les confondiez, en opérant un raccourci qui dénote une bien faible rigueur intellectuelle.

S'agissant de la réduction des inégalités scolaires corrélées aux inégalités socio-économiques, nous devons faire un effort car la République le requiert. La République est constituée de tous nos concitoyens. Nous devons prendre en compte chacun d'eux. Vous affirmez que dans les écoles de quartier, on avait la même exigence pour tous. Certes. Mais de quelle école parlez-vous ? De la mienne, celle des années 1970 ? Vous savez très bien qu'elle ne menait pas 85 % d'élèves au baccalauréat.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

L'accès à l'école n'était pas démocratisé comme il l'est actuellement. Les choses étaient différentes. Il faut les replacer dans leur contexte.

Nous appliquons bien le même niveau d'exigence à tous les élèves. Seulement, les méthodes employées pour parvenir à ce niveau équivalent doivent différer. Je me trouvais avant-hier dans une classe de CM1, où le niveau d'acquisition des mathématiques était très disparate selon les élèves. L'institutrice, avec grand talent, s'est occupée de groupes différents pour les faire parvenir au même résultat. Un même niveau d'exigence, mais des approches différenciées : voilà ce que nous voulons faire.

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Je partage les inquiétudes de mes collègues quant au choc des savoirs voulu par Gabriel Attal et au renforcement des inégalités qu'entraînerait mécaniquement la création de groupes de niveaux, mais je souhaite vous alerter sur un autre type de tri social, un tri à bas bruit, qui passe inaperçu : celui qui affecte les élèves des territoires ruraux.

Dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, plus de la moitié des élèves doivent faire un choix dès l'entrée au lycée : soit partir en internat – ce qui peut être une bonne chose, sous réserve que des places soient disponibles et que cette orientation soit choisie, et non subie –, soit passer au moins deux heures par jour dans les transports. La journée d'un lycéen bas-alpin commence souvent par un départ de la maison à six heures trente, pour un retour à dix-neuf heures, voire dix-neuf heures trente, avant d'entamer les devoirs.

Dans mon département, dépourvu d'université et offrant peu de formations post-bac, faire des études supérieures implique de s'expatrier, ce qui suppose de se couper de ses attaches familiales et affectives et représente un coût inabordable pour beaucoup de familles. Toutes les études le montrent, les élèves ruraux s'autorisent des ambitions scolaires nettement inférieures à celles de leurs homologues urbains, indépendamment de leurs capacités scolaires. Comme souvent – comme toujours –, les enfants des milieux les plus populaires ou ayant les parents les moins diplômés s'autocensurent le plus dans leurs souhaits pour l'avenir.

Comprenons-nous bien : il n'y a pas de bonne ou de mauvaise carrière scolaire, il n'y a pas ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien – pour reprendre un mot tristement célèbre du président Macron. En République, au contraire, chacun doit pouvoir faire ses choix à égalité, en fonction de ses aptitudes et de ses centres d'intérêt. Tel n'est pas le cas dans les zones rurales. Les territoires éducatifs ruraux, lancés en 2021 sur le modèle discutable des cités éducatives, étaient censés répondre au moins en partie à ce problème. Quel retour d'expérience pouvez-vous faire de ce dispositif ? Plus largement, quelle politique nationale entendez-vous conduire pour mettre fin à ce déterminisme géographique ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Je partage vos préoccupations. Les jeunes élèves habitant les territoires les plus isolés connaissent des difficultés qui accentuent les inégalités, soit parce qu'ils doivent s'expatrier pour suivre la formation de leur choix, soit parce que leurs temps de transport sont importants, soit parce qu'ils sont en internat.

C'est la raison pour laquelle nous devons accorder toute notre attention aux territoires éducatifs ruraux. Ce dispositif, consistant à réfléchir de manière globale à l'échelle d'un territoire, est en expansion – le nombre de territoires concernés est passé de 64 l'an passé à 201 cette année –, conformément à nos objectifs. Nous travaillons également sur les cartes scolaires des établissements de proximité afin d'offrir aux élèves des options diversifiées. Enfin, nous œuvrons au développement des internats pour accueillir les élèves dans les meilleures conditions.

Je viens seulement de prendre pleinement la mesure de cet enjeu et des réponses que nous y apportons. Ancienne élue d'un territoire rural, je suis sensibilisée à cette question et je veillerai à essayer de remédier au mieux à ces inégalités géographiques.

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Je vous souhaite la bienvenue au ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et je nous souhaite de la stabilité dans ce ministère. La succession de quatre ministres en deux ans a en effet envoyé un message négatif à la communauté éducative.

Ma première question porte sur les mesures que vous souhaitez engager pour lutter contre la ségrégation scolaire. Le constat est clair : un tri social est pratiqué entre les établissements publics et privés. L'école publique compte ainsi 42 % d'élèves défavorisés, contre seulement 18 % pour le secteur privé. Une mesure simple consisterait à infliger un malus financier aux établissements privés au sein desquels la mixité sociale est très faible, situation facilement mesurable grâce aux IPS. Dans son rapport public du 1er juin 2023, la Cour des comptes invite d'ailleurs le Gouvernement à moduler les moyens alloués aux établissements en fonction du pourcentage d'élèves défavorisés. Qu'en pensez-vous ?

Ma seconde question porte sur les groupes de niveau, lesquels sont un moyen, à peine déguisé, de mener une politique de tri social. En effet, les derniers résultats du Pisa révèlent qu'un enfant issu d'une famille défavorisée a dix fois plus de risques de se retrouver parmi les élèves peu performants en mathématiques qu'un enfant issu d'une famille favorisée. C'est pourquoi nous y sommes fortement opposés.

Par ailleurs, d'un point de vue logistique, les chefs d'établissement et les syndicats alertent sur les graves conséquences de la création, à dotation horaire globale constante, des groupes de niveau : ils entraîneraient la suppression du dédoublement des classes dans certaines matières mais aussi, par exemple dans ma circonscription de Seine-Saint-Denis, la suppression de certaines options comme le latin. Les chefs d'établissement, contraints de faire des choix, doivent malheureusement piocher dans leur marge.

Pourquoi ne pas préférer à ces groupes de niveau des groupes de besoin éphémères et ponctuels, qui offriraient une réelle souplesse ? Pourquoi insister pour instaurer ces groupes de niveau ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Vous avez tout d'abord évoqué l'instauration d'un malus financier pour certains établissements privés. Or mon prédécesseur Pap Ndiaye a précisément souhaité, avec le plan « mixité » ainsi qu'avec le protocole d'accord signé notamment avec l'enseignement catholique, inciter les établissements privés à s'orienter vers une plus grande mixité sociale.

Actuellement, la règle en matière de financement des établissements repose sur un principe de parité. L'objectif du protocole signé est d'inciter à accueillir davantage d'élèves dont l'IPS est plus faible ainsi que davantage d'élèves boursiers – ce qui revient un peu au même. Nous serons très vigilants sur ce point puisque le protocole fera l'objet d'une évaluation. Je serai extrêmement attentive aux résultats de cette évaluation, soyez-en sûre, car j'y vois un point important concernant nos relations avec l'enseignement privé sous contrat.

Vous avez ensuite évoqué la constitution de groupes au sein des classes de sixième et de cinquième. Vous avez précisé qu'ils avaient été créés à DHG constante. Je tiens à préciser que nous avons procédé à une évaluation de l'impact de ce dispositif et que nous avons bien l'intention de donner aux établissements les moyens nécessaires pour le déployer – je n'imagine pas procéder autrement. Nous sommes encore en phase d'ajustement concernant l'attribution de ces moyens et je sais que certaines difficultés existent.

Vous affirmez par ailleurs que la création de ces groupes pourrait aboutir à un tri social. Je le répète devant vous : tel n'est absolument pas mon souhait. Je travaille au plus près du terrain afin que ce dispositif permette un meilleur apprentissage mais offre aussi une certaine flexibilité pour que les élèves puissent faire des allers et retours entre leur classe hétérogène et les différents groupes correspondant aux séquences d'apprentissage.

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Je profiterai du délai imparti pour vous poser trois questions précises. La première est simple. Il y a environ un an, le Gouvernement m'avait paru favorable à l'idée d'anonymiser le lycée d'origine des candidats inscrits sur Parcoursup – en tout cas, il n'y était pas hostile. Cette initiative a cependant tourné court, à cause, semble-t-il, de la pression exercée par certains groupes de parents d'élèves de lycées huppés. Êtes-vous prête à résister aux lobbys et à reprendre cette idée, le lycée d'origine constituant à l'évidence – vous en conviendrez aisément – un mauvais critère de sélection ?

Deuxièmement, êtes-vous prête à étudier, comme je l'ai proposé dans un rapport d'information rédigé avec ma collègue de la majorité présidentielle Christine Decodts, la possibilité de redéfinir le périmètre des académies, voire de créer une académie qui réunirait la Seine-Saint-Denis et Paris, au bénéfice de la mixité sociale ?

Troisièmement, une grève a été organisée aujourd'hui dans les établissements scolaires en Seine-Saint-Denis. Comme je l'ai indiqué dans ce même rapport sur l'évaluation du plan L'État plus fort en Seine-Saint-Denis, si des progrès ont été observés dans l'exercice des missions essentielles de l'État – la justice, la sécurité publique et même la santé –, la régression est totale s'agissant d'un secteur : l'école. En croisant les IPS et les évaluations, on constate que ce département doit se contenter d'une pauvre école pour de pauvres gens. Non seulement l'école reproduit les inégalités sociales, mais elle les creuse – vous trouverez toutes les données objectivées dans le rapport d'information déjà cité.

Êtes-vous prête à entendre les syndicats, unanimes, et les nombreux élus et députés de ce département qui réclament un plan d'urgence, tel que celui qui avait été lancé en 1998 – certes, c'est un peu ancien – et qui avait produit des résultats ? Êtes-vous prête à étudier la possibilité de concevoir un nouveau plan pour succéder à ceux déjà déployés ?

Pour conclure, une grande campagne de recrutement a été lancée il y a une semaine pour pourvoir des postes dans les écoles catholiques du département. Elle coûte un pognon de dingue – on retrouve ce message sur des panneaux publicitaires, dans toutes les boîtes aux lettres ou encore sur des calicots devant les établissements scolaires. Je trouve cela scandaleux.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Je suis un peu embêtée car je ne suis pas sûre d'être en mesure de répondre à vos trois questions.

Tout d'abord, s'agissant de l'anonymisation des lycées d'origine sur Parcoursup, je comprends parfaitement votre démarche mais je ne sais pas si une telle mesure est techniquement possible. Je ne peux pas vous apporter de réponse aujourd'hui mais je m'engage à vous en donner une prochainement.

Vous avez ensuite émis le souhait de redéfinir le périmètre des académies, en évoquant l'idée d'une fusion entre la Seine-Saint-Denis et Paris. Vous m'interrogez à brûle-pourpoint et, là encore, je ne peux pas vous répondre immédiatement. Un tel changement ne me semble pas très simple à mettre en œuvre, mais l'idée mérite en tout cas réflexion et je perçois bien l'objectif.

Je suis un peu plus à l'aise pour m'exprimer sur le dernier point. En effet, j'avais pris part, en tant que ministre de la justice, aux travaux relatifs au plan L'État plus fort en Seine-Saint-Denis, lancé par le Premier ministre Édouard Philippe. Nous avions alors consenti à déployer des moyens corrélés aux difficultés rencontrées par le département.

Je ne sais pas encore comment le département de Seine-Saint-Denis est traité au sein du système éducatif national, mais je conviens que les singularités auxquelles vous êtes confrontés nécessitent des réponses qui soient également singulières. J'examinerai cette question avec attention. On m'informe cependant que la baisse du nombre d'élèves du premier degré est assez importante : elle serait deux fois plus rapide qu'au niveau national. Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec ces chiffres – nous en reparlerons. Quoi qu'il en soit, si l'évolution démographique est une chose, la nécessaire prise en considération de la situation d'un département en est une autre.

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Avec la hausse de la natalité observée en Seine-Saint-Denis, ces chiffres sont impossibles !

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Monsieur le député, je vous demande de respecter l'organisation de ce débat. Je vous rappelle qu'aucun droit de réplique n'est prévu.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Je m'engage en tout cas à vous donner des réponses sur ces trois dossiers dès que je les aurai étudiés – c'est-à-dire très bientôt.

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J'aimerais tout d'abord que vous nous disiez quelles solutions pourraient être déployées à court terme pour réduire les inégalités face à la lecture et que vous nous donniez votre avis sur l'exemple des pays scandinaves qui font débuter son apprentissage à l'âge de 7 ans environ – méthode qui présente l'avantage de faire bénéficier l'élève d'une année supplémentaire pour enrichir notamment son bagage lexical, une compétence dont vous connaissez l'importance et qui représente souvent une difficulté et une faiblesse pour les enfants issus d'un milieu modeste.

J'en arrive à ma question, qui porte sur les cités éducatives. Lancées en 2019, elles ont notamment pour objectifs d'accompagner chaque parcours éducatif individuel et de lutter contre les logiques de ségrégation et de décrochage dans les quartiers à mixité sociale limitée. Le rapport publié par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire – l'Injep – en 2022 semblait pointer certaines faiblesses, comme une appropriation inégale des enjeux du programme selon les territoires et les acteurs. Il apparaît ainsi que « les territoires se sont approprié les trois thématiques investies au niveau national à des degrés divers en fonction des enjeux, du contexte local et de l'offre sur le sujet qui était proposée antérieurement au développement des cités ». D'autre part, la part d'actions réservée aux parents et aux familles semble limitée et variable d'une cité à l'autre.

En somme, les cités éducatives, parce qu'elles s'inscrivent dans les territoires et prennent en compte leurs spécificités, doivent être fortement soutenues. Cependant, elles se heurtent à des limites, liées peut-être à un manque de vision à long terme ou de moyens humains. Dans un tel contexte, quels leviers pourriez-vous actionner afin de remédier aux différents problèmes relevés par l'Injep ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

S'agissant de l'apprentissage de la lecture, ce que vous avez dit à propos des méthodes employées dans d'autres pays m'intéresse. Je recevrai très prochainement vos collègues Fabrice Le Vigoureux et Annie Genevard, qui ont récemment rédigé sur le sujet un rapport d'information qui me semble assez important. D'autre part, je me suis entretenue tout à l'heure avec M. Stanislas Dehaene, président du Conseil scientifique de l'éducation nationale, lequel a également formulé plusieurs préconisations en la matière. Je ne crois pas que la solution que vous proposez ait été citée, mais je reste très attentive à tout ce qui se rapporte à cette question.

Nous tenons beaucoup aux cités éducatives car ce programme nous semble à même de prendre en charge l'élève, voire l'enfant, dans sa globalité, ce qui est très important. En outre, il vise, comme vous l'avez dit, à une meilleure coordination de l'ensemble des acteurs engagés dans ce processus éducatif – les services de l'État, les collectivités, les associations et les habitants des quartiers, l'établissement scolaire constituant le point nodal du projet.

Les cités éducatives sont au cœur de plusieurs dispositifs innovants que nous développons. Je pense notamment à l'accueil élargi des collégiens de huit heures à dix-huit heures – je l'ai déjà évoqué – qui suppose évidemment une prise en charge par plusieurs partenaires. Le Président de la République a annoncé le développement des cités éducatives dans les QPV afin de lutter contre les inégalités à la racine. Nous y travaillerons en prévoyant d'y implanter de nouvelles formations telles que les classes à horaire aménagé ou encore les sections internationales. Ainsi, nous espérons pouvoir mieux accompagner l'ambition des élèves.

Avec ces différentes mesures qui forment un ensemble cohérent, nous réaffirmons nos intentions et l'ambition globale qui est la nôtre. Vous avez évoqué les moyens humains. Nous sommes évidemment attentifs à ce volet et je veillerai personnellement à ce que les moyens accordés soient corrélés à notre ambition.

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Madame la ministre, je vous remercie d'être présente parmi nous et de nous avoir indiqué les mesures que vous avez prises. Elles concrétisent des objectifs clairs pour les élèves, pour leurs parents et pour l'ensemble de la communauté éducative, en permettant un accompagnement différencié et une meilleure orientation de nos enfants, de l'école au collège puis du collège au lycée. Il est essentiel de prendre en compte les difficultés de chacun le plus tôt possible afin que chaque élève en difficulté dispose du temps et des ressources nécessaires pour s'améliorer avec des professeurs dédiés, notamment au sein de groupes de niveau que je préfère appeler « groupes de besoin ».

Vous avez évoqué l'extension de la plage horaire de certains collèges qui seront ouverts de huit heures à dix-huit heures, le but étant de proposer à l'intérieur de l'établissement scolaire des activités sportives, culturelles et artistiques pour que le collège ne soit pas un lieu réservé uniquement à l'apprentissage. Au vu de la situation de trop nombreux jeunes, il est pertinent de transformer le collège en un lieu consacré encore plus pleinement à l'épanouissement de l'enfant et à la réduction des inégalités. Il faut précisément sortir de l'idée du tri social et proposer au sein du collège toutes les activités normalement considérées comme extrascolaires, nécessaires à la construction du jeune, en complément du temps scolaire.

Cependant, il reste encore du travail pour pérenniser ce type de fonctionnement et l'étendre à d'autres collèges que ceux relevant du réseau d'éducation prioritaire, en lien avec les collectivités territoriales, qui constituent la première force de proposition en la matière à travers leur politique éducative. Dans cette perspective, comment appliquer de manière concrète et pérenne cette mesure, essentielle à mon sens, pour que le collège devienne un lieu où l'apprentissage des savoirs fondamentaux et la découverte de son environnement sportif, artistique et culturel se confondent, afin que les jeunes puissent évoluer ensemble sans préjugés ni distinctions ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Votre question a trait à l'idée de garantie de continuité éducative, rejoignant en cela nos échanges sur la cité éducative, puisqu'il s'agit de permettre l'accueil des élèves durant et en dehors du temps scolaire, dont on sait qu'il contribue à la réussite des élèves. Ces derniers peuvent d'ailleurs intégrer, dans ce cadre, des dispositifs d'accompagnement renforcé, d'aide aux devoirs et de soutien aux apprentissages, en plus d'exercer des activités culturelles et sportives afin d'élargir leurs centres d'intérêt.

Il faut, à cet effet, mobiliser l'ensemble des acteurs culturels et sportifs dans les établissements, en incluant une partie de l'offre des collectivités et des associations en la matière, ce qui suppose un très grand travail de coordination. Tel est bien l'objectif du dispositif d'accueil de huit heures à dix-huit heures et de son extension à tous les collèges situés en REP et REP+ à partir de la rentrée 2024 – puisque tous ces établissements n'y ont pas encore accès. Dans ce cadre, l'objectif de désigner au moins une cité éducative pilote dans chaque académie a été atteint et même dépassé, ce qui est évidemment tout à fait satisfaisant.

Actuellement, 42 743 élèves bénéficient de l'accueil élargi de huit heures à dix-huit heures, sur près de 106 000 élèves scolarisés dans les établissements concernés. Le taux d'adhésion à cette mesure est donc très élevé. Le coût d'une généralisation de ce dispositif à l'ensemble des collèges publics relevant d'un réseau d'éducation prioritaire est évalué à près de 170 millions d'euros. Il s'agit maintenant de voir comment concrètement utiliser ces crédits pour permettre l'extension de l'accueil et développer de nouveaux partenariats à cet effet.

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Le débat devait s'achever à vingt heures, mais il reste quatre questions à poser. J'invite donc l'ensemble des orateurs à respecter le temps de parole qui leur est imparti pour que chacun des députés inscrits puisse s'exprimer.

La parole est à Mme Caroline Parmentier.

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L'annonce de quarante fermetures de classe dans le secteur de Béthune, dans le Pas-de-Calais, a eu l'effet d'un coup de massue et a été vécue localement comme une véritable humiliation. C'est une saignée que vous infligez à nos écoles ! Je suis allée, aux côtés des parents d'élèves et des enseignants, protester contre ces fermetures injustes et démesurées. « Nous sommes les oubliés » : voilà ce que m'ont dit ceux que j'ai rencontrés à Béthune, à Lillers, à Lapugnoy, à Essars, à Vendin-lès-Bethune, à Verquigneul ou à Laventie. Je rappelle que ce secteur a déjà été particulièrement sinistré cette année par les inondations à répétition qui ont contraint nombre de classes à rester fermées, mais aussi meurtri par l'assassinat du professeur Dominique Bernard lors de l'attentat terroriste islamiste perpétré dans un collège-lycée d'Arras.

Un de vos prédécesseurs, Gabriel Attal, désormais Premier ministre, a juré la main sur le cœur qu'il ferait du chantier de l'éducation nationale son absolue priorité – celle dont tout découle et dont dépend l'avenir du pays – et prendrait le redressement nécessaire à bras-le-corps. Et vous commencez par fermer des classes en grand nombre ! Les classes françaises sont pourtant les plus chargées d'Europe. Ne pensez-vous pas que la baisse dramatique du niveau scolaire, démontrée encore tout récemment par une enquête Pisa soulignant la dégringolade du niveau des élèves français, justifierait de réduire le nombre d'enfants par classe ? Une telle évolution ne serait-elle pas de nature à prévenir le décrochage de certains élèves que vous laissez au bord du chemin – pour employer une expression chère à la Macronie ?

Je sais que les ministres de l'éducation nationale ont pour habitude de mettre leurs propres enfants à l'abri en contournant la carte scolaire et en les plaçant dans des établissements préservés, mais merci de ne pas oublier les autres ! Merci de ne pas oublier nos enfants : ils ne relèvent pas d'une politique comptable, ils ne sont pas une variable d'ajustement !

Madame la ministre, je vous demande de renoncer à ces fermetures de classe. Arrêtez de massacrer nos écoles !

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Bien entendu, je comprends la difficulté de la situation dans votre département. Vous avez fait référence à des événements qui ont marqué notre pays dans son entier, qu'il s'agisse de l'assassinat de Dominique Bernard ou – même si ces deux types de circonstances n'ont rien de comparable – des inondations qui ont touché le Pas-de-Calais. Tout cela ne peut bien sûr pas être ignoré : dans un tel contexte, il est impossible de raisonner de façon purement mathématique. Ce n'est d'ailleurs pas ce que font, me semble-t-il, les services de l'éducation nationale.

En l'occurrence, votre département connaît une forte baisse du nombre d'élèves…

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

C'est vrai, mais je ne pense pas que des fermetures de classe aient été décidées partout. Vous évoquez quarante fermetures. Ce chiffre doit être exact. Je suis sûre que le Dasen (directeur académique des services de l'éducation nationale) a pris en compte la réalité de la situation de votre département pour définir la dotation à lui attribuer, c'est-à-dire à la fois la baisse démographique qu'il enregistre et la situation singulière dans laquelle il se trouve. Nous sommes très attentifs, je le répète, aux difficultés qui tiennent soit à l'éloignement, soit à l'indice de position sociale des élèves, soit à divers autres paramètres qui traduisent le contexte d'un département. Je ne suis pas en mesure de répondre ici précisément sur les critères qui ont guidé l'allocation des moyens attribués à votre département, mais je suis certaine que le ministère a agi comme il le fait partout ailleurs et que tous les paramètres que j'ai évoqués ont été pris en compte.

Par ailleurs, pour le premier degré, un processus de dialogue a été engagé avec les élus à travers la création d'observatoires associant l'éducation nationale, les préfets et les élus, et au sein desquels sont discutées les perspectives pluriannuelles d'évolution démographique et donc d'implantation des classes. Je ne sais pas si ce dispositif a déjà pu être déployé dans votre département,…

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

…mais sachez que ces observatoires sont prévus dans le cadre du plan France ruralités.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le Gouvernement organise un tri social, de la maternelle à l'université, notamment à travers un sous-investissement dans le service public, qui accroît mécaniquement l'attrait pour le secteur privé. La proportion d'élèves dans l'enseignement privé sous contrat demeure ainsi forte – 13 % dans le primaire et 21 % dans les collèges et lycées. Pire, dans le supérieur, la proportion d'étudiants inscrits dans le privé est en nette progression, passant de 13 % en 2001 à plus de 26 % aujourd'hui. Or les indices de position sociale des élèves permettent maintenant d'évaluer avec précision l'ampleur du séparatisme scolaire induit par le privé : à Marseille, l'IPS moyen des écoles primaires est de 125 dans le privé contre 96 dans le public – le même constat vaut pour les collèges.

Par ailleurs, l'absence de logements sociaux dans certains quartiers – voire dans certaines villes –, la multiplication des dérogations à la carte scolaire et la stigmatisation dont font l'objet les établissements relevant de l'éducation prioritaire induisent, eux aussi, un tri social, mais au sein cette fois-ci de l'école publique elle-même. Au collège, le choc des savoirs ne fera qu'aggraver cette situation en mettant fin au collège unique et la création de groupes de niveau stigmatisera les élèves en difficulté, qui sont aussi les plus défavorisés.

En outre, la réforme du lycée professionnel, notamment la réduction de l'enseignement des savoirs au bénéfice du temps passé en apprentissage, diminue la qualité de la formation et les possibilités de reconversion des élèves des classes populaires. Quant au manque de financement des métiers d'accompagnement scolaire – AESH, conseillers principaux d'éducation (CPE), psychologues de l'éducation nationale (psy-EN) –, il nuit à l'accompagnement des élèves les plus en difficulté.

Ultime étape de ce tri social : la plateforme Parcoursup, qui a créé un système de sélection très défavorable aux élèves des classes populaires, lesquels ne bénéficient souvent pas du même accompagnement familial et scolaire que les autres pour s'y orienter. Les enfants d'ouvriers ne représentent ainsi plus que 10 % des étudiants à l'université, et ceux qui sont exclus du public n'ont même pas les moyens d'accéder au privé pour poursuivre leurs études.

La semaine dernière, le Gouvernement a annoncé une baisse de 700 millions d'euros du budget de l'éducation nationale, dont 479 millions retranchés du titre 2, qui concerne les rémunérations. Comment comptez-vous éviter de supprimer des postes ? Vous assurez que vous allez y arriver, mais j'ai des doutes – à moins que vous ne soyez un peu magicienne !

Quand le Gouvernement prendra-t-il conscience que le manque chronique de moyens alloués au service public organise ce tri social ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Vous êtes quelque peu excessif dans vos affirmations. Ainsi, évoquant la réforme du lycée professionnel, vous considérez que la montée de l'apprentissage diminue la qualité de la formation. Je ne peux pas être d'accord : les lycées professionnels français sont extrêmement performants, très recherchés et servent de modèle à l'étranger. La réforme ne diminuera en rien la qualité de la formation, bien au contraire. Les formations professionnelles font d'ailleurs l'objet d'une réflexion constante dans le cadre d'un travail exceptionnel mené avec les régions, et elles constituent un des points forts de notre enseignement. Chaque doit se voir proposer une diversité de voies de formation, qu'elles relèvent de l'apprentissage, du statut scolaire ou de systèmes mixtes. Je crois, contrairement à vous, que c'est une richesse.

Vous évoquez également le manque de formation de certains personnels chargés de l'accompagnement scolaire, comme les psy-EN. Il me semble cependant qu'on ne peut pas parler de manque de formation : nous souffrons plutôt d'un manque de personnel, notamment dans la perspective du déploiement de l'école inclusive, qui fait partie de mes objectifs. Comme je le disais tout à l'heure, nous sommes en effet un peu faibles en la matière et nous devons fournir un travail soutenu pour que l'école inclusive devienne une réalité.

J'estime toutefois que, globalement, nous avons les moyens budgétaires de répondre à nos ambitions. Je rappelle que le budget de l'éducation nationale atteint tout de même près de 64 milliards d'euros hors pensions, ce qui en fait, comme vous le savez, le premier budget de l'État. Si nous devons rendre 683 millions d'euros – je ne compte pas les crédits alloués à l'enseignement agricole –, nous devrions pouvoir le faire sans aucun problème en les prélevant sur les crédits gelés du ministère.

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Je commencerai par vous dire, madame la ministre, que l'idée d'instaurer des groupes de niveau est un trompe-l'œil, qui produira l'exact inverse d'une réduction des inégalités. J'ai bien entendu que vous aviez perçu ses potentiels effets problématiques et que vous vous efforceriez de les limiter, mais ces groupes ne me semblent pas constituer un bon outil pour lutter contre les inégalités : ils contribueront au contraire à les aggraver.

De manière peut-être un peu provocatrice,…

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Ça m'étonne de vous !

Sourires.

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…je veux vous demander si vous estimez qu'il faut « réarmer » l'école. L'usage de vocable me choque et je ne suis pas certain d'adhérer à ce qu'il sous-tend. D'abord, s'il faut réarmer l'école, qui l'a désarmée ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à la situation actuelle, dont je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'elle fasse l'objet d'un diagnostic unanimement partagé ?

Ensuite, je vois derrière cette idée de réarmement une conception quelque peu autoritaire de l'éducation, perceptible à travers divers propos et même à travers certaines propositions, ainsi qu'une volonté d'uniformisation – je songe à l'uniforme, mais pas seulement. Je m'interroge sur cette école de la mise au pli, sinon de la mise au pas. Je souhaite connaître votre sentiment sur ce point.

Enfin, tout ce que je viens d'évoquer me semble concourir à ne susciter qu'une faible adhésion du corps enseignant au cap que vous proposez. N'est-ce pas une des dimensions de la crise de sens que rencontrent les personnels ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Vous posez une question sur le sens et une question technique.

S'agissant de la première, je crois profondément qu'il faut donner aux élèves les outils de base pour leur permettre de vivre dans la société et qu'il faut permettre aux enseignants de transmettre les apprentissages fondamentaux et, au-delà, tous ceux qui ont du sens. Ce processus concerne à la fois les élèves et les professeurs : chacun doit être doté des outils nécessaires. C'est très important pour que les élèves se sentent bien dans leur vie en société et pour que la République prenne tout son sens.

Vous m'interrogez ensuite sur une conception autoritaire de l'école qui pourrait surgir de différents processus en cours. Pour ma part, je suis favorable à l'autorité – j'ai déjà eu l'occasion de le dire et de l'écrire : le fonctionnement d'une école suppose des règles qui doivent être respectées, tout comme doit l'être l'ensemble de la communauté. Nous ne sommes toutefois pas désireux, bien évidemment, que cette autorité s'accompagne de penchants autoritaristes. Il n'est d'ailleurs nullement question de cela : nous réaffirmons l'autorité sans glisser vers l'autoritarisme. Je distingue bien les deux.

Enfin, s'agissant des groupes de niveau – il ne saurait être question de classes de niveau –, je répète qu'afin de parvenir à une meilleure maîtrise des savoirs fondamentaux, les élèves doivent pouvoir travailler au sein de groupes qui répondent à des modalités d'apprentissage différenciées tout en visant une même exigence pour tous. Je me tiendrai à cette ligne.

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Le Gouvernement a lancé une expérimentation de l'uniforme scolaire ; nous avons été nombreux à l'évoquer. Cent établissements expérimentateurs y participeront en septembre 2024. Selon les informations transmises par le ministère de l'éducation nationale aux collectivités territoriales concernées, chaque famille recevra une tenue, dont le coût – estimé à 200 euros – sera entièrement pris en charge par l'État et les collectivités territoriales volontaires. Cependant, se pose la question des collectivités qui n'auront pas les moyens de financer cette expérimentation.

Le ministère de l'éducation nationale rencontrera également des difficultés, puisqu'il devra financer une partie de cette expérimentation au moment où on lui demande de faire des économies. Le financement serait imputé au budget du Conseil national de la refondation (CNR). Or comment ce dernier pourra-t-il rester utile à nos écoles s'il ne lui reste plus que des miettes à dépenser ?

Je suis un fervent défenseur du port de l'uniforme à l'école. J'avais d'ailleurs déposé en mars 2018 une proposition de loi en ce sens. Néanmoins, je souhaite que vous précisiez le financement de cette expérimentation, afin de rassurer celles et ceux qui ont fait le pari de s'y engager.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

L'expérimentation d'une tenue unique à l'école mobilisera à la fois les collectivités territoriales et les conseils d'école ou les conseils d'administration des collèges et lycées qui souhaiteront s'y lancer. Nous souhaitons observer quel peut en être l'effet sur le climat scolaire – lequel pourrait, selon nous, se trouver amélioré par la réduction du poids des apparences. Une évaluation sera conduite, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises.

Vous évoquez deux cas singuliers quant au financement de cette expérimentation. D'abord, celui de collectivités territoriales dont le budget s'en trouverait grevé. Ce point sera traité au cas par cas. Plusieurs collectivités se sont déjà lancées et n'ont pas fait part de difficultés. Si des problèmes se présentent, nous y répondrons selon les situations. Théoriquement, le coût sera assumé à parts égales par les collectivités territoriales et par l'État.

Ensuite, j'ai effectivement été alertée de la difficulté liée au financement de l'expérimentation par les fonds dédiés aux projets conduits dans le cadre du Conseil national de la refondation. Je suis sensible à cette question, car le CNR a vocation à financer les projets innovants des écoles, qui d'ailleurs se multiplient et font tache d'huile, et qui sont importants pour faire bouger l'école. Cependant, la somme demandée au CNR pour financer la tenue unique s'élèverait à 2,5 millions d'euros, sur un budget total dépassant les 90 millions d'euros. J'étudierai ce point plus précisément, car je ne suis pas insensible à vos arguments.

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Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Débat en salle Lamartine sur le thème : « Décentralisation des politiques publiques agricoles : simplifier, adapter et mieux associer les territoires ».

La séance est levée.

La séance est levée à vingt heures vingt.

Le directeur des comptes rendus

Serge Ezdra