La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Thomas Gassilloud, qui est en mission à Londres.

Nous savons désormais que le renforcement de la dissuasion nucléaire constituera l'un des axes majeurs de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) : le ministre des armées nous l'a confirmé hier, dans le prolongement du discours prononcé par le Président de la République à Mont-de-Marsan.

Cette dissuasion repose sur deux composantes : la composante océanique, dont nous avons exploré les enjeux lors d'une précédente audition, et la composante aéroportée, qui fait l'objet de la présente audition.

Nous avons le plaisir de recevoir le général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, ainsi que le général de corps aérien Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques (FAS).

« Il faut […] nous pourvoir […] de ce qu'on est convenu d'appeler une ‟force de frappe” susceptible de se déployer à tout moment et n'importe où. » Ainsi s'exprimait le général de Gaulle lors d'un discours à l'École militaire le 3 novembre 1959. De cette volonté sont nées les FAS, qui assurent depuis 1964 la posture permanente de dissuasion nucléaire.

Si la mission de dissuasion a été conduite de façon constante depuis cette date, les hommes et les moyens de la composante aéroportée ont changé. Ainsi, à la triade « Mirage IV, bombe AN-11, ravitailleur C-135 » a succédé le triptyque « Rafale, missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A), ravitailleur MRTT ( Multi Role Tanker Transport, avion multirôles de transport et de ravitaillement) ».

Messieurs les officiers généraux, vous aurez certainement à cœur d'évoquer l'organisation de la composante nucléaire aéroportée (CNA), les moyens capacitaires et humains qui lui sont dédiés, ainsi que la rénovation engagée. À ce sujet, vous pourriez revenir sur les enjeux du développement de l'ASN-4G, mais aussi sur l'évolution des standards du Rafale et sur le développement du système de combat aérien du futur (SCAF).

Nous serons également intéressés par votre point de vue sur les défis à venir, dans un contexte caractérisé par le « nombre croissant […] d'armes de rupture et de dénis d'accès performants », comme vous l'avez souligné, mon général, dans votre vision stratégique de l'armée de l'air et de l'espace d'avril 2022.

Cette audition représente une occasion de revenir sur cette arme si particulière qu'elle permet de gagner la guerre avant même de la conduire, et si paradoxale qu'on a presque perdu la guerre lorsqu'on l'utilise, notamment contre un État qui la possède.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Nous sommes très heureux, le général Bellanger et moi-même, de nous trouver devant vous aujourd'hui, pour évoquer la dissuasion nucléaire, dorsale de notre sécurité ; dont la centralité dans les relations internationales s'est encore affirmé au cours des derniers mois.

Vous avez récemment entendu à ce sujet le chef d'état-major des armées (CEMA), ainsi que le chef d'état-major de la marine, accompagné de l'officier général de marine commandant la force océanique stratégique (ALFOST). Il nous revient à présent d'aborder les spécificités de la CNA permanente.

Nous tâcherons d'expliquer simplement ce qu'est la CNA, ce qu'elle apporte à la France, de décrire comment l'armée de l'air et de l'espace dans son ensemble et les FAS en particulier la mettent en œuvre, avant de conclure par une esquisse prospective.

Compte tenu de la confidentialité et de la complexité de cette discipline, elle n'est pas souvent discutée ni même dévoilée. Pouvoir débattre ici, en toute transparence, de ce sujet stratégique revêt donc une importance particulière.

Il convient d'abord de rappeler les prérogatives du chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace en la matière, telles qu'instituées par le code de la défense. En tant que chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, je conseille et assiste le Cema dans tout ce qui concerne l'organisation et la préparation des forces aériennes et spatiales, y compris celles des FAS. Cette tâche me donne des responsabilités dans le développement des futures capacités de la CNA permanente.

Par ailleurs, certaines de mes attributions sont spécifiques à la mission de dissuasion, en matière de sécurité nucléaire et de contrôle gouvernemental. Ce contrôle consiste à garantir au Président de la République, qui en a confié la mise en œuvre à la Première ministre, de disposer en toutes circonstances des moyens nécessaires à l'exercice de la dissuasion nucléaire. Trois domaines sont concernés : l'engagement, la conformité de l'emploi et l'intégrité des moyens.

Je suis tête de chaîne pour la mise en œuvre du contrôle de l'intégrité des moyens placés sous mon autorité. Il s'agit de protéger le personnel et les infrastructures contre les menaces de toutes sortes, militaires ou terroristes, et les actes de malveillance. Par exemple, il est de ma responsabilité de définir les plans de sécurité des bases aériennes, y compris des bases aériennes à vocation nucléaire (BAVN), et d'organiser des exercices réguliers destinés à tester l'efficacité des mesures prises.

Cette responsabilité nous oblige à une réévaluation constante de la menace ainsi qu'à une adaptation permanente de nos moyens, de nos organisations et de nos procédures. Ainsi, nous prenons en compte l'extension de la menace représentée par les drones, en employant des outils de lutte antidrones dans l'ensemble de nos bases, en particulier nos BAVN. Par ailleurs, ces progrès nous donnent un temps d'avance s'agissant de la sécurisation des Jeux olympiques de 2024.

La somme de ces responsabilités se résume au pilotage de la cohérence d'ensemble de l'armée de l'air et de l'espace pour la mise en œuvre de la CNA. C'est ce qui me rend légitime pour m'adresser à vous et aborder à présent le cœur du sujet : ce qu'est la CNA permanente.

Le CEMA vous en ayant longuement parlé, je ne vais pas revenir sur le concept général de dissuasion, dont la CNA permanente est une composante majeure. Je me permettrai toutefois de citer le général Pierre-Marie Gallois, l'un des pères de la dissuasion nucléaire française : « L'arme aérienne est devenue l'arme essentielle à la fois d'une agression et, parallèlement, du découragement d'une pareille agression. »

Attardons-nous plutôt sur les facteurs de réussite de la dissuasion, qui sont de trois ordres. D'abord, d'ordre psychologique : il s'agit de convaincre du sérieux et de la crédibilité de la menace et de persuader que nous sommes prêts à la mettre à exécution si les circonstances l'exigent. Ensuite, d'ordre technique et opérationnel : que se passerait-il pour l'adversaire en cas de mise à exécution de cette menace ? Enfin, d'ordre politique : quels gains et quelles pertes peuvent être envisagés en cas d'action ou de non-action ?

Le maître-mot de toute doctrine de dissuasion nucléaire est la crédibilité, en matière de détermination comme d'exécution potentielle. Les deux composantes françaises – qui sont complémentaires, ainsi que l'a réaffirmé le Président de la République – jouent ici un rôle fondamental.

J'en viens à la place singulière qu'occupe la CNA permanente dans cet ensemble. L'armée de l'air lui a donné naissance il y a bientôt soixante ans, en en faisant la première composante nucléaire française. Ainsi, l'explosion de Gerboise bleue est organisée par le centre saharien de Reggane le 13 février 1960 et, quatre ans après, les FAS sont créées. L'armée de l'air tient sa première alerte nucléaire quelques mois plus tard, le 8 octobre 1964, sur la base aérienne de Mont-de-Marsan. L'aviation de bombardement stratégique voit ainsi le jour, conformément à la volonté exprimée par le général de Gaulle – dont vous avez rappelé les mots à ce sujet, Monsieur le président.

Depuis bientôt soixante ans, les FAS maintiennent cette posture d'alerte permanente et un degré élevé de performance, grâce à leurs capacités d'adaptation aux évolutions de la menace.

Ainsi, trois générations de « bombardiers, ravitailleurs, vecteurs » se sont succédé. Le triptyque « Mirage IV, C-135, AN-22 » a apporté allonge et pénétration tous temps. Cependant, cette première génération d'armes à gravité imposait un tir à proximité de l'objectif.

Ensuite, le triptyque « Mirage 2000-N, C-135, ASMP » a amélioré la performance de la composante, notamment grâce à une capacité de suivi automatique du terrain et au tir à grande distance permis par le missile de croisière.

Enfin, la génération actuelle, composée du Rafale, du MRTT et de l'ASMP-A, offre une allonge et une capacité de pénétration encore accrues, ainsi qu'une meilleure précision.

Notre pays a fait le choix d'une dissuasion indépendante, robuste et crédible, ce qui nous astreint à une adaptation permanente de notre outil de combat. Pour un aviateur, cette dimension constitue une réalité puisqu'il voit évoluer régulièrement, au cours de sa carrière, les matériels, les organisations et les procédures.

Si la mission de dissuasion aéroportée est particulièrement exigeante, elle a la vertu de tirer l'ensemble de l'armée de l'air et de l'espace vers le haut. Ainsi, la dissuasion a beaucoup fait pour que l'armée de l'air et de l'espace soit ce qu'elle est aujourd'hui.

En matière de stratégie, qu'apporte la CNA permanente à la France ? Ses atouts, liés à son mode d'action – celui de la puissance aérienne –, sont au nombre de quatre : permanence, réactivité, visibilité et réversibilité.

La dissuasion n'aurait pas de sens sans la permanence, que rend possible un C2 (commandement et contrôle) actif « H 24 », qui suit en temps réel la disponibilité des moyens à l'unité près. Cette permanence est assurée par les hommes et les femmes qui arment à chaque instant nos postes de contrôle, qui tiennent la posture ou garantissent la disponibilité technique de nos moyens.

La réactivité permet d'adapter la posture ou de décoller en quelques heures, voire en quelques minutes. Cette culture de la course contre la montre constitue l'une de nos caractéristiques. Elle est impérative, compte tenu de la vitesse à laquelle une situation évolue dans la troisième dimension. Dans des cas extrêmes, comme ceux des missions de police du ciel, cette réactivité est quasi immédiate, pouvant donner lieu à des décollages en deux minutes.

En ce qui concerne la visibilité, nos opérations sont conduites à partir de nos bases aériennes, visibles par nature, comme l'est le décollage du raid.

J'en viens enfin à la réversibilité. La crise de Cuba représente une bonne illustration historique de cette faculté. En effet, alors que les B-52 américains étaient en vol, le niveau d'alerte maximal Defcon 2, dernier stade avant la première salve nucléaire, a été atteint.

La visibilité et la réversibilité de la CNA sont particulièrement précieuses dans le cadre du dialogue dissuasif.

En résumé, la CNA apporte une marge de manœuvre dans le dialogue dissuasif et une contribution visible à la dissuasion au sens large.

J'ai évoqué la cohérence d'ensemble dont je suis responsable. Je voudrais décrire à présent les liens d'interdépendance existant entre les FAS et les autres commandements de l'armée de l'air et de l'espace, en évoquant notamment ce qu'ils s'apportent mutuellement.

Les modes d'action du bombardement stratégique relèvent de la projection de puissance, dont l'objet est d'aller loin, vite et fort. Assurer cette mission, mais aussi la posture permanente de sûreté-air (PPS-A), a permis à l'armée de l'air et de l'espace de développer de nombreuses compétences, qui ont irrigué l'ensemble de ses capacités.

Les FAS ont été les premières à utiliser le ravitaillement en vol, qui constitue aujourd'hui l'une des capacités indispensables à toutes nos opérations. Elles ont aussi contribué à l'acquisition d'aptitudes spécifiques en matière de planification et de conduite des opérations aériennes, qui nous sont utiles dans des environnements denses et hostiles comme celui de la Libye. L'autonomie d'emploi, requise pour la mission de dissuasion, a également conduit au développement des systèmes de contre-mesures électroniques et des moyens de navigation de bord et de pénétration en suivi de terrain automatique qui sont désormais utilisés dans tous nos avions de combat conventionnel.

En outre – et cet élément est d'une grande importance –, la mission nucléaire a servi à développer un savoir-faire en matière de ciblage au sein de l'armée de l'air et de l'espace, ainsi que le recueil et le fusionnement du renseignement.

Enfin, c'est grâce à la mission de dissuasion que nous sommes capables de mener en toute autonomie des missions longues et complexes, comme l'opération Hamilton, depuis le territoire national et à partir de nos bases aériennes.

Inversement, l'armée de l'air et de l'espace s'organise pour mettre en œuvre la CNA et pour en développer les caractéristiques par l'intermédiaire de ses autres prérogatives. En matière de savoir-faire mobilisés, on observe cohérence et continuité entre les missions de défense aérienne de protection du territoire et de nos ressortissants, les missions nucléaires de protection de nos intérêts vitaux et les missions menées sur les théâtres d'opérations extérieurs. Ainsi, tout ce que font les forces conventionnelles en opération nourrit a posteriori l'expertise des FAS.

Forces conventionnelles et stratégiques ont contribué à doter nos bases aériennes, comme nos centres de commandement et de conduite, d'une aptitude à basculer instantanément du temps de paix au temps de crise et à mieux travailler en réseau. Cet important changement est notamment permis par la polyvalence de nos moyens et de nos aviateurs. Dans le cadre des exercices nucléaires, lors des phases de montée en puissance, un grand nombre de moyens conventionnels sont mobilisés, en l'air comme au sol : défense sol-air, lutte antidrones, PPS et protection des bases. Toutes ces capacités participent à la manœuvre, y compris les soutiens.

Concernant les soutiens en particulier, j'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises à propos de la nécessité pour le commandant de base de disposer de tous les leviers nécessaires à la réalisation des missions opérationnelles justifiant une réactivité immédiate, telles que la PPS au quotidien ou les missions extérieures au coup de sifflet bref, comme notre décollage vers l'est de l'Europe le 24 février dernier.

Cette double casquette commandant de base – commandant de base de défense est indispensable aux commandants de BAVN. Elle est nécessaire pour satisfaire le souhait exprimé vendredi dernier par le Président de la République, qui nous a demandé de privilégier la rapidité d'action et la montée en puissance rapide. De ce fait, la composante aérienne aura une responsabilité accrue s'agissant de la projection de nos forces.

Cette cohérence entre domaines conventionnel et nucléaire sera plus prégnante encore dans les prochaines années. Dès lors, le schéma directeur de l'aviation de combat, le plan de stationnement des emprises aéronautiques, la manœuvre ressources humaines et les nouvelles capacités constituent autant de briques qu'il nous faudra continuer d'assembler pour renforcer notre armée de l'air et de l'espace et permettre aux FAS de réaliser leur mission.

Si vous deviez ne retenir que quelques idées forces de cette introduction, je vous suggérerais de choisir les caractéristiques de notre CNA : permanence, réactivité, visibilité et réversibilité, auxquelles j'ajouterai la polyvalence.

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

Je me réjouis de présenter les FAS, forces permanentes de la dissuasion aéroportée, et de rendre ainsi hommage aux femmes et aux hommes que j'ai l'honneur de commander.

Créées par décret présidentiel le 14 janvier 1964, les FAS sont stratégiques dans tous les sens du terme, qu'il s'agisse de la place de leur mission dans notre stratégie de défense, des effets des armes qu'elles utilisent ou de l'allonge de leurs vecteurs. Et comme certains d'entre vous l'ont mesuré en se rendant dans nos bases aériennes, les aviateurs des FAS sont pénétrés de la conscience de servir une mission d'exception, qui les mobilise 7 jours par semaine et 365 jours par an.

Afin d'en témoigner devant vous, je commencerai par exposer mes responsabilités avant d'aborder l'organisation des FAS. J'évoquerai ensuite le degré élevé de polyvalence qu'elles ont atteint, mais aussi la manière dont elles ont su maintenir le niveau le plus élevé dans leur mission première de dissuasion. Je terminerai en évoquant les enjeux de l'année 2023.

Le code de la défense fixe mes attributions, définies par le ministre des armées. Chargé de la mise en condition des forces qui me sont affectées, je suis responsable devant le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace de la formation et de l'entraînement du personnel des FAS, comme de la maintenance des moyens dont elles disposent.

De plus, chargé du suivi et de l'exécution des missions, je suis commandant de forces nucléaires, responsable devant le CEMA de la tenue du contrat de posture nucléaire de la CNA, c'est-à-dire de l'aptitude des FAS à monter en puissance dans les délais prescrits et à conduire le raid ordonné par le Président de la République.

Depuis leur création il y a bientôt soixante ans, la raison d'être des FAS n'a pas varié : il s'agit toujours de garantir au Président de la République, en toute circonstance, notre capacité à infliger des dommages inacceptables en frappant les cibles qu'il a désignées, dans les délais qu'il a fixés. Lorsque je dis « en toute circonstance », je repense notamment au 31 mars 2020, quand, dans une France confinée, une quarantaine d'aéronefs ont mené à bien l'opération Poker.

Pour garantir notre capacité à produire ces dommages inacceptables, il faut être en mesure de monter en puissance, de percer la cuirasse adverse et de rejoindre le point de tir de nos armes, en déjouant la menace. Cette garantie repose sur la permanence du commandement, sur la redondance de nos transmissions, sur la résilience de nos infrastructures, sur la réactivité de nos bases comme de nos unités et sur l'aguerrissement du personnel. Elle repose aussi sur un missile très véloce et manœuvrant, ainsi que sur l'agilité du raid nucléaire, qui met en œuvre des tactiques taillées sur mesure en fonction de la situation du moment.

Un raid nucléaire, c'est une fusée à trois étages. Le premier comporte les ravitailleurs et les avions radar Awacs ( Airborne Warning And Control System ), qui accompagnent les chasseurs au plus près des frontières ennemies. Le deuxième étage est composé par les Rafale, qui percent les défenses ennemies pour atteindre leur point de tir. Le dernier étage est constitué par l'arme, qui parcourt la distance restante jusqu'à l'objectif désigné.

Pour rendre notre capacité crédible, il faut tirer parti de la visibilité de l'arme aérienne, qui opère à partir de nos bases pour démontrer, jour après jour et dès le temps de paix, notre savoir-faire et notre niveau de préparation, au travers d'exercices, de manœuvres et d'opérations.

La visibilité constitue l'un des atouts majeurs de la CNA dans la conduite du dialogue dissuasif. Cet élément n'échappe ni à nos compétiteurs ni à nos partenaires, dont les satellites nous survolent déjà lorsque nous conduisons nos opérations en temps de paix. L'élongation de nos transmissions permet de tirer parti de cette visibilité bien après le décollage du raid, en offrant la possibilité de rappeler celui-ci si l'ennemi accepte de revenir à une position plus « raisonnable ».

Les FAS et la force océanique stratégique (FOSTt) offrent une complémentarité stratégique, entre une composante discrète par nature et une autre qui agit de manière plus ou moins ostensible, les FAS sachant aussi œuvrer dans la discrétion. Cette complémentarité est opérationnelle et technique, avec des modes de pénétration distincts, balistique d'un côté et aérobie de l'autre, qui imposeraient des solutions de défense radicalement différentes aux adversaires potentiels. Ces derniers devraient disposer de systèmes de détection et d'interception capables de prendre en compte deux types de missiles aux performances incomparables et extrêmement difficiles à neutraliser. Très peu – voire aucun – seraient techniquement et financièrement capables d'un tel grand écart.

Les FAS comptent environ 2 200 militaires et personnels civils, répartis sur trois BAVN, outillées pour conduire notre montée en puissance. Ces bases, qui bénéficient d'une sécurité renforcée, sont équipées de postes de commandement, de zones d'alerte nucléaire, de dépôts d'armes et de transmissions spécialisées. D'autres bases, voire d'autres sites, sont aussi en mesure d'accueillir et de mettre en œuvre nos moyens lors des montées en puissance, afin de réduire leur vulnérabilité. Pour le dire de façon triviale : nous ne laissons pas tous nos œufs dans le même panier. Cette précaution représente un élément essentiel de la résilience du dispositif.

Si l'on doit distinguer la logique de stationnement de nos moyens de celle de leur déploiement lors des exercices et des opérations nucléaires, l'organisation du temps de paix correspond à un simple objectif de cohérence organique. La cinquantaine de Rafale biplaces dont disposent les FAS sont stationnés sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier, en Haute-Marne. La base aérienne 125 d'Istres, dans les Bouches-du-Rhône, regroupe l'ensemble de nos appareils C-135 et MRTT, qui assurent le ravitaillement et le transport stratégiques. Enfin, la base aérienne 702 d'Avord, dans le Cher, accueille nos moyens spécialisés, de transmissions notamment, au profit de la CNA mais aussi de la composante nucléaire océanique (CNO).

L'activité des BAVN et de leur escadre est commandée depuis l'état-major, réparti entre la base aérienne de Villacoublay et celle de Taverny, où se trouve également le centre d'opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), épaulé au besoin par un centre de dévolution, situé à Lyon. Le COFAS suit en permanence l'état et la disponibilité de nos moyens, à l'unité près, afin que notre capacité à monter en puissance ne puisse jamais être mise en défaut ou menacée. Il constitue l'armature de notre aptitude à réaliser la mission de bout en bout. Il s'agit d'assurer la veille de la situation stratégique et de l'évolution de la menace, mais aussi de planifier une mission et d'en suivre l'exécution. J'assume la plénitude de mes attributions de commandant de forces nucléaires à partir du COFAS.

Comme l'a rappelé le général Mille et à rebours d'une image qui leur colle encore trop souvent à la peau, les FAS n'ont cessé de se moderniser, d'améliorer leurs équipements et de remettre en question leur manière de les utiliser. Elles ont atteint un niveau de performance inédit dans leur histoire.

Ainsi, le missile ASMP-A, en cours de rénovation, offre des performances remarquables. Sur vingt-quatre tirs d'évaluation, vingt-quatre ont constitué des succès.

De plus, notre chasseur omnirôle Rafale, éprouvé sur tous nos théâtres d'opérations, est l'un des meilleurs du monde. Dans son standard F3-R, il permet de pénétrer en sécurité et avec précision, tout en assurant sa protection et celle du raid, y compris face à des menaces lointaines.

Quant au MRTT Phénix, il prend progressivement la relève du C-135 et représente un saut capacitaire significatif dans sa vocation première, le ravitaillement en vol, tout en offrant une capacité de transport à très longue distance et un potentiel de croissance qui ne demande qu'à être exploité, notamment en matière de commandement aéroporté des opérations. Il permet déjà, comme l'ont expérimenté ses équipages lors de projections, de visualiser une situation tactique et de donner des ordres à très longue distance.

En ce qui concerne la polyvalence, les Rafale et ravitailleurs des FAS assument toute leur part dans les missions conventionnelles de l'armée de l'air et de l'espace. Ainsi, les Rafale ont pris leur tour d'opération au Sahel, puis au Levant. Ils ont aussi participé à l'opération Hamilton, lancée contre les installations chimiques syriennes en avril 2018. À l'heure où je vous parle, ils sont déployés en Jordanie, contribuent à notre PPS-A et patrouillent à l'est de l'Europe dans le cadre des missions de réassurance de l'Otan. En outre, ils se préparent à participer aux exercices nationaux et multinationaux – comme l'exercice interarmées Orion – qui jalonneront cette année 2023. Ils ne font pas tout, mais leur contribution est significative puisque les FAS rassemblent environ 50 % des équipages de Rafale.

Par ailleurs, étant les seuls dans leur catégorie, nos ravitailleurs et nos avions de transport stratégique participent à toutes les missions de l'armée de l'air et de l'espace, sur tous nos théâtres d'opérations. Au printemps 2020, ils ont contribué au transfert des malades du Covid vers les hôpitaux les mieux à même de les prendre en charge. À l'été 2021, ils ont été impliqués dans l'opération Apagan, qui consistait à évacuer nos ressortissants d'Afghanistan. Enfin, après avoir mené il y a deux ans l'opération Heifara, de projection lointaine et rapide d'un dispositif aérien en Polynésie, et l'opération Pegase (projection d'un dispositif aérien d'envergure en Asie du Sud-Est) l'été dernier, ils se préparent à renouveler l'exploit cet été.

La diversité de ces missions confère à notre personnel un niveau d'aguerrissement, un bagage opérationnel et une interopérabilité à peine imaginables il y a encore quelques années. Un capitaine de Saint-Dizier enchaîne une semaine d'alerte de défense aérienne, une montée en puissance nucléaire dans sa zone d'alerte et le vol Poker qui lui fait suite, puis deux mois de détachement en Jordanie, sans oublier les campagnes de tir et les exercices conventionnels ; telle est la vie d'un pilote ou d'un navigateur Rafale des FAS.

Cependant, pas un jour ne se passe sans que notre personnel ne répète ses gammes en vue de la mission nucléaire, sans que l'on teste le bon fonctionnement de l'un des segments nécessaires au raid du jour J. Les FAS réalisent ainsi en moyenne soixante-dix exercices dédiés par an.

Plusieurs fois dans l'année, elles montent en puissance, de manière discrète ou ostensible, pour valider dans des conditions particulièrement réalistes et en toute sécurité leur capacité à sortir les armes réelles des dépôts, à les accrocher sous les avions, à préparer les missions, à recevoir des ordres, à les exécuter et à rendre compte.

Une fois les armes décrochées et remises à l'abri – on ne vole jamais avec des têtes nucléaires –, les FAS valident la capacité du raid nucléaire à fendre la cuirasse adverse et à atteindre des cibles désignées par l'autorité politique. Il s'agit de la fameuse opération Poker, qui est sans équivalent tant son profil est comparable à celui de la mission, engageant le raid face à une opposition de très haute intensité.

Au cœur de la nuit, des dizaines de chasseurs et de ravitailleurs gagnent la pointe de la Bretagne pour s'y rassembler. Une fois constitué, le raid longe la façade atlantique puis les Pyrénées en direction de la Corse. Après avoir ravitaillé deux fois lors de cette première phase, les chasseurs descendent à très basse altitude et progressent à très grande vitesse vers le Massif central, où les attend une force d'opposition air-air et air-sol. S'ensuit une phase de manœuvres et de combats d'une extrême densité, qui doit aboutir au point de tir simulé des armes nucléaires. Puis les chasseurs ravitaillent une dernière fois, avant de rejoindre leur base.

J'ai participé à cette opération il y a un peu plus d'une quinzaine d'années, et je peux vous assurer qu'elle a beaucoup évolué. Poker n'est plus une opération restreinte aux FAS, puisqu'elle engage dorénavant l'armée de l'air et de l'espace dans son ensemble, y compris ses capacités spatiales. Les scénarios diffèrent à chaque édition, se raffinent et se complexifient dans leurs dimensions géostratégique et tactique, rapportant leur moisson d'enseignements pour notre personnel et pour tous ceux qui participent à cette opération majeure : Awacs et chasseurs d'accompagnement du raid, intercepteurs et systèmes sol-air qui tentent de s'imposer, forces spéciales qui contribuent à ouvrir la voie, sans oublier les centres de commandement et de contrôle, les bases aériennes et d'autres capacités encore, comme les hélicoptères de recherche et de sauvetage.

À chaque fois, malgré une situation tactique difficile qui retrace au mieux la menace de dernière génération, nos chasseurs passent et atteignent l'objectif assigné. C'est ainsi que se forge la confiance du personnel dans son système d'arme, dans les procédures et dans notre capacité collective à remplir notre mission. C'est ainsi que se bâtit la crédibilité opérationnelle des FAS, au vu et au su des centaines de satellites de grandes puissances compétitrices qui survolent notre territoire ces nuits-là et des bâtiments de leur marine qui déploient leurs oreilles. C'est ainsi que les FAS sont en mesure de garantir au Président de la République leur capacité de mener à bien la mission.

La crédibilité opérationnelle nécessite une modernisation régulière de nos capacités et une réévaluation permanente et sans concession de nos modes d'action. Aujourd'hui, l'avènement du commandement et du combat multimilieux et multichamps nous conduit à moderniser nos capacités de C2 pour les rendre plus à même d'intégrer les opportunités offertes par l'espace et le cyber.

Le besoin de renforcer notre agilité nous amène à diversifier nos tactiques, en intégrant toujours mieux les capacités conventionnelles. L'élargissement du spectre des menaces et le durcissement des confrontations nous conduisent à renforcer la protection de nos bases – face aux drones, par exemple – et à redoubler nos efforts dans les domaines du NRBC (nucléaire, bactériologique, radiologique et chimique) et de la guerre électronique.

En parallèle, deux défis guident nos actions au jour le jour. La maîtrise de nos activités constitue le premier d'entre eux. La manipulation des armes nucléaires par notre personnel est indispensable, afin de lui permettre de maîtriser les procédures, mais aussi de contribuer à son conditionnement psychologique vis-à-vis d'une mission qu'il risquerait sinon de percevoir comme virtuelle. Ces opérations sont très rigoureusement encadrées, conformément à l'adage « tout ce qui n'est pas écrit est interdit ». La sécurité nucléaire garantit ainsi l'acceptabilité de nos activités pour nos concitoyens comme pour l'autorité politique, donc leur pérennité. Elle représente, avec la bonne application du contrôle gouvernemental, l'un des socles de notre crédibilité. Elle est donc l'une de nos préoccupations permanentes.

Le second défi consiste à offrir au personnel une préparation opérationnelle qui soit à la hauteur à la fois du niveau d'exigence de sa mission principale et de la diversification de ses missions secondaires, tout aussi incontournables. L'acquisition et l'entretien de la polyvalence ont un coût. Il faut être en mesure de générer une activité d'entraînement suffisante, en qualité comme en quantité. Cette activité est particulièrement exigeante pour notre personnel navigant et nos mécaniciens.

Je voudrais enfin évoquer les enjeux pour l'année 2023, que je considère comme charnière. Trois rendez-vous capacitaires sont particulièrement attendus. D'abord, un tir d'évaluation permettra de valoriser la mise en service opérationnel de l'ASMP-A rénové, en octobre. La mise en service opérationnel du Rafale au standard F4, au mois d'octobre également, renforcera encore l'agilité du raid, c'est-à-dire le dialogue entre les avions qui le composent. Enfin, la livraison à Istres du douzième MRTT nous permettra de poursuivre la montée en gamme de notre capacité de ravitaillement et de transport stratégiques. Je rappelle que les valeureux C-135 ont été commandés par le général de Gaulle en 1962 ; il est grand temps de les remplacer.

En parallèle, le commandement des FAS bénéficiera de deux réorganisations. L'Esterel, escadron de transport stratégique, sera transféré à Istres au mois de juillet, ce qui matérialisera la naissance du hub des armées. Enfin, l'ensemble de l'état-major commencera à se regrouper à Taverny, ce qui renforcera encore sa cohérence. Ainsi, à la fin de l'année 2023, les FAS seront encore plus puissantes.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Je voudrais conclure ce propos liminaire en regardant vers l'avenir. Comme l'a rappelé le Président de la République vendredi dernier, « l'ordre international cède à un état de nature », notre décennie étant caractérisée par une accumulation en tous lieux des menaces de tous ordres, offrant ainsi une sorte d'anthologie des risques de guerre. Dans ce contexte, demeurer crédibles face à l'évolution de la menace constitue un enjeu majeur, parfaitement pris en compte par les FAS, par l'état-major des armées (EMA), par la direction générale de l'armement (DGA) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Dans cet environnement et face à ces défis, quelle prospective esquisser pour la CNA ? Quatre variables commandent le jeu futur de la dissuasion : le nombre d'États dotés d'armes nucléaires – problème dit de la prolifération ; la course qualitative aux armements dans les domaines nucléaire et conventionnel ; l'évolution de la conjoncture – atténuation ou aggravation des conflits actuels ; la constance ou l'inconstance des doctrines stratégiques.

À l'heure actuelle, nous observons une nouvelle multipolarité nucléaire et certains États optent, contrairement à la France et à ses alliés, pour des postures nucléaires opaques, voire agressives, qui incluent une dimension de chantage, de repli ou de recherche du fait accompli.

Afin de prendre une assurance contre l'imprévisibilité de l'avenir, il faut que l'armée de l'air et de l'espace en général et que les FAS en particulier continuent d'évoluer, pour être toujours en mesure de garantir au Président de la République que le raid nucléaire aéroporté passe !

Le général Bellanger a présenté les évolutions prévues à court terme. Au cours de la prochaine LPM, la CNA permanente poursuivra sa modernisation, la flotte des ravitailleurs sera totalement modernisée et le missile ASMP-A parviendra au terme de sa rénovation à mi-vie.

À plus long terme et au-delà de la LPM que nous sommes en train d'échafauder, il faudra poursuivre cette modernisation, durcir la composante, accroître sa capacité de pénétration des défenses adverses et augmenter son allonge, dans un environnement multimilieux et multichamps qui intègre désormais l'espace et le cyber. L'ASN-4G, le Rafale au standard F5, le MRTT au standard 2 et le SCAF correspondent à ces enjeux.

L'ASN-4G prendra la relève de l'ASMP-A en 2035, date très proche dans l'échelle de temps de la dissuasion, compte tenu des travaux à mener dans cette perspective. À cette date, la famille des ASMP aura presque soixante ans ; l'ASN-4G devra durer tout aussi longtemps.

Il nous revient de poursuivre une politique de dissuasion nucléaire rationnelle et à notre mesure.

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Je vous remercie pour ces deux interventions complètes, qui donnent à voir l'exigence, l'excellence et l'évolution de la composante aéroportée de la dissuasion.

Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.

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La dissuasion nucléaire repose en France sur le principe de stricte suffisance, ainsi défini dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 : « La France continuera à maintenir ses forces nucléaires à un niveau de stricte suffisance. Elle les ajustera en permanence au niveau le plus bas possible compatible avec sa sécurité. Elle ne cherchera pas à se doter de tous les moyens que ses capacités technologiques lui permettraient de concevoir. Le niveau de ses forces ne dépendra pas de celui des autres acteurs dotés de l'arme nucléaire, mais seulement de la perception des risques et de l'analyse de l'efficacité de la dissuasion pour la protection de nos intérêts vitaux. »

En appliquant ce principe, la France se montre exemplaire. Elle maintient sa dissuasion nucléaire au plus bas, au vu du contexte stratégique. L'évaluation de ce plus bas niveau possible n'est pas subjective, mais résulte d'appréciations précises des forces nécessaires pour infliger des dommages inacceptables aux adversaires potentiels et pour les dissuader de s'attaquer à nos intérêts vitaux.

Compte tenu de la situation du flanc est de l'Europe et d'un contexte international plus compétitif et explosif, dans lequel les menaces se font plus fortes, plus proches et plus nombreuses, l'appréciation de notre stricte suffisance doit-elle être révisée ?

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La dissuasion nucléaire constitue l'un des piliers fondamentaux de notre doctrine de défense. Pour notre groupe, elle est l'incarnation même de notre indépendance et de notre souveraineté.

Malheureusement, les événements internationaux ont récemment mis en lumière le fait que le risque nucléaire était toujours présent, malgré une tendance, depuis la fin de la guerre froide et de la course aux armements, à un désarmement ou, du moins, à un contrôle des stocks d'armes nucléaires.

Aujourd'hui, une attaque nucléaire de la Russie en Ukraine semble un scénario crédible et envisageable. L'idée d'un conflit pouvant dégénérer en guerre nucléaire à nos portes doit nous alerter quant à notre capacité de réaction en cas d'attaque. Notre doctrine militaire repose sur la permanence, la souplesse et la stricte proportionnalité de la réponse. La notion de souplesse pose la question de l'adaptabilité de nos armements capables de projeter le feu nucléaire. Réarmement et modernisation sont essentiels pour maintenir la pertinence et la crédibilité de notre doctrine de dissuasion.

Nous appelons donc à un triple effort de réarmement, ce qui semble correspondre au souhait du Président de la République. Nous serons vigilants quant à la dissuasion, qui assure notre crédibilité internationale et notre indépendance, et qui repose sur une filière industrielle d'excellence. Nous souhaiterions en savoir davantage quant à l'état de notre dissuasion aéroportée. Nos pilotes sont-ils suffisamment entraînés ? Notre flotte est-elle capable d'être mobilisée pleinement et immédiatement ?

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Je profite de cette occasion pour féliciter l'ensemble de nos armées de l'excellence de leur entraînement et de leur pratique.

En ce qui concerne la mutualisation des moyens entre forces conventionnelles et stratégiques, le général Frédéric Parisot expliquait devant notre commission, en juillet dernier, que le format actuel de mutualisation ne permettrait pas « de mener les deux types de mission de front si nous devions nous engager dans un conflit de haute intensité » et que « [l]a démutualisation des contrats opérationnels [devait] donc être […] l'un des axes de travail de la révision de l'Ambition opérationnelle 2030 ». Pourriez-vous faire le point à ce sujet ? Vers quels formats irions-nous, notamment pour les MRTT ? Les premiers contours de la LPM vont-ils dans le sens de cette hypothèse ?

Plus généralement, les annonces au sujet de la LPM insistent sur la robustesse et la crédibilité de la dissuasion nucléaire – je note au passage qu'il s'agissait aussi d'un axe central de la précédente LPM ; on peut donc s'interroger sur le caractère systématique de ces éléments de langage, comme sur leur sincérité. Au vu des ambitions et des contraintes, quels sont vos besoins ? J'imagine que la nécessité de développer le standard F5 pour les Rafale en fait partie.

Enfin, dans l'hypothèse où le programme SCAF aboutirait, le chasseur de nouvelle génération constituerait le vecteur de la composante aéroportée de la dissuasion et embarquerait l'ASN-4G. Puisqu'il s'agit d'une coopération entre Dassault et Airbus, entre la France, l'Allemagne et l'Espagne, que pourraient connaître ces partenaires des spécifications liées à l'emport de l'arme nucléaire ?

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Le Président de la République a récemment annoncé le passage au « tout-Rafale » ; nous souhaiterions des précisions à ce sujet, notamment en matière de calendrier. La dotation de 225 avions est-elle garantie, sachant que nous allons livrer des avions d'occasion ? Combien d'avions devront être commandés au cours de la période couverte par la prochaine LPM ? Quel sera le standard de ces appareils ? Les anciens Rafale seront-ils tous portés aux standards les plus récents ?

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Le 21 janvier dernier, à la base aérienne de Mont-de-Marsan, j'ai eu le plaisir d'accueillir le Président de la République, venu adresser ses vœux aux armées et présenter l'architecture de la future LPM. Cette base aérienne importante joue un rôle actif dans le renforcement du flan est de l'Europe, en envoyant des Rafale participer aux missions de l'Otan. Mont-de-Marsan a vu naître la dissuasion nucléaire française puisque la première prise d'alerte opérationnelle y a eu lieu, le 8 octobre 1964. La base 118 s'est délestée de son dépôt nucléaire, mais le Président de la République a choisi ce lieu symbolique pour annoncer le renforcement massif des crédits alloués à la modernisation de notre dissuasion nucléaire et au passage au « tout-Rafale ». Cet effort budgétaire, fortement soutenu par notre groupe, est engagé dès le budget pour 2023, qui consacre 5,6 milliards d'euros à notre dissuasion et à la commande d'une quarantaine de Rafale.

La LPM 2024-2030 va modifier en profondeur nos armées. Du modèle expéditionnaire centré sur la lutte contre le terrorisme, nous passerons à un modèle d'armée capable de s'engager efficacement avec nos alliés dans une guerre de haute intensité.

Vous avez mentionné la vélocité de l'ASMP-A ; par rapport à nos alliés, à nos compétiteurs et à nos potentiels adversaires, quels avantages technologiques offre ce missile ? Dans le cadre de la LPM, quels sont les objectifs en matière de vélocité ? Les médias russes nous adressent un message en vantant les mérites de l'hypersonique ; quel message peut-on envoyer en retour ?

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Je vous remercie d'avoir rendu compte des forces de la CNA, mais aussi de l'aguerrissement des femmes et des hommes mobilisés.

Étant donné le développement d'actions au nom des intérêts vitaux de la nation et la rupture stratégique impliquée par l'agression de la Russie, il paraît nécessaire d'adapter les étapes de mise en alerte des FAS. Serait-il pertinent d'envisager des axes de coopération européenne et otanienne afin d'enrichir notre grammaire dissuasive ?

Par ailleurs, compte tenu de la sanctuarisation d'un certain nombre d'appareils pour les FAS et de la mobilisation d'une cohorte pour la PPS-A, la montée capacitaire prévue par la prochaine LPM pourrait être absorbée par le déficit du groupe dévolu aux autres missions de combat. Sur quels points se concentrera votre vigilance en ce qui concerne la disponibilité des appareils biplace et le maintien en condition opérationnelle des FAS, dans un contexte de surmobilisation des équipages et des équipements ?

L'association des forces nucléaire et conventionnelle est vouée à se renforcer. Comment envisagez-vous la poursuite de cet effort compte tenu de la rupture technologique représentée par l'adoption de l'ASN-4G et le développement du SCAF ?

Sans remettre en cause le principe d'autonomie de l'emploi de la dissuasion, un dialogue sur l'accompagnement des porteurs est-il envisageable dans le cadre de l'Alliance ou de l'Union européenne (UE) ?

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La composante aérienne de notre force nucléaire représente un atout majeur pour la permanence et la souplesse de notre dissuasion. Toutefois, les sites regroupant des infrastructures qui lui sont essentielles peuvent être exposés à des risques d'attaques aériennes. La France dispose de bases à Istres, Avord ou Saint-Dizier, et des infrastructures propres sont dédiées pour les Rafale, leurs missiles et les ravitailleurs. La protection de ces installations représente un enjeu majeur pour la crédibilité de notre dissuasion. Quelles menaces pèsent sur les installations ? Quelles mesures prenez-vous pour les réduire ? Nos capacités de défense sol-air sont-elles adaptées ? Les drones représentent-ils une menace pour vos activités ? Si oui, comment la prenez-vous en compte ?

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

La question de la stricte suffisance devrait être posée au Président de la République. Pour donner toutefois quelques éléments de réponse, je rappellerai qu'y compris lors des phases les plus chaudes de la guerre froide, la dissuasion nucléaire française n'a jamais été construite selon une logique « antiforces », qui aurait pu nous entraîner dans une insoutenable course aux armements.

De plus, fidèle aux engagements qu'elle a pris dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), la France a progressivement réduit ses moyens. Ainsi, si la CNA permanente a compté jusqu'à neuf escadrons de bombardement de Mirage IV et cinq escadrons nucléaires tactiques de Mirage IIIE et Jaguar, elle s'appuie aujourd'hui sur deux escadrons de chasseurs-bombardiers nucléaires, dotés de moyens extrêmement performants, qui garantissent notre capacité à produire des dommages inacceptables, conformément au principe de stricte suffisance.

Notre doctrine est relativement peu exposée aux fluctuations stratégiques. Quant à notre vigilance, elle porte en continu sur notre capacité à traverser les défenses adverses, en conservant toujours un coup d'avance sur la menace.

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

La dissuasion nucléaire, centrale dans notre stratégie de défense, est fondée sur une doctrine défensive et répond à l'impératif de garantir au Président de la République, quelles que soient les circonstances, la possibilité d'infliger des dommages inacceptables à l'adversaire. Il s'agit d'une dissuasion par représailles.

Nous nous entraînons dans cette perspective, dans le domaine nucléaire mais aussi dans le domaine conventionnel, les deux s'épaulant mutuellement. Qu'il s'agisse des équipages de Saint-Dizier et d'Istres ou du personnel en charge de nos transmissions ou de nos infrastructures spécifiques, l'entraînement est quotidien.

De plus, les flottes n'ont jamais été aussi adaptées pour percer la cuirasse. Le « tout-MRTT » et le « tout-Rafale » créent une situation inédite dans l'histoire de la CNA.

Nous pouvons être confiants pour l'avenir. En effet, les standards du Rafale vont être encore améliorés. Le standard F3-R permet déjà l'emport du Meteor, missile qui nous permet d'adapter nos tactiques et d'être davantage performants. Le développement du standard F4 ouvrira encore de nouvelles perspectives.

Le MRTT connaît aussi un processus de modernisation. Il pourra bientôt constituer un centre de commandement aéroporté et renforcer la connectivité de l'ensemble des membres du raid, c'est-à-dire leur capacité à échanger des informations.

Enfin, l'ASMP-A rénové sera validé en fin d'année, mais nous regardons aussi vers 2035, où des ASN-4G seront emportés par des Rafale F5.

Performants aujourd'hui, nous le resterons demain.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Oui, nous le resterons !

J'en viens aux questions portant sur les formats, l'équipement et les capacités, en particulier en ce qui concerne le MRTT. Jusqu'à récemment, nous comptions quatorze C-135, qui composaient notre capacité de ravitaillement. L'objectif était de remplacer ces C-135, mais aussi les Airbus A310 et A340 de l'escadron de transport stratégique Esterel par quinze Airbus A330 MRTT. Il s'agissait donc de remplacer dix-neuf appareils de 3 types différents par quinze appareils de même type. Nous utilisons aujourd'hui 9 A330 MRTT, et 3 A330 qui ne disposent pas encore des moyens de ravitailler en vol. A terme, tous seront équipés pour devenir polyvalents, afin de pouvoir basculer de manière simple d'une mission de ravitaillement à une mission de transport stratégique.

Concernant l'évolution des standards du Rafale, j'ajoute aux précisions du général Bellanger qu'elle permet de développer la connectivité, c'est-à-dire l'échange de données entre les appareils – chasseurs, mais aussi avions d'accompagnement. Le standard F4 constituera la première génération de connectivité et le F5 donnera naissance à la deuxième génération, qui assurera une connectivité plus sécurisée. Chaque fois, les capacités de pénétration et de discrétion augmentent, comme l'efficacité du raid, nucléaire ou conventionnel. En effet, ces qualités, souvent imaginées pour les besoins des FAS, profitent à l'ensemble des forces aériennes.

En ce qui concerne le « tout-Rafale » annoncé par le Président de la République, les livraisons du Rafale à l'armée de l'air et de l'espace ont repris en décembre, alors que la dernière livraison remontait à 2018. La montée en puissance du Rafale a donc repris son cours et il s'agit bien de continuer à faire grimper progressivement la courbe.

En parallèle, la fin de vie du Mirage 2000 se rapproche. Une première étape se produira avec la prochaine LPM et la fin de vie, mécanique et inévitable, du Mirage 2000-5, liée à l'ancienneté de l'appareil. Puis, au début de la prochaine décennie, la question de la fin de vie du Mirage 2000-D se posera aussi. Les deux courbes sont donc en train d'évoluer et nous serons en mesure de savoir à quel moment elles se croiseront lorsque l'encre de la LPM sera « sèche ».

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

En ce qui concerne les missiles hypervéloces, ils sont à la fois hypersoniques – vitesse de Mach 5 ou plus – et capables de manœuvrer durant le vol, notamment pendant la phase finale. Les Russes sont très avancés en la matière, ils possèdent un planeur Avangard et des missiles hypersoniques, Kinjal ou Zircon.

Cela change-t-il la donne ? Notre stratégie de dissuasion, défensive, a pour objectif d'infliger des dommages inacceptables à l'adversaire, quelles que soient les armes en sa possession, missiles de croisière supersoniques ou missiles balistiques, tirés depuis des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Dans cette perspective, la dissuasion repose sur deux composantes, la CNO et la CNA, se complétant grâce à des modes d'action différents, que l'on peut combiner pour percer la cuirasse. Et l'arrivée de l'ASN-4G hypervéloce nous permettra de mieux y parvenir puisque le missile aura une allonge supplémentaire, qu'il ira beaucoup plus vite et que ses trajectoires seront moins prédictibles. De ce point de vue, l'ASN-4G sera un game changer pour le troisième étage de la fusée.

Les moyens, la maintenance en condition opérationnelle (MCO) et les heures de vol sont-ils suffisants pour assurer la polyvalence ? C'est un enjeu. Les escadrons ne sont plus sanctuarisés pour le nucléaire, ils assurent à la fois des missions conventionnelles et la mission de dissuasion nucléaire.

Mon travail consiste d'abord à conserver au cœur de la formation la mission principale de dissuasion nucléaire. Nous avons les moyens de le faire, car la MCO a accompli des progrès grâce au contrat Ravel ; cette performance permet de disposer d'un certain nombre de Rafale en fonction de la programmation des missions au jour le jour et de gagner en réactivité.

En ce qui concerne les MRTT, leur évolution évoque le passage au Rafale polyvalent, que nous avons connu il y a une quinzaine d'années. Les MRTT ne se contentent pas, comme le faisaient pour l'essentiel les C-135, de conduire des missions de ravitaillement en vol pour et au profit de la dissuasion nucléaire. Ils procèdent aussi à des évacuations sanitaires complexes grâce à leur kit Morphee (module de réanimation pour patient à haute élongation d'évacuation) bien plus performant que celui développé sur C135, à des évacuations de ressortissants, au transport stratégique et au transport de fret. Il faut faire comprendre aux équipages – et c'est tout l'enjeu pour 2023 – qu'ils peuvent changer de référentiel d'un jour à l'autre : ils pourront conduire une mission de dissuasion nucléaire et, le lendemain, participer à un transport de troupes entre Paris et la Jordanie. La disponibilité des MRTT est suffisante pour cela.

J'en viens à la coopération européenne, dont l'importance, soulignée depuis Jacques Chirac, a été réaffirmée par le Président de la République dans son discours de février 2020, où il exprimait sa volonté d'inciter nos partenaires européens à développer un dialogue stratégique avec la France et d'éventuellement s'associer à des exercices des forces nucléaires françaises. Nous le faisons, en tenant compte de l'exigence de respect de la confidentialité. Ainsi, dans le cadre des opérations Poker, il leur arrive de prendre place dans le dispositif ennemi simulé ; cela a été le cas récemment d'un ravitailleur italien.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Tous les Rafale ne seront pas aux derniers standards. La modernisation relève parfois du software et tous les appareils peuvent alors être adaptés. Cependant, les changements sont parfois beaucoup plus lourds. Ainsi, quand le standard F5 sortira, l'avion sera très différent. Le radar, les contre-mesures électroniques et le calculateur nécessaire à la connectivité auront été modifiés. Or les capacités de calcul permettant de traiter des centaines de milliers d'informations nécessitent un câblage que le Rafale tel que nous le connaissons aujourd'hui n'est pas capable de supporter. Plusieurs standards coexisteront donc, et cela ne sera pas gênant. La complémentarité des moyens fait notre force, chaque appareil ayant ses avantages.

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

En ce qui concerne la protection des installations nucléaires, une obligation de résultat est déjà imposée par le contrôle gouvernemental de l'intégrité des moyens. Le ministère des armées définit un référentiel de menaces, dont on suit les évolutions pour intégrer de nouveaux défis, tels que les essaims de drones ou les missiles hypervéloces. Une catégorisation est alors établie en fonction du niveau d'alerte – paix, crise ou guerre. La prise en compte des menaces s'appuie sur la résistance intrinsèque des infrastructures, qui sont bâties dans cette perspective : chaque construction d'un bâtiment de la dissuasion nucléaire est précédée d'une évaluation et doit être conforme à un cahier des charges très rigoureux.

Ensuite, des escadrons de défense sol-air sont déployés sur nos BAVN. Dans l'aire de surveillance de la base, des forces de sécurité intérieure (FSI) sont présentes, qui sont rompues à ces exercices et peuvent se coordonner avec des unités des armées dans le cadre d'opérations particulières, visant à sécuriser la base aérienne et l'environnement.

Enfin, nos BAVN sont équipées de systèmes de lutte antidrones, qui concourent directement à leur protection. Celle-ci réclame un dispositif multichamps, la menace pouvant arriver de n'importe où et avoir recours à de nombreux moyens. Nos forces s'entraînent très régulièrement, notamment dans le cadre des exercices Basex et lors des montées en puissance.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Mon général, en ce qui concerne les améliorations qu'apportera l'ASN-4G, vous avez mentionné la vélocité ; d'autres sont-elles attendues ?

Nous avons évoqué la FOST et les FAS, mais pas la force aéronavale nucléaire (FANu). Comment s'organise la complémentarité avec cette troisième force ?

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Je n'ai pas entendu ou pas saisi vos réponses à la question posée par M. Saintoul au sujet du SCAF.

Par ailleurs, en octobre 2022, la France a coparrainé la résolution A/C.1/77/L.62, adoptée par la première commission de l'Assemblée générale des Nations unies. Le texte demande aux États de s'engager à ne pas procéder à des tirs de missiles antisatellites destructifs à ascension directe, c'est-à-dire tirés depuis la surface ou les airs.

Cependant, cette décision semble contradictoire avec la doctrine spatiale française actuelle. En effet, conformément à celle-ci, la France déploiera en 2023 le système Yoda (yeux en orbite pour un démonstrateur agile), un engin patrouilleur surveillant l'espace depuis l'espace et devant démontrer notre capacité à nous approcher d'un satellite. De plus, le programme capacité de renseignement électromagnétique spatiale (Ceres), déployé depuis 2021, prévoit la présence, d'ici à 2030, de satellites patrouilleurs guetteurs, équipés de caméras et de puissants lasers, pour tenir à distance des satellites ou des engins spatiaux étrangers, en les rendant inopérants. Au vu de ces capacités défensives, voire dissuasives, nous nous interrogeons sur l'orientation de notre doctrine pour les années à venir. S'agit-il de développer une dissuasion conventionnelle depuis l'espace ou d'abandonner toute tentative de défense dans ce domaine ?

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Monsieur le chef d'état-major, le 20 juillet dernier, vous regrettiez devant notre commission la trop grande mutualisation des moyens affectés à la dissuasion nucléaire et aux missions conventionnelles, qui ne permettrait pas de mener de front ces deux types de mission en cas de conflit de haute intensité. Afin que les objectifs prévus par l'Ambition opérationnelle 2030 et la LPM soient atteints, que préconisez-vous en matière de démutualisation des contrats opérationnels ?

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Lors d'un discours prononcé le 7 février 2020 à l'École de guerre, le Président de la République a évoqué la dimension européenne des intérêts vitaux de la France. Dans cette optique, il a réaffirmé qu'il était important de mener un dialogue avec nos partenaires européens sur le rôle que joue la dissuasion française dans notre sécurité collective européenne. L'Europe est-elle suffisamment protégée par la dissuasion nucléaire assurée par l'Otan ? La dissuasion française pourrait-elle développer des partenariats stratégiques supplémentaires pour assurer la sécurité de notre continent ? Quelles puissances européennes pourraient être sensibles à cette possibilité de coopération ?

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Je voudrais revenir à la persistance des lacunes capacitaires de l'armée de l'air, point abordé dans l'avis budgétaire présenté par mon collègue Franck Giletti.

Le format actuel de la flotte d'avions de chasse demeure insuffisant, ce qui produit des conséquences sur l'entraînement des pilotes. Ainsi, alors que la loi de programmation annuelle prévoyait 180 heures de vol, les pilotes n'ont volé que 164 heures en 2022 et ne voleront que 147 heures au cours de l'année 2023.

Dans les vœux qu'il a adressés aux armées vendredi dernier, le Président de la République a précisé vouloir atteindre le « tout-Rafale » d'ici à 2030. Cela concerne l'avion de chasse, mais qu'en est-il des aéronefs qui accompagnent le raid nucléaire ? Je pense notamment aux MRTT, aux C-135 et aux Awacs.

La polyvalence du Rafale, en particulier le développement de ses capacités air-air, a assurément modifié la manière de concevoir le raid nucléaire aéroporté. Quelles évolutions sont attendues avec la mise en service du missile Meteor ? Avons-nous une avance certaine sur nos compétiteurs ? La conserverons-nous sur la durée de la LPM à venir ?

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Vous avez évoqué la manière dont notre dissuasion repose sur sa crédibilité et sa visibilité. À cet égard, vous avez mentionné les opérations Poker. Par ces exercices, nous faisons savoir ce dont nous sommes capables. Dans quelles limites ? Que fait-on savoir à nos adversaires ? À nos alliés ? Se garde-t-on de faire savoir certains éléments ?

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Vous n'étiez peut-être pas encore en responsabilité il y a quelques années, quand un certain nombre de bases aériennes ont été fermées et supprimées, au désespoir des élus concernés. Quels éléments ont prévalu dans cette prise de décision ? S'agissait-il de considérations financières ou militaires ?

Ma circonscription compte un site du CEA qui fait l'objet d'une haute surveillance, notamment de la part d'une brigade de gendarmerie qui se trouve sur place. Un avion de tourisme a survolé le centre et a été interpellé lors de son atterrissage, avec une grande rapidité. Impressionné par une telle efficacité, j'ai appris que la gendarmerie passait par un circuit dédié, qui raccourcissait nettement les délais. Pourriez-vous nous livrer quelques éléments de cette organisation assez spectaculaire ?

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Nous avons effectivement fermé de nombreuses bases au cours des trois dernières décennies, ce qui correspondait à un resserrement logique du dispositif, à des fins d'économie. Nous ne suivons plus cette logique et aucune fermeture n'est à prévoir dans les prochaines années. L'idée est bien de conserver une structure qui permette d'accomplir nos missions, en particulier la PPS.

Quand un appareil survole une zone interdite, il est détecté par nos radars et un processus se déclenche pour l'intercepter. La base de Lyon-Mont-Verdun contacte l'un de nos appareils d'alerte, qui sont déployés « H 24 », 365 jours par an, et sont capables de décoller en quelques minutes. La réactivité est le symbole de l'armée de l'air et de l'espace. Ainsi, en quelques minutes, un appareil décolle pour intercepter l'appareil survolant une zone interdite, qu'il s'agisse d'un site du CEA, d'une centrale nucléaire ou d'une BAVN. Le dispositif permet aussi une coordination immédiate avec les FSI, qui se rendent là où atterrit l'appareil. Cette capacité de protection du territoire et d'intervention en tout point et en tout lieu remonte à peu près à la même date que la création des FAS. Elle compose l'une des spécificités de notre aviation de chasse.

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

La dissuasion nucléaire repose sur deux composantes – CNA et CNO – et trois forces. La CNA comprend les FAS et la FANu.. Les deux forces permanentes – FAS et FOST – sont complémentaires et non hiérarchisées, les deux étant en mesure de mener à bien la mission de dissuasion.

Notre particularité est notre permanence mais surtout notre agilité, produit de notre visibilité, de notre réactivité et de notre réversibilité. Nous pouvons monter en puissance de manière discrète ou ostensible. Nous le faisons généralement de manière ostensible, pour montrer à nos compétiteurs ce que nous sommes capables de faire ; nous rendons ainsi crédibles les deux composantes, y compris celle qui ne se voit normalement pas.

Nous pouvons aussi rappeler le raid plusieurs heures après le décollage et nous avons la capacité de frapper à très longue distance. En effet, le couple « ravitailleur – Rafale », qui nous différencie de la FANu – de son côté, le Rafale Marine est couplé au porte-avions –, nous donne l'allonge voulue. Nous partageons le même missile ASMP-A. Les FAS ont la capacité de constituer des raids d'envergure et la possibilité de disperser leurs moyens, ce qui autorise une grande résilience, une grande rapidité de montée en puissance et une forte réactivité.

De son côté, la FANu bénéficie de l'ambiguïté quant à son activation, puisqu'on ne communique jamais sur l'armement du porte-avions.

Nous travaillons ensemble, notamment dans le cadre des opérations Poker que je conduis. Ainsi, en décembre 2021, des Rafale de l'aéronavale ont été catapultés depuis le porte-avions, et ont été intégrés au raid nucléaire des FAS. Nous avons conduit la mission ensemble, ce qui nous a permis de développer notre interopérabilité avec beaucoup d'efficacité.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

En ce qui concerne le SCAF, nous en sommes encore au début du processus. Les trois chefs d'état-major suivent une dynamique de consolidation du besoin. Chaque pays a présenté ce qu'il voulait faire avec le vecteur intégré. Tout est sur la table et nous avons commencé à discuter des implications concrètes. Par exemple, la France a demandé que le NGF (Next Generation Fighter) soit navalisé. Le travail consiste à resserrer ces contraintes pour aboutir à des décisions qui conviennent à tous.

La phase 1-B vient d'être lancée par la signature du contrat industriel. Il s'agit d'accomplir un travail collaboratif avec les industriels, pour aboutir à la création d'un démonstrateur et savoir si un objet peut satisfaire à l'ensemble des conditions posées.

La question de la dissuasion et de l'intégration d'un vecteur nucléaire a également été mise sur la table et, à ce stade, aucune objection majeure n'a été formulée, en tout cas par mes homologues.

D'autres questions se posent : à quel point l'avion doit-il être furtif ou manœuvrable ? Qu'elle doit être sa capacité d'emport ? L'ASN-4G est un gros missile. La phase 1-B du programme doit durer dix-huit mois et nous permettra de répondre à ces questions.

Dans l'espace, notre logique est de refuser les tirs destructifs, compte tenu de leurs potentielles conséquences. Il faut absolument éviter la présence de débris dans l'espace. En effet, nous utilisons en permanence ce qui vient de l'espace dans notre vie courante et, si des débris menaçaient les satellites qui tournent autour de la planète, toute notre vie en serait bouleversée.

J'en viens à la question de la mutualisation conventionnel-nucléaire, que j'ai évoquée devant vous il y a quelques mois. C'est une question de priorisation et d'ambition. Que voulons-nous faire ? Quelles sont nos priorités ? Acceptons-nous de faire un peu moins dans un domaine ? La dissuasion étant centrale dans notre esprit, quand sa grammaire se met en place, tous les moyens doivent être concentrés vers la bonne conduite de sa mission. Des moyens disponibles dépend notre capacité à poursuivre d'autres missions. La mutualisation est acceptable dans le cadre de cette ambition ; elle ne peut pas ne pas avoir de conséquences.

La PPS est une mission liée à notre souveraineté, dont le Président de la République a affirmé le caractère prioritaire lors des vœux qu'il a prononcés le 20 janvier. Les missions qui nous sont confiées sont diverses et il nous faut être clairs quant à notre ambition. Si nous sommes moins présents dans le cadre des opérations extérieures, nous récupérons de la marge de manœuvre. Nous pouvons également envisager, en cas de besoins liés à la dissuasion, de faire revenir des appareils déployés en Afrique, au Proche et Moyen-Orient ou ailleurs.

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

En ce qui concerne la coopération otanienne, il convient de préciser quelques éléments de doctrine. La stratégie de l'Alliance s'appuie notamment sur une stratégie de dissuasion et de défense. Des avions à double capacité sont à même de remplir la mission de dissuasion nucléaire grâce à des bombes nucléaires B-61, bombes gravitationnelles mises à disposition par les États-Unis et qui restent sous contrôle américain. Ces avions permettent aux alliés, en retour de la garantie du parapluie nucléaire, de partager le fardeau nucléaire. Ainsi, la responsabilité et les risques sont assumés politiquement et collectivement.

Il n'y a pas de couplage entre la dissuasion nucléaire française et celle de l'Otan. C'est pourquoi, malgré notre retour plein et entier dans la structure militaire de commandement intégré, nous ne sommes pas membres des plans nucléaires de l'Otan. Toutefois, il est officiellement admis par l'Otan depuis la déclaration d'Ottawa de 1974, que la dissuasion française contribue à celle de l'Alliance, au même titre que les dissuasions américaine et britannique. Cela complique les calculs d'un adversaire potentiel, qui ferait face non pas à une mais à quatre dissuasions.

En ce qui concerne l'opération Poker, l'objectif est de montrer à nos compétiteurs ce dont nous sommes capables et ils ne se privent pas de regarder, avec attention. Dans cette perspective, nous réservons les zones d'entraînement deux ou trois mois avant l'exercice, ce qui leur laisse le temps de planifier leur passage de satellites. Nous pouvons effectuer cet exercice de manière très nominale, ou chercher des « coins de domaine », pour leur montrer spécifiquement ce que nous sommes capables de faire, en faisant intervenir, par exemple, des aspects de brouillage ou de cyber.

S'agissant de nos alliés, nous leur démontrons nos capacités pratiquement tous les jours. Quand nous conduisons une opération comme Hamilton et que les mêmes équipages procèdent, en moins de trois jours, à une projection de puissance comme nous l'avons fait l'été dernier en Nouvelle-Calédonie, nos alliés sont sensibles à ces démonstrations. Quand je m'entretiens avec mon homologue américain au téléphone, je ne sens pas uniquement de sa part de la bienveillance et de la politesse. Nous sommes très appréciés pour notre capacité de dissuasion.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Le missile Meteor apporte un avantage comparatif important et se trouve bien dans le haut du panier en matière de missiles air-air, puisqu'il repousse la menace très loin du porteur. À ce stade, ce missile nous donne une allonge enviée par la plupart de nos pays partenaires, voire par les pays compétiteurs.

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Général Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques

Nous avons atteint une totale maîtrise de ce missile. Quand un tel missile fait son apparition, il faut d'abord s'entraîner, développer des tactiques et les éprouver. Dans le cadre de la dernière édition de Poker, nous avons réussi à mixer des tactiques à très basse et à très haute altitude grâce à des tirs Meteor, parvenant ainsi à repousser davantage l'ennemi.

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Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Ce vecteur nous donne de l'avance ; quand un Rafale décolle avec un Meteor, nous sommes pris au sérieux.

J'en viens à la taille de la flotte et à son impact sur l'entraînement. Le général Bellanger a dit qu'il garantissait le niveau d'activité, mais le nombre d'heures de vol par an reste globalement en dessous des 180 heures par pilote dans l'ensemble de l'armée de l'air et de l'espace.

Toutefois, nous nous adaptons. Nous avons signé des contrats pour que la disponibilité de nos Rafale soit supérieure à celle initialement envisagée et nous tentons de tirer un peu plus de chacun des appareils qui nous sont affectés. Il s'agit d'un équilibre à trouver entre la génération de l'activité immédiate et le vieillissement global de l'appareil. En effet, plus vous utilisez un appareil, moins il durera. Les LPM successives permettent d'ajuster cet équilibre.

Dans le passé, nous avions recours à la simulation basique ; aujourd'hui, nous accomplissons des choses assez exceptionnelles en la matière. Nous allons développer massivement la simulation dans la prochaine LPM ; elle ne remplacera pas l'activité aérienne, mais permettra de mieux préparer nos équipages à certaines missions.

Dans ce domaine, nous avons présenté deux objets au Président de la République vendredi dernier, à Mont-de-Marsan. D'abord, un objet assurant la connexion entre plusieurs simulateurs, qui permet par exemple à un avion de transport de se retrouver en patrouille avec un avion de chasse et un hélicoptère, pour conduire une mission comme s'ils étaient tous les trois en vol. Il s'agit de simulation massive en réseau.

Nous lui avons également présenté le LVCT (Live, Virtual, Constructive Training), qui permet de mixer une réalité de vol avec des objets qui n'existent pas mais qui apparaissent sur les écrans radars. Dans le cadre d'une opération Poker, par exemple, cela permet de développer plusieurs scénarios en mobilisant moins d'appareils. De telles simulations nous aideront à mieux nous préparer aux missions de demain.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, Messieurs les officiers généraux, pour tous les éléments que vous nous avez apportés.

La séance est levée à dix heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Yannick Chenevard, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, Mme Martine Etienne, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. José Gonzalez, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, M. Laurent Panifous, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, M. Fabien Roussel, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, M. Philippe Sorez, M. Michaël Taverne, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Julien Bayou, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, Mme Michèle Martinez, Mme Valérie Rabault, M. Mikaele Seo